Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

Publicité
⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

11 juillet 2013

Chapitre 11

Sarah attendit patiemment que bulldog n°6 et bulldog n°3 aient ouvert les doubles portes avant de pénétrer dans la salle de sport. Contrairement au reste de l’immense demeure, c’était la seule pièce à posséder des néons diffusant une lumière blanche typique de celles des hôpitaux. Elle possédait un coin fitness sur la gauche, juste à côté du mur d’escalade, un coin musculation sur la droite puis un espace réservé aux sports de raquettes. Sarah savait qu’en ce qui concernait tous les autres sports, ça se passait à l’extérieur, dans l’immense cour arrière.

Les doubles portes se refermèrent derrière elle et elle se dirigea aussitôt vers la salle des sports de raquettes, saluant les quelques gardes présents d’un signe de tête et grimaçant légèrement lorsque des effluves de sueurs vinrent désagréablement lui chatouiller les narines.

– Beurk, répliqua-t-elle tout en poussant la porte de verre à l’aide de son épaule.

Elle déposa le plateau qu’elle tenait entre ses mains sur le banc avoisinant puis se retourna et parcourut les diverses petites salles du regard dans l’espoir d’y trouver Marko. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi il ressemblait, mais Amy lui avait dit qu’il était complètement différent des gardes. Sarah avait alors supposé qu’elle devrait facilement le trouver juste avec ce détail.

Elle passa devant la salle de Pingpong, puis celle de badminton, et atteignait tout juste celle du tennis contre mur quand un raclement de gorge se fit entendre juste derrière elle. Surprise, elle se retourna, et fut aussitôt persuadée d’avoir enfin trouvé le dit Marko. Amy n’avait pas menti, il était à l’opposé même de ce à quoi ressemblaient la plupart des gardes. Là où tous avaient une allure de rugbyman, Marko était plus petit, avec un physique beaucoup plus fin. Un physique de cycliste, pensa-t-elle. Il avait des cheveux aussi, certes coupés courts, et une barbe de trois jours soigneusement entretenue. Ses yeux marrons semblaient rieurs, son sourire charmeur et une tenue décontractée jean-t-shirt-converses complétait l’ensemble.

Sarah devait bien s’avouer qu’il était plutôt beau garçon.       
 – Vous devez être Sarah ? demanda-t-il, un sourcil haussé. Ou plus communément connue sous le nom de « celle qui faisait tourner la tête de la moitié des employés de Dame Maena. »

Sarah haussa les sourcils et il afficha un sourire satisfait :

– Et elle n’est même pas au courant... comme c’est surprenant.

Sarah nota aussitôt le ton moqueur mais au lieu de le rembarrer, elle opta pour une toute autre tactique. Elle s’approcha jusqu’à pénétrer son espace personnel avant de lever les yeux vers lui, bien consciente qu’il pouvait aisément sentir son souffle sur ses lèvres.

– Et vous devez être Marko, l’homme à tout faire..., commenta-t-elle en venant laisser son doigt courir le long de son sternum avant de remonter vers son cou, puis jusqu’à ses lèvres. Je me trompe ?

Elle sourit intérieurement lorsqu’elle le vit inspirer soudainement.

– N-non, répondit-il tout en ne la lâchant pas du regard.

Sarah sourit, puis taquina la lèvre inférieure de Marko de son ongle parfaitement manucuré. 

– Alors dis-moi, Marko..., ronronna-t-elle, plongeant son regard dans les pupilles dilatées au-dessus d’elle. Est-ce que je te fais tourner la tête, à toi aussi ?

Elle sentit les mains de Marko prendre place autour de sa taille et serrer doucement et elle en profita pour se rapprocher plus encore, jusqu’à ce que son corps soit en contact avec le sien. Elle haussa un sourcil, dans l’attente.

– Pe-peut-être, répondit finalement Marko, son regard passant alternativement de ses yeux verts à ses lèvres.

Sarah en profita pour très légèrement sortir sa langue et les humidifier le plus lentement possible et elle retint difficilement un rire lorsqu’elle sentit le cœur contre elle se mettre aussitôt à tambouriner plus fort. Ah les mecs... C’était tellement facile qu’elle en fut presque déçue. Elle prit le menton de Marko entre ses doigts et rapprocha son visage jusqu’à frôler son nez du sien, le laissant croire qu’elle allait l’embrasser.

– Marko ? souffla-t-elle, sa main libre se glissant à l’arrière de sa tête, dans ses cheveux. Ton café va refroidir.

Elle attendit une seconde, puis deux, puis quelques-unes encore avant que Marko ne comprenne enfin ce qu’elle venait de dire et ne se recule subitement.

– Huh ? lâcha-t-il, incrédule.

Sarah lui tapota gentiment l’épaule.

– Ça t’apprendra à te moquer moi, chuchota-t-elle en se reculant, retenant difficilement un rire face au visage ahuri qui lui faisait face. Et...

Son regard dévia par-dessus l’épaule de Marko pour s’arrêter sur la silhouette nonchalamment appuyée contre la porte en verre et elle sentit aussitôt le sang quitter son visage.

– Et Madame Maena ne va absolument pas être ravie de ce qu’elle vient de surprendre, marmonna-t-elle en se reculant à une distance raisonnable.

– Hein ? répliqua Marko avant de tourner la tête afin de suivre son regard.

Il écarquilla aussitôt les yeux.

– Oh merde, je viens de signer mon arrêt de mort.

– Ça c’est si elle ne me tue pas avant, grimaça Sarah.

Marko lâcha aussitôt un « ppffft ! » l’air de dire « genre ! » et Sarah plissa des yeux avant de le pousser pour qu’il avance.

– Hé ! s’exclama-t-il aussitôt en se positionnant à côté d’elle.

– Quoi ? Il va bien falloir qu’on l’affronte un jour, non ?

Marko marmonna entre ses dents mais obtempéra et bien vite, ils ne furent plus qu’à un mètre de Maena, de son visage impossible à déchiffrer et de ses yeux presque noirs sous la colère qui l’habitait visiblement. Maena posa son regard sur Sarah et elle prononça d’un ton neutre :

– Marko ? Dans mon bureau.

Sarah l’entendit déglutir audiblement puis quitter la pièce en toute hâte et elle en profita pour aussitôt ouvrir la bouche mais Maena l’arrêta en levant une main.

Elle secoua légèrement la tête avant de soupirer :

– Bon sang Granny, tu étais vraiment obligée de choisir une bisexuelle ?

Sarah sentit aussitôt ses sourcils grimper sur son front.

– Pardon ? s’exclama-t-elle. Je peux savoir ce que mon orientation sexuelle vient faire la dedans ?

– Tu vois d’autres femmes ici ? coupa aussitôt Maena, le ton dur. Avec une lesbienne, au moins, j’aurais été sûre de ne pas avoir à affronter ce genre de problème un jour !

Sarah serra des dents.

– Si au moins tu me laissais m’expliquer...

– Expliquer quoi ? gronda aussitôt Maena en prenant un pas menaçant vers elle. Franchement Sarah, t’étais vraiment obligée de faire ça ? Ici, devant la majorité de mes employés qui, tous sans exception, nous pensent mariées ?!

Sarah cligna bêtement des yeux avant de regarder autour d’elle. La plupart des gardes du corps présent détournèrent aussitôt la tête, mais elle eut aisément le temps de remarquer le sentiment de désaccord qui habitait leurs visages. Son attention se reporta sur Maena et, même si tout n’était que comédie, elle comprit soudainement qu’elle venait surtout de blesser son amour propre. Elle passait soudainement pour la femme bafouée et ce devant la majorité de ses employés.

Sarah se sentit soudainement mal à l’aise.

– Maena... je... c’est vraiment pas ce que tu crois. Je t’assure que...

– A d’autres, Sarah, coupa Maena avant de se retourner et quitter la pièce.

Sarah relâcha aussitôt un grognement de frustration avant de lui courir après. Elle chuchota une fois arrivée à sa hauteur :

– T’es obligée de toujours prendre la fuite quand on se dispute ?

Maena remercia les gardes d’un signe de tête lorsqu’ils leur ouvrirent la porte avant de répondre :

– Peut-être parce que tout a été dit et qu’il n’y a rien de plus à ajouter ?

– Eh bien moi si, j’ai encore quelque chose à ajouter là justement ! s’exclama aussitôt Sarah en évitant d’hausser la voix.

Elle ne voulait pas embarrasser Maena une seconde fois. 

– Et qu’est-ce que c’est ? soupira Maena tout en s’arrêtant au beau milieu du couloir. Que ce n’est pas ce que je crois ? C’est bon, merci, j’ai compris.

– Je – ne – t’ai – pas – trompée ! Voilà ce que j’ai à ajouter, gronda Sarah en prenant une posture défiante. Marko s’est moqué de moi parce que je n’avais pas remarqué que la plupart de tes employés... m’aimaient un peu plus que bien, on va dire, expliqua-t-elle, légèrement mal à l’aise. Alors j’ai voulu me venger en lui faisant croire qu’il me plaisait pour finalement lui mettre un vent, marmonna-t-elle finalement, désormais complètement embarrassée.

Maena l’observa avant de soupirer.

– C’est pas ça le problème Sarah, expliqua-t-elle calmement. On n’est pas ensemble, tu es libre de faire ce que tu veux avec qui tu veux. Le problème –

– C’est de l’avoir fait devant la majorité de tes employés, marmonna Sarah avant d’afficher un regard empli d’excuses. Je sais, et je suis sincèrement désolée pour ça. Je n’ai pas réfléchi.

Elle hésita avant de demander :

– Tu m’en veux vraiment ?

Pour une raison qu’elle ignorait, la réponse lui importait beaucoup. Maena détourna le regard avant de légèrement secouer la tête.

– Je m’en remettrai, déclara-t-elle en l’observant à nouveau, avant d’afficher un air désolé. Et je suis désolée pour ton compte Facebook, la presse ainsi que la rémunération. Je n’aurais pas dû faire toutes ces choses, et encore moins dans ton dos.

– Ça veut dire que tu vas arrêter ? demanda Sarah, pleine d’espoir. La rémunération surtout, parce que j’ai l’impression d –

Elle fut coupée par une main sur ses lèvres.

– Uniquement si tu arrêtes de prononcer ce mot, frissonna Maena, visiblement blessée.

Sarah retira délicatement sa main.

– Voler. J’allais dire que j’ai l’impression de te voler. Maena, j’ai accepté de te rendre service, je n’ai pas besoin d’une rémunération en retour. Sans compter que 10 000€ par jour c’est... c’est... c’est de la folie !

Maena se mordit l’intérieur de la joue, pensive avant de hausser un sourcil :

– D’accord, mais tu gardes ce que je t’ai déjà donné alors. Deal ?

Sarah s’apprêta à protester mais elle s’interrompit lorsque Maena s’avança dangereusement vers elle, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son corps. Elle glissa un doigt sous son menton afin de croiser son regard.

– Sarah... dans un couple, pour que ça marche... il faut faire des concessions des deux côtés, tu ne crois pas ?

Sarah avala difficilement sa salive, ne sachant pas ce qui la troublait le plus entre l’intense regard bleu glacé juste au-dessus d’elle, ou le souffle de Maena qui venait chatouiller ses lèvres.

– D’ac-d’accord, bredouilla-t-elle enfin, totalement hypnotisée.

Maena afficha un petit sourire.

– Parfait, répondit-elle avant de reprendre son sérieux. Ecoute, je sais que cette histoire de testament est très loin de te ravir, et que tu es littéralement en train de sacrifier six mois de ta vie pour moi –

– Oui enfin, il y a quand même plusieurs millions d’euros à la clé aussi..., la coupa Sarah dans un sourire.

– C’est vrai, sourit Maena avant de froncer les sourcils. Mais ce que je voulais dire, c’est que six mois c’est très long. Alors on pourrait peut-être faire en sorte d’éviter l’affrontement le plus possible et respecter le testament en bonne intelligence, tu ne crois pas ?

Sarah hocha la tête.

– Tu as raison, admit-elle. Je tâcherai de faire des efforts.

– Moi aussi, promit Maena avant de se reculer. Tu veux bien m’excuser maintenant ? J’ai un homme de main à torturer.

– T’es sûre ? grimaça Sarah. Parce que techniquement, il n’a pas fait grand-chose...

– Oh ça je le sais bien, répondit aussitôt Maena, les yeux brillants. Je le comprends même, après tout, comment pourrait-on résister à ton charme ? Même mes employés ont abandonné l’idée depuis bien longtemps.

Sarah se sentit aussitôt rougir furieusement.

– Tu aurais pu m’informer de ce petit détail, grommela-t-elle en se frottant la joue dans l’espoir de faire partir la rougeur.

– Et mettre fin au spectacle ? répondit aussitôt Maena dans une exclamation feinte. Jamais !

Sarah lui tira aussitôt la langue à quoi Maena lui répondit d’un clin d’œil avant de s’éloigner le long du couloir.

Publicité
Publicité
8 juillet 2013

Chapitre 10

La clarté de son regard bleu était saisissante, et le contraste entre sa peau laiteuse et ses cheveux noir ébènes avait quelque chose d’étrange, de rare, mais d’indéniablement envoutant.

Et puis il y avait la façon dont il l’observait en retour, cette expression si intense et si admirative qui la rendait toujours mal à l’aise, mais aussi secrètement heureuse de savoir qu’elle retenait son attention. Il évoquait en elle une fascination tellement incontrôlable qu’elle ne pouvait s’empêcher de dévisager ses traits encore et encore. Ses pommettes saillantes qui accentuaient l’éclat singulier de son regard bleu glace, son nez droit et cette bouche qui inspirait le désir et lui conférait quelque chose de dur, particulièrement viril. Un ensemble qui selon elle ne pouvait laisser aucune âme humaine insensible.

– Mademoiselle ?

Sa voix lui parvint mais alors qu’elle reprenait pied avec la réalité, son sourire dévastateur la bouleversa aussitôt, et de nouveau, son esprit semblait comme vide.

– Je... hum... veuillez m’excuser, parvint-elle finalement à balbutier.

Embarrassée, elle s’apprêtait à quitter la pièce mais Mathis saisit son bras avant d’emprisonner sa main entre les siennes de façon rassurante. Surprise, Luna fut aussitôt saisit de vertige, de délicieux petits picotements se propageant dans sa chair au contact des doigts virils qui effleuraient son poignet.

– Qu’est-ce que...

Mathis l’ignora, levant son avant-bras afin de regarder sa montre.

– Dans dix minutes, vous ne serez plus mon employée. Je dois vraiment attendre si longtemps pour pouvoir vous embrasser ?

Les mots lui parvinrent et Luna se retrouva aussitôt en état de choc. Il voulait l’embrasser ? Il la trouvait donc attirante ? Au point de ressentir la même chose qu’elle ?

– Luna ? l’appela-t-il, désireux d’obtenir une réaction.

Luna cligna des paupières à plusieurs reprises, la joie immense qui s’insinuait en elle lui faisant agréablement tourner la tête :

– N... non. Nous n’avons pas à attendre aussi longtemps.

Un sourire empli de désir lui répondit, rapidement suivit de doigts frémissant sous son menton, et Luna sentit son cœur vaciller face à la dilatation révélatrice des pupilles qui lui faisaient face, ainsi qu’à la respiration légèrement saccadée qui venait frôler ses lèvres.

La pointe d’une langue vint retracer les contours de sa bouche et elle –

 

– Tu n’as jamais pensé à écrire du saphique ?

Sarah sursauta aussitôt face à la voix qui résonna par-dessus son épaule et elle porta une main sur son cœur. Plongée dans son histoire, elle n’avait pas entendu Maena entrer, mais maintenant qu’elle était là, elle sentit la colère qui l’avait habitée avant qu’elle ne se noie dans l’écriture monter en elle à nouveau et elle écarta l’ordinateur avant de s’assoir en tailleur sur son lit.

Il y avait d’abord eu Facebook, et même si la photo publiée sur son compte était absolument magnifique – bien que visiblement réalisée à partir d’un montage, car Sarah n’avait simplement aucun souvenir de quand cette photo aurait pu avoir été prise autrement – Sarah n’avait pas du tout apprécié, car si elle avait voulu que les gens soient au courant de son « mariage » avec Maena, elle aurait aimé pouvoir l’annoncer elle-même. 

Puis il y avait eu la surprise d’aujourd’hui. Celle qui avait fini de la mettre littéralement hors d’elle, et elle prit une profonde inspiration avant de prononcer dans un ton qu’elle se voulut calme :

– Non, et tu tombes justement à pique ; je voulais te voir.

Maena se redressa, un sourcil haussé :

– Ah ? J’espère que ce n’est pas pour l’écriture au moins, tu avais l’air de plutôt bien t’en sortir.

Sarah rougit légèrement. Son inspiration n’avait jamais été aussi prolifique que depuis qu’elle avait élu domicile dans l’immense demeure, et même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi ses histoires étaient toutes en lien avec une mystérieuse beauté ténébreuse, c’était bien la seule chose qui ne lui donnait pas de fil à retordre pour le moment.

– Non, c’est pas pour ça. Ce que je voudrais savoir, c’est si tu pouvais m’expli... mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?! s’interrompit-elle lorsqu’elle vit une boule de poil énorme entrer à son tour dans la pièce, ses griffes résonnant sur le parquet.

Maena afficha aussitôt un regard confus.

– Je croyais que tu l’avais toi-même demandé ? répondit-elle en glissant ses doigts dans la généreuse fourrure brune avant d’afficher l’un de ses rares sourires. Elle s’appelle Dixie. Elle est adorable, hein ?

– Adorable ? répéta aussitôt Sarah avant de fusiller du regard l’endroit où Maena venait de poser sa main. Elle était surtout censée me protéger de toi ! Mais c’est... c’est... c’est un vrai nounours oui !

Maena cligna des yeux, surprise par son emportement soudain.

– Et alors ? Tu n’aimes pas les Bouviers Bernois ?

– C’est pas ça, répondit Sarah en remuant une main dans les airs. J’avais demandé un chien intimidant, gronda-t-elle. Elle est pas intimidante elle !

Elle sentit sa colère monter d’un cran lorsque le dit chien dégagea la main de Maena de sa tête la lécher goulument. Elle plissa des yeux. Traitre !

– Sarah, je ne comprends pas, déclara Maena, confuse. Pourquoi est-ce que tu aurais besoin d’un chien intimidant ?

– Pour rien, soupira Sarah tout en récupérant son ordinateur. Par contre, si tu pouvais m’expliquer ça, ça me serait très utile, ajouta-t-elle en tournant l’écran vers Maena.

Maena s’approcha jusqu’à s’agenouiller au pied du lit pour mieux voir. Elle grimaça.

– Tu devrais peut-être penser à changer de banque, leurs frais de prélèvements sur les opérations sont incroyablement élevés.

Sarah haussa aussitôt les sourcils.

– Ah ouais ? s’étonna-t-elle avant de secouer la tête. Aaaah ne la laisse pas te déconcentrer ! Garde ça au chaud plus tard, d’accord ? demanda-t-elle avant de désigner l’écran. Il n’y a rien qui te choque, là ?

– Hmm... outre le fait que ton métier n’a pas l’air de si bien rémunérer ?

Sarah lui offrit aussitôt un regard appuyé.

– Figure-toi que la somme d’argent qui figurait sur mon compte en banque a mystérieusement augmenté de 140 000€, en raison de 10 000€ par jour. Tu n’aurais pas une idée d’où ça pourrait venir, par hasard ?

Maena cligna innocemment des paupières.

– Non ?

– Bien sûr, répondit aussitôt Sarah, sarcastique. Six mois... cent-quatre-vingt-deux jours... ça nous fait du 1 825 000€. Je me trompe ?

Maena ne répondit pas et elle poursuivit :

– 10 000€ la journée ? C’est ce que je vaux à tes yeux ?

Maena afficha aussitôt un air hésitant :

– C’est pas suffisant ?

– Suffisant ? répéta Sarah, incrédule avant de la fusiller du regard. C’est blessant oui ! J’ai pas envie d’être payée ! J’ai l’impression d’être... d’être... une pute !

– Une pute ? s’exclama Maena, horrifiée avant de se redresser d’un bon. Non mais ça ne va pas la tête, hein !

Sarah croisa aussitôt les bras sous sa poitrine, la posture défiante.

– Et si c’était moi qui te payais, tu le prendrais comment ? lâcha-t-elle tout en lui offrant un regard appuyé.

Maena ouvrit la bouche avant de la refermer.

– Tu m’offres un service, gronda-t-elle finalement, le regard dur. Je t’empêche de vivre ta vie comme tu le souhaiterais, alors oui, j’ai décidé de te rémunérer. Et c’est la seule raison pour laquelle j’ai décidé de le faire. Alors arrête de parler de prostitution !

Elle dévisagea Sarah encore un instant, la respiration saccadée, avant de finalement tourner les talons et quitter la pièce.

– Eh bien vas-y, fuit ! s’exclama Sarah avant de se laisser retomber sur le lit et cacher son visage entre ses mains. Aaaarg !

Des bruits de pas lui parvinrent à nouveau et elle redressa aussitôt la tête mais fut rapidement soulagée lorsqu’elle vit Amy ; un deuxième round avec Maena aussi près du premier aurait entrainé des paroles blessantes qu’elle n’aurait pas pensé et elle ne voulait surtout pas ça.

– Eh bien, il y a de l’ambiance par ici, sourit faiblement Amy tout en déposant son plateau sur le lit. Qu’est-ce qui se passe, il y a de l’orage dans l’air ?

– Non, soupira Sarah, avant de se redresser. Enfin si, peut-être. Je sais pas.

– Hmm, vous n’avez pas l’air très convaincue.

Sarah haussa les épaules, son doigt dessinant des arabesques sur le couvre lit. La colère était encore trop présente en elle pour qu’elle puisse prendre suffisamment de recul afin d’analyser objectivement la situation dans laquelle elle et Maena se trouvaient.

Tout ce qu’elle savait pour le moment, c’était qu’elle détestait juste qu’on prenne des décisions pour elle sans même lui en parler avant, elle avait vingt-huit ans pour l’amour  du ciel, pas cinq.

La voix d’Amy la ramena à la réalité :

– Je suis sûre que quoi qu’elle ait fait, ça partait d’un bon sentiment.

Sarah nota aussitôt le petit sourire d’Amy lorsqu’elle releva les yeux et elle remarqua une fois encore que la simple présence de la veille femme l’apaisait, si bien qu’elle sentit déjà une partie de la colère qui l’habitait s’évaporer à ces simples paroles.

– Oh vous pensez, hein ?

– Absolument, assura Amy en prenant au pied du lit. Maena a toujours admiré sa grand-mère, son sens aigu de la justice et son besoin maladif d’aider autrui. Malheureusement pour vous, et même si elle ne le réalise pas, ce sont deux des nombreux traits que Maena a hérité d’elle, finit-elle dans un clin d’œil.

Sarah rit faiblement avant de froncer les sourcils. Sens aigu de la justice... qu’avait dit Maena déjà ? Tu m’offres un service. Je t’empêche de vivre ta vie comme tu le souhaiterais, alors oui, j’ai décidé de te rémunérer. Sarah devait bien reconnaitre qu’il n’y avait rien de plus honnête dans la proposition.

Elle soupira.

– Vous avez surement raison, admit-elle dans un faible sourire. Mais parfois... j’aimerais juste qu’elle s’y prenne autrement.

– Ah ça... personne n’est parfait, et je n’ai jamais dit que Granny l’était elle non plus. Maena a forcément hérité de quelques-uns de ses défauts également...

Le ton était taquin et cette fois-ci, Sarah rit franchement, ravie lorsque la vieille femme la suivit.

– Dites Amy, vous la connaissiez si bien que ça, Granny ? demanda-t-elle une fois calmée.

– Ah ça pour la connaître, je la connaissais, acquiesça Amy dans un sourire. J’ai passé les trente dernières années à travailler pour elle.

– Oh ? répondit Sarah, visiblement surprise. Vous l’avez rencontrée comment ?

– Hmm j’avais à peu près votre âge à l’époque, commença Amy, le regard lointain. Je venais de fêter mes vingt-huit ans, j’avais trois enfants sur les bras, un époux décédé en guerre, et deux emplois pour garder la tête hors de l’eau. La crise économique nous rendait les choses très difficiles, et j’avais du mal à offrir à mes enfants un semblant de vie normal. Rose, mon ainée, m’aidait beaucoup mais ce n’était pas suffisant. On avait cruellement besoin d’argent.

– Et c’est là que Granny est apparue ?

Amy rit légèrement.

– Patience, l’admonesta-t-elle gentiment. L’une des usines dans laquelle je travaillais a fini par fermer, il ne me restait plus que la préparation des repas dans une pension de la ville, ce qui n’était pas suffisant pour payer le loyer et nous nourrir tous les quatre. J’ai commencé à sérieusement manquer d’argent, et à force de payer le loyer en retard, le propriétaire a fini par nous mettre à la rue.

– Oh non..., murmura Sarah, plongée dans l’histoire. Vous avez fait comment ?

– On s’est débrouillés comme on a pu, sourit tristement Amy. On est allés de refuges en refuges, et quand on ne le pouvait pas, mes enfants dormaient chez leurs amis.

– Mais pas vous ? devina Sarah.

Amy secoua la tête.

– J’étais bien trop fière pour ça. J’étais prête à tout pour mes enfants, mais je refusais qu’on me tende la main. Je ne voulais pas qu’on ait pitié de moi. Et puis, éventuellement, j’ai fini par perdre mon deuxième travail. J’étais trop fatiguée, trop affamée pour tenir la cadence.

Elle s’interrompit un instant avant de poursuivre :

– J’ai laissé mes deux fils et ma fille au refuge cette nuit-là, et je suis sortie prendre l’air. J’étais vraiment à bout, je me disais qu’il n’y avait plus d’espoir désormais. Alors je me suis effondrée, là au bord de la route, avec les passants qui m’observaient comme si j’avais perdu l’esprit.

Amy prit une profonde inspiration avant de poser son regard noisette sur Sarah :

– C’est là que je l’ai rencontrée. Je n’avais pas fait attention, mais j’avais marché jusqu’au quartier riche de la ville. Granny assistait à une soirée mondaine organisée pour venir en aide aux Ethiopiens lorsqu’un célèbre couturier est venu lui dire qu’une mendiante pleurnichait juste devant l’entrée. Il a ajouté qu’avec un jeu d’acteur un peu plus réussi, il aurait peut-être réussit à ressentir de la sympathie à mon égard.

– Le salaud, s’exclama aussitôt Sarah avant de grimacer. Pardon.

Amy sourit franchement :

– Ne vous excusez pas, c’est exactement ce qu’a pensé Granny. Mais elle s’est contentée de simplement s’excuser – comme Maena, elle ne supportait pas la provocation et l’évitait le plus possible – et est aussitôt sortie à l’extérieur. Le reste est plutôt flou, tout ce dont je me rappelle, c’est m’être réveillée dans cette chambre si grande et si luxueuse que j’étais persuadée d’être en train de rêver. Granny était assise à mes côtés et m’a expliqué que mes enfants étaient dans le jardin en train de jouer, et que le petit déjeuné m’attendait dans le salon. 

Elle secoua la tête :

– J’ai eu du mal à y croire, mais j’avais tellement envie de m’assurer qu’ils allaient bien que je suis aussitôt descendue. Et elle avait dit vrai, ils étaient là, tout juste sortis de la douche et habillés de vêtements neufs dont je n’osais même pas imaginer la valeur. Mais surtout, ils semblaient si heureux... après les dernières semaines que nous avions vécus, ce simple détail représentait tout pour moi.

– J’imagine, sourit Sarah, imaginant la scène avec aisance. Que s’est-il passé ensuite ?

– Granny m’a invité à la rejoindre à table. Elle m’a questionné un instant, et je me sentais tellement en confiance que les mots sont sortis tous seuls. Je lui ai raconté ma vie, mes difficultés, mes espérances et elle m’a calmement écoutée. Puis elle m’a expliquée qu’elle recherchait une assistante cuisinière, son chef était apparemment l’un des meilleurs du pays, mais son mauvais caractère avait poussé les derniers employés à rapidement démissionner. Elle me promettait un logis pour moi et mes enfants, ainsi qu’un bon salaire et un chauffeur à disposition pour les sorties en ville.

– Wow, et vous avez accepté ?

Amy secoua négativement la tête.

– Non, pas au premier abord. C’était beaucoup trop. J’avais ma fierté et cette femme ne me connaissait même pas. Mais il y avait mes enfants... Errer de refuges en refuges ce n’était pas une vie pour eux alors j’ai finalement accepté, sous condition que ce soit temporaire.

– Mais vous n’êtes jamais partie, devina Sarah.

Amy sourit.

– Non, Granny est très rapidement devenue une très bonne amie, malgré le fait qu’elle aurait pu être ma mère. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi généreux et bienveillant, et elle avait tellement fait pour moi et mes enfants que je ne me voyais pas faire autrement que lui offrir mes services pour le restant de mes jours.

– Et aujourd’hui ? Elle n’est plus là, vous pourriez partir...

– Pour aller où ? répondit aussitôt Amy. Ma vie est ici Sarah, c’est la maison dans laquelle mes enfants ont grandis, dans laquelle j’ai repris goût à la vie. Et puis il y a Maena, elle avait trois ans lorsque je suis arrivée,  et je crois que quelque part, je la considère comme ma fille elle aussi. Je n’ai pas envie d’être loin d’elle.

Sarah hocha doucement la tête.

– Je comprends, sourit-elle. Et ses parents, où sont-ils ? Maena ne m’en a pas parlé jusqu’à présent...

– Elle n’en parle jamais, répondit Amy avant de s’expliquer : Elle ne les a jamais connus, Granny est celle qui a toujours été là pour elle.

Sarah l’observa, confuse :

– Ils sont morts ?

– Pour Granny, sans aucun doute, admit tristement Amy avant de secouer la tête. Son fils ne l’a jamais autant déçue que ce jour-là. Lui et sa femme ont abandonné Maena avant de simplement disparaître de la circulation alors qu’elle n’avait que deux ans.

Sarah porta aussitôt une main à ses lèvres :

– Oh mon Dieu mais c’est horrible. Comment ont-ils pu lui faire ça ?

Amy se tourna de manière à lui faire face.

– Sarah, Maena a besoin de certaines dispositions particulières pour pouvoir vivre une vie aussi longue et aussi heureuse que n’importe qui d’autre. Ce sont des sacrifices que tous ne sont pas prêts à faire.

Sarah l’observa, confuse.

– Mais ce sont ses parents...

– Et personne n’est parfait, répondit Amy en se redressant. Elle a eu une enfance heureuse Sarah, Granny a pris très grand soin d’elle, c’est tout ce qui importe.

Sarah hocha doucement la tête même si au fond, elle ne comprenait pas tout, encore moins comment une femme que tout le monde respectait visiblement au plus haut point pouvait bien avoir établi un tel testament. Pourquoi mettre sa petite fille au pied du mur quand elle avait passé sa vie à tout faire pour qu’elle et les gens qu’elle croise soient heureux ?

– Elle ne vous a rien dit, pas vrai ? Sur pourquoi elle ne peut pas sortir dehors.

Sarah se contenta de secouer négativement la tête, le cœur battant. C’était la première fois que le sujet était clairement abordé, et elle ne put s’empêcher d’espérer qu’Amy lui révèle enfin ce qu’elle semblait être la seule à ignorer.

Elle l’observa, comme pendue à ses lèvres, et secrètement perturbée par l’air non identifiable qui habitait désormais son visage.

– Vous devez vraiment beaucoup tenir à elle pour avoir accepté de l’épouser quand même.

Sarah retint difficilement un soupir de déception.

– Croyez-moi, c’est pas toujours facile, plaisanta-t-elle tristement. Je ne sais même pas pourquoi elle me garde dans l’ombre.

Amy lui pressa gentiment l’épaule.

– Je suis sûre qu’elle a de bonnes raisons. Donnez-lui du temps.

Sarah sentit de nouveau l’irritation monter en elle mais elle décida de ne rien dire, Amy avait très certainement raison, et puis Maena ne lui devait rien, après tout, puisque tout n’était que comédie. Mais une part d’elle, plus forte, ne pouvait s’empêcher de penser que si, elle méritait de savoir, parce qu’elle avait accepté de sacrifier six mois de sa vie pour Maena, et surtout parce que cette dernière ne s’était pas gênée pour enquêter sur elle, au point de connaitre son existence dans les moindres détails.

– Je vais faire de mon mieux, répondit-elle enfin avant de remarquer la tasse de café et les petits gâteaux qui occupaient le plateau qu’Amy était venue déposer. Je croyais n’avoir demandé qu’un thé ? dit-elle en relevant les yeux, confuse.

– Et il est là, répondit Amy en le lui tendant. Le reste est pour Marko, il se trouve à la salle de sport dans l’aile opposée. Et contrairement à vous, il ne rechigne pas à avaler quelques sucreries une fois sa séance de sport terminée, finit-elle d’un ton taquin.

Sarah ne put s’empêcher de sourire.

– A la salle de sport, hein ? demanda-t-elle en s’emparant du plateau. Laissez-moi m’en occuper Amy, me défouler un peu, c’est exactement ce dont j’ai besoin.

4 juillet 2013

Chapitre 9

Sarah regretta aussitôt le déplacement lorsqu’elle remarqua la forme recroquevillée contre la fenêtre du salon quand elle pénétra dans son appartement. Elle avait décidé la veille, après sa dispute avec Maena, qu’un peu de temps passé dans son chez soi lui ferait le plus grand bien, et qu’elle pourrait par la même occasion rapporter quelques affaires dont elle avait besoin. Mais maintenant qu’elle y était, elle n’était plus si sûre que sa décision ait été une si bonne idée que cela finalement...

La porte se refermant derrière elle poussa enfin Gwen à tourner la tête dans sa direction et Sarah ne put s’empêcher de tiquer face à la tristesse qui habitait son visage. Ses yeux gris étaient humides, rouges et bouffis, et ses cheveux couleur chocolat partaient dans toutes les directions à force d’y avoir trop passé la main. Un bras enserrait sa taille et son autre main était plaquée contre sa bouche, un mouchoir déjà bien humide entre les doigts.

Sarah se surprit à tendre une main lorsque Gwen se leva pour passer devant elle.

– Gwen...

– Ravie de voir que tu es toujours en vie, la coupa aussitôt Gwen en pénétrant dans la cuisine.

Sarah jura intérieurement avant de la suivre, une nouvelle dispute en moins de vingt-quatre heures était la dernière chose dont elle avait besoin.

– Gwen écoute c’est –

La gifle la prit par surprise et Sarah porta aussitôt une main à sa joue, incapable de dire ce qui lui fit le plus mal entre le geste et la peine qui émanait de Gwen par vagues.

– Sarah je te jure que si tu me dis que ce n’est pas ce que je crois, c’est pas une gifle que tu recevras, mais mon poing, renifla Gwen.

Elle secoua la tête, et se mordit la lèvre pour retenir les larmes avant d’ajouter :

– J’arrive pas à croire que tu aies pu nous faire ça Sarah. C’était plus fort que toi, il a fallu que tu renvoies la pareille, hein ?

Sarah serra des dents mais ne chercha pas à répondre, prenant à la place la direction de la chambre. Elle s’empara aussitôt de la valise qu’elle avait calée en haut de l’armoire avant de la balancer sur le lit et y jeter pêle-mêle tous les vêtements qui lui tombaient sous la main. Elle ne releva pas la tête lorsqu’elle vit Gwen prendre appui contre le chambranle de la porte du coin de l’œil.

– Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda finalement Gwen, la voix rendue rauque par les pleurs.

Sarah soupira avant de répondre :

– Ça se voit pas ? Je m’en vais.

Un rire dénué d’humour lui parvint et Sarah serra à nouveau des dents, encore plus lorsque les paroles suivantes lui parvinrent :

– Bien sûr, question stupide. J’espère qu’elle est au courant de mon existence au moins, ce serait con de mettre fin à un mariage qui vient à peine de commencer pour cause d’adultère. 

Sarah referma la fermeture éclair de sa valise d’un coup sec avant de la déposer à ses pieds. Elle releva les yeux vers Gwendoline qui n’avait pas bougé et elle sentit la colère qui était monté en elle s’évaporer aussitôt lorsqu’elle vit la tristesse et la douleur qui habitait le visage qu’elle chérissait il y avait encore quelques mois.

Une part d’elle eut soudainement envie de lui dire que tout n’était que mascarade, qu’elle ne lui ferait jamais une chose pareille. Bon sang, elle ne le souhaitait même pas à son pire ennemi. Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas faire ça à Maena. Rien ne garantissait que Gwen garderait le secret, et vu la rancœur qui l’habitait aujourd’hui, Sarah en doutait fortement.

Son regard suivit une larme qui coula le long de la joue de Gwen et pendant une seconde, Sarah voulu la prendre dans ses bras et la rassurer, lui dire que tout allait bien. Lui montrer qu’elle était là pour elle, comme avant. Avant...

Mais le problème, c’était qu’avant n’était plus.

– Tu m’as trompée Gwen, commença-t-elle d’une voix lasse, le sujet ayant déjà été évoqué tant de fois. J’ai plus confiance en toi, en moi. J’ai..., elle écarta les bras avant de lâcher simplement : quelque chose c’est fissuré en moi. Et j’ai besoin d’être loin d’ici, de toi, de tout ça, pour aller mieux.

Elle leva une main lorsque Gwen voulut reprendre la parole :

– Et ça n’a rien à voir avec Maena, ni même le mariage. Ça fait des mois que notre histoire est terminée Gwen, il est temps de tourner la page.

Les mots s’échappaient de ses lèvres, mais Sarah savait cependant avec certitude qu’elle se souviendrait toujours du moment où Gwen s’était plantée devant elle et avait déclaré qu’elle avait eu une aventure. Mais plus elle parlait, plus Sarah avait entendu sa voix comme dans un écho, tandis que son cerveau moulinait une seule information : l’amour de sa vie, celle avec qui elle partageait tout, avait fait l’amour à une autre. Elle l’avait trompée alors qu’elles avaient décidé de construire quelque chose ensemble. Au bout de vingt ans, que Gwen donne un coup de canif dans le contrat, Sarah aurait pu le mettre sur le compte de la lassitude, ça lui aurait peut-être fait moins mal. Mais là, c’était au début, Gwen était amoureuse, et Sarah n’avait même pas été capable de la retenir.

L’insupportable avait été de savoir que L’autre avait joui et désiré ailleurs. Sarah avait alors eu l’impression de ne plus exister pour elle. La rivale avait alors hanté son espace vital, consumé son air, depuis que, même pour un instant seulement, elle l’avait remplacée auprès de Gwen.

Elle a pris ma place, elle incarnait ma peau, elle jouait mon rôle, avait alors pensé Sarah, effondrée. Et comme pour ne rien arranger, la ressemblance physique entre elles deux était si frappante qu’elle était le double parfait, donnant à Sarah le sentiment d’être effacée, d’être tuée…

– Vu le nombre de fois que tu as ramené Vincent ici dernièrement, tu ne dois pas aller si mal.

La voix de Gwen la ramena soudainement au présent, et Sarah cligna des yeux à plusieurs reprises face au ton ironique, notant néanmoins la note douloureuse sous-jacente. Plusieurs répliques acerbes lui montèrent à la bouche, mais Sarah s’abstint.

Elles souffraient bien assez comme ça.

– Je sais, répondit-elle simplement. Mais j'ai réalisé que ce n'était pas en couchant avec la première personne qui me tombait sous la main que j’allais t'oublier. Ni en faisant comme s’il n’y avait jamais rien eu entre nous.

Une boule se forma dans sa gorge, et Sarah inspira profondément avant de poursuivre :

– On s'est vraiment aimées, toutes les deux. Et puis tu m'as brisé le cœur. J'ai fait tout ce qui était possible pour me convaincre du contraire, mais ça marche pas comme ça.

Une larme s’échappa de son œil et elle l’essuya rapidement avant d’ajouter :

– Tu sais, la dernière fois que Vincent est venu, je me suis promis que la prochaine personne que j'embrasserai, je le ferais pour moi, pas par simple désir de t’oublier. Ne vois pas Maena comme un besoin pour moi de me venger de toi.

Ses paroles prononcées, elle ignora volontairement la nouvelle vague de larmes qu’elle venait de provoquer chez Gwen et s’empara de sa valise avant de quitter la chambre. Arrivée à la porte d’entrée, elle s’interrompit néanmoins :

– On dit que dans un couple, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre.

Elle haussa les épaules avant de regarder Gwen à nouveau.

– J'aurais simplement préféré que ce ne soit pas moi.

Là-dessus, elle franchit le seuil de la porte avant de la refermer doucement derrière elle, puis dégringola l’escalier à toutes jambes.

1 juillet 2013

Chapitre 8

Sarah s’approcha de l’une des immenses baies vitrées qui faisaient le tour de la véranda et se laissa tomber sur l’un des poufs, simplement vêtue d'un débardeur et d’une petite culotte. Le halo de la lune éclairait faiblement la pièce autour d’elle et elle baissa les yeux vers le magazine people qu’elle tenait entre ses mains.

Aussitôt après le départ de Cassie cet après-midi, elle était sortie faire un tour dans la capitale dans l’espoir de se rassurer. Un sourire dénué d’humour étira ses lèvres. Elle qui pensait avoir imaginé le pire... elle avait à peine parcouru quelques pas dans le quartier le plus fréquenté de la ville quand elle s’était jurée de tuer Maena. Son visage – leurs visages, apparaissaient partout, sur les stop-trottoir, sur les vitrines des bars-tabacs, et bien sûr, sur les couvertures de la presse à scandale, avec pour gros titre : On ne parle plus que de ça ! La mystérieuse Maena Beauregard se serait fiancée et... mariée en secret avec celle qui partage sa vie depuis le décès de sa défunte épouse, Alison Carmichael (leur mariage aura duré dix ans), la jeune femme, dénommée Sarah, a le mérite d'être inconnue.

– « A le mérite d’être inconnue »..., marmonna Sarah, dégouttée.

Elle comprenait mieux pourquoi son téléphone n’arrêtait pas de sonner, cependant, et après avoir passé le restant de l’après-midi à s’excuser et essayer de rassurer tout le monde, elle se retrouvait désormais là, à redouter passer le dernier appel qu’elle ne cessait de repousser.

Si cela n’avait dépendu que d’elle, elle n’aurait jamais rien dit à personne. Pourquoi avait-il fallut que Maena poste cette fichue photo sur son compte Facebook ?!

Mettant son irritation de côté, Sarah composa finalement le numéro, avant d’hésiter lorsque son regard s’arrêta sur la petite horloge située en haut à droite de l’écran. En général, elle évitait toujours d’appeler après 19h, parce qu’alors, leur conversation était plus que propice à finir en dispute. Mais d’un autre côté, elle savait que si elle n’appelait pas maintenant... elle passerait son temps à repousser indéfiniment l’appel.

Elle appuya sur le petit téléphone vert et attendit plusieurs sonneries avant que l’on ne décroche enfin.

– Allo ?

Sarah prit une profonde inspiration avant de répondre :

– Bonsoir maman, c’est moi.

Il y eut un léger silence.

– Eh bien, il t’en fallu du temps pour me rappeler.

Sarah leva aussitôt les yeux au ciel. Et c’est parti...

– Je sais, je suis désolée. J’étais assez... occupée ces derniers jours. Ça va ?

– Tu veux dire, outre le fait que j’ai dû apprendre par des collègues de travail que ma fille, ma propre fille, venait de se marier ? Oh oui, tout va parfaitement bien.

Sarah grimaça, l’ironie ne lui était pas passée inaperçue.

– Ecoute, c’est... c’est compliqué. C’est arrivé très vite et...

– Ne me prend pas pour une imbécile, Sarah.

Sarah s’interrompit aussitôt. Même si elle était depuis longtemps habituée au ton dur, claquant, parfois presque haineux, elle ne put s’empêcher de sentir la colère monter en elle. Mais étrangement, elle n’était pas destinée contre sa mère. Non, ce qui mettait toujours Sarah hors d’elle, c’était cette étrangère qu’elle était devenue. Celle qui avait, alors qu’elle n’était qu’adolescente, décidé qu’elle en avait marre et avait simplement baissé les bras. Celle qui avait trouvé son refuge dans l’alcool, faute de mieux, et en avait exclu le monde extérieur.

Celle qui, chaque soir, se transformait en cette étrangère que Sarah détestait au plus profond d’elle.

– Et ton père, il en pense quoi ?

Sarah soupira, elle détestait le mentionner avec elle.

– Il est déçu, mais tant que je suis heureuse...

Un rire dénué d’humour lui parvint aussitôt :

– Ça m’étonne pas, il n’a jamais voulu s’investir dans quoi que ce soit, celui-là.

Sarah ne répondit pas. Certes, son père n’avait pas toujours été présent quand il l’aurait dû, mais il avait toujours été là quand elle en avait eu besoin. Elle n’avait jamais eu beaucoup à dire, et il était là, présent, protecteur.

Si Sarah y réfléchissait vraiment, c’était justement ce qu’elle reprochait à sa mère, d’avoir simplement arrêté d’être là du jour au lendemain. Comme si elle avait jeté l’éponge. Elle n’avait simplement plus eu envie.

Le bruit familier de la clé qui tourne dans la serrure lui parvint et Sarah se pinça l’arête du nez, visualisant malgré elle les gestes dont elle avait été témoin des milliers de fois. Sa mère s’emparant de la bouteille de Ricard, le bruit de l’aluminium qui frottait contre le verre lorsqu’elle en dévissait le bouchon, puis la pression de l’eau provenant du robinet.

Quelques secondes encore, et Sarah entendrait le « plouf » des deux glaçons qu’elle y ajoutait toujours. Une touche finale qui aujourd’hui lui donnait la nausée.

– Maman...

– Quoi ?

Sarah prit une profonde inspiration avant de finalement secouer la tête. Ne dis rien...

– Non, rien. Ecoute, je te rappellerai. D’accord ?

– Ah ? Parce qu’on sera prévenus pour le divorce, au moins ?

Sarah se mordit la langue pour empêcher la réplique acerbe qu’elle sentait monter en elle de sortir.

– Bonne soirée, maman.

Un faible « hmm » lui parvint et elle raccrocha avant de jeter le téléphone sur la table basse.

– Eh bien ça, c’est fait, soupira-t-elle, avalant difficilement la boule qui lui serrait la gorge.

Son regard s’arrêta sur le magazine people qui reposait sur ses genoux et elle le jeta à son tour avant de prendre appui sur un coude, la tête au creux de la main. A travers la vitre, elle pouvait voir la lune que les nuages s’évertuaient de cacher sans jamais vraiment y parvenir, et un faible sourire étira ses lèvres malgré la mélancolie qui l’habitait.  

Son père lui avait raconté un jour, alors qu’elle était encore toute petite, que lorsque la pleine lune apparaissait deux fois dans un même mois, la dernière de ces deux lunes était nommée la Lune Bleue ou la Lune des Glaces et qu’elle permettait aux gens de reconnaître leurs échecs, d’en tirer des leçons, et de se fixer de nouveaux objectifs afin d'améliorer leur vie.

Sarah ne savait pas si elle y croyait, mais étrangement, cela lui avait donné un certain espoir. Que même au plus bas, on pouvait toujours aller mieux. Il y avait forcément quelque chose. Peut-être pas une Lune Blue, ou une Lune des Glaces pour nous aider ou au moins nous montrer la voie, mais... quelque chose.

Des mains chaudes se posèrent sur ses hanches, et Sarah sursauta légèrement avant de reconnaitre le doux parfum de Maena. Elle sentit cette dernière écarter ses cheveux du bout de ses doigts, avant que son souffle chaud ne vienne caresser sa nuque, et elle frissonna lorsque sa voix sensuelle résonna à son oreille.

– La légende raconte aussi qu’elle donnerait la possibilité aux vampires de se régénérer les nuits de pleine lune lorsqu'ils sont affaiblis par le manque de sang humain.

Sarah frissonna, ses yeux se fermant d’eux-mêmes, avant de légèrement rouler sur le dos lorsqu’elle sentit les mains de Maena s’enrouler autour de sa taille. Lorsqu’elle les rouvrit, ce fut pour voir le clair de lune se refléter sur le visage de Maena, teintant sa peau d’un éclat argenté et lui donnant presque un air mystique. Elle leva une main, et redessina un sourcil noir parfaitement épilé, avant de descendre vers une pommette saillante. La peau, si douce sous ses doigts, l’hypnotisa et elle descendit un peu plus bas, jusqu’à ses lèvres, avant de légèrement tirer sur celle inférieure.

– Je ne les vois pas, murmura-t-elle avant de relever les yeux vers ceux de Maena.

Pour la première fois depuis son arrivée dans l’immense demeure, ce ne fut pas de la peur qu’elle ressentit, mais une certaine attraction envers ce côté sombre, ténébreux qu’elle soupçonnait d’exister sa kidnappeuse.

Elle repensa soudainement à Lilith, fantasme onirique qui attirait les hommes pour son côté dominatrice et femme fatale et elle réalisa soudainement que c’était exactement ce qu’elle ressentait avec Maena. L’idée d’elle en suceur de sang avait quelque chose de terriblement torride et érotique qu’elle se sentait attirée comme un aimant.

Maena se pencha vers elle et elle ferma les yeux avant de légèrement tourner la tête sur le côté afin de rencontrer les lèvres dont elle avait désespérément envie. Elle sentit une bouche glisser le long de sa jugulaire, avant de remonter dans une lenteur désespérée jusqu’à son oreille, et elle ne put retenir un gémissement lorsqu’une langue chaude et humide en redessina le contour.  

Une main couvrit son sein droit et Sarah se cambra aussitôt, son corps réagissant en réponse. Les lèvres de Maena frôlèrent sa jugulaire à nouveau, et elle inspira soudainement lorsqu’elle sentit comme une piqûre d'épingle contre la peau tendre de son cou, la douceur des doigts de Maena évoluant tendrement le long de ses bras afin de la tenir en place.

Alors qu’elle se surprenait à pencher un peu plus la tête en arrière, désirant plus, Sarah sentit la bouche de Maena remonter le long de sa mâchoire, avant d’enfin recouvrir la sienne pour la première fois, et Sarah sursauta de surprise lorsqu’elle sentit la légère piqûre de canines, puis soupira d’aise lorsqu’elle laissa courir sa langue le long d'une pointe acérée. Une langue humide rencontra finalement la sienne et Sarah se laissa transporter dans un duo des plus sensuels. Elle sentit Maena commencer à légèrement remuer contre elle et elle laissa ses doigts affamés parcourir son corps, retirant une à une les couches de vêtements qui l’empêchaient de sentir la douceur de sa peau évoluer sous ses doigts.

Comme mues par une volonté propre, ses hanches se mirent à onduler dans l’espoir de soulager le feu qui doucement brûlait en elle, et un soupir s’échappa de ses lèvres lorsque la main qui couvrait son sein commença à effleurer son téton érigé de sa paume, rependant des vagues de frissons à travers son corps.

– Sarah... Sarah...

Son prénom murmuré à plusieurs reprises lui parvint et Sarah resserra son étreinte autour du corps allongé sur elle, avant de froncer les sourcils de perplexité lorsque des mais s’emparèrent de ses épaules afin de la repousser.

– Sarah !

Sarah cligna finalement des paupières, confuse, avant de réaliser que Maena était en train de la secouer. Elle leva les yeux vers un visage visiblement embarrassé et elle fronça les sourcils avant de progressivement réaliser que ce n’était qu’un rêve, et qu’elle était réellement en train d’embrasser Maena vu la façon dont cette dernière l’observait désormais. Stupéfaite, elle s’écarta aussitôt, comme si elle avait été brûlée.

– Mais qu’est-ce que tu fabriques ! s’exclama-t-elle finalement, la respiration saccadée.

Maena haussa les sourcils d’incrédulité.

– Ce que je fabrique ? C’est toi qui m’as sauté dessus !

– Pardon ? lâcha Sarah avant de réaliser qu’un plaid avait été déposé sur elle.

Elle le remonta jusqu’à son menton avant de poursuivre : 

– J’étais en train de dormir !

– Je sais, gronda Maena en s’agenouillant à même le sol. J’étais venue t’apporter une couverture et te proposer de de regagner ta chambre vu qu’il se faisait tard. Mais lorsque j’ai tendu une main pour te réveiller, tu m’as littéralement sauté au cou pour m’embrasser ! finit-elle, légèrement embarrassée.

Sarah cligna des yeux à plusieurs reprises.

– Tu m’as mordu, souffla-t-elle avant de tendre une main et soulever la lèvre supérieure de Maena.

– Quoi ? répondit Maena tout en l’observant comme si elle avait perdu la tête. Pah ! Arrête ça ! s’exclama-t-elle en écartant sa main d’un geste brusque.

Sarah secoua frénétiquement la tête.

– Je l’ai senti lorsque tu m’as embrassée dans le cou, insista-t-elle tout en portant une main à sa jugulaire. Puis quand je t’ai embrassée...

Maena l’observa, perplexe, avant de prendre sa main dans la sienne.

– Désolée, s’excusa-t-elle lorsque Sarah sursauta face à ses doigts froids. Ecoute, c’était juste un mauvais rêve, tout va bien maintenant. Tu es plongée dans l’obscurité à observer la pleine lune, ton imagination t’a peut-être simplement joué un mauvais tour ?

Sarah porta de nouveau une main à son cou avant de faiblement hocher la tête.

– Oui... oui, tu dois avoir raison, admit-elle en levant les yeux vers Maena. Je suis désolée pour... pour le baiser.

Maena afficha un léger sourire.

– Y a pas de mal, la rassura-t-elle en se redressant. Du moment que tu me promets de me raconter de quoi tu rêvais exactement.

Sarah se sentit aussitôt furieusement rougir.

– Euh... hum... je ne sais plus trop, en fait, marmonna-t-elle rapidement en se levant à son tour. Mais promis, si ça me revient, je t’en ferais part. Comme si ça allait arriver un jour !

Maena hocha doucement la tête.

– Ça va aller maintenant ? s’enquit-elle sincèrement, son regard déviant malgré elle vers la revue qu’elle avait repérée en arrivant.

Sarah récupéra son téléphone et le magazine people avant de répondre :

– Oui, je vais aller lire un peu, ça me changera les idées, répondit-elle, de plus en plus embarrassée maintenant que les derniers effluves de son rêve commençaient à s’estomper et qu’elle prenait de plus en conscience de la réalité qui l’entourait.

– Pas ça, j’espère ? répondit Maena en désignant le magazine.

Même si un sourire légèrement taquin étirait ses lèvres, Sarah perçut néanmoins l’air concerné qui habitait son regard et elle soupira.

– C’était vraiment obligatoire, la photo sur Facebook ?

Maena détourna aussitôt les yeux :

– C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour convaincre le notaire. Sans mariage... cela n’aurait jamais marché. Alors j’ai dû trouver un subterfuge.

– Un subterfuge ? répéta Sarah, incrédule, avant de réaliser : La presse, c’était toi aussi...

– Tu ne m’aurais jamais réellement épousée, répondit Maena en l’observant à nouveau. Il fallait que je trouve un moyen pour que le reste du monde pense que si.

– Et le notaire y a cru aussi ? rétorqua Sarah, visiblement sceptique.

Maena haussa les épaules :

– L’engouement de la part de la presse a joué en notre faveur, il n’a pas cherché plus loin que les papiers falsifiés que je lui ai fait parvenir. Il a été tellement convaincu qu’il a finalement renoncé à élire domicile ici afin de s’assurer que l’on suive le testament à la lettre.

Sarah secoua la tête, visiblement mécontente :

– Tu joues avec le feu Maena, tu le réalises ?

– Il n’y a aucune chance pour qu’il aille vérifier –

– Je ne parle pas du notaire.

Maena s’interrompit, surprise autant par la réponse que par le ton sec.

– Je parle de moi, reprit plus calmement Sarah, même si son regard démontrait clairement l’irritation qu’elle ressentait toujours. J’ai accepté de te rendre service, alors arrête de prendre des décisions dans mon dos, parce que je pourrais bien finir par changer d’avis.

Lorsque son regard s’arrêta de nouveau sur le visage de Maena, elle fut satisfaite de voir que cette dernière se sentait visiblement coupable, et espéra de tout cœur que cela signifiait que le message était clairement passé.

Un faible « bonne nuit » s’échappa de ses lèvres et elle l’observa une dernière fois avant de faire demi-tour et regagner l’étage.

27 juin 2013

Chapitre 7

Sarah essuya la sueur de son visage avant d’enrouler la serviette autour de son cou et prendre la direction des cuisines. Maintenant qu’elle avait le droit d’entrer et sortir à sa guise, elle avait profité de la semaine passée pour visiter l’extérieur de l’impressionnante demeure, et avait aussitôt été agréablement surprise de découvrir l’immense étendue d’herbe parsemée ici et là de gigantesques pins et de chênes. Elle en avait aussitôt fait son domaine de prédilection pour son jogging matinal. Non pas qu’elle aimait spécialement courir, mais on lui avait récemment fait une remarque sur sa culotte de cheval, alors...

Sarah poussa les doubles portes et pénétra dans ce qu’elle avait rapidement nommé « l’antre d’Amy » : la cuisine. Sarah adorait l’endroit parce que cela lui rappelait toujours la première fois qu’elle avait mis les pieds dans un centre commercial quand elle était encore toute petite : c’était immense, et il y avait tellement de chose à regarder qu’elle ne savait jamais où s’arrêter.

– Bonjour Amy ! salua-t-elle d’un ton enjoué tout en venant prendre appui contre le premier plan de travail.

Son regard s’arrêta sur les divers plats lui faisant face et elle se sentit aussitôt saliver devant les divers croissants, pains au chocolat, pains aux raisins, pancakes au sirop d’érable et fruits qu’elle y discerna.

– Vous voulez ma mort, c’est ça ? gémit-elle en relevant les yeux. Parce qu’avec tout ça, je cours un peu pour rien, vous savez.

Amy lui offrit un sourire amusé avant de déposer un sachet de thé russe – au nom que Sarah avait rapidement qualifié d’illisible – dans une petite théière verte qu’elle remplit ensuite d’eau bouillante avant de la déposer devant Sarah.

– Non, déclara-t-elle. Je n’ai jamais dit que tout ce qui était étalé là était pour vous. La seule chose que vous m’avez demandé..., précisa-t-elle en désignant la petite théière, ...c’est un thé, et le voici, sourit-elle fièrement avant d’ajouter innocemment : ce n’est pas de ma faute si vous vous laissez tenter par ce que je prépare pour le reste de la demeure.

Sarah haussa les sourcils.

– C’est de ma faute, alors ? répliqua-t-elle, incrédule.

Le sourire d’Amy s’agrandit :

– C’est vous qui l’avez dit, répondit-elle avant de lui tourner le dos et regagner l’immense plan de travail qui occupait le centre de la pièce.

– Vous êtes lâche Amy, j’espère que vous en avez conscience ? demanda Sarah tout en s’emparant d’une assiette propre pour y déposer deux pancakes recouverts de sirop d’érable.

Un léger rire lui parvint et Sarah ne put s’empêcher de la suivre. Amy avait beau frôler la soixantaine, elle avait cependant su rester jeune dans sa tête et Sarah l’adorait pour ça. C’était d’ailleurs l’une des principales raisons pour laquelle elle venait toujours prendre son déjeuner en cuisine ; la compagnie d’Amy rimait toujours avec ambiance agréable et bons fous rires, et quoi de mieux pour bien commencer la journée ?

Les doubles portes situées de l’autre côté de la cuisine s’ouvrirent soudainement et Sarah sentit aussitôt son rire diminuer avant de finalement s’éteindre lorsqu’elle vit Maena entrer dans la pièce, les yeux fixés sur les boutons de manchette qu’elle avait visiblement du mal à accrocher.

Sarah avait remarqué, dès son premier jour dans l’immense demeure, que Maena était toujours soigneusement habillée, mais la tenue qu’elle revêtait aujourd’hui était tout simplement à couper le souffle. Un magnifique tailleur bleu nuit, si beau que Sarah pensa sincèrement qu’il avait été spécialement conçu pour elle, mais qui lui conférait surtout un air professionnel et renforçait cette assurance qui ne semblait jamais la quitter. 

Et puis il y avait ses cheveux, ses magnifiques cheveux longs couleur ébène, qui pour la première fois avaient été réunis à l’arrière de sa tête, dévoilant la parfaite harmonie de son visage et son sublime regard bleu glacé.

Sarah sursauta lorsqu’elle reçut une serviette en papier en plein visage et rougit furieusement lorsqu’elle perçut l’air totalement amusé d’Amy. Elle grimaça. Tu viens de te faire griller ma vieille !

– Amy ? demanda distraitement Maena, son attention toujours portée sur ses boutons de manchette. J’ai un rendez-vous assez important d’ici une demi-heure, vous voudrez bien faire monter deux cafés et quelques gâteaux à grignoter dans mon bureau ?

– Absolument Madame, répondit Amy avant d’écarter les mains de Maena et placer son bouton de manchette à sa place.

Le visage de Maena trahi aussitôt son soulagement et sa reconnaissance.

– Merci Amy, déclara-t-elle en exerçant une légère pression sur les mains de la vieille femme. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans vous.

Amy remua aussitôt une main dans les airs tout en retournant à ses fourneaux. 

– Comme tout le monde, vous aviseriez, taquina-t-elle. Cela dit, j’en connais une qui aurait volontiers proposé son aide si vous le lui aviez demandé...

Maena haussa un sourcil parfaitement épilé avant de suivre le regard d’Amy et tourner la tête en direction de Sarah. Son regard sembla légèrement s’assombrir lorsqu’elle la détailla lentement de la tête aux pieds – et Sarah jura qu’elle s’attardait sur les étendues de peau non couvertes par son shorty et son débardeur – avant de remonter vers son visage. Ses beaux yeux clairs prirent soudainement une lueur brillante et Sarah en fut aussitôt alarmée, encore plus lorsque Maena s’approcha d’elle dans une démarche légèrement féline et que son regard dévia vers ses lèvres.

Elle ne va pas m’embrasser quand même, si ? pensa-t-elle soudainement, son regard essayant de sonder celui qui s’approchait d’elle un peu trop rapidement à son goût. Elle frissonna lorsqu’une main entra en contact avec son ventre légèrement découvert, mais fut rapidement rassurée lorsqu’elle sentit les lèvres de Maena se poser sur le dessus de sa tête.

Elle ne put cependant s’empêcher de fermer les yeux lorsque les prochaines paroles, emplies de douceur, furent prononcées :

– Bonjour toi.

Elle frissonna avant de lever ses yeux verts vers Maena. Elle pouvait bien jouer aussi, non ? Elle se redressa légèrement et l’embrassa sur la joue, juste au coin des lèvres.

– Et bonjour mon amour.

Maena haussa imperceptiblement les sourcils et Sarah remarqua aussitôt la légère coloration qui recouvrait progressivement ses traits. Elle afficha aussitôt un sourire vainqueur auquel Maena répondit en se penchant légèrement vers son oreille :

– Attention Sarah...  à jouer comme ça, tu pourrais perdre.

Sarah leva la tête de manière à croiser son regard.

– Et si j’avais justement envie de relever le défi, Madame Maena ? provoqua-t-elle aussitôt, un sourcil légèrement haussé, ignorant la petite voix à l’intérieur de sa tête qui lui demandait pourquoi diable est-ce qu’elle se mettait soudainement à flirter avec sa kidnappeuse ?

Maena l’observa un moment et Sarah put jurer que l’atmosphère autour d’elles venait de changer pour laisser place à quelque chose de différent. Elle ne savait pas quoi exactement, juste qu’elle ne pouvait pas détacher ses yeux de ceux de Maena. 

Cette dernière hocha finalement la tête, un petit sourire au coin des lèvres, avant de baisser les yeux vers sa tenue.

– J’espère que la séance de jogging a été agréable.

– Exactement, sourit aussitôt Sarah en se servant une tasse de thé. Tu devrais justement y penser toi aussi, le soleil est juste assez haut dans le ciel pour qu’il ne fasse pas trop frais, ni trop chaud. C’est parfait.  

Maena se figea instantanément à ses côtés et Sarah ne sut dire ce qui la troubla le plus, le regard désapprobateur d’Amy qu’elle pouvait percevoir du coin de l’œil, ou l’air mi-attristé, mi-apeuré de Maena. Mais lorsqu’elle voulut demander ce qu’elle avait bien pu dire de mal, Maena avait déjà reprit contenance.

– J’y penserai, répondit-elle finalement dans un sourire auquel Sarah ne crut pas du tout avant de relever les yeux vers Amy. Passez une bonne journée, Amy. Je repasserai vous voir un peu plus tard.

Son regard s’arrêta de nouveau sur Sarah et elle pressa doucement la partie du corps sur laquelle sa main reposait toujours avant de quitter la pièce.

Sarah tourna aussitôt la tête vers Amy, mais lorsqu’elle voulut lui demander qu’elle bourde exactement elle venait de commettre, elle se souvint soudainement des paroles que Maena avait eues quelques jours plus tôt. La demeure tout entière a été dépossédée de ses fenêtres, à l’exception de la véranda. Je ne supporte pas le soleil. 

– Elle ne supporte pas le soleil, répéta-t-elle bêtement avant d’afficher un air incrédule. Non mais quel genre de personne ne supporte pas le soleil, hein ?! Je lui ai juste proposé un jogging à l’orée du jour, pas une séance de bronzage à midi tapante !  

Amy afficha un sourire amusé. Elle qui pensait que Maena avait du caractère, elle allait peut-être revoir son jugement.

– Sarah, commença-t-elle en délaissant ce qu’elle faisait pour s’approcher d’elle. Vous pensez sincèrement qu’une personne qui ne supporterait simplement pas le soleil choisirait de passer sa vie entière dans une demeure entièrement dénuée de fenêtres ?

Sarah cligna plusieurs fois des paupières.

– N-non ? lâcha-t-elle

– Non, acquiesça Amy dans un sourire bienveillant tout en lui tendant sa tasse de thé et son assiette. Allez, filez vous installer dans la véranda, vous y serez bien mieux qu’ici.

Sarah hocha bêtement la tête avant de descendre de son tabouret, sa tasse de thé et son assiette entre les mains.

– Merci pour le petit déjeuner Amy, répondit-elle d’un air confus avant de quitter la pièce, les doubles portes se refermant derrière elle dans un bruit sourd.

💕

Lorsque Sarah pénétra dans la véranda, elle fut aussitôt surprise de voir qu’elle était déjà occupée par une femme nonchalamment appuyée contre l’une des immenses baies vitrées. Vêtue d’une salopette courte en chanvre jersey de couleur noire, un bonnet/béret recouvrait ses longs cheveux blonds qui reposaient nonchalamment sur ses épaules, et Sarah eut un petit coup de cœur pour les spartiates à talon qui complétaient la tenue.

Elle se mordit l’intérieur de la joue tout en penchant légèrement la tête sur le côté. Je me demande si je pourrais demander à Maena de me les procurer.

Son regard étudia une nouvelle fois la silhouette ô combien féminine qui lui faisait face, et lorsqu’elle remonta jusqu’à son visage, elle reconnut aussitôt de qui il s’agissait au large sourire qui illuminait son visage et à ses yeux presque aussi bleus que la nuit.

– Cassie ? s’étonna-t-elle en s’approchant. Qu’est-ce que tu fais ici ?

Cassie vint aussitôt la débarrasser de son fardeau avant de s’emparer de sa main gauche.

– Je garde toujours un œil sur ce dans quoi j’investis, répondit-elle dans un clin d’œil. Toi, par contre, il faut que tu m’expliques ça, poursuivit-elle en désignant son alliance. Or blanc et diagonales croisées ornées d’un diamant. Très simple, mais c’est justement ça qui fait tout son charme, sourit-elle d’un air appréciateur.

Sarah se sentit légèrement rougir avant de prendre un air alerté. Cassie savait qu’elle et Maena étaient soi-disant mariées ?

– Attends, coupa-t-elle en levant une main. Tu... tu l’as su comment ?

– Par ton compte Facebook, bien sûr, répondit aussitôt Cassie avant de porter une main à son cœur et battre des cils. T’as déjà oublié l’adooooorable photo de vous deux que tu as posté ? Bon, évidemment, les gens ne savent pas si c’est de l’info ou de l’intox, mais ils préfèrent y croire ; ça fait jaser.

Sarah sentit le sang quitter son visage.

– Cassie... quand tu dis « les gens »...

– Oh je t’en prie Sarah, soupira Cassie en levant les yeux au ciel. La ville entière connait Maena, principalement parce qu’elle intrigue à rester constamment enfermée dans cette immense demeure. Tu allais forcément attirer les curieux.

Elle s’interrompit avant de prendre un air concerné :

– D’ailleurs, ne le prends pas mal, mais... tu es sûre que c’est ce que tu veux ? Je veux dire, être avec Maena, c’est accepter toutes les concessions qui vont avec. Je ne sais pas si je supporterais une vie entière enfermée entre quatre murs. Et puis le simple fait d’imaginer qu’un simple contact avec la lumière du jour pourrait lui être fatal...

Elle frissonna.

– Je crois que je passerais mon temps à m’inquiéter pour elle, admit-elle, grimaçante. Bon par contre, je te préviens, Eva est à deux doigts de te trucider pour ne rien nous avoir dit, poursuivit-elle, imperturbable. Liz se demande simplement ce qui a bien pu te passer par la tête pour accepter une telle demande de Carmilla en personne et moi et Kate te remercions simplement ; la presse ne nous a jamais laissé aussi tranquille qu’en ce moment, sourit-elle fièrement.

Sarah se contenta de l’observer bêtement. Cassie pouvait être une véritable mitraillette parfois, et là, il y avait tout simplement beaucoup trop d’éléments nouveaux à assimiler pour qu’elle puisse produire une réponse.

– D’ailleurs, tu l’as rencontrée comment, Maena ? poursuivit Cassie, sa curiosité piquée. Tu n’as jamais rien laissé paraître sur une quelconque relation entre vous deux...

Sarah grimaça intérieurement. De toutes les questions qu’elle aurait pu poser, il fallait qu’elle choisisse celle-là. Elle maudit soudainement Maena d’avoir pris soin de penser au contrat de mariage, mais pas à la rencontre. Et comme par hasard, il faut que ça tombe sur moi !

– Eh bien... euh... err... au musée, s’exclama-t-elle soudainement avant de reprendre contenance. J’assistais à une exposition sur le nu victorien et Maena était là. Tu sais, comme elle est fan et tout...

Cassie hocha doucement la tête, pensive.

– Et la demande ? s’exclama-t-elle soudainement avant de prendre un air rêveur. Je suis sûre que Maena a un côté romantique...

Sarah repensa au contexte dans lequel c’était arrivé et elle retint difficilement un rire.

– Errr... on peut dire ça, oui. Elle m’a demandé ma main au réveil, pendant le petit déjeuner.

Elle réfléchit avant d’ajouter soudainement :

– Elle a glissé une rose dans mes cheveux juste avant.

– Awww, répondit aussitôt Cassie, charmée. Célibataire, j’aurais carrément tenté ma chance, ajouta-t-elle, taquine. Ta femme intimide peut-être la moitié de la population, mais personne ne peut nier son charisme. Je veux dire, elle est littéralement à tomber ! s’exclama-t-elle avant de se mordre la lèvre inférieure. Et ce mouvement de hanche qu’elle a parfois...

Un sentiment désagréable s’empara de Sarah à entendre Cassie parler ainsi de Maena mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder qu’elle entendit des pas résonner soudainement derrière elle.

– Madame Spigarelli ? demanda Bulldog n°5. Madame Maena vous attend dans son bureau.

Cassie hocha la tête d’un air entendu, un sourire poli sur les lèvres avant de reporter son attention sur Sarah.

– Je vais devoir partir juste après notre rendez-vous, mais on s’organise quelque chose bientôt, d’accord ? Tu nous dois des détails croustillants !

Sarah grimaça intérieurement et l’observa s’éloigner avant de soudainement demander :

– Cassie ! De quel genre d’investissement tu parlais, au juste ?

Cassie lui offrit un regard confus.

– Eh bien, en ce qui concerne son petit secret, bien sûr, répondit-elle comme si c’était l’évidence même. A plus tard !

Sarah l’observa jusqu’à ce qu’elle ait disparu, perplexe. Son petit secret ? Elle repensa soudainement à ce que Cassie lui avait dit, quelques instants plus tôt. Carmilla... Carmilla... Carmilla, la Comtesse Mircalla Karnstein ? Et puis le simple fait d’imaginer qu’un simple contact avec la lumière du jour pourrait lui être fatal...

Sarah avala difficilement sa salive,le visage pâle. Elle aurait visé juste depuis le début alors ? Et ce sans même le savoir ?

Elle écarquilla les yeux. Oh mon dieu.

– Numéro... err... merde, comment il s’appelle lui ? Michael ? tenta-t-elle en tournant la tête vers le bulldog qui gardait la porte.

Elle fut soulagée lorsqu’elle le vit aussitôt s’approcher.

– Mademoiselle ?

– J’aurais besoin... d’un chien, déclara-t-elle subitement. Oh ouais, c’est une bonne idée ça. Un énorme chien. Genre super gros, et... et... et super intimidant. Gros et intimidant. Vous pensez que vous pouvez me trouver ça ?

L’homme l’observa bêtement.

– Euh... je... hum, oui, Mademoiselle.

Sarah sourit aussitôt.

– Et j’en ai besoin pour hier, ajouta-t-elle en lui tapotant gentiment l’épaule.

Elle éprouva un malin plaisir à l’entendre déglutir de façon audible.

Publicité
Publicité
24 juin 2013

Chapitre 6

Les doubles portes s’ouvrirent aussitôt lorsque Sarah se présenta devant la chambre de Maena trois jours plus tard. Une dame âgée d’une cinquantaine d’année, Amy, était venue l’informer quarante-huit heures plus tôt que sa kidnappeuse allait être assez occupée durant les jours suivants et qu’elle avait soi-disant déclaré que « Mademoiselle Sarah était libre d’aller et venir dans la demeure afin de s’occuper en attendant. »

Sarah avait passé les deux bonnes heures suivantes à être folle de rage. Non seulement cela signifiait qu’elle allait passer les quelques « jours suivants » retenue contre son gré, mais qu’en plus Maena se permettait de lui dicter ce qu’elle devait faire en attendant, pour l’amour du ciel ! En réponse, elle n’avait pas quitté la chambre de la soirée et s’était rapidement endormie pour un sommeil sans rêve. Mais aussitôt le jour venu – uniquement indiqué à l’aide de l’horloge murale qui ornait sa chambre – Sarah s’était préparée en vitesse et avait obéit à Madame à la lettre dans le secret espoir de trouver une faille et pouvoir s’échapper d’ici le plus rapidement possible.

Elle avait été rapidement déçue. Chaque recoin de l’immense demeure était gardé par un bulldog, quand ce n’était pas un employé qui circulait ici et là. Sarah en avait d’ailleurs vu plusieurs vadrouiller avec des chemises blanches sur le dos comme elle-même en portait lors de ses cours de physique-chimie au lycée, et elle avait été très loin d’être rassurée. Et puis il y avait eu toutes ces pièces auxquelles l’accès lui était refusé, ce qui, en plus de passablement l’agacer, l’intriguait au plus haut point. Qu’avait donc à cacher Maena ? Elles étaient trop nombreuses pour qu’il ne s’agisse que d’éléments en lien avec son intimité, et puis Sarah avait vu des employés y pénétrer, alors pourquoi pas elle ?

Elle avait par contre été agréablement surprise par l’ensemble des pièces dans lesquelles elle avait pu entrer. Entre piscine chauffée et coin jacuzzi au sous-sol, petit salon avec bar et table de billard, la salle de réception et son orchestre philharmonique... mais surtout : la véranda. Sarah y avait à peine mis les pieds qu’elle avait su d’avance que cela allait être sa pièce préférée. D’une part, parce qu’elle était uniquement entourée d’immenses baies vitrées laissant filtrer le soleil qu’elle n’avait pas vu depuis une journée toute entière, d’autre part, parce qu’à cette simple vision, Sarah avait réellement pris conscience de combien il était parfois éprouvant de vivre simplement entourée de quatre murs sans aucune vue sur l’extérieur.

Je me demande comment ils font tous pour supporter ça et ne pas devenir fou.

Et puis, alors qu’elle prenait place sur l’un des nombreux canapés qui occupait l’endroit, elle avait découvert ce sur quoi donnait la véranda : un petit jardin magnifique, essentiellement constitué d’une grande étendue d’herbe avec un bassin en son centre et divers rosiers éparpillés ici et là, le tout entouré d’une haie soigneusement taillée. C’était simple, mais ça ressemblait à un véritable petit paradis sur terre.

– Tu comptes rester plantée là toute la journée, ou au moins me faire part de ce qui me vaut une visite aussi matinale ?

Sarah sursauta légèrement lorsque la voix de Maena lui parvint et elle regarda autour d’elle. Les doubles portes avaient été refermées derrière elle et elle réalisa qu’elle avait laissé ses pensées prendre le pas sur la réalité pendant un petit moment. Elle quitta le vestibule d’entrée pour atterrir dans un petit salon qu’elle trouva tout à fait charmant avec sa petite table de bois vernis, ses fauteuils paraissant ô combien confortable et surtout, surtout l’imposante cheminée de pierre.

– Et pourquoi est-ce que je n’ai pas tout ça dans ma chambre, moi ? marmonna-t-elle avant de lever les yeux vers les différents tableaux qui ornaient la pièce.

Sarah les reconnut aussitôt, étant elle-même une grande admiratrice de l’art victorien, et elle ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle aperçut son tableau favori.

Lilith.

John Collier avait selon elle fait quelque chose de remarquable, car la jeune femme au teint et cheveux clairs qu’il avait dépeint pouvait tout aussi bien s’appeler Eve si l’on reprenait l’histoire du serpent. Mais ce que Sarah aimait surtout, c’était la précision et la maîtrise du détail. Elle trouvait cela tout simplement époustouflant. Et cette sensualité qui se dégageait... Sarah trouvait d’ailleurs que c’était bien là que s’opérait sa préférence pour Lilith. Contrairement à Eve, elle dégageait quelque chose de fort, d’attirant. Une véritable femme fatale parfaitement consciente de l’effet qu’elle produisait. Contrairement à Eve qui représentait surtout la femme docile à l’homme, aussi idéale que génitrice.

Sarah détourna finalement le regard pour le poser sur les doubles portes qui menaient vers la pièce maîtresse. Grandes ouvertes, elles laissaient percevoir un faible halo de lumière et Sarah s’avança jusqu’à voir la grande silhouette de Maena allongée de tout son long sur le lit. La jeune femme avait revêtu une tenue de sport noire – excepté pour les trois bandes blanches qui s’étendaient de chaque côté de son corps – extrêmement moulante et Sarah se retrouva comme hypnotisée par l’étendue de peau qu’elle pouvait percevoir au niveau de sa taille.

La jambe droite de Maena bougea légèrement et Sarah remonta aussitôt vers son visage, surprise de voir qu’elle avait les yeux fermés et semblait dormir paisiblement. Ses cheveux étaient réunis en une queue de cheval haute et Sarah grimaça lorsqu’elle perçu le bandage blanc qui recouvrait l’arrière de sa tête. Elle retourna vers son visage et sursauta presque lorsqu’elle vit un œil bleu glace l’observer tranquillement en retour.

Elle se racla légèrement la gorge.

– Ça va ? demanda-t-elle avant de remarquer les cernes qui entouraient ses yeux. Tu as l’air extenué.

Maena hocha doucement la tête.

– J’ai pas mal travaillé ces derniers jours.

– Oh. Je suis vraiment désolée pour... pour ta tête. C’est toujours douloureux ?

– Ne le sois pas, soupira Maena en se frottant les yeux. Je t’ai kidnappé après tout ? Comme tu le disais, c’est dans ton droit de me haïr et de me le faire savoir.

Sarah fut surprise par la douleur qu’elle ressentit à se voir retourner ses propres paroles contre elle, mais fut encore plus surprise par le ton morne dont Maena faisait usage.

Elle s’approcha jusqu’à venir s’accroupir au bord du lit, de manière à ce que son visage soit à hauteur de celui de Maena.

– Peut-être, répondit-elle doucement. Mais je n’ai pas pour habitude de frapper les femmes.

Elle ne dit pas « les gens » car depuis son enlèvement, elle savait pertinemment qu’elle pourrait frapper n’importe quel homme qui s’amuserait à vouloir la violenter. Les femmes aussi, admit-elle finalement après réflexion. Mais là n’était pas la question, Maena ne s’était jamais montrée menaçante envers elle, malgré la situation complètement loufoque dans laquelle elle se trouvait.

– J’ai frappé une fille quand j’étais en cinquième une fois, poursuivit-elle avant de grimacer. Je me suis cassé un doigt, et je me suis aussitôt promis de ne plus jamais frapper personne depuis.

Elle laissa un faible sourire apparaître sur ses lèvres.

– D’ailleurs, c’est moi la fille retenue contre son gré dans l’histoire, commença-t-elle dans l’espoir d’arracher un sourire à Maena – pour une raison qu’elle ignorait, elle ne supportait pas de la voir si... triste, abattue, presque comme... vide. Qui me dit que je n’ai pas de soucis à me faire de ce côté-là ?

Elle sut aussitôt au regard qui lui répondit que sa plaisanterie n’avait pas fonctionnée.

– Personne ne lèvera jamais la main sur toi ici, Sarah, soupira Maena. Et tu n’es pas retenue contre ton gré. D’ailleurs...

Elle leva son poignet et tira légèrement sur sa manche afin de dévoiler une fine montre en or blanc qu’elle tourna aussitôt afin de dévoiler le côté sur lequel se trouvait l’attache. Sarah fut surprise d’y découvrir quatre minuscules boutons et Maena fronça légèrement les sourcils avant d’appuyer sur la première touche puis approcher son poignet de ses lèvres.

– « Michael ? ... Veuillez escorter Mademoiselle Sarah jusqu’à la limousine. ... Non, qu’elle passe par ses quartiers avant, aidez là à emmener tout ce qu’elle désire garder. ... Oui... oui, elle nous quitte. Définitivement. ... Merci Michael. »

Maena replaça sa manche avant de laisser sa tête reposer contre l’oreiller. Elle leva les yeux vers Sarah et l’observa calmement.

– Michael t’attend dans le couloir. Prends ce que tu veux dans ton dressing, la totalité de son contenu sera livré chez toi dans la journée. Je ne pourrais rien en faire de toute façon et puis, c’est bien la moindre des choses que je puisse faire pour t’avoir gardé prisonnière pendant trois jours, non ?

Sarah se contenta de l’observer bêtement, peu sûre de ce qui était en train de se passer.

– Donc... je peux partir ?

Maena hocha simplement la tête.

– Vraiment ? s’étonna Sarah en se redressant d’un bon. Je peux rentrer chez moi, reprendre ma vie, sans qu’on ne vienne jamais me ramener ici ?

– Sarah, soupira Maena avant de fermer de nouveau les yeux. Pars. Juste... pars.

Sarah n’eut pas besoin de se le faire dire deux fois et elle s’éloigna aussitôt avant de subitement s’arrêter une fois arrivée à hauteur de la porte.

– Et l’héritage ? s’exclama-t-elle soudainement. Je croyais que tu risquais de tout perdre si on ne suivait pas le testament...

Il y eut un léger silence avant que la réponse n’arrive :

– Ma grand-mère disait toujours qu’il fallait savoir faire des sacrifices dans la vie, parce qu’elle finirait toujours par nous le rendre. Je suppose que j’aurais juste à attendre et voir. Qui sait ? La chance me sourira peut-être un jour.

Sarah sentit aussitôt la culpabilité s’abattre sur elle face aux paroles de Maena et à son ton abattu.

– Tu n’as pas l’air de lui en vouloir, remarqua-t-elle simplement.  

– Elle était ma meilleure amie, je suis sûre qu’elle avait une bonne raison derrière tout ça.

Sarah leva les yeux au ciel :

– Maena, elle te force à vivre avec une étrangère pendant six mois sous peine de perdre ton héritage ! Tu peux me dire quelle bonne raison elle a bien pu avoir ? Parce que mis à part me faire perdre mon temps et mon travail, je vois pas moi hein !

Maena tourna la tête vers elle :

– C’est ton point de vu, répondit-elle avant de lui tourner le dos à nouveau. Maintenant pars Sarah, j’aimerais dormir.

Sarah observa la porte à nouveau, puis Maena, et elle monta soudainement sur le lit avant de s’arrêter juste derrière la forme allongée. Elle posa une main sur son épaule et secoua légèrement la tête :

– Non, répondit-elle avant de s’emparer du poignet de Maena.

Elle tira légèrement sur la manche sous un regard bleu des plus confus avant d’appuyer sur le premier bouton puis accola son oreille contre celle de Maena.

– « Michael ? » appela-t-elle, rapprochant le poignet de Maena à ses lèvres. « C’est Sarah. »

La réponse lui parvint faiblement :

– « Oui, Mademoiselle ? »

– « Oubliez ce que Mae... errr... Madame Maena vous a dit, je vais rester dans le coin pour quelques temps encore. »

– « Oh. Très bien. »

Maena tenta de récupérer son poignet mais Sarah tint bon, elle poursuivit :

– « Oh, et Michael ? »

– « Oui, Mademoiselle ? »

– « Vous devez vous y connaître en sport de combat, est-ce que vous savez frapper sans laisser de marques ? »

Maena lui offrit aussitôt un air à la fois surpris et horrifié mais Sarah décida de l’ignorer avant d’ajouter :

– « Je pense que Madame Maena aurait très sérieusement besoin qu’on lui remette les idées en place, mais, voyez-vous, ça m’embêterait d’abimer un si joli visage. »

Sarah fut ravie de voir Maena rougir furieusement mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder qu’une voix emplie d’inquiétude et d’incertitude lui répondit :

– « Mademoiselle ? »

Sarah retint difficilement un rire.

– « Oubliez la dernière partie, Michael. Je plaisantais. Bonne journée. »

– « Bien Mademoiselle », répondit l’homme, visiblement soulagé. « Bonne journée. »

Sarah s’écarta légèrement afin de pouvoir clairement observer le visage de Maena et posa un doigt sur ses lèvres lorsque cette dernière chercha à prendre la parole.

– Six mois, je te donne six mois. Mais en contrepartie, je veux pouvoir sortir à l’extérieur comme bon me semble ; je promets de ne pas te faire faux bon. Et pas de contrat de mariage. Je prétendrai être ton épouse, mais pas de contrat officiel. Deal ?

Maena ouvrit la bouche avant de la refermer.

– Le notaire est un ami de longue date de la famille, ça devrait pouvoir se faire, répondit-elle enfin, un léger rictus au coin des lèvres. Ce sera tout ?

– Nan, répondit aussitôt Sarah avant de légèrement tirer sur le haut de Maena. Je veux savoir où se trouve la salle de sport aussi, je ne l’ai pas trouvé la dernière fois, expliqua-t-elle avant de taquiner légèrement : il paraît que je dois faire attention à ma culotte de cheval.

Maena détourna aussitôt le regard, légèrement embarrassée.

– Sur ta droite en sortant, au bout du couloir. Demande à Michael si tu ne trouves pas.

Sarah haussa un sourcil.

– J’y aurais accès ?

– Comme à tout le reste de la demeure, répondit aussitôt Maena tout en reposant sa tête sur l’oreiller.

Sarah se redressa aussitôt.

– Menteuse ! Une tonne de pièce me sont interdites !

Maena haussa un sourcil face au soudain excès de colère.

– Uniquement celles en lien avec mon travail, répondit-elle. Tu n’as rien à y faire.

– Et pourquoi pas ? contra aussitôt Sarah, suspicieuse. Je te laisserais jeter un œil à mon travail, moi.

Maena l’observa, incrédule.

– Bien sûr, tu es écrivaine ! s’exclama-t-elle avant d’hausser un sourcil. Quoique, laisse-moi en douter, je ne pense pas que tu dévoilerais tes futures intrigues à n’importe qui.

Sarah détourna aussitôt les yeux ; elle marquait un point, même si elle fut passablement surprise que Maena soit au courant de son statut d’auteure.

– Je ne saurai pas sur quoi tu travailles, alors ?

– Rien qui ne t’intéresserait, répondit Maena en s’installant plus confortablement. Elle marmonna contre son oreiller : Et en ce qui concerne toutes tes requêtes, donne-moi juste une demi-heure, et je m’en occupe...

Même si elle la soupçonna fortement de changer de sujet pour ne pas avoir à répondre à ses interrogations, Sarah ne put retenir un sourire face à l’image que lui renvoyait tout à coup Maena, tellement à l’opposé de cette femme d’habitude toujours si imposante, sûre d’elle et impeccable.

Elle porta une main à son épaule qu’elle caressa doucement :

– Non, dors, ça peut largement attendre.

Maena posa une main sur la sienne et la pressa doucement en réponse avant de sombrer dans un profond sommeil.

20 juin 2013

Chapitre 5

Sarah sortait tout juste de la salle de bain lorsque de légers coups résonnèrent contre la porte de la chambre. Elle décida de les ignorer et se dirigea à la place vers la grande armoire qui longeait le mur, son peignoir fermement serré autour d’elle. Lorsqu’elle ouvrit le premier battant, elle fut aussitôt surprise par la douce odeur qui lui chatouilla les narines, un mélange de linge frais mais surtout de... d’huile de rose, pensa-t-elle soudainement, un léger sourire sur les lèvres. 

Elle tira légèrement sur le second battant et sentit aussitôt sa mâchoire s’affaisser lorsqu’elle leva les yeux. D’une grande armoire, il s’agissait en réalité d’un dressing de la taille d’une pièce toute entière et dont la lumière semblait automatiquement s’allumer une fois les portes grandes ouvertes. Le regard de Sarah s’arrêta aussitôt sur les nombreuses étagères de chaussures en tout genre, avant de dévier vers les robes toutes aussi sublimes les unes que les autres, puis les jeans, les petits hauts, les sous-vêtements, les accessoires... tout y était. Mais plus surprenant encore, Sarah savait à simple vue d’œil que tout, absolument tout, était à sa taille.

– Ça te plaît ?

Sarah sursauta avant de tourner la tête en direction de la porte de la chambre. Elle ne fut qu’à moitié surprise d’y voir Maena, les bras repliés autour d’une pochette qu’elle tenait serrée contre sa poitrine tout en attendant patiemment.

– Je ne me souviens pas t’avoir autorisé à entrer, répondit-elle finalement une fois qu’elle eut reprit contenance.

– Vu l’état dans lequel tu as quitté mon bureau, je ne m’attendais pas à ce que tu le fasses, commença Maena avant de désigner la pochette qu’elle tenait entre ses mains. Seulement, nous n’avons pas encore terminé notre conversation.

Sarah l’observa un instant avant de hausser un sourcil :

– On passe au tutoiement alors ?

– Tu connais beaucoup de couples qui se vouvoient, toi ? répondit aussitôt Maena avant de très légèrement sourire. Et puis, je viens de t’offrir une panoplie complète de sous-vêtements dessinés par les plus grands créateurs. Ça rapproche, non ?

Sarah retint difficilement un sourire.

- Dessinés par les plus grands créateurs, hein ? demanda-t-elle, un sourcil haussé. Tu es quoi, une riche héritière ? Parce que si la recherche paye si bien, je vais peut-être revoir mon plan d’avenir, finalement.

Maena abaissa le regard vers ses doigts qui tripotaient la pochette qu’elle tenait toujours entre ses mains.

– On peut dire ça comme ça, répondit-elle distraitement avant de relever la tête. Habille-toi, je t’attends.

Sarah l’observa, perplexe avant d’aller s’isoler dans le dressing et obtempérer.

💕

Une bonne demi-heure plus tard, et après de nombreux « oh mon Dieu, Jimmy Choo ! Et Coco Chanel ! Et Jean-Paul Gautier ! », Sarah ressortit finalement, un petit sourire embarrassé sur les lèvres.

– C’est bon, tu es prête ? demanda Maena, légèrement taquine, appréciant secrètement le caraco millesia et le jean moulant pour lesquels Sarah avait finalement optés.

Sarah acquiesça d’un signe de tête avant de la rejoindre à hauteur du lit, et elle s’y assit lorsque Maena l’y invita.

Maena s’apprêtait à prendre la parole mais elle s’interrompit lorsque Sarah regarda continuellement autour d’elle avant de bouger centimètres par centimètres. 

– Qu’est-ce que tu fais ?

Sarah redressa aussitôt la tête.

– J’ai peur de les abimer, grimaça-t-elle en désignant ses vêtements. Ça doit coûter une fortune !

 Maena leva aussitôt les yeux au ciel.

– C’est fait pour être porté, alors assis toi comme tu le sens et ne t’occupe pas du reste.

– D’accord, d’accord, marmonna Sarah tout en prenant appui contre le rebord du lit. Alors ? Qu’est-ce que tu voulais me dire ? Parce que si je peux enfin espérer obtenir des réponses, n’hésite pas, hein, lance-toi !

Maena s’empara de sa pochette et en sortit un paquet de feuilles qu’elle tendit à Sarah.

– J’ai besoin que tu lises ceci.

Sarah plissa les yeux afin de lire l’entête de la première feuille. Testament. Elle leva un regard surpris vers Maena.

– En général, quand on présente ça, c’est que quelqu’un nous a quitté..., commença-t-elle, appréhensive.

– Granny. Que tu connais certainement sous le nom de –

– Je sais qui c’est, coupa aussitôt Sarah en portant une main à son visage. La ville toute entière la connait. En même temps, comment pourrait-il en être autrement ? Elle a fait tellement pour nous tous...

Sarah ne put retenir un faible sourire lorsqu’elle se souvint de sa rencontre avec cette vieille femme au sourire toujours bienveillant. Elle venait tout juste d’entrer en sixième ce jour-là, dans ce que ses parents appelaient « la cour des grands » et elle en avait aussitôt détesté ce nouveau monde. Les mentalités y étaient différentes, beaucoup plus affirmées et pour cette petite fille victime de bégayement depuis son plus jeune âge, elle en avait beaucoup souffert.

Elle était sortie en pleurs à la fin de la journée et s’était appuyée contre le petit muret qui longeait la route afin d’attendre que sa maman vienne la chercher. Elle avait baissé la tête et fermé très fort les yeux dans l’espoir de se couper du monde qui l’entourait. Et puis, une main s’était glissée sous son menton, et avait doucement relevé son visage avant de sécher ses larmes. 

Sarah s’était aussitôt glissée dans les bras accueillants, soucieuse de recevoir ce réconfort maternel dont elle avait désespérément besoin. Une main avait répondu à sa demande en caressant son dos dans de tendres va-et-vient et elle s’était simplement laissée aller, évacuant la frustration qu’elle avait ressenti toute la journée.

Puis, alors que ses larmes s’étaient enfin taries, elle avait remarqué que quelque chose ne collait pas. La douce odeur de jasmin qui lui chatouillait habituellement les narines était différente. Elle s’était alors reculée, confuse, avant de rougir furieusement lorsqu’elle avait croisé un regard bleu ciel à la fois inquiet et chaleureux.

– Elle m’a dit qu’elle avait un secret pour moi, murmura Sarah en reprenant pied avec le présent.

– Pardon ? 

La voix de Maena lui parvint et Sarah leva les yeux vers elle avant de s’essuyer les joues lorsqu’elle réalisa qu’elle pleurait.

– Elle m’a demandé ce que j’avais ce jour-là, lorsqu’elle m’a vu pleurer à la sortie du collège. Je lui ai dit que je bégayais et que tout le monde s’était moqué de moi et... et elle m’a dit qu’elle avait un secret pour moi. Elle m’a demandé quel était mon livre préféré, et lorsque je le lui ai dit, elle m’a répondu qu’elle était sûre que si je le relisais à voix haute, je ne bégayerai pas. 

– Et ça a marché ? demanda Maena, visiblement intriguée.

Sarah secoua légèrement la tête :

– Pas le premier soir. Mais je l’ai revue le lendemain, au même endroit. Elle m’a demandé de ne pas me concentrer sur les mots, mais plutôt de laisser les images pénétrer dans mon esprit et simplement me perdre dans l’histoire. J’ai aussitôt essayé une fois entrée à la maison, et au bout de quelques minutes, j’ai senti qu’on me soulevait littéralement de ma chaise et mes parents étaient là, à me féliciter et me serrer contre eux.

Elle lâcha un léger rire :

– Ils étaient en extase, et moi je me suis simplement mise à pleurer d’incrédulité et de soulagement. Ça a demandé un peu d’entraînement, bien sûr, mais elle m’a redonné confiance, et pour ça... pour ça je lui en serai toujours reconnaissante.

Maena baissa les yeux vers la pochette qu’elle tenait entre ses mains :

– Elle aurait été contente d’entendre ça.

– J’aurais aimé le lui dire, répondit Sarah avant de se passer une main sur le visage. Bon sang, j’arrive pas à croire qu’elle soit partie. C’est arrivé quand ?

– Il y a deux mois. Le médecin nous avait dit que son cœur fatiguait, on y était plus ou moins préparés.

Sarah l’observa un instant.

– Elle était ta grand-mère, pas vrai ? Vous avez les mêmes yeux.

– Elle était surtout ma meilleure amie, admit Maena avant de désigner le paquet de feuilles que Sarah tenait toujours entre ses mains. C’est le testament qu’elle nous a laissé.

Sarah l’observa, confuse, avant d’abaisser les yeux vers le paquet de feuilles. Elle le parcourut silencieusement avant de lâcher un rire dénué d’humour.

– Cette fois-ci c’est sûr, c’est le rêve le plus long et le plus dingue que j’ai jamais fait, déclara-t-elle en secouant la tête. Moi qui l’avais pourtant trouvé très saine d’esprit...

Le visage de Maena se ferma aussitôt :

– Sarah... n’insulte pas la mémoire de ma grand-mère.

– Je suis désolée, s’excusa aussitôt Sarah en désignant le testament. Mais admet que là, elle a pété une durite hein ! Maena, je ne l’ai vu qu’une dizaine de fois dans ma vie à tout casser, et elle veut que j’hérite de la moitié de... 

Elle désigna autour d’elle :

– ... tout ça ? C’est insensé !

– Peut-être, admit Maena avant de préciser : mais c’est uniquement sous certaines conditions.

Sarah lui offrit un regard confus et Maena lui désigna le paragraphe concerné. Elle le lut à voix haute :

– « Pour bénéficier de votre héritage, vous devrez toutes les deux vivre dans la demeure pendant six mois à compter de la lecture de ce testament, sans ne jamais quitter les lieux plus d'une semaine durant cette période. Une fois la durée écoulée, si les termes ont été respectés, vous hériterez chacune d'une moitié. Vos parts ne pourront être vendues ou cédées qu'à l'une des bénéficiaires et ce pendant une période de cinq ans. »

Elle releva les yeux vers Maena :

– Oh je te rassure, tu peux d’ores et déjà avoir ma part, il est hors de question que je vive ici pendant six mois !

– Lis la suite.

Sarah plissa des yeux avant d’obtempérer :

– « Chaque parti devra respecter les dispositions énoncées précédemment sous peine de voir la demeure léguée à la ville afin d’être classée monument historique. »

Le visage de Sarah devint livide.

– Laisse-moi deviner, la demeure appartient à ta famille, et si je dis non... c’en est fini, c’est ça ?

– C’est ça, acquiesça doucement Maena.

Sarah se passa les mains sur les tempes, la colère faisant de nouveau surface.

– C’est dégueulasse, j’ai rien demandé moi ! Je vivais tranquillement de mon côté et il a fallu que tu me fasses kidnapper pour ensuite me mettre au pied du mur ! C’était vraiment indispensable ça d’ailleurs ?

Maena détourna simplement le regard et Sarah sentit sa frustration monter en flèche :

– Je ne veux pas de ta demeure, Maena. J’ai aucune envie de foutre six mois de ma vie en l'air pour un tas de pierres qui ne représente rien pour moi. Pas question ! Fais-en ce que tu veux, mais moi j'ai rien à faire ici ! C’est... c’est... insensé !

– Tu l’as déjà dit.

Sarah la fusilla du regard.

– Annule ou oppose ou je sais pas moi mais je ne veux rien avoir avec ça, ou toi ou Granny !

– C’est impossible, la loi l’interdit. Et puis, je croyais que tu lui étais reconnaissante ? répondit aussitôt Maena, un sourcil haussé. Tu ne crois pas qu’accepter la moitié d’une demeure dont la valeur s’élève à plusieurs millions d’euros serait justement une belle preuve ?

– Très drôle Maen – plusieurs millions d’euros ?! s’interrompit Sarah, incrédule. Wow la vache, c’est sûr que dit comme ça..., commença-t-elle avant de secouer la tête afin de s’éclaircir les idées. Aaah non, je ne peux pas rester ici pendant six mois Maena, j’ai une vie, un travail, des amis...

Elle s’apprêtait à ajouter une chérie mais elle ne savait plus trop où elles en étaient de ce côté-là.

Maena l’interrompit en prenant place à ses côtés :

– Sarah, tu t'en fiches peut-être mais c'est important pour moi. Je suis née ici, j’y ai passé toute ma vie et je ne perdrai pas ce qui me revient de droit. Ça m’est impossible. Seulement, je ne peux pas le faire sans toi.

Sarah se mordit l’intérieur de la joue avant de soupirer :

– J’ai besoin d’y réfléchir.

– Non.

Sarah leva aussitôt les yeux vers elle :

– Non ? répéta-t-elle, incrédule. Tu ne peux pas me forcer à rester ici si j’en ai pas envie !

– Oh tu crois ? répondit Maena, défiante avant d’ouvrir sa pochette à nouveau et en sortir un paquet de feuilles qu’elle tendit à Sarah. J’ai besoin que tu signes ça.

 Sarah plissa les yeux afin de lire l’entête de la première feuille et elle lâcha un rire dénué d’humour.

– Jamais.

Maena lui tendit un stylo.

– En bas à gauche, et sur les cinq feuilles.

– Maena, gronda Sarah en reposant le contrat sur le lit. Je ne signerai pas ces fichus papiers ! Il est hors de question que je t’épouse et il est hors de question que je reste ici !

– On n’a pas le choix, c’est inscrit sur le testament.

Sarah haussa les sourcils de surprise.

– Sérieux ? demanda-t-elle avant de jeter un œil. Oh la salo... errr... hors de question !

– C’est pas grave, je me suis entrainée à imiter ta signature, répondit Maena en récupérant le tas de feuilles.

– Hein ? s’exclama aussitôt Sarah avant de lui voler le stylo. Quand ? Comment ?!

– Tu penses que j’accepterai de choisir n’importe quelle épouse sans la connaître un minimum avant ? répondit aussitôt Maena en récupérant son stylo.

Sarah l’observa, ahurie.

– Tu m’as espionnée ?!

– Bien sûr, répondit distraitement Maena en apposant la signature de Sarah sur la première page du contrat.

Sarah lui arracha le stylo des mains avant de lancer à l’autre bout de la pièce.

– Combien de temps ?

– Dès... que j’ai eu vent du testament, hésita Maena avant de sortir un autre stylo de la poche arrière de son pantalon.

Sarah s’en empara et le brisa en deux avant de récupérer le paquet de feuilles et le placer au-dessus des bougies qui encadraient la tête de lit. Elles ne mirent pas bien longtemps avant de s’enflammer et elle afficha un petit sourire satisfait avant de reporter son attention sur Maena.

Elle fut surprise de la voir littéralement sauter du lit et s’écarter jusqu’à prendre refuge contre le mur.

– Je croyais que tu voulais y apposer ma signature ? déclara-t-elle innocemment tout en tendant le contrat dans sa direction.

Maena ne détacha pas du regard le paquet de feuilles qui flambait, visiblement mal à l’aise.

– Sarah, arrête, tu vas finir par blesser quelqu’un avec ça.

– Ce ne sont que des feuilles qui brûlent, Maena, tempéra Sarah, surprise par son comportement. Regarde, il suffit d’incliner le paquet, et... hop, ça s’éteint.

Elle attendit un peu et rapidement, il ne resta rien de plus qu’un fin trait rouge.

– Tu vois ?

Maena s’approcha et s’empara du contrat du bout des doigts avant de le jeter dans la corbeille jouxtant la porte.

– Ce que je vois, c’est que tu es surtout complètement inconsciente, répondit-elle, visiblement irritée. J’en ai fait d’autres copies, je les signerai moi-même et t’en ferai parvenir un double.

– Non mais t’es pas possible hein ! s’exclama Sarah en levant les mains au ciel. Qu’est-ce qui n’est pas clair dans « je-n’ai-pas-envie-de-t’épouser ! » ?!

Maena haussa les épaules.

– Ca m’est égal ? répondit-elle, un sourcil haussé avant de se diriger vers la porte. Je te ferais parvenir les doubles demain matin.

Sarah cligna des paupières à plusieurs reprises, incrédule. Non mais je rêve...

– Et ta femme ? demanda-t-elle soudainement avant que Maena n’ait pu quitter la pièce. Elle est où ?

Elle vit Maena se figer avant que la réponse n’arrive :

– Elle est morte il y a deux ans. Cancer.

Sarah se sentit soudainement mal à l’aise.

– Oh. Euh, hum, je suis désolée...

Maena haussa les épaules.

– T’embête pas, on n’était pas vraiment ce qu’il y a de plus proche, répondit-elle d’une voix monocorde. C’était plus un soulagement qu’autre chose.

Sarah haussa les sourcils.

– Un soulagement ? répéta-t-elle, incrédule. Mais comment peut-on dire ça ? Pourtant, sur le tableau, vous sembliez...

– Heureuses ? Amoureuses ? proposa Maena en tournant la tête dans sa direction. On l’était, admit-elle avant de baisser les yeux. Mais il s’est écoulé dix années entre ce jour-là et son cancer. Les gens changent en dix ans, Sarah.

 Sarah ne sut dire si c’était dû à son ton soudainement mélancolique ou à sa posture abattue, mais elle sentit sa gorge se nouer et ses yeux se voiler légèrement.

– Pourquoi ne pas l’avoir quitté alors ? demanda-t-elle finalement en se raclant légèrement la gorge afin de s’éclaircir les idées. Si tu en es venue à la haïr.

– Elle m’était trop utile. Tout comme je lui étais trop utile. On a fini par simplement s’utiliser l’une l’autre.

– S’utiliser ? s’étonna Sarah.

Maena hocha la tête avant de relever les yeux vers elle.

– Elle possédait un patrimoine non négligeable et certains... talents dont je pouvais difficilement me passer. Elle trouvait la même chose chez moi.

Certains talents ? Sarah fronça les sourcils avant de rougir furieusement. Elle ne parle quand même pas de... ? L’embarras laissa rapidement place à la colère lorsqu’elle se souvint de quelle position elle-même était supposée prendre.

– J’arrive pas à y croire, commença-t-elle en portant ses mains à son visage avant que sa voix ne monte crescendo. Alors c’était ça son plan à ta grand-mère ? Elle voulait la remplacer alors hop ! elle s’est dit qu’elle allait prendre le premier bon parti du coin en faisant en sorte qu’elle soit baisable aussi pour qu’elle puisse te convenir à tous les niveaux ?! Non mais quel genre de taré fait ça ?!

Maena écarquilla les yeux face aux propos et au ton soudainement accusateur lancés dans sa direction avant de lever les mains au ciel.

– Oh je t’en prie Sarah, ton compte en banque n’a jamais dépassé les quatre chiffres ! Si elle avait voulu te choisir en fonction de ça, elle ne t’aurait jamais prise !

Sarah ouvrit la bouche avant de la refermer à plusieurs reprises, outrée par ce qu’elle venait d’entendre, mais plus encore lorsque Maena ne nia pas la seconde partie, avant de finalement désigner la porte :

– Dehors ! hurla-t-elle, pleine de rage.

Maena l’observa, surprise, avant de serrer des dents et obtempérer mais elle eut à peine le temps de poser une main sur la poignée qu’un objet vint violemment la heurter à l’arrière de la tête, et elle s’effondra sur le sol.

Sarah écarquilla les yeux.

– Oh merde.

💕

– Oh merde, oh merde, oh merde, répéta Sarah en descendant du lit et en se précipitant vers Maena. Mon Dieu faites que je ne l’ai pas tué, s’il vous plaît, s’il vous plaît, s’il vous plaît !

La chaussure qu’elle avait utilisée sous le coup de la colère reposait juste à côté de la tête de Maena et elle la récupéra d’une main tremblante, grimaçant lorsqu’elle vit que le talon était recouvert de sang.

– Oh non, non, non Maena je suis désolée, pleurnicha-t-elle tout en tâtant le corps allongé à côté d’elle d’une main hésitante. S’il te plaît, réveille-toi, s’il te plaît...

Sa main s’arrêta au niveau de son cou et elle fut soulagée de sentir que son cœur battait toujours, puis elle lâcha un cri aigu lorsque Maena se redressa soudainement et porta une main à sa bouche avant de la plaquer au sol.  

– Non mais t’es complètement folle ! gronda-t-elle, ses yeux bleus paraissant presque noir sous la colère qui l’habitait.

Sarah écarquilla les yeux de peur avant que la colère ne s’empare d’elle à son tour. Elle écarta la main de Maena d’un geste brusque.

– Et tu n’aurais jamais dû me kidnapper dans l’espoir de faire de moi ta petite pute personnelle tout ça parce que ta grand-mère en a décidé ainsi ! cracha-t-elle en retour.

Maena cligna des yeux, les paroles de Sarah lui provoquant l’effet d’une douche froide.

– Quoi ? lâcha-t-elle en se redressant. Je n’ai jamais... Sarah, Granny ne ferait jamais ça. Je ne te ferais jamais kidnapper pour ça, grimaça-t-elle, horrifiée. Je demanderais jamais...

– Tu as dit ne pas m’avoir choisi pour mon argent, mais tu n’as pas nié le reste.

Maena haussa les sourcils avant de se remémorer les paroles de Sarah. Alors c’était ça son plan à ta grand-mère ? Elle s’est dit qu’elle allait prendre le premier bon parti du coin en faisant en sorte qu’elle soit baisable aussi pour qu’elle puisse te convenir à tous les niveaux ?!

Elle se passa une main dans le cou, grimaçant face à la migraine qui commençait sérieusement à se manifester.

– Je suis désolée, Sarah. Il n’a jamais été de question de sexe. Et puis comment en es-tu venu à conclure une chose pareille ?

– Tu as parlé de talents dont tu ne pouvais pas te passer alors j’ai pensé que... 

Maena fronça les sourcils, confuse avant de se sentir soudainement rougir.

– Je ne sous-entendais absolument rien de sexuel, assura-t-elle, l’idée d’Alison la touchant la rendant même nauséeuse. Je ferais plus attention à mes propos à l’avenir.

Sarah se contenta de hocher bêtement la tête, surprise par les excuses inattendues, avant de grimacer lorsque Maena retira une main couverte de sang de ses cheveux.

– Oh Maena, je suis vraiment désolée...

– C’est rien, répondit aussitôt Maena en se redressant subitement.

Sarah put jurer qu’elle venait de sérieusement pâlir.

– Ça va ? demanda-t-elle en se relevant à son tour.

– Oui, répondit Maena avant de balbutier : je ne... je ne supporte pas la vue du sang. Bonne journée.

La seconde suivante, elle était partie, la porte se refermant derrière elle dans un léger « clic ».

19 juin 2013

Anne Azel - Le Langage des Fleurs (Academy Valentine 2003)

(Texte original ici : Anne Azel - The Language of Flowers)

 

Le terreau noir, rendu humide par la neige fondue, se cassa facilement sous la pelle de Pat. L'odeur de terre se mêla aux arômes du printemps, aux nouvelles pousses d’herbe, aux jonquilles et aux tulipes.

L'hiver avait apporté une quantité de neige idéale, offrant une couverture chauffante pour son jardin et ses champs et une fonte apaisante qui nettoya et réveilla la terre une fois de plus. Pat disposait d’une centaine d’hectares. Une petite ferme, mais qu’elle utilisait au maximum. La plus grande partie de la superficie était consacrée à la production de maïs, de foin et de paille pour ses deux chevaux, Gale et Storm. Puis il y avait une rangée de pommiers, de poiriers et de pruniers. A proximité des écuries et de sa petite serre se trouvaient des terres qu’elle avait elle-même irriguées afin d’y cultiver des légumes pour les marchés fermiers locaux. Mais son endroit favori se trouvait juste derrière la vieille maison de campagne. Un hectare de terre clôturé d’une haie de cèdres dans lequel Pat avait créé un jardin de rêve.

C'était là qu'elle avait travaillé dur, retournant la terre des plates-bandes et ajoutant de l'engrais pour les plantes annuelles qu'elle comptait planter cette saison. Elle se redressa et regarda autour d’elle. Sa ferme s’étendait sur une longue bande le long de la ligne de concession. Deux hectares de large et cinquante de long. Les côtés sud et ouest étaient bordés par des routes départementales tandis que plus loin, à l'est, on pouvait apercevoir la route principale qui menait en ville. Au nord, une haie de cèdres courait le long de son terrain, telle une ceinture verte. Originellement plantée par son grand-père comme barrière de protection contre le vent et l'érosion, elle était devenue un mur entre elle et le monde moderne. Du côté nord de la haie se trouvait une maison monumentale, symbole de l’expansion urbaine des années 1980. Pourquoi fallait-il que les citadins vivent à la campagne et fassent sans arrêt la navette, remplissant l'air de dioxyde de carbone et de bruit de moteur ? C'était à la ville qu'ils appartenaient, là où ils devraient être.

Elle se mit au travail jusqu'à ce qu’un mouvement de rideau attire son regard dans la grande maison située juste en face, à l’extrémité de sa propriété. C’était la Femme de ses Rêves ; celle qui occupait constamment ses pensées. Pat avait entendu dire qu'elle était danseuse de ballet au Winnipeg Ballet. Elle était magnifique, élancée et aussi gracieuse qu’une danseuse. Ses cheveux d’un blond argenté étaient coupés court, style Pixie. Elle était sportive aussi parce qu’à chaque fois qu’elle croyait Pat absente, elle escaladait la clôture en cèdre haute de plus de deux mètres qui entourait la piscine située juste derrière sa grande maison, puis redescendait à travers la haie de cèdre afin d’atterrir dans le jardin de Pat. Ces intrusions avaient commencé à l'automne dernier lorsque le jardin était à son apogée de sa splendeur automnale. Le rouge flamboyant des buissons avait laissé place aux bronzes profonds, aux violets et aux mauves des chrysanthèmes tandis que les choux et graminées d’ornements balançaient leurs plumes dans la brise. Des feuilles d'érable aux couleurs éclatantes atterrissaient doucement sur la surface de l'étang ou déferlaient parmi les petites chutes d'eau, servant de parapluies à la carpe d'or située sous les eaux. L'herbe était verte et luxuriante et les ornements de jardin accentuaient parfaitement la beauté naturelle qui les entourait. La Femme de ses Rêves explorait alors le jardin avec grâce, prenant note de chaque changement jusqu'à ce qu'elle ait rejoint un banc en bois sculpté sur lequel les rayons de soleil venaient s’écraser une fois la fin de l'après-midi arrivée. Elle y prenait place et écrivait. Pat trouvait qu’elle ressemblait à une reine des fées.

Il lui avait fallu une grande dose de courage mais au bout d’une semaine, Pat avait déposé quelques fleurs fraîchement coupées sur le banc ainsi que son propre livre ; « Le langage des fleurs » de Pat Durran et les photos se trouvant à l'intérieur venaient toutes de son jardin. Le petit bouquet était composé de fleurs de jasmin, symbole d'amabilité, afin de laisser la Femme de ses Rêves savoir qu'elle était la bienvenue. La Femme de ses Rêves avait pris les fleurs et quelques jours plus tard, une demi-douzaine de muffins faits maison avaient été déposées pour Pat sur le banc. La carte de remerciement avait été signée par Eve Harrison. C'était donc le nom de la Femme de ses Rêves. Les muffins, tout juste sortis du four, étaient délicieux. Ce qui avait fait sourire Pat.

Elles avaient communiqué pendant toute la durée de l’automne et ce de la meilleure façon qu’il soit selon Pat : par le biais des fleurs. Il y avait eu de délicates fleurs blanches, des soupirs de bébé pour le bonheur, des chrysanthèmes aux couleurs éclatantes pour l’amitié profonde, et le bambou, fort et confident, qu'elle avait cultivé dans sa serre et qui représentait la loyauté. En retour, des petits cadeaux apparaissaient; des muffins, un poème sur un papillon virevoltant dans son jardin, une nouvelle bêche ou parfois une carte peinte à la main disant merci.

Elles s'étaient officiellement rencontrées en Novembre, alors que Pat se trouvait dehors à réunir des feuilles en un énorme tas. Elle possédait une soufflante, mais elle l’utilisait rarement. La beauté de la saison était partout autour d’elle, dans l'air vif, dans le bruissement régulier du râteau qui réunissait les feuilles colorées en un tas et dans le bleu-merle du ciel. Pat avait mis en place un système sonore dans son jardin, et maintenant que l'automne était là, elle aimait faire résonner les mélodies envoûtantes des flûtes amérindiennes. Elle se sentait parfaitement sereine et détendue entourée par la beauté de son jardin. Soudain, une petite silhouette passa à côté d’elle en courant avant de sauter dans le tas de feuilles d'or, son rire résonnant dans les airs.

– Je suis Eve Harrison. Je ne pouvais pas résister à votre tas de feuilles et d'ailleurs, il était temps que nous nous rencontrions.

Pat rougit. Sa gorge se serra et la panique s’empara d’elle.

– Je... je... argh.

– Oui, je sais. Vous bégayez, sourit Eve tout en se redressant, frottant son pull en laine couleur crème afin de se débarrasser de quelques feuilles. C'est pas grave. Je parle suffisamment pour deux, de toute façon. Votre jardin est magnifique. Merci de m’avoir permis d’y séjourner cet automne et de m’avoir parlé de vos fleurs. Je n’avais pas l’intention d’entrer chez vous comme ça mais je ne pouvais pas m'en empêcher. C’est un vrai petit coin de paradis. J'aime la musique. Je vous ai vu l’installer. Vous êtes vraiment intelligente. Vous voulez bien danser avec moi ?

Avant même que Pat n’ait eu le temps de secouer négativement la tête, le corps chaud et svelte d'Eve était dans ses bras. Les feuilles d'or se dispersèrent autour d’elle et elles se retrouvèrent à danser sur un lit douillet de verdure. Elles dansèrent ensembles, intimement collées l’une contre l’autre et en silence. Eve s’écarta finalement dans un soupir résigné.

– Mes répétitions m’attendent. Merci.

La seconde suivante elle s’éloignait, traversant le jardin à petite foulée puis escaladant rapidement la haie avant de se laisser retomber de l'autre côté. Pat était restée là à l’observer, le sourire aux lèvres. Eve avait rendu la chose si facile.

Elles s’étaient régulièrement retrouvées au cours de l'automne ainsi qu’au début de l'hiver. Elles avaient monté Gale et Storm afin de galoper à travers les champs qui les entouraient. Une fois la neige arrivée, Pat avait attelé les chevaux à un traineau, et elles avaient parcouru les routes de campagnes afin de déjeuner en ville. Pat avait découvert qu'elle pouvait parler à Eve avec de plus en plus d’aisance. Il lui était également plus facile de sortir parce qu’Eve pouvait faire la conversation pour deux si elle ne le voulait pas.

A Noël, elle avait retrouvé Eve chez elle pour la première fois. Cette dernière avait promis une soirée décontractée, mais converser avec des gens, cela n’avait rien de décontracté pour Pat. Elle s’était soigneusement habillée. Un jean noir taillé sur mesure, un pull à col roulé de la même couleur qu’elle avait glissé dans la ceinture de son jean, et ses longs cheveux noirs attachés en arrière à l’aide d’un cordon en cuir. Elle s'était observée dans le miroir. Elle était tout ce qu’Eve n'était pas, grande, brune et mince. Ses mains étaient puissantes et calleuse d’avoir travaillé dur. Elle écrivait, bien sûr, mettant sur papier ce qu'elle ne pouvait dire, mais cela ne semblait pas très passionnant. Pendant un instant, elle envisagea de téléphoner et de dire qu'elle était malade mais comment faire si jamais les mots ne voulaient pas sortir ? Et si elle inquiétait Eve ? Non, elle devait y aller.

Eve l’avait accueillie à la porte et l'avait embrassée sur la joue avant de la conduire dans la pièce, sa main dans la sienne.

– Tout le monde, je vous présente ma petite amie, Pat Harrison, l'auteure.

Eve lui avait vraiment facilité les choses. Elles n'avaient jamais parlé de la véritable nature de leur relation avant. Elles ne s’étaient jamais embrassées. Mais grâce à Eve, tout était arrivé cette nuit-là. La pièce était remplie de gens extrêmement artistiques et individualistes, mais personne ne lui mit la pression pour qu’elle parle. Plusieurs personnes avaient apporté des livres afin qu’elle les signe. Eve lui avait ouvert la voie. Pat avait fini la soirée avec son bras autour de sa taille et saluant chaque invité d’un signe de tête. Puis elle avait passé la nuit chez Eve, et elles avaient fait l'amour pour la première fois. Elles avaient passé Noël ensemble et le jour du Nouvel An, lorsque minuit avait sonné, elles étaient sorties à l’extérieur, tronçonneuse à la main et avaient percé la clôture puis la haie afin de faire une porte.

Elles étaient désormais en Février. Le jour de la Saint Valentin. Pat avait répété toute la semaine. Elle avait nettoyé la maison, préparé un dîner spécial pour elles et acheté des fleurs pour Eve. Elle lui avait acheté une bague aussi. Maintenant, elle n’avait plus qu’à trouver les mots.

Eve avait apporté un vin spécial. Le dîner s'était bien passé, même si Pat avait du mal à sortir les mots. Il y avait beaucoup trop en jeu ce soir-là.

– Mon cœur, qu'est-ce qui se passe ? Tu sembles terriblement tendue ce soir, demanda Eve tandis qu'elles sirotaient ce qu’il restait du vin au coin du feu.

Le moment était arrivé. Pat inspira profondément puis expira avant de se redresser sur un genou. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle essaya de nouveau.

– Je... veux...

Eve se pencha en avant et l'embrassa.

– Oui.

Puis les mots vinrent.

– V... veux, tu m’... m’épouser ? Je t’... t’aime.

– Je t'aime aussi.

Pat glissa fièrement la bague au doigt d’Eve, puis tendit une main et s’empara de l'une des roses rouges qu'elle avait offertes à Eve un peu plus tôt.

– Elles signifient, je t’... t’aime dans le langage des fleurs.

 

- Fin -

17 juin 2013

Chapitre 4

– Mariage, non mais je t’en foutrais du mariage moi, marmonna Sarah tandis qu’elle parcourait couloirs après couloirs, deux gardes du corps sur les talons.

– A droite, Madame.

Sarah s’arrêta subitement puis fit demi-tour et se posta à quelques centimètres seulement de l’un des deux bulldogs qui l’accompagnaient – elle avait aussitôt décidé de ne retenir aucun prénom, surtout parce qu’ils se ressemblaient tous avec leurs crânes dégarnis et leurs costumes trois-pièces. Mais aussi parce que cela sous-entendrait qu’elle compterait rester pour un certain temps, et ça, il en était hors de question.

– Pardon ? lâcha-t-elle, levant la tête pour pouvoir le regarder.

L’homme fronça les sourcils.

– Le bureau de Madame Maena se trouve sur votre droite, Madame.

– Madame..., répéta Sarah, agacée. Merci, mais c’est « Sarah », ou « mademoiselle ». Compris ?

Les deux hommes échangèrent un rapide coup d’œil.

– Mais Madame Maena nous a –

– Je m’en fous ! s’exclama Sarah en reprenant sa route. Madame Maena elle peut aller se faire voir, pour tout ce que j’en ai à foutre !

Les doubles portes s’ouvrirent au moment même où elle prononçait ces dernières paroles et elle s’arrêta aussitôt lorsque Maena leva les yeux vers elle depuis son bureau, un sourcil haussé :

– Ah ? s’étonna-t-elle, un léger rictus au coin des lèvres. Avec vous j’espère, alors.

Sarah ignora la réplique et s’avança jusqu’à être au centre de la pièce.

– Vous avez demandé à me voir ?

– Hmm, je suis ravie de voir que vous faites de nouveau partie du monde des vivants.

Sarah regarda autour d’elle et cette fois-ci, Maena ne ressentit pas son envie de s’échapper, mais plutôt un certain... mal être.

– Vous êtes claustrophobe ?

Sarah fut surprise de déceler une touche d’inquiétude.

– Si je dis oui, vous me laisserez partir ? contra-t-elle aussitôt, un sourcil haussé.

Maena l’observa un moment avant de désigner la chaise lui faisant face.

– Asseyez-vous.

Sarah soupira avant d’obtempérer.

– Bon, de quoi donc vouliez-vous me parler, chère épouse ? commença-t-elle d’une voix moqueuse.

– De votre installation dans la chambre principale, enchaîna aussitôt Maena. Nous sommes mariées, après tout.

Sarah en perdit aussitôt son sourire.

– Vous déconnez là ?

Maena garda le silence avant d’imperceptiblement hocher la tête.

– On peut discuter un peu plus sérieusement, maintenant ?

– C’est pas comme si j’avais réellement le choix, marmonna Sarah avant de remarquer pour la première fois l’immense tableau situé juste derrière Maena.

Elle y reconnut aussitôt cette dernière, debout en arrière-plan et vêtue d’une magnifique robe de mariée blanche. Son regard bleu était presque électrisant, mais ce n’était rien comparé au sourire qui illuminait son visage ; Sarah n’eut pas besoin d’être un génie pour deviner qu’elle était au comble du bonheur lorsque la peinture avait été réalisée.

Son regard dévia ensuite un peu plus bas sur la toile, vers la personne assise sur une chaise juste devant Maena, un magnifique bouquet corail entre les mains. Elle est sublime, pensa aussitôt Sarah alors qu’elle passait d’un regard vert rieur à de longs cheveux blonds puis à une silhouette digne des plus grands magazines de mode. Son sourire était semblable à celui de Maena et Sarah devina aisément qu’elle était tout aussi heureuse qu’elle en ce jour si particulier.

– J’imagine que votre femme fait partie du complot ? demanda-t-elle d’un ton sarcastique tout en reportant son attention sur sa kidnappeuse.

– Non, répondit Maena avant de se pincer l’arête du nez, visiblement agacée. Et ce tableau aurait dû être retiré hier comme je l’avais demandé.

– Pourquoi ? s’étonna Sarah avant de se pencher légèrement vers l’avant et chuchoter de manière conspiratrice. Vous avez enfin compris que c'était totalement snob d’avoir des peintures à son effigie chez soi ?

Maena plissa légèrement les yeux, un léger sourire au coin des lèvres et Sarah crut pendant un instant qu’elle était amusée. Elle se recula, perplexe.

– Vous êtes vraiment bizarre, vous savez, déclara-t-elle. Et puis, je peux savoir pourquoi vous m’avez kidnappé ? Parce qu’avec une demeure pareille, j’aurais un peu de mal à croire au coup de la rançon contre ma libération.

– Et vous avez bien raison, répondit Maena avant de s’interrompre lorsqu’elle vit le regard de Sarah s’arrêter sur l’iPhone qui reposait juste à côté d’elle.

Elle réfléchit un instant avant de le lui tendre.

– Allez-y. Appelez.

Sarah hésita visiblement.

– C’est quoi le piège ? demanda-t-elle, sur la réserve.

– Il n’y en a pas. Mais si vous ne voulez pas...

– Si ! Je prends, s’exclama Sarah avant que Maena n’ait eu le temps de reposer le téléphone.

Elle l’observa un moment avant de relever soudainement la tête :

– Et si j’appelais les flics ?

Maena haussa les épaules, reportant son attention vers les papiers éparpillés devant elle :

– Vous ne le ferez pas, je vous fais confiance, répondit-elle d’un air absent.

Sarah haussa les sourcils avant de grimacer, réalisant qu’elle serait en effet incapable de briser la confiance que sa kidnappeuse venait justement de placer en elle. Sarah Emily Delgado tu es beaucoup trop sage pour ton bien ! Elle redoutait surtout les conséquences que cela pourrait avoir, Maena aussi bien que ses bulldogs n’auraient aucun mal à lui briser la nuque avant qu’elle n’ait eu le temps d’hurler « au secours ».

Dans un soupir résigné, elle composa le numéro et porta le téléphone à son oreille. On décrocha au bout de la troisième sonnerie.

– Allo ?

– Eva ? s’exclama aussitôt Sarah avant de relâcher un soupir de soulagement. C’est Sarah. Je te dérange pas ?

Il y eut un léger rire à l’autre bout de la ligne.

– Outre le fait que je suis méga surprise que tu sois déjà debout à à peine dix heures ? Non, je te rassure. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Sarah se mordit la lèvre inférieure. C’était tellement tentant... mais elle savait aussi que Maena aurait juste à tendre le bras pour lui arracher le téléphone, et qui sait ce que les gardes plantés derrière la porte pourraient lui faire ?

– Rien de particulier, mentit-elle. Je voulais juste savoir, est-ce que tu connais une certaine...

Elle leva les yeux vers sa kidnappeuse et réalisa pour la première fois qu’elle n’avait aucune idée de comment elle se nommait.

– Maena Beauregard, répondit Maena tout en apposant sa signature sur un document.

Sarah l’observa, surprise. On ne peut pas dire que son nom ne lui convienne pas, en tout cas. Elle répéta le nom puis attendit.

– Hmm pas grand-chose, répondit Eva, l’air pensif. Tout ce que je sais, c’est que c’est une chercheuse, qu’elle possède plusieurs laboratoires chez elle et que c’est là-bas qu’elle travaille. Il paraît qu’elle y reçoit les plus grands scientifiques du monde entier, et qu’elle fait partie des chercheurs les plus gratifiés que la recherche n’ait jamais connue malgré son jeune âge. A part ça... oh attends.

Sarah entendit de légers chuchotements avant que la voix d’Eva ne lui revienne.

– Liz me dit que sa mère la connaît, et que les rares fois où elle-même l’a vue, elle lui a foutu les jetons.

Sarah sut que Maena entendait tout de la conversation lorsqu’elle vit les doigts de cette dernière resserrer leur étreinte sur le stylo qu’elle tenait. Elle appuya légèrement sur le côté du téléphone afin de baisser le volume.

– Une chercheuse ? demanda-t-elle finalement. Sur quoi ?

– Aucune idée, répondit aussitôt Eva. Mais je pense qu’elle intrigue surtout parce qu’il paraît qu’elle ne met jamais le nez dehors. Personne ne sait ce qu’elle fabrique là-haut, dans sa grande demeure.

Sarah sentit les battements de son cœur s’accélérer, encore plus lorsqu’elle leva les yeux pour voir le regard de Maena qui l’observait intensément, comme si elle la sondait.

La voix d’Eva la ramena à la réalité.

– Ah désolée ma belle, mais je vais devoir te laisser. J’espère que je t’ai été utile. Pourquoi est-ce que tu voulais savoir tout ça, d’ailleurs ?

– Pour rien, répondit aussitôt Sarah. Comme ça. Simple curiosité.

– Hmm oh et Sarah ?

– Oui ?

Il y eut un léger silence avant que la réponse n’arrive, le ton soudainement sérieux surprenant Sarah :

– Je sais que les choses ne sont pas forcément... au beau fixe entre toi et Gwen mais la prochaine fois que tu décides de finir la nuit à l’hôtel, envoie lui au moins un petit sms, d’accord ? Elle s’est inquiétée de ne pas te voir rentrer cette nuit.

Un simple regard en direction de Maena et Sarah comprit aussitôt qu’Eva, elle, avait reçu un sms sur sa soi-disant nuit à l’hôtel. Mais pourquoi ne pas avoir prévenu Gwen également ?

La réponse de Sarah fut dénuée d’émotion :

– Je tâcherai de faire attention à l’avenir, déclara-t-elle avant qu’un peu de chaleur ne réapparaisse dans sa voix : Passe un bon weekend en famille.

– Merci, prends soin de toi ma belle et profite bien de tes vacances ! Bisous !

La ligne se coupa et Sarah grimaça aussitôt. Elle avait complètement oublié ses deux semaines de congés et elle douta fortement que le hasard y était pour quelque chose cette fois-ci.

– Satisfaite ? demanda Maena en récupérant son téléphone.

– Pas vraiment, répondit aussitôt Sarah.

 Un sentiment étrange s’empara d’elle lorsque son regard dévia de nouveau vers l’immense tableau et lorsqu’elle observa une nouvelle fois les longs cheveux blonds et les yeux verts de la femme de Maena, elle eut l’étrange impression de déjà l’avoir vue quelque part. C’était comme si...

Elle s’observait elle-même.

Sarah baissa les yeux vers l’alliance qui ornait son propre doigt, et elle sentit son cœur s’arrêter de battre.

– Attendez, c’est..., elle s’interrompit avant de lâcher un rire dénué d’humour : c’est une blague, hein ?

Lorsque Maena ne réagit pas, elle sentit le sang quitter son visage :

– Vous n’espérez quand même pas la remplacer par moi ?! s’exclama-t-elle, ahurie.

Elle sentit son agacement monter en flèche lorsque Maena l’ignora complètement pour continuer à signer ses papiers.

– Ça marchera jamais, je ne ressemble pas à ça. Je veux dire, c’est un véritable top model ! s’exclama-t-elle avant de marmonner, sarcastique : En même temps, c’est sûr, Miss Univers n’irait pas épouser Miss Choucroute.

Maena haussa les sourcils.

– Miss Univers ? Je ne suis pas Miss Univers, la moitié de la ville me craint tandis que l’autre moitié me déteste tout simplement !

– Et alors ? renchérit aussitôt Sarah. Tout le monde détestait Charlize Theron dans Blanche-Neige et le Chasseur mais ça ne les empêchait pas de la trouver super sexy quand même. Pas comme cette potiche de Blanche-neige, marmonna Sarah avant de secouer la tête. Et puis pourquoi est-ce que vous ne l’avez pas kidnappé elle, d’ailleurs, hein ? Parce que là, vous vous êtes carrément faite arnaquée sur la marchandise !

Maena remua une main dans les airs.

– Trop difficile.

– Oh... trop difficile, répéta Sarah, sarcastique. Alors vous vous êtes dit que vous alliez prendre la première potiche du coin, du moment qu’elle était blonde aux yeux verts !

Maena posa ses mains devant elle avant de soupirer :

– Vous êtes fatigante, vous savez ? Et vous n’avez absolument rien à envier à Charlize Theron.

Sarah s’apprêtait à protester avant de refermer subitement la bouche lorsque les paroles de Maena lui parvinrent. Elle sourit avant de plisser les yeux :

– C’est un compliment sincère, ou juste pour que j’arrête de me plaindre ?

Maena se contenta de sourire et Sarah soupira tout en croisant les bras sur sa poitrine.

– Elle a les cheveux longs, remarqua-t-elle.

Maena haussa les épaules.

– Elle les aura fait couper.

– Et pour les dix centimètres qu’elle a visiblement de plus que moi, vous comptez faire comment ?

– Vous porterez des talons, répondit aussitôt Maena avant de plisser des yeux, son regard détaillant Sarah de la tête aux pieds. Et peut-être un peu de rembourrage... vous êtes sûre de faire un 85B ? Parce que votre poitrine paraît plus... enfin moins...

 Sarah l’observa, la mâchoire pendante.

– Eh bien vous n’avez qu’à demander à la Reine d’Angleterre, elle doit le savoir elle ! gronda-t-elle avant de se redresser et quitter la pièce. Et c’est la dernière fois que vous faites une remarque déplacée sur mon physique !

Maena l’observa simplement s’éloigner, un léger rictus au coin des lèvres.

Les prochains jours promettaient effectivement d’être divertissants.

13 juin 2013

Chapitre 3

   Lorsque Sarah se réveilla, elle fut tout d’abord désorientée. Le décor qui s’offrait à elle était digne d’une résidence aristocratique, et elle se demanda un instant si, étant amie avec sa fille, elle ne s’était pas retrouvée chez la première ministre du pays par inadvertance.

   – Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? marmonna-t-elle tout en se redressant péniblement.

   Le lit sur lequel elle reposait semblait antique, avec des drapés de dentelle magnifiques et d’une taille qu’elle n’avait jamais vue. Et le reste du mobilier, éclairé à l’aide de bougies stratégiquement disposées ici et là, ne semblait pas en reste ; des meubles en bois de cerisier dont Sarah n’osa même pas imaginer la valeur, des coussins de soies éparpillés ici et là, une coiffeuse couleur ivoire...

   Du bruit retentit sur sa droite et elle tourna la tête juste à temps pour voir la porte s’entrouvrir légèrement, bien vite suivie d’une voix :

   – Je peux allumer la lumière ?

   Sarah haussa les sourcils de surprise. D’une part parce qu’elle n’aurait jamais pensé que son kidnappeur puisse être une femme, mais surtout qu’elle lui pose ce genre de question. Elle qui s’attendait à du « bouge pas ! » ; « ferme là ! » le tout parsemé de coup, elle en était... décontenancée. 

   C’est une amatrice, ou quoi ? Oh bon sang, dans quoi est-ce que je me suis encore fourrée moi...

   – Hum, oui ? répondit-elle finalement, perplexe.

   Le bruit d’un interrupteur que l’on enclenche se fit entendre, et Sarah plissa légèrement des paupières lorsque les trois immenses lustres en cristal qui ornaient le plafond de la chambre s’allumèrent progressivement. La porte s’ouvrit ensuite complètement et Sarah en oublia aussitôt de respirer lorsque sa kidnappeuse se tourna pour lui faire totalement face, un plateau entre les mains.

   – Doux jésus..., souffla-t-elle, figée sur place.

   Les mots fondirent littéralement sur sa langue et elle ne sut dire ce qui la troubla le plus. Ces yeux d’un bleu irréel, presque glacial, ou bien cette peau si crémeuse qu’elle semblait avoir été sculptée à même le marbre ? Jamais elle n’avait vu beauté si extraordinaire.

La chevelure brune qui retombait avec grâce sur ses épaules complétait le tableau, lui conférant un charme énigmatique qui renforçait sa séduction naturelle, et Sarah se demanda un instant si elle avait conscience de combien elle était splendide.

Une voix profonde et rauque la sortie de sa contemplation et elle fut aussitôt charmée par le léger accent néo-zélandais qu’elle y discerna :

   – Vous avez faim ? Je vous ai apporté le petit déjeuner.

Sarah haussa les sourcils avant de regarder autour d’elle.

   – Je... n’ai pas pour habitude de prendre mon déjeuner au beau milieu de la nuit.

   – Il est neuf heures, répondit aussitôt Maena.

Sarah tourna la tête vers les longs rideaux qui partaient du plafond pour venir frôler le sol et elle haussa les sourcils, impressionnée.

   – Wow. Vous pourrez remercier celui qui vous a vendu ça alors, même avec mes stores, la lumière filtre quand même.

Maena afficha un léger rictus tout en déposant le plateau sur le lit. Sarah était encore plus belle que lorsqu’elle l’avait vue pour la première fois ce jour-là, au travers de la vitre teintée de la limousine. Ses yeux verts lui rappelèrent aussitôt les feuilles naissantes, la verdure du printemps et ses cheveux blonds qui partaient quasiment dans toutes les directions à cause du sommeil lui conféraient un air indéniablement séduisant. Mais ce qui surprit agréablement Maena, c’était qu’elle s’avérait surtout très amusante.

Les prochains jours promettaient d’être divertissants.

   – Nous n’avons pas de fenêtres.

   – Pas de fenêtres ? s’étonna aussitôt Sarah en l’observant à nouveau. Elle lâcha un rire : Bien sûr. Et moi, je suis la reine d’Angleterre.

   – Qui sait ? Vous partagez sa petite taille, répondit Maena en prenant place à ses côtés. Allez-y, vérifiez si vous ne me croyez pas.

Sarah l’observa, indécise. Elle vient de faire une blague là ? Ou critiquer ma petite taille ? Elle plissa des yeux avant de descendre du lit puis se diriger vers les longs rideaux.

Doucement, elle tira avant de s’exclamer, horrifiée :

   – Oh mon Dieu, y a pas de fenêtres !

Maena leva les yeux au ciel.

   – Votre déjeuner va refroidir.

   – Je m’en fous ! s’exclama Sarah tout en regardant frénétiquement autour d’elle.

Elle réalisa aussitôt que le seul moyen de sortie était la porte et vu la position de sa kidnappeuse sur le lit, elle aurait peut-être le temps de...

   – N’y pensez même pas, coupa Maena sans même lever les yeux vers elle. Elle est verrouillée.

Sarah serra des dents avant d’hausser un sourcil :

   – Comment ? Il n’y a même pas de serrure !

   – Tout marche par empreintes ici. Marko est en train de s’occuper des vôtres, vous aurez accès aux autres pièces de la demeure d’ici quelques heures.

Sarah l’observa comme si elle avait perdu l’esprit.

   – Mais vous êtes folle hein, j’en ai rien à foutre des pièces de votre « demeure », s’exclama-t-elle en imitant des guillemets. J’ai rien à faire ici, alors ouvrez-moi cette porte, et laissez-moi partir !

Maena haussa un sourcil, imperturbable.

   – Votre déjeuner va refroidir.

   – Et puis qui n’a pas de fenêtres chez soi, franchement ? marmonna Sarah en regardant de nouveau autour d’elle. Non, laissez tomber, il ne faut pas que je m’échappe, bien sûr.

Maena se redressa et s’approcha jusqu’à poser ses mains sur les épaules de Sarah. Elle énonça clairement tout en la ramenant vers le lit :

   – Votre... déjeuner... va... refroidir, termina-t-elle en la forçant à s’assoir sur le rebord. Et la demeure tout entière a été dépossédée de ses fenêtres, à l’exception de la véranda. Je ne supporte pas le soleil. 

Sarah lâcha un rire nerveux :

   – Vous êtes quoi, un vampire ?

Maena haussa un sourcil avant d’afficher un léger sourire. Elle se pencha légèrement, le regard plongé dans celui de Sarah :

   – Qui sait ? ronronna-t-elle, bien consciente de l’intimidation qu’elle produisait.

Sarah avala de façon audible avant de détourner le regard.

   – Je... hum... et pourquoi est-ce qu’il y a une rose avec mon déjeuner ?! s’exclama-t-elle en relevant les yeux. Vous traitez toujours vos otages de cette façon ?

   – Je sais pas, vous êtes la première, répondit Maena en s’emparant de la dite rose.

Sarah haussa les sourcils avant de faire la moue. Elle a au moins le mérite d’être honnête, c’est déjà ça.

   – Qu’est-ce que vous faites ? grogna-t-elle lorsque Maena brisa la tige pour glisser la fleur à son oreille.

   – Une demoiselle se doit d’être présentable lorsqu’elle est demandée en épousailles.

Sarah haussa de nouveau les sourcils, avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’elle réalisa que Maena était sérieuse. Merde, faut vraiment que j’arrête les cocktails pour en venir à faire des rêves pareils !

   – Pardon ? demanda-t-elle avant de sursauter lorsque Maena s’empara de sa main gauche. Woah, la vache !

   – Je suis désolée, s’excusa aussitôt Maena en s’écartant. J’ai une mauvaise circulation du sang.

   – Nan ? Vraiment ? répondit aussitôt Sarah, sarcastique. A vivre dans un véritable cercueil aussi... regardez-vous, on dirait un cachet d’aspirine.

Maena se recula légèrement, le visage fermé et les yeux plissés.

   – Et vous, vous pourriez courir un peu plus, ça ne ferait pas de mal à votre culotte de cheval. Quand on sait que votre nom de famille, c’est Delgado, en plus...

Sarah écarquilla aussitôt les yeux, la mâchoire pendante.

   – Duh ! Merci !

   – Vous avez commencé, marmonna Maena en s’emparant à nouveau de sa main.

   – Et vous m’avez kidnappé ! s’exclama Sarah avant de gronder : c’est dans mon droit de vous haïr et de vous le faire savoir.

Maena haussa un sourcil avant de lever la main qu’elle tenait entre les siennes, un sourire satisfait sur les lèvres :

   – On a de la chance alors, puisque vous avez promis de m’aimer pour le meilleur, et pour le pire.

Sarah haussa les sourcils avant de remarquer l’alliance qui ornait désormais son annulaire gauche et elle s’évanouit.

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité