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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

3 décembre 2014

Chapitre 10

June se tenait debout près du petit muret lorsque Neva pénétra sur le toit de leur immeuble, les bras croisés sur la poitrine tandis qu’elle surveillait les alentours avec attention.

Deux mois s’étaient écoulés depuis les fêtes de fin d’année, et en plus des rondes qu’ils effectuaient continuellement, June avait jugé bon d’avoir quelqu’un sur le toit pour faire le guet. Ils n’avaient pas aperçu le moindre androïde depuis cette fameuse nuit où June et ses acolytes lui avaient sauvé la vie, mais ils ne baissaient pas leur vigilance pour autant ; s’ils avaient vu Neva, ils allaient forcément revenir. La question restait à savoir : quand ?

Mars approchait et avec lui la saison des pluies. Les températures augmenteraient un peu, mais pas suffisamment pour pouvoir envisager un long voyage sur les routes. L’humidité pouvait se montrer tout aussi fatale que les froides températures d’hiver, mais ce qui les retenait surtout, c’était que June leur avait assuré que les zones chaudes et tempérées étaient constamment surveillées par l’Elite, rendant la situation encore plus risquée. 

Arrivée à sa hauteur, Neva lui tendit l’une des deux tasses fumantes qu’elle tenait entre ses mains et June la remercia d’un imperceptible sourire.

Depuis qu’elle avait découvert qu’ils savaient extraire du sucre depuis l’écorce de bouleaux, elle était devenue accro au breuvage.

– Rien à signaler ?

June secoua négativement la tête avant de répondre, ironique :

– Non pas que je serve réellement à quelque chose, avec le boucan qu’ils font en bas, on sera repérés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Neva se pencha légèrement afin de pouvoir regarder en bas. Les garçons avaient improvisé un match de rugby dans la rue ; les triplés contre Tegan, Tawny et Mathis tandis que Mia et Skye les encourageaient depuis les marches de l’immeuble. Neva retint difficilement un rire, entre Tawny et sa force surhumaine, et Tegan qui filait comme le vent, les garçons n’avaient aucune chance.

Elle prit place sur le petit muret et reporta son attention sur June qui sirotait tranquillement son breuvage. Même s’il leur arrivait encore d’entrer en conflit, Noël avait vraiment changé la donne entre elles. Neva ne savait pas exactement ce que June attendait d’elle, leurs débuts avaient été si terribles qu’elle avait eu l’impression de tout faire de travers. Mais depuis Noël, June semblait s’être apaisée. Elle paraissait même satisfaite de voir Neva s’investir dans les tâches journalières, participer à la chasse et aux rondes nocturnes et matinales, et, dans l’ensemble, la bonne humeur régnait désormais entre tous.

June croisa son regard et elle détourna les yeux avant de se racler la gorge, pensive.

– Dis, tu ne m’as jamais dit comment vous aviez entendu parler de moi, remarqua-t-elle, le regard rivé sur le doigt qu’elle laissait glisser sur le rebord de sa tasse.

June haussa un sourcil.

– Je suis surprise que tu aies attendu aussi longtemps avant de demander, taquina-t-elle.

Neva se sentit rougir. Elle haussa les épaules.

– L’occasion ne s’est simplement jamais présentée.

– Hmm. Des bruits se sont mis à courir, puis on a croisé un couple qui disait avoir entendu des gardes de l’Elite discuter lors d’une patrouille dans leur ville. Ils parlaient de cette femme qui avait apparemment mis à mal plusieurs de leurs androïdes.

Elle fit une pause avant d’ajouter avec un sourire en coin :

– Ils l’appelaient « la Reine des Glaces ». La plupart n’y croyaient pas, les gardiens eux-mêmes pensaient que l’histoire avait été enjolivée mais quand tu fais partie de ceux qui sont différents...

– C’est pour ça que vous êtes venus jusqu’ici ? Pour voir si ces gens disaient vrai ?

– Entre autres, reconnut June avant de la regarder. Mieux valait que ce soit nous qui te trouvions plutôt qu’eux, non ?

Neva hocha la tête.

– Et vous m’avez trouvé... comment ?

Elle fut surprise de voir June lâcher un rire.

– Figure-toi que ça s’est fait totalement par hasard. On savait juste que tu te cachais soi-disant au nord mais pas où exactement. Je n’avais pas revu Mama depuis... bien trop longtemps, alors je m’étais dit que c’était une bonne occasion de faire d’une pierre deux coups.

Son sourire s’agrandit lorsqu’elle croisa le regard de Neva.

– Alors imagine ma surprise quand, à peine arrivés sur place, on tombe aussitôt sur cette nana aux prises avec un androïde qu’elle semble visiblement essayer de transformer en glaçon géant.

Neva ne put retenir un sourire à son tour.

– Je suis contente que vous soyez tombés à pic en tout cas, remarqua-t-elle plus sérieusement avant de frissonner lorsqu’elle se remémora les mains de l’androïde resserrant leur étreinte autour de son cou.

Elle secoua légèrement la tête afin de s’éclaircir les idées.

– Alors c’est ce que vous faites ? Venir au secours de ceux qui sont différents, je veux dire.

– En quelque sorte, répondit June, le regard perdu au loin. Ils se sont décidé à nous faire la guerre, la moindre des choses que l’on puisse faire, c’est de se serrer les coudes, non ?

– Ils ont enlevé la mère de Mathis juste avant votre arrivée.

June l’observa avant de hocher faiblement la tête.

– Mama m’en a vaguement parlé.

Neva sentit sa gorge se serrer face au souvenir de ce jour terrible et elle prit une profonde inspiration afin de reprendre ses esprits.

– June, comment c’est là-dehors ? demanda-t-elle soudainement, changeant délibérément de sujet. La plupart des gens du nord ont migré au sud, comment ça se passe pour eux ?

– Ça dépend, répondit June en venant prendre place à côté d’elle sur le petit muret. La vie a progressivement reprit son cours après l’insurrection, à la différence près que l’Elite a totalement ignoré son peuple. Les gens se sont réunis dans des villes désormais en ruine, survivant comme ils le pouvaient. Un peu comme vous, à la différence près que les soldats de l’Elite leur rendent régulièrement visite afin de s’assurer qu’aucun Arcan ne s’y cache.

Neva haussa les sourcils.

– Arcan ?

June afficha un sourire en coin.

– C’est le nom qu’on nous a donné. A l’époque de l’histoire ecclésiastique, l’Eglise primitive a instauré l’arcane, une règle consistant à cacher une partie de sa foi et de son culte à ceux qui n'étaient pas encore baptisés et initiés. Certains ont pensé que ça nous correspondait plutôt bien.

– Donc... ils les laissent vivre en paix ?

– Tant qu’ils ne cachent pas d’Arcans, oui. Sinon, c’est la mort assurée dans d’atroces souffrances. Et l’Elite offre également des récompenses à tous ceux qui leur livrent des Arcans ou dévoilent leurs cachettes.

Elle prit une profonde inspiration avant d’ajouter :

– En simple, on doit se méfier de tout le monde.

– Ça me conforte dans l’idée qu’on a pris la bonne décision en choisissant de rester ici, remarqua Neva. Ça m’a l’air d’être la meilleure solution.

– Pour l’instant, répondit June.

Neva leva aussitôt les yeux vers elle.

– Comment ça ?

– Les beaux jours finiront par arriver, l’Elite en profitera aussitôt pour envoyer des soldats. Echapper à un androïde est une chose, échapper à une horde de militaires en est définitivement une autre...

Neva se mordit l’intérieur de la joue. Elle s’était doutée qu’ils allaient devoir finir par bouger, mais l’entendre de la bouche de June rendait la chose soudainement bien réelle. Elle ne put empêcher une sensation de malaise de grandir au creux de son ventre.

– Semblerait qu’ils aient fini d’apeurer la faune sauvage, remarqua June les yeux rivés vers la rue avant de sourire. Tu paries combien que c’est parce que leurs estomacs crient famine ?

Neva leva les yeux au ciel.

– Rien du tout, répondit-elle, pour la simple raison que June avait probablement raison.

Pourquoi parier quand c’était clairement perdu d’avance ?

💕

Arrivées à l’appartement, elles les retrouvèrent réunis dans la cuisine en train de manger avec entrain ce que Mama pouvait bien avoir préparé, et Neva ne put retenir un rire lorsque June lui offrit un regard appuyé.

Jack leur fit signe de les rejoindre et elle prit place sur ses genoux avant de regarder autour d’elle, les sourcils froncés.

– Skye et Mia ne sont pas avec vous ?

– Elles sont parties manger dans la chambre, répondit Tegan en se servant une énième cuillerée de bouillon. 

– Oh, remarqua Neva avant de se lever. Tu veux bien me servir une assiette ? demanda-t-elle à Jack. Je vais voir ce qu’elles font.

Jack hocha la tête et elle prit la direction de la chambre. Le rideau était totalement fermé et elle le tira légèrement avant de se figer sur place.

Mia et Skye étaient sur le lit en train de s’embrasser, leurs déjeuners complètement oubliés.

Troublée, Neva referma brusquement le rideau les mains tremblantes, avant que la colère ne prenne le dessus. L’épais tissu vola devant elle et elle entra d’un pas décidé dans la pièce, se raclant bruyamment la gorge lorsqu’aucune ne remarqua sa présence.

Prises en faute, les deux adolescentes s'écartèrent brusquement avant de rougir furieusement et le regard de Neva passa alternativement de l’une à l’autre avant de s’arrêter sur Skye.

– Dehors, ordonna-t-elle, les dents serrées.

Skye obtempéra aussitôt, visiblement embarrassée, avant de s’arrêter lorsque June apparut juste derrière Neva. Neva prit une profonde inspiration avant d’ajouter : 

– Sors.

– Neva..., intervint June, avant de se taire lorsque Neva lui jeta un regard noir.

Elle leva les yeux vers Skye et lui fit signe d’obéir d’un signe de la tête. L’adolescente ne se fit pas prier et s’enfuit après avoir lancé un dernier regard vers Mia.

– Tu ferais bien de la suivre, ajouta Neva, jetant un regard en biais en direction de June.

– Neva –

– Non ! s’exclama Neva avant de porter un doigt sur la poitrine de June. Tu sais quoi ? J’en ai assez de vos attitudes totalement dépravées, que ça se passe entre vous c’est une chose, mais je ne vous laisserai certainement pas souiller ma fille !

June serra des dents, la colère montant en elle face au terme choisi. Le silence qui régnait désormais dans l’appartement lui fit cependant réaliser qu’elles étaient visiblement le centre d’attention, et elle prit une profonde inspiration dans l’espoir de se calmer. Elle ne voulait pas humilier Skye et Mia plus qu’elles ne l’étaient déjà.

– Très bien. Ravie de voir la haute estime que tu as de nous, en tout cas, répondit-elle enfin avant de quitter la pièce puis l’appartement, ignorant les regards portés sur elle.

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3 décembre 2014

Chapitre 8

– Droite ou gauche ?

Skye jeta un œil autour d’elle avant de reporter son attention sur Tegan. Elle répondit, une fois sûre qu’elles étaient seules dans la rue déserte :

– Droite.

Tegan sortit sa main de derrière son dos et attendit une mini-seconde avant d’ouvrir les doigts. 

Skye afficha aussitôt un air blasé.

– Tu m’offres un joint pour mon anniversaire ?

– Hé, je l’ai fait moi-même, je te signale ! feignit de s’insurger Tegan alors qu’elle enfouissait discrètement le vrai cadeau de Skye dans la poche arrière de son jean afin de le lui offrir plus tard. Tant pis pour toi si t’as choisi la mauvaise main, taquina-t-elle en lui ébouriffant les cheveux.

Skye lui offrit un regard noir, remettant ses mèches en place. Elle détestait quand on lui faisait ça.

– Si tu pouvais te souvenir que j’ai dix-sept ans, et pas sept, ça m’arrangerait, marmonna-t-elle avant de plonger sa cigarette dans un bidon d’acier et de la frotter contre les restes encore fumants d’un feu de bois.

– Ugh, dix-sept ans, l’âge même où les crises d’adolescence sont les plus terribles ! taquina Tegan avant de passer un bras autour de son cou et de l’attirer à elle. Je plaisante, je sais bien que tu es une grande fille maintenant, mais du haut mes trente-et-un –

Skye se racla bruyamment la gorge et elle soupira :

– O.K., du haut de mes trente-quatre ans..., reprit-elle en levant les yeux au ciel. Eh bien, tu seras toujours ma petite Skye, c’est comme ça, ajouta-t-elle en l’embrassant sur la tempe, avant de sourire malicieusement. En plus, avec ta tête qui dépasse à peine mon épaule...

Skye la pinça aussitôt au niveau du ventre et elle s’écarta dans un cri.

– Ouch ! O.K., je l’ai mérité, rit-elle en massant la partie en question. Je vais m’assurer que les alentours sont sûrs, tu veux venir ?

– Avec toi ? Non merci, j’ai suffisamment couru pour toute une vie, ironisa-t-elle tout en s’asseyant sur les quelques marches qui menaient à l’immeuble. C’est pas des jambes qu’elle a, c’est des échasses !

Tegan haussa les épaules avant de partir à petites foulées, la neige fraîchement tombée craquant sous ses pieds.

– Comme tu veux, tiens June au courant quand elle rentrera, O.K. ?

– Elle va mettre Neva au courant de notre plan ?

– Pas encore, répondit Tegan avant de porter un doigt à ses lèvres. Mais chut, hein ?

Skye hocha la tête puis l’observa s’éloigner le long de la route. Ils allaient en effet devoir attendre que Neva leur fasse un peu plus confiance avant de la mettre dans la confidence.

Un léger bruit retentit derrière elle et elle tourna la tête, surprise de voir Mia sortir de l’immeuble et venir prendre place à ses côtés.

– Je croyais que t’étais privée de sortie ? remarqua-t-elle en tirant sur sa cigarette.

Mia se figea avant de réaliser que Skye la taquinait. Elle n’était pas privée de sortie à proprement parler, mais au vu des derniers évènements, Neva ne voulait pas qu’elle sorte seule et encore moins qu’elle s’éloigne sans l’en avoir informée.

– J’avais besoin de prendre l’air, répliqua-t-elle, les bras croisés sur ses genoux. J’ai l’impression d’étouffer si je reste trop longtemps à l’intérieur.

– Ah. Les hivers sont difficiles à supporter, hein ?

Mia afficha un sourire énigmatique.

– Pour le commun des mortels... oui, certainement.

Skye lui offrit un regard confus et l’adolescente tendit une main afin d’entourer son poignet de ses doigts.

Skye siffla aussitôt entre ses dents, admirative.

– Je comprends mieux le simple t-shirt et le jean troué, remarqua-t-elle dans un sourire.

Mia rougit légèrement.

– Et toi, qu’est-ce que tu sais faire ? demanda-t-elle en entourant ses jambes de ses bras. Si j’ai bien compris, vous avez tous des pouvoirs.

Skye eut soudain l’air embarrassé.

– Hum, c’est pas si simple que ça à montrer, marmonna-t-elle. 

Mia fronça les sourcils.

– Comment ça ? Ce sont des facultés intellectuelles ?

– La première, oui. Disons que je suis très douée en maths, sourit Skye. La seconde... je ne suis pas sûre que tu y croies si je ne te montre pas.

Mia lui offrit un regard appuyé.

– Ma mère peut geler n’importe quoi, et June est une véritable torche humaine. Crois-moi, ça élargit pas mal ta façon de penser.

– O.K., hmm... tiens, répondit Skye en tendant son bras vers Mia avant de s’allonger sur les marches. Caresse-moi.

Mia haussa aussitôt les sourcils.

– Pardon ?

– Caresse-moi le bras, répéta Skye avant de fermer les yeux afin de savourer pleinement la sensation. T’inquiète pas, tu comprendras très vite.

Mia hésita avant de faire courir le bout de ses doigts le long du bras dénudé. Ce n’était que l’ébauche d’une caresse, à peine un frôlement, et pourtant, après quelques secondes seulement, Skye sembla émettre un ronflement sourd et continu, comme le chat qui manifeste son contentement.

Elle s’arrêta, surprise.

– Tu... ronronnes ?

Skye ouvrit un œil.

– Entre autres, sourit-elle. Mes sens sont aussi plus aiguisés que ceux d’un simple mortel, je suis également beaucoup plus habile... et je peux me faufiler quasiment n’importe où sans éveiller la moindre suspicion.

Mia l’observa, visiblement fascinée, avant de froncer les sourcils.

– Attends, tu as parlé des maths, ça veut dire que tu as deux pouvoirs... comment ça se fait ?

– Je sais pas, c’est comme ça, répondit Skye en haussant les épaules, soufflant la fumée de sa cigarette vers le haut avant de la tendre vers Mia. Tiens, si tu veux la finir, fais-toi plaisir.

Mia observa l’objet comme s’il allait lui sauter au visage.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Du cannabis, répondit Skye, avant d’afficher un sourire narquois. Merci l’insurrection, on en trouve partout depuis.

Mia l’observa, confuse.

– Et ça sent toujours comme ça ? demanda-t-elle en grimaçant.

Sa réflexion poussa Skye à lâcher un rire.

– Laisse-moi deviner, t’as jamais fumé de ta vie, c’est ça ?

Mia secoua négativement la tête.

– Tu veux essayer ?

– Si le goût est semblable à l’odeur... je préfère passer mon tour.

Skye rit légèrement tout en écrasant le mégot sous son pied.

– T’as raison, mieux vaut éviter de prendre de mauvaises habitudes.

– Si c’est ce que tu penses, pourquoi continuer alors ? taquina Mia, les yeux brillants.

– C’était un cadeau d’anniversaire, expliqua Skye. Enfin, la première partie d’un cadeau d’anniversaire, Tegan n’est jamais discrète quand elle cache quelque chose dans la poche de son jean. Je suis quasiment sûre que le vrai est un canif.

Mia haussa un sourcil avant de sourire.

– Joyeux anniversaire alors. Ça te fait quel âge ?

– Dix-sept, avec un peu de chance, ils arrêteront de me voir comme le petit bébé du groupe, feignit-elle de menacer, arrachant aussitôt un rire à Mia. Et toi, quel âge ?

Mia sembla hésiter avant de répondre :

– Quinze ans. La fête de ce soir, c’est pour toi alors ?

– Non, ce soir, on fête noël, répondit Skye avant de se redresser lorsqu’elle perçut du mouvement du coin de l’œil. 

– Noël ? répliqua Mia, confuse, avant de se lever à son tour lorsqu’elle suivit son regard.

Elle fut aussitôt surprise de voir June et Neva approcher les bras chargés de sacs de différentes tailles.

– Qu’est-ce qu’elles comptent faire avec tout ça ? s’étonna-t-elle.

– Laisse-moi deviner, répondit Skye en baissant les yeux vers elle, le début d’un sourire accroché aux lèvres, t’as jamais fêté Noël non plus ?

Mia secoua la tête et Skye s’empara de sa main afin de l’entraîner avec elle.

– Alors prépare-toi à être surprise !

3 décembre 2014

Chapitre 9

Neva ne put s’empêcher de sourire face à l’ambiance qui régnait dans le salon. Le repas du soir avait cédé la place à l’ouverture des cadeaux, suite à quoi une monstrueuse partie de poker se déroula entre Mama et les garçons. Le fait que la vieille femme ne cessait de remporter la mise était déjà une première grande source d’hilarité, mais ce qui amusait vraiment Neva, c’était qu’elle n’hésitait pas à rappeler les garçons à l’ordre quand ils se montraient un peu trop mauvais perdants à son goût.

Assis sur ses genoux, Mathis préférait pour sa part jouer avec les petites voitures étalées tout autour de lui, et dans la chambre, Neva pouvait apercevoir Skye et Mia qui discutaient de façon animée sur le lit, une série de comic books éparpillés autour d’elles et la veste de Skye reposant à leurs pieds.

Tegan et June brillaient quant à elles par leur absence, s’étant excusées quelques instants plus tôt afin de s’accorder une pause cigarette. Mama interdisait la consommation de cannabis dans l’appartement, mais Neva les soupçonnait surtout d’avoir un peu trop bu et d’avoir eu besoin de prendre l’air.

Neva baissa la tête lorsqu’elle sentit Mathis prendre appui contre son épaule.

– Eh ben mon bonhomme, on est fatigué ?

Mathis se contenta de bâiller à s’en décrocher la mâchoire avant d’hocher la tête et Neva rit légèrement tout en se redressant.

– Je pense qu’il est largement l’heure d’aller au dodo, hein ? dit-elle avant de s’emparer de la main de Mathis et saluer chacune des personnes présentes dans le salon. Bonne nuit tout le monde !

Tous lui répondirent en chœur, ce qui poussa aussitôt Mathis à rougir et à venir cacher son visage dans le cou de Neva. Les rires résonnèrent à nouveau dans la petite pièce et Neva les salua à son tour avant d’emmener Mathis avec elle dans la chambre.

Les deux adolescentes levèrent aussitôt les yeux lorsqu’elle entra.

– Désolée les filles, mais va falloir céder la place ; petit bonhomme a envie de dormir.

– Tu crois qu’il va y arriver, avec tout ce bruit ? répondit Mia, sceptique. Tu devrais peut-être le coucher à côté...

Mathis resserra aussitôt sa prise autour du cou de Neva, et cette dernière l’embrassa sur le dessus de la tête afin de le rassurer.

– Je leur demanderai de baisser un peu le volume, répondit-elle en le déposant sur le lit. Et puis, le connaissant, je suis sûre qu’il pourrait dormir à travers n’importe quoi. Hein Mathis ? sourit-elle en lui ébouriffant les cheveux.

Mathis lâcha un rire tout en plongeant sous les couvertures et Neva profita du fait qu’il s’installait pour reporter son attention sur les deux adolescentes.

– Skye, tu joues au poker ?

– Je me débrouille, répondit l’adolescente en haussant les épaules.

Neva hocha la tête, pensive, avant de sourire, une lueur malicieuse dans le regard.

– Mama est en train de mettre la pâtée aux garçons, tu penses que tu peux mieux faire ?

Skye jeta un coup d’œil dans le salon où elles pouvaient entendre les garçons râler à nouveau, avant de reporter son attention sur Neva. Avoir un don inné pour les chiffres signifiait aussi qu’elle savait maîtriser les maths du poker : maximiser ses gains lorsqu’elle avait une main forte, et minimiser ses pertes lorsqu’elle avait une main plus faible. Une double stratégie qui permettait d’obtenir le meilleur résultat possible à chaque main et par conséquent, d’optimiser ses chances de gagner.

– Tu connais mon pouvoir, tu sais que je gagnerai.

– Possible..., admit Neva, visiblement amusée. Ils sont déjà dégouttés de se faire battre par leur propre mère, qui, il faut le dire, a pas loin de trente ans de plus qu’eux. Mais comment penses-tu qu’ils réagiraient si une adolescente de 17 ans se mettait à les battre à plate couture juste après ?

– T’es diabolique, sourit Skye en récupérant sa veste.

– Ça m’arrive, taquina Neva, surtout quand c’est pour leur donner une bonne leçon. Rien de mieux que de voir trois grands machos se faire remettre à leur place par des femmes. Alors, partante ?

Mia leva les yeux au ciel tout en récupérant ses comics books.

Comme si elle allait dire non à un tel défi... Moi en tout cas, je veux voir ça !

Les deux adolescentes se précipitèrent dans le salon afin de mettre leur plan à exécution et Neva lâcha un léger rire avant de remonter la couverture jusqu’au cou de Mathis puis l’embrasser sur le front.

– Bonne nuit mon cœur, on est juste à côté si besoin, O.K. ?

Mathis hocha la tête et elle souffla sur la lampe à huile avant de quitter la chambre tout en prenant bien soin de laisser un léger jour passer à travers le rideau. Non pas que Mathis avait peur du noir, mais depuis qu’elle l’avait ramené avec elle cette nuit-là, il détestait se retrouver seul.

L’ambiance battait son plein dans le salon, et au vu du sourire vainqueur de Skye et des mines déconfites qu’arboraient les garçons, l’adolescente était déjà sur la voie de la victoire. Mia croisa son regard et elle lui fit signe qu’elle arrivait avant de remarquer la lumière qui filtrait sous la porte de la salle de bains. Tiens, j’aurais juré qu’elles étaient dehors.

Elle frappa légèrement avant d’entrer, et fut aussitôt surprise de voir Tegan et June qui s’embrassaient à pleine bouche. Sous la panique, elle balbutia aussitôt des excuses incohérentes avant de faire demi-tour et de refermer la porte derrière elle.

Dans le salon, la bonne humeur régnait toujours et elle s’accorda un moment afin de reprendre ses esprits, avant de prendre pleinement conscience de ce qu’elle venait de surprendre dans la pièce située juste derrière elle.

Elle rentra de nouveau à l’intérieur, furieuse.

– Je peux savoir à quoi vous jouez ? s’exclama-t-elle en les observant tour à tour, secrètement soulagée de voir qu’elles s’étaient éloignées l’une de l’autre. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il y a des enfants dans la pièce juste à côté. Vous imaginez si Mia était entrée à ma place ? Mathis ? Ou Jack ? ajouta-t-elle en offrant un regard appuyé en direction de Tegan.

Tegan se passa une main dans les cheveux tout en soupirant.

– Notre histoire appartient au passé, ce genre de chose est amené à arriver un jour, tempéra-t-elle avant de lever une main lorsque Neva chercha à l’interrompre. Mais tu as raison, on a fait preuve d’imprudence. Ça ne se reproduira plus.  

Neva hocha la tête d’un air entendu.

– Merci.

Tegan remua une main dans les airs.

– C’est rien, sourit-elle dans un clin d’œil. L’alcool a simplement tendance à nous rendre un peu exubérantes.

Elle tira légèrement sur le t-shirt de June afin de l’embrasser furtivement sur les lèvres puis quitter la pièce.

Neva l’observa s’éloigner, stupéfaite.

– J’aimerais pas voir ce que ça donne quand elle est complètement ivre...

June afficha un semblant de sourire tout en la poussant vers la sortie.

– Elle sait se montrer discrète dans ces cas-là.

J’espère bien, pensa Neva avant de lui faire face.

– Je ne sais pas trop ce qu’il y a entre vous deux, et avant que tu ne dises quoi que ce soit, je n’ai aucune envie de le savoir, grimaça-t-elle en secouant la tête. Mais... Jack s’est vraiment attaché à elle ces dernières semaines, alors j’apprécierais vraiment si vous pouviez faire attention en sa présence.

June l’observa un instant avant de hocher la tête.

– Donc lui et toi..., demanda-t-elle dans un semblant de sourire.

– Quoi ? demanda Neva, avant de comprendre. Oh. Ah, non, il est comme un frère pour moi. A vrai dire, chacun des fils de Mama est comme un frère pour moi. Même si certains sont plus agaçants que d’autres...

– Hmm. Je me demandais juste. Vous avez l’air très protecteur l’un envers l’autre, répondit June en prenant appui contre le chambranle, les yeux rivés sur le salon.

Neva suivit son regard avant de répondre.

– Un peu comme toi et Tegan, remarqua-t-elle avant de se passer une main dans le cou. Sauf que vous, vous êtes réellement ensemble.

– Pas vraiment, remarqua June. Tegan sait rendre la vie excitante. On s’amuse, c’est tout. On profite, expliqua-t-elle avant de sourire. Et c’est toujours un plaisir de faire ça avec Tegan, elle a le chic pour rendre les choses vivantes et amusantes.

Neva l’interrompit en levant une main.

– O.K., c’est beaucoup plus que ce que j’avais besoin d’entendre. Je suis censée me laver dans cette pièce, tu sais.

June lâcha un rire avant de venir lui murmurer à l’oreille.

– Fallait y penser avant de m’offrir ce t-shirt...

Neva se sentit rougir, ses yeux détaillant le vêtement malgré elle. Elle l’avait choisi pour le message qu’il véhiculait, « Rub here for good luck », imprimé juste au niveau de la poitrine, et qui pour elle correspondait parfaitement à June. Elle se demanda cependant si elle n’aurait pas plutôt dû l’offrir à Tegan, avant de lever les yeux au ciel lorsqu’elle vit June désigner sa poitrine tout en remuant des sourcils. Ou pas.

– Dans tes rêves, répondit-elle, un sourire néanmoins présent sur les lèvres.

– Etant donné que tu es celle qui me l’a offert, j’aurais pensé que tu aurais voulu être la première à l’essayer, taquina June.

Neva lui offrit un regard appuyé et June leva les yeux au ciel.

– O.K., deuxième, consentit-elle avant de s’approcher, un sourire provocateur sur les lèvres. Alors ? Je suis sûre que tu meurs d’envie d’un peu de chance.

Neva observa la partie du corps en question avant de lever les yeux vers June, ses iris presque glacés dans la pénombre dans laquelle elles se trouvaient.

– Ça dépend, t’y tient beaucoup ? demanda-t-elle, le ton de sa voix faisant clairement comprendre qu’elle ne parlait pas du t-shirt, mais de la partie de son anatomie se trouvant juste en dessous.

June lâcha un léger rire, les mains levées en signe d’apaisement.

– Woah tout doux, tout doux... c’est pas parce que je ne peux pas te brûler que tu dois en profiter.

– Me cherche pas, alors, rétorqua Neva, un sourire néanmoins présent sur les lèvres. 

De nouvelles exclamations retentirent devant elles et June observa Skye ramasser une nouvelle fois les jetons misés, Mia les empilant aussitôt en fonction de leurs couleurs.

Elle fronça légèrement les sourcils, intriguée.

– Qui a convaincu Skye de jouer ? Mia ?

Neva secoua négativement la tête.

– Toi ? s’étonna June.

– C’est si surprenant que ça ? rétorqua Neva, un sourcil haussé.

June haussa les épaules.

– Elle n’est pas du genre à aimer afficher ses pouvoirs. Tegan aurait pu la convaincre, mais...

– Elle était trop occupée pour ça ? termina Neva, retenant difficilement un sourire.

– C’est ça, répondit June, souriant elle aussi. Alors c’est effectivement surprenant. Mais en bien. Ça nous a permis de passer un bon moment tous ensembles, comme ça.

Elles s’observèrent un instant avant que Neva ne détourne les yeux.

– O.K., je déteste tes reproches, mais je crois bien que tes compliments me mettent encore plus mal à l’aise, remarqua-t-elle, son regard s’arrêtant sur le bracelet qui ornait désormais son poignet.

June lui avait offert une chainette parsemée de flocons de neige. J’espère qu’elle te portera chance, lui avait-elle dit. Neva avait trouvé amusant le fait qu’elles s’étaient chacune offert un porte-bonheur.

Elle sourit malgré elle lorsque June se mit à rire.

– Profites-en, ça ne va pas durer, taquina June avant de lui faire signe de la tête de rejoindre les autres.

Neva obtempéra, persuadée que June n’aurait pas pu la surprendre plus qu’elle ne l’avait fait aujourd’hui.

Tegan a peut-être raison, finalement. Elle ne doit pas être si méchante que ça une fois qu’on la connait.

3 décembre 2014

Chapitre 7

Du bruit provenant de la pièce voisine tira progressivement Neva du pays des songes et elle s’étira comme un chat, resserrant un peu plus son oreiller contre elle. Les jambes dénudées, à l’air libre, elle pouvait sentir les rayons du soleil qui dardaient sur sa peau avec vivacité, comme lorsqu’elle parcourait les champs en été et décidait de s’allonger sur l’herbe.

Un soupir de bien-être s’échappa de ses lèvres et elle tendit une main vers Mia, désireuse de la serrer tout contre elle afin de profiter un peu plus de sa chaleur. Ses sourcils se froncèrent cependant lorsqu’elle rencontra du vide, et elle se figea lorsqu’elle entendit l’adolescente rire de bon cœur avec Mathis de l’autre côté du rideau. Comment pouvait-il faire si chaud si Mia n’était même plus dans la pièce ?

Un raclement de gorge résonna en face d’elle et elle leva aussitôt la tête pour voir June confortablement appuyée contre le chambranle de la porte, une tasse fumante entre les mains.

– Qu’est-ce que tu fais là ? s’exclama-t-elle, remontant la couverture jusqu’à son menton.

– J’attendais que tu te réveilles, répondit June, sirotant une gorgée de son thé tout en l'observant par-dessus sa tasse. Tu sais que tu émets un petit bruit quand tu dors ? Un peu comme un chat quand il ronronne... très mignon, ajouta-t-elle, un léger sourire étirant ses lèvres.

Neva se passa une main sur le visage tout en soupirant.

– T’as rien d’autre à faire que de venir me tourmenter à une heure pareille ? Il me semblait d’ailleurs t’avoir dit que je ne voulais plus rien avoir affaire avec toi.

– Ouch, répondit aussitôt June, portant une main sur son cœur tout en clignant des yeux à plusieurs reprises. Je t’en prie, arrête, je vais finir par croire que je t’ai manquée ! taquina-t-elle.

Neva soupira tout en se couvrant les yeux d’un bras.

– June... qu’est-ce que tu veux ?

June prit une nouvelle gorgée de son breuvage avant de répondre.

– Tu sais quel jour on est aujourd’hui ?

Un rire s’échappa aussitôt des lèvres de Neva.

– Oh oui, bien sûr, après tout, ça ne fait qu’une petite douzaine d’années que mon agenda électronique ne marche plus, ironisa-t-elle en roulant des yeux.

Elle prit appui sur ses coudes afin de pouvoir regarder son interlocutrice.

– Franchement June, t’as d’autres questions dans le genre ? Bien sûr que non j’ai aucune idée de quel jour on est aujourd’hui, comment veux-tu que je le sache ?

– Tu aurais pu compter, répondit June en haussant les épaules. On l’a bien fait, nous.

Neva haussa un sourcil.

– Tu sais quel jour on est ? s’exclama-t-elle, surprise de voir June hocher aussitôt la tête. Et ?

June afficha un petit sourire.

– Noël.

Neva se figea, un air sceptique recouvrant rapidement ses traits.

– Tu me fais marcher là, hein ?

– Non, rétorqua June, secouant légèrement la tête. Skye a toujours eu un truc pour les chiffes, quand elle te dit qu’on est le 25 décembre, tu apprends très vite à fermer ta bouche et à lui faire confiance.

Neva se laissa retomber sur le lit, le regard rivé vers le plafond.

– Wow... Je ne me souviens même pas de la dernière fois que j’ai fêté Noël. Je devais avoir quatorze ans, sûrement. Avec l’insurrection... ça semblait, je sais pas... déplacé, tu sais ?

June hocha silencieusement la tête.

– En général, on passe la nuit à boire et à fumer tout en se remémorant de bons souvenirs. La vie sur la route est différente d’ici, ça aide à ne pas devenir fou, sourit-elle furtivement. On s’est dit que ça pourrait être sympa de remettre ça cette année, qu’est-ce que tu en penses ?

– J’en pense... que Mathis va être littéralement extatique, sourit Neva. Et Mia mérite de connaître au moins un Noël dans sa vie. Je me demande juste où est le piège ? demanda-t-elle en plissant des yeux en direction de June.

June haussa un sourcil.

- Nulle part. Du moment que tu acceptes de m’aider pour les cadeaux, ajouta-t-elle dans un clin d’œil. Dépêche-toi, on décolle dans vingt minutes.

Neva l’observa s’éloigner, interloquée.

– Et donc là, tu t’attends à ce que je t’obéisse, c’est ça ? hurla-t-elle après elle. Je suis même pas censée te parler !

Le visage de June réapparut aussitôt à travers le rideau.

– Tu l’as pourtant fait hier, rétorqua-t-elle, un air provocateur brillant dans ses iris marron.

– J’ai jamais rien fait de tel, marmonna Neva en croisant les bras sur sa poitrine.

June lui offrit un regard appuyé et elle soupira.

– Très bien, j’arrive... mais t’as intérêt à me dire ou on va.

– Tu le sauras en temps voulu, répondit June avant de remuer les sourcils. Mais je peux te garantir que tu vas aimer.

Neva l’observa, sceptique.

Mouais, j’en jugerai en temps voulu.

💕

June s’avança jusqu’au milieu de l’appartement avant de se tourner vers Neva et d’écarter les bras.

– Alors ?

Neva regarda autour d’elle, confuse.

– Je croyais qu’on était venues chercher des cadeaux de Noël, qu’est-ce qu’on fait dans un appartement abandonné ?

June se contenta de lui offrir un regard appuyé et Neva fut frappée d’une prise de conscience.

– Tu veux faire ton shopping, ici ? s’exclama-t-elle, incrédule.

– Hmm... oui ? rétorqua June avant de croiser les bras sur sa poitrine. Tu t’attendais à ce qu’on le fasse où, sinon ? Au centre commercial ? Je suis sûre qu’on aurait trouvé un paquet de trucs intéressants entre des ruines, des cendres et… oh, un paquet de débris.

Neva dut reconnaître qu’elle marquait un point, même si elle se serait largement passée de la remarque sarcastique. Elle se maudit cependant de ne pas y avoir pensé avant.

– June, tu ne peux pas entrer chez les gens et te servir comme bon te semble. Ces objets appartiennent à quelqu’un. On ne peut se servir à loisir et les faire nôtres sous principe qu’ils sont absents.

June s’approcha jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son visage. Elle chuchota contre son oreille :

– Dit-elle alors qu’elle porte un jean... Elle glissa une main dans le dos de Neva et tira légèrement sur la ceinture afin de pouvoir lire l’étiquette. ...Levis beaucoup trop neuf pour le porter depuis une quinzaine d’années.

Neva se sentit rougir face à la proximité du corps de June et de sa main qu’elle pouvait sentir contre son dos. Elle m’a quasiment touché les fesses !

Elle se racla maladroitement la gorge, fusillant June du regard lorsqu’elle se recula.

– C’est différent. Mama était très appréciée dans le quartier, chacun de ses amis lui a légué ses biens parce qu’il savait qu’il ne reviendrait pas. Et on n’en a jamais abusé. Tu l’as d’ailleurs vu toi-même, on utilise le strict nécessaire, et ce, jusqu’à usure complète.

– Et les gens qui vivaient ici ne reviendront pas non plus, Neva. Regarde autour de toi, cet appartement n’a pas été habité depuis des années. Rien ne nous empêche de nous servir, et de faire plaisir à nos proches.

Neva regarda autour d’elle avant de lâcher un soupir résigné.

– Je sais. C’est juste que... je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on est en train de violer leur intimité, admit-elle, embarrassée. Même s’ils sont partis, et qu’ils ne reviendront probablement jamais.  

– Si tu veux mon avis, je suis sûre qu’ils seraient ravis d’apprendre que leurs biens ont permis de rendre quelques personnes heureuses le temps d’une soirée. Tu ne crois pas ?

Neva secoua la tête, un léger sourire sur les lèvres.

– Laisse-moi deviner, tu obtiens toujours ce que tu veux, pas vrai ?

– Possible, rétorqua June, un semblant de sourire étirant ses lèvres. Alors, on s’y met ?

– On s’y met.

Les heures suivantes furent consacrées à passer l’appartement au peigne fin dans l’espoir de trouver la perle rare pour chacun des membres de la famille. Si au premier abord Neva avait trouvé l’activité dérangeante, elle s’amusait désormais comme une folle maintenant qu’elle avait trouvé ce qu’elle allait offrir à Mia et Mathis. June, quant à elle, s’était déjà procuré ce qu’elle comptait offrir à chacun des garçons, et ensemble, elles se mirent d’accord pour offrir à Mama un service de table au grand complet afin de lui permettre avant tout de se débarrasser de ses vieux plats.  

– Et pour Skye et Tegan, qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda Neva en rejoignant June dans la chambre des parents.

Un objet lui atterrit en plein visage et elle sursauta, avant de rougir furieusement lorsqu’elle réalisa qu’il s’agissait d’un soutien-gorge.

– June ! s’insurgea-t-elle, ses mains écartant le vêtement comme s’il avait la peste.

– Je croyais que tu voulais savoir ce que je comptais leur offrir ? s’exclama June en le récupérant.

Neva la fusilla du regard avant de l’observer comme si elle avait perdu la tête.

– Tu comptes leur offrir des sous-vêtements ?

– Pourquoi pas ? répondit June en observant la poitrine de Neva d’un regard critique. C’est un produit de luxe de nos jours. Dis, tu voudrais pas l’essayer ? Je crois que Skye fait le même tour de poitrine que toi. Les miens risquent d’être trop gros, expliqua-t-elle en plaçant le soutien-gorge contre ses seins.

Neva ne sut dire ce qui la perturba le plus, la demande, ou la vision qui s’offrait à elle. Bon sang, cette femme n’a-t-elle aucune limite ?

– June, j’ai – bon sang arrête avec ça ! s’exclama-t-elle en lui arrachant le soutien-gorge des mains afin qu’elle arrête de se tripoter devant elle. Et non, il est hors de question que je l’essaye, grimaça-t-elle.

– Très bien, je me débrouillerai sans toi, rétorqua June en levant les yeux au ciel. Il nous manque qui ?

Neva fit rapidement l’inventaire dans sa tête.

– En dehors de Skye – car il est hors de question que tu offres des sous-vêtements en dentelle à une adolescente, gronda-t-elle dans un regard appuyé. Hmm... toi, et moi. Et non, je veux pas de sous-vêtements non plus, prévint-elle lorsque June l’observa avec malice. Qu’est-ce que tu as choisi pour les garçons, au fait ?

– Du matériel de chasse et de pêche. Quelques couteaux, des pièges qui nous seront bien utiles. Et une mallette de poker, finit-elle dans un clin d’œil.  

Neva ne put s’empêcher de sourire.

– T’as trouvé ça où ?

– Dans des appartements situés un peu plus loin d’ici. On pourra y faire un tour plus tard s’il nous manque encore des choses.

Neva hocha la tête puis roula des yeux lorsque June sortit tout un tas de sous-vêtements de la commode afin de les poser sur le lit.

– Je serais dans le salon, indiqua-t-elle en quittant la pièce, ignorant le rire de June qui résonna derrière elle.

Le poster d’un boys band accroché sur une porte voisine attira cependant son regard. Elle la poussa légèrement, pénétrant ainsi dans ce qui devait être la chambre d’une adolescente. Elle regarda rapidement autour d’elle avant d’appeler par-dessus son épaule.

– June !

Elle entendit du mouvement puis June apparut derrière elle, un sifflement s’échappant de ses lèvres tandis qu’elle observait la pièce à son tour.

– Ça hurle l’adolescente rebelle avec son piercing au nez, sa veste cuir et son adoration sans bornes pour les groupes de métal. Blondie, j’ai l’honneur de t’annoncer que tu viens de trouver le paradis de Skye !

Neva grimaça face au surnom choisi avant d’afficher un sourire satisfait. Elle observa June farfouiller parmi tout un tas de bijoux et breloques en tout genre, et elle en profita pour jeter un œil dans l’armoire. A peine les deux battants ouverts, elle sut aussitôt qu’elle avait visé juste.

– Hé June, regarde ça, dit-elle en s’emparant du cintre sur lequel reposait une veste en cuir.

June tourna la tête dans sa direction, et délaissa aussitôt ses bijoux et autres babioles pour venir faire courir ses doigts sur le vêtement de façon révérencieuse.

– Epingles à nourrice, chaînes en métal, clous en pointe, lames de rasoir... Elle leva les yeux vers Neva et afficha un sourire diabolique. Y a pas de doutes, elle va adorer.

Neva lâcha un rire et elles passèrent les minutes suivantes à réunir leurs acquisitions dans de grands draps récupérés au fin fond des armoires.

– Bon, déclara Neva une fois qu’elles eurent terminé. J’imagine qu’il ne reste plus que nous deux ?

– J’ai déjà trouvé ce que j’allais t’offrir, et ce ne sont pas des sous-vêtements, précisa June lorsque Neva plissa des yeux.

Neva prit un air pensif avant de répondre :

– Attends-moi ici, et ferme les yeux, demanda-t-elle avant de partir en direction de la chambre de l’adolescente rebelle.

Elle ouvrit de nouveau l’armoire et s’empara du vêtement qu’elle avait aperçu juste après s’être emparée de la veste en cuir de Skye. Son regard s’égara un peu plus bas, et elle hésita une micro seconde avant de s’emparer de Dr. Martens quasiment neuves.

Elle n’avait plus qu’à espérer que June chausse du 38.

De retour dans le salon, elle glissa rapidement ses acquisitions dans le sac qu’elle s’était créé à l’aide de l’un des draps, puis fit signe à June qu’elle pouvait ouvrir les yeux.

June haussa un sourcil.

– On décolle ?

Neva hocha la tête avant de partir devant.

– On décolle.

3 décembre 2014

Chapitre 6

– Je croyais t’avoir dit qu’elle n’était pas méchante.

Neva déposa la pomme de terre qu’elle venait d’éplucher sur la table de la cuisine avant de lever les yeux vers Tegan, et elle grimaça intérieurement lorsqu’elle remarqua sa posture défiante. Oh oh.

– Qui ça ?

– June. Tu crois vraiment que personne n’a remarqué que tu passais ton temps à l’éviter ?

Neva leva les yeux vers le salon et vit aussitôt June renverser sa tête en arrière et rire aux éclats, poussant ceux qui l’entouraient à faire pareil. 

Elle haussa les épaules.

– Elle n’a pas l’air de s’en plaindre, répondit-elle, attaquant sa deuxième pomme de terre.

Mama avait enfin accepté qu’on l’aide dans la cuisine maintenant qu’ils étaient beaucoup plus nombreux.

Tegan tira une chaise et s’assit à côté d’elle.

– Ça, c’est parce qu’elle sait que tu vas finir par lui reparler un jour, même si je suis surprise qu’elle ait déjà attendu deux semaines.

– Pour quoi faire ? rétorqua Neva, visiblement peu enthousiaste à l’idée. Je pensais qu’elle avait compris qu’on n’était visiblement pas faites pour s’entendre.

Tegan haussa un sourcil incrédule.

– Et tu es arrivé à dresser une telle conclusion au bout de... vingt-quatre heures seulement ?

– C’est très long quand on passe son temps à remettre tout ce que tu fais en question, se défendit aussitôt Neva. Je lui ai rien demandé moi, c’est elle qui ne s’est pas gênée pour venir fourrer son nez dans mes affaires.

– Elle a peut-être jugé que tu en avais besoin, répondit Tegan en haussant les épaules, soupirant lorsque Neva lui jeta un regard noir. Je t’avais dit qu’elle pouvait être difficile à vivre au début, mais je suis sérieusement en train de me demander si t’es pas pire qu’elle.

Neva ouvrit la bouche d’incrédulité, encore plus lorsqu’elle entendit Mama ricaner derrière elle.

– Tu devrais être de mon côté ! s’exclama-t-elle, piquant l’arrière-train de la vieille femme avec son couteau.

Mama rit encore plus et Neva se renfrogna dans sa chaise, plissant des yeux en direction de Tegan.

– Bon, et pourquoi est-ce qu’elle veut me reparler ? C’est pas comme si vous alliez rester ici ad vitam aeternam.

Elle se redressa aussitôt lorsqu’elle vit Tegan hésiter.

– Vous comptez rester ici ad vitam aeternam ?!

– On pourrait, se défendit Tegan, désignant Mama. June et Mama font quasiment partie de la même famille.

Neva leva les yeux au ciel. Après des jours et des jours de harcèlement, Mama lui avait enfin avoué que June avait grandi dans l’appartement contigu à celui qu’elle et les garçons avaient occupé avant l’insurrection, et, s’étant rapidement liée d’amitié avec ces derniers avec qui elle avait passé tout son temps libre, Mama avait fini par la considérer comme sa propre fille. 

Neva pouvait néanmoins sentir qu’il y avait plus à l’histoire.

– Vous êtes des nomades, vous ne supporterez jamais de rester ici pour toujours.

Au vu du sourire qu’afficha Tegan, Neva sut qu’elle avait visé juste.

– Alors ? Pourquoi est-ce qu’elle tient tant à me reparler ?

– June te le dira elle-même, répondit Tegan, évitant la question. Mais honnêtement, regarde-les, tu crois vraiment qu’ils l’apprécieraient tous autant si elle était si terrible ?

Certains semblent même plus que simplement l’apprécier, ironisa Neva lorsqu’elle remarqua Jérôme et Jamie qui ne cessaient de la fixer du regard, et le pouce de Tawny qui allait et venait sur la cuisse que June avait posée sur la sienne. Cependant, même si June avait enroulé l’un de ses bras autour de son cou et qu’elle ne cessait de l’attirer à elle lorsqu’un fou rire les prenait, son attention était totalement portée sur Mathis qui semblait visiblement avoir du mal à gérer le paquet de cartes qu’il tenait entre ses mains. Et vu comment il passe son temps à rougir, il doit lui aussi être sous le charme, pensa Neva, amusée malgré elle.

– O.K., tu as raison, admit-elle finalement. Mais ça n’enlève rien à ma théorie, on n’est peut-être simplement pas faites pour s’entendre.

Tegan leva aussitôt les yeux au ciel.

– J’ai jamais vu quelqu’un d’aussi têtu, répondit-elle en secouant la tête, attaquant une deuxième pomme de terre. Heureusement que les fils de Mama sont pas comme ça, j’aurais pris mes jambes à mon cou sinon, taquina-t-elle dans un sourire.

Neva lui tira la langue.

– Je me demandais justement où était passé Jack ces derniers temps, répondit-elle, souriant à son tour. J’imagine que les choses se passent bien alors ?

– Les choses se passent bien, mais elles ne risquent pas d’aller très loin, grimaça Tegan, réunissant les pommes de terre épluchées afin de les déposer dans le plat que Mama lui tendait.

– Comment ça ? demanda Neva, tendant un bras vers le bac qui leur servait de poubelle afin de se débarrasser des épluchures. Il a l’air de déjà beaucoup tenir à toi.

Tegan soupira.

– Je sais, et c’est bien là le problème. Je lui ai dit quand on a commencé que je ne cherchais pas de relation sérieuse.

– Parce que tu sais que tu ne resteras pas ?

– Ça aurait pu, mais non, répondit Tegan en souriant brièvement. Si je couche avec quelqu’un, c’est parce que j’ai envie de m’amuser, parce que je m’ennuie et qu’il n’y a rien d’autre à faire, ou encore parce qu’il fait froid et que c’est un excellent moyen pour se réchauffer, ronronna-t-elle malicieusement. Ce que Jack recherche, c’est un genre de relation qui n’existe plus. Et plus tôt il réalisera ça, mieux ce sera pour lui.

Neva fronça légèrement les sourcils, surprise par ce qu’elle venait d’entendre. Elle, qui n’avait jamais quitté Crane Lake, réalisa qu’elle avait imaginé, peut-être un peu trop naïvement d’ailleurs, que le reste du monde avait continué à avancer comme elle et sa famille l’avaient fait. Mais ce que Tegan venait de lui dire l’étonna. Les gens avaient-ils réellement cessé de croire à des valeurs aussi simples que... tomber amoureux ? Fonder une famille ?

Le regard interrogateur de Mathis qui apparut soudainement devant elle la tira de ses pensées et elle sourit avant de l’embrasser furtivement sur le nez.

– Coucou bonhomme, qu’est-ce qui t’arrive ?

– Je suis attaquant, chuchota Mathis en lui montrant son jeu de cartes.

Neva retint difficilement un rire avant de chuchoter à son tour.

– Qui doit jouer après toi ?

– June.

Neva leva les yeux en direction de cette dernière et se retrouva aussitôt happée par un regard noisette qui l’observait intensément. Elle reporta son attention sur Mathis et demanda, même si elle connaissait déjà la réponse :

– Tu veux qu’elle reste défenseur, ou qu’elle devienne elle aussi un attaquant ?

Elle sourit lorsque Mathis lui répondit en levant deux doigts. J’en étais sûre. Elle leva de nouveau les yeux vers June et l’observa un instant avant de hausser imperceptiblement les sourcils en signe d’interrogation. Si June fut surprise, elle le masqua rapidement, baissant les yeux vers son jeu avant de l’observer à nouveau et de murmurer « neuf ». Neva grimaça, June n’allait pas faire long feu si sa carte la plus haute était un neuf. Elle se surprit cependant à sourire lorsque June lui tira la langue en réponse, ayant aisément deviné ce qu’elle venait de penser.

Elle baissa les yeux vers le jeu de Mathis et désigna le six de cœur.

– Celle-ci, chuchota-t-elle dans un clin d’œil complice.

– Merci ! s’exclama aussitôt Mathis, l’embrassant sur la joue avant de rejoindre les autres et déposer sa carte sur la table.

Neva tourna la tête lorsqu’elle entendit Tegan ricaner à côté d’elle.

– Quoi ?

– Pour quelqu’un qui prétendait la haïr il y a cinq minutes, elle est rapidement parvenue à t’arracher un sourire, et ce juste avec une grimace !

Neva se contenta de lui tirer la langue à son tour avant de s’emparer de la poubelle et de quitter la pièce, ignorant le rire franc qui résonna aussitôt derrière elle. 

💕

Une silhouette sortit de l’immeuble au moment où Neva montait les quelques marches et elle sursauta avant de reconnaître de qui il s’agissait.

– Bon sang, Jack, tu m’as foutu les jetons ! s’exclama-t-elle en portant une main sur son cœur.

– Désolé, sourit faiblement l’aîné des trois garçons de Mama. J’avais envie de prendre un peu l’air, c’est la cohue là-haut.

Neva hocha légèrement la tête.

– J’aurais bien envie de blâmer le jeu de cartes, mais je crois bien que June y est pour beaucoup. J’ai jamais vu tes frères aussi... subjugués par une simple personne. Et Tawny. Et Mathis. Tu te rends compte qu’elle parvient à faire tourner la tête à un gamin de huit ans ?

Le rire qu’elle attendait se fit aussitôt entendre et elle désigna les marches afin qu’ils s’assoient.

– Tu as vraiment fait un excellent travail avec lui, tu sais.

– Mathis ? s’étonna Neva. Tu crois ?

Jack hocha la tête.

– Il n’aurait jamais aussi bien tenu le coup si tu n’avais pas été là pour lui.

Neva haussa les épaules avant de regarder autour d’elle. Quelques jours après la disparition de sa mère, Mathis avait commencé à montrer des signes de détresse. Ses nuits étaient agitées, et la journée, il passait son temps à tourner en rond sans parvenir à se poser plus de cinq minutes. Il ne disait rien, mais Neva savait à sa façon de poser un regard plein d’espoir sur chaque personne entrant dans la pièce qu’il attendait qu’on lui explique pourquoi il ne pouvait toujours pas rentrer chez lui. Alors, le cœur lourd, Neva avait pris la décision de lui dire la vérité, faisant tout son possible pour être totalement honnête, tout en essayant d’apaiser ses peines.

Seulement, les mots avaient à peine dépassé ses lèvres que Mathis avait aussitôt mal réagi, balançant tout ce qui lui tombait sous la main et se débattant avec force lorsque quelqu’un tentait de s’approcher de lui. Totalement désemparée, Neva n’avait eu d’autres choix que d’occuper la place de spectatrice, prononçant des paroles qui tombaient continuellement dans l’oreille d’un sourd. Et puis, finalement, Mama avait réussi à calmer la bête blessée, et Mathis avait alors passé la semaine suivante à la suivre comme son ombre tout en prenant bien soin d’éviter Neva. Pour cette dernière, l’ignorance avait été encore pire que la crise de rage, et puis finalement, une semaine plus tard, Mathis était venu s’installer près d’elle alors qu’elle discutait avec Jack sur le canapé, posant sa tête contre son épaule comme si de rien n’était, et effaçant ainsi de nombreux jours de peine.

A ce jour, Neva ne savait toujours pas ce que Mama avait bien pu lui dire pour qu’il lui pardonne comme cela, mais quand elle voyait combien ils étaient proches aujourd’hui, elle devait bien avouer que cela lui importait peu, finalement.

– C’est gentil, mais je crois que pour le coup, le mérite revient à Mama, sourit-elle faiblement. Elle seule a rendu tout ça possible.

– Peut-être, admit Jack avant d’entourer ses épaules d’un bras et l’attirer contre lui. Reste qu’un enfant a besoin de se sentir aimé et protégé, et tu lui offres tout ça sans même t’en rendre compte. Il a vraiment de la chance.

Neva rougit légèrement avant de baisser les yeux vers ses mains liées devant elle.

– Je suis pas d’accord avec ce que dit Tegan, tu sais. Sur les relations amoureuses, précisa-t-elle en levant les yeux vers lui. Je suis sûre qu’il y a quelqu’un pour toi, là, quelque part et qui a les mêmes attentes que toi.

Jack soupira avant de regarder au loin.

– Je sais pas, Nev. Le monde a changé depuis l’insurrection. Les attentes ne sont plus les mêmes... pour la plupart, ils ne savent même pas s’ils seront encore là-demain. Alors rencontrer quelqu’un et construire quelque chose ensemble... c’est un peu le cadet de leurs soucis.

– C’est pour ça que Tegan réagit comme ça ?

Jack lâcha un faible rire.

– Tegan aime l’aventure, elle prend simplement la vie comme elle vient, sans penser à chercher plus loin. Je peux pas vraiment le lui reprocher vu le contexte dans lequel on vit aujourd’hui.

Neva hocha faiblement la tête avant de prendre appui contre son épaule. Lorsque l’insurrection avait éclaté, elle n’avait que quinze ans, puis dix-sept lorsqu’elle avait pris fin. Le seul baiser qu’elle avait reçu, c’était celui de Clément, son meilleur ami depuis la maternelle, quand ils avaient joué à « sept minutes au Paradis » lors de son treizième anniversaire. Après ça, le monde avait basculé dans l’horreur, et elle avait simplement dévoué le reste de sa vie à Mia et sa famille.

Jack était le seul avec qui il aurait pu se passer quelque chose, mais l’amitié avait fini par prendre le dessus, avant de laisser place à la sensation de faire partie de la même famille. Alors, elle avait simplement abandonné l’idée, persuadée que l’occasion ne se représenterait pas.

Pourtant, à voir Jack si abattu à côté d’elle, elle ne put s’empêcher de désirer plus elle aussi. L’Homme n’est pas fait pour être seul.

– On devrait se marier, laissa-t-elle soudainement échapper. Si à trente-cinq ans, on est encore célibataires, on se marie.

Jack lui offrit aussitôt un regard appuyé.

– J’ai trente-cinq ans, rétorqua-t-il avant de grimacer. Et puis ce serait bizarre, t’es comme une sœur pour moi !

– Oui ben, c’est soit la frangine, soit tu finis tout seul, alors ?

Jack éclata aussitôt de rire, au plus grand plaisir de Neva qui afficha aussitôt un sourire vainqueur. Elle détestait le voir triste.

– Alors je te garde, mais en tant que sœur, dit-il en l’embrassant sur la tempe. Tant que j’ai ma famille, je peux supporter le reste.

– T’as intérêt, feignit de le menacer Neva avant de l’enlacer à son tour.

Tant que j’ai ma famille… hmm, je pense pouvoir faire avec moi aussi.

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3 décembre 2014

Chapitre 5

Des bruits de frottement tirèrent Neva de son sommeil et elle ouvrit aussitôt les yeux pour voir June affairée à ranger ses affaires. La tenue en cuir qu’elle arborait la nuit dernière avait laissé place à un jean taille basse ainsi qu’à un top sans manche dévoilant un tatouage tribal sur le haut du bras et Neva l’observa un instant. Matelas, duvets, vêtements à gogo… je me demande comment ils ont fait pour se procurer tout ça.

Elle s’assura que Mia dormait toujours avant de demander :

– Je peux savoir ce que tu fais ?

June lui jeta un rapide coup d’œil tout en continuant à rouler son matelas. Elle haussa les épaules.

– Je vais aller nous chercher un endroit pour dormir en attendant que tout le monde se lève.

Elle fit une pause avant d’ajouter :

– Ça devrait te permettre de rattraper un peu de sommeil.

Neva détourna aussitôt les yeux, les joues rougies. J’étais sûre qu’elle ne dormait pas non plus.

– Je ne vois absolument pas de quoi –

– Tu es couverte de sueur, et je dors très mal quand on passe son temps à m’observer, coupa June en lui offrant un regard appuyé.

Neva ouvrit la bouche pour répondre mais s’interrompit lorsqu’elle sentit Mia bouger à ses côtés. Elle baissa la tête pour voir l’adolescente s’étirer tout en se frottant les yeux d’une main.

– Qu’est-ce qui se passe ? bailla-t-elle.

Neva ne put retenir un sourire face à la scène.

– Rien. Je disais simplement à June combien j’étais impressionnée par la quantité de chaleur que vous émettiez toutes les deux. On dirait un vrai sauna ici, taquina-t-elle.

Elle leva les yeux pour voir June quitter la chambre le corps crispé et elle retint difficilement un soupir.

– C’est quoi son problème ? demanda Mia en se redressant légèrement.

Neva haussa les épaules.

– J’en sais rien, elle est peut-être lunatique, répondit-elle avant de hausser un sourcil. Petit déj’ ?

Mia hocha la tête et elle l’embrassa sur la tête avant de se redresser.

– Laisse-moi juste le temps de me débarbouiller un peu et je m’en occupe, demanda-t-elle en récupérant ses affaires avant de prendre la direction de la salle de bains.

Comme chaque matin, les garçons étaient déjà debout et elle les salua furtivement d’un signe de la main, souriant lorsqu’elle vit Mathis se dresser sur la pointe des pieds dans l’espoir de voir ce que Jérôme préparait dans la cuisine.

Jérôme ? Neva fronça les sourcils, Mama ne laissait jamais personne utiliser sa cuisine, encore moins lorsqu’elle ne s’y trouvait pas. Intriguée, elle se dirigea vers la chambre de cette dernière et ne put s’empêcher de tendre l’oreille lorsque des bruits de voix lui parvinrent.

– ...je n’ai pas vraiment eu le choix, June. Que voulais-tu que je fasse ?

Une ombre passa devant le rideau avant que June ne réponde :

– J’en sais rien. Ce que je t’avais demandé peut-être ?

– June...

– Elle était censée être en sécurité. Je voulais qu’elle soit en sécurité. Maintenant...

Neva eut à peine le temps de se demander de qui elles parlaient que Mama reprit :

– Tu ne connais pas toute l’histoire, soupira-t-elle. Il est arrivé un moment où il m’a fallu faire un choix.

– Je sais, et il est pas obligé de me plaire.

Neva fronça les sourcils de confusion face aux paroles et au ton dur de June avant de sursauter lorsqu’un souffle chaud effleura son oreille.

– J’éviterais si j’étais toi, June a horreur qu’on écoute aux portes.

Neva désigna le rideau, un sourcil haussé.

Tegan afficha un léger sourire.

– Touché, admit-elle.

– Et elle peut toujours aller voir ailleurs si elle est pas contente, ajouta Neva en se reculant légèrement.

Le sourire de Tegan s’agrandit.

– Encore touché, répéta-t-elle avant de regarder autour d’elle pour s’assurer que personne ne les écoutait. Dis, je voulais savoir... les fils de Mama, ils sont célibataires ?

Neva haussa les sourcils, prise de court.

– Euh... Jérôme et Jamie ont des amies qu’ils voient régulièrement, mais pour Jack, je suis presque sûre que la voie est libre, répondit-elle avec confusion.

– Ah génial ! s’extasia aussitôt Tegan en tapant des mains, avant de prendre un air rêveur. Ils ont un côté militaire, tu trouves pas ? J’adore les militaires... Hé, le père de Mia, c’est lequel ?

– Le père de Mia ? répéta Neva, surprise avant de légèrement rougir. Ah, hum, aucun, c’est... aucun.

Tegan hocha légèrement la tête.

– Cool, aucun risque qu’on finisse par se crêper le chignon, alors, taquina-t-elle dans un clin d’œil.

Neva rit légèrement avant de l’observer, pensive. Tegan était une grande brune aux yeux noisette, mais contrairement à June, son visage était plus anguleux, ses lèvres plus fines et ses jambes interminables accentuaient sa silhouette élancée. Pourtant...

– June et toi... vous partagez un lien de parenté ? demanda-t-elle.

Tegan haussa les sourcils avant d’afficher un sourire coquin.

– Certains aimeraient, mais non. Et je dois bien avouer que ça m’arrange, si tu vois ce que je veux dire, finit-elle dans un clin d’œil.

Neva se sentit aussitôt rougir. O.K.... c’était plus que ce que j’avais besoin de savoir.

– Elle ne se montre pas désagréable avec tout le monde alors, répondit-elle, désireuse d’amener la conversation vers des sujets plus sûrs.

Tegan lâcha un rire mélodique.

– Oh non, June est d’ailleurs très loin d’être méchante. Disons juste qu’en plus de très vite cerner les gens, elle aime appuyer là où elle sait que ça va agacer. Son seul vrai défaut serait de ne pas toujours savoir s’arrêter... mais si tu arrives à passer au-dessus, ça devrait aller.

Neva grimaça intérieurement. Autant demander à un singe de faire la cuisine.

Le rideau séparant le salon de la chambre de Mama s’ouvrit soudainement et elles sursautèrent, Neva détournant aussitôt le regard lorsque June les aperçut, visiblement irritée. Elle passa finalement devant elles sans prononcer le moindre mot et Neva haussa un sourcil lorsque Mama apparut à son tour.

– Je ne savais pas que vous vous connaissiez.

Mama hésita avant de sourire tristement.

– Je ne pensais pas que je la reverrais un jour, répondit-elle, essuyant ses mains sur son vieux tablier. Ils vont s’installer dans l’appartement voisin, tu veux bien aller aider les garçons à déblayer l’endroit ?

Comme s’ils l’avaient entendu, les garçons choisirent justement ce moment pour passer à côté d’elles et Neva les observa sortir dans le couloir les bras chargés de balais, de seaux et de chiffons en tout genre. Super, non seulement elle me tape sur le système, mais maintenant, je dois aussi lui servir de Cosette.

– Je croyais qu’on devait discuter de ce qu’on allait bien pouvoir faire maintenant que les androïdes sont au courant de notre présence ici.

Elle eut à peine terminé sa phrase que Mama s’éloignait déjà vers la cuisine et elle haussa un sourcil interrogateur en direction de Tegan. Cette dernière lui offrit un regard compatissant.

– On avait prévu d’en discuter ce soir, mais si tu veux mon avis, la meilleure solution c’est de rester ici. Ils savent que tu es ici, mais pas où exactement. On pourrait changer de ville mais honnêtement ? A par partir à plusieurs centaines de kilomètres, ça ne servirait pas à grand-chose. Ils doivent passer chaque mètre carré avoisinant au peigne fin. Et puis...

Elle hésita avant d’ajouter :

– On n’est pas encore sûrs de la façon dont leurs caméras fonctionnent. La première fois qu’on a entendu parler de toi remonte à plusieurs mois déjà, et pourtant, ils ont sorti la cavalerie qu’hier seulement. Tawny pense qu’elles ne font qu’enregistrer ce que les androïdes voient, et que l’Elite peut seulement les visionner quand ils rentrent au bercail. Si c’est le cas... le seul qui t’a vu hier a été réduit en cendres, alors...

Neva se mordit l’intérieur de la joue, pensive. Tegan n’avait pas tort, outre l’androïde qui avait attaqué Mathis, elle n’en avait pas croisé depuis des mois, et ceux qui en étaient ressortis intact se comptaient sur les doigts d’une main. Ils auraient alors facilement pu dévoiler sa présence à l’Elite. Et si jamais leurs caméras étaient belles et bien reliées au repaire de l’Elite, Tegan avait raison : ils ne savaient pas où elle vivait exactement, juste qu’elle résidait à Crane Lake.

Ce n’était pas forcément le meilleur plan, mais elle n’avait pas de meilleure alternative à proposer... Une petite voix à l’intérieur de sa tête se demanda cependant comment exactement ils avaient entendu parler d’elle et surtout, comment eux avaient fait pour retrouver sa trace.

Suivant Tegan hors de la pièce, elle décida de garder ses questions pour une prochaine fois.

💕

Contrairement au leur, l’appartement voisin était beaucoup plus petit, ne comportant qu’une pièce principale, une chambre, et une minuscule salle de bains. Si chez eux le mobilier était sommaire, il l’était encore plus ici car les garçons n’avaient pas perdu de temps pour venir se servir toutes ses années auparavant, quand le Père Brody s’était décidé à partir lui aussi et avait remis ses clés en possession de Mama. Non pas qu’un homme d’église possède grand-chose à l’origine, pensa Neva en jetant un coup d’œil autour d’elle.

Grâce aux garçons, la cheminée était déjà opérationnelle, et les débarrassait progressivement des quelques détritus dont ils la nourrissaient. La salle de bains était pour sa part condamnée, une douche et un évier n’allaient pas leur être grandement utiles en ces temps où l’eau courante n’existait plus, et vu l’odeur nauséabonde qui remontait des toilettes, il valait mieux qu’il en soit ainsi. Restaient donc le salon et la chambre, qui après de nombreux coups de balai et passages de serpillère, commençaient vraiment à ressembler à quelque chose de satisfaisant.

Si on oubliait l’absence totale de mobilier.

– Vous êtes sûrs que ce sera assez grand pour vous quatre, ici ? demanda Neva en observant l’appartement d’un œil critique.

– Si tu voyais ce dans quoi on dort d’habitude, ça, c’est un palace pour nous, taquina Tegan. T’en fais pas, c’est parfait !

– Mais vous n’avez même pas de quoi faire la cuisine...

– Mama a déjà fait savoir qu’elle tenait à ce que nous prenions tous les repas ensemble, précisa June en entrant dans la pièce, son matelas entre les bras. Et si besoin, la cheminée fera l’affaire.  

Et si elle ne suffit pas, quelque chose me dit que tu t’en chargeras, pensa Neva avec ironie avant de s’écarter lorsque Tawny entra à son tour avec trois autres matelas dégonflés.

– Ce qu’elle veut dire, c’est qu’on compte simplement utiliser l’endroit pour dormir, alors une cheminée, et quelques lits, c’est tout ce dont on a besoin, expliqua Tegan dans un clin d’œil.

– On va quand même vous dégotter quelques meubles, répondit Jack en exerçant une légère pression sur l’épaule de Neva. Le minimum vital, ajouta-t-il lorsqu’il vit Tegan s’apprêter à protester.

Tegan le remercia d’un léger signe de tête et les garçons sortirent aussitôt, rapidement rejoint par Tawny. Neva s’apprêtait à récupérer les balais et les seaux quand June refit son apparition dans la pièce.

– J’aurais besoin de jeter un coup d’œil aux environs. Neva ?

Elle haussa un sourcil en direction de Neva et cette dernière cligna des yeux avant de hocher la tête. Bon, j’imagine que ça veut dire que je viens d’être nommée guide touristique.

Elle se retint de justesse de prononcer tout haut :

Chef oui chef !

💕

– Et voilà le cours d’eau, déclara Neva, s’arrêtant près d’un grand chêne. Tu peux apercevoir les pièges à poissons des garçons, ajouta-t-elle en désignant deux espèces de tubes en bois qui brisaient légèrement la surface de l’eau.

June hocha la tête, regardant autour d’elle.

– On a croisé personne, vous êtes seuls ici ?

Neva s’apprêtait à mentionner la mère de Mathis mais se reprit juste à temps, les derniers événements repassant rapidement dans sa tête.

Elle se racla maladroitement la gorge.

– La plupart sont partis peu de temps après la fin de l’insurrection, répondit-elle, un sourire ironique sur les lèvres. Comme tu peux le voir, les hivers sont assez rudes ici.

– Vous êtes pourtant tous restés, remarqua June.

Neva hocha la tête, un soupir s’échappant de ses lèvres.

– Les garçons ont fait l’armée, alors la survie ne nous a pas vraiment posé de problèmes. Et puis, on ne peut pas dire qu’on ait réellement eu le choix. C’est pas comme si on avait eu un véhicule, Mama ne peut pas marcher de longues distances et Mia était beaucoup trop jeune. Sans compter qu’on avait aucune idée de sur quoi on allait bien pouvoir tomber.

June acquiesça, l’air pensif.

– Donc... Mama fait la cuisine, les garçons chassent et ramènent l’eau... et toi, qu’est-ce que tu fais ?

Neva cligna des yeux, surprise par la question inattendue.

– Eh bien, ça dépend, je viens souvent ici cueillir ce dont on peut avoir besoin, je fais un peu de ménage à la maison... des trucs comme ça. Pourquoi ?

June haussa les épaules.

– Comme ça, répondit-elle. Non pas que ça me surprenne vraiment, finalement, marmonna-t-elle pour elle-même.

Neva sentit le choc envahir chacun des traits de son visage.

– Je peux savoir ce que c’est supposé vouloir dire ?

June soupira tout en croisant les bras sur sa poitrine.

– Ce que c’est supposé vouloir dire, Princesse, c’est qu’une personne comme toi en vaut trois comme eux, pour ne pas dire plus. Alors excuse-moi si je suis surprise de voir que tout ce que tu trouves à faire pour aider tes proches, c’est de la cueillette et du ménage.

Neva l’observa, incrédule. Elle répondit, les dents serrées :

– Ça s’appelle de l’organisation, chacun d’entre nous fait ce qu’il aime et ce pour quoi il est doué. Non pas que je m’attende à ce que tu comprennes le principe, madame je joue les petits chefs sous prétexte que mes pouvoirs font de moi une personne plus importante que les autres !

June haussa les épaules, un rictus amusé sur les lèvres.

– Toute équipe a besoin d’un leader.

– Bien sûr, suis-je bête, et j’imagine qu’il est inutile de se demander comment tu en es venue à occuper ce poste-là, ironisa Neva en passant à côté d’elle.

– De la même façon que tu devrais toi aussi prendre les rênes, répondit June, pressant le pas pour arriver à sa hauteur. Chacun occupe son rôle, je dicte les règles et tout se déroule comme convenu. Parce que si on reprend ce qu’il s’est passé hier, je suis pas sûre que ton système d’organisation marche si bien que ça !

Neva s’arrêta, persuadée qu'elle venait de recevoir un coup en plein plexus. Elle leva les yeux vers June.

– Je peux savoir ce qui cloche chez toi ?

June haussa les sourcils, surprise.

– Quoi ?

– Tu débarques de nulle part et sous principe que tu m’as sauvé la vie, ça te donne le droit de remettre en question tous mes faits et gestes ? demanda Neva avant de secouer la tête. Non mais va te faire foutre June, franchement !

June leva les mains au ciel tout en l’observant s’éloigner.

– T’es vraiment obligée de constamment prendre la mouche ? soupira-t-elle, exaspérée. J’arrive pas à croire qu’on ait fait autant de kilomètres pour ça, remarqua-t-elle pour elle-même.

Neva s’essuya les joues d’une main irritée tout en continuant à d’avancer d’un pas résolu. Les réflexions déplacées de June commençaient réellement à l’agacer et sa patience venait tout juste d’atteindre ses limites.

– Mama t’autorise peut-être à rester autant que tu veux, mais en ce qui me concerne, je ne veux plus rien avoir affaire avec toi, lâcha-t-elle par-dessus son épaule.

Elle n’attendit pas de réponse et prit la direction de l’appartement, vidée.  

3 décembre 2014

Chapitre 4

– Regardez, ses paupières bougent, elle reprend connaissance.

Neva ouvrit péniblement les yeux, les paupières lourdes. Sa gorge la brûlait tellement qu’elle avait du mal à avaler, et lorsque sa vision s’éclaircit enfin, elle fut surprise de voir quatre visages penchés au-dessus d’elle.

– Bon retour parmi nous Belle au bois dormant, salua l’une d’entre eux dans un sourire contagieux.

– Hé, enchaîna la suivante, ses cheveux roses surprenant Neva. Plutôt cool comme pouvoir ce que t’as là, Reine des Glaces.

Un léger rire poussa Neva à passer au visage suivant, et elle croisa aussitôt un regard vert chaleureux.

– Ravi de te rencontrer, moi, c’est Tawny.

Neva sentit ses lèvres s’étirer en réponse, avant de tourner la tête lorsqu’elle entendit des pas approcher. Sa respiration se coupa aussitôt. La jeune femme qui lui faisait face était vêtue d’une tenue en cuir moulante épousant des hanches bien formées et dont le décolleté plongeant mettait en avant une poitrine généreuse. Et lorsqu’elle remonta jusqu’à son visage, Neva remarqua à peine ses cheveux chocolat, longs et ondulés, bien vite happée par un regard noisette presque noir, tellement expressif qu’il dégageait quelque chose de mystérieux, presque ténébreux. Mais ce qui fascinait le plus Neva, c’était la lueur jaune orangée qui se dégageait d’elle, comme si de minuscules flammes recouvraient son corps et léchaient la peau sans la consumer.

Elle était littéralement en feu.

Neva l’observa, stupéfaite, avant de reconnaître l’objet que la jeune femme balançait entre ses doigts et elle porta instinctivement ses mains à cou, devinant aussitôt qu’elle ne l’y trouverait pas vu le froid qui s’échappait d’elle par vagues.

– Tu l’as perdu en te débattant, expliqua l’inconnue d’un ton neutre. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi tu es toujours en vie. J’ai pu faire griller son système, mais te libérer de sa prise aurait pris beaucoup trop de temps. Tu serais morte du manque d’oxygène.

Elle fit tournoyer le pendentif devant ses yeux avant de porter son attention sur Neva.

– Des pierres de zéolithe comme celle-là... ça court pas les rues, remarqua-t-elle, penchant légèrement la tête sur le côté.

Neva détourna aussitôt le regard.

– On me l’a donné il y a plusieurs années, répondit-elle en haussant les épaules.

L’inconnue plissa légèrement les yeux avant de le lancer en direction de Neva qui l’attrapa au vol.

– La prochaine fois, évite de le porter quand tu sortiras. On sera pas forcément là pour te tirer d’affaire.

Neva haussa un sourcil, incrédule. Non mais pour qui elle se prend celle-là ?

– C’est la première fois qu’ils arrivent à m’attraper, alors c’est gentil, mais je ne pense pouvoir me passer de tes conseils, ironisa-t-elle en se redressant.

– Oh, vraiment ? rétorqua l’inconnue, ouvertement moqueuse.

– June…

La jeune femme – June – leva une main dans les airs afin de faire taire quiconque l’avait interrompue. Elle s’approcha de Neva, inquisitrice.

– Dis-moi, Blondie, tu t’es jamais demandé pourquoi ils étaient aussi nombreux ce soir ?

Neva cligna des paupières à plusieurs reprises, surprise par la question inattendue. Elle secoua négativement la tête.

– J’en étais sûre, railla June en secouant légèrement la tête. La raison, c’est toi. Ils sont tout un paquet à vouloir ta peau là-bas, à Bagot. C’est le risque quand on veut se faire un nom et qu’on fait tout son possible pour que le monde entier entende parler de soi.

– Quoi ? interrompit Neva, confuse. J’ai jamais... Je les ai seulement affrontés quand des personnes étaient en danger, j’ai jamais voulu me faire un nom et encore moins qu’on entende parler de moi !

June croisa les bras sur sa poitrine, la tête légèrement penchée sur le côté.

– Une fois seulement aurait suffi pour qu’ils aient vent de toi. Et tu sais pourquoi, Ice Queen ?

Le visage de Neva exprima clairement son dégoût face au surnom choisi.

– Non, mais quelque chose me dit que je ne vais pas tarder à le savoir..., marmonna-t-elle, essuyant ses mains sur son jean.

– Exactement, acquiesça June. Tu ne t’es jamais demandé, je ne sais pas moi... pourquoi leurs androïdes nous ressemblaient autant ? Ce sont des machines, après tout, non ? Alors pourquoi prendre la peine de les munir d’une bouche, d’un nez… d’un regard aussi perçant ?

June haussa un sourcil et Neva sentit aussitôt son visage devenir livide. Leur ressemblance à l’espèce humaine l’avait bien évidemment marquée, et s’ils avaient la possibilité de parler, elle était prête à parier qu’ils pouvaient également enregistrer tout ce qu’elle disait, mais surtout...

– Ils pouvaient me voir, réalisa-t-elle, la prise de conscience la frappant de plein fouet.

– Et le gagnant est... ! se moqua June avant de secouer la tête. T’as vraiment cru que leurs billes fluorescentes étaient là pour faire joli ? demanda-t-elle avant de l’observer de la tête aux pieds d’un air critique. Oh ouais, t’as carrément cru qu’elles étaient là pour faire joli... miss je prends le temps de me pomponner alors que le monde tout entier crève la faim et le froid.

Un rictus se forma sur ses lèvres alors qu’elle faisait face à ses acolytes.

– Madame, Mademoiselle, Monsieur, j’ai le plaisir de vous annoncer que notre future bienfaitrice croit encore pouvoir décrocher le titre de Miss Univers !

De légers rires retentirent et June ferma les yeux avant d’inspirer profondément.

– Ah sentez-moi ça, elle a même pris le temps de se parfumer pour nous recevoir, comme c’est touchant...

Elle rouvrit les yeux pour voir le poing de Neva se diriger droit sur elle et elle le bloqua avant qu’il n’ait eu le temps d’entrer en contact avec son visage.

– Nuh-uh. Attention Ice Queen, tu risquerais de ne pas aimer le retour de flamme.

– M’appelle pas comme ça, gronda Neva en tentant de récupérer son poing, en vain.

June plissa des yeux avant d’observer leurs mains unies et Neva prit une inspiration soudaine lorsqu’elle les vit s’enflammer soudainement, le feu léchant sa peau sans la consumer.

Elle retira hâtivement son poing.

– Mais t’es complètement folle ! s’exclama-t-elle en le serrant contre sa poitrine.

June observa sa propre main comme si elle la voyait pour la première fois, avant de dévier son regard vers celle de Neva puis de remonter vers son visage.

– Ice Queen, murmura-t-elle, comme si cela expliquait tout.

Espèce de tarée psychotique, pensa aussitôt Neva en retour avant de vérifier l’état de sa main, surprise de voir qu’elle était parfaitement intacte.

– Je ne peux pas te brûler, ce qui signifie que tu ne peux probablement pas faire de moi un iceberg non plus, poursuivit June en s’approchant légèrement. Quoique... le feu peut peut-être faire fondre la glace... mais la glace –

– Peut aussi éteindre le feu, termina Neva en levant un regard défiant vers elle.

Elle fut surprise de voir June éclater aussitôt de rire.

– Ah Blondie, je crois qu’on va vraiment bien s’entendre, répondit June en entourant les épaules de Neva d’un bras, jouant des sourcils lorsqu’elle sentit cette dernière se figer. Ice Queen, je te présente Skye, Tawny et sa sœur, Tegan. Les gars, voici –

– Neva, interrompit Neva avant d’être appelée « Ice Queen » une nouvelle fois. Je m’appelle... Neva.

Des gestes de la tête accompagnés de sourires lui répondirent avant que June n’attire son attention à nouveau.

– Alors Nev’, aucune idée d’où on pourrait crécher pour la nuit ?

Neva ouvrit la bouche avant de la refermer. Elle n’avait rien à reprocher aux inconnus lui faisant face, mais concernant June, elle ne savait pas si elle avait envie de la faire venir chez elle. Je la connais depuis à peine cinq minutes seulement et elle me tape déjà sur le système.

Pourtant... elle venait aussi de lui sauver la vie...

Soupirant intérieurement, elle finit par hocher la tête. June pourrait dormir avec elle et Mia, Tawny avec les garçons dans le salon et Skye et Tegan avec Mama.

Ce n’était que pour une nuit après tout, elle pourrait bien la supporter d’ici là, non ?

– Et pour les androïdes, on fait comment ? Des proches m’attendent, je dois absolument les mettre en sécurité et...

– Où sont-ils ? coupa June en scannant les environs du regard.

– Par-là, répondit Neva en désignant l’immeuble. Premier étage, appartement 17.

June hocha la tête en direction de Skye et cette dernière disparue aussitôt. Elle haussa ensuite un sourcil en direction de Neva.

Cette dernière l’observa bêtement avant de comprendre.

– Oh, hum, répondit-elle avant de désigner la rue plongée dans l’obscurité. C’est par là.

Une fois arrivée, June demanda, les yeux rivés sur l’immeuble :

– Troisième ?

Neva l’observa, surprise.

– Oui, sur la droite.

June la fixa un moment, comme si elle cherchait à la déchiffrer, avant de hocher la tête en direction de Tegan et Tawny qui s’éclipsèrent aussitôt.

Neva se tourna vers June, l’air interrogatif, avant de réaliser que cette dernière se faufilait déjà dans l’immeuble. Elle se précipita pour la rattraper.

– Ils sont partis où ?

– Pourquoi ? Tu voulais partir avec eux ?

Neva soupira.

– T’es toujours aussi désagréable ? rétorqua-t-elle aussitôt en entrant à l’intérieur, visiblement agacée. On ne peut pas te poser une simple question sans que tu... que tu...

Le rire de June l’arrêta aussitôt.

– Quoi ? demanda-t-elle, montant les marches d’un pas lourd.

– Rien, je me demandais juste si tu allais terminer ta phrase un jour.

Neva l’observa avec incrédulité alors qu’elles atteignaient le deuxième étage.

– Tu vois, c’est exactement ce que je disais, répliqua-t-elle, accélérant le pas lorsque June monta les marches suivantes deux à deux. T’es... exaspérante. On ne peut pas te parler sérieusement.

– C’est cette porte-là ? coupa June en posant une main sur la poignée.

– Oui. T’as écouté ce que je viens de te dire ?

June l’ignora pour entrer à l’intérieur et Neva fut étonnée de la voir aveuglément tendre une main en direction de la cheminée, et raviver aussitôt le feu éteint. Comment savait-elle que la cheminée se trouvait là ?

June regarda frénétiquement autour d’elle tout en se passant une main sur le visage et Neva fut surprise de voir une série d’émotions la traverser. De faibles bribes de conversations résonnèrent derrière elle avant que Mama, Skye et Mathis n’entrent dans la pièce et Neva fut encore plus surprise lorsque Mama leva les yeux vers June et se figea avant de se précipiter vers elle afin de la prendre dans ses bras, visiblement émue.

Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? Elles se connaissent ?

L’étreinte laissa place à des sourires et des regards humides empreints de joie et de soulagement et Neva fut partagée entre l’envie de s'éloigner pour leur laisser un semblant d'intimité, et le désir profond qui l’habitait d’en savoir plus sur ce qui se déroulait sous ses yeux.

La porte qui s’ouvrit à nouveau mit cependant fin à son indécision et elle soupira de soulagement lorsqu’elle vit Mia entrer avec les garçons, profondément endormie dans les bras de Jamie. Elle se jeta aussitôt dans les bras de Jack, le serrant fort contre elle.

– Ils sont apparus juste après qu’on soit arrivés chez Mathis, Mama était terrifiée, admit-elle avant de lever les yeux vers lui. J’étais terrifiée.

Jack l’embrassa sur le dessus de la tête.

– On les a vus aussitôt arrivé dans les bois, acquiesça-t-il. On venait tout juste de décider de rester à couvert quand on s’est souvenu que Mia était seule dans l’appartement. Je suis aussitôt allé la chercher pour la ramener avec nous.

Neva relâcha un soupir de soulagement, les yeux embués.

– Merci, renifla-t-elle.

Jack la serra à nouveau contre lui.

– Shh... la famille, c’est là pour ça, non ? On pensait rester à couvert pendant encore quelques heures quand on a vu cette nana aux cheveux roses débarquer de nulle part et entrainer Mama et Mathis avec elle à l’intérieur de l’immeuble. Dingue hein ?

– Pas aussi dingue que celle qui m’a sauvé la vie et qui connait visiblement Mama, répondit Neva en levant les yeux au ciel, désignant les deux concernées d’un signe de la tête.

Elle vit Jack suivre son regard et comprit aussitôt qu’il la connaissait lui aussi vu l’émotion qui envahit son visage. Comme en transe, il contourna Neva et rejoignit Mama afin d’enlacer June à son tour, faisant signe à ses frères qui ne l’avaient pas encore remarquée, occupés à déposer Mia dans la chambre.

Confuse, Neva s’apprêtait à demander des explications lorsque la porte s’ouvrit à nouveau, et elle écarquilla les yeux lorsque Tegan et Tawny entrèrent les bras chargés d’équipements pour dormir, manger et subvenir à leurs besoins vitaux quotidiens. Mais où ont-ils trouvé tout ça ?

– Mama, les garçons, je vous présente mes compagnons de route, Tegan, Tawny et Skye, déclara June en s’essayant les yeux d’une main. On aurait besoin d’un endroit où dormir pour la nuit.

Mama passa les minutes suivantes à répartir les chambres pour la nuit et il fut aussitôt décidé, comme Neva l’avait soupçonné, que Skye et Tegan allaient dormir avec Mama, Tawny avec les garçons dans le salon, et June avec elle et Mia.

– La journée a été longue, on ferait bien d’aller dormir, déclara June, embrassant Mama sur le dessus de la tête, avant d’enlacer une dernière fois chacun des garçons. On discutera demain, ajouta-t-elle le regard rivé sur Neva.

Oui madame, bien madame ! pensa Neva d’un ton moqueur avant de conduire June vers la chambre qu’elle partageait avec Mia. Elle tira légèrement le rideau puis l’ouvrit complètement lorsqu’elle vit que Mia était réveillée, fronçant les sourcils de mécontentement lorsqu’elle remarqua une fois de plus que Mia lisait dans une obscurité presque totale.

– Mia... tu vas sérieusement finir par t’abîmer les yeux à lire dans le noir comme ça, soupira-t-elle en augmentant l’éclairage de la vieille lampe à huile.

Elle fut aussitôt surprise de voir un comic book voler dans les airs suivi d’un corps chaud qui l’étreignit subitement, puis un visage humide s’insinuant dans son cou.

– Les garçons m’ont interdit de te rejoindre. Pourquoi t’as mis si longtemps ? 

Neva sentit aussitôt son cœur se serrer face à la voix tremblante de Mia.

– Oh mon cœur, je suis désolée. J’ai... l’un d’entre eux m’a prise par surprise mais des personnes m’ont aussitôt secourue, se pressa-t-elle d’ajouter lorsqu’elle sentit Mia se figer.

Un visage couvert de larmes lui apparut enfin et Neva lui essuya aussitôt les joues de ses pouces, déchirée par la vue.

– Qui ça ? renifla Mia, s’essuyant les yeux d’un revers de main, exactement comme June l’avait fait quelques instants plus tôt.

Neva jeta un œil par-dessus son épaule, vers June qui attendait dans l’encadrement de la porte.

– Elle, répondit-elle, surprise de voir combien June paraissait visiblement mal à l’aise. Mia, je te présente June. Elle et ses amis m’ont sauvé la vie. Elle va passer la nuit avec nous. June, je te présente ma fille, Mia.

Neva fut prise de court par la série d’émotions qui défila une nouvelle fois dans les iris noisette qui l’observaient en retour mais elle n’eut pas le temps de réagir car la seconde suivante, June affichait un air détaché, haussant une épaule avant de s’affairer à préparer son lit.

– Tu aurais fait la même chose la situation inverse, répliqua-t-elle avant de lever les yeux vers Mia.

Elle commença à dire quelque chose, puis se contenta de la saluer d’un signe de la tête.

– C’est juste pour la nuit. On trouvera un autre endroit pour dormir demain, expliqua-t-elle, ouvrant la valve d’un matelas qui avait connu des jours meilleurs afin qu’il se gonfle tout seul.

Neva fut surprise de réaliser que June parlait pour se donner contenance, et que ses mains tremblaient légèrement. Mais où est donc passée la femme qui me donnait des ordres il y a à peine deux minutes ?

– Les fils de Mama ont toujours pleins d’amis qui viennent squatter alors c’est pas comme si ça changeait quelque chose pour nous, répondit Mia en haussant les épaules, sa main tripotant nerveusement son collier tandis qu’elle interrogeait silencieusement sa mère du regard.

Neva se mordit l’intérieur de la joue avant de hocher la tête.

– Elle est différente aussi, murmura-t-elle du bout des lèvres.

– Comment ? chuchota Mia en retour, visiblement étonnée.

– Comme ça, répondit June qui avait entendu leur conversation malgré leurs efforts de discrétion.

Mia baissa les yeux et vit June allongée sur son lit, des flammes dansant au bout de ses doigts, et elle écarquilla les yeux avant de s’agenouiller à ses côtés, prenant bien soin de rester à une distance raisonnable.

– Woah... alors ça, c’est trop cool ! T’as de la chance, moi tout ce que je peux faire, c’est générer de la chaleur, bouda Mia. Tu peux l’étendre à ton corps tout entier aussi ?

– Bien sûr, acquiesça June, avant d’afficher un léger sourire. Mais ça m’embêterait de réduire mon lit en cendres. 

Mia afficha un air confus.

– Mais comment tu fais pour dormir alors ? T’as un collier toi aussi ?

– Pas vraiment. La journée, quand je sais que je risque d’avoir besoin d’utiliser mon pouvoir, je porte cette tenue. Le tissu est à base de serpentines ; ce sont des minéraux incombustibles. Ça m’évite de réduire mes vêtements en cendres et finir toute nue, sourit June d’un air taquin. Pour le reste...

Elle se retourna en soulevant ses cheveux afin de dégager sa nuque, et Mia fut aussitôt surprise d’y découvrir trois minuscules oiseaux aux ailes déployées tatoués sur sa peau.

– Touche, l’incita June, haussant un sourcil lorsque Mia obtempéra. Alors ?

– Ils sont en relief, répondit Mia, confuse. Comme si quelque chose avait été incrusté sous ta peau.

June laissa retomber sa longue chevelure châtain avant de lui faire de nouveau face.

– Ce sont des pélicans, réalisés à partir de minuscules fragments de zéolithe incrustés sous la peau, expliqua-t-elle. Et grâce auxquels je reste constamment maître de mes pouvoirs. Seule moi peux les contrôler, comme ça, aucun risque qu’un accident arrive pendant mon sommeil.

– Ça a dû faire mal, grimaça Mia avant de demander lorsque June haussa les épaules. T’as fait faire ça où ?

– Au même endroit où tu t’es procuré ça, répondit June en tendant une main vers son collier.

Mia lui offrit un regard confus.

– J’ai aucune idée d’où vient le mien, comment –

– Au lit, Mia, coupa Neva qui avait jusque-là silencieusement écouté la conversation. Il se fait tard, ajouta-t-elle, ignorant le regard perçant que June lui lançait. Bien tenté, Firecracker, mais tu n’obtiendras rien d’elle.

Mia soupira mais finit néanmoins par hocher la tête et elle surprit June en la prenant soudainement dans ses bras, ses lèvres murmurant tout contre son oreille :

– Merci d’avoir sauvé maman.

Le cœur battant, June se contenta de hocher la tête, avant de se tourner face au mur lorsqu’elle entendit Neva et Mia se coucher à leur tour.

Elle ne put cependant empêcher un sourire d’apparaître sur ses lèvres lorsque les propos de Neva lui parvinrent faiblement.

– Elle aurait pu te brûler, tu sais.

– Maman, elle a un tatouage...

– N’empêche, t’imagine si elle avait fait de toi un chamallow carbonisé ? J’aurais fait quoi, moi ?

Mia remua légèrement.

– Tu l’aurais transformé en iceberg.

Il y eut un léger silence avant que Neva ne réponde, et lorsqu’elle le fit, June n’eut aucun mal à deviner qu’elle souriait.

– Et comment.

3 décembre 2014

Chapitre 3

Neva faillit s’évanouir face à la porte de l’appartement qui s’ouvrit soudainement et elle porta les mains à son visage avant de venir enlacer Mama lorsqu’elle entra dans la pièce, Mathis désespérément accroché à son bras.

– Merci, merci, merci, soupira-t-elle avec soulagement avant de lever les yeux vers Mama. Que s’est-il passé ? Ils vous ont vu ?

Mama secoua la tête, un air affolé sur le visage.

– I-Ils sont partout, Neva, souffla-t-elle, avant de la regarder droit dans les yeux. Et les garçons... oh mon Dieu, les garçons sont dehors ! s’exclama-t-elle en portant une main à ses lèvres.

– Shh je suis sûre qu’ils vont bien, ils ont été entraînés pour ça, pas vrai ? répondit-elle, réalisant aussitôt qu’elle cherchait à se rassurer autant que Mama.

Et elle n’osa même pas penser à Mia qui se retrouvait seule dans leur appartement.

Mama leva vers elle un regard embué avant de hocher la tête.

– On va devoir rester ici le temps qu’ils disparaissent, reprit Neva, fermant la porte de la chambre avant qu’ils ne puissent voir l’état dans lequel elle se trouvait.

Ou plutôt qui, pensa-t-elle. Entre le cadavre gisant sur le sol à quelques mètres d’eux seulement, l’odeur pestilentielle qui flottait dans l’air, et sa fille qui se retrouvait seule à plusieurs pâtés de maisons, l’idée était très loin de la réjouir mais pour le moment, ils étaient à court de solutions. Changer d’appartement était bien trop risqué ; le moindre bruit dévoilerait aussitôt leur présence et de toute façon, si les androïdes se décidaient à fouiller l’immeuble, ce serait pour passer chaque pièce au peigne fin, alors... 

Rester au premier étage leur permettrait au moins de regagner rapidement la rue si l’occasion se présentait.

Neva attendit que Mama dépose Mathis sur le canapé avant de lui faire signe de la rejoindre dans la cuisine. La vieille femme demanda aussitôt une fois arrivée :

– Que s’est-il passé ?

– Sa mère n’était pas là, je pense qu’ils l’ont enlevée, répondit Neva, les larmes montant à nouveau. J’ai retrouvé une de leurs casquettes dans la chambre, et un cadavre au pied du lit. Le drap est couvert de sang.

Mama porta aussitôt une main à ses lèvres.  

– Mon Dieu Neva... balbutia-t-elle avant de dévier le regard vers Mathis. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

– J’en sais rien, renifla Neva en s’essuyant les yeux. Il ne lui serait rien arrivé si j’avais pensé à elle hier soir au lieu de simplement lui laisser un mot lui disant que Mathis allait dormir à la maison.

– Et avec des « si » on referait le monde, répondit aussitôt Mama en l’observant avec compassion. Ne laisse pas ce genre de pensées envahir ton esprit, Neva. Ça ne t’apportera rien de bon.

Neva secoua la tête de dépit.

– Il a très probablement perdu sa mère à cause de moi.

– On ne sait pas ce qu’ils font de ceux qu’ils enlèvent, tempéra Mama avant d’observer Mathis. Et sans toi, il ne serait plus là lui non plus.

Neva soupira.

– Merci Mama... mais ce n’est pas ça qui me fera me sentir mieux.

💕

Neva décida de s’aventurer à l’extérieur une fois la nuit tombée. Afin de ne pas attirer l’attention, elles avaient laissé la cheminée éteinte toute la journée et maintenant que le soleil avait disparu, les températures glaciales étaient difficilement supportables pour Mama et Mathis.

Mais surtout, elle ne supportait plus cette peur au ventre qui la rongeait de savoir qu’elle avait laissé Mia seule derrière elle.

Elle attendit que Mama ait enclenché le verrou de la porte puis descendit les escaliers sur la pointe des pieds, le cœur battant la chamade et son corps se figeant au moindre grincement. Une fois dans le petit vestibule, elle ne put s’empêcher de jurer entre ses dents ; Mama avait laissé la porte entrouverte dans sa hâte de se mettre à l’abri et elle les aperçut aussitôt. Ils marchaient d’un pas lent dans la rue, leurs têtes oscillant alternativement de droite à gauche comme s’ils scannaient l’endroit. La respiration saccadée, les mains moites, elle attendit qu’ils aient disparu au coin de la rue avant de partir du côté opposé, marchant le plus silencieusement possible. Arrivée au croisement, elle tendit l’oreille, puis prit une profonde inspiration avant de jeter un coup d’œil.

Comme elle l’avait espéré, l’endroit était désert mais un léger faisceau lumineux à l’autre bout de la rue lui fit comprendre qu’ils étaient en effet plus nombreux qu’à l’ordinaire et qu’ils avaient visiblement le quartier sous contrôle.

– Merde, murmura-t-elle, réalisant qu’elle n’allait rien pouvoir faire à elle seule.

Il faut que j’éloigne Mama et Mathis d’ici, pensa-t-elle, portant inconsciemment une main à son cou. Et surtout, surtout, s’il vous plaît, faite que Mia aille bien.

Au bout de l’allée, les bruits gagnèrent en intensité et elle se recula, lâchant aussitôt un cri de surprise lorsqu’elle tomba nez à nez avec deux billes lumineuses.

Une main s’enroula autour de son cou et elle écarquilla les yeux lorsqu’elle la sentit resserrer sa prise jusqu’à lui couper la respiration.

Petit à petit, sa vue se brouilla et elle réalisa avec horreur qu’elle s’évanouissait.

3 décembre 2014

Chapitre 2

La sensation étrange d’un regard posé sur elle poussa Neva à ouvrir les yeux le lendemain, et elle grimaça face à la lumière du jour qui s’insinuait entre les planches de bois recouvrant la fenêtre. Les couvertures avaient été jetées de côté durant la nuit et, grâce à Mia, une chaleur agréable flottait dans l’air, la poussant à rouler sur le dos et à s’étirer comme un chat.  

Le rideau séparant la chambre du reste de l’appartement remua légèrement et elle fronça les sourcils avant d’esquisser un sourire lorsqu’elle remarqua une petite tête blonde chercher désespérément à regarder à l’intérieur. Un œil bleu apparut, suivi d’un autre et Neva attendit que le regard de Mathis croise le sien avant de lâcher :

– Bouh.

Mathis sursauta aussitôt, une inspiration soudaine traversant ses lèvres, avant qu’il ne tombe à la renverse.

Thump !

Neva sentit aussitôt Mia rire à ses côtés.

– Il est tombé sur ses fesses ?

– Je crois, répondit Neva tout en se redressant légèrement, grimaçant face à la douleur sourde qui se manifesta dans son épaule. Mathis ?

Un bruit de mouvement leur parvint puis Mathis entra timidement dans la pièce, les mains croisées devant lui. Neva sourit.

– Coucou bonhomme, bien dormi ?

Mathis haussa les épaules et Neva se retint de justesse de lever les yeux au ciel ; il n’avait pas décroché le moindre mot depuis qu’elle l’avait ramené avec elle la veille au soir.

– T’aurais plus de chance si t’avais huit ans et que tu passais toi aussi ton temps à imiter l’avion, la taquina Mia, comme si elle avait lu dans ses pensées.

– Tu le connais ? s’étonna Neva.

Mia haussa les épaules tout en réunissant sa longue chevelure brune en un chignon lâche.

– Pas vraiment. Mais je le vois souvent, il est tout le temps fourré dehors à jouer avec Tom.

– Parce qu’il y en a d’autres comme lui ? s’exclama Neva, surprise de voir aussitôt Mathis hocher frénétiquement la tête.

Elle sentit le souffle chaud de Mia contre son oreille.

– Non, c’est son ami imaginaire.  

– Oh. Alors il est tout seul. Enfin, avec Tom, se pressa d’ajouter Neva lorsque Mathis afficha un air déconfit. Il n’a pas intérêt de me demander de partir à sa recherche. Zigouiller Termitor, oui. Jouer à SOS fantômes, non. Y a des limites ! Je ferais bien de le raccompagner avant que sa mère ne s’inquiète.

Elle fut surprise d’entendre Mia ricaner.

– Quoi ?

– Je serais toi... j’attendrais encore peu, conseilla Mia, visiblement sûre d’elle.

Neva jeta un rapide coup d’œil en direction de Mathis avant de fixer Mia d’un regard confus.

– Pourquoi ?

– Ben... tu sais... sa mère est... comment dire... une femme de la nuit ? répondit Mia en grimaçant. Alors elle est sûrement encore en train de – hmmmppff !

– O.K. ! s’exclama Neva, priant pour que son visage ne soit pas aussi cramoisi qu’elle le pensait. Mathis, mon cœur, tu veux bien aller voir ce que peut te donner Mama pour le petit déjeuner ?

Le jeune garçon hocha la tête avant de sortir de la pièce et Neva retira aussitôt sa main de la bouche de sa fille.

– Bon sang Mia, il est pas obligé de savoir ce que fait sa mère !

Mia l’observa aussitôt comme si elle avait perdu la tête.

– Pourquoi est-ce que tu crois qu’il passe son temps dehors ? Il sait très bien ce qu’elle fait.

– Oui ben moi, j’avais pas besoin de l’entendre ! grimaça Neva. Et j’arrive pas à croire que ma fille de treize ans soit aussi bien informée sur le sujet, frissonna-t-elle tout en descendant du lit.

L’adolescente rit légèrement.

– Je vais prendre un bain, t’en prendras un aussi ? demanda-t-elle avant d’aider Neva à replacer correctement les couvertures sur le lit.

– Pourquoi, je sens mauvais ? taquina Neva.

Mia afficha aussitôt un air innocent et Neva lui lança l’oreiller en plein visage, quittant la pièce de justesse lorsque Mia voulut l’attaquer en retour. Le rire de l’adolescente résonna derrière elle et elle lui tira la langue avant de prendre la direction de la cuisine.

Elle fut contente de voir que Mathis mangeait avec appétit lorsqu’elle pénétra dans la petite pièce, et elle lui ébouriffa légèrement les cheveux avant de prendre place contre le plan de travail au côté de Mama.

Elle l’embrassa sur la joue en guise de bonjour.

– Je n’ai rien entendu cette nuit, j’imagine qu’il ne s’est rien passé de particulier ?

Mama secoua la tête, le regard fixé sur la viande qu’elle préparait pour le déjeuner.

– Les garçons m’ont dit que Mathis avait dormi comme un loir. Il était encore couché quand je me suis levée, sourit-elle avant de froncer les sourcils. Sa mère va finir par s’inquiéter si elle ne le voit pas arriver par contre.  

Neva afficha un air surpris.

– Tu la connais ?

– Pas vraiment, reconnut Mama en haussant les épaules. Ses parents travaillaient à la mairie à l’époque. Abby – c’est son nom – était leur fille cadette. Elle doit avoir... 25, 26 ans maintenant ? Quand je pense à ce à quoi elle a été obligée de se réduire pour se nourrir elle et son fils...

La vieille femme secoua la tête tout en soupirant.

– C’est bien malheureux.

Neva fronça les sourcils de confusion, les bras croisés sur sa poitrine.

– Outre le fait que pour une raison que j’ignore, je sois visiblement la seule à ne pas la connaître, pourquoi est-ce qu’on ne lui est jamais venue en aide ? Dieu sait que les garçons peuvent suffisamment chasser pour pouvoir nourrir deux bouches de plus, non ?

Mama lui offrit un sourire compatissant.

– Neva... c’est pas parce que le monde a changé que les gens vont accepter la charité plus facilement. Gratuitement, du moins, remarqua-t-elle, contrite, avant de s’exclamer : et les garçons savent qu’ils n’ont pas intérêt à accepter ses services !

Neva ne put retenir un rire malgré le sérieux de la conversation. Non pas qu’elle pensait que les garçons étaient du genre à vouloir manger de ce pain-là, mais elle savait pertinemment que s’ils s’abstenaient, c’était surtout parce que personne ne désirait s’attirer les foudres de Mama. Qu’ils aient 35 ans ou non, elles étaient légendaires, et les triplés les redoutaient toujours autant. Quand on savait qu’ils avaient fait l’armée, Neva trouvait, pour sa part, extrêmement amusant de les voir se dérober à la hâte devant sa furie.

– Je compte le ramener chez lui après m’être lavée, tu veux venir avec nous ?

Mama hocha la tête et Neva prit la direction de la salle de bains après avoir embrassé Mathis sur le dessus de la tête.

💕

Un vent frais fit voler ses cheveux autour de son visage et Neva resserra un peu plus son manteau autour d’elle. Grâce à Mama et ses talents de couturière, la déchirure sur son épaule n’était plus qu’un mauvais souvenir et elle porta son attention sur Mathis qui courait devant elle, les bras tendus de chaque côté de son corps et faisant vibrer ses lèvres afin d’imiter l’avion.

– Mia m’a dit qu’il avait un ami imaginaire, dit-elle soudain à l’attention de Mama qui marchait d’un pas lent à ses côtés, un bras enroulé autour du sien. Tu trouves pas ça un peu étrange, toi ?

Mama resserra légèrement le foulard qui recouvrait sa tête, un faible sourire sur les lèvres.

– A l’époque où on vit, c’est bien la dernière chose que je trouve étrange. Il est le seul garçon de son âge dans les environs, Neva. Si ça l’empêche de se sentir seul et de s’ennuyer, tant mieux.

Neva l’observa du coin de l’œil, suspicieuse.

– O.K., je t’écoute. Jérôme, Jamie, ou Jack ?

Mama rit légèrement avant d’avouer :

– Jack.

Neva haussa les sourcils de surprise avant d’afficher une moue pensive. Jack dégageait quelque chose de doux contrairement à ses deux frères qui étaient beaucoup plus téméraires et compétitifs, et elle dut bien s’avouer que finalement, elle n’était pas si surprise que ça.

– Il avait quel âge ?

– Sept ans. Georges et moi étions en plein divorce, je crois que ça l’a aidé à comprendre et à accepter. Il se comportait comme s'il pouvait la voir, c’était vraiment impressionnant.

– « La » ? C’était une fille ?

Mama hocha la tête.

– Elle s’appelait Pea.

Neva se mordit l’intérieur de la joue avant de sourire malicieusement.

– Tu crois que je pourrais l’embêter avec ça ?

 – Si tu fais ça devant ses frères, tu peux être sûre qu’il ne s’en remettra pas ! s’exclama Mama dans un rire. Mais fais attention au retour du boomerang, conseilla-t-elle dans un clin d’œil.

Neva hocha la tête, le sourire aux lèvres. Mama paraissait tellement plus jeune et pleine de vie quand elle riait aux éclats comme ça qu’elle adorait ça. Même si elle n’avait que soixante ans, vivre dans le froid et la pauvreté comme ils le faisaient laissait des traces, si bien que Mama paraissait bien souvent avoir dix à quinze ans de plus. Ses traits étaient souvent tirés, des cernes marquaient des yeux bien trop souvent fatigués et même si elle ne disait rien, Neva savait à sa façon de marcher que ses articulations lui faisaient mal.

Mia devrait dormir plus souvent avec elle, pensa-t-elle, reconnaissante une fois de plus du don que sa fille possédait, même si cela n’effaçait pas la petite voix à l’intérieur de sa tête qui lui disait qu’ils auraient peut-être dû partir plus au sud toutes ces années auparavant.

Le problème, c’était qu’ils ne savaient pas à quoi s’attendre là-bas, et avaient peur de ce qu’ils allaient bien pouvoir y trouver s’ils décidaient de partir un jour. Ceux qui avaient cédé à la tentation n’étaient jamais revenus, et même si Neva espérait que ce soit pour de bonnes raisons, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait aussi pu se passer quelque chose d’atroce.

– Tu vas avoir des rides plus tôt que prévu si tu continues à t’inquiéter comme ça, taquina Mama en l’observant du coin de l’œil.

Neva sourit légèrement.

– Tu sais, parfois je me dis que je donnerais tout pour vivre de nouveau comme on le faisait avant, puis je vois Mia qui s’acclimate sans le moindre effort et je me dis que je ne sais plus, soupira-t-elle en secouant la tête. Même Mathis semble s’y complaire... c’est bizarre, non ?

– Mia et Mathis ne savent pas comment c’était avant, justement, répondit Mama en accentuant légèrement sa prise sur le bras de Neva. Pour elle, la vie c’est ça, elle n’a rien connu d’autre. Mais à savoir si elle en est rendue plus chanceuse ou non...

Elle s’interrompit lorsqu’elle vit Mathis s’arrêter au beau milieu du chemin, le regard figé sur une porte entrouverte. Neva suivit son regard et sentit aussitôt son corps se figer face aux traînées rouges qui recouvraient le mur au niveau de la plinthe. Un nœud se forma au creux de son ventre et elle se libéra de la prise que Mama avait autour de son bras avant de s’approcher de la porte d’un pas prudent.  

Elle tendit l’oreille, puis poussa légèrement le battant qui donnait sur un petit vestibule totalement désert, avant de lever les yeux vers un escalier étroit menant à l’étage supérieur.

– Mathis, reste avec Mama d’accord ? demanda-t-elle en jetant un rapide coup d’œil au garçon. Je vais prévenir ta maman qu’on est là.

Elle tenta un sourire qu’elle voulut rassurant, puis se faufila à l’intérieur, grimpant les marches avec précaution, grimaçant lorsqu’elles grincèrent sous ses pieds. Arrivée en haut, elle hésita aussitôt lorsqu’elle remarqua que la porte portant le numéro 17 était entrouverte, et elle prit une profonde inspiration avant de la pousser légèrement.

Ce fut d’abord l’odeur qui la frappa. Une odeur salée et métallique, si agressive qu’elle plaqua aussitôt une main sur sa bouche et sur son nez.

– Mme Navard ? appela-t-elle, le cœur battant dans sa poitrine lorsqu’elle remarqua de nouvelles taches de sang sur le parquet.

Levant les yeux, elle nota aussitôt que le salon et le coin cuisine étaient déserts, même si grandement en désordre. A l’autre bout de la pièce, la porte de la chambre était grande ouverte et Neva sentit son cœur accélérer dans sa poitrine alors qu’elle s’approchait d’un pas hésitant.

– Mme Navard ? réitéra-t-elle, espérant qu’elle lui réponde.

L’intérieur de la chambre lui apparut enfin et Neva prit une inspiration soudaine face au corps nu qui gisait sur le sol, avant de remarquer sa tête inclinée dans un angle étrange.

Oh mon Dieu, pensa-t-elle, se reculant soudainement avant de porter à nouveau une main à ses lèvres. Son regard s’évada autour d’elle, et au vu du mobilier brisé et du drap recouvert de sang, elle devina qu’une bagarre avait eu lieu, et lorsque son regard s’arrêta sur la table de chevet, Neva sut aussitôt pourquoi.

Quelle bande de..., pensa-t-elle en tendant une main vers la casquette bleu marine.

La colère laissa cependant rapidement place à l’effroi lorsqu’elle réalisa qu’elle avait failli renvoyer Mathis chez lui la nuit dernière, et surtout, qu’elle ne s’était pas souciée une seule seconde du danger que courait sa mère.

Je lui ai juste laissé un mot lui disant où Mathis allait passer la nuit...

La nausée s’empara d’elle et elle entoura son ventre de ses mains avant de se laisser tomber sur le rebord du lit, croisant les bras sur ses genoux avant d’y poser son front moite.

J’aurais dû lui dire ce qui avait failli arriver à son fils, s’admonesta-t-elle avant de s’essuyerla joue d’une main irritée.

Son regard s’arrêta sur le corps sans vie qui gisait à ses pieds et elle le recouvrit brusquement de l’un des draps du lit avant de se souvenir de Mama et Mathis qui attendaient en bas.

Oh Mathis, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ?

Tremblante, elle s’essuya les yeux d’un revers de main et prit une inspiration profonde dans l’espoir de reprendre contenance. La casquette toujours dans la main, elle la balança parmi les braises qui brûlaient encore dans la cheminée du salon et s’apprêtait à quitter l’appartement lorsque de violents coups de feu retentissant dans la rue la firent soudainement sursauter. Des pas lourds résonnèrent dans les escaliers et Neva sentit le sang quitter son visage.

22 août 2013

Epilogue : Six mois, dix heures et quarante-deux minutes.

Sarah marchait prestement le long du couloir, ses cheveux blonds volant légèrement derrière elle tandis qu’elle saluait d’un faible signe de tête et d’un léger sourire les quelques employés qu’elle croisait ici et là. Le jour J était enfin arrivé, et elle tenait à tout prix à trouver Maena.

Les doubles portes menant aux cuisines lui apparurent enfin et elle les ouvrit avec empressement, regardant aussitôt autour d’elle dans l’espoir d’y trouver celle qu’elle était venue y chercher.

La déception ne mit pas bien longtemps à arriver.

– Dehors, lui parvint soudainement une voix sur la gauche.

Sarah tourna la tête et sourit aussitôt lorsqu’elle vit Amy, avant d’hausser les sourcils.

– De-dehors ? balbutia-t-elle, déviant son regard vers l’horloge murale et notant qu’il était 10h42. Elle est dehors ?

Sarah eut du mal à masquer sa surprise. Maena était bien évidemment sortie à plusieurs reprises durant ces derniers mois, mais ces occasions restaient rares et se comptaient aisément sur les doigts de la main. Et surtout, elles avaient toujours eu lieu en présence de Sarah.

– Depuis quelques minutes déjà, acquiesça Amy en s’essuyant les mains à l’aide d’un torchon. Et si j’étais vous, je m’habillerai chaudement, ajouta-t-elle, les yeux légèrement brillants.

Sarah plissa les yeux avant de faire la moue, pensive. Après des mois d’insistance, Maena avait finalement accepté de réhabiliter plusieurs pièces de la demeure de ses fenêtres – l’aile Ouest surtout, celle qu’elle visitait le moins – mais Sarah n’avait pas encore eu l’occasion d’y passer afin de se faire une idée du temps qu’il faisait dehors aujourd’hui.

– Il neige ? demanda-t-elle, un sourcil haussé.

Amy hocha la tête et Sarah ressentit aussitôt une certaine excitation prendre place dans le creux de son ventre ; elle adorait la neige, ça lui rappelait toujours son enfance.

– Je comprends mieux pourquoi Maena n’a pas pu résister, sourit-elle avant de faire demi-tour. Merci Amy ! salua-t-elle en poussant les doubles portes.

Elle regagna sa chambre en vitesse afin de troquer son pantalon en flanelle et sa veste de jogging pour quelque chose de plus chaud, puis redescendit tout aussi rapidement afin de retrouver Maena. Elle fut aussitôt émerveillée par la quantité de neige qu’elle vit à travers les grandes baies vitrées lorsqu’elle pénétra dans la véranda ; à vue d’œil, elle arrivait facilement à mi-mollet et Sarah laissa son regard courir sur ce magnifique manteau blanc avant de repérer la silhouette qui y avait pris place en son milieu.

Un sourire étira aussitôt ses lèvres et elle tira légèrement la vitre afin de sortir à son tour. La neige craqua aussitôt sous ses pieds et elle se sentit sourire plus encore, avant de fermer les yeux lorsqu’elle reconnut ce parfum si mystérieux mais pourtant connu de tous. L’odeur de la neige.

Elle leva les yeux vers le ciel gris et cotonneux, avant de suivre du regard les quelques flocons timides et délicats qui tombaient encore, puis avança prudemment jusqu’au petit bassin recouvert de glace, là où Maena attendait.

– Heureusement qu’on les a déplacé dans la chambre, je ne pense pas qu’ils auraient apprécié de terminer en poissons surgelés sinon, dit-elle en baissant les yeux vers la petite étendue d’eau gelée.

Elle entendit Maena rire doucement à côté d’elle et elle leva les yeux afin de la regarder. Contrairement à d’habitude, son visage était complétement dégagé, et le cœur de Sarah manqua un battement lorsqu’elle vit que, comme à chaque fois qu’elle sortait à l’extérieur, Maena avait revêtue ses lunettes anti-UV afin d’éviter des dommages irréversibles. Et même si cette dernière ne voulait rien entendre, Sarah la trouvait carrément sexy comme ça. 

En plus, elles étaient transparentes, alors elle avait un accès total à ses magnifiques yeux bleus.

– Tu ne m’as pas attendue pour sortir cette fois-ci, j’en conclu que tu n’as plus besoin de moi ? déclara-t-elle, feignant d’être blessée.

Elle sentit aussitôt un bras venir entourer sa taille et la rapprocher contre un corps chaud et confortable.

– Jamais, lui assura Maena au creux de l’oreille. J’avais juste besoin de me retrouver un peu seule avec moi-même. Et réfléchir.

– Oh, répondit Sarah, désormais embarrassée. Je vais te laisser alors, je suis désolée si –

Elle fut coupée par un doigt sur ses lèvres.

– Tu ne me déranges pas, sourit légèrement Maena. Je suis d’ailleurs contente que tu m’aies rejoint. J’ai... reçu ça, ce matin, ajouta-t-elle en sortant un papier plié en quatre de la poche de son manteau.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Sarah tout en le dépliant.

Elle le parcourut un instant avant de lever les yeux vers Maena.

– Ça vient de Granny.

Maena hocha doucement la tête.

– Ça fait six mois aujourd’hui. Le jour même où toute cette histoire est censée prendre fin, et où nous sommes enfin supposées ne plus rien avoir à faire l’une avec l’autre.

Sarah l’observa, confuse.

– Elle explique pourquoi elle a fait tout ça dans cette lettre ?

– Hmm, lis-la.

Sarah hésita un instant avant de l’observer à nouveau.

– Tu n’as pas l’air en colère, ou déçue, ou...

– Sarah, sourit légèrement Maena, indulgente. Lis la lettre.

Sarah hésita une dernière fois avant de s’emparer de la main de Maena et la lui rendre.

– Non, répondit-elle en secouant la tête. J’ai pas envie de savoir.

Maena haussa les sourcils de surprise :

– Sarah, ce n’est qu’une lettre, tempéra-t-elle. On dirait que tu viens de recevoir les résultats de mes examens trimestriels.

– Ouais et j’imagine toujours le pire dans ces cas-là, répondit aussitôt Sarah avant de détourner le regard d’embarras lorsqu’elle réalisa qu’elle avait parlé sans réfléchir.

La réponse, à peine murmurée, la surprit cependant :

– Je sais. Et je suis désolée pour ça.

Sarah leva aussitôt les yeux au ciel.

– C’est pas de faute Maena, répondit-elle sincèrement. C’est juste... je tiens à toi alors oui, je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter.

Maena baissa les yeux vers elle avant de sourire faiblement.

– Je sais, répéta-t-elle avant de désigner la lettre. Mais je te promets que cette fois-ci, tu n’as aucune inquiétude à avoir.

Sarah se mordit l’intérieur de la joue avant de soupirer :

– Lis la moi alors.

– Tu es sûre ? demanda Maena tout en lissant le papier.

Sarah hocha la tête et Maena se racla légèrement la gorge avant d’opter pour une toute autre tactique. Repliant la lettre, elle lui raconta simplement l’histoire.

 

Deux ans plus tôt.

– Tu devrais avoir honte de toi.

Granny détourna son regard de la baie vitrée – et du charmant jeune homme qui s’affairait à les faire briller – avant de cligner innocemment des paupières en direction d’Amy.

– Pourquoi donc ?

Amy lui offrit un regard appuyé avant de déposer son plateau sur la petite table puis prendre place dans le second fauteuil.

– Tu m’étonnes que ton cœur ait du mal à suivre, à convoiter de jeunes loups comme cela...

Granny lâcha aussitôt un rire :

– Je ne convoite rien du tout, ces choses-là ne sont plus de mon âge depuis bien longtemps, mais rien n’a jamais empêcher le plaisir des yeux.

– Ça expliquerait son absence de t-shirt, acquiesça Amy en hochant la tête d’un air entendu.

– Il veut simplement une augmentation.

Elles échangèrent un regard avant d’éclater de rire, puis Granny leva les yeux en direction du garçon :

– John ? Laissez-nous s’il vous plaît.

Le jeune homme hocha aussitôt la tête dans sa direction avant de récupérer ses ustensiles et son escabeau puis quitter la pièce. Granny s’empara ensuite de la pochette qui reposait entre elles, sur la petite table.

– J’aimerais que tu jettes un œil à ceci, dit-elle en tendant une feuille à Amy.

Amy l’observa, confuse.

– Qu’est-ce que c’est ? répondit-elle en s’emparant du bout de papier.

Elle le parcourut un moment avant de relever les yeux vers Granny :

– Tu n’es pas sérieuse ?

Granny sourit faiblement :

– Il va falloir que tu précises ta pensée. Sur quoi, le testament, où son contenu ?

– Je peux comprendre le testament, répondit Amy, même si comme à chaque fois que l’état de santé de Granny était mentionné, elle ne pouvait s’empêcher de sentir son cœur se serrer. Mais le reste... 

Granny dévia son regard vers les baies vitrées, admirant le manteau neigeux qui élisait domicile chaque année et dont elle ne se lassait jamais, avant de répondre :

– Alison vient de nous quitter, tes enfants sont partis depuis un moment maintenant, et quoi qu’on en dise, mes jours sont désormais comptés. Je ne veux pas que Maena se retrouve seule.

Amy lui offrit aussitôt un regard désapprobateur.

– Elle ne sera jamais seule.

– Je sais, sourit aussitôt Granny. Mais soyons honnête, à part toi... de qui d’autres Maena choisira-t-elle de s’entourer ? Ce ne sera pas simple, et la connaissant, elle ne fera même pas l’effort.

Elle observa la neige qui tombait avant d’ajouter :

– Elle n’est pas heureuse. Et je sais qu’elle se laissera abattre si je ne fais rien pour l’en empêcher. 

– Ça relève tout de même de l’extrême...

– Tu crois aux âmes-sœurs, Amy ?

Amy cligna plusieurs fois des paupières, surprise par la question inattendue.

– Je... peut-être, je ne sais pas.

– Moi, je pense que ça existe. Je pense qu’il y a des gens pour lesquels, quand ils se rencontrent, ils ressentent ce quelque chose de fort, de viscéral qui les fait se sentir enfin entier. J’ai peut-être tort, mais si jamais c’est le cas, je veux que Maena ait au moins cette chance. Celle de rencontrer sa moitié, son alter égo, et qu’elle se sente enfin complète.

– Et tu penses que cette femme, cette... Sarah, tu penses que c’est son âme-sœur ?

Granny prit une gorgée de son thé avant de répondre :

– Ça, Dieu seul le sait, sourit-elle malicieusement avant de reprendre son sérieux. Maena ne l’a croisée que deux fois dans sa vie, mais tu aurais vu sa réaction ces deux fois... elle était comme subjuguée. Le monde aurait pu disparaître autour d’elle, je suis sûre qu’elle n’aurait rien remarqué. Et puis cette énergie qui irradiait...

– Elle semble sous le charme.

Granny hocha la tête d’un air entendu :

– Je pense qu’elle l’est, mais qu’elle n’en a pas la moindre idée.

– Hmm. Mais rien ne dit que cette Sarah partagera le même sentiment...

Granny lui jeta un coup d’œil avant de s’emparer de la pochette qui reposait entre elles, sur la petite table. Elle en sortit une feuille qu’elle tendit aussitôt à Amy.

– C’est pour cela que j’ai écrit deux testaments. Je ne veux pas que Maena soit forcée dans quelque chose qu’elle ne veut pas, ni priver cette jeune demoiselle de sa liberté. Sans compter qu’il est hors de question que cette demeure sorte de la famille.

– Alors le premier testament n’est qu’un leurre ?

– En quelque sorte, sourit Granny avant de reprendre son sérieux. Et c’est justement là que tu entres en jeu, je veux que tu aies toutes les cartes en main, Amy. Je veux que tu sois les yeux et les oreilles de cette demeure, et que tu décides de quand et si il est bon de mettre fin à toute cette mascarade. Je veux qu’elle soit heureuse, pas à deux doigts de réduire en miettes tout ce qui l’entoure.

Amy rit doucement :

– C’est vrai qu’elle sait faire preuve de caractère quand elle le veut, admit-elle avant de retrouver son calme. Si ton plan ne marche pas, et même s’il marche d’ailleurs, Maena risque de beaucoup t’en vouloir. Tu en as conscience ?

– Si ça marche, elle m’en voudra peut-être, mais ça ne durera pas. Et si ça ne marche pas... je suis sûre qu’elle finira par comprendre mes motivations et me pardonner.

 Elle fit une pause avant d’ajouter :

– Je lui ai écrit une lettre, j’aimerais que tu la lui remettes une fois toute cette histoire terminée, quelle qu’en soit l’issue.

Amy l’observa un moment avant de se redresser et avancer jusqu’aux baies vitrées.

– Je suppose que ta décision est prise et que tu n’accepteras pas de refus ?

– C’est ce que tu veux, refuser ?

Amy soupira avant de lui faire à nouveau face :

– Toi et moi savons de quoi il en retourne, Maena pensera que tu la mets au pied du mur et que si elle ne t’obéît pas à la lettre, elle perdra la dernière chose qui la rattache à sa famille, à toi.

– Et en contrepartie, elle pourrait enfin être heureuse, répondit Granny avant d’ajouter lorsqu’elle vit Amy secouer la tête de désaccord : Je sais que tu arrêteras tout si tu sens que ça ne marche pas. 

– Il ne me reste plus qu’à dire oui alors, hein ?

Granny sourit faiblement avant d’abaisser le regard :

– A vrai dire, je crois bien que c’est ma dernière volonté.

Amy sentit aussitôt le début de larmes la piquer à nouveau :

– Calliope...

– J’ai passé ma vie à aider les autres, la coupa Granny en relevant les yeux vers elle, pourtant, j’ai l’impression de ne jamais avoir réussi à vraiment l’aider elle, alors qu’elle est celle qui compte le plus pour moi. Je veux qu’elle soit heureuse, et je n’hésiterai pas à te supplier si cela peut enfin lui apporter celle qui lui rendra la vie plus belle.

Amy sentit ses joues s’humidifier de plus en plus et elle les essuya d’une main irritée avant d’hocher la tête :

– D’accord, d’accord je vais le faire, renifla-t-elle. Mais arrête de dire des trucs déprimants, tu veux ?

Granny lâcha un rire avant d’hocher la tête :

– Promis.

 

– Amy était au courant ? s’exclama Sarah une fois que Maena eut terminé.

– C’est elle-même qui m’a donné la lettre, je crois qu’elle s’est sentit obligée de se justifier par la même occasion.

Sarah hocha doucement la tête, encore légèrement secouée par ce qu’elle venait d’apprendre.

– La lettre dit quoi alors au final ?

Maena haussa un sourcil :

– Tu n’as plus peur de savoir maintenant ?

Sarah détourna le regard, légèrement embarrassée.

– Non, marmonna-t-elle.

Maena rit doucement avant de lui répondre :

– Ma grand-mère me dit qu’elle m’aime, qu’elle est désolée, qu’elle espère que je comprends, et surtout, que je suis heureuse. Tout ça, sur six pages et demi.

– Et ? demanda aussitôt Sarah, inquisitrice.

Maena fit mine de réfléchir :

– Eh bien... je l’aime aussi, je ne lui en veux pas, je comprends et..., elle sourit avant d’ajouter : je pense pouvoir dire avec certitude que je suis heureuse.

Sarah afficha aussitôt un sourire ravi :

– Elle n’a pas eu une si mauvaise idée que ça alors, hein ?

– Non, rit aussitôt Maena avant de soupirer. Même si j’aurais aimé qu’elle soit toujours là pour le voir.

Sarah prit l’une de ses mains dans la sienne :

– Je suis sûre qu’elle est bien là où elle est, répondit-elle avant de lever les yeux vers le ciel. Et qu’elle voit tout ce qui se passe ici.

– Tu penses ? demanda Maena avant de suivre son regard.

Sarah haussa les épaules :

– Elle a passé les trente-trois dernières années à être ton ange gardien, tu penses vraiment qu’elle se serait arrêtée en si bon chemin ?

– Je ne sais pas... mais l’idée me plaît assez bien, répondit Maena en l’observant à nouveau.

Sarah sourit avant de froncer les sourcils lorsqu’une image lui revint soudainement en mémoire, d’épais rideaux bleus marine recouvrant les murs, une table ronde située au centre de la pièce, et une voyante, brune aux yeux perçants. Elle vous dit de ne pas résister, et d’écouter votre cœur. Il n’y a que comme ça que tout se passera bien.

– Elle m’a dit d’écouter mon cœur...

– Quoi ?

La voix de Maena lui parvint et Sarah cligna des yeux, reprenant pied avec la réalité :

– La voyante. Je suis allée voir une voyante juste avant d’arriver ici, et c’est ce qu’elle m’a dit, d’écouter mon cœur. Enfin, quelqu’un lui aurait dit de me dire ça.

Maena haussa un sourcil :

– Et tu y as cru ?

Sarah sortit son portable de la poche arrière de son jean avant de répondre :

– Non, ou peut-être que si, inconsciemment, dit-elle en cliquant sur « répertoire » avant de faire défiler les numéros.

– Hmm, et elle t’a dit qui c’était ?

 Sarah secoua négativement la tête :

– Non, mais on ne devrait pas tarder à le savoir, répondit-elle en désignant le téléphone avant de le porter à son oreille. Je savais bien que j’avais bien fait d’enregistrer son numéro.

Elle attendit une sonnerie, puis deux, puis trois avant qu’on ne décroche :

– Madame Leick ? C’est –

– Sarah. Je ne m’attendais pas à avoir de vos nouvelles. Enfin, jusqu’à il y a cinq minutes du moins.

Sarah ne put retenir un sourire d’avoir été si vite démasquée, avant de légèrement secouer la tête :

– Oui je sais, écoutez, ça va peut-être vous paraître étrange mais lorsque vous avez lu les lignes de ma main, vous m’avez dit –

– D’écouter votre cœur, l’interrompit à nouveau la voyante. Je me souviens. Que voulez-vous savoir ?

Sarah leva les yeux vers Maena avant de demander :

– La personne qui vous a dit ça... vous savez qui c’était ?

Il y eut un léger silence avant que la réponse n’arrive :

– Calliope. Calliope Beauregard.

Sarah sentit aussitôt son souffle se couper.

– Mer-merci madame Leick, balbutia-t-elle, stupéfaite. Bonne journée.

Maena, qui avait observé l’échange en silence, sentit aussitôt l’inquiétude monter en elle :

– Ça va ? demanda-t-elle en encadrant le visage de Sarah de ses mains.

Sarah hocha frénétiquement la tête avant de sourire :

– Tu t’es trouvée un sacré ange gardien en la personne de ta grand-mère, Maena.

– C’était elle ? s’étonna aussitôt Maena.

– C’était elle, assura aussitôt Sarah en venant légèrement l’embrasser. Enfin, si on peut croire une voyante, bien sûr.

Maena rit légèrement :

– Ça peut peut-être paraître absurde, mais je crois que c’est exactement ce que je vais faire.

– Moi aussi, sourit Sarah. Et maintenant que cette histoire est terminée, que voulez-vous faire, chère âme sœur ?

Ce fut au tour de Maena de sourire :

– Hmm... danser. Avant de passer le reste de la journée à te faire l’amour.

Sarah haussa aussitôt les sourcils avant de soudainement s’emparer du manteau de Maena à pleines mains.

– Oublie la danse, passons tout de suite à la deuxième étape ! répondit-elle tout en la poussant afin qu’elle s’allonge à même le manteau neigeux.

Les pieds de Maena glissèrent sous elle et elles s’étalèrent lamentablement sur le sol, leurs rires résonnant dans les airs tandis que la neige les cachait presque du monde extérieur.

– Je suis désolée, rit Sarah tout en relevant péniblement la tête. Ça va ?

Maena s’apprêtait à hocher la tête mais elle s’interrompit pour faire la moue à la place :

– Eh bien, maintenant que tu le demandes, c’est vrai que ça fait un petit peu mal, feignit-elle dans un air innocent. Je suis sûre qu’avec un bisou, ça irait mieux.

Sarah l’observa, totalement amusée.

– Oh, un bisou hein ? sourit-elle avant d’obtempérer et embrasser la joue de Maena. Mieux ?

– Mieux, sourit Maena. Mais un autre ne serait pas de refus, tu sais, au cas où... on est jamais trop prudent.

Sarah retint difficilement un rire et elle tendit une main vers les lunettes de Maena.

– Ferme les yeux, murmura-t-elle avant de les retirer.

Elle se pencha et posa ses lèvres sur les yeux fermés, puis descendit jusqu’à ses lèvres où elle l’embrassa tout en exerçant une pression légère, souriant lorsque Maena y répondit avec amour tout en la serrant contre elle.

Elle se recula légèrement afin de la regarder :

– Maena ? murmura-t-elle.

– Hmmm ?

– Je t’aime.

Maena afficha aussitôt l’un de ses rares sourires, ceux qui éclairent son visage et lui offraient une sorte de jeunesse éternelle, avant de murmurer à son tour :

– Je t’aime aussi.

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