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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

7 décembre 2014

Disclaimers

Seconde Chance

 Copyright © 2015

Seconde Chance

Genre : Fantastique, Romance

 

Cette fiction traite d'une histoire d'amour classée NC -18 (No Children 18 and Under Admitted) mettant en scène deux femmes. Ce qui veut dire que si vous avez dix-huit ans ou moins, et que si l'idée de deux femmes ensembles vous répulse, vous êtes grandement invité à passer votre chemin  :D  

Pour les autres, je vous souhaite un très bon moment de lecture et j'espère que cette histoire vous plaira. Un gros merci d'avance de prendre le temps de me lire.

Longueur : Vingt-trois chapitres + Un épilogue. 80 000 mots environ.

Résumé : Les grecs l'avaient compris depuis longtemps : Chaque être humain est dualité. Il a besoin de polarités négatives et positives pour fonctionner, de principes opposés qui se complètent et s’affrontent afin de maintenir un équilibre indispensable à son bien-être. Mais que se passerait-il si cet équilibre venait un jour à être perturbé ? Si, soudainement, le Génie du Bien et le Génie du Malin décidaient de ne plus jouer selon les règles ? Malheureusement pour elle, Kat est sur le point de le découvrir...

 

Note de l'auteure : Il est important de rappeler que l'appropriation d'écrits appartenant à autrui est illégal. Ces écrits sont les miens et sont "protégés du fait même de leur existence." Pour plus d'information, c'est par ici : Code de la propriété intellectuelle

En conséquence, si jamais l'envie vous prenait, sachez qu'il vous est interdit de vous emparer de mes écrits pour les reposter ailleurs, qu'ils soient accompagnés ou non d'un lien vers ce site. La seule chose que je vous autorise, c'est justement un lien vers ce site, rien de plus  ;)  Un peu de publicité n'a jamais fait de mal à personne !  :D 

En vous remerciant de votre compréhension.

 

 

Prologue :

Son regard vint se perdre dans la boule de cristal. En appui sur un petit socle, elle reposait au cœur même d’une colonne de marbre dont les gravures étaient les témoins artistiques de ses ancêtres. Quant aux visions qu’elle lui transmettait, elles n’avaient, pour leur part, aucun secret pour elle.

Elles étaient la raison de son existence.

Une légère brume s’éleva autour d’elle, annonciatrice de leur arrivée imminente, et elle leva les yeux pour voir le Conseil des trois l’entourer. C’était la première fois qu’elle se retrouvait en leur présence, personne ne les voyait jamais. Des histoires couraient, des contes, des légendes ; mais jamais personne ne les avait approchés.

Ils étaient les tout-puissants qui les observaient et les guidaient de là-haut.

Elle observa les phoenikis de couleur pourpre et blanc qui recouvraient leurs têtes et venaient caresser le sol à leurs pieds, si bien que seule la moitié de leurs visages lui était visible. La forte lumière blanche qui les entourait l’empêcha cependant de distinguer clairement leurs traits. Les épaules hautes, les mains croisées dans le dos, les pieds qu’elle devinait légèrement écartés ; ils inspiraient le respect, l’admiration et la crainte de par leurs statures imposantes. 

« Le Conseil a longuement étudié votre requête. »

Son visage se tourna légèrement sur la droite, vers le membre du Conseil qui venait de lui adresser la parole par télépathie, leur seul moyen de communication.

« Cette dernière — exceptionnelle — n’est pas à prendre à la légère, il nous faut nous assurer que vous réalisez bien ce dans quoi vous vous engagez. Beaucoup de risques sont en jeu. Les conséquences pourraient en être dévastatrices. »

Leurs visages se détachèrent de la boule de cristal pour se tourner vers elle.

« Le moindre échec de votre part », enchaîna le second membre, « équivaudrait à votre retour immédiat, suivi d’une sentence irrévocable. »

« J’en accepterai les conséquences. »

Il lui était inutile d’élaborer, ils connaissaient chacune de ses pensées, des plus personnelles aux plus futiles.

Un léger silence s’installa avant que le troisième membre ne prenne la parole :

« N’oubliez pas, retrouver votre humanité ne signifie pas que vous ne nous appartenez plus. À partir du moment où vous serez toujours une Daï-Natha, nous pourrons vous retrouver, peu importe le moment, ou l’endroit. »

Leurs visages se tournèrent de nouveau vers la boule de cristal et, de la même façon qu’il était apparu, le Conseil disparut dans un léger nuage de fumée.

La réflexion qui prit aussitôt place dans son esprit fut cependant rapidement interrompue par la silhouette qui s’approcha d’elle depuis l’autre côté de la boule de cristal. Tout comme elle, sa chevelure légèrement ondulée était aussi grise que le cercle argenté qui ornait le dessus de sa tête ; son himation dévoilait en partie un torse musclé finement dessiné, et ses iris étaient pour leur part aussi gris que les cothurnes qui recouvraient ses pieds.

La seule chose qui la différenciait de lui était ses formes féminines et la longue chevelure qui reposait sur son épaule gauche, mais comme tous leurs confrères, ils dégageaient quelque chose de puissant mêlé à une impression de souplesse et de majesté.

Il s’arrêta devant elle, de l’autre côté de la boule de cristal, et posa ses paumes sur celle-ci avant de la regarder droit dans les yeux.

« Vous êtes prête ? »

Les images changèrent sous ses mains et celles qui y apparurent désormais lui furent inconnues, la poussant à relever un regard interrogateur vers son escorte.

« Votre nouvelle vie vous attend. »

Ses mains se détachèrent enfin de la sphère pour venir encadrer son visage, ses index et majeurs se positionnant sur ses tempes, et elle porta à son tour ses mains sur la boule de cristal.

Leurs regards s’accrochèrent et elle réalisa à peine que la lumière blanche qui les entourait devenait de plus en plus forte, jusqu’à ce que, d’un coup, le noir total l’englobe.

💕

Un souffle explosif s’échappa de ses lèvres et elle tomba à genoux, la poitrine douloureuse. Un sentiment de vertige et de nausée s’empara d’elle et elle haleta tout en serrant les paupières, suppliant intérieurement pour que le monde autour d’elle cesse de tourner.

Elle essaya d’ouvrir les yeux, mais ils s’humidifièrent aussitôt et lorsqu’un frisson violent la parcourut, elle réalisa qu’elle avait également terriblement froid. Ses dents claquaient et ses mains tremblaient légèrement. Un rapide coup d’œil vers le bas lui apprit qu’elle était entièrement nue et lorsqu’elle regarda autour d’elle, elle remarqua qu’elle était également totalement seule dans cet environnement qui lui était inconnu.

Bon, si c’est leur façon de me dire que ma demande ne leur plaît pas, ils ont réussi. Je suis frigorifiée et très loin d’être rassurée.

Ses mains vinrent frotter ses bras et elle attendit dans l’expectative. Elle était dans ce qu’elle supposait être sa nouvelle demeure ; faite uniquement de bois, elle était spacieuse et très lumineuse. Les murs étaient blancs, les meubles et le sol en bois clairs, créant une atmosphère fraiche et sereine qu’elle aimait beaucoup. Au vu du mobilier, elle se trouvait dans ce qui semblait être le salon, et elle distingua rapidement la cuisine sur la droite, ainsi qu’un bureau situé à côté de la porte d’entrée. Sur la gauche se trouvait un escalier qu’elle supposait mener à l’étage supérieur.

Les minutes s’écoulèrent, et lorsqu’elle commença à redouter le fait de devoir avancer seule dans cette maison qui lui était inconnue, une silhouette apparut soudainement devant elle.

— Mysa ! s’exclama-t-elle aussitôt en venant se jeter dans ses bras.

Sa chevelure grise avait laissé place à un blond clair et ses yeux étaient désormais verts, sa tenue, quant à elle, consistait en un simple t-shirt et short de plage. Elle sourit. Le stéréotype même du surfer.

— C’est ton apparence humaine ? demanda-t-elle en se reculant.

Elle cligna un instant des yeux. La surprise passée, elle réalisa que c’était la première fois qu’elle entendait sa propre voix. Elle était douce, mélodieuse, et contrairement à ce qu’elle s’était attendu, parfaitement maîtrisée.

Elle se surprit à vouloir parler encore et encore juste pour l’entendre.

Mysa s’empara du plaid qui recouvrait le dossier du canapé et vint l’envelopper autour de ses épaules, lui rappelant soudainement sa nudité.

— Non, répond-il enfin. Je suis ton messager, ton unique lien entre notre monde et celui-ci. Et dans ce dernier, je suis ton petit frère.

Elle sourit doucement.

— Il faut sauver les apparences, hein ?

— Exactement. Comment te sens-tu ?

Elle avala sa salive tout en regardant autour d’elle.

— J’ai froid. Mais surtout... Vivante.

Le mot s’échappa de ses lèvres et elle s’interrompit subitement. Elle savait qu’elle ne resterait pas telle qu’elle l’était, semblable à ceux de son propre royaume. Mais elle était loin d’imaginer les sensations qui l’envahissaient à l’instant. À chaque inspiration, ses poumons se gonflaient d’une manière aussi familière que nouvelle, ses yeux clignaient d'un endroit à l’autre et ses oreilles s’attardaient sur le faible bruit de l’électroménager qui les entourait. Les choses n’étaient pas aussi vives qu’elles l’étaient normalement, mais ce n'était pas pire, juste... différent.

Mysa lui offrit un sourire.

— La sensation de froid n’est que passagère ; tu verras, les températures sont particulièrement élevées ici, à Orlando. Tu es prête à en apprendre plus sur toi-même ?

Elle hocha frénétiquement la tête, soudainement impatiente, bien qu’un peu perturbée face à ses sensations nouvelles qui l’envahissaient et auxquelles elle semblait réagir de manière étonnamment naturelle.

— Ton nom est Elysia Sonja Lasheras, ton père était d’origine grecque.

— Elysia...

Le mot s’échappa de ses lèvres et elle réalisa aussitôt qu’elle aimait beaucoup sa sonorité.

— Et ma mère ?

— Finlandaise.

Elle s’empara de l’une des mèches de cheveux qui recouvrait son épaule droite.

— Ça explique pourquoi je suis blonde, sourit-elle. De quelle couleur sont mes yeux ?

Elle l’observa à nouveau et réalisa soudainement qu’elle l’avait coupé dans son devoir. Son visage se réchauffa légèrement.

— Pardon, balbutia-t-elle, touchant sa joue pour s’assurer que tout allait bien.

Mysa lui offrit un sourire indulgent :

— Ils sont bleus. Tu as trente-et-un ans et ceci..., dit-il en désignant son corps, ...est ton apparence corporelle. Tu es en excellente santé, un mètre soixante-dix et une stature athlétique légèrement développée ; tu aimais courir le matin et tu dansais beaucoup. 

Elysia laissa ses mains glisser le long de ses formes comme s’il s’agissait de celles d’une autre personne. Elle n’avait aucun souvenir de sa vie d’avant, et les données que Mysa lui apportait lui étaient tellement étrangères qu’elle avait l’impression qu’il parlait de quelqu’un d’autre.

Ce qui était d’ailleurs le cas. Elle était une Daï-Natha. Elysia Sonja Lasheras n’existait plus depuis bien longtemps.

— Tu te trompes, reprit Mysa, interrompant le cours de ses pensées. Elle vient justement de faire sa réapparition ; tu es exactement celle que tu étais avant. La seule différence est que tu n’en as aucun souvenir.

— Tu peux lire mes pensées ici aussi ? demanda-t-elle, curieuse.

Mysa secoua la tête.

— Non, mais il ne m’était pas difficile de les deviner, sourit-il légèrement.

Une douce chaleur vint de nouveau recouvrir ses traits et Elysia regarda autour d’elle avant de l’observer à nouveau.

— Ce sera comme si... comme si je n’étais jamais morte, alors ?

— À quelques détails près, oui.

— Hmm... et dans la vie, je fais quoi exactement ? demanda-t-elle, intriguée.

— Tu le découvriras toi-même, répondit Mysa en approchant ses mains de son visage.

Il s’arrêta à quelques centimètres de ses tempes, imitant le geste que son escorte avait eu quelques instants plus tôt.

— Prête ? s’enquit-il.

Elysia hocha aussitôt la tête.

— Impatiente, sourit-elle avant de fermer les yeux.

Ses doigts entrèrent en contact avec sa peau et des images s’infiltrèrent aussitôt dans son esprit, défilant à une allure folle. Elle commençait tout juste à se concentrer afin d’en analyser quelques-unes que les mains de Mysa la relâchèrent déjà et tout devint noir.

Elle rouvrit aussitôt les yeux.

— C’est tout ? se plaignit-elle. J’ai même pas eue le temps d’assimiler quoi que ce soit !

Mysa lui sourit.

— Quelle est ta profession ?

Elysia haussa les sourcils avant de sentir son sourire s’agrandir à son tour.

— Woah. Alors ça, c’est trop cool !

— Toutes les données indispensables à ta mission et à ton existence ici viennent de prendre place dans ton esprit. En tant que messager, je serai également là pour t’apporter mon aide si besoin. Tu auras juste à penser à moi, et j’apparaîtrai aussitôt.

Elysia hocha la tête avant de se mordre la lèvre inférieure.

— Ils ne sont pas contents de ma décision, pas vrai ? Je peux comprendre leurs réticences, mais je les ai trouvés tout de même assez extrêmes. À croire qu’ils ont oublié pour quelle raison j’ai entrepris toutes ces démarches.

Mysa lui offrit un sourire compatissant.

— Ils sont simplement prudents ; c’est une première, ne l’oublie pas.

— C’est ta façon de me dire que je vais devoir faire mes preuves ?

Mysa rit doucement avant de pencher la tête sur le côté et froncer légèrement les sourcils.

— Je dois y retourner. Bonne chance.

Elle n’eut même pas le temps de répondre qu’il avait déjà disparu.

💕

Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la ville...

— Enfin sortie de prison et la première chose que tu trouves à faire, c’est de monter sur le toit de ton immeuble pour fumer une clope ?

Un léger sourire étira les lèvres de Kat tandis qu’elle tournait la tête en direction de la voix. Lyna, son amie d’enfance, s’approchait d’elle, une lueur brillante dans le regard, ses longs cheveux châtains malmenés par le vent.

— Après trois ans à être restée enfermée dans une cellule de 9m², tu ne comptes quand même pas m’en blâmer ? répondit-elle, avant de froncer les sourcils. Qu’est-ce que tu fais là, d’ailleurs ? Je te croyais partie rejoindre ton bel et tendre amour..., se moqua-t-elle gentiment.

Lyna lui tira la langue tout en prenant place sur le petit muret.

— Et te laisser passer ta première nuit en liberté toute seule ? Jamais de la vie, répondit-elle avant de désigner le pack de bières qu’elle avait apporté avec elle. Tawny a dû voler au secours de sa sœur, une sombre histoire de lave-vaisselle ayant inondé la cuisine... Mais bref, je sais qu’on avait promis d’attendre ce weekend pour fêter ton retour, mais je me suis dit que tu ne serais pas contre un petit avant-goût ?

Kat se sentit aussitôt saliver.

— Oh bon sang Lyna, j’ai pas touché à une goutte d’alcool depuis... trois ans. T’es sûre qu’un pack suffira ?

Lyna rit légèrement avant de lui tendre une bouteille puis de regarder autour elle, ses yeux verts paraissant gris sous le faible éclairage de la lune. Elle observa un instant les immeubles qui s’illuminaient au loin, les quelques étoiles qui brillaient au-dessus d’elle dans le ciel, avant de relâcher un faible soupir.

— Je suis vraiment contente que tu aies pu sortir sous liberté conditionnelle, tu sais.

— Hmm, qui aurait pu deviner que je savais me tenir à carreau quand il le fallait, hein ? ironisa Kat, avant de prendre une longue gorgée du breuvage doré.

Lyna sourit légèrement, même si son visage prit rapidement un air triste.

— Tu n’avais pas ta place là-bas, Kat. Trois ans quand tu es innocente, c’est déjà terrible, je ne sais pas ce que j’aurais fait si tu avais dû y rester cinq ans comme ta peine le prévoyait.

— J’étais pas innocente, Lyna, rétorqua simplement Kat, les sourcils froncés tandis qu’elle commençait à décoller l'étiquette de la bouteille.

Malgré son chignon improvisé, le vent lui envoya quelques mèches brunes dans le visage et elle les écarta d’un air absent.

— Oh je t’en prie, soupira Lyna. Condamnée pour voies de fait graves quand on est celle qui porte les lésions corporelles les plus importantes, j’appelle ça du foutage de gueule.

Kat haussa un sourcil, sa tâche désormais oubliée.

— C’est moi qui sors de prison, et c’est à toi qu’il faut laver la bouche avec du savon ? taquina-t-elle. Tu devrais peut-être en boire une toi aussi, ça détend, continua-t-elle en désignant le pack.

Lyna hésita avant de secouer la tête.

— Non je... non merci, répondit-elle en portant inconsciemment une main à son ventre. Tu sais que j’aime pas spécialement la bière.

— Une cigarette alors ? proposa Kat, désignant le paquet qui dépassait de la poche arrière de son jean.

Lyna afficha un air blasé.

— Tu sais très bien que je ne fume pas. Et puis tu devrais arrêter, c’est pas bon pour la santé, ajouta-t-elle, s’emparant du paquet sur un coup de tête avant de le balancer dans le vide.

Kat l’observa venir s’écraser sur le trottoir situé juste en bas avec incrédulité, avant de plisser des yeux en direction de Lyna.

— T’as de la chance que je sois sous liberté conditionnelle.

Lyna feignit un air blessé.

— Et moi qui pensais que tu allais dire « que tu sois ma meilleure amie »...

— Après ce que tu viens de faire ? Tu risques de devoir te contenter du statut d’avocate indispensable, taquina Kat en l’attirant à elle, ses yeux marron brillant de malice.

Lyna rit légèrement tout en lui rendant son étreinte.

Même si elle avait rendu visite à Kat chaque semaine en prison depuis le début de son incarcération, ce n’était pas la même chose. L’avoir là, près d’elle, à simplement profiter du vent frais qui caressait leurs visages sous le couvert des étoiles, c’était comme si elle réalisait pleinement combien Kat lui avait manqué et combien ce séjour derrière les barreaux l’avait affectée.

Ce fut probablement ce bien-être soudain qui la poussa à reprendre son sérieux.

— Tu sais, j’aurais vraiment aimé pouvoir t’éviter la prison, admit-elle à mi-voix, comme si elle révélait un secret honteux.

— Lyna... ce qui est fait et fait, répondit Kat en lui caressant le dos. Les circonstances étaient de toute façon contre moi, et puis j’avais ma part de responsabilité dans l’histoire. J’ai fait mon temps, je peux repartir du bon pied maintenant. C’est tout ce qui importe.

Lyna soupira.

— Tu étais déjà repartie du bon pied avant, t’es toujours partie du bon pied, ces types ont tout fichu en l’air. Il faut toujours qu’ils foutent tout en l’air, s’exclama-t-elle, au point d’en avoir les larmes aux yeux.

Quand te laissera-t-on tranquille, toi qui as déjà connu les pires atrocités ?  

— Shhh, murmura Kat et Lyna ferma les yeux lorsqu’elle sentit ses lèvres contre son front.

Elle laissa s’écouler un temps avant de reprendre.

— Tu sais, il va falloir que tu m’expliques cette haine envers la gent masculine. Imagine la tête de Tawny quand je vais devoir lui annoncer que t’as viré de bord, dit-elle, feignant un air embêté qui laissa rapidement place à un sourire en coin. Et moi qui te pensais insensible à mes aventures lesbiennes super hot et super torrides... 

Lyna la poussa tout en levant les yeux au ciel, rougissant légèrement lorsque sa main frôla malencontreusement le sein de Kat.

— Je suis sérieuse, Kat...

— Je sais, répondit Kat avant d’étirer ses bras au-dessus de sa tête. Mais je préfère laisser le passé là où il est. Pour ce soir au moins, ‘kay ?

Lyna l’observa un instant avant de hocher la tête. S’il y avait bien une chose qu’elle savait à propos de sa meilleure amie, c’était qu’elle avait toujours recours à l’humour et au flirt quand elle désirait cacher ce qu’elle ressentait vraiment. Kat détestait afficher sa vulnérabilité. Ce qui la rendait d’ailleurs bien souvent difficile à lire pour quiconque ne la connaissant pas ou ne cherchant pas à la connaître

Elle afficha un léger sourire en coin.

— Kay ? C’est qui ce « Kay » ? T’en parle tout le temps mais on l’a toujours pas rencontré nous, hein !

Kat leva les yeux au ciel, un léger rire s’échappant de ses lèvres.

— T’es une grande folle, tu le sais ça ? dit-elle, prenant une des mains de Lyna dans les siennes. J’ai décroché un boulot, au fait.

— Ah ? s’étonna Lyna, visiblement surprise. T’es sortie ce matin, comment...

— On a droit à certains appels pour faciliter notre réinsertion sociale, rétorqua Kat en haussant les épaules. Et il s’avère que l’un des magazines les plus en vogue de la ville a besoin de quelqu’un au service courrier alors... j’ai postulé, et j’ai été prise. 

— C’est une excellente nouvelle ! sourit Lyna, visiblement sincère. Et puis, tu sais ce qu’on dit, commence par le bas de l’échelle...

— Je veux juste pouvoir payer mes factures, l’interrompit Kat en roulant des yeux. Rien de plus.

— Et c’est tout à ton honneur, acquiesça Lyna avant d’afficher un regard brillant. Mais bon, qui sait...

Kat rit légèrement tout en secouant la tête et Lyna demanda :

— Tu commences quand ?

— Après-demain, ça me laisse le temps de retrouver mon appart, faire quelques courses...

— Déjà fait, coupa Lyna, un sourire ravi sur les lèvres lorsqu’elle vit l’air surpris de Kat. Tu ne pensais quand même pas qu’on allait le laisser moisir pendant cinq ans ? Le frigo est plein, le parquet brille de mille feux, et j’ai même fait ton lit. Il ne te reste plus qu’à bichonner ta mustang. Tawny s’en est occupé, mais pour les grosses réparations, il a préféré te laisser t’en charger. Je crois qu’il avait peur de se faire émasculer si jamais le résultat ne te plaisait pas.

Kat éclata de rire au point d’en avoir les larmes aux yeux.

— Je m’en occuperai. Merci, vous êtes des anges, dit-elle en enroulant les épaules de Lyna de son bras. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans vous.  

Lyna l’embrassa sur la joue.

— Heureusement pour nous, on n’aura jamais à le savoir. Et si jamais quelqu’un venait à te traiter différemment, gare à lui, sinon il risque de se prendre des talons de dix centimètres là où je pense, répondit-elle, ravie de provoquer un nouveau rire de la part de Kat.

Une fois calmée, Kat poussa un soupir de contentement.

— Je pense que cette fois-ci sera la bonne, Lyn’, dit-elle, le regard rivé vers l’horizon. Je ne sais pas pourquoi, mais je le sens. Cette fois-ci, ce sera la bonne.

Depuis sa place contre son épaule, Lyna hocha la tête.

Je l’espère.

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3 décembre 2014

Disclaimers

La Quête

 Copyright © 2015

La Quête

Genre : Aventure, Romance

 

Attention : Ce récit est un spin off de εξέγερση - L'insurrection des Arcans. Il commence là où ce dernier s'est arrêté  ;) 

 

Cette fiction traite d'une histoire d'amour classée NC -17 (No Children 17 and Under Admitted) mettant en scène deux femmes. Ce qui veut dire que si vous avez dix-sept ans ou moins, et que si l'idée de deux femmes ensembles vous répulse, vous êtes grandement invité à passer votre chemin  :D  

Pour les autres, je vous souhaite un très bon moment de lecture et j'espère que cette histoire vous plaira. Un gros merci d'avance de prendre le temps de me lire.

Longueur : Sept chapitres. 7 000 mots environ.

Résumé :  Séparés lors des derniers affrontements de l’insurrection, Soann n'a pas revu son frère depuis. Désormais libre de partir à sa recherche, parviendra-t-elle à le retrouver ? Rien n'est moins sûr, pourtant, grâce à June, toutes les chances semblent bien être de son côté...

 

Note de l'auteure : Il est important de rappeler que l'appropriation d'écrits appartenant à autrui est illégal. Ces écrits sont les miens et sont "protégés du fait même de leur existence." Pour plus d'information, c'est par ici : Code de la propriété intellectuelle

En conséquence, si jamais l'envie vous prenait, sachez qu'il vous est interdit de vous emparer de mes écrits pour les reposter ailleurs, qu'ils soient accompagnés ou non d'un lien vers ce site. La seule chose que je vous autorise, c'est justement un lien vers ce site, rien de plus  ;)  Un peu de publicité n'a jamais fait de mal à personne !  :D 

En vous remerciant de votre compréhension.

 

 

 

– Tu sais, une fois tout ça terminé, je me disais...

– Je te promets qu’on fera tout pour le retrouver, assura aussitôt June en posant une main sur la sienne, ayant aisément deviné ce à quoi elle faisait référence.

Soann et son frère avaient été séparés lors des derniers affrontements de l’insurrection. June savait qu’elle ne cessait jamais de penser à lui.

 

εξέγερση – L’insurrection des Arcans

Soann & June

 

 

Chapitre 1 : Un Partenaire Inattendu

Holy Cross, Alaska

Soann jeta un énième coup d’œil à l’inconnue qui attendait patiemment dans le couloir tandis qu’elle remplissait son sac de vêtements avec des gestes brusques. A cette heure de la journée, le quartier des dortoirs était quasiment désert et elle en avait aussitôt profité pour préparer son départ en toute tranquillité, mais c’était sans compter sur June et ses idées farfelues.

– Je croyais t’avoir dit que j’irais seule, lâcha-t-elle, visiblement agacée.

Confortablement assise sur le lit du haut, les jambes se balançant dans le vide, June porta une main sur sa poitrine, feignant un air blessé.

– Oh ? Vraiment ? Mince, et moi qui pensais que je pouvais t’accompagner...

– Quoi ?

Prise de court, Soann leva les yeux vers elle.

– Je... si, si bien sûr mais je croyais... enfin entre Mia, Neva, l’armée...

– Je te l’avais promis, non ? rétorqua June. Si tu le veux vraiment, je viens mais si tu veux mon avis, Allison te sera bien plus utile. Non, oublie ça, Allison te sera indispensable.

Soann plissa des yeux vers la concernée qui attendait, nonchalamment appuyée contre le mur. L’innocence était peinte sur son visage tandis qu’elle regardait les soldats qui passaient de temps à autre.

– Indispensable ? répéta-t-elle, dubitative.

Allison avait tout de la petite fille qui attendait sa mère à la sortie de l’école.

– Ne jamais se fier aux apparences, réprimanda June en sautant du lit. Neva pensait que tu étais une princesse égyptienne la première fois qu’elle t’a vue.

Les sourcils de Soann s’envolèrent mais elle n’eut pas le temps de réagir, car June faisait signe à la concernée de les rejoindre. Allison entra d’un pas guilleret dans la pièce un sourire aux lèvres, dévoilant deux irrésistibles fossettes avant de tendre une main en direction de Soann.

– Soann, c’est ça ? Enchantée, moi c’est Allison, ajouta-t-elle quand Soann hocha la tête.

Elle désigna sa main tendue entre elles, qui attendait, un sourcil haussé et Soann l’observa à son tour avant de la serrer dans la sienne.

– Jolis gants, remarqua Allison, les yeux rieurs, avant de glisser ses mains dans les poches de son treillis. June m’a dit que tu cherchais ton frère. Et d’après ce que je viens d’entendre, elle t’a également dit que je pouvais t’aider.

Soann jeta un regard en biais à June tout en croisant les bras sur sa poitrine. Elle afficha un sourire ironique.

– J’avais justement hâte d’en apprendre plus.

Allison haussa un sourcil, puis un rire mélodique s’échappa de ses lèvres. June ne lui avait pas menti ; Soann avait visiblement un caractère bien trempé. Mais, loin de se démonter, elle s’avança d’un pas, ferma les yeux et inspira profondément.

Prise de court, Soann voulut se reculer mais Allison l’en empêcha aussitôt en empoignant sa veste. Elle fronça légèrement les sourcils avant d’ouvrir les yeux.

– En moyenne, les faux jumeaux ont 50% de patrimoine génétique en commun, expliqua-t-elle en la relâchant. Mais je n’ai jamais rien senti de pareil ; il n’est jamais venu par ici, conclut-elle, affichant un air désolé.

Soann se contenta de l’observer bêtement, peu sûre de comprendre ce qui venait de se passer. Elle entendit June demander :

– Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Allison leva ses yeux couleur whisky vers Soann.

– On va déterminer sa dernière position connue, puis on se mettra en route. 

💕

Lorsqu’Allison pénétra dans la salle des commandes quelques minutes plus tard, la vingtaine de soldats qui scrutaient religieusement une batterie d'écrans d’ordinateurs, les doigts rivés sur leurs claviers, se mirent instantanément au garde à vous, mais cette dernière les ignora pour venir s’arrêter face à une carte du monde qui occupait la totalité de l’écran recouvrant le mur principal. Elle l’observa un moment, la lueur bleue de l’écran se reflétant sur son visage, avant d’afficher un sourire en coin.

– Rompez.

Les soldats obtempérèrent aussitôt et elle se tourna vers Soann. Cette dernière avait visiblement trouvé son léger abus de l’autorité amusant.

– Tu te souviens de l’endroit où tu l’as vu la dernière fois ?

Le regard gris de Soann s’arrêta sur une ville située au nord du Mexique, elle la désigna du doigt.  

– Mais ça remonte à des années, je doute que tu puisses repérer sa trace après tout ce temps.

– Je pense aussi, mais il nous faut un point de départ. Il possède les mêmes pouvoirs que toi ?

Soann hocha la tête.

– Alors il a probablement trouvé refuge dans les zones tempérées ou arides. On établira différents portraits-robots qu’on enverra à chacune de nos bases, expliqua Allison en désignant les points jaunes qui tapissaient le pays. Ainsi qu’à nos alliés. Je sais qu’il existe certainement encore de nombreux refuges qu’on n’a pas encore répertoriés, mais s’il se trouve dans l’un de ceux qu’on connait, on le trouvera, assura-t-elle, compatissante.    

Soann hocha la tête, le regard rivé sur la carte. Cinq mois s’étaient écoulés depuis leur affrontement avec l’Elite et leur affiliation avec l’armée, un allié qu’elle jugea une fois de plus indispensable dans leur lutte contre l’ennemie. Au pénitencier, leur carte avait été répertoriée avec les moyens du bord, grâce aux réfugiés qu’ils abritaient et aux expéditions qu’ils organisaient mais ce n’était rien comparé à ce que l’armée avait accompli. Ils avaient découvert plus de refuges, de centres de l’Elite et surtout, de bases militaires qui allaient, ils l’espéraient, leur permettre de mettre fin à une lutte qui durait depuis quinze ans déjà.

Elle reporta son attention sur Allison qui attendait patiemment.

– Tu veux réellement m’aider à retrouver mon frère ?

Allison hocha la tête et Soann dut bien reconnaître qu’avec son talent de pistage, elle sera folle de refuser. Et même si Allison avait tout de la gentille fille pleine de charme, elle savait aussi qu’elle était une battante qui n'avait pas peur de manier les armes. Mais...

– Et le chef d'état-major des armées, il en pense quoi de tout ça ? demanda-t-elle, un sourire ironique sur les lèvres.

– Il sera rassuré d’apprendre que je ne me suis pas fait la malle avec l’un de ses soldats, répondit Allison avant de chuchoter de façon conspiratrice, les yeux brillants : je parle de ses soldats hommes, bien sûr. Même si je ne suis pas sûre que le terme te convienne, ajouta-t-elle après réflexion, notant l’absence de tenue militaire.

Suite à la place qu’elle occupait au pénitencier Severide et à ses compétences, Soann s’était vue proposée le grade d’officier quelques semaines après son arrivée mais elle avait aussitôt refusé. Si, à la rigueur, on pouvait faire de quelqu’un un soldat en quelques mois, les officiers, surtout dans les grades élevés, et les états-majors ne s'improvisaient pas. Préférant agir seule, elle avait également refusé le statut de soldat.

– En clair, il ne sait rien, conclut Soann.

– Non, répondit Allison avant de poser une main sur son épaule. Et si tu veux que je t’aide, tu resteras aussi muette que moi.

Elle lui adressa un clin d’œil avant de quitter la pièce.

3 décembre 2014

εξέγερση - L'insurrection des Arcans (Deuxième partie)

 

 

εξέγερση

 

L'insurrection des Arcans

 

Seconde partie

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Chapitre 1 :

Le départ de l’embarcadère se fit en silence, June et Soann ouvrant la marche tandis que les soldats s’effaçaient dans l’obscurité. Il n'y avait pas de lumière, mais la lune éclairait suffisamment pour dévoiler une rue montante qui s’incurvait hors de vue, bordée de bâtiments à l’allure austère et stricte. Le bruit de la roche s’effritant légèrement sous leurs pieds semblait amplifié dans la nuit, et à mesure qu’ils avançaient, Neva se rendit compte que des pancartes ornaient l’entrée de chacune des bâtisses. Elle découvrit ainsi le bâtiment des corps de garde sur sa droite, le comptoir des officiers puis la Chapelle sur la gauche en remontant. La hauteur du château d’eau et celle de la tour de garde lui donnèrent un instant le tournis, mais ce ne fut rien comparé à l’appréhension qu’elle ressentit une fois arrivée devant le bâtiment le plus imposant de l’île.

Celui réservé aux prisonniers.

Elle grimaça lorsque l’imposante porte s’ouvrit dans un grincement insupportable, dévoilant un interminable couloir et Neva fut surprise de voir que certains néons diffusaient encore leur lumière blafarde, éclairant des murs en ciment brut où des restes de peintures s’écaillaient, ainsi qu’une série de grilles qui s’étalaient à perte de vue. 

Autrefois, ce genre d’endroit servait à empêcher les prisonniers de s’enfuir, mais alors qu’elle entendait les grilles se refermer lourdement derrière elle dans un bruit métallique et sourd, Neva ne put s’empêcher de penser qu’on cherchait désespérément à empêcher l’ennemi d’entrer.

Une main sur son épaule la fit légèrement sursauter et elle leva les yeux vers un regard noisette compatissant.

– Il n’y a que comme ça qu’on est sûr d’être en sécurité, expliqua June, ayant visiblement deviné la raison de son malaise. Le pénitencier Severide a ouvert ses portes juste après la fermeture de la prison d’Alcatraz. C’est peut-être pas l’endroit le plus accueillant qui soit, mais c’est suffisamment grand pour tous nous accueillir, suffisamment sûr, et puis, on n’a pas besoin de se cacher ici. Aucune chance pour qu’on nous voie derrière des murs aussi épais.

Neva dut reconnaître que June avait raison, et la végétation environnante devait leur être tout aussi bénéfique. 

Des bruits de conversation leur parvinrent au moment même où les couloirs en béton cédèrent la place à des allées spacieuses bordées de grilles aux barreaux épais, et Neva réalisa rapidement qu’il s’agissait des cellules. Certaines étaient occupées, d’autres non, et lorsque Neva leva les yeux, elle remarqua qu’elles s’élevaient sur pas moins de quatre étages.

Puis les grilles laissèrent de nouveau la place aux murs en béton, et ils pénétrèrent dans une cour intérieure où un chemin couvert les conduisit jusqu’à une pièce immense. Composée principalement de chaises et de tables fixées à même le sol, ainsi que d’une pièce annexe munie de meubles et de plans de travail en aluminium, Neva conclut qu’il devait s’agir du réfectoire, et elle fut surprise par le nombre de personnes qui peuplaient l’endroit. Enfants, adolescents, adultes de tout âge ; les moindres recoins étaient occupés, et le bruit en était presque assourdissant.

Neva les dévisagea, abasourdie.

– June... vous êtes combien à vivre ici ?

June leva un sourcil en direction de Soann, qui s’approcha légèrement.

– Le nombre varie souvent ; c’est un refuge, certains choisissent de rester, d’autres préfèrent n’être que de passage. Mais au dernier recensement, on était un peu plus de 700.

Un peu plus de 700. Wow. Neva eut soudainement l’impression de se sentir submergée. Encore plus lorsque, petit à petit, les regards se tournèrent dans leur direction et les conversations diminuèrent en intensité. Certains la saluèrent d’un signe de tête tandis que d’autres l’observaient avec curiosité, chuchotant entre eux et Neva ne put s’empêcher d’entendre quelques bribes de conservations des tables situées près d’elle : « on dirait une fausse blonde, tu trouves pas ? », « j’aurais au moins pensé qu’elle serait plus grande... moins... banale. ».

Cette dernière réflexion la poussa à inconsciemment resserrer ses bras autour d’elle et elle murmura entre ses dents en direction de June :

– Quel accueil. Vous êtes toujours aussi chaleureux ?

June lâcha un léger rire.

– Ils ont beaucoup entendu parler de toi, tu les intrigues, répondit-elle. Et puis, tu sais ce qu’on dit quand des nénettes passent trop de temps ensemble...

Neva haussa les sourcils et June lui sourit, les yeux brillants :

– Elles jacassent comme des pies.

Neva leva les yeux au ciel, un rire s’échappant néanmoins de ses lèvres. Cependant, elle se tut rapidement lorsque Soann s’avança de quelques pas et fut surprise de voir que le silence se fit aussitôt.

– Les amis, je vous présente Neva, la fameuse « Reine des Glaces », précisa-t-elle dans un clin d’œil en direction de Neva. Neva, je te présente nos confrères, les Arcans.

Neva tenta un faible geste de la main pendant que Soann reprenait :

– Elle, sa fille Mia et le petit Mathis vont élire domicile avec nous, je compte sur vous pour les accueillir comme il se doit et faire en sorte qu’ils se sentent chez eux.

Des acquiescements se firent ici et là et Soann leur souhaita bonne nuit avant de quitter les lieux. June fit signe à Neva de la suivre et elles regagnèrent les cellules d’un pas tranquille, Tawny et Tegan marchant légèrement en retrait afin de ne pas réveiller Mia et Mathis qu’ils portaient respectivement.

June reprit une fois qu’ils eurent atteint les quartiers des détenus :

– Je vais te montrer ta chambre ; au rez-de-chaussée, les cellules sont individuelles, et au dernier étage, ce sont des doubles. Entre, elles peuvent accueillir entre quatre et six personnes. On a choisi de s’installer tout en haut car ça nous permet aussi de garder un œil sur la prison. Les conflits sont rares, mais avec plus de 700 personnes vivant ensemble... ils restent difficiles à éviter. En général on arrive rapidement à calmer le jeu, et avec un établissement aussi grand, c’est plutôt facile d’éviter quelqu’un que tu ne veux pas voir ou avec qui tu ne t’entends pas.

Arrivée au quatrième et dernier étage, Neva était légèrement essoufflée. Les marches n’étaient pas si nombreuses, mais elles étaient raides et elle pouvait sentir que les muscles de ses cuisses avaient travaillé. June la conduisit à l’autre bout du couloir, et attendit que Neva soit arrivée à sa hauteur avant de désigner une cellule.

– Tegan et Skye dorment ici, expliqua-t-elle en tirant légèrement sur l’un des grands draps qui recouvrait la grille, dévoilant une pièce étroite et quasiment dépourvue de biens. On est bien plus souvent sur les routes qu’ici, alors la déco... c’est pas vraiment notre priorité, déclara-t-elle, ayant visiblement deviné les pensées de Neva.

Neva hocha la tête avant de la suivre quelques cellules plus loin, et elles s’arrêtèrent devant celle située tout au bout du couloir.

– Et voici la mienne et celle de Tawny, poursuivit June, écartant une fois de plus un grand morceau de tissu plutôt épais.

Neva remarqua qu’elle était aussi déserte que celle de Tegan et Skye, et conclut, comme elle l’avait soupçonné, qu’ils ne venaient ici que pour dormir.

– Comme tu peux le voir, la plupart des cellules sont libres à cet étage, alors Mia et toi pouvez choisir celle que vous voulez. Tawny va probablement dormir avec Mathis, ce qui laisse encore deux cellules de libre entre celle de Tegan et la mienne si tu veux.

Neva réfléchit un instant avant de désigner la cellule voisine à celle de June. Tawny, qui les avait suivies sans un bruit, s’approcha aussitôt afin de déposer Mia sur le lit du bas. Du coin de l’œil, elle vit Tegan déposer Mathis dans la cellule suivante, avant de rejoindre Skye dans celle située juste après.

June attendit que Tawny les ait quittées à son tour avant de se tourner vers Neva.

– Tu dois sûrement avoir envie de dormir, mais il y a un endroit que j’aimerais te montrer avant.

Elle n’attendit pas de réponse et récupéra quelques vêtements dans sa cellule avant de conduire Neva au rez-de-chaussée, qui la suivit, intriguée. Arrivées en bas, elles s’insinuèrent dans une pièce adjacente flanquée d'un imposant escalier en son milieu et June prit le temps d’allumer une torche avant de la mener au sous-sol. Composé d’un couloir principal bordé de pièces de différentes tailles donnant elles-mêmes sur d’autres salles, ce dernier était plongé dans l’obscurité la plus totale. Après quelques minutes passées à déambuler dans ce véritable labyrinthe, June s’arrêta devant un pan de mur totalement éventré, dévoilant la roche naturelle qui se cachait derrière.

– Attention à ta tête, la prévint June alors qu’elle passait devant.

Heureusement, le minuscule tunnel laissa rapidement place à une cavité immense que June dévoila en allumant plusieurs torches accrochées aux murs, et Neva fut subjuguée par le nombre de bains à remous qui occupaient l’espace et les volutes de vapeur qui flottaient dans l’air. 

Elle n’avait pas besoin de glisser une main dans l’eau pour savoir qu’elle était chaude.

June déposa sa torche dans un support adapté accroché au mur avant de lui faire face.

– Je me suis dit qu’après autant de temps sur les routes, tu apprécierais de pouvoir te détendre, sourit-elle, déposant le tas d’affaires sur une roche sèche.

Elle passa ensuite son t-shirt par-dessus sa tête avant de s’attaquer à son pantalon et Neva détourna aussitôt les yeux, le visage cramoisi. Le feu des torches éclairait faiblement la chambre mais visiblement pas suffisamment pour masquer la nudité de June.

– Tu viens ? demanda June alors qu’elle entrait dans l’eau.

Neva lui jeta un rapide coup d’œil et le regretta aussitôt lorsqu’elle vit que June l’attendait, debout, au milieu du bassin, la surface de l’eau s’arrêtant tout juste sous ses fesses. Elle se retourna tout en jurant entre ses dents.

Le rire de June résonna dans la pièce.

– Allez Neva... t’as rien à cacher que je ne possède pas déjà.

Neva croisa les bras sur sa poitrine tout en marmonnant « c’est pas une raison » et June leva les yeux au ciel tout en soupirant.

– O.K, O.K... j’ai le dos tourné, c’est bon, tu peux y aller, dit-elle, s’asseyant dans l’eau face à la roche.

Neva tourna rapidement la tête pour s’assurer qu’elle disait vrai avant de se débarrasser de ses vêtements et de la rejoindre en vitesse. Elle lâcha un soupir de contentement face à la chaleur de l’eau et sentit aussitôt ses muscles se détendre.

June lui fit à nouveau face, un sourire sur les lèvres.

– Alors ?

– C’est... divin, exhala Neva, ses yeux se fermant d’eux-mêmes tandis qu’elle appuyait sa tête contre la roche.

Une pensée lui traversa l’esprit et elle ouvrit soudainement les yeux.

– Les autres ont prévu de nous rejoindre ? s’alarma-t-elle.

Voir June en tenue d’Eve était une chose, mais si en plus elle devait affronter Tawny, Tegan et Skye avec le risque qu’ils la voient en retour, elle n’y survivrait jamais.

Le rire de June l’arracha de ses pensées.

– Quoi, t’as peur qu’ils découvrent ta minuscule devanture ? taquina-t-elle, levant aussitôt les mains lorsque Neva l’éclaboussa. Panique pas, il doit y avoir pas loin d’une vingtaine de bassins ; ils iront ailleurs.

Neva afficha un air renfrogné mais dut reconnaître que June avait raison ; la chambre était immense, et les bassins étaient suffisamment espacés les uns des autres pour offrir un semblant d’intimité.

– C’est pas parce que ta poitrine est plus développée que tu dois forcément tourner la mienne en dérision, grommela-t-elle néanmoins.

June porta une main à son cœur, feignant un air surpris.

– Elle se fait passer pour une prude mais c’est qu’elle reluque en fait ! taquina-t-elle.

Neva se sentit rougir.

– Tu t’es littéralement tripotée devant moi à Noël ! se défendit-elle. Avec ces soutiens-gorge en dentelle là...

– Et si j’avais su que tu avais autant aimé le spectacle, j’aurais continué, sourit June.

Elle sentit la température de l’eau baisser dangereusement et elle plissa des yeux.

– Neva...

Neva feignit un air innocent, retenant difficilement un sourire. June roula des yeux.

– Tout ça pour voir mes tétons qui pointent, soupira-t-elle.

Neva l’éclaboussa ouvertement et elles se chamaillèrent ainsi jusqu’à épuisement, leurs rires résonnant contre la roche. Exténuée, June s’allongea confortablement, le dos en appui contre le rebord avant d’ouvrir un œil.

– Neva ?

– Hmm ?

– Je plaisantais, tes petits seins sont absolument adorables, taquina-t-elle.

Neva lui envoya un courant d’eau glacée auquel elle répondit aussitôt par de l’eau bouillante, et elles passèrent les minutes suivantes à se chercher ainsi, le sourire aux lèvres.

Qui aurait cru que June pouvait se montrer aussi supportable, finalement ?

3 décembre 2014

Epilogue

Après plus d’une semaine passée sur les routes, ils avaient enfin atteint les terres arides. Neva savait qu’ils auraient pu mettre deux fois moins de temps s’ils n’avaient pas fait pas autant de pauses afin de rendre le voyage le moins pénible possible pour Mia et Mathis, et s’ils n’avaient pas eu à contourner la moindre ville se dressant sur leur passage afin d’éviter d’éveiller les soupçons.

Autour d’elle, les bâtiments en ruine avaient laissé place à des étendues de plaines désertiques et la chaleur étouffante avait poussé June et Mia à trouver refuge sur le toit. Car même si chacun pouvait mettre son pouvoir en veilleuse grâce à la zéolithe, leurs températures corporelles étaient tout de même supérieures à la moyenne, et avec une température extérieure frôlant les 50°C, le moindre degré en plus était rapidement insupportable.

Neva baissa les yeux vers Mathis endormi à ses côtés et elle lui caressa les cheveux, un léger sourire étirant ses lèvres. Ses pouvoirs permettaient néanmoins aux passagers du véhicule de bénéficier d’une température bien plus agréable, avoisinant les 20°C. et si elle en croyait Tegan qui fredonnait de contentement, cette climatisation improvisée s’avérait plus que bienvenue.

Tegan choisit justement ce moment pour réunir ses longs cheveux en une queue-de-cheval haute et Neva remarqua pour la première fois qu’elle aussi possédait un tatouage au niveau de la nuque. Là où ceux de June prenaient la forme de pélicans, ceux de Tegan représentaient trois petits soleils formant un triangle pointant vers la gauche. Un rapide coup vers Tawny lui apprit qu’il en possédait un aussi mais le sien ne représentait que trois points seulement. Neva savait que June et Tegan s’étaient rencontrées alors qu’elles étaient prisonnières de l’Elite, mais elle fut surprise de découvrir qu’apparemment, Tawny avait été lui aussi de la partie.

Un léger Toc toc résonnant sur le toit du véhicule la sortit de ses pensées et Neva sentit l’atmosphère changer autour d’elle, devenir plus lourde et plus tendue. Au moment même où elle discernait une espèce de village perdu au beau milieu du désert à travers le pare-brise, elle entendit Tegan siffler entre ses dents :

– Nazino.

Elle ne l’avait jamais entendu parler avec tant de venin dans la voix, et lorsque Tegan se retourna pour lui faire face, Neva sentit son cœur battre dans sa poitrine.

– Skye, aide June à cacher Mathis et Mia dans le module arrière, ordonna-t-elle, le visage tendu.

Neva cligna des yeux avant de réaliser que le véhicule s’était arrêté et que June avait déjà ouvert la porte arrière afin de récupérer Mathis, toujours endormi à ses côtés.

– Mais... que... Tegan qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle finalement, regardant frénétiquement autour d’elle. Pourquoi est-ce qu’on doit mettre les enfants dans le module arrière ?

Tegan observait les alentours d’un regard aiguisé.

– Tu ne connais pas Nazino ? demanda-t-elle.

Neva haussa les sourcils.

– Non, je devrais ?

– La ville, pas forcément, répondit Tegan en la regardant enfin. Mais l’île de Nazino, ça ne te dit rien ?

Neva l’observa avec confusion, avant de lentement secouer la tête.

– J’imagine que c’est mieux comme ça, répondit Tegan avant d’attraper le sac que June lui lança.

Elle en sortit une série de vêtements qu’elle tendit à Tawny et puis à Neva.

– Enfile ça, ajouta-t-elle avant de s’habiller à son tour.

Neva observa bêtement les vêtements qu’elle tenait entre ses mains et fut surprise de voir qu’il s’agissait d’une tenue militaire. Comment avaient-ils fait pour se procurer ça ?

– Neva !

Neva sursauta avant d’obtempérer et de s’habiller en vitesse. A travers la vitre, elle vit Tawny ramener les bras de June dans son dos et lui passer les menottes avant de l’aider à s’installer à ses côtés, et elle sursauta quand Tegan réunit soudainement ses cheveux en un chignon serré au niveau de sa nuque avant de recouvrir sa tête d’un képi.

Le silence la rendait folle et elle lâcha, un peu plus agacée qu’elle ne l’aurait voulu :

– Ça vous ennuierait de me dire ce qui se passe ?

– C’est le seul moyen si on veut passer, répondit Tegan en regagnant sa place à l’avant.

Tawny remit le véhicule en route et Neva comprit qu’elle n’en dirait pas plus. A mesure qu’ils approchaient, elle eut un aperçu des citadins et des premières habitations de la ville. Tout n’était que ruines et désolation. L’état des routes et des bâtiments lui rappela ce qu’elle avait vu à la télévision, lors de reportages sur les incessants conflits entre Israéliens et Palestiniens, juste avant que l’insurrection n’éclate. De nombreuses personnes circulaient dans les rues, la peau marquée par le soleil, le pas lourd d’une vie pauvre et éreintante.

La plupart des habitants leur jetaient de rapides coups d’œil et retournaient aussitôt à leurs tâches, tandis que d’autres les observaient fixement, quelque chose de haineux dans le regard. Neva remarqua alors que ces derniers n’étaient que des hommes, au physique imposant et qui semblaient superviser ce que d’autres, plus faibles, amaigris, faisaient. Comme... le bourreau et sa colonie d’esclaves.

La pensée eut à peine le temps de lui traverser l’esprit que Neva réalisa que c’était exactement ce qu’ils étaient ; des esclaves condamnés à obéir aux ordres de leurs tortionnaires, sous peine d’atroces souffrances, ou pire.

Le véhicule s’arrêta à nouveau et elle remarqua qu’un barrage bloquait la route quelques mètres plus loin. Des barricades protégées par des hommes armés. Neva sentit un frisson remonter le long de son dos, avant de sursauter lorsque Tegan descendit du véhicule puis ouvrit la porte arrière afin de forcer June à faire pareil.

Elle haussa un sourcil en direction de Tawny.

– J’ai déjà le pied sur l’accélérateur.

Tegan hocha la tête avant de s’approcher de Neva jusqu’à murmurer à son oreille.

– S’ils passent après nous, je veux que tu gèles chacun d’entre eux.

Neva fronça les sourcils de confusion mais n’eut pas le temps de demander plus d’explications que Tegan se dirigeait déjà vers le barrage, entraînant June avec elle.

– Qu’est-ce que... elle ne s’attend quand même pas à ce qu’on les laisse derrière s’ils leur tombent dessus ?

Tawny serra la mâchoire et Neva explosa lorsqu’il ne répondit pas.

– Non mais tu déconnes ! Vous avez des pouvoirs, vous n’allez pas laisser quelques bourreaux vous faire repartir la queue entre les jambes tout ça parce qu’ils ont des armes !

– Les mines de zéolithes se trouvent à moins d’une centaine de kilomètres d’ici, lui répondit Tawny, le ton dur. La rumeur raconte qu’ils en possèdent assez pour nous mettre à leur merci. Alors je ne sais pas toi, mais c’est une théorie que je n’ai pas particulièrement envie de tester.

– Mais...

– June saura s’en sortir, coupa Tawny, comme pour se convaincre.

Le ton de sa voix fit clairement comprendre à Neva que l’idée venait de June elle-même, et elle observa la scène qui s’offrait à elle à travers le pare-brise avec angoisse.

Deux hommes s’approchèrent d’elles et Tegan s’arrêta à un mètre d’eux, avant de se mettre à parler. Celui de gauche jeta plusieurs coups d’œil en direction du véhicule, et Neva vit les mains de Tawny resserrer leur prise sur le volant. Finalement, le soldat s’avança dans leur direction, mais Tegan l’arrêta d’une main sur la poitrine. Outragé, le soldat l’écarta aussitôt brutalement, mais ses protestations s’arrêtèrent brusquement lorsqu’il croisa le regard de June. Neva fut surprise de le voir reculer d’un pas, et encore plus lorsqu’il finit par hocher la tête et faire signe à son collègue de retourner vers la barricade.

Tegan et June firent demi-tour afin de regagner le véhicule et Neva comprit aussitôt ce qui avait provoqué une telle réaction : les yeux de June avaient pris la couleur du feu, lui conférant un air plus que terrifiant. June afficha un sourire en coin, suivi d’un clin d’œil, et ses yeux retrouvèrent leur aspect initial avant qu’elle ne reprenne sa place à l’intérieur du véhicule. 

La barricade désormais ouverte, Tawny s’y faufila en roulant au pas, continuant ainsi jusqu’à ce qu’ils aient traversé la ville. Le centre était semblable à la périphérie, avec toujours plus de bourreaux, et toujours plus d’esclaves. Un groupe de personnes traversa devant eux et Neva fut surprise de remarquer qu’il ne s’agissait que de femmes d’un certain âge, relier les unes aux autres par des cordes nouées à leurs pieds et à leurs poignets. Elles semblaient si affaiblies qu’elles mirent bien cinq minutes à traverser la rue, et lorsque l’homme qui les trainait derrière les observa, Neva entendit Tegan siffler de sa voix venimeuse :

Hijo de puta

Neva haussa les sourcils.

– Bizarrement, j’imagine que ça ne veut pas dire « bonjour ».

Sa réplique parvint à arracher un bref sourire à Tegan avant qu’elle ne secoue la tête.

– Je te demandais si tu connaissais l’île de Nazino, eh bien, c’est exactement pour ça que la ville a été renommée ainsi, expliqua Tegan en désignant le groupe de femmes âgées. On a souvent parlé des crimes du nazisme, mais en 1933, le régime stalinien a mis en place un plan visant à éliminer les « éléments socialement dangereux et nuisibles » de Moscou et Leningrad, mais aussi à régler le problème posé par les koulaks, les paysans résistant à la collectivisation des terres. 6 000 personnes ont été déportées et envoyées sur l’île de Nazino, en Sibérie occidentale. Le problème, c’est qu’ils sont arrivés plus tôt que prévu, et que rien n’était prêt, ni habitations... ni nourriture. Les victimes ont fini par s’entre-dévorer.

Neva prit une inspiration soudaine, sous le choc. Tegan poursuivit :

– Ces femmes, elles sont trop faibles pour travailler, trop vieille pour procréer...

Neva ferma les yeux, ayant déjà deviné la suite. Cela ne l’empêcha pas d’être prise de nausée lorsque Tegan continua :

– Elles et les enfants leur servent de nourriture.

Oh mon Dieu, je vais être malade. Une main se posa sur la sienne et elle leva les yeux pour voir le regard empli de compassion de Tegan.

– Les choses ont changé après l’insurrection, certains ont pensé à la survie, d’autres... au pouvoir. Mathis et Mia n’avaient pas besoin de voir ça.

Neva hocha faiblement la tête, compréhensive avant de se figer lorsque le second barrage apparut devant eux. Cette fois-ci, les choses se passèrent cependant bien plus rapidement. Les soldats étaient visiblement plus regardants sur qui entrait dans leur ville que sur qui en sortait. Dans tous les cas,  Neva ne se détendit qu’une fois Mathis de nouveau endormi contre elle, Mia sur le toit, et que la ville ait totalement disparu derrière eux. 

– Nazino est la seule ville que nous étions obligés de traverser, expliqua Tegan après un temps. Passer trop près des mines de zéolithe aurait pu s’avérer dangereux. Beaucoup de ceux qui nous craignent ont élus domicile là-bas. Et de l’autre côté, le sable y est tellement fin que c’est impraticable en voiture, même avec un véhicule militaire tel que celui-ci. On devrait être tranquille pour le reste du trajet.

Dieu merci, pensa Neva avant de prendre appui contre le dossier et fermer les yeux.

💕

La nuit était tombée depuis un moment lorsque Tawny arrêta le véhicule et coupa le moteur. Autour d’elle, tout le monde dormait, et Neva imita silencieusement Tawny et Tegan lorsqu’ils sortirent du véhicule. La lune éclairait suffisamment pour y voir et Neva remarqua qu’ils s’étaient arrêtés au bord de l’eau.

– Enfin rentrés au bercail..., soupira Tegan avec contentement. 

Neva fronça les sourcils, outre la mer et le bois derrière elle, elle ne voyait rien qui pouvait ressembler « au bercail » auquel Tegan faisait référence.

– Devant, répondit Tawny en tendant une main devant lui, ayant visiblement perçu sa perplexité.

Neva fronça les sourcils avant de s’exclamer :

– Vous vivez sur une île ?

Dans l’obscurité, elle n’était rien de plus qu’une masse informe à l’horizon, mais elle était bel et bien là.

– Oui, et c’est ce grand gaillard qui va nous y conduire, taquina Tegan en tapant amicalement Tawny sur l’épaule. On récupérera nos affaires plus tard, ajouta-t-elle en direction de Neva avant de partir vers un minuscule quai fait de planches en bois.

Neva comprit aussitôt pourquoi Tawny avait été nommé capitaine lorsqu’elle remarqua les barques. Lui seul pourrait ramer aussi longtemps avec autant de personnes à bord.

June apparut avec Mia endormie dans ses bras et elle alla aussitôt chercher Mathis, prévenant Skye qu’ils étaient arrivés. Quelques minutes plus tard, chacun avait pris place, et Tawny entamait la longue ascension qui allait les mener jusqu’à l’île.

Avec les enfants endormis et tous plus ou moins fatigués par ces deux longues semaines sur les routes, les conversations se firent rare, mais chacun sembla y trouver un certain réconfort. La traversée passa comme un songe, et la pointe de la barque heurta un embarcadère fait de terre et de rochers avant qu’un pied ne l’arrête, la poussant à vaciller légèrement avant de simplement se laisser porter par l’eau. Neva leva les yeux vers la silhouette illuminée par la lampe halogène que tenait June et elle sentit aussitôt sa respiration se couper.

Grande et élancée, elle ne devait pas avoir plus de 25 ans et ses longs cheveux bruns flottant dans le vent autour de son visage lui conféraient quelque chose de ténébreux, mais aussi quelque chose de sensuel et exotique.

Comme une princesse égyptienne.

Puis, enfin, le visage impassible sembla se détendre en un imperceptible sourire, et des yeux aussi noirs que la nuit fixèrent Neva avec intensité. 

– Vous pouvez baisser vos armes ! hurla-t-elle par-dessus son épaule, faisant comprendre à Neva qu’elle n’était pas seule. Nos canailles sont enfin de retour au bercail.

Des cris de joie résonnèrent dans la nuit, bien vite suivis par des ombres d’hommes armés qui sortirent un à un de l’obscurité.

Le regard toujours fixé sur Neva, l’inconnue ajouta :

– Les Arcans te souhaitent la bienvenue au pénitencier Séveride.

Neva haussa les sourcils.

Pénitencier ?

 

 

📎 Annexe 2

 

Annexe 2 Gauche

3 décembre 2014

Chapitre 16

Ça n’aurait pas pu être pire, pensa Neva face au brouhaha qui régnait dans la pièce.

La bombe venait tout juste d’être lâchée et les garçons n’avaient pas perdu de temps pour réagir, exprimant leur mécontentement dans le chaos le plus total. Tegan et Tawny leur avaient aussitôt répondu, mais Neva pouvait aisément dire qu’aucun des deux partis n’écoutait ce que pouvait bien lui dire celui d’en face.

Mais ce qui l’inquiétait surtout, c’était le manque de réaction de Jack.

– O.K., ça suffit ! hurla soudainement June, telle le juge qui réclame l’attention de l’assistance.

Le silence se fit aussitôt, et chacun se retrouva comme figé sur place, la respiration saccadée.  

– Je sais que c’est beaucoup vous demander, reprit-elle plus calmement, et que vous vous sentez probablement trahis qu’on ne vous en ait pas parlé plus tôt.

– Sans déconner, marmonna Jérôme, les bras croisés sur la poitrine.

– Mais il nous fallait agir avec prudence, poursuivit June, imperturbable. Aussi bien pour vous, que pour nous.

Elle marqua une pause avant d’ajouter :

– Je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler ce qui s’est passé il y a quelques jours.

– Ça ne t’empêche pourtant pas de nous laisser derrière, rétorqua Jamie depuis sa position avachie sur le canapé. On a fait l’armée tous les trois, on pourrait vous aider.

– Pas contre un ennemi comme celui-là, répondit Tegan en secouant la tête. Ce n’est pas le genre d’adversaire qu’on fait reculer à coups de fusils ou de mitraillettes. Sans compter que ce serait beaucoup trop dangereux.

Jamie secoua la tête d’incrédulité.

– Beaucoup trop dangereux..., et qu’en est-il de Mia, alors ? demanda-t-il, les yeux rivés sur Neva. Si c’est trop dangereux pour nous, j’imagine que c’est trop dangereux pour elle aussi, non ?

– Je lui ai promis qu’on ne serait jamais séparées, répondit Neva en détournant le regard. Elle vient avec nous.

Cette fois-ci, Jamie lâcha un rire incrédule.

– Ben voyons... !

– June, souffla Tegan.

Elle hésita avant d’ajouter :

– Mathis va devoir venir avec nous aussi.

– Non mais vous déconnez là ?! s’exclama Jérôme en se redressant.

– Elle a raison, il ne peut pas rester ici, acquiesça June, même si l’idée d’emmener un enfant de huit ans sur les routes était très loin de la réjouir. Il sera bien plus en sécurité là où nous allons.

– C’est n’importe quoi ! s’insurgea aussitôt Jérôme. Ce n’est qu’un gosse, je peux savoir en quoi il va vous être utile ?

June s’apprêtait à répondre lorsqu’elle vit Neva lui lancer un regard interrogateur. Elle hocha imperceptiblement la tête.

– Ils étaient après lui, la nuit où je l’ai trouvé, expliqua calmement Neva. Ce qui veut dire qu’il est très certainement comme nous. C’est trop dangereux pour lui de rester ici. Ils ont déjà connaissance de son existence.

– Alors vous allez quoi ? Le trimbaler sur les routes pour le restant de ses jours ? rétorqua Jérôme.

Il n’a pas tort, pensa Neva. C’est de la folie, il courra sûrement plus de dangers en venant avec nous.

– Non, répondit Tegan, le regard inflexible. Il sera dans un endroit sûr, en sécurité. Tout comme chacun d’entre nous.

– Je croyais que vous comptiez sauver chacun des vôtres, répondit Jack, prenant la parole pour la première fois. Difficile à faire quand on reste à un seul endroit.

Le silence s’abattit, le ton moqueur n’était passé inaperçu pour personne. June relâcha un soupir.

– On ne peut rien vous dire de plus, ce serait prendre le risque de nous compromettre.

– Oh, vraiment ? s’exclama Jack en se redressant. D’abord, vous ne voulez pas qu’on vienne, et maintenant, on risquerait de vous mettre en péril ? On est quoi, l’ennemi ?

 – Jack..., commença Tegan.

Jack leva aussitôt une main.

– Non, laisse-la répondre, coupa-t-il, le regard rivé sur June.

– Ils savent que vous êtes avec nous, répondit June, le visage impassible. Ils reviendront, et s’ils parviennent à mettre la main sur vous, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour vous arracher la moindre information. Sur nous, sur l’endroit où nous nous trouvons... on ne peut pas prendre le risque que ça arrive.

Jack secoua la tête, les poings serrés.

– Ouais, répondit-il enfin, avant de la regarder à nouveau. Et ça nous laisse aussi aucune chance de vous retrouver. T’as vraiment pensé à tout, hein ? lâcha-t-il, ses paroles claquant comme un coup de fouet avant qu’il ne quitte la pièce.

Un silence pesant s’abattit derrière lui, chacun attendant que quelqu’un prenne la parole. Tegan se leva finalement.

– Je vais aller voir ce qu’il...

– Non, laisse, coupa Neva en se redressant à son tour. Je m’en occupe.

Tegan hocha légèrement la tête et elle referma la porte derrière elle avant de dévaler les marches deux par deux.

💕

Le bruit de métal heurtant du bois fit aussitôt savoir à Neva où se trouvait Jack lorsqu’elle descendit dans la rue. Longeant l’immeuble, elle l’aperçut finalement à l’orée du bois, une hache usée entre les mains et déjà quelques morceaux franchement coupés à ses pieds.

Il leva les yeux lorsqu’elle s’approcha.

– Je croyais que vous étiez sur le point de partir, remarqua-t-il avant d’abattre la hache d’un coup sec.

Ouch. Je suis bien contente de ne pas être une bûche de bois aujourd’hui moi.

– Jack... je resterais si je le pouvais, tu le sais ça.

– Vraiment ? s’exclama aussitôt Jack. Parce que je ne suis pas sûr de savoir ce qui a changé, tu vois. On s’en est très bien sorti jusqu’à présent.

– Ils savent qu’on est là désormais, moi, Mathis, Mia... c’est beaucoup trop dangereux. Tu sais très que je ne laisserais jamais rien leur arriver. C’est pour ça qu’on doit partir.

– Non, coupa aussitôt Jack en secouant la tête.

Il déposa la hache contre un arbre avant de s’approcher d’elle.

– Non, on aurait juste à partir. Toi, moi, Mia et mes frères. Parce que c’est comme ça que ça passe quand un membre de la famille a des ennuis ; on y fait face ensemble.

– Jack...

– Ou alors on n’a jamais vraiment été une famille pour toi.

Neva s’interrompit, persuadée qu’elle venait de recevoir un coup en plein plexus. Elle leva les yeux vers Jack, incrédule.

– Comment est-ce que tu peux dire ça ? répondit-elle alors que les larmes lui montaient aux yeux. Comment est-ce que tu peux dire ça après les treize années qu’on vient de passer ensemble ? Comment...

– Je n’ai jamais su que tu étais l’une des leurs, rétorqua Jack, la larme à l’œil. Ou que Mia était l’une des leurs. Je pensais qu’on était plus proches que ça.

Neva détourna le regard, la culpabilité s’abattant sur elle. Les triplés ayant déjà connaissance de la différence de June, Tawny, Tegan et Skye n’avaient pas pris la peine de cacher leurs pouvoirs respectifs. Mais en ce qui la concernait, seule Mama était au courant, et si elle avait laissé les choses comme ça, c’était parce qu’inconsciemment...

– Je voulais vous protéger.

– En nous mentant ? s’exclama Jack. En nous cachant ce qui aurait pu nous coûter la vie ? Oh merci Neva, fallait pas !

– Jack arrête ! Ça ne m’a pas fait plus plaisir qu’à toi de vous cacher tout ça ! J’avais à peine seize ans, mes parents venaient de se faire tuer juste sous mes yeux, je ne savais plus en qui je pouvais avoir confiance, et de qui je devais me méfier. Après ça, je n’ai pensé qu’à Mia. Si personne n’était au courant, alors jamais ils ne finiraient par le savoir.

Elle fit une pause avant d’ajouter :

– Sauf que je n’ai pas été aussi prudente que je l’aurais dû. Je sais bien que c’est à cause de moi qu’ils sont venus, ajouta-t-elle en le regardant dans les yeux. Que c’est à cause de moi que Mama... Alors si mon départ permet de vous mettre en sécurité, ainsi que tous ceux que nous rencontrerons, alors oui, même si ça me fait un mal de chien de vous quitter, je le ferais.

Jack s’essuya les yeux d’un revers de manche tout en prenant une profonde inspiration.

– Alors laisse-moi venir avec vous.  

– Non, refusa aussitôt Neva. Tes frères ont besoin de toi, Mama ne voudrait pas que cette guerre vous sépare. Sans compter que ce serait beaucoup trop dangereux

– Alors ça va se finir comme ça ? Toi d’un côté, et nous de l’autre ?

Neva secoua frénétiquement la tête.

– C’est pas pour toujours Jack, je reviendrai, je te le promets.

– Dis-moi au moins où tu vas alors, supplia-t-il une dernière fois.

Neva hésita avant de s’approcher et se glisser dans ses bras.

– Au sud, souffla-t-elle, avant de lever les yeux. Je ne sais rien de plus. Mais je te promets Jack, je te promets que je reviendrai. Vous comptez beaucoup trop pour moi pour qu’il en soit autrement. 

Jack hocha la tête avant de la serrer contre lui.

– Promets-moi que tu prendras soin de toi, murmura-t-il, visiblement ému. Si je repère ne serait-ce qu’une égratignure sur ta peau...

Neva lâcha un faible rire avant de l’embrasser sur la joue.

– C’est promis. Toi aussi, d’accord ? Et de tes frères, Dieu sait qu’ils vont avoir besoin de quelqu’un qui saura les garder dans le droit chemin.

Jack hocha la tête.

– Tu devrais y aller, ils vont t’attendre.

– Ils ne partiront pas sans t’avoir dit au revoir, contra aussitôt Neva. Mia ne partira jamais sans t’avoir dit au revoir.

Jack baissa la tête et Neva devina aussitôt qu’il faisait tout son possible pour retenir ses larmes. Mon Dieu, c’est trop dur. Tout ceci est beaucoup trop dur.

– Je serais là dans dix minutes, répondit-il enfin.

Neva hocha la tête, compréhensive.

– Prends ton temps, on attendra, sourit-elle faiblement.

Jack hocha la tête et elle fit un pas vers l’immeuble avant de s’interrompre. Avec tout ce qui venait de se passer dernièrement, cela aurait dû être loin sur sa liste des priorités, et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un terrible besoin de savoir.

– Jack... je sais que ça va probablement te paraître bizarre, mais il y a une chose qu’il faut que je te demande avant de partir. Tu sais qui sont les parents de Mia ? Ses vrais parents, je veux dire.

Jack l’observa avec confusion.

– Je croyais que c’était toi ?

– Non, tes frères et toi m’avez trouvé inconsciente dans cette rue, répondit Neva en secouant la tête. Mia était déjà avec vous quand j’ai repris connaissance.

Jack se passa une main sur le visage, abasourdi.

– J’ai toujours pensé que... enfin, Mama nous a dit que c’était ta fille, que quelqu’un était venu la déposer peu de temps après qu’on t’ait allongé dans la chambre.

– Qui ça ? demanda aussitôt Neva, le cœur battant.

– Aucune idée, répondit Jack, haussant les épaules. L’insurrection venait de prendre fin, la situation était tellement chaotique... ça ne nous a pas surpris plus que ça.

Il marqua une pause avant d’ajouter :

– Je ne vois pas pourquoi elle nous a menti, par contre.

– Moi non plus, répondit Neva, pensive. Mais je serais prête à parier que June sait pourquoi, elle. 

Elle secoua légèrement la tête avant de reporter son attention sur Jack.

– A tout à l’heure.

💕

Neva n’avait jamais assisté à des adieux aussi assourdissants de silence. Les triplés refusaient de la regarder, par colère ou par peine, elle ne savait pas trop, et June, Tegan, Tawny et Skye avaient déjà trouvé refuge au bout de la rue afin d’éviter d’engendrer une nouvelle dispute.

Après de longues minutes d’étreinte et de larmes, Mia la rejoignit enfin et Neva eut mal au cœur de voir Jérôme et Jamie s’éloigner aussitôt. Elle sentit Jack poser une main sur son épaule et elle agrippa son manteau d’une main tout en l’embrassant longtemps sur la joue.

– Dis leur que je les aime, de tout mon cœur, supplia-t-elle contre sa peau. Et qu’ils vont terriblement me manquer. O.K. ? 

Jack la serra furtivement contre lui avant de hocher la tête.

– C’est promis.

Leurs regards se croisèrent et Neva y lut aisément tout ce qu’il ne lui disait pas. Qu’il l’aimait aussi. Qu’elle allait lui manquer. Que la voir partir le déchirait. 

Sentant qu’elle était sur le point de céder aux larmes, Neva serra fermement la main de Jack dans la sienne avant de faire demi-tour et de s’éloigner à son tour.

Elle tourna rapidement au coin de la rue pour ne pas regarder derrière elle.

💕

Tegan s’étant chargée de ses affaires, Neva ne savait pas exactement quel moyen de locomotion ils avaient prévu d’utiliser pour rejoindre le sud, et elle sentit sa mâchoire se décrocher lorsque Tawny dévoila un blindé militaire articulé en deux modules camouflé derrière tout un tas de ronces et buissons. 

– J’imagine que j’ai pas envie de savoir comment vous vous l’êtes procuré ?

– Disons qu’on l’a emprunté sans l’accord de son propriétaire et qu’il a très certainement dû attendre de nombreux mois avant d’être dans la capacité de se plaindre, sourit Tegan avant de prendre la place côté conducteur. 

June et Skye montèrent à l’arrière et Neva prit le siège du milieu avec Mia et Mathis.

– La route va être longue avant d’atteindre les zones arides alors les filles, n’hésitez pas à mettre le chauffage ! précisa Tegan tandis que Tawny mettait le contact.

Le moteur eut à peine le temps de rugir qu’ils se mirent en route et Neva réalisa qu’elle quittait Crane Lake pour la première fois depuis qu’elle y avait mis les pieds.

Je vous en prie, faites que je ne sois pas en train de commettre la plus grosse erreur de ma vie.

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3 décembre 2014

Chapitre 15

Lorsque Neva regagna la chambre quelques heures plus tard, ce fut pour trouver un message griffonné sur un bout de papier qui avait été soigneusement placé sur son oreiller :

Neva,

Je sais que le moment est très mal choisi, mais après ce qui vient de se passer, le temps nous est malheureusement compté. Le monde a besoin de toi, de nous. On doit partir, maintenant. Avant que l’Elite ne nous mette la main dessus pour de bon cette fois-ci.

J.

Son regard s’attarda longuement sur les mots griffonnés. Ce que June lui disait ne la surprenait pas ; elle le lui avait lui dit de vive-voix. Et après le décès si brutal de Mama, elle pouvait difficilement contredire sa décision. Mais après avoir passé le reste de la journée à consoler Mia et tenter de la rassurer, certains détails lui restaient amèrement en travers de la gorge.

Déterminée, elle glissa le mot dans la poche arrière de son jean puis quitta la pièce.

💕

Il faisait encore sombre lorsque Neva se rendit à l’appartement voisin. La porte était entrebâillée, et Neva la poussa légèrement tout en murmurant :

– June ?

Un bruit de froissement de draps lui parvint et elle leva les yeux pour voir June qui sortait du lit, l’une de ses mains recouvrant modestement le corps de Tawny qui dormait encore à ses côtés. Neva détourna le regard, avant de lever la tête lorsque June apparut enfin devant elle simplement enveloppée dans un plaid, et elle plissa du nez lorsque l’odeur de leurs ébats la frappa aussitôt.

– Bon sang, y a quelqu’un avec qui tu n’as pas couché dans cet immeuble ? chuchota-t-elle en grimaçant.

June haussa un sourcil, un léger rictus au coin des lèvres.

– A part toi, tu veux dire ?

Neva serra des dents, maudissant la rougeur qui monta le long de ses joues. Elle se racla la gorge avant de la regarder droit dans les yeux.

– J’ai vu ton mot, mais avant, j’aimerais quelques éclaircissements. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de dévoiler vos véritables intentions ? Je pensais que vous étiez venus voir Mama, et du jour au lendemain, je découvre que la vraie raison de votre visite, c'est moi. Alors excuse-moi si je me montre désormais un peu sceptique quant à vos réelles motivations.

June relâcha un soupir tout en prenant appui contre le chambranle de la porte.

– Si je t'avais avoué de but en blanc qu'on avait besoin de toi, je pense que tu m'aurais aussitôt ri au nez, non ? La vérité, c'est qu'on ne savait pas ce qu'on allait trouver. Et on n’a jamais eu l'intention de te ramener avec nous contre ton gré. Je ne vais pas te mentir Neva, tu serais un atout majeur dans notre combat contre l'Élite, dans notre tentative de protéger le plus de réfugiés possible, mais si tu préférais rester ici... je tenais à ce que tu aies toutes les chances de ton côté pour pouvoir te défendre.

Pendant un instant, Neva se retrouva dans l’incapacité de répondre. Alors toutes ces fois où elle s'est montré si dure avec moi... c'était pour mon bien ? June le lui avait déjà dit, bien sûr, mais l'entendre l'admettre de cette façon, sans détour, en faisant simplement preuve d’honnêteté, la perturba plus qu'elle ne l'aurait cru possible.

Elle se sentit également extrêmement embarrassée lorsqu’elle réalisa combien elle s’était, pour sa part, comportée comme une vraie garce

– Qu'en est-il de Mia alors ? Tu sais que je ne partirai pas sans elle.

– Après ce qui s'est passé aujourd'hui, la question ne se pose même pas, acquiesça June. On pensait simplement te trouver seule, on ne s'est jamais douté que tu puisses avoir une fille. Je ne t’aurais jamais demandé de la laisser derrière, Neva.

Neva hocha légèrement la tête.

– Et Mathis ? Hors de question qu'il se sente abandonné une seconde fois. Sans compter qu’il y a de grandes chances pour qu’il soit comme nous lui aussi.

June se passa une main sur le visage tout en soupirant.

– Je sais. Trimbaler un gamin de huit ans sur les routes est loin de me réjouir, mais tu as raison, il doit bien y avoir une raison pour que cet androïde s’en soit pris à lui. Et les garçons, qu’est-ce que tu leur as dit ?

– J’espérais que tu pourrais m’aider pour ce point..., grimaça Neva. J’arrive pas à croire que je vais dire ça, mais je ne veux pas qu’ils viennent avec nous, ce sera suffisamment dangereux comme ça.

– On est au moins d’accord sur un point, acquiesça June, mais j’imagine que tu ne veux pas partir sans leur dire au revoir ?

Neva secoua aussitôt la tête.

– Je m’en doutais, sourit légèrement June. Pour être honnête, moi non plus.

– Qu’est-ce qu’on fait alors ? Ils ne vont jamais nous laisser partir comme ça...

– Je sais, rétorqua June, avant de jeter un rapide coup d’œil par-dessus son épaule. Réunis tout le monde pour le déjeuner, on leur annoncera à ce moment-là.

Neva hésita.

– Tu es sûre ?

– Ils le prendront mal peu importe comment on s’y prend, soupira June. On mangera avec eux, puis on décollera.

Neva hocha la tête, la gorge serrée, avant de s’éloigner le long du couloir.

3 décembre 2014

Chapitre 14

La première chose que June et Neva virent lorsqu’elles atteignirent la chambre, ce fut combien Skye semblait totalement dépassée par les événements. Et lorsqu’elles tournèrent la tête vers la fenêtre, elles comprirent aussitôt pourquoi.

– Oh mon Dieu, souffla Neva en portant une main à ses lèvres. Mia !

Elle vit aussitôt June s’avancer et enlacer Mia tout en l’aidant à enfiler la tenue que Tegan venait de lui lancer, celle-là même que June portait lors de son arrivée à Crane Lake. Il y avait quelque chose de dérangeant à voir une adolescente de treize ans porter une tenue aussi... sexy mais Neva remercia silencieusement June d’avoir pensé à respecter son intimité en priorité. Les vêtements de June tombèrent cependant en lambeaux mais elle ne semblait pas s’en soucier, et Neva fut étrangement reconnaissante des flammes qui cachaient ingénieusement les parties intimes de son corps.

Bien vite, leurs corps ne formèrent plus qu’une immense torche de feu et Skye et Tegan se mirent à arroser le sol et les murs sur le point de flamber.

– Mia, écoute-moi, intima June en prenant le visage de l’adolescente entre ses mains. Il est important que tu te détendes, d’accord ?

Mia hocha aussitôt la tête, son regard trahissant la panique qui l’habitait.

– Fais comme moi, continua June. Inspire, expire... c’est ça...

Skye entra de nouveau dans la pièce, un seau d’eau entre les mains, et June lui fit signe d’arroser chacun des endroits où le parquet s’était enflammé autour de leurs pieds. Les flammes s’éteignirent aussitôt, cédant la place à de légers effluves de fumée noirâtre.

– Là, c’est bien, encouragea June lorsque les flammes entourant Mia diminuèrent progressivement en intensité.

Elle leva les yeux vers Neva.

– C’est déjà arrivé avant ?

Neva cligna des paupières à plusieurs reprises, surprise de réaliser qu’elle pleurait. Elle se racla légèrement la gorge tout en s’essuyant les joues.

– Non, c’est... c’est la première fois. En général, elle génère juste de la chaleur...

– Nos pouvoirs mettent parfois du temps avant de se manifester, expliqua June, ses mains caressant le dos de Mia d’un air absent. Ça arrive généralement à l’adolescence, parce que c’est à ce moment-là qu’on est le plus susceptible d’être victime de forts chocs émotionnels.

Neva repensa à la fois où elle et Mia étaient parties se promener dans les bois, le jour même où les pouvoirs de Mia s’étaient manifestés pour la première fois. Je n’avais pas suffisamment mangé ce jour-là, je me suis évanouie. Mia était paniquée à mon réveil. Mais si c’était bien ça, qu’est-ce qui avait pu la bousculer autant aujourd’hui ?

Pourtant, à les voir ainsi enlacées, ce n’était pas ce qui troublait le plus Neva, mais plutôt ce qu’elle aurait dû remarquer dès le début. Elles sont identiques, pensa-t-elle, détaillant leurs longues chevelures d’une couleur tellement similaire qu’elles auraient pu se fondre l’une dans l’autre, leurs yeux noisette indissociables.

Et puis, n’étaient-elles pas toutes les deux pourvues du même pouvoir ?

June était enceinte il y a treize ans. Neva porta une main à ses lèvres, persuadée qu’elle allait s’évanouir.

– Neva ? appela June, inquiète. Ça va ?

Non.

– Oui, c’est juste... le choc, mentit-elle. Mia, parle-moi mon cœur, comment tu te sens ?

– Ça va, répondit l’adolescence, la voix légèrement tremblante. Je m’y attendais pas, je suis désolée.

Neva maudit aussitôt les quelques flammes qui brûlaient encore, et qui l’empêchaient d’enlacer sa fille comme elle l’aurait voulu. Même si Mia le masquait, Neva savait que l’expérience qu’elle venait de vivre l’avait vraiment bousculée.

Elle s’approcha néanmoins légèrement.

– Shhh tu n’y es pour rien mon cœur, la rassura-t-elle. Je suis même sûre que Skye ne t’en tient pas rigueur, pas vrai ?

Mia sembla soudainement se souvenir de la présence de Skye dans la pièce et elle lui jeta un rapide coup d’œil avant de lever les yeux June, son visage se fermant soudainement tandis que les dernières flammes disparaissaient.

 – Ne t’avise plus jamais de me toucher, cracha-t-elle avant de quitter la pièce tout en la bousculant au passage.

June et Neva haussèrent aussitôt les sourcils de surprise, avant de tourner la tête vers Skye.

– Elle est au courant, pour notre plan, marmonna maladroitement l’adolescente.

June jura aussitôt entre ses dents.

– Neva –, commença-t-elle avant de réaliser que cette dernière avait déjà disparu.

💕

– Mia, attends ! hurla Neva lorsque l’adolescente dévala les trois marches qui surplombaient l’immeuble.

Mia s’arrêta, les muscles tendus avant de relâcher un profond soupir et de se tourner vers Neva, le visage couvert de larmes.

– Oh Mia..., murmura Neva en venant la prendre dans ses bras. Shhh, c’est fini maintenant, tout va bien.

Elle sentit aussitôt Mia secouer la tête.

– Non, ils nous ont menti maman, renifla l’adolescente alors qu’une nouvelle vague de larmes dévalait son visage. Depuis le début... 

– Mia, qu’est-ce que tu racontes ? rétorqua Neva, perplexe.

Mia s’écarta légèrement afin de s’essuyer les joues d’un revers de main.

– Skye m’a tout raconté. Ils sont venus pour toi, pour t’emmener avec eux. C’est la seule raison pour laquelle ils sont venus.

Neva se souvint aussitôt de ce que June lui avait dit, là-haut, sur le toit. Ils s’en prennent à chacun d’entre nous là-dehors, Neva. Et ils payeraient le prix fort pour mettre la main sur nous. Sur toi, sur moi... sur Mia. On a besoin de ton aide pour les en empêcher. 

– Mia...

– J’ai pas envie que tu partes ! coupa l’adolescente d’une voix suppliante.

Neva sentit aussitôt les larmes monter face à cette demande déchirante. Elle attira à nouveau Mia contre elle.

– Je n’ai pas l’intention d’aller où que ce soit, Mia, tu m’entends ? promit-elle. Et si jamais c’était le cas, tu peux être sûre d’une chose.

Elle se recula légèrement de manière à croiser le regard embué de Mia.

– Où je vais, tu vas, et vice-et-versa. D’accord ? 

Pour toute réponse, Mia se contenta de l’attirer contre elle avant de hocher la tête.

💕

– Elles sont au courant ? demanda aussitôt Tegan lorsque June sortit de la chambre.

– Elles connaissent les grandes lignes.

Tegan fit la moue.

– Vu ta tête, ça n’a pas l’air très prometteur....

June soupira tout en se passant une main sur le visage.

– Pas pour l’instant.

– June, on ne peut plus se permettre d’attendre désormais, le risque est beaucoup trop grand.

– Je sais. Je m’en occuperai. Elles ont juste besoin d’un peu de temps.

Tegan hocha la tête avant d’étudier son visage.

– Comment tu te sens ?

June haussa les épaules, ses yeux s’humidifiant rapidement lorsque Tegan passa une main sur sa joue. Oh June, quand admettras-tu que tu n’es pas invincible ? Ça fait beaucoup trop à porter pour tes simples épaules.

– Viens, murmura-t-elle en l’entraînant par la main. Une bonne sieste te fera le plus grand bien, tu pourrais recommencer à jouer les dures à cuire demain, sourit-elle tristement.

3 décembre 2014

Chapitre 13

Tegan s’assura que Mathis dormait confortablement sur le canapé avant de rejoindre Tawny dans la cuisine et de l’enlacer. Collée tout contre son dos, elle entendit aussitôt sa voix résonner contre son oreille.

– Les autres ne sont pas encore debout ?

– Neva est sur le toit, Skye et Mia dorment encore et les triplés sont dans la chambre. Jack a l’air d’aller mieux. 

Tawny hocha légèrement la tête.

– Et June ?

– Partie faire un tour, comme toujours, soupira Tegan.

Le comportement de June l’inquiétait.

– Hmm. Ils ne risqueront pas de nous prendre par surprise une seconde fois, au moins.

– Elle veut juste s’assurer qu’on est en sécurité, tempéra Tegan. C’est dur pour elle aussi, tu sais. Elle gère comme elle peut.

Tawny se tourna afin de pouvoir l’enlacer à son tour.

– Je sais, murmura-t-il simplement en l’embrassant sur la tempe. 

💕

Dans la chambre, étroitement enlacées sur le lit, Skye et Mia se perdaient dans la douce odeur de l’autre dans l’espoir d’oublier les horreurs qu’elles venaient de vivre. Le silence, uniquement brisé par le ronronnement sourd, presque inaudible, qu’émettait Skye enveloppait Mia de bien-être, apaisant les larmes qui la rongeaient tout en lui apportant chaleur et réconfort.

Les derniers rayons du soleil disparaissaient dans la chambre lorsqu’elle sentit Skye poser sa main sur son poignet, suivie de ses doigts qui remontèrent lentement le long de son avant-bras, s’attardant un instant à la saignée du coude avant de retourner à leur point de départ. Elle fit un effort conscient pour respirer lentement et se détendre. Elle pouvait sentir le souffle tiède de Skye tout contre sa joue et lorsqu’elle tourna légèrement la tête, Skye posa ses lèvres sur sa tempe, sur l’arête de son nez, puis demeura parfaitement immobile, le regard soudé au sien. Skye avait les yeux d’un bleu/vert magnifique, si clair que Mia ne pouvait s’empêcher de venir s’y perdre. Et même si ses iris trahissaient à présent l’inquiétude qui habitait Skye, Mia ne pouvait penser à rien d’autre que la proximité de leurs corps, la chaleur qui émanait de Skye, son souffle chaud tout contre ses lèvres. Il lui suffirait de s’avancer juste un peu pour l’embrasser...

Skye tourna la tête au dernier moment.

– Mia... on ne devrait pas.

Mia ravala difficilement sa déception et hocha légèrement la tête avant de s’écarter. Elle observa le plafond, les yeux humides.

– Toujours trop jeune, hein ? ironisa-t-elle amèrement.

– Mia...

– Non, ça va. Un rejet par jour me suffit largement.

Skye s’allongea sur elle lorsque Mia chercha à sortir du lit et cette dernière inspira soudainement, trop surprise pour se débattre.

– J’ai jamais dit que je ne voulais pas ça, répliqua Skye, désignant leurs corps allongés l’un sur l’autre. J’ai jamais dit que je ne te voulais pas... toi.

– Je suis juste trop jeune, rétorqua Mia, tournant la tête sur le côté.

Skye soupira avant de venir l’embrasser sur la tempe.

– Une part de moi pense que oui, admit-elle en se redressant et en prenant place sur le bord du lit. Mais ce n’est pas l’unique raison.

Mia se hissa sur ses coudes, un air confus sur le visage.

– Comment ça ?

Skye l’observa et lorsque Mia remarqua son air désemparé, elle sut aussitôt qu’elle allait avoir droit à une révélation importante. Elle se redressa, dans l’expectative. 

– Il n’a jamais été prévu qu’on reste, Mia, expliqua finalement Skye, un air peiné sur le visage. Le plan était de venir ici... de trouver la « Reine des Glaces », et la ramener avec nous.

Elle hésita avant d’ajouter :

– Elle et elle seule.

Mia se contenta de l’observer, interdite.

💕

Neva était assise sur le toit à observer la brume matinale qui s’étendait progressivement sur la ville lorsque June la rejoignit. A mesure qu’elle s’approchait, June ne put dire qui paraissait le plus triste entre Neva et le ciel gris qui les entourait.

Elle prit place à ses côtés, sur le petit muret, et ramena l’une de ses jambes contre sa poitrine avant de l’entourer de ses bras.

– Hé.

Neva inspira profondément avant de la regarder à son tour.

– Hé.

– Comment tu te sens ?

Neva haussa les épaules.

– Vide, répondit-elle, baissant les yeux vers ses mains posées sur ses cuisses. Fatiguée. Lasse de ne rien faire d’autre que de pleurer. Toi ?

– J’ai connu mieux, admit June, tandis qu’elle regardait au loin. Mais on n’a pas réellement le temps de s’attarder sur ça pour l’instant. Tu as réfléchi à ce que tu comptes faire ?

– Trouver un nouvel endroit où vivre, pour commencer, acquiesça Neva en se grattant le sourcil. Rester serait beaucoup trop dangereux, et puis, entrer dans la cuisine tout en sachant que Mama y a perdu la vie...

Elle prit une profonde inspiration avant d’ajouter, les yeux humides :

– Je pense que ce serait mieux pour tout le monde.

– Les garçons en disent quoi ?

Neva haussa les épaules.

– Ils attendent sûrement que je prenne une décision. Tout est arrivé si vite... je ne pense pas qu’ils soient capables de décider de quoi que ce soit pour l’instant. Et on ne peut pas vraiment dire que Jack soit en état.

June repensa à Jack étendu sur le lit de Mama, une profonde entaille barrant son front et ses côtes bleuies.

– Il sera bientôt à nouveau sur pied, répondit-elle avec sympathie.

– Je sais, murmura Neva en s’essuyant la joue. Mais ce n’est pas son état physique qui m’inquiète. C’est son cœur. Mon Dieu, comment pourra-t-il me pardonner la perte de Mama ?

June n’eut aucun mal à lire ce qu’elle venait de penser sur son visage.

– C'est pas de ta faute, répondit-elle, désireuse d’être crue.

– Vraiment ? rétorqua Neva, ironique. Elle était sous ma protection, j'étais censée la protéger... ils auraient raison de m’en vouloir, finit-elle en secouant la tête.

– Ça m’étonnerait, rétorqua June avant de regarder autour d’elle, son souffle formant une volute blanche dans l'air glacé. Ils sont probablement bien trop occupés à se sentir responsable pour ça.

Elle laissa passer un temps avant d’ajouter, le regard fixé sur Neva :

– On se sent tous responsables, parce qu’aucun de nous n’a envie d’accepter ce qui est arrivé. Quelque part, elle était une mère pour chacun d’entre nous. On est tous tristes de l’avoir perdue, mais pas au point de porter injustement le blâme sur quelqu’un. Ce n’est pas ça qui rendra sa disparition moins douloureuse, on le sait tous.

Elle hésita avant de poser une main sur celles de Neva.

– Elle ne voudrait pas que tu te sentes coupable comme ça, répondit-elle sincèrement. Mais plutôt que tu te souviennes d’elle sous son meilleur jour.

La vue de Neva se brouilla et elle prit plusieurs inspirations tremblantes avant de hocher la tête.

– Je crois que c’est la première fois que tu me dis quelque chose qui ne soit ni un ordre, ni un reproche, plaisanta-t-elle.

Elle fut ravie de voir June lâcher un léger rire.

– Je ne suis pas si facile à vivre que ça, hein ? répondit-elle, avant de poursuivre, plus sérieusement. Je n’ai jamais eu l’intention de te rendre la vie impossible, mais quand je vois ce que vous avez ici, et comment ça se passe sur les routes... Ce qui arrivé à Mama n’est qu’un infime exemple de ce qui se passe sans cesse là-dehors. Il fallait que je te bouscule, que je te fasse comprendre que tu étais capable de bien plus.

Neva hocha légèrement la tête.

– Je sais, répondit-elle simplement.

Vraiment ? pensa June avant de demander :

– Où étais-tu quand l’insurrection a éclaté ?

Prise de court par la question inattendue, Neva l’observa avant de se racler la gorge.

– A Jana, une petite ville située à une centaine de kilomètres d’ici, à l’est.

– Tu as participé aux combats ?

– Non, répondit faiblement Neva en baissant les yeux. Mes parents sont morts peu après le début des hostilités, j’ai aussitôt pris la fuite.

June hocha la tête, compréhensive.

– J’ai pris part à la rébellion avec quelques amis, répondit-elle à son tour. Pour défendre nos droits, puis pour venger nos proches, abattus juste sous nos yeux par les forces de l’Elite. Les rues étaient à feu et à sang, les gens hurlaient, couraient de toute part... C’était comme si l’Enfer avait élu domicile sur Terre. Et puis j’ai fini par les voir. Ils opéraient discrètement mais ils étaient là, tout autour de nous. Certains couraient plus vite, d’autres étaient visiblement plus forts, d’autres encore parvenaient à mettre à mal les chars d’assaut ennemis sans même bouger le moindre petit doigt.

Un sourire nostalgique apparut sur ses lèvres.

– Tu aurais dû les voir Neva... on pouvait sentir la victoire à portée de main. Plus les heures passaient, plus ils battaient en retraite. C’était... magique.

– Qu’est-ce qui a changé ? demanda Neva d’une voix douce, comme si elle avait peur de briser la transe dans laquelle June se trouvait.

June baissa les yeux avant de hausser les épaules.

– Ils ont réuni leurs meilleurs chercheurs, et ils ont fini par trouver notre point faible, répondit-elle simplement. Ils ont tué certains d’entre nous, mais pour la plupart, ils ont tout fait pour nous attraper vivant. Et quand ils ont estimé qu’ils en avaient suffisamment, ils ont plié bagages et passé les années suivantes à chasser le reste d’entre nous grâce à leurs soldats et leurs androïdes.

Notre point faible ? pensa Neva, avant de porter une main à son cou.

– La pierre de zéolithe, murmura-t-elle, avant de lever les yeux vers June. C’est pour ça que tu as un tatouage, réalisa-t-elle soudainement. Ils t’ont attrapée toi aussi, pas vrai ?

June l’observa un instant avant de hocher imperceptiblement la tête. Elle entama son récit, les yeux dans le vide.

 

Les bras en appui contre le mur, June fixait d’un regard las les traits qu’elle y avait gravés. Cela faisait exactement onze jours qu’elle était enfermée dans une cellule de cinq mètres sur six, autorisée à sortir seulement pour prendre une douche et les trois repas de la journée.

Ou subir toute une série de tests, pensa-t-elle, passant une main dans son cou et grimaçant lorsqu’elle rencontra son tatouage encore douloureux.

Autour d’elle, tout n’était que pierre de zéolithe, du sommier du lit à la petite table, en passant par les murs et la grille, ce qui l’empêchait systématiquement d’utiliser ses pouvoirs. L’absence de fenêtre donnant sur l’extérieur la privait quant à elle de toute distraction, et elle se demanda sincèrement combien de temps encore elle allait bien pouvoir tenir.

Un soupir de résignation s’échappa de ses lèvres et elle se mit de nouveau à faire les cent pas, ignorant tant bien que mal les complaintes des détenus qu’elle pouvait entendre autour d’elle.

Lentement, l’air se fit plus chaud, premier signe que le soleil était en train de monter dans le ciel et que le service allait bientôt commencer. Des bruits de voix choisirent justement ce moment pour se faire entendre, et alors qu’elle s’approchait des barreaux dans l’espoir de voir quelque chose, une jeune femme apparût soudainement et elle fit un bond en arrière, surprise.

– Hé, désolée, je voulais pas te faire peur, j’attendais simplement que le garde se décide à changer d’aile, déclara l’inconnue, visiblement irritée.

Elle passa une main entre les barreaux et la tendit dans sa direction.

– Je m’appelle Tegan, et toi ?

June hésita, jaugeant la jeune femme d’un regard méfiant. Sa tenue en papier était d’une couleur plus sombre de la sienne, signe qu’elle venait d’une aile différente, et son numéro d’immatriculation était bien plus long que le sien, signe qu’elle était aussi arrivée bien avant elle.

Lorsqu’elle reporta son attention sur son visage, June réalisa qu’elle était plus grande qu’elle, et semblait plus âgée aussi. Dix-neuf, vingt-ans peut-être. Même si ses traits tirés incitaient à lui donner encore un peu plus. Allez, détends-toi, elle n’est rien de plus qu’une détenue, comme toi, pensa-t-elle.

Elle serra finalement la main offerte.

– June, répondit-elle avant de jeter un coup d’œil dans le couloir. Comment t’as fait pour venir jusqu’ici ?

– Je suis plutôt rapide, sourit Tegan dans un clin d’œil avant de prendre un air concerné. Comment tu te sens ?

June l’observa, surprise, avait de hausser les épaules. Un peu de bienveillance lui faisait du bien.

– Comme un lion en cage.

– Hmm, bienvenue au club, soupira Tegan avant de se passer une main nerveuse dans les cheveux. Ecoute, j’aurais aimé avoir plus de temps pour te dire ça, mais ils ont déjà choisi ton partenaire. A l’heure qu’il est, il est probablement déjà mort maintenant qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient de lui, ironisa-t-elle avant de prendre un air intense. Mais il est primordial, vraiment primordial, que tu les laisses faire quand ils viendront te chercher. Tu m’entends, June ?

L’adolescente l’observa, interdite. Dans sa poitrine, elle pouvait sentir son cœur battre à tout rompre. Elle avait entendu des rumeurs, vu des choses, mais ce que lui disait Tegan lui donnait simplement envie de se rouler en boule, de se cacher, de hurler, et de marteler le sol à coups de poing jusqu'à le faire voler en éclats.

– Qu’est-ce que... qu’est-ce qu’ils comptent me faire ? demanda-t-elle, la voix peu assurée, la gorge sèche.

Tegan soupira tout en lui offrant un air compatissant.

– Une insémination artificielle, répondit-elle simplement avant de se coller contre les barreaux lorsqu’elle vit June se reculer aussitôt tout en serrant ses bras autour d’elle. June, écoute-moi, tu ne risqueras rien tant que tu leur seras utile, c’est pour ça que tu dois les laisser faire. Je sais que c’est injuste, et si je pouvais l’empêcher, crois-moi, je le ferais, mais c’est la seule chose à faire pour le moment.

– Et si je refuse ?

Ils recommenceront.

– Ils recommenceront.

June renifla tout en s’essuyant les yeux d’un revers de main.

– J’ai quinze ans, j’ai pas envie d’être enceinte à quinze ans. Pourquoi est-ce qu’ils me font ça ? J’ai rien demandé moi...

– Ouais ben va dire ça à toutes ces gamines de l’ancienne Afrique, rétorqua Tegan, irritée par le temps qui passait trop vite. Je ne peux pas partir avant de l’avoir convaincue, soupira-t-elle intérieurement.

Elle s’expliqua lorsque June l’observa avec confusion.

– Des rumeurs courent. Il paraît que l’insurrection aurait largement dépassé nos frontières. Les gens d’ici viennent de partout, le monde entier serait touché. 

– Il y a plus d’espoir alors, hein ? ironisa June en se passant les mains dans les cheveux.

Tegan se mordit l’intérieur de la joue avant de hausser les épaules.

– On n’en sait rien, répondit-elle avant de lui offrir un air appuyé. Mais si tu veux vivre, tu suivras mes conseils. Je repasserai te voir dès que possible.

La seconde suivante, elle était partie, laissant June observer bêtement l’endroit où elle se trouvait. 

 

– Le tatouage leur permet simplement de nous marquer comme du bétail, reprit June en se concentrant à nouveau sur le présent. C’est leur façon de nous faire savoir qu’on leur appartient, et qu’ainsi, on ne pourra plus jamais cacher notre différence.

Elle regarda Neva droit dans les yeux.

 – Ils s’en prennent à chacun d’entre nous là-dehors, Neva. Et ils payeraient le prix fort pour mettre la main sur nous. Sur toi, sur moi... sur Mia. On a besoin de ton aide pour les en empêcher. 

Neva l’observa, figée. Tout s’entrechoquait tellement dans sa tête qu’elle se retrouvait dans l’impossibilité totale de rassembler ses pensées, la laissant là, à regarder June sans pouvoir s’exprimer.

Des bruits de pas résonnant derrière elle lui firent recouvrer ses esprits, et elle tourna la tête pour voir Tegan apparaître sur le toit. Cette dernière les observa tour à tour avant de lâcher, essoufflée :

– June, c’est Mia.

Elle hésita avant d’ajouter :

– Elle est en feu.

3 décembre 2014

Chapitre 12

Le lendemain matin, Neva se leva avant le lever du jour pour son tour de patrouille et grogna intérieurement lorsque June la rejoignit en bas de l’immeuble. Elles faisaient équipe deux matins et deux soirs par semaine mais la situation étant tendue entre elles, Neva avait passé la dernière semaine à se lever plus tôt que prévu dans l’espoir d’éviter June et ses remontrances.

Non pas qu’elle ne pensait pas les mériter, à un certain degré, mais elle n’avait certainement pas envie de commencer la journée par des réprimandes.

Dans tous les cas, June l’avait visiblement percée à jour et quand sa voix brisa le silence après quelques minutes de marche seulement, Neva sut aussitôt qu’elle n’y échapperait pas cette fois-ci.

– Tu sais, tu serais loin d’être aussi irritable si ça ne faisait pas aussi longtemps que tu ne t’étais pas envoyé en l’air.

La mâchoire de Neva s’affaissa et elle l’observa avant de répondre, sarcastique :

– Ma vie sexuelle va très bien, merci.

– Ton absence de vie sexuelle, tu veux dire, ironisa aussitôt June.

Neva serra des dents avant d’afficher un rictus.

– C’est toujours mieux qu’être nymphomane.

– Je préfère ça à totalement frigide.

Neva afficha à nouveau un air incrédule et June l’observa, défiante. Neva soupira.

– C’est parce que je vous ai qualifié de « dépravés », c’est ça ? dit-elle en se passant une main sur le visage.

– Il me semble avoir entendu le terme « souiller » aussi...

– June j’ai été prise par surprise et –

– Oh donc tu ne le pensais pas alors ?

Neva leva les mains au ciel en signe d’impatience.

– J’ai surpris ma fille de treize ans se faire embrasser par une adolescente de dix-sept, j’ai quand même le droit d’être hors de moi, non ?

– Aux dernières nouvelles, elles se sont embrassées d’un commun accord, rétorqua June en s’arrêtant au milieu de la rue. Et soyons honnête, ça m’étonnerait que ce soit son âge le véritable problème, je me trompe ?

Neva serra des dents tout en croisant les bras sur sa poitrine.

– Très bien, tu veux tout savoir ? Oui j’ai pas envie de voir ma fille développer des sentiments pour quelqu’un qui n’éprouve aucun remord à coucher avec tout le monde !

June s’approcha dangereusement d’elle, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son visage.

– Et qu’est-ce qui te fait dire ça, au juste ?

Neva leva les yeux au ciel.

– Je t’en prie June, c’est pas comme si toi, Tegan et Tawny cherchaient réellement à le cacher.

June se redressa, un rictus vainqueur sur les lèvres.

– Justement, Tegan, Tawny et moi... sous principe qu’on est sexuellement libérés, tu t’es aussitôt permis de rajouter Skye à l’équation. Je ne sais pas si c’est ça, ou le fait que tu te permettes de nous juger aussi facilement qui me dégoutte le plus. 

Neva écarquilla les yeux, les paroles de June la frappant de plein fouet. Elle s’approcha jusqu’à enfoncer un doigt dans la poitrine de June, ignorant le début de larmes qui lui piquaient les yeux.

– Dit-elle alors qu’elle a passé les premières vingt-quatre heures en ma présence à ne faire que ça justement : me juger, rétorqua-t-elle avec haine. 

– C’est différent ! répliqua June, les poings serrés. Je te l’ai déjà dit Neva, une comme toi en vaut dix comme eux. Ça me rendait malade de voir que tu faisais le strict minimum alors que tu pouvais faire tellement plus ! Les garçons sont peut-être capables de se débrouiller avec les moyens du bord mais face à un androïde ? Franchement Neva, leur chance de survie sera plus proche du zéro que du cent. Alors que pour toi, si tu es préparée, c’est censé être du gâteau.

– Et cette remarque sur ma sexualité alors ? répondit Neva, refusant d’admettre que June avait raison.

June haussa les épaules.

– Un simple avant-goût de ce que tu m'as fait subir.

Neva ouvrit la bouche avant de la refermer. Elle devait bien admettre qu’elle ne s’était pas gênée pour se montrer cruelle dans ses paroles et, la situation inversée, elle aurait probablement fait pareil. Elle secoua la tête ; qui essayait-elle de berner ? Elle avait exactement fait pareil.

– Skye a été la première à dire stop quand elle a appris que Mia n’avait que treize ans, alors je ne sais pas toi, mais chez moi, c’est très loin de faire d’elle la salope du quartier.

Neva se passa une main sur le visage tout en soupirant :

– June, j’ai jamais dit...

– D’ailleurs, pour ton information, elle a passé sa vie à subir les violences de son père, au point d’avoir failli se faire violer deux fois alors si tu veux mon avis, ça change pas mal sa façon d’envisager les relations sexuelles.

Les paroles de June résonnèrent dans sa tête et Neva sentit le sang quitter son visage.

– Je suis désolée, je ne savais pas –

– C’est ton problème justement, tu préfères juger au lieu de savoir. T’imagines ce que Skye a dû ressentir quand elle t’a entendu la qualifier d’une « dépravée » qui allait « souiller » sa fille ? 

– C’est bon, c’est bon, j’ai compris, grimaça Neva en levant les mains. Je n’aurais jamais dû dire ça, je suis désolée.

Le silence les entoura un instant et elle se mordit la lèvre avant de demander :

– Donc... elle et toi, ou elle et Tegan... ou elle et Tawny...

– C’est jamais arrivé, et ça n’arrivera jamais. Skye avait tout juste douze ans quand on l’a prise avec nous, elle est comme la petite sœur qu’on a jamais eu.

June l’interrompit d’une main lorsque Neva ouvrit à nouveau la bouche.

– Non, elle n’est plus vierge, mais ses relations passées se comptent sur les doigts d’une main. Satisfaite, ou je dois encore élaborer ?

Neva secoua négativement la tête, les joues rougies. Elle soupira avant de lever les yeux vers June.

– Je suis vraiment désolée de l’avoir jugée comme ça, répondit-elle sincèrement. Mais tu dois comprendre que Mia est ce qui compte le plus pour moi. Tu m’as dit toi-même que la vie sur les routes... bref, je sais que ça n’excuse rien, que je n’aurais pas dû tirer mes propres conclusions, mais j’ai juste eu peur pour ma fille.

Elle fit une pause avant d’ajouter :

– Je veux simplement ce qu’il y a de mieux pour elle.

June prit un air pensif avant d’hocher la tête.

– Je comprends, acquiesça-t-elle. Et Neva... la façon dont je t’ai traité au début, crois-le ou non, mais j’avais vraiment tes intérêts à cœur, pour toi et pour ta famille. J’ai juste tendance à avoir un peu trop d’attentes, grimaça-t-elle.

Neva savait reconnaître des excuses quand elle en voyait. Elle hocha la tête avant de tendre une main.

– C’est oublié ?

June afficha un faible sourire.

– C’est oublié, acquiesça-t-elle en lui serrant la main.

💕

Elles terminèrent leur ronde une heure plus tard, confirmant l'absence de présence ennemie. Les membres frigorifiés et le ventre criant famine, elles tournaient tout juste au coin de la rue lorsque June la tira soudainement en arrière et la plaqua contre le mur. Elle désigna silencieusement le devant de l’immeuble avant que Neva n’ait eu le temps de s’insurger.

Cette dernière sentit aussitôt sa respiration se couper lorsqu’elle vit Jack affalé sur les marches, le visage ensanglanté. Il semblait avoir du mal à respirer, et lorsque leurs regards se croisèrent, Jack gémit son nom dans un cri d’agonie tandis que ses bras le hissaient douloureusement vers la porte.

– Nevaaaaa... !

Le claquement d'un coup de feu retentissant dans l’immeuble accompagna sa déchirante complainte, et Neva partit aussitôt à toutes jambes. Du coin de l'œil, elle vit June s'arrêter auprès de Jack, et elle se précipita dans l'immeuble. Le trajet jusqu’au troisième étage passa comme un flash, et elle entra en trombe dans l’appartement avant de s’arrêter net.

Agenouillée à même le sol, le visage couvert de larmes, Mia était aux prises de deux androïdes, l’un la tenant par les cheveux et l’autre par le bras.

Une vague de froid la parcourut aussitôt, mais une main se posant sur sa hanche l’empêcha de bouger.

– Tu ne peux pas toucher Mia dans cet état, commença June, sa voix à peine plus haute qu’un murmure. Tu me fais confiance ?

Neva hésita avant de hocher la tête et elle sentit aussitôt une forte chaleur l’envelopper, rapidement suivie par une série de boules de feu qui passèrent non loin de son visage. Elle vit aussitôt Mia tomber à genoux, puis Tawny passer soudainement devant elles et arracher le bras du second androïde avant qu’il ne se mette à tirer. Sa tête sauta ensuite, et il ne mit pas bien longtemps avant de libérer le bras de Mia.

Soulagée, Neva rattacha son collier les mains tremblantes avant de se précipiter vers l’adolescente et la prendre dans ses bras.

– Ssshhh tout va bien maintenant, murmura-t-elle lorsque Mia s’accrocha à elle comme si sa vie en dépendait.

Mia secoua la tête, de nouvelles larmes dévalant le long de ses joues.

– Mama...

Neva fronça les sourcils et regarda aussitôt autour d’elle, inquiète de ne pas voir la veille femme, avant de suivre les regards de June et Tawny et de découvrir le corps sans vie de Mama dans la cuisine.

Elle crut s’évanouir lorsqu’elle vit la mare de sang qui s’étendait progressivement autour de son corps inerte.

3 décembre 2014

Chapitre 11

Tegan ne put retenir un sourire lorsqu’elle vit Skye s’approcher d’elle alors qu’elles marchaient dans les bois, à la recherche de gibier. De l’autre côté de l’adolescente se trouvait Neva, et même si le froid qui émanait d’elle avait de quoi rapidement vous frigorifier, Tegan savait que ce n’était pas l’unique raison pour laquelle Skye s’écartait progressivement d’elle à mesure qu’elles avançaient.

Lorsqu’elle avait proposé à Skye d’aller chasser le matin même, elle avait sournoisement attendu qu’elle accepte avant de préciser que Neva les accompagnerait. En ce qui la concernait, la situation virait au ridicule. Skye évitait Mia et sa mère comme la peste, Neva passait son temps plongée dans ses pensées dès que l’une ou l’autre apparaissait, quant à Mia, la façon dont elle suppliait sans arrêt Skye du regard donnait l’impression que cette dernière avait pris son chiot en otage.

Tegan se passa une main sur le visage tout en soupirant. Il est grand temps que ça cesse, et vite.

– Comment ça va avec Mia ? demanda-t-elle innocemment à l’attention de Skye. Ça fait un moment que je vous ai pas vues ensemble.

Elle lâcha presque un rire face aux deux regards surpris qui se tournèrent aussitôt vers elle. Le visage de Neva se transforma finalement en un « qu’est-ce que tu fabriques ? » et elle haussa les épaules avant de reporter son attention sur Skye.

L’adolescente ne savait plus où se mettre.

– J’étais occupée, marmonna-t-elle finalement.

– Ah. C’est vrai qu’éviter quelqu’un, ça demande beaucoup de temps et d’organisation, remarqua Tegan, la moue pensive. Et d’imagination aussi, parce que bon, il faut les trouver les excuses pour ne pas avoir à rester dans la même pièce que l’autre. Non, vraiment, je te comprends Skye, c’est loin d’être évident ce qui t’arrive là, conclut-elle en passant un bras autour de l’adolescente et en lui tapotant affectueusement l’épaule.

Elle vit Neva réprimer un sourire et elle hocha la tête lorsque cette dernière lui indiqua qu’elle allait s’éloigner un peu histoire de leur offrir un semblant d’intimité.

Skye lui offrit un regard noir tout en se dégageant.

– Je savais pas que tu m’observais, maugréa-t-elle, visiblement mécontente. C’est un nouvel hobby ?

– Non, un passe-temps plutôt. Et te voir galérer rien que pour l’éviter, c’est une distraction assez... amusante. 

– Ravie de voir que mes problèmes que te font rire, marmonna Skye, les bras croisés sur sa poitrine. Je croyais qu’on était venues ici pour chasser ?

– Neva s’en occupe, répondit Tegan en remuant une main. Tu sais que tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même ? Personne ne t’a demandé de l’éviter comme la peste.

Skye l’observa comme si elle avait perdu l’esprit.

– Ce qui ne serait pas arrivé si elle ne m’avait pas menti, rétorqua-t-elle, avant de jeter un rapide coup d’œil en direction de Neva et hisser entre ses dents : On est obligées d’en parler maintenant ?

Tegan ne put retenir un sourire taquin.

– Pourquoi ? T’as peur que maman Neva vienne te geler les fesses ?

– Non, mentit Skye en se passant une main maladroite derrière la nuque.

Elle hésita avant de lever les yeux vers Tegan.

– Je devrais ?

Tegan retint difficilement un rire et prit un air pensif.

– Hmm laisse-moi réfléchir... comment est-ce que je réagirais si on tentait d’embrasser ma fille, pour ensuite faire comme si elle n’existait pas... Oh oui, j’aurais carrément envie de te botter les fesses, taquina-t-elle dans un grand sourire.

– Tegan..., gémit aussitôt Skye.

Tegan leva les yeux au ciel tout en attirant l’adolescente à elle. Elle avait été surprise de voir Skye sortir de la chambre d’un pas pressé ce jour-là, encore plus lorsque des éclats de voix avaient aussitôt éclaté après son départ. Mais ce n’était rien comparé à ce qu’elle avait ressenti lorsque l’adolescente avait pris place à côté d’elle et lui avait avoué qu’elle avait embrassé Mia.

Mia, la jeune et innocente Mia, âgée de treize ans seulement.

Elle l’avait d’ailleurs aussitôt taquinée sur ce point, avant de prendre un air confus lorsque Skye lui avait aussitôt répondu qu’elle n’en avait pas treize, mais quinze. Tegan s’était alors vue dans l’obligation de remettre les pendules à l’heure, expliquant à l’adolescente que sa petite chérie lui avait visiblement menti. Au mieux, elle allait avoir quatorze ans dans quelques mois, mais certainement pas quinze...

Dire que Skye avait plutôt mal pris la nouvelle aurait été un euphémisme, et d’après les retours qu’elle en avait eus, elle ne s’était pas gênée pour le faire savoir à Mia. Tegan comprenait les motivations de cette dernière ; elle était tombée amoureuse, et ne voulait pas être perçue comme une gamine, mais pour Skye, il n’y avait pas matière à discuter, l’histoire prenait fin avant même d’avoir commencé, un point c’est tout.  

– Si Neva ne t’a encore rien dit, c’est qu’elle n’a pas l’intention de le faire, répondit Tegan d’un ton tempéré. Elle estime peut-être que ça ne regarde que vous... où que tu reprendras rapidement tes esprits, finit-elle en lui offrant un regard appuyé.

Skye tourna la tête tout en croisant les bras sur sa poitrine.

– Tout le monde fait comme si c’était de ma faute.

– Non, on te reproche simplement d’être bornée.

Skye lui jeta un regard noir et elle soupira :

– Bon sang, Skye... mon père me battait, June s’est retrouvée enceinte à quinze ans, tu as failli te faire violer à douze, Mia... Mia, elle, elle est tombée amoureuse... et tout ce que tu trouves à faire, c’est rechigner parce qu’elle t’a menti sur son âge ? Quand la vie te fait un beau cadeau comme celui-là, tu ne lui fermes pas la porte au nez, Skye ; tu l’accueilles à bras ouverts.

Skye leva vers elle un regard malheureux.

– Justement, elle n’a que treize ans, Teg’... à quinze, il y avait au moins une chance, mais à treize...

Tegan l’observa, confuse.

– Une chance pour quoi, Skye ?

Skye soupira avant de baisser le regard vers ses pieds :

– Pour qu’elle vienne avec nous l’heure venue.

La prise de conscience la frappa et Tegan sentit soudainement le sang quitter son visage. C’était donc ça, ce qui la bloquait ? Qu’elles deviennent proches quand Skye allait finir par devoir partir et la laisser derrière... Même si elle n’était pas du genre à s’investir sentimentalement parlant, Tegan dût bien admettre que l’idée avait de quoi refroidir.

Son visage prit un air compatissant.

– Skye...

– Laisse tomber, j’ai déjà arrêté d’espérer depuis une semaine, coupa l’adolescente dans un sourire crispé. On peut chasser maintenant ?

Tegan hésita avant de hocher la tête, et elle observa l’adolescente s’éloigner, un pincement au cœur.

💕

Lorsque Neva entra dans la chambre ce soir-là, Mia était déjà au lit, mais au vu de sa respiration – quasiment imperceptible – Neva savait qu’elle ne dormait pas.

Une semaine s’était écoulée depuis leur dispute, et même si elles avaient déjà eu quelques désaccords par le passé, le fait que Mia l’ignore pendant aussi longtemps était une première.

Non pas que Neva ne pensait pas le mériter.

Selon elle, ses inquiétudes étaient fondées, mais les bribes de conversations qu’elle avait entendues ce matin entre Skye et Tegan l’avaient fait réfléchir, et elle avait admis qu’il était grand temps pour elle de reconnaitre ses torts... et essayer d’arranger les choses.

Elle retira ses chaussures une à une, puis accrocha sa veste au porte-manteau avant de grimper sur le lit et de s’allonger contre Mia, appuyant sa tête contre son épaule.

– Mia ?

Le silence lui répondit et elle attendit quelques minutes avant de reprendre :

– Il y a un petit moment maintenant, quand j’avais ton âge, mes parents m’avaient autorisé à organiser une grande fête pour mon anniversaire, commença-t-elle, aussitôt soulagée de voir deux iris couleur noisette se poser automatiquement sur elle. C’était ma première, pour la simple raison que j’étais très timide à l’époque, alors en général, nous n’étions que trois ou quatre. Mais cette fois-ci, j’avais invité la quasi-totalité de ma classe, et je me souviens avoir été vraiment surprise de voir que tout le monde était venu.

Elle laissa un sourire nostalgique apparaître sur ses lèvres avant de continuer :

– Mes parents avaient vu les choses en grand, décorations en tout genre, confiseries, musique... tout y était pour qu’on passe un bon moment, mais ce qui avait vraiment fait la différence pour moi, c’était Clément, déclara-t-elle en rougissant légèrement. Clément et moi étions meilleurs amis d’aussi loin que je m’en souvienne, mais cette année-là, il était surtout devenu mon amoureux secret. Et ce jour-là, enfermés au fin fond d’un placard, il a été le tout premier garçon à m’embrasser, et ce pendant sept longues minutes, sourit-elle, ravie de voir Mia lui sourire en retour.

– Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? s’enquit l’adolescente.

– Rien, répondit Neva en prenant appui sur une main, un air pensif sur le visage. J’étais beaucoup trop timide pour lui demander de sortir avec moi, j’imagine qu’il a dû le pressentir, sourit-elle furtivement. Mais, Mia, si je te raconte tout ça, c’est parce que je sais que j’ai été injuste avec toi cette semaine. Je n’aurais pas dû réagir comme je l’ai fait, et j’en suis sincèrement désolée. Disons que la situation m’a prise de court, et que pendant un instant, c’est ma petite fille que j’ai vu, et non pas une adolescente de presque quatorze ans en âge de découvrir sa propre sexualité.

Mia écarquilla les yeux avant de se couvrir le visage de ses mains et relâcher un grognement.

– Ugh maman... on est obligé de parler de ça ? C’est déjà super embarrassant que tu nous aies surprises !

Neva lâcha un rire.

– Oh je te rassure, c’était tout aussi gênant pour moi, répondit-elle en faisant mine de lui attraper le bout du nez. Alors la prochaine fois, évitez de faire ça dans la chambre, hein ?

– Y aura pas de prochaine fois, soupira Mia en laissant ses bras retomber à ses côtés.

Neva l’observa, confuse.

– Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

– Parce que j’ai menti à Skye sur mon âge, et qu’elle n’a pas apprécié quand elle a découvert la vérité.

– Attends, quoi ? Tu lui as fait croire que tu avais quel âge ?

Mia détourna le regard.

– Quinze ans, marmonna-t-elle.

– Quinze ans ? s’étonna Neva, de plus en plus confuse. Mais pourquoi...

Une prise de conscience se fraya finalement un chemin dans son esprit et elle observa Mia, appréhensive.

– Mia, elle a quel âge, Skye ?

Mia resta silencieuse avant de finalement murmurer :

– Dix-sept. Mais elle vient tout juste de les avoir ! ajouta-t-elle quand elle sentit Neva se figer. Et je vais bientôt avoir quatorze ans.

– Mia... c’est pas ça le problème, soupira Neva en se passant une main sur le visage.

– C’est quoi alors ? rétorqua aussitôt Mia d’un ton impatient.

Neva leva les yeux vers elle.

– Le problème, c’est ce qu’il y a derrière les chiffres. A treize ans, on pense à embrasser. A dix-sept, on pense à bien plus et je n’ai pas envie que tu penses à bien plus. Tu es bien trop jeune pour ce genre de choses, Mia.

Mia croisa les bras sur sa poitrine tout en soupirant.

– J’ai jamais dit que je voulais coucher avec elle, répliqua-t-elle, sa franchise surprenant Neva. Et j’en ai marre d’être définie au travers de mon âge. Personne ne se soucie de ce que je veux vraiment, juste de ce que je suis supposée vouloir.

– Mia...

– J’aimerais dormir maintenant, coupa l’adolescente en lui tournant le dos.

Neva l’observa, partagée. Elle savait qu’elle n’avait pas le droit d’empêcher Mia de vivre sa vie, mais une part d’elle ne pouvait s’empêcher d’être inquiète. Sa fille n’avait peut-être que treize ans, mais Skye en avait dix-sept. Les attentes d’une relation amoureuse étaient bien souvent différentes à cet âge. Et Dieu sait ce qu’elle a bien pu expérimenter sur les routes.

Son regard s’arrêta sur l’adolescente et elle réalisa qu’elle avait eu tout faux lorsque les dernières paroles de Mia lui revinrent en mémoire. Ce n’est pas Skye qui importe, mais Mia, et la confiance que j’ai en elle.

Elle se pencha et l’embrassa sur la tempe avant de murmurer :

– Tu es vraiment plus mature que ton âge le voudrait, remarqua-t-elle doucement. J’espère simplement que Skye sera assez intelligente pour le remarquer.

Mia tourna la tête vers elle, confuse.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Que tu es dans ton droit de sortir avec elle si tu en as envie, et que même si ça ne m’empêchera pas de m’inquiéter pour toi, je préfère tout miser sur la confiance que j’ai en toi, répondit Neva en lui caressant les cheveux, avant de croiser son regard. Cette situation est nouvelle pour moi aussi Mia, accorde-moi un peu de temps pour m’y habituer, d’accord ?

Mia se tourna de manière à lui faire face et la prit aussitôt dans ses bras.

– Merci, murmura-t-elle simplement avant de se reculer. Je t’aime.

Neva l’embrassa sur le bout du nez.

– Moi aussi, sourit-elle avant de feindre un air sérieux. Bon, et Skye, parle-moi un peu plus d’elle...

Elle lâcha aussitôt un rire lorsque Mia enfoui son visage dans son cou tout en lâchant un nouveau grognement.

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