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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

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  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

4 février 2015

Chapitre 11

June coupa le moteur après avoir passé la majorité de la journée à voyager sur une espèce de quad militaire. Autour d’elles, la végétation se faisait dense et Neva l’aida à camoufler le véhicule avant de la suivre jusqu’à une clairière quasi déserte, excepté le bâtiment à deux étages qui trônait en son milieu. Fait de briques rouges, il ressemblait grandement aux demeures historiques qui avaient hébergé les fonctionnaires britanniques jusqu'à la révolution à Boston. Grâce à un escalier de secours métallique situé sur la façade extérieure ouest, June mena Neva jusque sur le toit et lui indiqua où déposer leurs affaires avant de l’éloigner du bord.

– Je pensais qu’on pouvait se dégourdir les muscles avant d’installer le campement, qu’est-ce t’en dis ? demanda-t-elle, ajustant la casquette qui la protégeait du soleil.

Neva posa les mains dans son dos et s'étira doucement tout en hochant la tête. Elle mourrait d’envie de décompresser ses vertèbres.

– Qu’est-ce que tu proposes ?

June leva aussitôt les poings devant son visage, un sourire provocateur sur les lèvres.

– Frappe-moi, encouragea-t-elle en sautant sur place.

Neva l’observa, interdite.

– C’est ça ton idée d’un bon moment en tête-à-tête ? Que je te tape dessus ?

June roula des yeux.

– Non, ça, ça viendra après, rétorqua-t-elle d’un air taquin. Pour l’instant, je veux voir ce que Soann t’a appris.

– Oh. Hmm... ben tu vas devoir me taper dessus alors, grimaça Neva en s’essuyant les mains sur son short en jean.

June laissa retomber ses bras, confuse.

– Hein ?

– Soann ne m’apprend pas à me battre, June, soupira Neva en se passant une main sur le visage. Mais à me défendre.

– Pour quoi faire ? rétorqua aussitôt June, interloquée.

Neva l’observa comme si elle avait perdu la tête.

– Ben si on m’attaque, pardi !

– Je sais ça, ironisa June en roulant des yeux à nouveau. Mais si on t’attaque, tu ne peux pas t’en tirer juste en te défendant, c’est ridicule. 

Neva croisa les bras sur sa poitrine.

– Oui ben c’est comme ça. J’ai pas envie d’apprendre à me battre.

June se retrouva de nouveau à l’observer avec stupéfaction, avant de céder à un rire incrédule. Elle se frotta les yeux d'une main.

– O.K. là Neva, faut que tu m’expliques parce que j’ai l’impression d’avoir mis les pieds dans la quatrième dimension.

Neva lui répondit par une grimace, avant de se mordre la lèvre avec hésitation. Elle lâcha finalement :

– J’ai pas accepté de me joindre à votre cause dans le but de blesser ou... de tuer quelqu’un. Je vous aiderai, mais pas comme ça, marmonna-t-elle d’un ton renfrogné.

June se passa la main sur le menton d'un air songeur.

– Ah. Donc si quelqu’un t’attaque à distance...

– Je me défends avec mes pouvoirs.

– Et s’il t’attaque de près..., interrogea June en s’approchant dangereusement.

Neva déglutit péniblement.

– J’utiliserai les gestes que Soann m’a appris.

June l’observa un moment avant de sourire.

– O.K., montre-moi. Si je te prends pas derrière – sans mauvais jeu de mots bien sûr – qu’est-ce que tu fais ?

Neva attendit qu’elle se positionne avant de commencer. Elle se saisit du bras que June avait passé autour de son cou tout en lui assenant un coup de coude dans l’abdomen de son bras libre, suivi par un coup sur le pied, un coup de tête au niveau du bas du visage et enfin un coup bien placé dans l’entrejambe.

Elle n’y était pas allée fort mais June émit tout de même un léger « humpf ! » en la relâchant.

– Soann m’avait dit que le coup dans l’entrejambe, c’était pour les mecs mais visiblement, ça marche aussi bien avec les filles, sourit Neva, visiblement fière d’elle.

June lui jeta un regard noir tout en se massant le nez et les côtes.

– Ouais ben... on va s’arrêter là pour aujourd’hui, hein, marmonna-t-elle, et Neva retint difficilement un rire lorsqu’elle la vit glisser une main entre ses jambes avant de s’éloigner, les cuisses serrées.

Ce petit tête-à-tête commençait bien, finalement.

💕

La nuit tombée, elles se retrouvèrent allongées sur d’épaisses couvertures à regarder les étoiles, un feu crépitant non loin. Grâce à leurs pouvoirs, elles n’avaient eu aucun mal à se procurer du petit gibier pour le dîner, et se nourrissaient désormais de pêches et de raisins cueillis en route. Une douce brise caressait leurs corps et Neva relâcha un soupir de bien-être avant de lever les yeux vers June.

– Ça va mieux ? demanda-t-elle, taquine, depuis sa place contre son épaule.

June plissa légèrement les yeux avant de prendre un air innocent.

– Maintenant que tu en parles, je ne crois pas que ça ira mieux tant que tu ne m’auras pas donné de bisou magique...

Elle éclata aussitôt de rire lorsque Neva se mit à rougir, avant d’inspirer soudainement quand une main glissa sur son entrejambe.

– Tu disais ? sourit Neva, amusée.

June laissa retomber sa tête contre les couvertures.

– Tu vas finir par me tuer, grogna-t-elle.

Neva ricana tout en l’embrassant sous le menton.

– J’adore cet endroit, c’est tellement paisible..., remarqua-t-elle alors qu’elle se rallongeait confortablement. Tu es souvent venue ici ?

– Quelquefois, répondit June, plaçant une main sous sa tête, les yeux rivés vers les étoiles. Je l’ai découvert par hasard au cours d’une ronde, peu de temps après être arrivée au pénitencier. Je venais m’y réfugier quand j’avais envie d’être seule. 

Neva se tourna sur le côté, prenant appui sur un coude afin de pouvoir observer June.

– Ça n’a pas dû être évident au début, j’imagine. Après ce que l’Elite t’avait fait subir, et Mia que tu as dû laisser derrière...

– Non, en effet, soupira June. Mais Tegan et Tawny étaient là, et puis, on avait une mission à accomplir. Sans compter Skye qui n’avait que douze ans quand on l’a trouvée, et qui avait déjà connu tant d’atrocités... ça me laissait peu de temps pour m’apitoyer sur mon sort. 

Le ton de June montrait combien elle en était reconnaissante et Neva hocha légèrement la tête, avant de froncer les sourcils lorsqu’une pensée lui traversa l’esprit.

– Tu ne m’as jamais dit comment vous aviez fait pour vous échapper de l’emprise de l’Elite.

June afficha un sourire en coin et Neva l’observa aussitôt avec méfiance.

– Quoi ? demanda-t-elle, les yeux plissés.

– Pour un souvenir partagé... j’en veux un de toi en retour, rétorqua June, les yeux brillants.

Neva lâcha un léger rire tout en secouant la tête.

– Si c’est que ça, marché conclu, répondit-elle avant de se rallonger, la voix de June la berçant aussitôt.

 

La seconde fois que Tegan lui rendit visite, June était allongée sur son lit, occupée à regarder le plafond d’un air absent. Pour la jeune femme, la vision qui s’offrait à elle avait quelque chose de déchirant. A quinze ans, le corps de June se trouvait à mi-chemin entre rondeurs d’enfance et courbes féminines. Sa silhouette était fine et élancée, une minceur typique des filles de son âge, ce qui accentuait encore plus la protubérance de son ventre qui émergeait comme une île, tirant désespérément sur le t-shirt en papier qu'elle portait.

Elle devrait être en train de connaître son premier baiser, pas être enceinte jusqu’aux yeux, pensa Tegan dans un soupir avant d’entrer d’un pas lent dans la pièce.

– Hé, salua-t-elle doucement. Comment tu te sens ?

June haussa les épaules, le regard toujours rivé sur le plafond.

– Comme une montgolfière, répondit-elle avant de baisser les yeux vers Tegan. J’imagine que je dois te remercier, c’est à toi que je dois ça après tout, non ? ironisa-t-elle.

– Tu aurais pu choisir la mort, rétorqua Tegan en s’asseyant à ses côtés et en prenant appui sur un bras. Je veux dire, si cette situation te rend si malheureuse, pourquoi est-ce que tu ne les provoque pas jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Ou, je ne sais pas moi, pourquoi ne pas faire une grève de la faim ?

June lui lança un regard mauvais avant de tourner la tête dans la direction opposée.

– J’ai jamais dit que je voulais mourir.

– Eh bien tant mieux, parce qu’ils t’en auraient aussitôt empêchée, répondit Tegan avant de l’observer avec compassion. Tu es l’un de leurs meilleurs atouts, June. Une adolescente capable de produire du feu rien qu’en claquant des doigts, tu crois vraiment qu’ils allaient te laisser tranquille ? Je sais que la situation dans laquelle tu te trouves aujourd’hui ne te réjouit pas, mais ils seraient parvenus à leurs fins quoi qu’il arrive.

Elle fit une pause avant d’ajouter :

– Je tenais simplement à ce que ça se passe au mieux pour toi, que tu en souffres le moins possible.

– Le bébé, qu’est-ce qu’ils vont en faire ? demanda June en l’observant à nouveau.

Surprise par la question inattendue, Tegan hésita avant de répondre :

– June, tu ne devrais pas t’y attacher... il y a de grandes chances pour que tu ne le revoies jamais une fois l’accouchement...

– Y a aucune chance, ironisa June en secouant la tête. Ils ont forcé leur chose à l’intérieur de moi, crois-moi, tout ce que j’attends, c’est qu’ils m’en débarrassent.

Elle se passa une main dans les cheveux avant d’ajouter :

– Je veux juste savoir ce qu’ils comptent faire avec tous ces bébés. Je sais que je ne suis pas la seule, j’en ai vu plusieurs dans la même situation que moi. Pourquoi est-ce qu’ils nous forcent toutes à concevoir ?

– J’en sais rien, soupira Tegan, ses doigts jouant négligemment avec le drap. Tout ce que je sais, c’est que les pères sont éliminés aussitôt après avoir été choisis, et que les mères suivent généralement le même chemin après avoir donné naissance au nombre d’enfants désirés.

June l’observa, interdite, avant de baisser les yeux vers son ventre.

– Parce que je vais devoir en porter un autre ?!

Tegan se passa une main sur la nuque tout en grimaçant.

– June, je te l’ai dit, tu es l’un de leurs meilleurs atouts –

Elle s’interrompit quand l’adolescente la poussa afin de descendre du lit.

– Hé, qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle lorsqu’elle la vit enfiler ses chaussons avec difficulté puis se diriger vers la grille.

– Ils ont déjà violé mon intimité une fois, hors de question que je les laisse faire une seconde fois, répliqua l’adolescente en replaçant correctement ses vêtements dans des gestes brusques.

Tegan croisa les bras sur sa poitrine, un sourcil haussé.

– Et tu comptes faire ça comment, au juste ?

June hésita une fois arrivée à hauteur de la grille.

– En sautant sur ton dos et en priant pour que tu coures assez vite pour nous emmener loin d’ici ? proposa-t-elle, pleine d’espoir.

Tegan roula des yeux.

– Avec un ventre pareil ? Bon courage, répondit-elle, pince-sans-rire, un sourire étirant néanmoins ses lèvres malgré elle. Approche.

Elle attendit que June soit juste devant elle avant de glisser un doigt sous son menton et la forcer gentiment à croiser son regard.

– Tu me fais confiance ?

June hésita avant de hocher la tête.

– Bien, alors voilà comment ça va se passer. Tu vas mener ta grossesse à terme, en obéissant gentiment à tout ce qu’on aura beau te dire, précisa-t-elle en lui offrant un regard appuyé. Et de mon côté, je me charge de trouver un moyen de nous sortir d’ici. O.K. ?

– Tu crois que c’est possible ? répondit June, visiblement sceptique.

Tegan haussa les épaules.

– Qui ne tente rien n’a rien, non ? dit-elle en soulevant le drap du lit. Allez, viens-là, tu me fais peiner à rester debout comme ça, grimaça-t-elle en l’observant.

June était si mince qu’elle avait l’impression qu’elle allait se briser à tout moment sous le poids de son énorme ventre.

L’adolescente obtempéra et Tegan remonta le drap jusqu’à sa poitrine avant de repousser les cheveux collés sur son front légèrement moite.

– Tegan ? appela June en levant les yeux vers elle.

– Hmm ?

– Pourquoi est-ce que tu... enfin, ça fait deux fois que je te vois et...

Elle vit Tegan commencer à sourire face à ses balbutiements et elle lâcha simplement, le visage cramoisi :

– Je me demandais juste pourquoi t’étais pas enceinte.

– Ah. Mon utérus a été qualifié de « terrain hostile », ironisa Tegan. Ou alors, il ne doit pas être confortable du tout, parce que bébé refuse d’y rester plus de deux mois, soupira-t-elle en se redressant. Tu devrais te reposer maintenant, je repasserai te voir dès que possible.

June la retint par la main avant qu’elle n’ait eu le temps de bouger.

– Mais ils ont encore besoin de toi, pas vrai ? demanda-t-elle prestement, la peur visible dans son regard. Je veux dire, tu ne vas pas disparaître soudainement ou...

– Je croyais t’avoir dit que je me chargeais de nous sortir d’ici ? rétorqua Tegan, un sourcil haussé, avant de laisser son visage s’adoucir. Je te l’ai dit, ils n’abandonnent jamais avant d’avoir obtenu ce qu’ils veulent. Je serais encore quand là quand ta grossesse arrivera à terme.

June acquiesça avant de reposer sa tête contre le matelas.

– Merci, murmura-t-elle simplement du bout des lèvres.

Tegan afficha aussitôt un sourire.

– De rien. Tâche de te reposer, je te revois bientôt.

💕

Tegan était assise sur le lit de June quand l’adolescente regagna sa cellule une semaine plus tard.

– Hé, salua-t-elle en entrant dans la pièce.

Elle fut aussitôt surprise de voir Tegan bondir sur ses pieds afin de la prendre dans ses bras.

– L’infirmière m’a dit que tu sortais aujourd’hui, comment tu te sens ? demanda-t-elle en se reculant et en l’observant de la tête aux pieds.

– Légère. Et boudinée.

Tegan retint difficilement un rire tout en l’attirant vers le lit. Elle attendit que June soit assise avant de répondre :

– T’avais pas beaucoup pris, ça partira vite, rassura-t-elle avant de sourire. Prête à entendre la bonne nouvelle ?

June leva aussitôt la tête vers elle, pleine d’espoir.

– On va pouvoir sortir d’ici ?

– Si tout se passe bien, dans trois jours au plus tard, acquiesça Tegan. Maintenant que tu ne peux plus tomber enceinte, ils risquent de vouloir se débarrasser de toi. Et puis... un nouvel arrivage a débarqué il y a deux jours.

Elle se passa une main sur la nuque tout en soupirant :

– Mon frère était parmi eux. A l’heure qu’il est, il doit certainement être en train de subir toute une série de tests pour savoir quelles sont ses capacités. Après ça, il ne leur faudra pas beaucoup de temps pour lui trouver toute une série de partenaires.

Elle se mordit la lèvre inférieure avant de baisser les yeux vers June.

 – C’est pour ça qu’on doit agir vite. A nous deux, on aurait pu attendre encore un peu, mais Tawny...

– Je comprends, interrompit June en prenant sa main dans la sienne. Trois jours, c’est parfait. Mais je vais pas pouvoir aller très vite, hésita-t-elle en portant une main sur son ventre, la cicatrice étant encore douloureuse.

– T’inquiète pas pour ça, Tawny et moi te porterons s’il le faut, répondit Tegan avant de s’agenouiller devant elle. Tawny possède une force surhumaine, une fois la partie composée de zéolithe passée, je doute qu’ils parviennent à nous arrêter. Mais si jamais ils s’avéraient être trop nombreux...

June entoura ses jambes de ses bras avant d’observer Tegan d’un regard neutre.

– Il faut que je m’attende à devoir tirer sur tout ce qui bouge, c’est ça ?

Tegan se mordit l’intérieur de la joue avant de hocher la tête.

– C’est ça, admit-elle avec regret. June, s’il y avait un autre moyen...

– Je sais, soupira l’adolescente. C’est soit ça, soit rester ici de toute façon, non ? Mon choix est fait depuis longtemps, je serais prête.

Tegan exerça une légère pression sur sa main tout en l’embrassant sur le front.

– Repose-toi. Je repasserai te voir un peu plus tard.

June l’observa s’éloigner avant de soudainement demander :

– C’est pour ça que tu m’as choisi ? Mon don, c’est ça qui t’a poussé à me choisir pour sortir d’ici ?

Tegan observa ses doigts qui jouaient avec la serrure d’un air absent avant de répondre :

– En partie, admit-elle avant de lever un regard embué vers June. Tu me rappelles ma petite sœur. Elle a... avait le même âge que toi. Une adolescente de quinze ans n’a rien à faire dans un lieu comme celui-ci, ajouta-t-elle enfin avant de la saluer de la tête puis de s’éloigner.

💕

Les néons lumineux qui s’allumèrent subitement suivis de bruits de pas saccadés dans le couloir tirèrent June du sommeil. Elle cligna des yeux, un instant étourdie, avant de se figer sur son lit, apeurée, quand les pas s’approchèrent. Venaient-ils à nouveau la chercher ? Elle ne pouvait plus tomber enceinte désormais, Tegan lui avait dit qu’ils finiraient par se débarrasser d’elle.

Une main se posa sur la grille et elle étouffa un cri, le souffle court, avant de se plaquer contre le mur lorsque le soldat l’ouvrit. Elle put en voir un second qui attendait derrière lui, au milieu du couloir et elle se sentit trembler quand le premier entra dans la cellule et s’approcha d’elle.

Elle leva automatiquement les bras lorsque ce dernier leva les mains vers elle.

– Shhh June, c’est moi, Tegan, souffla la voix, rassurante. Tawny est avec moi, tu me promets de rester silencieuse ?

June se figea avant de soupirer puis de hocher la tête. La lumière qui brillait derrière elle, dans le couloir, plongeait son visage dans l’obscurité mais June avait aussitôt reconnu sa voix. Quand Tegan prit place à ses côtés, elle réalisa que ses longs cheveux avaient été réunis en un chignon serré contre sa nuque et qu’elle avait revêtu la tenue militaire standard du képi aux bottes cirées.

– On a pas beaucoup de temps, commença Tegan en faisant basculer le sac qu’elle portait sur l’épaule.

Elle en sortit une tenue similaire à celle qu’elle portait et June l’enfila aussitôt sans un mot. Tegan l’aida ensuite à attacher ses chaussures puis lui réunit ses cheveux en un chignon avant de l’entraîner à l’extérieur.

Les couloirs défilèrent les uns après les autres et à chaque grille, Tawny, dont la carrure s’avérait impressionnante, sortait une carte qu’il présentait devant le boîtier d’identification, faisant aussitôt passer le voyant du rouge au vert.

June s’inquiéta de ne voir personne.

– C’est normal, la rassura Tegan dans un murmure. On a encore quelques minutes avant que le prochain garde n’entame sa ronde.

June hocha la tête et continua d’avancer en silence. Le trajet lui paraissait si long qu’elle se demandait s’ils allaient finir par en voir la fin un jour. Une nouvelle grille leur apparut et Tawny leva une main, leur faisant signe de s’arrêter. Il tendit l’oreille et June fronça les sourcils avant d’entendre le faible sifflement qui venait du couloir s’étendant sur leur droite. Tawny leur fit signe de se plaquer contre le mur avant d’imiter leur position et d’attendre. Les pas se firent plus présents, mais June eut à peine le temps de voir le soldat apparaître devant eux que Tawny l’avait assommé d’un violent coup de coude au niveau de la nuque.

Tawny récupéra le talkie-walkie qu’il portait à sa ceinture et ils poursuivirent leur progression vers la sortie. De nouvelles grilles se dressèrent devant eux, et à chaque fois, la même carte permettait de les ouvrir. Ils continuèrent ainsi jusqu’à ce que le talkie se mette à grésiller.

– Chad, qu’est-ce que tu fous dans le quartier sud ? T’as cinq minutes de retard sur ta ronde.

Tawny hésita avant de répondre.

– Ouais... euh... j’ai eu besoin urgent, si tu vois ce que je veux dire.

Tegan hocha les sourcils, genre « vraiment ? » et il haussa les épaules. June sentit l’angoisse monter en elle face au silence qui régnait puis un rire résonna soudainement dans le talkie-walkie.

– J’avais bien dit que le chili con carné c’était pas une bonne idée. T’es le troisième à morfler ce soir. Bon, t’as cinq minutes, file.

– Entendu, bye.

Tawny haussa un sourcil en direction de sa sœur et cette dernière se contenta de lever les yeux au ciel avant de partir devant. Les couloirs étaient désormais plus spacieux et, bien que désert, les bureaux qui les longeaient grouillaient de soldats chargés de la surveillance de nuit. Certains étant munis de fenêtres donnant sur le couloir, la traversée dut se faire à quatre pattes, avec des temps d’attente interminables quand ils devaient passer devant une porte restée ouverte. June s’apprêtait à lâcher un soupir de soulagement une fois arrivée au bout lorsque quelqu’un apparut soudainement de l’autre côté de la grille.

Tegan plaqua une main sur ses lèvres juste avant qu’elle n’ait eu le temps de lâcher un cri, et Tawny ouvrit la grille en vitesse, les pressant de l’autre côté avant de suivre la personne tout de blanc vêtue vers un renfoncement.

Quand elle se retourna, June réalisa qu’il s’agissait de l’une des sages-femmes qui s’était occupée de sa césarienne, et qu’elle portait un bébé entre ses bras.

– Vous feriez bien de vous dépêcher, dit-elle en remettant le bébé entre les bras de Tegan et en attachant le foulard dans lequel il se trouvait autour de sa nuque et de sa taille. Le garage se trouve juste après ces grilles, désigna-t-elle. Voici les clés du premier 4x4. La voix devrait être libre.

Tegan et Tawny hochèrent la tête d’un air entendu et Tegan prit furtivement les mains de la sage-femme entre ses mains.

– Merci, répondit-elle sincèrement.

La sage-femme hocha la tête et ils parcoururent les derniers mètres les séparant de la sortie d’un pas rapide. Les grilles précédant l’entrée ne possédaient pas de boîtiers électroniques mais semblaient au contraire s’ouvrir par mécanisme informatique ; Tawny arracha les fils électriques qui les reliaient au plafond et les ouvrit à mains nues. Enfin, ils atteignirent l’entrée principale, elle aussi ouverte par mécanisme informatique, et Tawny tira légèrement de manière à pouvoir jeter un œil dehors.

Le garage était plongé dans l’obscurité et il attendit que sa vue ait eu le temps de s’habituer avant de filer droit vers le premier véhicule. Quelques secondes plus tard, June et Tegan le rejoignirent et il les aida à monter à l’arrière avant de prendre place derrière le volant.

Il prit une profonde inspiration avant de les regarder à travers le rétroviseur.

– Ça va ? chuchota-t-il.

Elles hochèrent la tête et il tourna la clé dans le contact, allumant les phares. La porte de sortie lui apparut quelques mètres plus loin et il appuya légèrement sur l’accélérateur.

– Vous feriez mieux d’attacher votre ceinture, ça va secouer.

Il attendit qu’elles aient obtempéré avant d’accélérer plein gaz.

 

Neva fronça les sourcils de confusion tandis qu’elle regardait sans la voir la cime des arbres qui dansait légèrement sous le vent.

– Je ne comprends pas, remarqua-t-elle une fois que June eut terminé. La zéolithe vous prive de vos pouvoirs, pourtant, à t’écouter, ça n’a pas l’air d’avoir affecté Tawny.

– Il n’a pas eu le corps qu’il a juste parce qu’il possède une force surhumaine, rit légèrement June. Il faisait partie de l’armée quand il a été capturé, sans compter qu’il est du genre à s’entraîner sept jours sur sept, 24h/24... Même sans pouvoirs, faudrait être fou pour se frotter à lui. Mais je m’en plains pas, il nous a sauvé la vie.

– Hmm, acquiesça Neva, ses doigts dessinant des arabesques sur la main que June avait posée sur son ventre. Je vais d’ailleurs devoir l’en remercier, taquina-t-elle.

– Si tu penses à autre chose qu’un « merci Tawny d’avoir sauvé la vie de June », on va avoir un problème, feignit de menacer June tout en la chatouillant, riant de bon cœur avec elle quand Neva se débattit.

Elle attendit qu’elle soit calmée avant de demander :

– A ton tour, je veux que tu me parles de... ça, dit-elle en sortant un bout de papier de la poche de son jean.

Neva fronça les sourcils avant de feindre un air outré lorsqu’elle reconnut de quoi il s’agissait.

– Ah ben bien, on fouille dans mes affaires dès que j’ai le dos tourné à ce que je vois !

June se contenta de sourire fièrement et Neva roula des yeux avant de déplier le morceau de papier avec attention, dévoilant un couple amoureusement enlacé.

– J’imagine que tu as deviné qu’il s’agissait de mes parents, sourit-elle, visiblement nostalgique. Cette photo est le seul souvenir qu’il me reste d’eux. Les combats étaient si violents que je ne suis partie qu’avec quelques affaires, une poignée de vivres et ce cliché.

Après ça, elle avait marché pendant de nombreux jours, dans le froid et la désolation. Des images envahirent son esprit, des enfants figés par la peur, des corps mutilés et cette fumée noire omniprésente qui l’empêchait constamment de voir à plus d’un mètre, mais elle secoua la tête afin de les repousser. Ce soir, elle ne voulait se remémorer que les bons souvenirs.

– Mon père avait cette manie de nous reprendre quand on lui donnait l’heure, se souvint-elle dans un petit rire. Il suffisait de lui dire « trois heures quarante-cinq » pour qu’il demande aussitôt « quatre heures moins le quart ? ». Je suis quasiment sûre qu’il finissait par en jouer.

June l’embrassa sur le front.

– Tu ressembles beaucoup à ta mère, remarqua-t-elle, son regard passant alternativement de Neva au cliché.

Neva hocha la tête.

– Pourtant, ça s’arrête là. Contrairement à moi, elle adorait cuisiner. Elle pouvait te préparer n’importe quoi. Ses parents tenaient un restaurant, et elle les aidait après les cours et le weekend. Elle m’a toujours dit qu’elle avait adoré ça. Puis ils ont fini par organiser des soirées à thème les samedis, et elle a fini par s’occuper de recruter les groupes. C’est comme ça qu’elle a rencontré mon père. Il était musicien dans un groupe de rock qui reprenait de vieux tubes américains et leur performance a fait un tabac phénoménal. Ma mère leur a aussitôt demandé de revenir, et ça a été le début de leur histoire. Après ça, elle l’a suivi en tournée à plusieurs reprises, jusqu’à ce que je pointe le bout de mon nez. Ma mère a alors réalisé son rêve en reprenant le restaurant de ses parents, avec mon père qui finissait toujours par gratter la guitare. 

– Tu n’as pas de frère et sœur ? demanda June.

Neva secoua la tête.

– Je pense que mes parents s’aimaient trop pour céder de la place à quelqu’un d’autre, répondit-elle, avant de se reprendre lorsqu’elle perçut l’air étonné de June. Ils m’aimaient, je savais qu’ils m’aimaient, mais quand ils se regardaient... je savais que le monde disparaissait autour d’eux. 

– Tu as du te sentir seule, remarqua June dans une moue de compassion.

Neva haussa les épaules, ses doigts caressant la photo d’un air absent.

– Parfois, mais si on m’offrait l’opportunité de tout recommencer, je ne changerais ça pour rien au monde : c’est beau deux personnes qui s’aiment comme ça.

June l’embrassa sur la tempe, exprimant son acquiescement dans un « hmmm », et le silence les entoura un instant avant qu’elle ne demande :

– C’est pour ça que tu as élevé Mia seule ?

Neva lâcha aussitôt un rire.

– Si ma vie amoureuse est restée déserte aussi longtemps, c’est simplement parce que personne n’est parvenu à retenir mon attention, dit-elle en glissant la photo dans la poche de son short, avant de se rallonger tout contre June. Enfin, jusqu’à maintenant, ajouta-t-elle avant d’embrasser furtivement June sur les lèvres. Pas parce que j’attendais secrètement l’élu de mon cœur...

June ne put retenir un sourire. Même si elles s’étaient physiquement prouvé leur attachement l’une envers l’autre à maintes reprises, elles n’en avaient cependant pas encore prononcé le moindre mot. Mais le fait de partager des morceaux de leur vie comme ça, coupées du monde, était tout comme pour June. Et la façon dont Neva la regardait ne faisait rien pour calmer les papillons qu’elle sentait virevolter au creux de son ventre. 

– Alors après toutes ces années passées avec Jérôme, Jamie et Jack, tu n’as jamais...

– ...eu envie de plus ? proposa Neva, avant de frissonner. June, ils sont comme des frères pour moi. Et même si j’avais un petit faible pour Jack au début...

– Ahhh...

– ...il n’y a jamais rien eu, et il n’y aura jamais rien.

Elle sentit le souffle chaud de June contre son oreille, suivi de ses dents qui mordillèrent gentiment le lobe, avant qu’elle ne dise, un sourire évident dans la voix :

– J’espère bien, ils auraient à me passer sur le corps pour ça.

Neva lâcha aussitôt un rire qui s’évanouit cependant rapidement.

– Il faudrait déjà qu’ils nous retrouvent pour ça, soupira-t-elle.

June perçut la note de tristesse qui habitait sa voix et elle la serra contre elle.

– Tu les reverras, Neva, dit-elle en l’embrassant sur la tempe. C’est promis. 

Neva se remémora la carte que June lui avait montrée peu après leur arrivée à la prison, le nombre de villes que l’ennemi occupait, et elle laissa sa tête retomber contre l’épaule de June.

Je n’en suis pas si sûre, pensa-t-elle, sa vue se brouillant malgré elle.

💕

Lorsque Neva se réveilla le lendemain matin, June était déjà levée et habillée, un pied en appui contre le rebord du toit tandis qu’elle surveillait les alentours. Une coupole d’eau fraiche ainsi que des morceaux de fruits et de noix délicatement découpés avaient été soigneusement placés au côté de Neva et elle s’étira comme un chat avant d’en piocher quelques-uns.

– Rien à signaler ? demanda-t-elle, la bouche pleine.

June secoua négativement la tête tout en la rejoignant.

– Bon appétit, taquina-t-elle, tendant une main afin d’essuyer le jus qui coulait sur le menton de Neva.

Neva rougit légèrement.

– Tu es levée depuis longtemps ? demanda-t-elle, détournant le regard quand June glissa ensuite son doigt dans sa bouche. Il fait chaud là, non ?

– Une petite heure, répondit June. J’en ai profité pour ranger nos affaires et préparer le quad. La route est encore longue, j’aimerais arriver avant que le soleil ne se mette vraiment à taper.

– Hmm, acquiesça Neva.

Il devait être sept heures, peut-être huit, et elle trouvait déjà la chaleur insupportable. Mais heureusement pour elles, elles avaient des pouvoirs adéquats. 

– Tu ne m’as même pas dit où on allait, remarqua-t-elle, délaissant les fruits pour les morceaux de noix.

Elle leva les yeux lorsque rien ne vint et redouta aussitôt l’air amusé qu’affichait June. Elle sut qu’elle avait visé juste quand cette dernière déclara fièrement :

– Au Harem de Farah.

Neva sentit aussitôt ses sourcils s’envoler.

Hein ?

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4 février 2015

Chapitre 10

Lorsque Neva regagna sa cellule cette nuit-là, Mia dormait déjà, allongée sur le ventre, un souffle régulier s’échappant de ses lèvres.

L’inquiétude qui l’avait habitée l’avait forcée à rester auprès de Mathis durant la quasi-totalité de l’après-midi, et même s’il était encore sous le choc, elle était rassurée de savoir qu’il allait rester en compagnie de Soann et Tawny durant les prochains jours. Ce dernier avait tout du grand frère pour lui, quant à Soann, son expérience passée avait été d’une grande aide pour apaiser Mathis. Neva ne doutait pas qu’à eux deux, ils parviendraient à rendre à Mathis la tranquillité d'esprit et la confiance qui l’avaient habité.

Neva en avait cependant profité pour rendre une petite visite à l’enseignante leur ayant conseillé la bande dessinée qui avait tout déclenché. Pour elle, on ne remettait pas ce genre d’ouvrage à un enfant de huit ans, surtout dans les circonstances actuelles. Rémi Sans Famille était sans doute l'un des dessins animés les plus tristes et les plus marquants qu’elle n’ait jamais vu étant petite.

Troquant silencieusement ses vêtements du jour pour un débardeur et un short, Neva prit soin d’enfouir son collier sous le tissu avant de prendre place derrière Mia et de l’enlacer autour de la taille. D’un geste mécanique, ses doigts glissèrent le long des mèches brunes, et elle fronça les sourcils lorsqu’un carré blanc se révéla sur la nuque de Mia. Intriguée, elle écarta ses cheveux et observa bêtement le pansement qui recouvrait la peau de l’adolescente.

Un sentiment désagréable naquit au creux de son ventre et elle s’assura que Mia dormait toujours profondément avant de doucement commencer à le décoller. Le premier coin céda et elle s’arrêta aussitôt lorsque le premier motif apparut, la mâchoire serrée. Expirant par le nez, elle tira légèrement puis recolla aussitôt le pansement une fois la totalité du tatouage dévoilé. Une colère sourde coulait dans ses veines et elle resta allongée à observer le plafond, tentant en vain de se calmer.  

Mia avait un tatouage. Comment ? Qui ? Pourquoi ? Non, pas pourquoi. Le premier dessin lui avait suffi à comprendre pourquoi. Ou plutôt, pour qui.

Hors d’elle, elle enfonça les mains dans ses cheveux, tirant légèrement sur les pointes avant de se lever d’un bond et de regagner la cellule de June. Elle jura entre ses dents lorsqu’elle la trouva déserte et arpenta aussitôt la pièce de long en large en attendant.

Une dizaine de minutes s’écoula avant que la voix de June ne lui parvienne, taquine.

– A tourner en rond comme ça, tu vas finir par creuser un trou, tu sais.

Neva redressa aussitôt la tête.

– Oh, Dieu merci, soupira-t-elle, soulagée de ne plus avoir à attendre. Vous avez un tatoueur ici ?

Le sourire de June disparut progressivement de son visage face à la fureur qui brillait dans les yeux de Neva et elle fronça les sourcils.

– Kayla, au rez-de-chaussée mais – woah, eh, eh, eh où est-ce que tu vas comme ça ? s’exclama-t-elle lorsque Neva chercha à passer à côté d’elle.

– June laisse-moi passer, gronda Neva en repoussant ses bras, tentant en vain de quitter la pièce.

– Pas avant que tu m’aies dit pourquoi, rétorqua June, fermant la grille derrière elle avant de faire barrière.

Neva se passa les mains dans les cheveux, hors d’elle.

– Parce que je vais la tuer ! s’exclama-t-elle. Tu savais que Mia avait un tatouage ? Ça ne lui est jamais venu à l’esprit de demander mon accord avant de tatouer ma fille de treize ans ?!

June se passa une main sur le visage tout en soupirant.

– Non, parce qu’elle était avec moi.

Malgré sa colère, les mots pénétrèrent en elle comme un coup de fusil et Neva observa June, abasourdie.

– Quoi ? demanda-t-elle du bout des lèvres.

– Elle avait peur de ne pas pouvoir contrôler son pouvoir pendant son sommeil. Elle était terrifiée à l’idée de perdre son collier et de finir par blesser quelqu’un.

– Alors tu l’as emmenée se faire tatouer. Sans m’en parler.

Le ton dénué d’émotion dans lequel Neva venait de s’exprimer démontrait clairement son mécontentement. 

June jura entre ses dents.

– Ecoute, Neva–

– Ça ne t’est même pas venu à l’idée de venir me voir avant d’emmener ma fille se faire charcuter par je ne sais qui, la coupa Neva, visiblement hors d’elle. Alors ça y est, maintenant qu’on a établi qu’elle était aussi ta fille, tu te crois tout permis ? Non mais pour qui tu te prends bordel !

June croisa les bras sur sa poitrine, la mâchoire serrée.

– Je vais vraiment finir par croire que tu étais plus agréable quand tu avais la tête entre mes jambes. Là au moins ça t’évitait de dire n’importe quoi !

A peine prononça-t-elle ces mots qu'une claque sonore résonna dans la pièce. Le silence qui suivit fut d’une pesanteur atroce et Neva ne put détacher son regard de la joue qu’elle venait de gifler, la marque de sa main précisant ses contours, en rouge sur fond blanc.

June se força au calme avant de reprendre :

– La seule raison pour laquelle je l’ai fait, c’est parce que c’était la seule solution. Mia était terrifiée à l’idée de voir son pire cauchemar devenir réalité un jour. T’aurais fait quoi à sa place ?

Neva se revit soudainement alors qu’elle était adolescente, lorsque ses pouvoirs s’étaient manifestés pour la première fois. L’insurrection venait d’éclater, et elle venait tout juste de perdre ses parents. 

– A sa place, j’aurais tout donné pour que ma mère soit encore de ce monde et qu’elle me dise que tout irait bien, répondit-elle calmement les yeux humides avant d’ajouter avec ironie. Et visiblement, c’est ce que Mia a choisi de faire.

June ouvrit la bouche mais Neva tournait déjà les talons pour quitter la pièce, ouvrant la grille à la volée. La vue brouillée par les larmes, son pied manqua la première marche de l’escalier et elle perdit aussitôt l'équilibre avant de dégringoler tout en roulant sur elle-même. Elle entendit son nom retentir dans les airs quelque part derrière elle avant que sa tête ne vienne heurter la rambarde, puis plus rien.

💕

L’agréable chaleur qui l’enveloppait lorsque Neva reprit connaissance lui donna presque envie de ronronner. Un léger mal de tête lui tamponnait le crâne, son corps tout entier lui semblait courbaturé mais elle était entourée d’une chaleur tellement agréable que ses symptômes ne ressemblaient à rien de plus qu’une simple gêne.

Allongée à côté d’elle, la tête sur son épaule, Mia semblait hypnotisée par la source de lumière émise par la lampe halogène. Elle se redressa cependant aussitôt lorsque Neva l’embrassa sur le dessus de la tête et afficha un air rassuré.

– Ça va ? demanda-t-elle comme si elle avait désespérément besoin d’une confirmation de ce qu’elle voyait.

Neva hocha silencieusement la tête et Mia relâcha un soupir de soulagement avant de croiser les bras sur sa poitrine, mécontente.

– Tu m’as donné la peur de ma vie.

Neva ne put retenir un rire face à son air renfrogné avant de grimacer face à la douleur aigüe qui s’élança dans sa tête.

– Je suis désolée, s’excusa-t-elle, une fois calmée. Je suis restée inconsciente longtemps ?

– Une demi-heure environ. Sara dit que tu n’as pas de commotion, juste une vilaine bosse.

Neva n’eut pas besoin de toucher le côté de sa tête pour s’en apercevoir ; elle avait assez mal comme ça.

– C’est tout ?

– Hmm, rien de cassé, mais tu auras sûrement quelques bleus un peu partout... Jess a dit qu’elle en avait marre de soigner des gens qui se blessaient bêtement, que ça leur servirait de leçon ou un truc comme ça. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Neva expira tout en levant les yeux vers le plafond.

– J’ai loupé une marche.

– ...et qu’est-ce qui s’est passé pour que tu loupes cette marche ?

La discussion qu’elle avait eue avec June lui revint rapidement en mémoire et Neva sentit son cœur se serrer, les émotions étant encore trop intenses.

Elle réalisa que le silence s’était éternisé quand Mia murmura :

– June m’a dit ce qui s’était passé.

Elle ajouta lorsque Neva l’observa avec incrédulité :

– Elle a pas vraiment eu le choix, t’étais... t’aurais pu... j’étais vraiment hors de moi.

– Je suis désolée, répéta Neva en prenant l’une de ses mains dans la sienne, avant d’hésiter. Mais Mia, quand tu dis qu’elle t’a expliqué...

Mia l’observa sans sourciller.

– Elle m’a tout raconté.

– Oh.

Neva laissa retomber sa tête contre l’oreiller avant de lâcher, rongée par la douleur, par la honte, le regard à nouveau fixé sur le plafond :

– J’étais jalouse. 

– Maman...

– Elle t’a mise au monde, Mia, interrompit Neva en la regardant droit dans les yeux, sa vulnérabilité mise à nu. Elle est ta mère biologique, et je suis vraiment, vraiment heureuse pour toi, pour vous deux, que vous vous soyez retrouvées. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser, au fond, que je ne suis, que je n’aie été, qu’une mère de substitution pour toi. Vous partagez quelque chose d’immuable, d’indestructible et j’ai peur qu’à force, je ne représente plus rien pour toi.

Mia s’essuya le visage d’un revers de manche, les paroles de Neva l’ayant visiblement secouée. Elle prit finalement une inspiration tremblante tout en posant la main de Neva sur son cœur. Elle répondit, la voix enrouée :

– J’ai assez de place, ici, pour vous aimer toutes les deux, mère biologique ou non. Certains ont un père et une mère, d’autres ont juste l’un ou l’autre, d’autres encore n’ont personne... moi j’ai deux mamans, et je ne changerai ça pour rien au monde. O.K. ?

Neva hocha la tête, les larmes aux yeux et lorsque Mia s’allongea sur elle et lui murmura combien elle l’aimait encore et encore au creux de l’oreille, elle la serra fort contre elle et pleura jusqu’à s’endormir, épuisée. 

💕

La lumière du jour filtrant depuis le couloir fit comprendre à Neva qu’il était désormais le matin lorsqu’elle se réveilla à nouveau. Ses yeux étaient légèrement gonflés et son nez probablement rouge mais elle se sentait sereine, apaisée, comme si un poids avait été retiré de ses épaules. A ses côtés, Mia dormait paisiblement et elle lui caressa doucement les cheveux avant de lever les yeux quand June apparut dans la pièce.

Cette dernière enfonça les mains dans ses poches avant de demander, visiblement mal à l’aise :

– Ça va mieux ?

Neva se passa une main sur le visage tout en s’étirant.

– Si on oublie le fait que j’ai déballé la totalité de mon linge sale à ma fille de treize ans, ouais, souffla-t-elle avant de grimacer. Désolée... ta fille.

– Et pourquoi pas « notre » ? répondit June, un sourcil haussé. C’est bien ce qu’elle est, non ?

Neva baissa les yeux vers Mia avant de hocher faiblement la tête.

– Neva, reprit June en s’agenouillant à ses côtés. Je l’ai peut-être mise au monde, mais c’est toi qui l’as élevé. Alors s’il y a bien quelqu’un qui a des droits sur elle dans cette pièce, c’est certainement pas moi.

– June...

– Tu sais que c’est vrai, je l’ai abandonné.

– Pour la protéger, renchérit aussitôt Neva tout en lui jetant un regard appuyé. Pour lui permettre d’avoir une vie normale. Et je sais que ce sacrifice t’a marqué, si ce n’est plus.

June détourna les yeux, les souvenirs l’envahissant à nouveau malgré elle.

 

Tawny coupa le moteur avant de lever les yeux vers l’immeuble à trois étages.

– Si ce que ces personnes nous ont dit est juste, celle que tu cherches devrait être ici.

June baissa les yeux vers le bébé qui dormait paisiblement contre elle avant de regarder à travers la vitre à son tour.

– Il semblerait, remarqua-t-elle tout en calant la sangle de son sac sur son épaule. Hésitez pas à bouger si les choses s’animent, je vous retrouvai. 

– T’es sûre que tu ne veux pas qu’on vienne avec toi ? demanda Tegan, un air inquiet sur le visage.

June secoua négativement la tête avant d’afficher un faible sourire.

– Je croyais qu’on ne devait pas s’y attacher ?

– Faites ce que je dis, pas ce que je fais, marmonna Tegan en tendant une main afin de caresser la joue du bébé. Au revoir Mia, tu vas nous manquer, souffla-t-elle, la gorge serrée, avant de lever les yeux vers June. Reviens vite, d’accord ? On ira dans les bois si ça commence à bouger.

June hocha la tête avant de sortir du véhicule. Elle ignora les quelques personnes qui la dévisageaient et prit la direction de l’immeuble, montant les escaliers deux par deux jusqu’au troisième étage.

Arrivée en haut, elle hésita un instant avant de frapper puis d’entrer. A l’intérieur, tout était calme. Un léger feu de cheminée avait été allumé dans l'espoir de dissiper l’humidité ambiante de ce début d'octobre, et une douce odeur de potage flottait dans l’air.

June sentit sa gorge se serrer lorsqu’elle reconnut Mama dans la cuisine, mais l’émotion laissa rapidement place à l’inquiétude quand son regard tomba sur les bandages ensanglantés que la vieille femme nettoyait dans de l’eau bouillante.

– Mama ? appela-t-elle, replaçant le bébé contre son épaule.

Mama leva les yeux et elle porta aussitôt une main à ses lèvres lorsqu’elle la reconnut. Ses yeux s’humidifièrent et à la seconde même où ses épaules se mirent à trembler, June s’approcha afin de la prendre dans ses bras. Elle l’embrassa sur le dessus de la tête tout en la berçant légèrement.

– J’espère que ça veut dire que tu es contente de me voir ? plaisanta-t-elle faiblement.

Mama hocha aussitôt la tête, resserrant sa prise autour d’elle.

– Jack... Jack les a vus t’emmener, on a cru ne jamais te revoir.

J’ai cru ne jamais revenir non plus.

– Mama... est-ce que l’un des garçons...

Mama l’observa, confuse avant de baisser les yeux vers la table lorsque June désigna du menton la bassine et les nombreux bandages.

– Oh non, les garçons vont bien, répondit-elle avant de désigner la chambre. Elle, par contre...

June tourna la tête pour voir le corps d’une adolescente allongée sur le lit. Ses cheveux blonds étaient humides et en désordre, ses yeux cernés et sa peau claire semblait parsemée d’égratignures. Elle paraissait terriblement maigre.

– Les garçons l’ont trouvée inconsciente à quelques rues d’ici, continua Mama. D’après eux, elle aurait marché jusqu’à épuisement.

– Elle a l’air jeune, remarqua June, incapable de détourner le regard.

– Elle m’a dit qu’elle avait seize ans, répondit Mama avant de soupirer. Elle passe son temps à naviguer entre le conscient et l’inconscient. Sa température est plus basse que la normale, je ne sais pas si elle s’en sortira.

June exerça une légère pression sur sa main.

– Je suis sûre que ça va aller.

Mama lui sourit tristement avant de baisser les yeux vers le bébé. Elle lui caressa légèrement la joue.

– Elle a tes yeux, remarqua-t-elle lorsque Mia battit des paupières avant de se rendormir aussitôt dans un soupir satisfait. Comment s’appelle-t-elle ?

– Mia.

Mama sourit faiblement.

– Pour « mai », j’imagine ? Ta mère serait touchée.

June acquiesça, fouillant dans la poche arrière de son jean afin d’en sortir un paquet de feuilles pliées ensemble. Elle les remit à Mama la main tremblante.

– Je sais que tu dois te poser beaucoup de questions, commença-t-elle, la gorge serrée. Mais tu trouveras tout ici. Je compte sur toi pour enjoliver l’histoire quand elle demandera, plaisanta-t-elle, les yeux humides.

Mama l’observa, confuse, avant que la prise de conscience ne se fraye difficilement un chemin dans son esprit. Elle prit un air attristé.

– June...

– Tu es la seule famille qu’il me reste, expliqua June, suppliante. Je sais qu’avec toi et les garçons, elle sera en sécurité. S’il te plaît, Mama ? 

Mama se mordit l’intérieur de la joue, les yeux humides, avant de hocher la tête et elle ouvrit les bras lorsque June lui tendit le bébé.

– Tu trouveras tout ce dont tu auras besoin dans le sac, renifla June en le déposant à ses pieds. C’est pas grand-chose, mais tu devrais pouvoir t’en sortir sans trop de difficultés. Elle fait ses nuits et, hum, elle est loin d’être difficile sur la nourriture, plaisanta-t-elle tristement.

Elle tendit une main afin de caresser le dos de Mia avant d’enfoncer une main dans l’une de ses poches. Elle en sortit une pierre de couleur grise.

– Je t’ai aussi apporté ça, dit-elle en la lui tendant. Elle en aura besoin une fois entrée dans l’adolescence. Je suis sûre que les garçons parviendront à lui en faire un collier.

Mama lui offrit un regard confus et elle s’expliqua :

– Elle est... différente, je ne sais pas encore comment, mais cette pierre lui permettra de passer inaperçue.

Mama hocha la tête et June se passa les mains sur le visage avant de les laisser retomber à ses côtés, luttant pour ne pas les tendre vers Mia.

– Je vais devoir y aller. Prends bien soin d’elle, d’accord ?

Mama hocha la tête avant d’attraper June par le bras lorsqu’elle se dirigea vers la porte.

– June, attends. Tu dois vraiment repartir maintenant ? Tu viens à peine d’arriver, les garçons vont bientôt revenir...

– Je suis attendue, coupa June en serrant sa main dans la sienne. Si jamais... je ne revenais pas, sache que tu as toujours été comme une seconde mère pour moi.

Mama sourit, les yeux humides.

– Je t’aime aussi, June.

June hocha la tête, les larmes durement retenues jusque-là dévalant son visage, puis disparut derrière la porte.

 

June secoua la tête afin de reprendre pied avec le présent.

– Peut-être, mais c’est pas pour ça que je suis venue. Je tenais à m’excuser d’avoir emmené Mia se faire tatouer sans te demander ton avis avant. Sur le moment, je n’ai pensé qu’à apaiser sa détresse –

– Et c’est exactement pour ça que je ne t’en veux pas, sourit faiblement Neva après l’avoir coupée d’une main sur les lèvres. Je t’en ai voulu, je ne vais pas mentir, et je t’en voudrais encore si tu t’avisais de recommencer, mais ça partait d’un bon sentiment... en ce qui me concerne, c’est oublié.

June embrassa la paume de Neva tout en hochant la tête.

– Je vais devoir quitter la prison pendant quelques jours et... je me demandais si tu accepterais de venir avec moi ? demanda-t-elle. J’ai juste une petite course à faire pour Soann, ça nous permettrait de passer un peu de temps ensemble, loin de tout ça, dit-elle en désignant la prison. Qu’est-ce que tu en dis ?

Neva se redressa légèrement jusqu’à frôler ses lèvres des siennes.

– J’en dis... que c’est une excellente idée.

Et elle l’embrassa.

4 février 2015

Chapitre 9

Allongées sur le lit, confortablement enlacée, Mia se délectait des ronronnements sourds que Skye émettait, sa poitrine vibrant délicieusement contre son oreille. Le bruit avait quelque chose de rassurant, de réconfortant et lui donnait automatiquement envie de se blottir contre elle et de savourer sa chaleur. La main qui glissait dans ses cheveux ne faisait qu’intensifier son bien-être et elle soupira de contentement.

Pourtant, quelque chose la tracassait.

– Tu crois que Mathis ira bien ? demanda-t-elle, dessinant des arabesques de son doigt sur le ventre de son amoureuse.

Skye baissa les yeux vers elle.

– Tes pouvoirs aussi se sont manifestés subitement, et tu vas plutôt bien, non ?

– J’ai pas manqué de tuer quelqu’un, contra Mia en frissonnant. Même si j’aurais pu. Mon Dieu, t’imagines si tu avais été plus près ? Ou si je t’avais lancé, je sais pas moi, une boule de feu ? paniqua-t-elle.

Skye resserra son étreinte autour d’elle.

– Shhh Mia, t’as rien fait de tout ça, murmura-t-elle contre son oreille, avant de prendre un air suffisant, un sourire évident dans la voix. Et puis, t’aurais pas pu, je suis beaucoup trop rapide.

Mia la tapa gentiment sur le ventre tout en roulant des yeux, même si Skye avait probablement raison ; elle avait les réflexes d’un chat.

– Quand même, c’est flippant. Ils vont devoir lui trouver un collier, et lui faire prendre des cours.

– June va devoir s’occuper de lui, c’est sûr, acquiesça Skye. Mais la seule qui pourra vraiment l’aider c’est Soann, ils ont le même pouvoir après tout.

Mia exprima son accord par un « hmm ». Elle, qui s’était longtemps demandé quel pouvoir Soann avait et pourquoi, ne se séparait jamais de ses gants en cuir, elle avait enfin sa réponse.

– Mathis va devoir protéger ses mains lui aussi ?

– Sûrement, répondit Skye en haussant les épaules. Soann le fait parce qu’elle génère constamment de l’électricité statique qui varie en intensité en fonction de ses émotions. Elle ne tuera jamais quelqu’un par accident, mais elle peut vraiment blesser sans le vouloir, comme lorsqu’elle se bat par exemple. Le risque est présent à chaque fois qu’elle doit puiser dans ses émotions ou que ces dernières la dépassent. En portant des gants, elle n’a pas besoin de passer son temps à essayer de se contrôler. C’est sa zéolithe à elle, si tu veux.

Mia se blottit plus confortablement, enfouissant son visage dans le cou de Skye.

– Ça me rassure pour Mathis, murmura-t-elle, son souffle chaud caressant la peau douce et chaude à proximité. Il a déjà assez souffert comme ça.

Elle sentit Skye frissonner et elle ferma les yeux de contentement lorsque cette dernière l’embrassa sur le front. De par son jeune âge et malgré les réticences de Skye, leur amitié profonde avait cédé la place à une relation platonique parsemée de quelques baisers ici et là, mais surtout à de nombreuses étreintes tendres et affectueuses. Une atmosphère propice au calme et à la sérénité qui la poussa une fois de plus à sombrer malgré elle dans un sommeil profond.

💕

Mia eut l’impression d’avoir à peine dormi lorsqu’une forte odeur de brûlé la poussa à ouvrir les yeux, et elle observa la chambre d’un air hébété. Une fumée épaisse l’entourait, l’empêchant de voir et de respirer. Mais lorsqu’elle se redressa avec difficulté, elle réalisa avec horreur que les couvertures autour d’elle étaient en feu, et que ce dernier se propageait rapidement. Paniquée, elle tâtonna autour d’elle à la recherche de Skye, mais ne rencontra rien de plus que des draps brûlés et des murs couverts de suie. Puis, au cœur même de ce kaléidoscope de couleurs allant du jaune orangé au rouge sang, une forme se détacha du sol, la main tendue vers la sortie comme une dernière supplication. Terrifiée, Mia se précipita aussitôt vers elle, ses genoux heurtant violemment le béton brûlant. Mais alors qu’elle la rejoignait, la vision qui s’offrit à elle la poussa aussitôt à hurler d’agonie.

Skye était recroquevillée sur elle-même, roulée en boule comme un papier dévoré par les flammes, la chair calcinée, noircie jusqu’à l’os.

💕

Mia se réveilla en sueur, le cœur battant. A côté d’elle, Skye avait trouvé refuge contre le mur malgré l’étroitesse du lit, comme si, inconsciemment, elle avait senti que quelque chose n’allait pas et qu’elle devait se mettre à couvert. Portant une main à son cou, Mia sentit que son collier était toujours là, mais sa température corporelle semblant plus élevée qu’à l’habitude, elle bondit hors du lit dans un élan de panique.

Dans le couloir, les lumières étaient encore allumées, et elle réalisa qu’elle et Skye avaient malencontreusement fini par s’endormir.

Elle approchait tout juste la cellule de June quand une voix résonna derrière elle :

– Si tu avais dans l’idée d’aller farfouiller, tu vas être déçue, y a vraiment rien d’intéressant là-dedans.

Mia fit volte-face et June perdit aussitôt son air taquin lorsqu’elle aperçut l’air paniqué qui habitait le visage de l’adolescente. Elle monta les dernières marches en vitesse et posa ses mains sur les épaules de Mia.

– Hé, qu’est-ce qu’il y a ? Il s’est passé quelque chose ?

Mia secoua la tête, incapable de retenir les larmes quand elles montèrent.

– Skye..., renifla-t-elle, empoignant le t-shirt de June lorsque cette dernière s’apprêtait à aller la voir. J’ai fait un cauchemar et... et j’ai cru que...

Elle hoqueta avant de lever les yeux vers June.

– Il y avait du feu partout, j’ai cru que je l’avais...

June comprit où elle voulait en venir et la serra aussitôt contre elle, caressant ses cheveux en un geste apaisant.

– Shhh, interrompit-elle en l’embrassant sur la tête. Ça va, c’est fini maintenant.

Mia secoua aussitôt la tête en s’écartant.

– Non, ça pourrait arriver, insista-t-elle, agitée. C’est juste un collier, je pourrais très bien l’arracher pendant mon sommeil ou... ou...

– Mia, commença June, avant de s’interrompre, les sourcils froncés. Attends, depuis quand est-ce que toi et Skye vous dormez ensemble ? Ta mère le sait ?

Mia se sentit aussitôt rougir.

– Non..., marmonna-t-elle, embarrassée. C’est arrivé par accident, je me suis endormie... Enfin, maintenant, c’est sûr, ça risque pas de se reproduire.

June leva les yeux au ciel.

– Mia... c’est le début, c’est normal que tu ne sois pas encore à l’aise. Mais tu finiras par le maîtriser. 

– Pas pendant mon sommeil, répliqua aussitôt Mia. Il suffit d’un cauchemar pour...

Son corps fut de nouveau parcouru d’un frisson et June se mordit l’intérieur de la joue, pensive. Mia n’avait pas tort, même si les chances pour qu’elle perde son collier pendant son sommeil restaient minimes. Mais maintenant qu’elle savait ce qui pouvait arriver, rien ne pourrait lui enlever cette crainte de la tête. Rien, excepté... 

– Viens, répondit June en tendant une main vers elle. J’ai peut-être une idée.

Mia obtempéra et elles regagnèrent le rez-de-chaussée avant de s’engager dans un dédale de couloirs faiblement éclairé et quasiment désert. June s’arrêta finalement devant une porte close sur laquelle elle frappa légèrement puis attendit.

Une jeune femme brune leur ouvrit, un sourcil haussé, et Mia ne put détacher son regard des anneaux qu’elle portait au niveau du nez et de la lèvre inférieure.

June posa les mains sur les épaules de l’adolescente avant de répondre :

– J’ai besoin de tes services.

La jeune femme observa Mia de la tête aux pieds avant de hocher la tête et de les inviter à entrer, et Mia découvrit une pièce semblable à celle de l’infirmerie. Celle-ci ne comportait cependant qu’un lit comme on en trouvait chez les médecins, ainsi qu’une petite table sur laquelle Jess et Sara étaient visiblement en train de jouer aux cartes.

– Une idée pour le dessin ? demanda l’inconnue en préparant son matériel.

Mia cligna des yeux avant de se tourner vers June, confuse.

– Tu voulais pouvoir contrôler tes pouvoirs même pendant ton sommeil, répondit June en désignant la pièce. C’est la seule solution que je peux te proposer ; Kayla est tatoueuse, et elle seule sait comment utiliser la zéolithe pour nous permettre d’être maître de nos pouvoirs à tout moment.   

Mia reporta son attention sur la jeune femme. Vêtue d’un débardeur noir, elle réalisa que ses bras couverts de tatouages auraient en effet dû la mettre sur la voie.

Un amas de dessins trainant sur la table longeant le mur attira son attention et elle en prit quelques-uns en main, étudiant avec fascination les traits fins, parfois dynamiques, d’autres fois sinistres. Un croquis en particulier attira son regard et elle l’observa un instant avant de le tendre à Kayla.

– Tu pourrais me le faire en trois exemplaires, mais dans des positions différentes ?

Kayla étudia le dessin les sourcils froncés, puis s’empara d’un morceau de charbon de bois et passa les quelques minutes suivantes à griffonner. Elle le montra à Mia une fois terminé et l’adolescente acquiesça aussitôt, le sourire aux lèvres.

– Un endroit préféré ? demanda Kayla.

– La nuque, intervint June avant d’expliquer lorsque Mia leva les yeux vers elle. Le cerveau et la moelle épinière sont les centres nerveux responsables de tout notre corps, la zéolithe sera au maximum de son efficacité à cet endroit-là.

Mia prit place sur la table d’examen, s’allongeant sur le ventre. Elle sentit quelqu’un lui soulever les cheveux, puis désinfecter l’endroit.

– Prête ? demanda Kayla. Ça risque d’être un peu douloureux.

Mia sentit June glisser une main dans la sienne et elle prit une inspiration profonde avant de hocher la tête.

Ses yeux s’humidifièrent aussitôt lorsque la pointe de la machine entra en contact avec sa peau.

4 février 2015

Chapitre 8

La fête de la veille ayant poussé la plupart à faire la grasse matinée, Tegan s’assura quand même une dernière fois que le couloir était désert avant de se glisser dans l’infirmerie. Cette dernière ressemblait d’ailleurs plutôt à un laboratoire, puisqu’avec deux Arcans possédant le pouvoir de guérison, leur intérêt premier se portait surtout sur la phytothérapie, une médecine alternative qui englobait à la fois des remèdes, des thérapies et des produits naturels favorisant le bien-être général. Ainsi, Sara, grande brune à la peau tannée et aux formes féminines typiquement latines, et Jess, beauté à la peau claire, au regard bleu azur envoutant et au sourire terriblement ravageur, passaient leur temps à concocter des vitamines, des compléments nutritionnels, des plantes à vertu thérapeutique, et autres remèdes naturels à base de plantes.

La porte à peine refermée derrière elle, elle se retrouva aussitôt face à deux regards surpris.

– Jess, pince-moi, je crois que je suis en train de rêver, déclara Sara, ses grands yeux noisette fixés sur Tegan.

Cette dernière roula des yeux.

– Haha, très drôle, dit-elle en se trainant jusqu’à la table d’examen.

– Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Jess les bras croisés sur sa poitrine, retenant difficilement un rire.

Tegan était connue pour ne jamais tomber malade, ou refuser le moindre traitement quand c’était le cas. Alors la voir entrer dans leur repaire, et ce de son plein gré, avait quelque chose de surnaturel.

– Je peux voir tes fossettes d’ici, prévint Tegan en plissant des yeux avant de laisser retomber sa tête contre la table d’examen. J’ai besoin de quelque chose contre l’envie de vomir, gémit-elle.

– Encore ? s’étonna Jess en réunissant ses longs cheveux blonds en un chignon lâche. Ça commence à faire un petit moment maintenant, non ?

– Une semaine, peut-être plus.

Jess émit un « tcht » désapprobateur tout en surveillant l’aiguille du tensiomètre qu’elle avait enroulé autour du bras de Tegan et cette dernière en profita pour fusiller Sara du regard lorsqu’elle ricana, trouvant la situation visiblement amusante.

– Ta tension est légèrement élevée, mais rien d’alarmant. Comment ça se passe au niveau du ventre ? Barbouillements, aigreurs d'estomac, crampes abdominales... ? demanda Jess en palpant la partie en question.

– Hmm. J’ai du mal à manger aussi. La faim est là, mais j’ai l’impression que tout me dégoûte, grimaça Tegan.

– Ça va souvent de pair avec la nausée, fit remarquer Jess en levant les yeux vers son visage. Tes cernes sont plutôt marqués, comment ça se passe côté sommeil ?

Tegan haussa les épaules.

– Ça va, je dors même plus que d’habitude.

– Seins douloureux ?

Tegan fronça les sourcils de confusion mais toucha néanmoins la partie en question.

– Un peu.

Jess hocha la tête et une lumière blanche jaillit de ses mains avant qu’elle ne les pose sur ses hanches.

– Bon, dernière question, est-ce que tu peux me dire à quand remonte la dernière fois que tu as eu tes règles ?

Tegan l’observa et son visage devint livide, puis, frôlant l’hystérie, elle secoua la tête dans un rire.

– Je t’en prie Jess... ne me dis pas ce que je pense que tu es en train de me dire.

– J’aimerais... mais les symptômes sont là et semblent concorder. Je dirais même que tu en es à un peu plus de deux mois de grossesse.

Tegan laissa sa tête retomber contre le dossier.

– Génial, soupira-t-elle, visiblement loin d’être réjouie. 

Jess serra sa main avant de commencer à ranger son matériel.

– Tu sais qui est le père ?

Tegan réfléchit un instant avant de hocher la tête.

– Mais si les choses se passent comme prévu, il n’aura pas besoin d’être mis au courant, répondit-elle d’une voix dénuée d’émotion.

Jess se contenta d’acquiescer silencieusement ; elle connaissait le passé médical de Tegan.

💕

Leur petit groupe était réuni autour d’une table lorsque Tegan arriva à la cafétéria et un sourire étira ses lèvres quand Tawny s’écarta et tapota la place qu’il avait réservée à côté de lui. Un plateau rempli de nourriture l’attendait et elle prit une gorgée de jus d’oranges fraîchement pressées avant de manger une cuillerée de muesli.

Dieu merci Tawny lui avait épargné les œufs, l’odeur seule suffisait à l’écœurer. 

Elle s’apprêtait à prendre une deuxième cuillerée quand elle prit conscience du silence qui l'entourait et elle leva les yeux pour voir tous les regards fixés sur elle.

Elle soupira.

– Non, je n’ai pas envie de vomir. Vous pouvez manger l’esprit tranquille.

La plupart des personnes présentes détournèrent les yeux d’embarras excepté June qui sourit ouvertement. Tegan lui tira aussitôt la langue avant de tourner la tête vers Tawny lorsqu’il lui donna un léger coup de coude.

– T’étais où ? Je t’ai cherchée partout.

Tegan reporta son attention sur son assiette. Elle et Tawny couraient toujours ensemble le matin.

Elle haussa les épaules.

– Je me sentais pas d’humeur, tu sais... encore un peu barbouillée, tout ça.

Elle se félicita de sa réponse qui n’était pas tout à fait fausse ; elle détestait mentir à Tawny.

– Traduction : elle a peut-être un peu trop picolé hier soir, taquina June.

Tegan lui répondit par une grimace. Elle n’avait pas bu, non pas qu’elle n’en avait pas eu envie, mais par crainte d’empirer ses nausées matinales qu’elle jugeait déjà suffisamment insupportables comme ça. Et maintenant qu’elle connaissait la cause de leur origine, elle fut d’autant plus convaincue d’avoir pris la bonne décision.

– Tu devrais aller voir Jess, elle est là pour ça tu sais, insista gentiment Tawny, et Tegan sut au simple fait qu’il ne touchait pas à son assiette qu’il était inquiet.

Oh Jess a peut-être le pouvoir de soigner, mais elle ne pourra rien pour moi, pensa Tegan, retenant un soupir.

– J’y suis allée, répondit-elle, et Tawny fut visiblement agréablement surpris. C’est juste un mauvais virus, Jess m’a dit que ça devrait vite passer.

Une fois encore, ce n’était pas vraiment un mensonge. Jess lui avait dit que les nausées matinales dépassaient rarement les trois premiers mois de grossesse.

– C’est juste un virus Tawny, coupa Tegan lorsqu’elle le vit ouvrir la bouche. J’ai pas besoin de Jess pour ça, je peux très bien vivre avec. Et puis si tu veux embêter quelqu’un, regarde en face de toi, t’as deux cibles parfaites qui ne se sont pas gênées pour profiter du fait qu’on était tous à la fête hier soir pour s’amuser un peu... si tu vois ce que je veux dire. 

Elle ne sut dire ce qui la fit rire le plus, June et son air suffisant ou bien le visage de Neva qui tourna aussitôt au rouge vif ?

💕

Je vais la tuer. Je vais la tuer. Je vais la tuer.

Neva se répéta ce refrain comme un mantra, même si elle ignorait encore qui entre Tegan et June elle allait étriper.

Les deux, sûrement.

Elle fut cependant reconnaissante du fait que Mia et Skye étaient visiblement trop absorbées par leur conversation pour avoir entendu, et que Mathis était sûrement encore trop jeune pour avoir pu comprendre le sous-entendu.

Le visage de Tawny prit cependant un air rêveur, la mâchoire légèrement pendante, et elle devina aussitôt qu’il trouvait l’idée de les savoir ensemble plutôt agréable.

Tegan passa un bras autour de son cou, un air taquin sur le visage.

– Oh tu peux fantasmer frérot, mais ça m’étonnerait que tu puisses participer, elles n’ont pas l’air d’être du genre à bien vouloir partager...

Neva plissa les yeux, désormais bien décidée à trucider Tegan avant de lever les mains au ciel lorsqu’elle remarqua le regard plein d’espoir que lui lançait Tawny.

– Non mais vous ne pensez vraiment qu’à ça ! s’exaspéra-t-elle un peu trop fort.

Elle se sentit rougir face aux airs interrogateurs qu’on lui lança tout autour d’elle avant de fusiller June du regard lorsqu’elle lui murmura d’un ton amusé :

– Que veux-tu, c’est pas comme si on avait encore accès à la télé pour se divertir...

Deux garçons passant pour la troisième fois devant leur table tout en ricanant l’empêchèrent cependant de répondre et elle fronça les sourcils avant de sentir son sang se glacer lorsque l'un d'eux regarda Mathis et chantonna « Je m'appelle Remi et je suis sans famille ! ». Son instinct premier fut de le réprimander mais un nuage d'électricité apparaissant soudainement autour de Mathis la devança, et elle vit avec horreur une puissante décharge frapper le garçon en pleine poitrine, l'envoyant voler sur plusieurs mètres avant de s'effondrer sur le sol, inerte.

Sous le choc, le silence régna un instant avant de laisser place au chaos le plus total.

– Que quelqu'un aille me chercher Soann ! hurla June tout en établissant un périmètre de sécurité autour de Mathis.

Elle eut à peine terminé sa phrase que Tegan avait déjà filée comme une flèche, Tawny la suivant de près afin d'évacuer la cafétéria. A l'autre bout de la pièce, Neva vit Sara et Jess s'accroupir près du corps inerte et elle sentit sa respiration se couper lorsqu'elles entamèrent aussitôt un massage cardiaque.

Assis sur le banc, Mathis se balançait d'avant en arrière, les bras resserrés autour de sa taille et Neva se maudit de ne pas pouvoir l'approcher. Les minutes paraissaient des heures, et elle lâcha un soupir de soulagement lorsque Soann apparut enfin. En un simple coup d'œil, elle évalua la situation et courut aussitôt s'agenouiller près du petit garçon toujours inconscient avant de retirer ses gants. Ses mains sur sa poitrine, telles des palettes de défibrillation, émirent un choc électrique qui le souleva du sol et le réanima aussitôt, une inspiration soudaine traversant ses lèvres. Elle vint ensuite s'agenouiller près de Mathis et posa une main réconfortante sur ses cuisses tout en murmurant calmement à son oreille, et après de longues minutes, Neva fut soulagée de le voir hocher la tête avant de la laisser le prendre dans ses bras.

4 février 2015

Chapitre 7

Le visage enfoui dans les cheveux de June, Neva embrassa sa nuque tout en se délectant de la douceur de sa peau et de son odeur. Les effets de leur folle nuit de plaisir se reflétaient sur son visage et dans chacun de ses membres délicieusement courbaturés, et elle laissa le bout de ses doigts effleurer la colonne vertébrale de June, descendant le long de son dos et lui donnant la chair de poule.

Flottant encore dans un état de somnolence à mi-chemin entre éveil et sommeil, June afficha un sourire fatigué. Les mains de Neva semblaient se poser partout à la fois, remontant de la cambrure de ses reins jusqu'à sa nuque pour redescendre autour de sa taille et elle s'abandonna à la sensation délicieuse de son souffle tiède. Bien plus qu’une quête du plaisir, elle avait au contraire ressenti un appel à la sensualité pure, une envie brutale de se délecter de sa chaleur, de sa souplesse féline, de son parfum, de sa silhouette arrondie aux endroits les plus judicieux. De sa façon de bouger. Et ce grain de beauté en forme de trèfle, niché juste sous son sein gauche... Sa chaleur, sa douceur, l’avaient envahie d’un plaisir si intense, qu’elle n’avait jamais imaginé qu’un tel échange pouvait exister entre deux personnes.

Non, pour elle, ça avait été plus que du sexe : une communion de leurs corps et de leurs émotions. Elles n’avaient formé plus qu’une, aussi bien physiquement que spirituellement et même si ce genre d’attache lui faisait peur, elle fut néanmoins surprise d’y trouver un certain réconfort.

Elle n’avait plus qu’à remercier Bradley le Charmeur pour l’avoir forcé à sauter le pas.

Une main se faufilant jusqu’à son sein lui fit perdre le fil de ses pensées et elle inspira soudainement.

– Bonjour sexy, murmura Neva, un sourire évident dans la voix.

June enfonça son visage dans l’oreiller.

– Ce sont mes cheveux totalement en désordre qui te font dire ça ?

– Hmm... ils te rendent irrésistible, répondit Neva avant d’embrasser un pélican aux ailes déployées.

Elle fronça légèrement les sourcils.

– Dis, j’ai remarqué que Tawny, Tegan et toi aviez chacun un tatouage différent. Le tien a une signification particulière ?

June étouffa un bâillement tout en s’étirant avant de jeter un œil par-dessus son épaule.

– Garde en tête que j’étais ivre quand je l’ai fait faire d’accord ? prévint-elle avant de relater l’anecdote. L’Elite se contente de nous marquer de trois points. J’ai choisi le Pélican car selon l'iconographie chrétienne, il a la réputation d'être capable de se sacrifier pour nourrir ses petits, comme Jésus s'est sacrifié lui-même pour sauver l'humanité.

Elle marqua une pause avant d’ajouter :

– Je ne connais pas un Arcan qui ne serait pas prêt à se sacrifier pour arrêter l’Elite et permettre à nos descendants de repartir de zéro, sur une planète propre et non souillée par l'inconscience des hommes.

Elle sentit Neva lui caresser le dos et se pencher pour l'embrasser entre les omoplates.

– Ivre ou non, c’est un très beau symbole, répondit-elle, caressant la peau de June de sa langue, partant de son épaule à son cou avant de la mordiller, déclenchant une vague de frissons qui parcourut l'échine de June. Et celui sur ton bras ? Il représente quoi ? demanda-t-elle, redessinant du doigt les deux images opposées dont les courbes tribales se terminaient en pointes aiguisées.

June se tourna pour lui faire face, prenant appui sur un coude.

– Tout d’abord, arrête de me toucher comme ça où je ne réponds plus de rien, prévint-elle, le regard brûlant de désir.

Neva se mordit la lèvre inférieure et June grogna avant de lui voler un baiser, les laissant toutes les deux légèrement essoufflées. 

– Je l’ai fait faire quand j’ai découvert mes pouvoirs pour la première fois, mais il ne représente rien de particulier, répondit June après avoir retrouvé ses esprits. 

Elle caressa légèrement la cicatrice que Neva portait à son épaule.

– A ton tour, qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda-t-elle.

– J’ai voulu jouer les G.I. Jane, grimaça Neva. Un de leurs androïdes était après Mathis, il n’a pas beaucoup apprécié le dérangement... je ne me suis pas écarté assez vite quand il m’a tiré dessus. 

June émit un « hmm » de compréhension tout en se penchant pour embrasser le tissu légèrement marqué, puis se figea lorsqu’elle sentit Neva frôler du bout des doigts la faible cicatrice sur le bas de son ventre.

– Ce bébé auquel tu as donné naissance, murmura Neva. C’était Mia, pas vrai ?

June s’écarta légèrement et vit que Neva la regardait paisiblement, sans jugements, ni reproches, et elle hocha silencieusement la tête, les souvenirs envahissant son esprit malgré elle.

 

June se sentait faible, engourdie. Son estomac semblait s’être retourné, ses poumons avoir avalé une substance toxique, et ses muscles avoir fait du sport pendant des heures pour lui donner de telles crampes. Ouvrant les yeux, elle ne vit que du blanc, un peu trouble cependant. Il y avait une lumière crue au-dessus d’elle, comme celle d’un matin ensoleillé pénétrant par une petite fenêtre.

Une main rugueuse écarta ses cheveux et elle fixa l’homme penché au-dessus d’elle d’un air hagard. Elle voulut bouger, mais chacun de ses membres était attaché par des sangles en zéolithe, et un épais anneau métallique entourait son cou. Le souffle désormais rapide et irrégulier, elle releva les yeux vers le médecin, et devina aisément son sourire derrière le masque qui recouvrait sa bouche et son nez.

–  Là, là, c’est bientôt fini.

Une infirmière apparut à ses côtés afin de retirer le tuyau d’intubation, et elle grimaça face à la sensation.  

–  La césarienne s’est bien passée, le médecin est en train de vous recoudre, déclara-t-elle avant de lui offrir un regard appuyé. Cependant, il y a eu une légère complication, les saignements étaient importants... nous avons été obligés de vous ligaturer les trompes.

June sentit les premières larmes lui monter aux yeux et elle hocha la tête, son regard véhiculant tant bien que mal sa gratitude.

Elle tourna la tête lorsqu’une autre infirmière s’approcha d’elle.

– Le bébé est en bonne santé, sexe féminin, 3,530kg pour 50,5cm, énuméra-t-elle tout en prenant des notes sur un formulaire. Désirez-vous le nommer ?

June cligna des yeux à plusieurs reprises avant de chercher réassurance auprès de la première infirmière. Cette dernière lui sourit gentiment derrière son masque.

– Vous n’êtes pas obligée, nous pouvons nous en charger.

June hocha bêtement la tête avant de lever les yeux vers l’horloge numérique à chiffre sautant. Quinze années auparavant, sa mère avait eu exactement le même geste qu’elle, et elle avait souri avant de décider de la nommer June. Les joues couvertes de larmes mélancoliques, June ferma les yeux avant souffler :

– Mia. Elle s’appelle Mia.

L’infirmière hocha la tête, la pointe de son stylo grattant le papier.

– Mia, née le 12 mai 2016 à 07h52.

 

 

Les lèvres de Neva contre sa clavicule la tirèrent de ses pensées.

– Je vais devoir lui dire que tu es sa mère, poursuivit-elle, avant d’ajouter lorsque l’intéressée ne répondit pas : A moins que... ?

June l’encercla de ses bras afin de la serrer contre elle.

– Elle restera ta fille quoi qu’il arrive. 

– Mais elle a le droit de savoir qui est sa mère biologique, contra gentiment Neva, son doigt dessinant des arabesques sur sa clavicule.

– Tu lui as dit que ce n’était pas toi ? s’étonna aussitôt June en baissant les yeux vers elle.

Neva eut un petit sourire nostalgique.

– Mia était très curieuse quand elle était petite. A cinq ans, elle m’a demandé pourquoi elle était brune aux yeux noisette quand j’étais blonde aux yeux verts. Elle s’interrogeait surtout parce que les triplés étaient le portrait craché de Mama, avec leurs cheveux bruns et leurs yeux bleus. Alors elle voulait savoir pourquoi nous on ne se ressemblait pas, contrairement à eux.

Elle haussa légèrement les épaules.

– Je lui ai dit qu’on avait été réunie d’une façon différente, mais que je l’aimais tout autant.

Elle ferma les yeux lorsque June l’embrassa sur le dessus de la tête avant de demander d’un ton hésitant :

– C’est toi qui as demandé à Mama de ne pas me dire que Mia était ta fille ?

June secoua négativement la tête, le regard fixé sur le plafond.

– Mais à mon avis, elle pensait sûrement que c’était à moi de le faire, pas à elle.

– Tu n’avais pas l’air d’en avoir l’intention...

June se passa une main sur le visage tout en soupirant.

– C’est pas si évident que ça, Neva. J’ai abandonné Mia alors qu’elle était encore bébé, parce que je pensais qu’il n’y avait que comme ça qu’elle serait en sécurité. Et quand je la retrouve treize ans plus tard, c’est pour apprendre qu’elle est parvenue, comme je l’avais espéré, à avoir une vie normale, avec des gens qui l’aiment et qui la rendent heureuse.

Elle déglutit péniblement avant d’ajouter :

– J’ai pas envie de briser tout ça, qu’elle découvre d’où elle vient vraiment, et que je l’ai abandonné.

 – Je peux le comprendre, admit Neva avant de prendre appui sur un coude. Mais tu l’as fait pour son bien, June. Pour qu’elle puisse grandir en sécurité. Tu ne crois pas que c’est ça, le plus important ?

June haussa les épaules.

– Peut-être, j’en sais rien. Je ne suis pas dans sa tête, Neva. Va savoir ce qu’elle préfèrera retenir dans l’histoire. Et au fond, je crois bien que ça me terrifie. 

Neva sentit son cœur se serrer face aux paroles et à la détresse évidente de June. En y réfléchissant bien, c’était même la première fois qu’elle la voyait ainsi, ses émotions mises à nu et elle fut surprise de sentir sa vue se brouiller.  

Le regard de June restant fixé sur le plafond, elle décida cependant de détendre l’atmosphère.

– Je suis sûre que même si elle décidait de t’en tenir rigueur, elle finira forcément par comprendre et par te pardonner. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est que je me rends compte que toutes ces rumeurs qui courent sur toi disaient vrai finalement.

June baissa les yeux vers elle, les sourcils froncés.

– Quelles rumeurs ?

– Eh bien, sur certains talents que tu aurais... ceux-là même qui t’ont valu autant d’amants. Je veux dire, tu m’as à peine mise dans ton lit qu’on a déjà un enfant ensemble, taquina-t-elle.

Elle fut aussitôt ravie d’entendre le rire de June résonner dans la pièce.

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4 février 2015

Chapitre 6

Neva se demanda sérieusement si June n’était pas en train de l’éviter lorsqu’elle trouva sa cellule totalement déserte le lendemain matin. Non pas qu’elle puisse l’en blâmer, puisqu’elle-même devait bien reconnaître que son absence la soulageait.

Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle allait bien lui pouvoir dire.

Et redoutait encore plus les réponses que June allait bien pouvoir lui apporter.

Alertée par des éclats de voix, elle sortit dans le couloir vêtue d’un simple short et d’un débardeur et jeta un coup d’œil curieux par-dessus la rambarde, aussitôt surprise de voir deux hommes se bousculer à tour de rôle au rez-de-chaussée, haussant un peu plus la voix à chaque fois.

June ne lui avait décidément pas menti quand elle lui avait dit que les conflits étaient difficilement évitables, mais heureusement, Soann apparut une fois encore assez rapidement afin de calmer le jeu. Neva l’observa non sans admiration se faufiler derrière l’un d’eux, lui bloquer le bras dans le dos et le plaquer contre le mur avant d’empêcher l’autre d’avancer de sa main libre. Neva pouvait dire qu’elle lui parlait, lui intimant certainement de se calmer, mais Soann parlait d’une voix trop faible pour qu’elle puisse l’entendre.

Neva prit appui sur un coude, le menton dans la main. Cette femme la fascinait, là où Tawny possédait la force et Tegan la rapidité, Soann combinait les deux. Mais contrairement à June qui avait parfois l’air d’une véritable panthère sur le point de bondir sur sa proie, Soann avait toujours l’air calme et contrôlé, peu importe la situation.

Pas étonnant qu’ils l’aient laissée aux commandes de la prison pendant leur absence, pensa-t-elle.

Finalement, l’homme baissa les bras et partit, rapidement suivi par celui que Soann tenait contre le mur, puis par Soann elle-même.

– Impressionnante, hein ? remarqua Tawny en apparaissant à ses côtés.

– Très, acquiesça Neva. Ces types font deux fois sa taille et pourtant, elle les a arrêtés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Tawny frotta sa barbe de trois jours, les bras en appui contre la rambarde.

– Ah ça, quand on la connaît, on apprend très vite à ne pas se frotter à elle.

Neva haussa les sourcils, Soann maîtrisait certes l’art du combat, mais quand même.

– Elle est si terrible que ça ?

– Tu l’as dit toi-même, ces types n’ont pas perdu de temps pour déguerpir, ça veut bien dire ce que ça veut dire, non ? renchérit Tawny avec un sourire en coin. Je sais que je n’aurais pas perdu de temps pour déguerpir. 

Neva lui offrit un regard ouvertement sceptique.

– Toi ? rétorqua-t-elle. Celui-là même qui peut soulever n’importe quoi à mains nues ?

Tawny hocha frénétiquement la tête, et Neva fut même prête à parier qu’elle l’avait vu frissonner. Elle sentit sa mâchoire s’affaisser. Soann était grande et élancée, agile sur ses jambes et rapide, mais Tawny possédait une force incommensurable. Elle eut du mal à imaginer comment cet homme si fort, si puissant, dont le corps faisait honte aux plus grandes stars du ring de l’époque, pouvait avoir peur de cette femme si menue.

Ou alors, ça avait un lien avec ses pouvoirs.

Maintenant que j’y pense, c’est vrai qu’elle ne se sépare jamais de ses gants...

Un raffut soudain résonnant depuis le rez-de-chaussée la tira cependant de ses pensées et Neva baissa à nouveau les yeux, surprise de voir une dizaine d’hommes entrer dans la pièce avec de gros sacs sur leurs épaules. Autour d’eux, les applaudissements fusaient, rapidement accompagnés de cris de joie lorsque l’un d’entre eux renversa le contenu de son sac au beau milieu de la pièce. Quatre étages les séparaient, mais Neva put cependant percevoir qu’il s’agissait principalement de vivres et de vêtements. Elle leva un regard interrogateur vers Tawny.

– Nos pillards sont enfin de retour, sourit-il, visiblement satisfait lui aussi. Avec un peu de chance, tu vas pouvoir arrondir tes maigres possessions, ajouta-t-il dans un clin d’œil. Les nouveaux venus ont toujours la priorité sur leurs trouvailles.

– Ils ont trouvé ça où ? s’étonna Neva. Et puis, ce sont qui ces hommes, au juste ?

– Des pirates, rétorqua Tawny en haussant les épaules. Ils pillent les villes et ramènent tout ce dont on peut avoir besoin.

Ah. Je comprends mieux où June est allée pêcher cette idée-là quand on a fêté Noël.

– Et ils ont besoin d’armes pour ça ? rétorqua Neva, distinguant aisément les fusils et objets tranchants que chacun des hommes portait à leur ceinture, autour de leurs chevilles ou dans leur dos.

– On ne sait jamais sur qui on peut tomber là-dehors. Les rondes des soldats, les animaux sauvages... les humains.

Neva repensa malgré elle à la ville de Nazino et un frisson remonta le long de son dos.

– Certains ont bien conscience que ce n’est pas après eux que l’Etat en a, et dans un monde désormais dépourvu de règles et de dictats... qui irait les condamner s’ils se décidaient à brutaliser, tuer ou même violer ?

Neva sentit la nausée monter en elle. L’Enfer avait pris le pas sur la Terre, et elle fut soudainement reconnaissante de ces réfugiés, qui, comme Noé, n’avaient rien fait de plus que construire leur propre Arche.

– Viens, reprit Tawny en posant une main contre ses reins. Je suis sûr que tu vas pouvoir trouver une ou deux tenues pour toi et Mia.

💕

Le soir même du retour des « pirates », une fête immense fut organisée au sein de la cafétéria. La musique résonnait entre les murs de la prison ; guitares sèches, maracas, tam-tams... un groupe de jeunes avait pris place sur une estrade improvisée et la bonne ambiance régnait, aidée par l’alcool qui coulait à flots.

Neva sentit un sourire s'étirer sur ses lèvres lorsqu'elle vit Mathis et Tawny danser parmi la foule. Elle ne savait pas si c'était le côté calme et posé de ce dernier ou encore cet air de grand ours protecteur qu’il dégageait, mais Mathis ne le lâchait pas d’une semelle, au point que ces deux-là étaient littéralement devenus inséparables.

Assises autour d'une table située non loin, Skye et Mia se nourrissaient de fruits à tour de rôle, chaque bouchée entrecoupée d'interjections et de fous-rires. Mais Neva détourna rapidement le regard suite à son observation. Elle avait peut-être promis à Mia qu’elle ne s’interposerait pas entre elles, l’idée de les savoir ensemble ne la réjouissait pas pour autant. L’adolescente allait peut-être souffler ses quatorze bougies, Skye en avait toujours dix-sept.

Installée légèrement en retrait avec Tegan, elle laissa ses yeux glisser vers l’arrière de la pièce et aperçut aussitôt June, confortablement appuyée contre le mur tandis qu’elle discutait avec deux femmes et un homme que Neva ne connaissait pas. Deux d’entre eux étaient visiblement en couple, mais la troisième était un peu trop proche de June à son goût et semblait passer son temps à lui murmurer des paroles à l’oreille. Si bien que lorsque la main de l’inconnue, posée sur l’avant-bras de June, remonta jusqu’à son épaule, Neva détourna les yeux, le feu aux joues, incapable de dire ce qui l’agaçait le plus entre sa réaction et cette femme qui ne savait visiblement pas garder ses mains pour elle. 

– J’en conclus que tu ne lui as pas encore parlé ? remarqua Tegan qui l’avait observée.

Neva secoua la tête.

– Je ne l’ai pratiquement pas vue ces derniers temps.

– Hmm... elle est pas mal prise en ce moment, avec l’arrivée de nouvelles recrues, remarqua Tegan d’un air pensif, avant de s’expliquer lorsque Neva l’observa avec interrogation. Tu sais déjà qu’on dispose d’une école, mais on a mis également de nouveaux cours à disposition ; jusqu’à présent, on avait surtout des activités manuelles centrées sur l'art, les loisirs et la survie. On a ajouté le sport. Comme tu le sais, Soann enseigne le self-défense, Tawny se consacre à l’endurance et moi, à la souplesse. June propose des séances de relaxation ; ça aide les jeunes à canaliser leurs pouvoirs.

Neva n’en fut qu’à moitié surprise. Au cours de l'Histoire, l'humanité avait développé une variété de techniques destinées à préserver, transmettre et/ou élaborer des connaissances, comme l'école, les encyclopédies, la presse écrite ou les ordinateurs. Aujourd’hui, il ne restait plus rien de ces procédés. L’enseignement bénévole mis en place au sein de la prison, en plus d’assurer l'alphabétisation, permettait ainsi de doter les citoyens de raison et de sens critique. Le but n’était pas de faire de la connaissance un enjeu de pouvoir comme cela avait pu être le cas par le passé, mais de permettre au contraire à chacun de mieux comprendre les événements, leur incidence et d’agir en conséquence. Skye et Mia, ainsi que de nombreux adolescents, se voyaient ainsi dans l’obligation d’assister à des cours portant sur le savoir-faire, le savoir technique, la connaissance des langues, la connaissance des traditions, légendes, coutumes, idées d'une culture particulière, l’Histoire... Des savoirs mettant en perspective les connaissances ponctuelles sur le long terme, et assurant la survie quotidienne.

Le combat contre l’Elite était cependant une lutte à deux niveaux, alors Neva n’avait pas été étonnée d’apprendre que l’on misait aussi sur l’art des combats et de la défense. Mais concernant June, elle aurait justement pensé que cette dernière aurait préféré enseigner des techniques de lutte, avant de se raviser. June dégageait quelque chose de calme, de posé. Le genre de personnes à faire preuve de sang-froid dans n’importe quelle situation alors aider les jeunes à maîtriser leurs pouvoirs par le biais de la détente lui convenait peut-être plutôt bien, finalement.

Un jeune homme s’arrêta devant leur table et Neva haussa un sourcil interrogateur lorsqu’elle vit son regard sombre rivé sur elle, avant de sentir une sensation étrange la parcourir, un parfum envoûtant lui faisant oublier qui elle était et où elle se trouvait. Subjuguée, elle se laissa retomber contre le dossier de sa chaise, assaillie par une bouffée de chaleur, consumée par un désir charnel si intense et si pur qu’elle –

Un claquement de doigts devant son visage la remmena au présent.

– Neva, je te présente Bradley, notre Enchanteur national, gronda Tegan entre ses dents, les yeux plissés. Brad voici Neva, la Reine des Glaces, précisa-t-elle dans un sourire dénué d’humour. Ne va pas te faire de fausses idées, elle est –

– Totalement désintéressée, coupa June, apparaissant comme par magie derrière le siège de Neva.

Un faux sourire barrait son visage tandis qu’elle posait une main possessive sur l’épaule de Neva.

Bradley se passa une main dans les cheveux, libérant un doux parfum aux arômes aphrodisiaques.

– Oh, je pensais...

– Tu pensais mal, interrompit à nouveau June, prenant la main de Neva dans la sienne afin de l’entraîner avec elle.

Encore hébétée par ce qui venait de se passer, Neva n’eut d’autres choix que de se laisser entraîner et elles quittèrent la fête d’un pas pressé.

June ne reprit qu’une fois qu’elles avaient atteint les escaliers.

– Bon sang Neva, t’as perdu la tête ou quoi ? gronda-t-elle entre ses dents tout en montant les marches deux par deux.

Neva haussa les sourcils, tenant le rythme avec difficulté.

– Hein ? s’exclama-t-elle. Qu’est-ce que j’ai fait ?

– Parler avec un Charmeur, non mais je te jure, marmonna June en serrant le poing.

– Ben, techniquement, on n’a pas vraiment parlé... sans compter que c’est lui qui est venu me voir, et puis qu’est-ce que tu fais d’abord ?! s’exclama Neva en essayant de se dégager.

– Je t’empêche de me pousser à faire une bêtise, gronda June en raffermissant sa prise.

– T’empêcher de faire une bêtise ? Non mais qu’est-ce que ça veut dire ?

– Ça veut dire, gronda June alors qu’elles atteignaient le quatrième étage. Que j’étais à deux doigts de faire de ce type une torche humaine ! s’exclama-t-elle en lui faisant face.

Neva haussa les sourcils avant de croiser les bras sur sa poitrine, la mâchoire serrée.

– Pourquoi ? Simplement parce qu’on discutait ? T’as pas le droit de m’empêcher de parler avec qui j’ai envie. D’ailleurs, pour info, tu t’es pas gênée pour le faire, toi !

June afficha aussitôt un sourire suffisant.

– Tu m’observais ? demanda-t-elle, visiblement ravie de l’apprendre.

Neva roula des yeux tout en grognant intérieurement.

– Là n’est pas la question ! C’est ta réaction totalement démesurée le problème.

– Oh, tu crois ? Parce que si tu penses que tout ce qu’il voulait c’était discuter, oui, on a en effet un problème ! rétorqua June en les conduisant jusqu’à sa cellule, refermant la grille dans un geste brusque derrière elle. Ce type est un Charmeur, Neva. Il avait autre chose en tête qu’une simple conversation !

Neva soupira, agacée.

– Et alors ? Je suis assez grande pour veiller sur moi. T’avais pas besoin de débarquer comme ça et... et... décider pour moi de ce que je peux ou ne peux pas faire !

June haussa un sourcil, les bras croisés sur sa poitrine.

– Ah ouais ?

Neva se sentit légèrement défaillir. Elle aurait très probablement dit « oui » peu importe ce que Bradley lui aurait demandé, pour la simple raison qu’il avait visiblement tout pouvoir sur sa libido. Mais, même si la petite voix à l’intérieur de sa tête pensait qu’elle faisait preuve de puérilité en pensant ainsi, elle aurait voulu accepter rien que parce que June se trouvait visiblement en agréable compagnie pendant ce temps-là et qu’elle ne le supportait pas.

– Oui, affirma-t-elle.

June ne put retenir un sourire malgré son regard noir.

– Donc tu aurais accepté une invitation à danser. Et après ? demanda-t-elle tout en la déshabillant du regard. Parce qu’il aurait voulu passer à quelque chose de plus horizontal, et avec beaucoup moins de vêtements. Alors... tu aurais dit quoi, à ce moment-là ?

Neva se sentit rougir, encore plus lorsque June s’approcha d’elle.

– J’aurais dit...

Une main se glissa sur son ventre et elle sentit sa respiration s’arrêter lorsque le bouton de son short céda, avant de tomber sur le sol.

– June, qu’est-ce que tu fais ? souffla-t-elle.

– Juste une petite mise au point, sourit June tout en insinuant ses mains sous le débardeur de Neva, caressant sa peau chaude. Alors ? Qu’est-ce que tu aurais dit ?

Quelques centimètres à peine les séparaient à présent et Neva leva les yeux vers June. Cette dernière regardait ses lèvres avec tellement d’envie, de désir qu’elle mit bien plusieurs secondes avant de parvenir à prononcer le moindre mot.

– Non, souffla-t-elle. J’aurais dit « non ».

June frôla ses lèvres tout contre les siennes : 

– Tant mieux. Car j’ai... aucune... envie... de te voir danser... avec... n’importe qui... d’autre.

Les paroles de June pénétrèrent le brouillard qui semblait envelopper son esprit et Neva haussa un sourcil, hésitant à en entendre plus. June avança, la forçant à reculer jusqu’à ne plus pouvoir, et posa les mains sur le mur, de part et d'autre de sa tête, l'emprisonnant entre ses bras. Elle scruta intensément chaque trait de son visage, puis pencha la tête et posa ses lèvres sur son cou, juste au-dessous de son oreille, avant de murmurer :

– Aucune.

Un long frisson parcourut Neva. Les longs cheveux de June lui chatouillaient délicieusement la peau tandis qu'elle traçait du bout de la langue de petits sillons mouillés le long de son cou. Lorsqu'elle remonta lentement vers son oreille, saisit le lobe entre ses dents et le mordilla doucement, elle ferma les yeux, les poings serrés, bouleversée.

Puis June cessa de lécher sa peau, la suçant à présent avec volupté et Neva fut certaine qu’elle allait avoir une marque dans le cou.

Sa marque.

Cette seule pensée suffit à l'embraser et un désir violent, irrépressible, l'assaillit, la forçant à lâcher un gémissement désespéré.

Les lèvres de June s'aventurèrent plus bas, vers le petit creux à la base de son cou où son pouls battait frénétiquement, et elle la sentit sourire avant de poursuivre sa délicieuse exploration. Sa bouche glissa sur la peau de sa gorge, puis plus bas encore, effleurant le tissu de son débardeur.

Son cœur battait à tout rompre, et le souffle lui manqua lorsque June se mit à caresser ses seins à travers le tissu. Ses lèvres en épousèrent la rondeur. Du bout de la langue, elle traçait de petits cercles autour de leurs pointes qui durcissaient déjà. La sensation était si intense qu'un éclair presque douloureux lui traversa les reins, et elle sentit ses jambes se dérober sous elle, la forçant à presser ses paumes contre le mur pour ne pas tomber.

June s'accroupit et elle sentit ses lèvres chaudes effleurer sa peau, descendre vers son ventre. Ses muscles se contractèrent sous la traînée de feu de sa caresse et, lorsque la pointe de sa langue glissa dans son nombril, Neva ne put retenir un gémissement.

June posa ses mains sur les siennes, les emprisonnant contre le mur, et ses lèvres effleurèrent l'intérieur de sa cuisse pour que ses jambes s'écartent tout naturellement, s'offrant à elle.

Jamais encore son corps ne s'était montré si prompt à la trahir.

Lorsque June pressa son visage entre ses jambes, son souffle était chaud, ses lèvres si humides contre le tissu de son short, qu’elle tenta aussitôt de libérer ses mains, désirant les enfouir dans les cheveux de June afin de presser son visage contre elle, de guider sa bouche plus près encore, mais June mêla ses doigts aux siens et la maintint captive.

Neva pouvait sentir sa chair palpiter, une pulsation entêtante qui irradiait son ventre, ses reins et lorsque June plaqua sa bouche contre son sexe à travers le tissu fin, elle se sentit perdre pied.

La chaleur de son souffle, sa langue se faisant plus insistante, elle était au comble de l'excitation. Et lorsque June pressa le bout de sa langue juste là où il fallait, elle renversa la tête en arrière et accueillit sans réticence les sensations bouleversantes qui l'assaillaient et la montée inexorable du plaisir en elle, jusqu'au moment où, pareil à une lame de fond, l'orgasme la submergea.

Ce ne fut qu'à ce moment-là, à l'instant même où elle chavirait, que June libéra ses mains, s’adossa au mur et l’attira contre elle lorsqu’elle glissa jusqu’au sol.

Plusieurs minutes plus tard, la respiration revenue à la normale, Neva leva les yeux vers June.

– Tu ne veux pas me partager avec quelqu’un d’autre ?

June afficha un sourire en coin.

– Non.

Neva s’approcha afin de lui murmurer à l’oreille :

– Moi non plus.

4 février 2015

Chapitre 5

Lorsqu’elle quitta le pays des songes quelques heures plus tard, Neva ne put dire si elle était soulagée ou déçue de se retrouver seule. Enfin, presque seule, puisqu’un petit bout de papier reposait sur l’oreiller à côté d’elle.

Partie pêcher (et bronzer ! ~ Tegan) avec Tawny

A plus tard,

J.

Neva espéra de tout cœur que June et Tegan n’avaient pas écrit le message alors qu’elle dormait totalement nue à côté, car elle allait avoir une mort sur la conscience sinon.

Un seau d’eau ainsi qu’un nécessaire de toilette avaient été placés dans un coin de la pièce et elle en profita pour se débarbouiller avant de descendre au réfectoire. En temps normal, les repas étaient distribués matin, midi et soir mais la cuisine restait ouverte pour ceux qui ne pouvaient prendre leurs repas avec les autres ou qui préféraient manger à des horaires différents.

Une demi-heure plus tard, Neva était occupée à jouer avec les fruits et le riz qu’elle s’était préparée avec sa fourchette quand elle sentit quelqu’un prendre place en face d’elle. Elle leva la tête et fut surprise de voir Tegan, l’air fatigué et le visage plus pâle qu’à l’accoutumée.

Elle fronça les sourcils.

– Je croyais que tu étais partie pêcher... bronzer...

– C’était ce qui était prévu, soupira Tegan en se passant les mains sur le visage. Mais j’ai été prise de haut-le-cœur à peine arrivée à mi-chemin et Tawny, en grand frère protecteur qu’il est, a insisté pour qu’on rentre aussitôt, ajouta-t-elle, sarcastique.

– Elle oublie de préciser qu’elle ne tombe jamais malade, répondit le concerné en déposant une tasse fumante en face de Tegan. Et de nos jours, mieux vaut ne pas prendre le moindre risque.

Tegan leva les yeux au ciel avant de s’emparer du mug et de grimacer.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Neva, plissant du nez face à l’odeur.

– Un remède contre la nausée, marmonna Tegan avant de lever les yeux vers elle. Enfin, d’après nos deux infirmières en chef.

– C’est du gingembre, expliqua Tawny, surveillant Tegan du coin de l’œil afin de s’assurer qu’elle buvait la totalité du contenu.

Une fois terminé, Tegan reposa la tasse dans un bang ! et plissa des yeux en direction de Tawny :

– Je te déteste.

– Je t’aime aussi, sourit Tawny en l’embrassant sur le dessus de la tête avant de s’éloigner.

Tegan leva les yeux au ciel avant de reporter son attention sur Neva. Elle fronça les sourcils.

– Oula, c’est quoi cette tête ? June va devoir passer à la vitesse supérieure si tu te retrouves comme ça juste après avoir bow chica wow wow avec elle, taquina-t-elle dans une petite danse.

Neva cacha aussitôt son visage entre ses mains.

– Ugh, ça veut dire que tu nous as vues alors, gémit-elle, le feu aux joues.

– Non, mais j’ai été surprise de voir June sortir de ta cellule en tenue d’Eve quand je suis allée la chercher, rétorqua Tegan.

Neva soupira.

– Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? demanda-t-elle, un coude sur la table, le visage posé avec lassitude sur son poing fermé.

– Que tu dormais, répondit Tegan en haussant les épaules. Pour le reste, c’était pas si difficile que ça à deviner, d’autant plus que tu l’as embrassée devant une bonne partie de la prison, ajouta-t-elle dans un clin d’œil.

Lorsque Neva détourna les yeux, Tegan prit appui sur la table afin de se pencher légèrement vers l’avant.

– O.K., raconte. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Neva prit une inspiration avant de simplement secouer la tête.

– C’est... rien. Il ne s’est rien passé.

– Bon, qu’est-ce que tu aurais voulu qu’il se passe alors ? répondit Tegan avant de s’expliquer plus sérieusement lorsque Neva haussa les sourcils. J’ai été surprise de découvrir que vous aviez couché ensemble, non pas que June soit du genre à faire preuve de chasteté, mais ça m’a étonné qu’elle te choisisse toi... et que tu acceptes.

Neva joua à nouveau avec la nourriture dans son assiette.

– Eh ben t’es pas la seule, marmonna-t-elle.

Tegan pencha légèrement la tête sur le côté.

– Tu regrettes ? demanda-t-elle.

– Oui, non... peut-être, je sais pas, grimaça Neva. J’ai envie de la trucider les trois-quarts du temps, et puis j’ai pas envie d’être une conquête de plus, Tegan. Je trouve ça... dégradant.

– Hmm. J’ai vu comment tu as réagi quand je t’ai dit que je n’avais pas les mêmes attentes que Jack ; j’ai aussitôt compris que tu étais comme lui. Alors que June...

Tegan se mordit la lèvre avant de soupirer.

– Disons que June est plutôt du genre G.I. Jane alors que toi ben, t’es plutôt Barbie.

– O.K., je suis quasiment sûre que je devrais être offusquée, répondit Neva, croisant les bras sur sa poitrine.

Tegan roula des yeux.

– Disons que toi, tu t’attaches, alors que June... elle s’éclate, elle décompresse. Tu vois ? C’est pour ça que ça m’a surprise.

– Et moi qui pensais que ce serait le fait qu’on se crêpe le chignon au moins une fois dans la journée..., plaisanta Neva sans conviction.

– Nan, ça, ça explique justement pourquoi vous avez enfin fini par coucher ensemble, taquina Tegan. Avoue-le, on ne peut pas se disputer autant sans que ça cache quelque chose. Après, à savoir si c’est une simple frustration sexuelle qui ne demandait qu’à être assouvie, ou plus... 

Neva leva les yeux au ciel, grimaçant malgré elle. Mais lorsqu’elle repensa à la matinée qu’elles avaient passée ensemble – outre le fait qu’elle avait encore du mal à croire qu’elle avait couché avec June – ce qui l’étonnait surtout, c’était que June s'était montrée si attentive, si délicate avec elle, demandant en même temps qu'elle se donne sans réserve, refusant les demi-mesures, si bien que Neva avait vraiment du mal à croire qu’il n’ait pu s’agir de rien de plus que de la quête du plaisir.

Puis elle se souvint de sa réaction au moment de l’orgasme et elle lâcha un grognement tout en se couvrant le visage de ses mains.

– Quoi ? demanda Tegan, surprise par sa réaction.

– J’avais failli oublier combien je me suis ridiculisée, gémit Neva d’une voix légèrement étouffée.

Tegan fronça les sourcils.

– Quand ça ?

– Ce matin, soupira Neva en laissant retomber ses mains sur la table.

Tegan observa ses traits rougis, son air mortifié et elle haussa un sourcil taquin.

– Quoi, t’as lâché un petit pétou ?

– Tegan !

La concernée lâcha un rire.

– Ben quoi ? Ça arrive. Suffit qu’un peu d’air s’infiltre pendant le schmilblick et hop ! Ça m’est arrivé une fois avec Jack, je crois bien que j’ai jamais autant ri de toute ma vie.

Neva sembla percevoir un air nostalgique traverser son visage avant de comprendre de quel genre de pets elle parlait. Elle rougit violemment.

– J’ai pas fait... ça, gronda-t-elle.

– Bon, qu’est-ce t’as fait alors ? demanda Tegan, pinçant des lèvres pour ne pas rire.

Neva plissa les yeux avant de marmonner tout en remuant sur sa chaise :

– Je me suis mise à pleurer au moment... tu sais...

– De l’orgasme ? s’exclama Tegan. Oh c’est trop chou ! Je sais pas pourquoi, j’ai toujours cru que c’était un mythe, que ça faisait « trop gros »... bon sang, elle a dû mettre le paquet alors ! taquina-t-elle.

Neva ne put empêcher un petit sourire d’apparaître avant de soupirer et plonger son visage dans ses mains.

 – N’empêche que c’est la honte, je ne serais pas surprise qu’elle m’ignore royalement après ça.

Tegan lâcha un « pfft ! », l’air de dire « tu rêves ! » avant de poser une main sur son avant-bras.

– Comment est-ce qu’elle a réagi ? Elle t’a dit quelque chose ?

Neva ferma un instant les yeux, se remémorant la scène. Elle secoua légèrement la tête.

– Elle a encadré mon visage de ses mains, avant d’embrasser chacune de mes larmes, souffla-t-elle dans un timide sourire.

Tegan se laissa retomber contre le dossier de sa chaise, la mâchoire pendante.

– Wow.

– Quoi « wow » ? demanda aussitôt Neva, alarmée.

Tegan haussa les sourcils, un sourire taquin apparaissant sur ses lèvres.

– J’ai bien l’impression que notre G.I. Jane savait parfaitement à qui elle avait affaire. Jouer la carte du romantisme pour notre Barbie, tu m’étonnes qu’elle en soit venue à te faire pleurer !

Neva lui tira la langue tout en lui lançant un grain de riz. Elle attendit que le rire de Tegan s’éteigne avant d’ajouter, hésitante :

– Elle est toujours comme ça ? Avec ses conquêtes, je veux dire.

Tegan haussa les épaules.

– Elle aime s’amuser, et même si elle a plutôt tendance à mener la danse, elle est aussi du genre à s’adapter à la personne avec qui elle est.

Elle ajouta lorsqu’elle vit Neva soupirer :

– Cela étant dit...

Neva leva les yeux vers elle, son attention piquée. Tegan se mordit la lèvre avant de lâcher :

– Je ne veux pas te donner de faux espoirs ; je n’étais pas là. Mais ce que je peux te dire, c’est que si tu veux plus qu’une simple nuit, qu’une simple histoire de sexe sans attaches, parle-lui, Neva, dit-elle en posant une main sur la sienne. Car telle que je la connais, June fera comme si rien ne s’était passé. Pas par embarras, c’est juste qu’elle opère comme ça. Elle ne couche jamais deux fois avec la même personne.

Elle leva les yeux au ciel lorsque Neva haussa un sourcil sceptique.

– O.K., à part moi, et Tawny, concéda-t-elle. Mais c’est différent, on est comme... une famille.

– Ce qui rend les choses encore plus perturbantes, grimaça Neva. Et ça te gêne pas qu’elle batifole également avec ton propre frère ?

Tegan haussa les épaules, un sourire taquin sur les lèvres.

– Tant qu’elle ne s’amuse pas à comparer les notes...

Neva roula des yeux.

– Reste qu’elle est très loin de me porter dans son cœur, Tegan. Elle a passé les derniers mois à remettre mes moindres faits et gestes en question, j’ai même parfois l’impression que le simple fait que je respire l’agace.

– Je te l’ai dit, elle n’est pas méchante, tempéra Tegan. June a vraiment un bon fond. Cela étant dit, elle a été très loin de faire preuve d’objectivité avec toi, mais vu les circonstances, difficile de l’en blâmer...

Elle s’expliqua lorsque Neva l’observa avec confusion :

– Depuis le temps, je pensais que tu aurais fait le rapprochement. Tu te souviens de notre première conversation ? Quand je t’ai dit que June avait horreur qu’on écoute aux portes ? 

Neva hocha silencieusement la tête.

– Qu’est-ce que tu as entendu ce jour-là ?

– Je ne sais plus trop, répondit Neva, les sourcils froncés. June parlait de quelqu’un, de quelqu’un qui était censé être en sécurité...

La prise de conscience la frappa et elle leva les yeux vers Tegan.

– Elle parlait de Mia.

– Bingo, sourit Tegan. Je savais que tu avais fait le rapprochement quand les pouvoirs de Mia se sont manifestés. June ne s’est pas montrée désagréable avec toi parce qu’elle ne t’aimait pas, mais parce que malgré toutes les précautions qu’elle avait prises, Mia courait quand même un danger. Et je pense que c’est surtout le sentiment d’impuissance face à la situation qui l’a rendue comme ça. Tu faisais de ton mieux, June le savait, mais pour elle ce n’était pas suffisant, ça n’aurait jamais été suffisant, parce que c’est sa fille qui était en jeu, finit-elle avec compassion.

Neva l’observa, sidérée. Les longs mois qui venaient de s’écouler prenaient soudainement un sens différent, dédouanant d’une certaine façon la rancœur qu'elle avait nourrie envers June. Elle ne pardonnait pas les paroles que cette dernière avait pu avoir à son égard, mais elle les comprenait désormais ; June avait seulement voulu bien faire.

– Elle me l’a même dit, marmonna-t-elle pour elle-même, se remémorant les paroles que June avait eues lors de leur ronde, après qu’elles aient surpris Skye et Mia en train de s’embrasser : Neva... la façon dont je t’ai traité au début, crois-le ou non, mais j’avais vraiment tes intérêts à cœur, pour toi et pour ta famille.

Elle s’affala sur la table, abasourdie.

– J’ai l’impression de découvrir une nouvelle personne.

– Oh elle a toujours été là, juste sous ton nez, rit Tegan. Mais je suis contente que tu t’en aperçoives enfin. Heureusement, ton subconscient a été un peu plus rapide !

Neva détourna le regard, les joues en feu mais un sourire étira néanmoins ses lèvres. Il disparut cependant pour laisser place à un soupir.

– Reste que je ne suis probablement rien de plus qu’une conquête de plus pour elle.

Tegan marqua une pause avant de poser une main sur la sienne :

– J’adore June, mais je détesterais te voir souffrir, et je sais qu’au fond, elle aussi. Alors parle-lui, O.K. ?

Neva se mordit la lèvre avant de hocher la tête.

4 février 2015

Chapitre 4

Dans sa cellule, Neva arpentait la pièce comme un lion en cage, incapable de comprendre ce qui venait de se passer. Son corps venait de la trahir, elle ne voyait pas d’autres raisons pouvant expliquer pourquoi elle avait embrassé June.

Embrassé June.

Ugh.

Ce devait être à cause de tout ce sport qu’elle venait de faire. Sa libido en avait forcément pris un coup.

Ou peut-être était-ce parce qu’elles s’étaient, au contraire, plutôt bien entendues ces dernières semaines, suggéra la voix dans sa tête, poussant Neva à gémir ouvertement, les mains enfoncées dans ses cheveux. Elle devait cependant bien s’avouer que depuis leur conversation sur le toit ce jour-là, juste avant de quitter Crane Lake, leurs rapports avaient été plus paisibles, même... agréables. Mais au point de vouloir l’embrasser ?

June la sortait complètement de sa zone de confort, l’irritant comme personne ne savait le faire. Elle lui tapait sur les nerfs, l’agaçait et pourtant, Neva réalisa qu’elle lui faisait aveuglément confiance. June était le genre de personne dont la simple présence occupait toute la pièce, au regard si intense qu’il semblait vous englober. Une femme raisonnable, sensée, qui vous faisait vous sentir en sécurité.

Et elle la désirait autant qu’elle la trouvait insupportable.

Horrifiée, Neva porta une main à ses lèvres. Ça n’avait aucun sens. Bien sûr, avec le manque de pudeur de June, Neva savait que cette dernière avait un corps de rêve, une silhouette athlétique aux courbes assurément féminines mais cela n’enlevait rien à sa personnalité souvent impudente. J’ai envie de la tuer les trois-quarts du temps, j’aurais tout de la masochiste si je craquais pour elle !

Elle sursauta lorsqu’une silhouette apparut soudainement à l’entrée de sa cellule. 

– Bon sang, June, s’exclama-t-elle en portant une main à sa poitrine avant de marquer une pause.

Elle avait la désagréable impression que June était en train de la dévorer du regard.

– Je peux t’aider ?

June s’approcha, le regard fixé sur les lèvres de Neva et lorsqu’elle s’arrêta, elles étaient quasiment nez à nez.

– Possible, répondit-elle, son souffle chaud caressant Neva.

Elle pencha la tête sur le côté, d’une façon comme elle seule savait le faire, ses yeux noisette détaillant chacun des traits du visage de Neva comme si elle la voyait pour la première fois.

– Tu m’as embrassée.

Neva avala difficilement. Le mur dans son dos ne lui laissait pas beaucoup de marge de manœuvre, et cette façon que June avait de la regarder, tel le prédateur guettant sa proie... elle avait l’impression que ses jambes allaient céder sous elle. Elle s’en voulut une fois de plus de ne pas avoir réfléchi et de l’avoir embrassée. Et forcément, il lui avait suffi d’entrebâiller la porte pour que June prenne cela pour une invitation à entrer.

L'esprit en ébullition, les sens enflammés par la chaleur du corps de June tout près du sien, elle tenta de formuler une pensée cohérente.

– C’était..., parvint-elle à articuler à grand-peine. J’étais...

Que pouvait-elle répondre ? Contrôlée par la peur ? Le soulagement ? Les excuses pouvaient être nombreuses, mais elles n’enlèvevaient rien au fait que June avait raison : elle l’avait embrassée.

– Hmm ? demanda June, ses doigts frôlant le visage de Neva.

– ...reconnaissante.

June haussa un sourcil, son regard passant des lèvres de Neva à ses yeux.

– Tu m’as embrassée parce que tu étais reconnaissante ?

– Tu m’as sauvée la vie ! protesta aussitôt Neva.

June lâcha un rire.

– Ah, et donc tu embrasses tous ceux qui viennent à ta rescousse ?

– Non, marmonna Neva, embarrassée. C’est... écoute, j’ai paniqué, j’ai pas réfléchi et...

– Et tu m’as embrassé, réitéra June, visiblement amusée.

Neva voulut poursuivre, mais June était si près qu’elle ne savait pas où poser son regard. Si seulement elle pouvait s’écarter un peu... Elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration, mais quand elle les rouvrit, il était trop tard. June était sur le point de faire ce qu'elle s'efforçait d'éviter à tout prix ; elle se penchait vers elle pour l'embrasser.

– June... on ne devrait pas.

– Je pense au contraire qu’on devrait, murmura June tout contre ses lèvres. C’est juste du sexe Neva, entre deux adultes... jeunes... sexy... et consentantes.

Elle me trouve sexy ?

– J’ai jamais dit que j’étais consentante, haleta cependant Neva.

June afficha un sourire en coin.

– T’as pas besoin, ton corps le fait très bien pour toi.

Leurs bouches furent à peine entrées en contact qu’une décharge électrique sembla la parcourir et lorsqu’une plainte rauque jaillit de sa gorge, elle fut surprise de réaliser qu’elle en était la responsable. C’était une terrible erreur, elle ne pouvait pas être de nouveau en train d’embrasser June, et encore moins en train d’y prendre du plaisir !

Pourtant, elle se consumait littéralement au contact de ses lèvres.

Elle tenta de se dégager, mais June captura son visage entre ses mains, l'empêchant de bouger. Leurs regards aux pupilles dilatées plantés l’un dans l’autre, aucune ne fit un geste pour briser le charme. Et quand finalement, la langue de June caressa sa lèvre inférieure, Neva crut défaillir.

C’était comme si l'une et l'autre avaient saisi que, ayant transgressé les limites, elles n'avaient plus rien à perdre en allant au bout de leur désir.

Et tant pis pour les conséquences.

Neva enfouit ses doigts dans les boucles épaisses et June en profita aussitôt pour l'appuyer contre le béton froid, sa bouche dévorant la sienne, tandis qu'elle encerclait ses poignets et les plaquait sur le mur, au-dessus de sa tête, pressant ses hanches contre les siennes. Gémissante, submergée par un déferlement de sensations enivrantes, Neva répondit en enroulant ses jambes autour des cuisses de June et se collant plus étroitement à elle.

Elle n'avait jamais connu d’amant, mais, loin d'être offensée ou effrayée de la hardiesse de June, elle en était au contraire transportée, comme si, subitement, c'était la chose la plus naturelle du monde. Et lorsque June la dévora du regard, tandis que ses mains, sa bouche, s'activaient sur chaque centimètre carré de son corps, elle renversa la tête en arrière et se laissa aller à l’ivresse délicieuse et étourdissante qui la submergeait par vagues.

Peu importe ce qu’elle pourrait bien penser demain. Pour l’instant, plus rien ne comptait, pas même les larmes de délivrance qui dévalaient ses joues.

4 février 2015

Chapitre 3

Arrivée au dojo à l’heure convenue, June fut agréablement surprise de voir que Soann avait fait un travail remarquable en son absence ; la pièce avait été aménagée afin de devenir la salle d’entraînement idéale : shurikens, poignards, épées et bâtons de combat de toutes sortes étaient accrochés aux murs. Un punching-ball occupait un coin, face à un mannequin de frappe. Le sol était couvert de tatamis et l’un des murs disparaissait intégralement derrière une lignée de grands miroirs ayant connu des jours meilleurs.

Soann apparut devant elle et même si elle la regardait tel le chat qui s’apprêtait à manger la souris, June ne put s’empêcher de sourire. Elle adorait la montée d’adrénaline qui accompagnait une épreuve physique et elle devait bien admettre que ses séances de lutte avec Soann lui avaient manqué.

Elle retira ses chaussures avant de venir prendre place face à Soann sur le tapis.

– Prête ? interrogea Soann, repositionnant ses gants qui ne la quittaient jamais.

June répondit en l’attaquant par un coup de poing au niveau du menton accompagné d’un coup de pied de la jambe gauche afin de désarçonner Soann, mais cette dernière réagit d’instinct et bloqua aussitôt son geste. Le sourire aux lèvres, Soann répondit par un coup de pied frontal que June esquiva à son tour et elles passèrent les minutes suivantes à échanger ainsi quelques frappes.

Même si le manque d’entraînement se voyait, Soann fut quand même impressionnée. June était rapide, mais elle était aussi plus agressive que défensive : sa précipitation à riposter en était la preuve. Et malheureusement pour June, Soann savait tourner ce trait de caractère à son avantage. Ainsi, lorsque June prit appui sur son autre jambe, Soann testa sa réactivité en lui assenant un coup de pied retourné, la touchant aussitôt au niveau de la cuisse. Déséquilibrée, June tituba et Soann recula pour se mettre hors de sa portée.

– Touchée, provoqua-t-elle dans un sourire.

June reprit position tout en plissant des yeux avant de jouer alternativement des pieds et des mains, mais au fur et à mesure qu’elle augmentait sa vitesse de frappe, elle perdait en prudence et en précision. Soann était peut-être plus grande, mais elle se déplaçait surtout avec souplesse et agilité et, lorsqu’elle feignit de perdre l’équilibre sous l’une de ses attaques, June tomba dans le piège et Soann effectua aussitôt un blocage double de dégagement, suivi par un coup de pied crocheté retourné. Elle afficha un sourire vainqueur lorsque June trébucha et tomba lourdement sur le tapis.

Elle se pencha au-dessus d’elle, à peine essoufflée.

– Je serais probablement hors de moi si je n’avais pas pris autant de plaisir à t’écraser comme une mouche, taquina-t-elle avant de lui tendre une main afin de l’aider à se redresser.

– Même préparée, tu serais toujours meilleure que moi, rétorqua June en la suivant jusqu’aux gradins.

Soann afficha une moue pensive avant de sourire par-dessus son épaule.

– Possible, reconnut-elle avant de s’assoir.

Elle but une gorgée d’eau avant de passer la bouteille à June puis s’empara d’une serviette afin d’essuyer la transpiration sur son visage.

– Vous êtes revenus plus nombreux que prévu finalement, demanda-t-elle passé un temps. Les enfants aussi ont des pouvoirs ?

– Mia est comme moi, répondit June, ignorant l’air intrigué qui traversa aussitôt le visage de Soann. Quant à Mathis, il n’a rien révélé pour l’instant. Tout ce qu’on sait, c’est que l’Elite a enlevé sa mère et en avait visiblement après lui.

– Il est encore jeune. Il pourrait s’écouler encore des années avant qu’il ne dévoile le moindre pouvoir.

Son front se plissa et son visage afficha un air songeur.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda June en se frottant maladroitement la joue.

Aborder des sujets personnels avec Soann lui donnait toujours l’impression d’être indiscrète.

– Tu sais, une fois tout ça terminé, je me disais...

– Je te promets qu’on fera tout pour le retrouver, assura aussitôt June en posant une main sur la sienne, ayant aisément deviné ce à quoi elle faisait référence.

Soann et son frère avaient été séparés lors des derniers affrontements de l’insurrection. June savait qu’elle ne cessait jamais de penser à lui.

Soann cligna des yeux, la gorge nouée. Puis, brusquement, elle retrouva l’énergie qui la caractérisait.

– On y retourne ? lança-t-elle, les sourcils arqués comme pour mettre June au défi.

– Hmm, fit June en frottant ses côtes endolories. Ça dépend, tu comptes baisser d’un cran l’agressivité ou pas ? grimaça-t-elle. 

Soann croisa son regard. Malgré ses traits toujours tendus, une lueur malicieuse illuminait clairement ses yeux.

– Tu me trouves agressive ? demanda-t-elle d’une voix douce tout en prenant position. Oh mais tu n’as encore rien vu.

June sentit un sourire naissant lui tirailler les commissures des lèvres.

Elle savait reconnaître un challenge quand on lui en lançait un.

💕

Une heure plus tard, Neva apparut à l’encadrement de la porte et fut peu rassurée de voir June en profiter aussitôt pour s’échapper, un bras pressé contre sa poitrine.

– Bonne chance, grimaça-t-elle en passant à côté d’elle.

Entrant dans la pièce avec hésitation, Neva se tordit nerveusement les mains lorsqu’elle vit Soann qui l’attendait sur les tatamis et elle s’approcha à contrecœur.

– Le prends pas mal mais... je ne vois pas vraiment l’intérêt d’apprendre à me battre quand je peux geler n’importe quoi.

En voyant le petit rictus qu’affichait Soann, elle sut que sa tentative de se défiler avait échoué.

– June ne t’a pas raconté son histoire ? répondit Soann, les mains sur les hanches. Son enfermement au sein d’une prison de l’Elite ?

Elle poursuivit lorsque Neva hocha la tête.

– Dans un endroit comme celui-là, où la zéolithe est présente jusque dans les murs, tes pouvoirs te sont inutiles. On a été doté de certains avantages, certes, mais qui ne sont pas invulnérables, alors si on veut avoir une chance de remporter la mise...

– Mieux vaut mettre toutes les chances de notre côté, conclut Neva en hochant la tête. Compris.

Soann sourit.

– Tu as déjà combattu avant ? demanda-t-elle en replaçant ses gants.

– Hmm non... quoique, j’ai tenté de frapper June une fois, ça compte ?

Soann haussa un sourcil, visiblement impressionnée.

– Ça dépend, qu’est-ce que ça a donné ?

– Rien, elle a bloqué mon poing avant qu’il n’entre en contact avec son visage, grimaça Neva.

Soann lâcha un rire.

– Ça ressemble bien à June ça, acquiesça-t-elle avant de s’avancer vers Neva. Montre-moi.

Neva hésita avant d’obtempérer lorsque Soann insista d’un signe de la tête. Elle n’avait pas mis autant de force que lorsqu’elle avait voulu frapper June qui l’avait énervée à l’époque, mais Soann n’eut aucun mal à arrêter son poing elle aussi.

– C’est ce que je pensais, remarqua Soann en la relâchant. Tu fixes l’endroit que tu veux frapper avant même de porter le coup. Ton adversaire a juste à suivre ton regard, la façon dont tu positionnes ton corps, et il peut automatiquement parer tes attaques.

Neva fronça les sourcils.

– Mais comment est-ce que je peux me battre si je ne dois pas regarder ?

– Tu dois faire confiance à ta vision périphérique, répondit Soann. En gardant les yeux fixés sur la poitrine de ton adversaire, il ne pourra pas prédire tes gestes mais te laissera la possibilité de prédire les siens, et surtout de les voir arriver.

Neva baissa les yeux vers l’endroit désigné et se sentit aussitôt rougir. Soann avait enfilé une simple brassière de sport et cette dernière laissait peu de place à l’imagination.

La voix légèrement amusée de Soann lui parvint :

– Je peux enfiler une veste si tu veux ?

Neva releva les yeux vers son visage, mortifiée et Soann lâcha un rire.

– Y a pas de mal, rassura-t-elle. Au contraire, je trouve même ça plutôt flatteur, taquina-t-elle avant de reprendre plus sérieusement. Prête ?

– Aussi prête que possible, soupira Neva en dégourdissant ses bras.

Soann s’empara de l’un des bâtons qui reposait contre le mur avant d’interroger Neva du regard. Neva hocha la tête, le regard fixé sur la poitrine de Soann, et arrêta aussitôt le bâton lorsqu’il voulut entrer en contact avec son abdomen. 

– Tu vois ? Tu l’as arrêté avant même qu’il ne te touche, sourit Soann. On va travailler sur ça aujourd’hui. Prête ?

Neva prit une profonde inspiration avant de hocher la tête et elles passèrent le reste de la matinée à travailler sur sa défense. 

💕

Neva regagnait tout juste sa cellule, les muscles endoloris, lorsqu’une alarme stridente retentit le long des couloirs de l'immense prison. Les mains plaquées sur les oreilles, elle regarda frénétiquement autour d’elle dans un élan de panique avant de poursuivre Soann lorsqu’elle fila comme une flèche à côté d’elle.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle une fois arrivée à sa hauteur, essoufflée.

– Aucune idée, mais vu l’alarme, le problème vient du côté nord de l’île.

Neva ne sut pas exactement ce qu’elle voulait dire mais comprit qu’ils avaient vraisemblablement des alarmes différentes en fonction du versant de l’île concernée.

La prison se trouvant à moins de deux kilomètres du côté nord, elles arrivèrent rapidement sur place et Neva réalisa avec soulagement qu’il ne s’agissait que d’une prise de bec entre quelques hommes d’une trentaine d’années.

Soann s’approcha aussitôt dans l’espoir de ramener le calme et Neva s’écarta le long des côtes afin de la laisser faire son travail. Rapidement, les individus semblèrent se calmer, jusqu’au moment où Neva entendit celui situé juste devant elle en insulter un autre dans sa barbe. L’homme réagit aussitôt en le poussant violemment en arrière, droit sur Neva et, surprise, elle eut tout juste le temps de se replier sur elle-même dans un réflexe de protection, avant d’être projetée vers l’avant. Ses pieds glissèrent sous elle, et elle se sentit aussitôt basculer dans le vide, réalisant avec horreur que la force de l’impact l’avait menée jusqu’au bord des côtes.

Le regard fixé sur les rochers frappés par la houle juste en bas, elle pensait tout juste que c’en était fini pour elle lorsqu’un bras s’enroula soudainement autour de sa taille et la tira péniblement vers l’arrière, laissant son corps en équilibre à moitié dans le vide.

– Tawny..., gronda une voix contre son oreille ; celle de June.

Il l’aidait très certainement à les éloigner du vide.

Une seconde s’écoula, peut-être deux, puis elle partit soudainement en arrière et se retrouva assise à même le sol à un mètre du vide.

La respiration saccadée, elle entendit vaguement June lui demander si ça allait, mais Neva ne l’écoutait pas. Elle n’était pas tout à fait sortie de la peur terrible qui l’avait enveloppée, si bien qu’au simple son de sa voix, elle tournoya dans les bras de June et se jeta à son cou avant de l’embrasser droit sur la bouche.

4 février 2015

Chapitre 2

Reposée, Neva s’éveilla et s'étira comme un chat le lendemain matin, bâillant profondément tout en se frottant les yeux. Après autant de temps passé sur les routes, elle était incapable de se rappeler la dernière fois qu'elle avait aussi bien dormi, et ce, dans un lit. 

La veille, June lui avait expliqué que la vie au sein de la prison commençait toujours très tôt due au système mis en place, si bien qu’elle ne fut pas surprise lorsque des bruits de voix et d’agitation lui parvinrent. D’après June, les tâches étaient réparties équitablement entre les membres et changeaient chaque semaine. Ainsi, si un groupe venait de passer les sept derniers jours à s’occuper de l'entretien des pièces communes, il passait les sept suivants à gérer le ravitaillement par exemple.

Pieds nus, elle se leva et sortit dans le couloir, prenant appui contre la rambarde afin d’observer l’activité au rez-de-chaussée. Le flux de passants était largement plus dense que la veille, mais ce qui intrigua surtout Neva, ce fut la façon dont certains semblaient s’exprimer ; dans des sonorités divergentes et diffuses, certaines plus mélodiques que d’autres.

– Bien dormi ? demanda June en apparaissant à ses côtés.

Neva hocha la tête d’un air absent, les yeux rivés sur les quelques personnes qui discutaient en bas.

– Comment vous faites pour communiquer si chacun parle une langue différente ?

June prit appui contre la rambarde, les mains croisées devant elle.

– Certains en maîtrisent deux, parfois trois, ça aide. On a aussi beaucoup recours au langage des signes mais ça nous permet aussi d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui se passe là-dehors, dans chaque pays.

– Tu sais ce qui se passe dans chaque pays ? s’exclama aussitôt Neva.

– Pas exactement, répondit June. Mais ces réfugiés viennent du monde entier, et chacun apporte avec lui son expérience personnelle. On essaye de rester informés le plus possible, ça nous aide aussi à rediriger ceux qui ne veulent pas rester ici vers des endroits sûrs.

Elle se mordit la lèvre l’air pensif avant de poser une main sur ses reins.

– Viens, je vais te montrer, ce sera plus clair pour toi.

Neva la suivit silencieusement jusqu’à un autre bâtiment de la prison, celui situé juste derrière le réfectoire, le long de la côte. June la conduisit dans une salle de taille moyenne modestement meublée, et elle fut surprise de voir une carte du monde dessinée à main nue recouvrir la totalité de l’un des murs.

– Les points rouges représentent les centres de l’Elite dont nous avons connaissance, expliqua June, et Neva sentit la nausée monter en elle quand elle remarqua qu’ils occupaient chacun des continents, avec une présence plus ou moins étendue selon les pays. Et les points bleus, ce sont des refuges. Parfois aussi grands que le nôtre, parfois plus petits.

– Ils sont plus nombreux que l’Elite, murmura Neva sans pouvoir s’empêcher d’y trouver un certain réconfort.

– C’est vrai, mais peu d’entre eux sont aussi peuplés que le nôtre, et il existe encore certainement beaucoup d’endroits où l’Elite se cache que nous ne connaissons pas encore.

Neva fut de nouveau prise de nausée.

– L’Afrique est la plus touchée, remarqua-t-elle.   

– Les expérimentations ont commencé là, acquiesça June. Mais contrairement au vaccin contre la polio, dont l’un des composants est fortement soupçonné d’avoir transmis le virus du Sida à l’Homme, les résultats ont été encore plus critiques. Des millions de victimes sont mortes avant qu’ils ne réalisent qu’il n’y avait pas de solution autre que la procréation par voie naturelle.

June secoua la tête, visiblement en colère.

– Des millions d’enfants morts pour rien.

– Des enfants ? s’exclama Neva, le ventre noué.

– Ils pensaient que ce serait plus simple de changer le code génétique chez un nourrisson que  chez un adulte. Malheureusement, la plupart de cobayes mourraient à peine après qu’ils aient commencés.

Neva ferma les yeux et inspira profondément, chassant désespérément les images qui tentaient d’envahir son esprit.

– Je ne sais même pas comment on a fait pour... devenir ce qu’on est devenu, quels genres d’expérimentations ont-ils bien pu opérer ?

June tendit une main vers les nombreux ouvrages qui occupaient les étagères longeant le mur contigu à celui de la carte et en tendit un à Neva.

– Exposition à l'énergie nucléaire, répondit-elle tandis que Neva commençait à feuilleter l’ouvrage. Nos facultés surnaturelles seraient dues à Tchernobyl, Fukushima et tous les accidents et essais atmosphériques d’armes nucléaires pratiqués entre 1945 et 2015.

Le regard de Neva s’arrêta sur la première page et un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Liste d'accidents nucléaires impliquant du matériel nucléaire. La table des matières les répertoriait encinq catégories : Accidents dans des centrales nucléaires de production d'électricité, Accidents liés à l'industrie civile du combustible et des déchets, Accidents dans le domaine de la recherche, Accidents liés à l'utilisation de sources radioactives en médecine et dans l'industrie, Accidents dans le domaine militaire.

Les accidents étaient classés par décennies, et aucun continent n’avait été épargné. Neva se sentit prise de vertige lorsqu’elle remarqua l’astérisque en bas de page : Certains accidents étant couverts par le secret-défense ; leurs circonstances et leur gravité ne sont pas connues avec précision.

Elle parcourut quelques pages, lisant tout haut :

– « ... divulgué seulement un an après... fuite d'effluents radioactifs ayant pollué le canal voisin... nuage radioactif contaminant une région entière sur 800 km²... plus de 200 personnes décèdent... 470 000 personnes sont exposées aux radiations... »

Elle referma le volume d’un coup sec, le ventre noué.

– 1945 tu disais ? Je suis née en 2000 et je pensais être la seule à pouvoir... geler les choses comme ça. Si ça remonte à si loin, pourquoi a-t-il fallu attendre l’insurrection pour que ça devienne public ? demanda-t-elle, reposant l’ouvrage là où June l’avait pris.

June haussa les épaules.

– La peur j’imagine, et vu ce qui s’est produit par la suite, je ne peux pas dire que je les blâme. Quoi qu’il en soit, c’est héréditaire, alors l’un de tes parents était forcément doté la même faculté que toi.

Mes parents ? Neva repensa aux quinze années qu’ils avaient eues ensemble, avant que l’insurrection ne les sépare pour toujours. Etait-il possible qu’eux aussi aient été différents ? Mais pourquoi ne lui auraient-ils rien dit ? Pourquoi le lui auraient-ils caché ? Pour la même raison que je n’ai jamais rien dit aux triplés pour moi et Mia ? Pour me protéger ?

Neva ressentit comme un pincement au cœur et elle reporta son attention sur la carte, visiblement secouée. Passé un temps, elle parvint finalement à donner sens à ce qu’elle voyait et elle fronça les sourcils.

– La Grèce, la Russie et la Corée sont complètement désertes.

– La révolte d’Athènes en 2012 a été la première étincelle. Tout a commencé là, rapidement suivi par d’autres grandes villes telles que Paris, Seattle, Los Angeles et bien d’autres encore. L’exaspération a laissé place à la rage contre une économie mondiale en ruine, des inégalités sociales extrêmes atteignant des niveaux stupéfiants, des guerres brutales et un climat planétaire devenu incontrôlable. Une insurrection sociale et des manifestations violentes sans précédent ont éclaté, portant le nom d’« εξέγερση » (/ɛ̃syʁɛksjɔ̃/). Le gouvernement a engagé BlackWater, une entreprise américaine militaire privée pour protéger le Parlement grec et tous ont simplement fini par s’entretuer.

     « En parallèle de ça, la Russie et la Corée sont entrées en guerre au moment de l’insurrection, avec les Etats-Unis, le Japon et la Chine. Autant dire qu’avec l’absence de scrupules que la Corée du Nord a eu à utiliser ses armes atomiques, ils se sont quasiment autodétruits. Parmi les rares à y avoir mis les pieds, personne n’a jamais croisé de survivants, et aucun réfugié russe ou coréen n’a jamais mis les pieds ici.

– Notre pays est pourtant toujours habité, aussi bien par l’Elite que par les réfugiés..., remarqua Neva.

– Parce qu’il y fait suffisamment chaud pour pouvoir y survivre, répondit June. Regarde, l’Irlande, l’Ecosse, et tous les pays du nord de l’Europe ont été les moins touchés par l’insurrection, et sont pourtant aujourd’hui déserts.

Neva observa la carte dans son ensemble, les sourcils froncés. L’Elite possédait visiblement plus de moyens si elle avait la possibilité d’envoyer des cyber-robots dans le monde entier, et d’effectuer des expériences sur des gens comme elle et June. Pourtant, elle avait, elle aussi, fui les pays froids. 

– L’Elite a tiré profit de cet exode, pas vrai ? remarqua-t-elle enfin. Tous ces gens ont trouvé refuge en un seul endroit, là où il faisait chaud. Elle n’a eu qu’à les cueillir, murmura-t-elle, écœurée. 

– C’est pour ça que nous devons rester prudents. Chacun de nos repères est quasi impossible à trouver à moins de savoir où il se trouve.

– Comment les réfugiés font-ils pour vous trouver alors ?

June afficha un sourire en coin.

– De la même façon qu’on t’a trouvé toi. Le bouche-à-oreille a gagné en popularité ces derniers temps, les réfugiés nous sont d’une grande aide afin de savoir où se trouvent les survivants, combien ils sont et s’ils ont besoin de notre aide. Les autres centres nous aident aussi, comme on les aide en retour si on a vent d’un groupe de survivants situé non loin d’eux. Pour le reste, chaque refuge dispose d’une équipe faisant des rondes, couvrant un certain nombre de kilomètres entourant le refuge afin de rediriger tout vagabond chez nous, ou pour nous prévenir du moindre danger qui rôde.

Neva hocha la tête, un faible sourire s’étirant sur ses lèvres.

– Vous avez vraiment pensé à tout.

– C’est plutôt indispensable par les temps qui courent, remarqua une voix derrière elle d’un ton pince-sans-rire.

Neva se retourna et vit la femme qui les avait accueillis la veille au soir confortablement appuyée contre le chambranle de la porte. Maintenant qu’elle la voyait en plein éclairage, Neva dut bien admettre qu’elle possédait définitivement quelque chose de ténébreux avec ses cheveux bruns tirés en arrière, ses yeux gris sombre et son visage aux pommettes saillantes et au teint mat. Le genre de femme qui se passe très bien de maquillage, pensa-t-elle en détaillant ses longs cils bruns et ses sourcils parfaitement dessinés.

– Soann s’assure du bon fonctionnement de la prison, expliqua June. Même si elle niera constamment être notre leader, taquina-t-elle.

L’heure tardive à laquelle ils étaient arrivés la veille avait réduit les présentations au minimum, et Neva fut surprise de voir cette femme à la présence si imposante se mettre à rougir.

– Je n’ai rien d’une meneuse, dit-elle en entrant dans la pièce. J’essaye simplement de faire régner l’ordre.

Elle ouvrit les trois battants d’une armoire métallique encastrée dans le mur, dévoilant aussitôt un arsenal bien fourni ; armes à feu, couteaux de tailles diverses aiguisés comme des rasoirs, bâtons, shurikens, machettes, et un bon nombre d’autres instruments dont Neva n’avait pas la moindre connaissance.

June siffla entre ses dents.

– Tu réalises qu’avec tout ça, tu formes une armée à toi toute seule ?

Soann sourit légèrement :

– C’est peut-être un peu exagéré, mais j’aime être bien préparée. Je pensais commencer les entraînements demain, intéressée ?

June fit la moue et Soann fronça les sourcils, suspicieuse :

– Tu t’es entraînée pendant ton absence, pas vrai ?

Elle roula des yeux lorsque June resta silencieuse.

– Retrouve-moi au dojo demain dès le lever du soleil. Et sois à l’heure, intima-t-elle avant de dévier le regard vers Neva. J’espère que je t’y verrais aussi, c’est toujours un plaisir d’avoir de nouvelles recrues, ajouta-t-elle avant de les saluer d’un signe de tête et de quitter la pièce. 

Neva prit l’invitation pour ce qu’elle était : un ordre à peine déguisé. Elle ne put cependant s’empêcher d’afficher un sourire une fois Soann ayant disparu.

– Elle t’a menée par le bout du nez, j’aurais jamais cru voir ça un jour.

June se contenta de reporter son attention sur la carte, non sans grommeler, et Neva l’imita, morte de rire.

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