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⚢ Fictions lesbiennes ⚥
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εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

1 juillet 2011

Chapitre 4

Aujourd’hui.

Une rue déserte. Il fait sombre. Un vent glacial agite les branches des arbres et les feuilles s’en détachent tandis que les premières gouttes s’écrasent sur le sol. Un craquement retentit derrière elle. Un bruit sinistre qui résonne dans sa tête comme un gong sonnant son arrêt de mort. Elle se retourne. Personne.

Son pouls s’accélère, sa gorge est sèche. Elle a l’impression que quelqu’un ou quelque chose l’épie dans la pénombre. Ses yeux se mettent à se brouiller et son cœur bat si fort que ses oreilles bourdonnent. Sa respiration s’accélère, elle marche plus vite.          

— Jordan…   

Elle s’arrête. Était-ce le vent ?         

Une présence l’entoure, elle la ressent, elle pèse sur elle. Elle n’a pas la force de crier, la terreur la cloue, immobile et les nuages bas l’oppressent. Elle ferme les yeux, pour ne pas sentir le vertige. Elle écoute le bruit du vent qui glisse sur les feuilles des arbres, ne sachant dire si ce chuchotement qu’elle entend provient d’une voix étrange et douce ou de la mélodie du vent.      

— Jordan…   

Son souffle se bloque, elle connait cette voix, sa voix… Elle ouvre les yeux et regarde alentour, elle fronce les sourcils, mais elle ne voit rien, les lampadaires sont éteints et tout n’est qu’obscurité. Il n’y a pour tout éclairage que le halo de la pleine lune.       

Des frissons traversent tout son corps et la peur l'envahit : elle sent une présence derrière elle. Un souffle dans son cou, la chaleur d’un corps. La peur au ventre, elle se retourne lentement. Les poings serrés, elle lutte contre l’envie de hurler et de s’enfuir en courant.

Elle reste interdite. Il est là, juste devant elle, tout de blanc vêtu. Il est comme dans son souvenir, ses yeux rieurs, son visage si fin, son sourire… Elle ne peut empêcher les larmes de couler tandis qu’elle caresse tendrement son visage.        

— Jordan…, murmure-t-il.  

Elle réalise soudain combien son teint est pale, ses lèvres sont bleues et ses yeux sont ternes. Sur son t-shirt, une tâche sombre se forme au niveau de sa poitrine et des larmes coulent le long de ses joues.

— Je t’aime Jordan, je t’aime…        

Jordan pose ses mains sur son torse, essayant d’arrêter l’hémorragie. La tâche s’agrandit et elle a beau palper son torse mais elle ne trouve aucune blessure, coupure, rien.     

— Non… non, pas encore… non ! Reste avec moi, je t’en prie ! Me laisse pas… pas encore…, pleure-t-elle tout en tenant fermement son visage entre ses mains.

— C’est fini Jordan, c’est fini… je t’aime…  

— Non ! Reste tu m’entends ! Reste ! Me laisse pas…

Doucement il tombe à genoux et s’allonge sur le sol. Son t-shirt est maintenant presque entièrement recouvert de sang. Jordan s’assoit à ses côtés, son visage au-dessus du sien. Elle le supplie une dernière fois au creux de son oreille, la gorge nouée, les lames coulant le long de ses joues.

— Reste, je t’en prie…          

Les minutes passent et finalement, elle relève la tête, le visage défiguré par la peine. Puis ses sourcils se froncent. Au loin, droit devant elle, se tient une silhouette blanche.      

— Jordan…, murmure la voix douce, mélodieuse. 

Péniblement, elle se redresse, les jambes tremblantes.      

— Manue ? appelle-t-elle, la voix tremblante.       

— Jordan…   

Enjambant le corps inerte du jeune homme, elle avance tant bien que mal vers la silhouette blanche. La jeune femme semble vêtue d’un simple drap, ses longs cheveux bruns flottant autour de son visage, ses yeux verts incroyablement calmes. Elle aimerait l’atteindre, mais plus elle avance, plus la jeune femme reste inaccessible. Jordan accélère, court aussi vite qu’elle le peut, mais rien y fait. La silhouette ne recule pas, non… elle reste au même endroit. La distance entre elles ne diminue pas.

— Manue ! hurle-t-elle, haletante. 

— Jordan…   

La silhouette ferme les yeux, le teint de plus en plus pâle et de nouveau le blanc se mêle de rouge.

— Non… non… Manue, non ! supplie-t-elle la voix brisée. Ne me laisse pas non plus… je t’en supplie…

— Jordan…   

Impuissante, elle tombe à genoux, ne parvenant plus à contrôler ses pleurs alors que la silhouette disparaît. Se laissant glisser sur le sol, elle s’allonge en position du fœtus et se balance frénétiquement d’avant en arrière tandis que le noir l’entoure.

Une douce chaleur sur sa joue la réveilla en sursaut, haletante et transpirante, et elle se demanda un instant où elle se trouvait. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, raisonnant inlassablement dans ses oreilles et un nœud atroce lui serrait l'estomac, la rendant nauséeuse. Une deuxième main se posa sur son visage et deux yeux d’un vert profond se plongèrent dans les siens tandis qu’elle tentait de calmer sa respiration.         

— Chuut Jordan, Jordan, je suis là, ce n’est rien, tu as fait un cauchemar, murmura Emmanuelle en la prenant dans ses bras.       

Sa tête trouva aussitôt refuge contre une épaule accueillante et la jeune photographe éclata en sanglots. Ce cauchemar, elle le connaissait par cœur, il avait hanté ses nuits pendant des mois deux ans auparavant. Cette horreur innommable lui avait consumé l'âme et tourmenté l'esprit et elle n’arrivait pas à croire qu’il était revenu comme ça dans sa vie, aussi facilement. Les derniers évènements, son retour ici, l’évocation du passé la bousculaient visiblement plus qu’elle ne voulait se l’admettre.

Une fois calmée, Emmanuelle lui demanda doucement :

— Ça va ?      

Jordan acquiesça légèrement alors qu'elle reprenait peu à peu ses esprits. Autant qu’elle se souvienne, elles étaient assises en face l’une de l’autre et voilà qu’elle se retrouvait maintenant dans les bras de la jeune policière. Ce n’était pas pour lui déplaire, mais elle était quelque peu perturbée. Jusqu'à présent, Emmanuelle ne s'était pas montrée très chaleureuse, et la voir désormais là, à la réconforter, elle s'en retrouva passablement troublée. 

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle enfin.       

— Tu t’es assoupie, juste après la meilleure partie de l’histoire, répondit Emmanuelle dans un léger sourire avant de froncer les sourcils et poursuivre plus sérieusement. Jordan... c’était Mathéo ?

La jeune photographe la dévisagea aussitôt.      

— Quoi ? demanda-t-elle.   

— Mathéo, tu as hurlé son prénom à plusieurs reprises… Tu ne te souviens pas de quoi tu as rêvé ?

Jordan se concentra quelques secondes et lorsque des flashs lui revinrent en mémoire, elle secoua la tête pour les faire disparaître aussitôt.    

— Je ne sais pas, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, répondit-elle en évitant son regard.

Une larme lui échappa cependant, coulant le long de sa joue, et elle sentit aussitôt deux bras doux et protecteurs enserrer sa taille à nouveau, poussant un sanglot à s'échapper de ses lèvres.           

— Manue..., souffla-t-elle tout en enfouissant sa tête au creux de son épaule.          

La jeune policière la serra fort contre elle tout en caressant tendrement son dos pendant plusieurs minutes avant de se dégager doucement et lui soulever le menton afin de la forcer à la regarder.

— Qu'est-ce qui ne va pas, Jordan ? demanda-t-elle doucement, l’inquiétude visible dans son regard.

La jeune photographe lui adressa un pauvre sourire tout en essuyant ses larmes.

— C'est rien, ça va passer. C'est juste un peu de fatigue, rien de plus... On devrait continuer...

Sur ces mots, elle se détacha de l'étreinte d'Emmanuelle et commença à se tourner lorsque la jeune policière lui attrapa doucement le bras et l'obligea à faire lui faire face.

— Jordan, on n’est pas obligée de continuer si c’est trop difficile pour toi.  

Jordan eut un sourire dénué d'humour. 

— Si j'avais su qu'un simple cauchemar changerait autant ton attitude envers moi, j'y aurais pensé bien plus tôt.         

Emmanuelle serra la mâchoire avant de soupirer doucement.

— Ça n'a rien de drôle, Jordan.     

— Je sais, acquiesça doucement la jeune femme en hochant la tête. Mais le fait est que je n’ai pas fait plus de 5 000 km pour baisser les bras au dernier moment. C’est un cauchemar, c’est tout, ça va aller.

Emmanuelle l'implora du regard et Jordan prit sa main dans la sienne avant de la presser légèrement en signe d'apaisement.       

— Ne te torture pas l’esprit avec ça, s’il te plaît.

Emmanuelle haussa intérieurement les sourcils. Ne te torture pas l’esprit avec ça ? Elle en avait de bonnes ! Jordan était… transfigurée. Son mauvais rêve l’avait complètement retournée, elle avait beaucoup remué et avait hurlé à plusieurs reprise. Et sa réaction après s’être réveillée… Son regard était humide et si triste qu’elle en avait mal au cœur, son teint était livide et même si elle faisait tout pour le cacher, elle tremblait. Comment voulait-elle qu’elle ne s’inquiète pas ?     

Mais insister ne servirait à rien, alors Emmanuelle décida d’attendre que cela vienne d’elle-même, et si cela devait prendre des semaines ou des mois eh bien tant pis, en attendant elle serait là et lui apporterait tout son soutien.        

Elle s’arrêta. Des semaines ? Des mois ? Mais à quoi tu joues là Manue ?! Tu t’imagines qu’elle sera encore là d’ici là ? Elle est déjà partie une fois, qui te dit qu’elle ne repartira pas ?       

— Manue ? Ça va ? demanda Jordan, inquiète du silence qui émanait de son amie.

La jeune policière secoua la tête et choisit de détendre l’atmosphère.

— Ça va, et puis de quoi parles-tu ? Je ne suis pas du genre à m'en faire, ajouta-t-elle dans un air faussement innocent.          

Jordan l'observa et un sourire naquit au coin de ses lèvres.   

— Quoi ?       

— Tu ne sais pas mentir, Manue. D'ailleurs, pour une policière, ça laisse à désirer, la taquina Jordan.

— Moi ? Je ne sais pas mentir ? demanda la jeune policière, feignant d’être blessée. Qu'est-ce qui te permet de dire ça ?

— Hmm... j'hésite, sourit Jordan, amusée. La petite ride entre tes sourcils et ta façon de te toucher le nez surement. Ce sont des signes d'inquiétude et de nervosité chez toi, ajouta-t-elle dans un murmure.

Emmanuelle ne put s’empêcher de lui sourire d'un air gêné, Jordan la connaissait vraiment bien.

— Je suis démasquée. On continue alors ?

Jordan acquiesça avant de se repositionner au creux de ses bras, elle avait besoin de la sentir près d'elle, besoin qu'elle la prenne dans ses bras, qu'elle l'apaise par sa simple présence afin de lui donner la force de poursuivre.         

— Ça ne te gêne pas… si je reste là ? demanda-t-elle incertaine. J'ai envie de te sentir près de moi pour la suite. Je… je ne suis pas sûre d’y arriver sinon, ajouta-t-elle timidement.  

Emmanuelle l'enveloppa aussitôt dans une étreinte rassurante.        

— Je suis là Jordan, tu ne crains rien, lui répondit-elle en déposant un doux baiser sur son front.

Tu joues avec le feu Manue, elle t’a abandonné, tu te souviens ? 

Emmanuelle secoua la tête, chassant les pensées qu’elle ne voulait avoir, et serra Jordan un peu plus fort contre elle.        

Deux ans plus tôt.

— Qu’est-ce qu’on a ?         

— Mathéo Miller, jeune homme de vingt-quatre ans, répondit l’officier en levant les yeux de son bloc-notes.

Il lui fit un signe de la tête pour lui dire de le suivre et poursuivit ses explications en les accompagnants de gestes.      

— D’après les spécialistes de la reconstitution, la voiture s’est engagée à toute allure dans le parking par cette entrée, a percuté une première voiture juste là, renversé la victime, percuté une seconde voiture, sectionné le poteau électrique et a fini sa course en travers du parking juste ici. Il semblerait que le conducteur ait perdu la maîtrise de son véhicule et que le levier de vitesse soit resté enclenché sur la cinquième. Et il a été dépisté à 1,54 g d'alcool/L de sang. Concernant la victime, elle a été percutée de plein fouet et est morte sur le coup, c’est pas beau à voir. Une expertise médicale est prévue ainsi que pour le véhicule.          

— Bien, et le conducteur ? 

— Il a été emmené à l’hôpital, son front a violemment heurté le volant. Des collègues l’ont accompagné, ils l’interrogeront dès que possible.         

L'officier hocha la tête d'un air entendu. 

— Des témoins ?     

— Un, la vieille dame assise là-bas, la scène s’est déroulée sous ses yeux alors qu’elle promenait son chien.

L’officier tourna la tête en direction de l’endroit désigné par son collègue et repéra aussitôt la dame assise sur les marches de l’immeuble et qui discutait avec un policier. Elle semblait totalement bouleversée, le teint blême et s'essuyant continuellement les yeux d'un mouchoir.

Il jeta un œil alentour avant de reporter son attention sur son collègue, un périmètre de sécurité avait été délimité, des hommes et femmes en uniforme s’affairaient à droite, à gauche et des véhicules d’urgence et de police stationnaient un peu partout, empêchant les plus curieux d’approcher.

— Apparemment, ce serait la voisine, il aurait discuté quelques instants avec elle avant de se diriger vers son véhicule, le deuxième qui a été percuté, poursuivit son collègue. Il vivrait en colocation avec sa sœur, Jordan Miller.

— On a un numéro pour la contacter ?   

— J’ai mis le lieutenant Herbomel sur le coup. Tu devrais rentrer chez toi et te reposer tu sais, tu tiens à peine debout, ajouta-t-il en le voyant se masser la nuque.    

— Non, ça va, répondit-il tout en observant le corps enveloppé dans un sac plastique être sanglé sur la civière puis transporté dans l’ambulance. Fais en sorte qu’elle se rende au commissariat dès que possible.

— À vos ordres capitaine.

💕

Refermant la porte derrière elle, Jordan repéra immédiatement son associée. La jeune femme se tenait debout devant un grand bureau recouvert de plusieurs clichés, situé juste devant une grande baie vitrée, et à la façon dont elle tapotait son stylo contre son menton, elle semblait en proie à une profonde réflexion.      

Alors qu'elle s’approchait, Jordan laissa courir son regard sur les différentes photographies éparpillées sur la surface en verre. Elles représentaient un couple posant dans des lieux différents, à différents moments de la journée. Son regard s’arrêta sur une en particulier, situé l’un à côté de l’autre, l’homme légèrement en retrait, son bras caché derrière la femme, on ne distinguait que le haut de leur corps et leur visage. L’homme semblait assez grand, blond et assez mince, elle était plus petite, plus ronde et brune. Il faisait très « souverain » et elle très latino-américaine. Il paraissait discret alors que sa moitié avec l’air plus expansive. Elle semblait spontanée et gaie, lui sérieux et réfléchi. L’attraction des contraires, ne put-elle s’empêcher de penser. Cette complémentarité apparente semblait faire leur force, leur visage dégageant une douceur et un amour inégalable. Une sérénité.

Un sourire se dessina sur ses lèvres, son amie avait du talent et pas une seule fois elle n'avait regretté de s’être associée à elle.

— Engagement sessions ? demanda-t-elle enfin.

Kathy hocha la tête.

— Séance en amoureux au petit matin. Je les avais rencontrés entre deux trains la semaine dernière, j’ai tout de suite adoré le style du jeune homme et le sourire pétillant de la jeune femme. Elle dégage une tendresse… Je les ai retrouvés très tôt pour profiter de la lumière douce et de la température encore fraîche et surtout des rues encore calmes pour explorer tous les petits recoins de notre itinéraire. On a fait deux séances, une avec la lumière pure du début de journée et une en soirée. Ils m’ont demandé de couvrir leur mariage.

Jordan haussa les sourcils.

— On n’a jamais fait ça.

— Je sais, et c’est que je leur ai dit, mais ils ont adorés les photos et tiennent à ce que l’on s’en occupe. J’ai vérifié le planning, on a rien de prévu ce weekend-là.

— Kathy c’est normal, on n’est pas censées bosser le weekend !

La jeune femme leva les yeux au ciel avant de soupirer.

— Je sais, mais ce serait une bonne expérience, non ? C’est un mariage, ça va être sympa ! Allez, dis oui ! dit-elle en la suppliant du regard.

— Kat’ me fais pas cette tête là… Arg, bon d’accord !

— Super ! s’exclama Kathy en tapant des mains. Mais qu’est-ce que tu fais là au fait ? Tu ne devrais pas être sur la route à l’heure qu’il est ?

— Tu connais Mat’, être à l’heure, c’est pas son fort, répondit Jordan en remuant une main dans les airs.

— Vous devez y être à une heure précise ?

Jordan secoua la tête.

— Le concert a lieu ce soir, 21h. On a toute la journée devant nous, on a décidé de partir tôt histoire de visiter un peu la ville.

— Hmmm, d’accord, répondit Kathy en hochant la tête avant de l’observer un instant. Tu n’as pas l’air très emballée en tout cas, même un croque-mort à l’air plus gai que toi.  

Jordan haussa les sourcils.

— Duh, je suis ravie de voir que comme toujours tu ne mâches pas tes mots toi en tout cas, répondit-elle.

Kathy haussa les épaules.

— C’est pour ça que tu m’adores, non ? sourit-elle.

— Mouais. C’est juste que ce n’est pas mon truc, je fais ça pour Mat’.  

— Oh ta bonté te perdra ma belle ! la taquina aussitôt Kathy alors qu’elle se dirigeait vers la machine à café.

Jordan ne put s’empêcher de sourire. Mathéo devait se rendre à Bordeaux pour un concert, il jouait de la guitare dans un groupe et ils devaient se produire lors d’un festival parmi des orchestres réputés. Jordan avait toujours participé à chacun de ses déplacements musicaux, mais ce n’était pas son truc. Non pas qu’ils n’étaient pas doués, ils s’en sortaient plutôt bien mais les concerts, elle n’était pas très fan. Quoi de mieux que d’écouter de la bonne musique, chez soi, en compagnie d’un bon verre de vin ? Elle ne comprenait pas comment les gens pouvaient supporter de passer des heures debout collés par des inconnus pleins de sueurs. Alors elle l’avait fait marcher, il avait dû faire des pieds et des mains pour qu’elle accepte et elle avait tenu tête pour la forme. Elle adorait faire ça.

La sonnerie de son téléphone la sortit soudainement de ses pensées et, le sortant de son sac, elle remarqua que le numéro était inconnu. Fronçant les sourcils, elle se mordit l’intérieur de la joue avant de décrocher.           

— Allo ?        

— Mlle Miller ? répondit la voix rauque à l’autre bout de la ligne.     

— Oui, qui êtes-vous ?        

— Bonjour, je suis le lieutenant Herbomel du commissariat de Bourges.     

— Bonjour…

— Pourriez-vous vous rendre au commissariat dès que possible ?   

Jordan haussa les sourcils.

— Au commissariat ? Pour quelle raison ?         

— Vous en serez informée dès votre arrivée sur place.           

Jordan leva les yeux au ciel.          

— Écoutez, je suis censée prendre la route dans quelques minutes. Alors, s’il vous plaît, pourriez-vous me dire de quoi il en retourne ?   

— Mademoiselle, ce n’est pas une bonne idée…

— Pas une bonne idée ? demanda-t-elle aussitôt alors que son cœur s'accélérait et ses mains devenaient moites. Comment ça ? Il est arrivé quelque chose ?      

Tournant légèrement le dos, elle évita le regard à la fois curieux et inquiet de son associée et chassa tant bien que mal les pensées qu’elle ne voulait avoir. À l’autre bout du fil, elle n’entendait plus rien. Pas de respiration. Même pas un bruit de fond. Rien. Et, pour la première fois, elle comprit que le silence pouvait provoquer bien des souffrances.

Devant l’absence de réaction de son locuteur, elle perdit patience.   

— Mais parlez bon sang !  

— Votre frère, hum, il y a eu un problème, venez au commissariat, que l’on en discute.

— Mon frère ? Qui y a-t-il ? demanda-t-elle en s’appuyant contre le bureau. Dites le moi.

— Mademoiselle — 

— Dites-moi ce qui se passe. Je veux savoir, maintenant, lâcha-t-elle d’un ton qui n’appelait aucune discussion possible.

Le sergent Herbomel comprit que la jeune femme ne lâcherait pas l’affaire et répondit dans un souffle :          

— Votre frère est décédé. On l’a retrouvé mort devant votre immeuble. Je suis désolé.

Les mots lui parvinrent et le téléphone glissa aussitôt de son oreille, une douleur fulgurante lui transperçant la poitrine alors que ses jambes se dérobaient sous elle. Tout sembla tourner autour d’elle, son souffle se coupa et elle n’arriva plus à respirer ni à parler, ses mots se brouillaient, s’entremêlaient.

— Jordan ? Ça va ? Jordan !          

Elle sentit que des bras tentaient de la soutenir, mais elle n’entendait plus rien. Un voile noir s’abattit devant ses yeux.

💕

Emmanuelle regardait à travers la vitre les infirmières qui s’occupaient de Jordan tandis que le médecin lui expliquait ce qu’elle avait.        

— Elle s’est évanouie juste après le coup de téléphone de votre collègue, sa tête a violemment heurté le sol. Heureusement, elle n’a rien de grave, juste une petite coupure et une bosse. On lui a donné ce qu’il faut pour la douleur.          

La jeune policière hocha la tête d’un air entendu sans détourner son regard de la jeune femme aux cheveux blonds qui se trouvait juste sous ses yeux. Son teint était pâle, elle avait les yeux dans le vide et ses poings étaient serrés. Elle ne veut pas pleurer, elle garde ses larmes pour quand elle sera seule, pensa-t-elle. En trois ans de carrière, ce n’était pas la première fois qu’elle avait à faire à quelqu’un qui venait de perdre un proche, pourtant, elle détestait toujours autant cela. Encore plus cette fois-ci, puisqu’il s’agissait de la personne qui comptait le plus pour elle. Et la voir comme cela lui fendait littéralement le cœur. 

— J’aimerais la voir, répondit-elle finalement.   

— Je vous ferais signe dès que les infirmières auront fini de s’occuper d’elle mais, allez-y doucement.

Emmanuelle haussa un sourcil avant de fermer un instant les yeux. 

— Je ne suis pas là dans le cadre du travail, précisa-t-elle, se rappelant qu’elle était toujours en uniforme.

— Oh. D’accord, eh bien, hum, elles ne devraient plus en avoir pour longtemps.    

— Bien. Vous comptez la garder ici encore longtemps ?          

— Non, elle pourra sortir dès que les infirmières en auront terminé, je vais m’occuper de son autorisation de sortie.        

La jeune policière opina de la tête.           

— Merci docteur.

Alors que le médecin s’éloignait, elle se détourna finalement de la vitre et prit place sur l’une des chaises faisant face à la porte de la chambre dans laquelle se trouvait Jordan. Appuyant sa tête contre le mur, elle étendit ses jambes devant elle et s'apprêtait à fermer les yeux lorsqu'une voix familière en provenance du couloir attira soudainement son attention. Tournant légèrement la tête, elle aperçut Sébastien qui arrivait en compagnie d’un collègue.

Non mais je rêve, fulmina-t-elle intérieurement. Son regard s’assombrit dangereusement tandis qu’elle se dirigeait vers eux d’un pas décidé.      

— Qu’est-ce qu’il fait là lui ? demanda-t-elle sans même jeter un œil à l’homme auquel elle faisait référence.

— Il est chargé de l’enquête Manue, on est ici pour l’interroger.       

Emmanuelle haussa les sourcils.   

— L’interroger ? Il s’agit d’un accident, pas d’un meurtre.

Sébastien soupira avant de reprendre d’une voix douce.        

— Manue, c’est la procédure, tu le sais bien.      

— Pas besoin, je sais tout ce qu’il y a à savoir, vous pouvez disposer.          

— Lieutenant Cahill, je —  

— Tu quoi ? l’interrompit soudainement Emmanuelle en tournant la tête vers leur collègue qui jusque-là était resté silencieux. Tu devais lui demander de se rendre au commissariat, pas lui dire que son frère est mort ! Tu es un abruti ou quoi ? Si tu n’es pas capable de faire ton métier correctement, tu devrais sérieusement penser à en changer ! lui dit-elle dit le ton froid mais ferme, tout en évitant de hausser la voix pour ne pas attirer plus de curieux. Retourne au commissariat, je me charge du reste. Compris ?  

Hochant frénétiquement la tête, le jeune policier ne se fit pas prier et reparti sans demander son reste.

— Ce n’est pas possible d’être si incompétent ! lâcha Emmanuelle entre ses dents alors qu’il s’éloignait.

— Manue…

— Quoi ? répondit-elle d’une voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.         

— Tu ne crois pas que tu y es allée un peu fort, là ? Tu sais bien qu’annoncer un décès est la plus ingrate et la plus intense des tâches d’un policier.          

— Oui, et la meilleure approche est humaine et sincère. Il faut dire la vérité telle qu’elle est, avec toute la sympathie dont on est capable. On tente de consoler la personne, aussi doucement que possible. Autrement dit, pas en balançant ça au téléphone !        

— Je sais, admit Sébastien en passant une main sur son visage, il a fait une erreur et il en est conscient. Il ne méritait pas autant de remontrance de ta part.     

La jeune policière le regarda un instant avant de soupirer.     

— Tu as raison, je suis désolée, répondit-elle en se pinçant l'arête du nez. Je prends ça trop personnellement. Je m’excuserai auprès de lui plus tard.        

— Bien. Pour l’interrogatoire…

— Non, je m’occupe de tout. S’il te plaît, elle n’a pas besoin de ça Seb, insista-t-elle devant l’hésitation de son collègue.

Il s'apprêtait à répondre lorsque la porte de la chambre s’ouvrit.     

— Lieutenant Cahill ? demanda l'infirmière. Le docteur Brego nous a prévenus, vous pouvez y aller.

— Merci, j’arrive.     

Reportant son attention sur son collègue, Emmanuelle poursuivit.    

— Je te vois plus tard, d’accord ? 

Sébastien la considéra un instant puis finit par hocher la tête.

— D’accord file, elle va avoir besoin de toi.

Emmanuelle acquiesça puis donna de légers coups sur la porte avant d’entrer dans la pièce. Son regard se posa immédiatement sur une jeune femme fatiguée dont les yeux noirs dégageaient une tristesse incommensurable qui lui brisa un peu plus le cœur et, refermant la porte derrière elle, elle enjamba rapidement la pièce et la prit dans ses bras.

— Oh Jordan, je suis tellement désolée, murmura-t-elle contre les cheveux blonds tout en caressant tendrement le dos de la jeune femme.     

Jordan nicha son visage au creux de cou, ses poings empoignant sa chemise, comme si elle avait peur de s’effondrer si elle lâchait prise. Fermant les yeux, elle essaya de se concentrer sur la chaleur que dégageait le corps collé contre le sien et les paroles réconfortantes qu’Emmanuelle lui glissait à l’oreille, priant pour que les mots qui avaient sonnés comme une bombe dans sa tête plus tôt dans la journée cessent de la tourmenter.  

— Manue, que s’est-il passé exactement ? demanda-t-elle finalement.

La jeune policière prit une profonde inspiration avant de répondre d’une voix douce.

— Ton frère a été percuté de plein fouet par un véhicule au pied de votre immeuble. L’homme qui conduisait était ivre et aurait apparemment perdu le contrôle. Il est mort sur le coup, je suis désolée Jordan.

La jeune photographe pressa sa main contre ses lèvres, les larmes coulant de nouveau le long de ses joues. C’était un mauvais rêve, ce n’était pas possible. Elle allait se réveiller d'une minute à l'autre et réaliser que tout ceci n’était que le fruit de son imagination, et tout irait bien, n’est-ce pas ? Elle serait chez elle, ils passeraient la soirée ensemble, à rire, à s’amuser...

Ou alors, ils avaient fait une erreur. Après tout, des jeunes hommes blonds de 25 ans, il y en avait pleins les rues, pas vrai ? Son immeuble devait héberger quoi, plus de deux cents personnes, ils avaient très bien pu se tromper, non ?  

— Jordan ? Tu veux boire un verre d’eau ou quelque chose ? demanda maladroitement Emmanuelle tout en essuyant ses joues de ses pouces.

La voix de la jeune policière la ramena à la réalité et Jordan planta son regard dans celui vert émeraude, comprenant aussitôt que tout était vrai, on ne peut plus vrai et qu’il ne servait à rien d’espérer.

— Qu’est-ce qu’il risque ? demanda-t-elle difficilement.

Emmanuelle haussa les sourcils avant de répondre :   

— Il a été mis en examen, il sera probablement mis en détention provisoire par la suite. Le juge d’instruction en décidera et le juge des libertés et de la détention donnera sa décision, l’audience aura lieu mercredi.           

— Et à ton avis, quelle peine lui sera attribuée ?

La jeune policière soupira doucement avant de prendre les mains de Jordan entre les siennes.

— Jordan, écoute-moi. Je sais que c’est pas facile, que tu souffres énormément, et cet homme sera jugé et purgera sa peine. Mais… déverser ta colère sur lui ne le ramènera pas.

Ses mots claquèrent comme un coup de fouet à ses oreilles. Des mots durs mais tellement vrais. Emmanuelle avait raison et elle le savait. Mais comment supporter ce gouffre qu’elle ressentait au plus profond de son cœur ? Cette douleur qui la broyait littéralement ? La vie était trop injuste, qu'avait-elle fait de mal au bon Dieu bon sang ?! Elle en voulait à la terre entière, à Mathéo qui était descendu à ce moment-là, à ce type qui l’avait assassiné, à elle-même… Pourquoi n’était-elle pas restée ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle passe à son travail ?

Elle donnerait le reste de sa vie pour le voir ne serait-ce que dix minutes, le serrer fort contre elle et lui dire qu’elle l'aimait. 

— Jordan ? appela doucement la policière, la sortant de ses pensées.          

Jordan ne lui répondit pas, sa gorge étant tellement nouée qu’aucun son ne pouvait en sortir. Elle se contenta de replonger sa tête au creux de son cou, priant pour que la douleur, et le vide, disparaissent.

💕

Jordan ne put retenir ses larmes plus longtemps lorsque le prêtre invita la famille du défunt à s’avancer et dire un dernier mot.       

Jusqu’à présent, elle n’avait pas pleuré, du moins pas réellement. Non pas qu'elle n'était pas triste, mais elle ne comprenait pas, ne réalisait pas encore, ne le voulait pas. Mais apercevoir le cercueil de son frère à quelques pas d’elle, les gens qui pleuraient, ce fut comme un déclic. Une claque. Elle s’était levée et lorsqu'elle avait vu ce grand coffre de bois, sobre, impersonnel et renfermant l'une des personnes les plus chères à son cœur, froid, ne respirant plus, cela avait été de trop. Les larmes étaient venues s'accumuler dans ses yeux et ses jambes l’avaient soutenue avec peine.

Elle ne pouvait pas. 

Elle se retourna et sortit de l’église en courant, les larmes coulant librement le long de ses joues. Elle n'essaya pas de les retenir, libérant à la place toute la tristesse et la douleur qui s'étaient accumulées au plus profond d’elle. Elle pleura, en silence au début. Puis ses jambes cédèrent et elle s'agenouilla à terre, prenant sa tête dans ses mains et pleurant à s'en déchirer l'âme, le corps secoué de spasmes.

Bien vite, elle se mit à crier, de désarroi, de peine, de colère, de haine. Son cœur saignait. Elle l'avait perdu. Il lui manquait tellement, il était tout pour elle. À tel point que maintenant, elle n'était plus rien, seule et horriblement triste.

Un immense vide s'était formé dans son cœur et elle venait d'en prendre réellement conscience. Ce vide l'oppressait, la tuait lentement, lui faisait horriblement mal. Comment imaginer sa vie sans quelqu'un qui en avait toujours fait partie intégrante, qu'elle avait tant aimé ? Comment continuer à avancer avec cette peine, ce manque ? Comment tout recommencer sans cette personne ? Comment se faire à l'idée que plus jamais elle ne la reverrait, plus jamais elle n'entendrait son rire, ne verrait son sourire ?

Emmanuelle, en pleure elle aussi, vint l'enlacer, la soutenir moralement, même si au fond, elle savait que personne n'avait ce pouvoir. Elle avait perdu son frère, et elle ne le retrouverait pas. Il était parti, à jamais. Les cris atroces qui s'échappaient des lèvres de Jordan la poussèrent à resserrer encore plus son étreinte et elle pria pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar et qu’elle se réveille bientôt.

Relevant finalement son visage ravagé par les larmes, Emmanuelle l'observa tendrement, tristement jusqu'à ce que Jordan ne colle sa tête sur sa poitrine et ne continue à pleurer sa perte, la main de la jeune policière caressant doucement son dos alors qu'elle lui offrait tout le soutien qu'elle pouvait fournir.

💕

Après plusieurs appels sans réponse, les policiers ouvrirent la porte et pénétrèrent dans l’appartement, arme au poing. Il faisait très sombre à l’intérieur, le seul éclairage provenant de la lumière qui filtrait légèrement à travers l'interstice des volets tirés et les contours de la pièce étaient à peine distinguables. L’entrée donnait sur un petit hall qui lui-même donnait visiblement sur ce qui semblait être le salon. Le silence quant à lui était lourd et pesant.

Un peu plus tôt dans la journée, le petit ami de Morgane Lairaces, un jeune étudiant de 21 ans, avait appelé le commissariat. Il était inquiet, sa compagne n'avait plus donné signe de vie depuis plusieurs jours et Emmanuelle et deux de ses collègues s’étaient donc rendus au domicile de la jeune femme.

Lampes torches en mains, les policiers poursuivirent leur inspection, aux aguets. Le salon et la cuisine qui se trouvaient sur la droite semblaient en ordre. Sur la gauche, ils purent distinguer deux portes dont la deuxième était entreouverte. Emmanuelle vit l'un de leurs collègues s'approcher de la première porte tandis qu'ils se chargeaient de la deuxième, poussant lentement le battant, une forte odeur âcre et désagréable leur parvenant aussitôt.

La première fois qu’elle avait eu à faire face à la mort, la jeune policière avait 23 ans et à peine quelques mois de service à son actif. Ils avaient reçu un appel d’une femme qui se plaignait d’une forte odeur provenant d’un logement voisin, et arrivé sur place, ils avaient inspecté l’appartement avant de se rendre rapidement compte qu’il était désert et que la porte de la salle de bains était bloquée. En l’enfonçant, la secousse avait fait basculer le corps d’un homme pendu et ils avaient reçu son cadavre en plein visage. Elle s’en souvenait comme si c’était hier et cette même odeur qu’elle sentait à présent ne lui disait rien qui vaille.

Elle et son collègue échangèrent un regard et d’un commun accord, Emmanuelle passa devant, poussant doucement la porte afin de l'ouvrir complètement. Le spectacle effroyable qui s'offrit aussitôt à eux les marquera sans doute à vie. Le corps de Morgane gisait sur son lit, visiblement morte après avoir été égorgée et poignardée. Son corps était entièrement nu et maculé de sang et sa bouche était bâillonnée à l’aide d’un foulard, sans doute pour l’empêcher de crier. Ses mains quant à elles étaient liées au-dessus de sa tête et attachées à la tête du lit et il y avait du sang partout, sur le sol, les murs.       

— Bon sang… murmura finalement la jeune policière alors qu'elle ne pouvait détacher ses yeux de la scène.

— J’appelle la brigade criminelle, enchaîna aussitôt son collègue en sortant de la pièce. Mais qu’est-ce que…

Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale et Emmanuelle se retourna aussitôt, découvrant son collègue en train de se débattre avec un homme assez grand, le visage défiguré par la haine, nu et recouvert de sang. Elle vit son collègue tenter de lui tordre le bras pour lui faire lâcher son arme lorsqu'un coup de feu se fit entendre, la clouant soudainement sur place alors qu'elle s'apprêtait à apporter son aide.   

Une douleur aiguë et paralysante traversa son corps et elle tomba à genoux, un murmure à peine audible s’échappant de ses lèvres :          

— Jordan…

💕

Allongée sur son lit, les mains jointes derrière sa tête, la jeune photographe fixait le plafond de sa chambre d’un regard vide, l’esprit ailleurs.

— Et… j’ai encore gagné ! s'exclama Mathéo alors qu’elle perdait sa dernière carte. Cinq victoires d’affilée… c’est ça le talent ma belle !  

Jordan lui offrit un regard noir avant de réunir les cartes et les mélanger à nouveau.

— Ton talent ne rimerait pas avec tricherie par hasard ? grommela-t-elle entre ses dents.

Mathéo lâcha un rire.          

— Oh allez, arrête de faire la tête, Jordan. Je vais finir par croire que tu es une mauvaise perdante...

— Je ne boude pas, répondit la jeune femme en faisant la moue. Et je ne suis pas une mauvaise perdante !

Pour toute réponse, elle reçut un oreiller en plein visage accompagné d’un « mais bien sûr ! »

D’abord surprise, Jordan ne put empêcher un sourire de se dessiner sur ses lèvres et riposta en le lui renvoyant. Bien vite, une bataille d’oreiller s’engagea entre eux et Jordan essaya de se sauver mais le coussin lui arrivait déjà en pleine figure. Elle le rattrapa cependant avant qu'il ne tombe à terre mais Mathéo en avait déjà pris un autre et s'approchait dangereusement d’elle, le regard plein de malice. Jordan tenta tant bien que mal de le pousser sur le lit mais le jeune homme l'attrapa par le bras et l’entraina avec lui dans sa chute. 

— Oh ça tu vas me le payer! s'exclama-t-elle sans cesser de rire.

Elle lâcha alors son oreiller, s’assit à califourchon sur ses cuisses et commença à le chatouiller au niveau des côtes tandis que Mathéo se contorsionnait dans un fou rire incontrôlable. Il arriva finalement à avoir le dessus, bien que les chatouilles infligées l'empêchèrent de reprendre son souffle et de réfléchir correctement, et la renversa afin de lui infliger la même sentence, le rire de Jordan éclatant quasi instantanément dans la pièce. Cette dernière arriva cependant à lui donner un coup d’oreiller lui permettant de rouler sur le côté, se dégageant ainsi de son étreinte. Seulement, ayant mal calculé son coup, elle tomba du lit et fini sur les fesses, sa chute faisant redoubler leur hilarité et ils se tinrent les côtes lorsque des points de côté commencèrent à se faire sentir à force de rire autant. Ils finirent par s’adosser au lit, essoufflées et gloussant comme des gamins.

— Mon Dieu ! se plaignit Jordan tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux en bataille et essayait de retrouver sa respiration. Je suis trop vielle pour ça !       

— Oh mais oui, tiens, ce ne serait pas un cheveu blanc ça d’ailleurs ? la taquina son frère.

— Oh vilain ! lui répondit Jordan en lui donnant une petite tape sur la cuisse avant de secouer la tête et sourire. Tu sais que je t’aime toi ? ajouta-t-elle alors qu’elle passait un bras autour de ses épaules et l’embrassait sur la joue.       

— Pas autant moi ! répondit Mathéo en se relevant, lui ébouriffant les cheveux au passage.

De légers coups contre sa porte la ramenèrent soudainement à la réalité et elle essuya les larmes qui avaient silencieusement coulé le long de ses joues avant de se redresser et l’inviter à entrer. Comme chaque jour, Kathy venait s’assurer qu’elle allait bien. Mais cette fois-ci, Jordan remarqua que son attitude était différente lorsque la jeune femme entra dans la pièce, se dirigea vers la fenêtre d’un pas décidé et ouvrit en grand les volets. La lumière du jour qui pénétra dans la pièce l'aveugla subitement et elle émit un grognement avant d’enfouir son visage sous l’oreiller.

Kathy revint sur ses pas et se posta au pied du lit, croisa ses bras sous sa poitrine avant de dire d’un ton déterminé :        

— Jordan, ça fait un mois que tu n’as pas mis le nez dehors, et c’est à peine si tu sors du lit. Ça ne peut plus continuer comme ça.  

Devant l'absence de réaction de la jeune femme, elle poursuivit :

— Écoute, je t’ai fait couler un bain, pendant ce temps là je vais m’occuper d’aérer ta chambre, de ranger et de changer les draps. Oh oui je vais définitivement changer les draps, ugh. Ensuite on mange et on discute. D'accord ?  

— Kat’, sors d’ici et laisse-moi tranquille, répondit la voix étouffée provenant de l’oreiller.

— Ah ça certainement pas, répondit aussitôt la jeune femme en tirant sur les couvertures. Allez bouge-toi !    

— Laisse-moi Kat’ ! 

— Non, répondit Kathy, le ton ferme.      

A sa surprise, elle vit Jordan se redresser avant de planter son regard dans le sien, et elle marqua un temps d’arrêt. Elle avait l'air épuisée, d'énormes cernes lui mangeaient le visage. Un visage pâle, affreusement pâle et amaigri. Et ses yeux n'avaient plus d'éclat. Elle ressentit un pincement au cœur de la voir comme cela, malade de chagrin.   

— Non ? demanda Jordan en haussant un sourcil.        

— Non, répéta Kathy, le ton plus doux.

Jordan serra la mâchoire avant de soupirer, puis repousser les couvertures avant de se lever. Elle savait que lorsque Kathy était comme ça, il n’y avait pas à discuter. Elle aurait insisté jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait.          

— Très bien, je vais faire ce que tu dis, mais après, tu me laisses tranquille.

Kathy se passa une main sur le visage.    

— Jordan, s'il te plaît, je ne fais pas ça contre toi...        

Le claquement de la porte de la salle de bain fut la seule réponse qu’elle obtint tandis que de l'autre côté du battant, Jordan s'appuya dos contre la porte et soupirait bruyamment tout en fermant les yeux. Depuis ce jour, sa vie n'était plus vraiment. Elle n'était qu'automatisme, et ne faisait que ce qui lui était indispensable. Elle ne riait plus, ne mangeait presque plus, ne parlait plus, ne dormait plus, ne vivait plus... Elle espérait l’impossible, le revoir, qu’il revienne et elle était fatiguée, fatiguée d'espérer, fatiguée de vivre sans lui.      

Des larmes coulèrent douloureusement le long de ses joues et ses genoux cédèrent, la faisant s'écrouler sur le sol tout en pleurant dans ses mains.

💕

Une dizaine de minutes plus tard elle ressortit de la salle de bain vêtue d’un simple jeans et un débardeur blanc, ses cheveux humides retombant sur ses épaules. Retournant dans sa chambre, elle retrouva son associée et meilleure amie assise sur son lit, les yeux rivés sur le téléphone qu’elle tournait nerveusement entre ses mains.

— Kat’ ? Ça va ? demanda-t-elle.

La jeune femme releva la tête, ses yeux bleus baignés de larmes. Péniblement elle se racla la gorge.

— C’est… c’est Emmanuelle, elle est à l’hôpital. Je suis désolée.          

— Qu... quoi ? balbutia Jordan alors qu'elle repliait instinctivement ses bras autour d’elle, comme si elle cherchait à se protéger de la douleur que son amie lui infligeait, inconsciemment, en parlant.

D'une voix mal assurée, Kathy lui expliqua ce qu'il s'était passé et elle porta sa main à ses lèvres pour s’empêcher de crier, les larmes dévalant sur ses joues alors que son corps était secoué par de silencieux sanglots.        

Une heure plus tard, les médecins l’y autorisant enfin, Jordan entra doucement dans la chambre d’hôpital et laissa son regard courir dans la pièce blanche. Seulement composée d’un lit, de deux fauteuils en cuir pour accueillir les visiteurs, d’une table de chevet et d’un porte manteau, elle était désespérément impersonnelle et froide et Jordan ne put retenir les larmes à la vue du corps de sa douce allongée à quelques mètres d'elle, dans cette chemise d’hôpital, reliée à toutes ces machines, son teint était blême et ses lèvres de couleur violet-rose.

Elle s'approcha tout doucement du lit, les yeux rougis, et d'une main tremblante, elle prit la sienne avant de la relâcher aussitôt.       

— Je suis désolée Manue, je ne peux pas…, je suis désolée, pleura-t-elle avant de se ruer sur la porte et de s’éloigner aussi vite que ses jambes le lui permirent.

💕

— Jordan, qu’est-ce que tu fais ?! demanda Kathy, essoufflée.

Assise dans le couloir, elle avait vu son amie sortir précipitamment de la chambre et quitter l’hôpital comme une tornade, la poussant à la suivre sans prendre le temps de réfléchir. Arrivée à l'appartement, elle avait vu Jordan ouvrir la porte à la volée et se précipiter vers la chambre comme une furie, attrapant sa valise qui se trouvait sous son lit et la remplissant frénétiquement, les mains tremblantes.

— Jordan arrête, calme-toi, continua Kathy en prenant ses mains entre les siennes.          

— Non ! répondit la jeune femme en se dégageant aussitôt. Je ne peux pas Kathy ! Je ne peux pas !

La jeune femme s'empara de nouveau ses mains et la serra tout contre elle.          

— Jordan, calme-toi s’il te plaît, répéta-t-elle d'une voix douce.          

Elle sentit la jeune photographe se débattre un instant avant d’éclater en sanglots convulsifs et enfoncer sa tête dans son cou. Kathy la serra plus fort contre elle tandis qu’à son tour elle sentait les perles salées couler le long de ses joues. La vision de sa meilleure amie dans un état aussi triste que celui dans lequel elle la voyait lui fendait le cœur. Mais il fallait qu’elle soit là pour elle. Elle se devait de la consoler. C'était son rôle. Alors elle ferma les yeux et appuya son étreinte d'une main sur sa nuque tandis qu’elle caressait tendrement son dos, attendant qu’elle se calme.       

— Je suis désolée Kathy…

La jeune femme s’écarta d’elle doucement et la regarda, surprise.    

— Tu es désolée de quoi, ma belle ? demanda-t-elle tout en essayant les larmes de ses joues.
— Il faut que je parte, je ne peux pas rester ici, répondit difficilement Jordan, la gorge serrée. Je vais retourner chez mes parents, au Canada. 

Kathy l’étudia longuement avant de hocher la tête.       

— Emmanuelle va avoir besoin de toi, tu sais ? Mais... je pense que ça te fera du bien de te retrouver un peu loin d’ici, avec tes proches. Et lorsque tu reviendras —    

Jordan secoua frénétiquement la tête.     

— Non, tu ne comprends pas Kathy, je quitte la France, je ne peux pas rester ici.   

Kathy lui offrit un regard confus. 

— Jordan, je sais que c’est dur mais tu ne peux pas tout lâcher comme ça et partir. Pars quelques jours, semaines, le temps qu’il faut si tu veux, mais... réfléchis et prends ta décision à ce moment-là, d’accord ?           

Jordan hocha faiblement la tête avant de se dégager de son étreinte et continuer à remplir sa valise.

Kathy l’avait laissé faire, persuadée que quelques jours chez sa famille lui feraient du bien et qu’elle serait de retour une fois qu’elle irait mieux.       

Le problème était qu’elle n’était jamais revenue.

💕

Ouvrant péniblement les yeux, la lumière l'aveugla aussitôt et Emmanuelle dut cligner des paupières à plusieurs reprises avant de pouvoir distinguer où elle se trouvait. Regardant autour d’elle, elle reconnut une chambre d’hôpital et elle essaya de se redresser mais une vive douleur l’arrêta aussitôt, lui faisant réaliser au passage combien sa tête lui faisait mal elle aussi. Elle ferma les yeux et serra des dents, incapable de bouger pendant quelques secondes. Elle ne pouvait remuer le moindre muscle sans que des vagues de douleur lui traversent l'épaule, sa tête manquant d'exploser sous les pulsations d'une douleur comme elle n'en avait jamais ressenti.  

Elle soupira. Elle se sentait totalement vidée, épuisée. Elle n’avait pas les idées claires et déjà, elle sentait que le sommeil cherchait à la rattraper de nouveau. Mais elle ne voulait pas dormir, elle ne voulait plus dormir… Luttant contre la fatigue, elle se concentra et au bout de quelques instants, des brides de souvenirs lui revinrent en mémoire.        

— Merde…

La porte de la chambre s’ouvrit et elle sursauta légèrement, suivant du regard le médecin en blouse blanche qui venait d'entrer dans la pièce, mettant ainsi fin à ses réflexions. Elle lui donna une cinquantaine d’année au vu de ses tempes grisonnantes et apprécia l’air bienveillant qui occupait son visage sévère.          

— Bonjour mademoiselle Cahill, content de vous voir de nouveau parmi nous. Comment vous sentez vous ?

— Oh j’ai l’impression d’avoir pris la plus grosse cuite de toute ma vie…     

Le docteur lui sourit.          

— On va vous donner quelques antalgiques pour la douleur, demanda-t-il tout en l’examinant. Je suis le médecin qui vous a opéré, vous vous souvenez de ce qui vous est arrivé ?

— Oui, vaguement, grimaça-t-elle alors qu'il touchait son épaule. Je suis restée inconsciente longtemps ?         

— Cela fait quatre jours que vous êtes ici, vous vous réveilliez quelques minutes pour vous rendormir aussitôt. Vous aviez besoin de beaucoup de repos. En ce qui concerne votre blessure, vous avez reçu une balle dans l’épaule qui a traversé le tissu musculaire. Par chance, elle n’a pas perforé le poumon.  

Il vérifia ses yeux tour à tour à l'aide d'une lampe torche avant d'ajouter : 

— Votre pronostic est bon, vous pourrez sortir d’ici la fin de la semaine. Vous devrez réaliser des exercices physiques exécutés quotidiennement pour renforcer les muscles de l'omoplate, mais on a le temps pour ça.         

Elle hocha la tête.    

— En d'autres termes, j'ai du pain sur la planche.         

Il rit doucement.      

— Je ne vous cache pas que ce ne sera pas forcément une partie de plaisir, mais si vous voulez retrouver la mobilité complète de votre bras...        

— ...je n'ai pas d'autre choix. Je sais.        

— Bien. Je vais vous envoyer une infirmière, vous avez un grand besoin de reprendre des forces.

Emmanuelle hocha la tête d'un air entendu tandis que le médecin quittait la chambre, laissant aussitôt place à Sébastien, son collègue et ami.     

— Alors, comment va notre grande blessée ? demanda-t-il en se penchant et la serrant doucement dans ses bras.        

— J’ai connu mieux, mais ça va, répondit doucement Emmanuelle, contente de voir une tête familière.

— Tu nous as fait une de ces peurs tu sais ? ajouta Sébastien, l’inquiétude présente dans sa voix.

— J'imagine, murmura la jeune policière avant de plonger son regard dans le sien. Que s’est-il passé exactement ?

Sébastien secoua la tête, un léger sourire sur les lèvres.         

— Le boulot d’abord hein ? Tu changeras jamais. Bon… Cet enfoiré était caché derrière la porte que l'on a omis de vérifier, dit-il en remuant la tête, bien conscient que leur erreur aurait pu leur coûter la vie. Je l’ai surpris quand je sortais pour appeler la brigade, ou plutôt il m’a surpris. Il a essayé de s’emparer de mon arme et le coup est parti tout seul, te touchant à l’épaule, à la limite du gilet pare-balles. J’ai entouré ta blessure à l’aide d’un torchon pour arrêter l'hémorragie puis l’ambulance est arrivée et ils t’ont emmené ici.      

— Vous l’avez arrêté ?

Sébastien acquiesça de la tête.      

— Marc est intervenu dès qu’il a entendu le coup de feu. L’assassin est en fait le père du petit ami de la victime, on a demandé à ce dernier de l’identifier au commissariat. Après avoir reconstitué l'emploi du temps de Morgane pour tenter de comprendre ce qu'il s'est passé, on a constaté que la porte de son immeuble met douze secondes avant de se refermer, de quoi laisser le temps à son agresseur d'entrer dans le hall puis l'obliger à lui ouvrir la porte de son appartement en la menaçant.

Emmanuelle hocha la tête, il poursuivit : 

— L'enquête de voisinage laisse à penser qu’elle a été assassinée aux alentours de 23 heures 30, c’est l’heure à laquelle des habitants de l'immeuble ont entendu une conversation animée suivie de bruits sourds, elle a certainement essayé de s’enfuir. L'autopsie du corps réalisée hier a donné de nouvelles informations. La victime a été égorgée par son agresseur après avoir été violée et elle a été marquée d’une croix juste derrière l’oreille.           

— Attend, l’interrompit la jeune policière, levant les yeux vers lui. On a eu un cas similaire il y a quelques semaines…

Le jeune policier acquiesça tandis qu’il rapprochait le siège se trouvant à côté du lit et s’y asseyait.

— En effet, on a fait le lien avec l’affaire Racan, jeune employée d'une banque qui avait été retrouvée égorgée dans sa voiture. C’est son patron qui l’avait découverte, il s'était rendu chez elle pour prendre de ses nouvelles car elle n'avait plus donné signe de vie depuis deux jours.

— Oui c’est ça, elle avait été violée puis torturée avant d'être tuée par arme blanche. Elle avait elle aussi une croix juste derrière l’oreille. Une petite tache de sang avait été prélevée dans le véhicule et il ne s'agissait pas de celui de la victime.          

— Exactement, eh bien l'ADN correspond à ce maniaque sexuel. Il sera présenté devant le juge d'instruction jeudi prochain.         

Emmanuelle hocha la tête. 

— Bien, merci de m’avoir informée. Et... d'avoir pris soin de moi quand...    

Sébastien remua une main dans les airs.

— J'ai simplement fait ce que je devais faire, répondit-il avant de lui faire un clin d’œil. Je dois y retourner, tu as besoin de quelque chose ?        

— De quoi m’occuper, je vais devenir folle ici sinon.    

Sébastien lâcha un rire.      

— Oh tu n’auras pas le temps de t’ennuyer, ton père ne va pas tarder à arriver et Jade compte venir te tenir compagnie.      

— Ta femme est un ange, sourit Emmanuelle. Et Jordan ? Où est-elle ?         

Le jeune officier évita soudainement son regard, l’air gêné et elle sentit un nœud se former dans son estomac.

— Seb ? demanda-t-elle, l'inquiétude montant en elle. Il s’est passé quelque chose ?

Sébastien prit une profonde inspiration avant de lever les yeux vers elle.   

— Elle est partie, Manue.

La jeune policière haussa les sourcils.     

— Partie ? Partie où ?         

— Au Canada, chez ses parents.   

— Oh…, répondit Emmanuelle alors que la déception et l'incompréhension s'insinuaient en elle. Et, hum, elle revient quand ?

Sébastien détourna de nouveau les yeux pour les laisser retomber sur sa main qui tripotait nerveusement la manche de sa chemise. 

— Elle ne reviendra pas, Manue, lâcha-t-il après quelques secondes de silence. Elle est partie le jour même où tu es arrivée ici, elle a fait suivre ses affaires et mis son appartement en vente.

Emmanuelle l'observa, interdite, avant de tourner la tête et regarder droit devant elle. Ses poings se serrèrent au point d'en faire blanchir ses phalanges et elle sentit ses ongles s'enfoncer dans ses paumes, mais elle ne s'y attarda pas. Que l’on déchire son cœur à mains nues n’aurait pas pu lui faire plus mal. Ce n’est pas possible… pas après ce que l’on a vécu… Comment peut-elle me faire ça ? 

Elle répondit finalement d’une voix dénuée d’émotion :          

— Je suis fatiguée, j’aimerais dormir.

A contrecœur, Sébastien hocha la tête et l’embrassa doucement sur le front avant de quitter la pièce. Une fois seule, Emmanuelle laissa les larmes couler silencieusement le long de ses joues, et, pour la première fois de sa vie, elle se sentit incroyablement seule.

 

Aujourd’hui.  

Lentement, Jordan porta une main tremblante sur son visage.

— Manue, murmura-t-elle, les yeux baignés de larmes. J’ai… j’ai eu si peur que tu…

Ne pouvant supporter cette image une seconde de plus, la jeune policière la prit dans ses bras et la serra aussi fort qu’elle le put.

— Jordan —

— Non, laisse-moi finir, souffla la jeune femme avant de se redresser et de la regarder dans les yeux. Je n’aurais pas pu supporter de te perdre, Manue.

Elle s'arrêta et ferma les yeux, comme si elle ressentait encore la douleur qu'elle lui décrivait rien qu'en y repensant. Soucieuse, Emmanuelle porta sa main à sa joue et la caressa doucement, attendant qu'elle reprenne.

— Comme tu le sais, quand Mathéo est parti, je me suis effondrée, pendant plusieurs semaines. On venait de m’arracher mon frère, mon meilleur ami, celui avec qui j'avais grandi, celui avec qui j'avais tout vécu… Tu sais, au départ je n’ai pas pu croire qu’il était parti, c’était impossible, inconcevable et je n’attendais qu’une seule chose : le voir à nouveau. Mais l’horreur s’est bien vite imposée à moi, et j’ai compris que c’était fini, que ma vie venait de basculer et que je venais de perdre à jamais celui que j’aimais. En une fraction de seconde, je me suis retrouvée seule.

— Tu n’étais pas seule Jordan, l’interrompit doucement la jeune policière.

Durant les semaines qui avaient suivi l’enterrement, Emmanuelle se rendait tous les jours à son appartement et passait chaque minute de son temps libre à la tenir dans ses bras, à la laisser pleurer sur son épaule, à lui apporter son soutien du mieux qu’elle le pouvait. Elle avait observé, impuissante, la femme qui comptait le plus pour elle s’effondrer littéralement, agir comme une machine, perdre son entrain, son sourire, dans l’espoir qu’ils reviennent un jour.

Jordan hocha la tête.           

— Je sais, je le sais aujourd’hui. À l’époque, je ne voyais que son absence, renifla-t-elle. Bref, une longue et lente descente aux enfers a alors commencé ; le manque, le vide, l’impression de n’être plus rien. Je me levais chaque matin en me demandant pourquoi : pourquoi lui ? Pourquoi moi ? C’était tellement injuste ! J’avais perdu la moitié de moi-même. Je n’avais plus goût à rien, plus goût à la vie. Je me sentais de trop ici.

« Pourtant, le temps, lui, est inflexible, il passe, la vie continue… J’ai dû apprendre à vivre avec ma peine, mon chagrin, ma colère et ma haine. La haine envers ce type, ce type qui avait brisé ma vie. Que me restait-il à moi ? L’espoir de le retrouver dans un monde meilleur… A lui ? Toute sa vie, avec ceux qu’il aimait. Rien n’avait changé, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour ce monstre.

Antoine Jusset, un nom qu’elle n’oublierait jamais. Le substitut du procureur avait requis un an de prison dont deux mois avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans, sachant que le prévenu avait déjà fait neuf mois de détention provisoire. Le tribunal l’avait finalement condamné à quatre ans de prison dont un an avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans, à 1 500€ d'amende et un peu plus de 40 000 € de dommages-intérêts. Son permis de conduire avait été annulé pour deux ans. Voilà, c’était tout. Il avait ôté la vie, c’était sa seule punition.

La gorge nouée par l’émotion, elle garda le silence un moment. Elle ne pensait pas que le fait de raconter son histoire équivaudrait à revivre ce passé douloureux. Emmanuelle aussi avait du mal à réfréner ses émotions, luttant tant bien que mal contre ses larmes. Elle resserra son étreinte autour de la taille de la jeune photographe qui poursuivit son récit, les yeux embués.

— Moi, ma vie avait donc complètement changé, reprit-elle doucement. Kat’… Kat’ est venue me voir ce jour-là, elle voulait me sortir de ma léthargie. Je sais qu’elle aurait réussi, il était grand temps que je me bouge, sourit-elle tristement.

Elle fit une pause, puis reprit, la gorge serrée :

— Et puis elle m’a annoncé ce qui t’était arrivé. Quand je suis arrivée à l'hôpital et qu'on a dû attendre avant de te voir… j'ai cru que j'allais devenir folle. Sans parler du moment où je t'ai vu inconsciente sur ce lit… c'était affreux.

Sa voix se brisa et les larmes durement retenues jusque-là jaillirent enfin. Emmanuelle passa son bras autour de son cou et l’embrassa doucement sur la joue avant de lui murmurer à l’oreille :

— Chut, répondit-elle tout en lui caressant tendrement le dos et la serrant encore plus contre elle. Je suis là Jordan, tout va bien.

La jeune photographe avait eu mal au cœur de la voir dans cet état. La douleur avait été trop difficile à supporter, alors elle avait tourné les talons, et elle était partie, d’abord de l’hôpital, puis du pays. C’est alors que la culpabilité s’était abattue sur elle comme un poids mort, lui oppressant la poitrine. Elle s’en voulait. Elle s’en voulait de lui avoir fait subir cela, elle qui avait déjà tant souffert, trop souffert.

— Je suis désolée d’être partie Manue, je suis tellement désolée, poursuivit-elle la voix brisée. Il fallait que je parte, mes merveilleux souvenirs étaient devenus des cauchemars. Je ne pouvais plus poser mon regard sur un endroit où nous avions été ensemble, ça me mettait le cœur à vif. J’aurais pas supporté de te perdre aussi. Je, je pouvais pas…    

— Chut, ne t’excuse pas.    

— Si, je t’ai laissé tomber Manue, et je suis, vraiment, sincèrement désolée. Si tu savais comme je m’en veux, depuis le moment où je suis montée dans l’avion, je l’ai regretté. Et —

Emmanuelle la coupa gentiment en posant deux doigts sur ses lèvres.

— Jordan, ne te fais pas ça, s’il te plaît. Je t’en ai voulu, je ne vais pas mentir, je n’ai pas compris, et j’ai eu mal. Mais j’ai compris pourquoi tu as réagi comme ça aujourd’hui, et c’est le plus important.

Elle fit une pause, prit quelques secondes afin de choisir ses mots, puis poursuivit :

— La perte d’un être cher, c’est une blessure. On la soigne comme on peut, on supporte la douleur et on attend qu’elle guérisse. Avec l’aide du temps qui passe, on est capable d’avancer vers autre chose. Mais le chemin est long et semé d'embûches. On oublie jamais cette souffrance, elle est là au fond de soi, la douleur est un peu moins dure mais on en porte toujours la marque. À tel point qu’au final, on réalise qu’elle est inguérissable, sourit-elle tristement. Mais on apprend à vivre avec, et la douleur s’atténue avec le temps.          

Elle s’arrêta quelques secondes puis plongea son regard dans celui de Jordan :    

— Je sais que cela a été vraiment difficile pour toi, et qu’à l’époque, ça te paraissait inconcevable. Tu avais besoin de temps, et je l’avais compris. Ce que je n’avais pas compris, c’est ce que tu as dû ressentir en me voyant sur ce lit d’hôpital, alors que tu avais déjà du mal à gérer ce que tu étais en train de vivre. Alors je suis désolée, Jordan, j’aurais dû comprendre, j’aurais dû te rejoindre, j’aurais dû —

Elle fut à son tour interrompue par la main de Jordan sur sa bouche, les émotions se bousculaient en elle et la jeune femme blonde ne pouvait retenir ses larmes. Elle voulait lui dire combien ses mots l’avaient touchée, combien ils lui avaient fait du bien. Elle voulait la remercier tout simplement, mais le flot de larmes ne l’y autorisa pas. 

Emmanuelle l’enlaça tendrement, laissant glisser une de ses mains dans la chevelure de son amie, une caresse tendre qui fit frémir la jeune femme et Jordan lui murmura finalement :

— Merci…

La jeune policière déposa un doux baiser sur son front puis lui murmura des paroles réconfortantes à l’oreille, contente de sentir Jordan se détendre peu à peu. Elle la garda serrée dans les bras jusqu'à ce que les larmes cessent de ruisseler le long de ses joues.

Au bout de quelques minutes, elle décida qu’il était temps de détendre l’atmosphère et, sans réfléchir, elle prononça la première chose qui lui passa par la tête :      

— Myrtille.

Bon sang, je suis nulle !

Jordan releva la tête, les sourcils froncés d’incompréhension.

— Pardon ?

— Tu aimes les myrtilles ? demanda la jeune policière, incertaine.

— Euh, oui. Mais je ne comprends pas…

— Des barres de céréales, j’en ai une aux myrtilles et une au chocolat, tu en veux ?

— Ah, euh, oui, je veux bien, répondit Jordan, toujours aussi perdue.

Elle doit me prendre pour une folle, se dit Emmanuelle tandis qu’elle sortait les deux barres de sa poche arrière.

— Alors, chocolat ou myrtille ?     

— Hum, on partage ? sourit doucement Jordan. Je sais que tu raffoles du chocolat et rien que l’odeur me met l’eau à la bouche.   

— D’accord, rit la jeune policière alors qu'elle coupait chaque barre de céréales en deux.

Un silence confortable s'installa entre elles alors que chacune dégustait tranquillement son encas, savourant par la même occasion la présence de l'autre.          

— Tu l’as fait exprès, hein ? demanda finalement Jordan au bout de quelques minutes.

Emmanuelle sourit. 

— Je plaide coupable, répondit-elle.        

— Ça fait partie de la formation pour entrer dans la police ? la taquina Jordan. Tu es un sacré personnage, tu sais. Je crois que je ne me ferais jamais à l’idée que tu es policière.

— Parce que je ne mesure pas 1m80, je n’ai pas la barbe de trois jours, le regard soupçonneux, la cigarette au coin de la bouche, le bureau en fouillis, le reste de pizza refroidie, la lampe pour les interrogatoires —

Elle fut interrompue par une main sur ses lèvres.         

— J’ai compris l’idée Manue, rit Jordan. Et tu possèdes le bureau en fouillis, ajouta-t-elle en lui mettant une petite tape amicale sur le nez.

— J’avoue, mais ça s’arrête là, je ne passe pas non plus mes journées à sauter du haut des hélicoptères et à tirer sur des dizaines de bandits ! ajouta Emmanuelle en faisant mine de dégainer un pistolet.

— Hum, dommage, ça avait un côté sexy, répondit Jordan le regard plein de malice. Mais plus sérieusement, sans partir dans les clichés, je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un d’aussi… joyeux, chaleureux, sensible. Et complètement irrécupérable, ne put-elle s'empêcher de taquiner.

— Vilaine, répondit la jeune policière en lui tirant la langue, secrètement contente de la façon dont Jordan la percevait. 

Jordan se contenta de pouffer de rire tandis qu’elle reprenait place au creux de ses bras, sa tête sur son épaule. Elles laissèrent les minutes s’écouler, chacune profitant simplement de la chaleur de l’autre, avant qu'Emmanuelle ne murmure finalement, ses doigts tripotant nerveusement la robe de la jeune femme :         

— Je suis désolée Jordan.  

Surprise, Jordan se recula et posa un regard interrogateur sur la jeune policière qui baissa la tête, les yeux fuyants.

— De quoi tu parles Manue ? demanda-t-elle, soudainement inquiète.

— Je n’ai jamais voulu t’infliger ça, me retrouver à l’hôpital, tu ne méritais pas — 

— Tu l’as fait exprès ? l’interrompit aussitôt Jordan.    

La jeune policière redressa la tête et la regarda, les sourcils froncé d’incompréhension

— Quoi ?       

— Savais-tu qu’il était caché derrière la porte ? L’as-tu laissé délibérément te tirer dessus ?

— Jordan…   

— Non. Tu n’as pas à être désolée ou te sentir coupable, tu n’y es pour rien. Ce type est coupable. Lui seul. Et je le hais pour ce qu’il t’a fait.      

Emmanuelle la regarda un instant, interdite, puis ne put empêcher un sourire de naitre sur ses lèvres. Jordan fronça les sourcils, surprise de sa réaction.       

— Qu’est-ce que j’ai dit ?    

— Tu sais que tu ferais un très bon élément dans la police ? Tu sais être… terrifiante, lui sourit-elle.

— Je suis ravie de voir que ta tête va bien en tout cas, tu dis toujours autant de bêtises, la taquina Jordan avant de reprendre sa position au creux de ses bras.  

La jeune policière lâcha un rire avant d’embrasser ses cheveux.       

— Jordan ?   

— Mais tu es devenue une vraie pipelette ma parole, la taquina aussitôt la jeune femme.

— Qu’est-ce que j’y peux ? J’ai eu un très bon professeur, sourit Emmanuelle alors que Jordan lui donnait une petite tape sur l’estomac. Je me demandais juste… qu’est-ce qui t’as poussé à revenir ?

Jordan se redressa à nouveau.     

— Je dois vraiment répondre à cette question ? demanda-t-elle un posant le bout de son doigt sur le nez de la jeune policière.    

Emmanuelle sourit. 

— Je veux dire, quel a été le déclencheur ? Tu ne t’es pas réveillée un matin en te disant « allez, je rentre ! » ?    

— Non, tu as raison, admit doucement Jordan. Ce n’était pas le matin, c’était au beau milieu de la nuit.

La jeune policière haussa les sourcils. Hein ?

 

Une semaine plus tôt.

De nouveau, elle se retourna dans son lit. Elle avait du mal à dormir, ses pensées étaient agitées, et les anxiolytiques n'y changeaient rien. Elle recommençait à avoir mal, non pas que la douleur avait cessé un jour, elle était toujours là, quelque part. La seule différence était qu’elle se manifestait plus fortement à certains moments. Les évènements qui remontaient maintenant à deux ans auparavant lui avaient laissé une cicatrice dont elle ne se déferait jamais. Elle savait que malgré tous les efforts qu’elle pourrait faire, certaines douleurs ne disparaitraient jamais de son âme. La perte de son frère y était pour quelque chose, l’absence d’une jeune femme aux cheveux bruns et aux yeux verts aussi.

Elle soupira et décida de se lever. Ça ne servait à rien d'essayer de se rendormir, sa tête était trop occupée à penser pour se soucier de son sommeil. Vêtue d’un débardeur et d’un vieux short, elle prit presque mécaniquement le chemin de la cuisine où elle se prépara un thé avant de s’assoir près de la fenêtre, soupirant longuement alors que ses yeux se perdaient à l'horizon, inconscientes des gouttes d’eau qui ruisselaient contre la vitre.       

— Hé, tu ne dors pas ? demanda la douce voix derrière elle.  

— Non, je n'arrivais pas à trouver le sommeil.  

La jeune femme la dévisagea un instant puis demanda :          

— C'est elle qui te rend si triste, c'est ça ?          

Jordan hocha la tête sans même la regarder et elle l'entendit aussitôt pousser un profond soupir. Le silence les enveloppa quelques minutes, avant que la jeune femme ne reprenne sombrement :

— Jordan, il faut vraiment que tu ailles de l’avant...

Les yeux de la jeune photographe plongèrent instantanément dans ceux de sa sœur, identiques aux siens. Elle était plus jeune qu’elle de deux ans et pourtant on les prenait souvent pour des jumelles. Silencieusement, elle l’incita à éclaircir le fond de sa pensée.

— Tout ce que ça va faire, c'est te faire mal... Elle marqua une légère pause, avant de terminer d'un ton grave : Je n'ai pas envie que tu te détruises Jordan.      

Jordan baissa tristement les yeux au sol. Elle savait que sa sœur avait raison. Elle commençait à aller mieux et elle avait soudainement l’impression de refaire machine arrière. Comme si on lui rappelait incessamment que les évènements qui remontaient à deux ans déjà lui avaient laissé une cicatrice dont elle ne se déferait jamais.   

— Pourquoi a-t-il fallu que l’on nous l’enlève ? lâcha-t-elle dans un profond soupir, en fermant les yeux pour tenter de refouler les larmes au plus profond d’elle.      

Aussitôt sa sœur s’approcha et la prit dans ses bras, lui offrant une étreinte fraternelle, puissante et réconfortante à la fois.

— Je n'en sais rien, Jordan. Mais fuir n'arrangera pas les choses..., lui murmura-t-elle doucement à l'oreille.

Jordan tourna la tête dans sa direction, un air interrogateur sur le visage.  

— Me fais pas cette tête-là Jordan, lui dit doucement sa sœur. Tu es peut-être revenue au Canada, mais ton cœur lui, est resté là-bas. Avec elle.   

Jordan secoua la tête.         

— Je suis si transparente, hein ?   

La jeune femme haussa les épaules.        

— Tu es ma sœur, je te connais, dit-elle dans un léger sourire. Rentre en France Jo. Retrouve-la.

Jordan haussa les sourcils, lui demandant si elle pensait franchement que c’était un argument convaincant.

— Depuis combien de temps tu ne t’es pas mêlée à un groupe de personnes qui ne soient ni moi, ni les parents, ni Kathy ?  

Trop longtemps, admit-elle silencieusement.       

— Tu ne vis pas, tu survis. Tu ne peux pas rester comme ça, pour toi, pour nous, rentre en France. Retrouve-moi ton joli sourire.       

— C’est pas aussi simple Hannah…          

La jeune femme encadra son visage de ses mains et caressa doucement ses joues.

— Je n’ai jamais dit que ça le serait, mais qui ne tente rien n’a rien, non ? Et puis..., elle prit doucement le pendentif qui pendait au cou de Jordan entre ses doigts, ...n'oublie jamais, la douleur persiste pour qui n'a plus d'espoir. Il donne bien souvent la force et le courage de faire des choses dont on se croirait bien souvent incapable.      

Les yeux de Jordan s'emplirent de larmes.         

— Je t'aime, souffla-t-elle simplement en l'embrassant sur la joue.    

Hannah resserra son étreinte autour d'elle.       

— Je t'aime aussi.

 

Aujourd’hui.

— Le lendemain matin elle me réservait un billet d’avion et contactait Kathy pour lui dire qu’elle allait avoir de la compagnie pour quelque temps, rit Jordan en secouant la tête.  

— Tu me rappelleras de la remercier dès que l’on sera sortie d’ici, alors, murmura la jeune policière en caressant légèrement le pendentif du bout des doigts, secrètement soulagée qu'il ne vienne en réalité que de la sœur de Jordan.  

— J’en conclu que tu me pardonnes alors ? osa timidement la jeune photographe, incertaine.

La jeune policière posa un doigt sous son menton et la força doucement à croiser son regard. Caressant doucement sa joue, elle répondit d’une voix douce :    

— Je pensais que c’était clair, non ?         

Un sourire timide se dessina sur les lèvres de Jordan. 

— C’est toujours agréable de se l’entendre dire, murmura-t-elle.

Emmanuelle lui sourit puis l’embrassa à la commissure des lèvres avant de se redresser légèrement afin de plonger son regard dans le sien :

- Je te pardonne, murmura-t-elle sincèrement. Et toi, me pardonnes-tu ?     

Elle obtint un léger hochement de tête pour toute réponse puis, après avoir interrogé Jordan du regard, elle captura enfin ses lèvres pour un baiser d’une douceur infinie. Enfouissant ses mains dans ses cheveux, une violente vague de désir traversa son corps tout entier et elle se colla un peu plus contre elle, entrouvrant rapidement les lèvres afin d'inviter sa langue à venir rencontrer la sienne tandis que la jeune photographe encadrait son visage de ses mains. Emmanuelle sentit qu’elle n’était pas non plus indifférente à la situation, pourtant, au bout d’un long moment, elle sentit Jordan rompre le baiser et la repousser doucement. Un grognement de frustration échappa de ses lèvres, arrachant un sourire à la jeune photographe.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, dit-elle, légèrement essoufflée.         

— Jordan, je —

Jordan posa un doigt sur ses lèvres en souriant légèrement.

— Ne crois pas que ton corps de rêve ne m’attire pas… mais je n’ai pas envie que notre première fois se déroule ainsi, poursuivit-elle en désignant l’ascenseur du regard.

— Oh, donc si je comprends bien, tu me chauffes puis tu me repousses ? demanda Emmanuelle, feignant un air outré. 

— Redresse-toi au lieu de dire des bêtises…, répondit Jordan en l’embrassant doucement sur les lèvres. Je veux sortir d’ici le plus vite possible.   

Emmanuelle fronça les sourcils, confuse.

— Mais, comment ? 

— J’ai entendu des voix.     

Elle n’eut pas le temps de poursuivre que des coups se firent entendre à travers la porte.

— Aidez-nous ! crièrent-elles instantanément. On est coincées !        

— Calmez-vous, on va vous sortir de là, répondit une voix masculine de l'autre côté de la paroi.

— Attendez, comment avez-vous su que l’on était coincée ici ? demanda soudainement Emmanuelle.

— Le système de sécurité envoie automatiquement un message au centre de maintenance lorsqu’un ascenseur tombe en panne. La caméra nous a informés que vous étiez coincées à l’intérieur.

— Oh, la caméra… Dieu merci on a rien fait de compromettant, murmura Jordan, le regard malicieux.

Pour toute réponse, Emmanuelle éclata de rire.

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