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⚢ Fictions lesbiennes ⚥
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εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

27 juin 2013

Chapitre 7

Sarah essuya la sueur de son visage avant d’enrouler la serviette autour de son cou et prendre la direction des cuisines. Maintenant qu’elle avait le droit d’entrer et sortir à sa guise, elle avait profité de la semaine passée pour visiter l’extérieur de l’impressionnante demeure, et avait aussitôt été agréablement surprise de découvrir l’immense étendue d’herbe parsemée ici et là de gigantesques pins et de chênes. Elle en avait aussitôt fait son domaine de prédilection pour son jogging matinal. Non pas qu’elle aimait spécialement courir, mais on lui avait récemment fait une remarque sur sa culotte de cheval, alors...

Sarah poussa les doubles portes et pénétra dans ce qu’elle avait rapidement nommé « l’antre d’Amy » : la cuisine. Sarah adorait l’endroit parce que cela lui rappelait toujours la première fois qu’elle avait mis les pieds dans un centre commercial quand elle était encore toute petite : c’était immense, et il y avait tellement de chose à regarder qu’elle ne savait jamais où s’arrêter.

– Bonjour Amy ! salua-t-elle d’un ton enjoué tout en venant prendre appui contre le premier plan de travail.

Son regard s’arrêta sur les divers plats lui faisant face et elle se sentit aussitôt saliver devant les divers croissants, pains au chocolat, pains aux raisins, pancakes au sirop d’érable et fruits qu’elle y discerna.

– Vous voulez ma mort, c’est ça ? gémit-elle en relevant les yeux. Parce qu’avec tout ça, je cours un peu pour rien, vous savez.

Amy lui offrit un sourire amusé avant de déposer un sachet de thé russe – au nom que Sarah avait rapidement qualifié d’illisible – dans une petite théière verte qu’elle remplit ensuite d’eau bouillante avant de la déposer devant Sarah.

– Non, déclara-t-elle. Je n’ai jamais dit que tout ce qui était étalé là était pour vous. La seule chose que vous m’avez demandé..., précisa-t-elle en désignant la petite théière, ...c’est un thé, et le voici, sourit-elle fièrement avant d’ajouter innocemment : ce n’est pas de ma faute si vous vous laissez tenter par ce que je prépare pour le reste de la demeure.

Sarah haussa les sourcils.

– C’est de ma faute, alors ? répliqua-t-elle, incrédule.

Le sourire d’Amy s’agrandit :

– C’est vous qui l’avez dit, répondit-elle avant de lui tourner le dos et regagner l’immense plan de travail qui occupait le centre de la pièce.

– Vous êtes lâche Amy, j’espère que vous en avez conscience ? demanda Sarah tout en s’emparant d’une assiette propre pour y déposer deux pancakes recouverts de sirop d’érable.

Un léger rire lui parvint et Sarah ne put s’empêcher de la suivre. Amy avait beau frôler la soixantaine, elle avait cependant su rester jeune dans sa tête et Sarah l’adorait pour ça. C’était d’ailleurs l’une des principales raisons pour laquelle elle venait toujours prendre son déjeuner en cuisine ; la compagnie d’Amy rimait toujours avec ambiance agréable et bons fous rires, et quoi de mieux pour bien commencer la journée ?

Les doubles portes situées de l’autre côté de la cuisine s’ouvrirent soudainement et Sarah sentit aussitôt son rire diminuer avant de finalement s’éteindre lorsqu’elle vit Maena entrer dans la pièce, les yeux fixés sur les boutons de manchette qu’elle avait visiblement du mal à accrocher.

Sarah avait remarqué, dès son premier jour dans l’immense demeure, que Maena était toujours soigneusement habillée, mais la tenue qu’elle revêtait aujourd’hui était tout simplement à couper le souffle. Un magnifique tailleur bleu nuit, si beau que Sarah pensa sincèrement qu’il avait été spécialement conçu pour elle, mais qui lui conférait surtout un air professionnel et renforçait cette assurance qui ne semblait jamais la quitter. 

Et puis il y avait ses cheveux, ses magnifiques cheveux longs couleur ébène, qui pour la première fois avaient été réunis à l’arrière de sa tête, dévoilant la parfaite harmonie de son visage et son sublime regard bleu glacé.

Sarah sursauta lorsqu’elle reçut une serviette en papier en plein visage et rougit furieusement lorsqu’elle perçut l’air totalement amusé d’Amy. Elle grimaça. Tu viens de te faire griller ma vieille !

– Amy ? demanda distraitement Maena, son attention toujours portée sur ses boutons de manchette. J’ai un rendez-vous assez important d’ici une demi-heure, vous voudrez bien faire monter deux cafés et quelques gâteaux à grignoter dans mon bureau ?

– Absolument Madame, répondit Amy avant d’écarter les mains de Maena et placer son bouton de manchette à sa place.

Le visage de Maena trahi aussitôt son soulagement et sa reconnaissance.

– Merci Amy, déclara-t-elle en exerçant une légère pression sur les mains de la vieille femme. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans vous.

Amy remua aussitôt une main dans les airs tout en retournant à ses fourneaux. 

– Comme tout le monde, vous aviseriez, taquina-t-elle. Cela dit, j’en connais une qui aurait volontiers proposé son aide si vous le lui aviez demandé...

Maena haussa un sourcil parfaitement épilé avant de suivre le regard d’Amy et tourner la tête en direction de Sarah. Son regard sembla légèrement s’assombrir lorsqu’elle la détailla lentement de la tête aux pieds – et Sarah jura qu’elle s’attardait sur les étendues de peau non couvertes par son shorty et son débardeur – avant de remonter vers son visage. Ses beaux yeux clairs prirent soudainement une lueur brillante et Sarah en fut aussitôt alarmée, encore plus lorsque Maena s’approcha d’elle dans une démarche légèrement féline et que son regard dévia vers ses lèvres.

Elle ne va pas m’embrasser quand même, si ? pensa-t-elle soudainement, son regard essayant de sonder celui qui s’approchait d’elle un peu trop rapidement à son goût. Elle frissonna lorsqu’une main entra en contact avec son ventre légèrement découvert, mais fut rapidement rassurée lorsqu’elle sentit les lèvres de Maena se poser sur le dessus de sa tête.

Elle ne put cependant s’empêcher de fermer les yeux lorsque les prochaines paroles, emplies de douceur, furent prononcées :

– Bonjour toi.

Elle frissonna avant de lever ses yeux verts vers Maena. Elle pouvait bien jouer aussi, non ? Elle se redressa légèrement et l’embrassa sur la joue, juste au coin des lèvres.

– Et bonjour mon amour.

Maena haussa imperceptiblement les sourcils et Sarah remarqua aussitôt la légère coloration qui recouvrait progressivement ses traits. Elle afficha aussitôt un sourire vainqueur auquel Maena répondit en se penchant légèrement vers son oreille :

– Attention Sarah...  à jouer comme ça, tu pourrais perdre.

Sarah leva la tête de manière à croiser son regard.

– Et si j’avais justement envie de relever le défi, Madame Maena ? provoqua-t-elle aussitôt, un sourcil légèrement haussé, ignorant la petite voix à l’intérieur de sa tête qui lui demandait pourquoi diable est-ce qu’elle se mettait soudainement à flirter avec sa kidnappeuse ?

Maena l’observa un moment et Sarah put jurer que l’atmosphère autour d’elles venait de changer pour laisser place à quelque chose de différent. Elle ne savait pas quoi exactement, juste qu’elle ne pouvait pas détacher ses yeux de ceux de Maena. 

Cette dernière hocha finalement la tête, un petit sourire au coin des lèvres, avant de baisser les yeux vers sa tenue.

– J’espère que la séance de jogging a été agréable.

– Exactement, sourit aussitôt Sarah en se servant une tasse de thé. Tu devrais justement y penser toi aussi, le soleil est juste assez haut dans le ciel pour qu’il ne fasse pas trop frais, ni trop chaud. C’est parfait.  

Maena se figea instantanément à ses côtés et Sarah ne sut dire ce qui la troubla le plus, le regard désapprobateur d’Amy qu’elle pouvait percevoir du coin de l’œil, ou l’air mi-attristé, mi-apeuré de Maena. Mais lorsqu’elle voulut demander ce qu’elle avait bien pu dire de mal, Maena avait déjà reprit contenance.

– J’y penserai, répondit-elle finalement dans un sourire auquel Sarah ne crut pas du tout avant de relever les yeux vers Amy. Passez une bonne journée, Amy. Je repasserai vous voir un peu plus tard.

Son regard s’arrêta de nouveau sur Sarah et elle pressa doucement la partie du corps sur laquelle sa main reposait toujours avant de quitter la pièce.

Sarah tourna aussitôt la tête vers Amy, mais lorsqu’elle voulut lui demander qu’elle bourde exactement elle venait de commettre, elle se souvint soudainement des paroles que Maena avait eues quelques jours plus tôt. La demeure tout entière a été dépossédée de ses fenêtres, à l’exception de la véranda. Je ne supporte pas le soleil. 

– Elle ne supporte pas le soleil, répéta-t-elle bêtement avant d’afficher un air incrédule. Non mais quel genre de personne ne supporte pas le soleil, hein ?! Je lui ai juste proposé un jogging à l’orée du jour, pas une séance de bronzage à midi tapante !  

Amy afficha un sourire amusé. Elle qui pensait que Maena avait du caractère, elle allait peut-être revoir son jugement.

– Sarah, commença-t-elle en délaissant ce qu’elle faisait pour s’approcher d’elle. Vous pensez sincèrement qu’une personne qui ne supporterait simplement pas le soleil choisirait de passer sa vie entière dans une demeure entièrement dénuée de fenêtres ?

Sarah cligna plusieurs fois des paupières.

– N-non ? lâcha-t-elle

– Non, acquiesça Amy dans un sourire bienveillant tout en lui tendant sa tasse de thé et son assiette. Allez, filez vous installer dans la véranda, vous y serez bien mieux qu’ici.

Sarah hocha bêtement la tête avant de descendre de son tabouret, sa tasse de thé et son assiette entre les mains.

– Merci pour le petit déjeuner Amy, répondit-elle d’un air confus avant de quitter la pièce, les doubles portes se refermant derrière elle dans un bruit sourd.

💕

Lorsque Sarah pénétra dans la véranda, elle fut aussitôt surprise de voir qu’elle était déjà occupée par une femme nonchalamment appuyée contre l’une des immenses baies vitrées. Vêtue d’une salopette courte en chanvre jersey de couleur noire, un bonnet/béret recouvrait ses longs cheveux blonds qui reposaient nonchalamment sur ses épaules, et Sarah eut un petit coup de cœur pour les spartiates à talon qui complétaient la tenue.

Elle se mordit l’intérieur de la joue tout en penchant légèrement la tête sur le côté. Je me demande si je pourrais demander à Maena de me les procurer.

Son regard étudia une nouvelle fois la silhouette ô combien féminine qui lui faisait face, et lorsqu’elle remonta jusqu’à son visage, elle reconnut aussitôt de qui il s’agissait au large sourire qui illuminait son visage et à ses yeux presque aussi bleus que la nuit.

– Cassie ? s’étonna-t-elle en s’approchant. Qu’est-ce que tu fais ici ?

Cassie vint aussitôt la débarrasser de son fardeau avant de s’emparer de sa main gauche.

– Je garde toujours un œil sur ce dans quoi j’investis, répondit-elle dans un clin d’œil. Toi, par contre, il faut que tu m’expliques ça, poursuivit-elle en désignant son alliance. Or blanc et diagonales croisées ornées d’un diamant. Très simple, mais c’est justement ça qui fait tout son charme, sourit-elle d’un air appréciateur.

Sarah se sentit légèrement rougir avant de prendre un air alerté. Cassie savait qu’elle et Maena étaient soi-disant mariées ?

– Attends, coupa-t-elle en levant une main. Tu... tu l’as su comment ?

– Par ton compte Facebook, bien sûr, répondit aussitôt Cassie avant de porter une main à son cœur et battre des cils. T’as déjà oublié l’adooooorable photo de vous deux que tu as posté ? Bon, évidemment, les gens ne savent pas si c’est de l’info ou de l’intox, mais ils préfèrent y croire ; ça fait jaser.

Sarah sentit le sang quitter son visage.

– Cassie... quand tu dis « les gens »...

– Oh je t’en prie Sarah, soupira Cassie en levant les yeux au ciel. La ville entière connait Maena, principalement parce qu’elle intrigue à rester constamment enfermée dans cette immense demeure. Tu allais forcément attirer les curieux.

Elle s’interrompit avant de prendre un air concerné :

– D’ailleurs, ne le prends pas mal, mais... tu es sûre que c’est ce que tu veux ? Je veux dire, être avec Maena, c’est accepter toutes les concessions qui vont avec. Je ne sais pas si je supporterais une vie entière enfermée entre quatre murs. Et puis le simple fait d’imaginer qu’un simple contact avec la lumière du jour pourrait lui être fatal...

Elle frissonna.

– Je crois que je passerais mon temps à m’inquiéter pour elle, admit-elle, grimaçante. Bon par contre, je te préviens, Eva est à deux doigts de te trucider pour ne rien nous avoir dit, poursuivit-elle, imperturbable. Liz se demande simplement ce qui a bien pu te passer par la tête pour accepter une telle demande de Carmilla en personne et moi et Kate te remercions simplement ; la presse ne nous a jamais laissé aussi tranquille qu’en ce moment, sourit-elle fièrement.

Sarah se contenta de l’observer bêtement. Cassie pouvait être une véritable mitraillette parfois, et là, il y avait tout simplement beaucoup trop d’éléments nouveaux à assimiler pour qu’elle puisse produire une réponse.

– D’ailleurs, tu l’as rencontrée comment, Maena ? poursuivit Cassie, sa curiosité piquée. Tu n’as jamais rien laissé paraître sur une quelconque relation entre vous deux...

Sarah grimaça intérieurement. De toutes les questions qu’elle aurait pu poser, il fallait qu’elle choisisse celle-là. Elle maudit soudainement Maena d’avoir pris soin de penser au contrat de mariage, mais pas à la rencontre. Et comme par hasard, il faut que ça tombe sur moi !

– Eh bien... euh... err... au musée, s’exclama-t-elle soudainement avant de reprendre contenance. J’assistais à une exposition sur le nu victorien et Maena était là. Tu sais, comme elle est fan et tout...

Cassie hocha doucement la tête, pensive.

– Et la demande ? s’exclama-t-elle soudainement avant de prendre un air rêveur. Je suis sûre que Maena a un côté romantique...

Sarah repensa au contexte dans lequel c’était arrivé et elle retint difficilement un rire.

– Errr... on peut dire ça, oui. Elle m’a demandé ma main au réveil, pendant le petit déjeuner.

Elle réfléchit avant d’ajouter soudainement :

– Elle a glissé une rose dans mes cheveux juste avant.

– Awww, répondit aussitôt Cassie, charmée. Célibataire, j’aurais carrément tenté ma chance, ajouta-t-elle, taquine. Ta femme intimide peut-être la moitié de la population, mais personne ne peut nier son charisme. Je veux dire, elle est littéralement à tomber ! s’exclama-t-elle avant de se mordre la lèvre inférieure. Et ce mouvement de hanche qu’elle a parfois...

Un sentiment désagréable s’empara de Sarah à entendre Cassie parler ainsi de Maena mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder qu’elle entendit des pas résonner soudainement derrière elle.

– Madame Spigarelli ? demanda Bulldog n°5. Madame Maena vous attend dans son bureau.

Cassie hocha la tête d’un air entendu, un sourire poli sur les lèvres avant de reporter son attention sur Sarah.

– Je vais devoir partir juste après notre rendez-vous, mais on s’organise quelque chose bientôt, d’accord ? Tu nous dois des détails croustillants !

Sarah grimaça intérieurement et l’observa s’éloigner avant de soudainement demander :

– Cassie ! De quel genre d’investissement tu parlais, au juste ?

Cassie lui offrit un regard confus.

– Eh bien, en ce qui concerne son petit secret, bien sûr, répondit-elle comme si c’était l’évidence même. A plus tard !

Sarah l’observa jusqu’à ce qu’elle ait disparu, perplexe. Son petit secret ? Elle repensa soudainement à ce que Cassie lui avait dit, quelques instants plus tôt. Carmilla... Carmilla... Carmilla, la Comtesse Mircalla Karnstein ? Et puis le simple fait d’imaginer qu’un simple contact avec la lumière du jour pourrait lui être fatal...

Sarah avala difficilement sa salive,le visage pâle. Elle aurait visé juste depuis le début alors ? Et ce sans même le savoir ?

Elle écarquilla les yeux. Oh mon dieu.

– Numéro... err... merde, comment il s’appelle lui ? Michael ? tenta-t-elle en tournant la tête vers le bulldog qui gardait la porte.

Elle fut soulagée lorsqu’elle le vit aussitôt s’approcher.

– Mademoiselle ?

– J’aurais besoin... d’un chien, déclara-t-elle subitement. Oh ouais, c’est une bonne idée ça. Un énorme chien. Genre super gros, et... et... et super intimidant. Gros et intimidant. Vous pensez que vous pouvez me trouver ça ?

L’homme l’observa bêtement.

– Euh... je... hum, oui, Mademoiselle.

Sarah sourit aussitôt.

– Et j’en ai besoin pour hier, ajouta-t-elle en lui tapotant gentiment l’épaule.

Elle éprouva un malin plaisir à l’entendre déglutir de façon audible.

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24 juin 2013

Chapitre 6

Les doubles portes s’ouvrirent aussitôt lorsque Sarah se présenta devant la chambre de Maena trois jours plus tard. Une dame âgée d’une cinquantaine d’année, Amy, était venue l’informer quarante-huit heures plus tôt que sa kidnappeuse allait être assez occupée durant les jours suivants et qu’elle avait soi-disant déclaré que « Mademoiselle Sarah était libre d’aller et venir dans la demeure afin de s’occuper en attendant. »

Sarah avait passé les deux bonnes heures suivantes à être folle de rage. Non seulement cela signifiait qu’elle allait passer les quelques « jours suivants » retenue contre son gré, mais qu’en plus Maena se permettait de lui dicter ce qu’elle devait faire en attendant, pour l’amour du ciel ! En réponse, elle n’avait pas quitté la chambre de la soirée et s’était rapidement endormie pour un sommeil sans rêve. Mais aussitôt le jour venu – uniquement indiqué à l’aide de l’horloge murale qui ornait sa chambre – Sarah s’était préparée en vitesse et avait obéit à Madame à la lettre dans le secret espoir de trouver une faille et pouvoir s’échapper d’ici le plus rapidement possible.

Elle avait été rapidement déçue. Chaque recoin de l’immense demeure était gardé par un bulldog, quand ce n’était pas un employé qui circulait ici et là. Sarah en avait d’ailleurs vu plusieurs vadrouiller avec des chemises blanches sur le dos comme elle-même en portait lors de ses cours de physique-chimie au lycée, et elle avait été très loin d’être rassurée. Et puis il y avait eu toutes ces pièces auxquelles l’accès lui était refusé, ce qui, en plus de passablement l’agacer, l’intriguait au plus haut point. Qu’avait donc à cacher Maena ? Elles étaient trop nombreuses pour qu’il ne s’agisse que d’éléments en lien avec son intimité, et puis Sarah avait vu des employés y pénétrer, alors pourquoi pas elle ?

Elle avait par contre été agréablement surprise par l’ensemble des pièces dans lesquelles elle avait pu entrer. Entre piscine chauffée et coin jacuzzi au sous-sol, petit salon avec bar et table de billard, la salle de réception et son orchestre philharmonique... mais surtout : la véranda. Sarah y avait à peine mis les pieds qu’elle avait su d’avance que cela allait être sa pièce préférée. D’une part, parce qu’elle était uniquement entourée d’immenses baies vitrées laissant filtrer le soleil qu’elle n’avait pas vu depuis une journée toute entière, d’autre part, parce qu’à cette simple vision, Sarah avait réellement pris conscience de combien il était parfois éprouvant de vivre simplement entourée de quatre murs sans aucune vue sur l’extérieur.

Je me demande comment ils font tous pour supporter ça et ne pas devenir fou.

Et puis, alors qu’elle prenait place sur l’un des nombreux canapés qui occupait l’endroit, elle avait découvert ce sur quoi donnait la véranda : un petit jardin magnifique, essentiellement constitué d’une grande étendue d’herbe avec un bassin en son centre et divers rosiers éparpillés ici et là, le tout entouré d’une haie soigneusement taillée. C’était simple, mais ça ressemblait à un véritable petit paradis sur terre.

– Tu comptes rester plantée là toute la journée, ou au moins me faire part de ce qui me vaut une visite aussi matinale ?

Sarah sursauta légèrement lorsque la voix de Maena lui parvint et elle regarda autour d’elle. Les doubles portes avaient été refermées derrière elle et elle réalisa qu’elle avait laissé ses pensées prendre le pas sur la réalité pendant un petit moment. Elle quitta le vestibule d’entrée pour atterrir dans un petit salon qu’elle trouva tout à fait charmant avec sa petite table de bois vernis, ses fauteuils paraissant ô combien confortable et surtout, surtout l’imposante cheminée de pierre.

– Et pourquoi est-ce que je n’ai pas tout ça dans ma chambre, moi ? marmonna-t-elle avant de lever les yeux vers les différents tableaux qui ornaient la pièce.

Sarah les reconnut aussitôt, étant elle-même une grande admiratrice de l’art victorien, et elle ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle aperçut son tableau favori.

Lilith.

John Collier avait selon elle fait quelque chose de remarquable, car la jeune femme au teint et cheveux clairs qu’il avait dépeint pouvait tout aussi bien s’appeler Eve si l’on reprenait l’histoire du serpent. Mais ce que Sarah aimait surtout, c’était la précision et la maîtrise du détail. Elle trouvait cela tout simplement époustouflant. Et cette sensualité qui se dégageait... Sarah trouvait d’ailleurs que c’était bien là que s’opérait sa préférence pour Lilith. Contrairement à Eve, elle dégageait quelque chose de fort, d’attirant. Une véritable femme fatale parfaitement consciente de l’effet qu’elle produisait. Contrairement à Eve qui représentait surtout la femme docile à l’homme, aussi idéale que génitrice.

Sarah détourna finalement le regard pour le poser sur les doubles portes qui menaient vers la pièce maîtresse. Grandes ouvertes, elles laissaient percevoir un faible halo de lumière et Sarah s’avança jusqu’à voir la grande silhouette de Maena allongée de tout son long sur le lit. La jeune femme avait revêtu une tenue de sport noire – excepté pour les trois bandes blanches qui s’étendaient de chaque côté de son corps – extrêmement moulante et Sarah se retrouva comme hypnotisée par l’étendue de peau qu’elle pouvait percevoir au niveau de sa taille.

La jambe droite de Maena bougea légèrement et Sarah remonta aussitôt vers son visage, surprise de voir qu’elle avait les yeux fermés et semblait dormir paisiblement. Ses cheveux étaient réunis en une queue de cheval haute et Sarah grimaça lorsqu’elle perçu le bandage blanc qui recouvrait l’arrière de sa tête. Elle retourna vers son visage et sursauta presque lorsqu’elle vit un œil bleu glace l’observer tranquillement en retour.

Elle se racla légèrement la gorge.

– Ça va ? demanda-t-elle avant de remarquer les cernes qui entouraient ses yeux. Tu as l’air extenué.

Maena hocha doucement la tête.

– J’ai pas mal travaillé ces derniers jours.

– Oh. Je suis vraiment désolée pour... pour ta tête. C’est toujours douloureux ?

– Ne le sois pas, soupira Maena en se frottant les yeux. Je t’ai kidnappé après tout ? Comme tu le disais, c’est dans ton droit de me haïr et de me le faire savoir.

Sarah fut surprise par la douleur qu’elle ressentit à se voir retourner ses propres paroles contre elle, mais fut encore plus surprise par le ton morne dont Maena faisait usage.

Elle s’approcha jusqu’à venir s’accroupir au bord du lit, de manière à ce que son visage soit à hauteur de celui de Maena.

– Peut-être, répondit-elle doucement. Mais je n’ai pas pour habitude de frapper les femmes.

Elle ne dit pas « les gens » car depuis son enlèvement, elle savait pertinemment qu’elle pourrait frapper n’importe quel homme qui s’amuserait à vouloir la violenter. Les femmes aussi, admit-elle finalement après réflexion. Mais là n’était pas la question, Maena ne s’était jamais montrée menaçante envers elle, malgré la situation complètement loufoque dans laquelle elle se trouvait.

– J’ai frappé une fille quand j’étais en cinquième une fois, poursuivit-elle avant de grimacer. Je me suis cassé un doigt, et je me suis aussitôt promis de ne plus jamais frapper personne depuis.

Elle laissa un faible sourire apparaître sur ses lèvres.

– D’ailleurs, c’est moi la fille retenue contre son gré dans l’histoire, commença-t-elle dans l’espoir d’arracher un sourire à Maena – pour une raison qu’elle ignorait, elle ne supportait pas de la voir si... triste, abattue, presque comme... vide. Qui me dit que je n’ai pas de soucis à me faire de ce côté-là ?

Elle sut aussitôt au regard qui lui répondit que sa plaisanterie n’avait pas fonctionnée.

– Personne ne lèvera jamais la main sur toi ici, Sarah, soupira Maena. Et tu n’es pas retenue contre ton gré. D’ailleurs...

Elle leva son poignet et tira légèrement sur sa manche afin de dévoiler une fine montre en or blanc qu’elle tourna aussitôt afin de dévoiler le côté sur lequel se trouvait l’attache. Sarah fut surprise d’y découvrir quatre minuscules boutons et Maena fronça légèrement les sourcils avant d’appuyer sur la première touche puis approcher son poignet de ses lèvres.

– « Michael ? ... Veuillez escorter Mademoiselle Sarah jusqu’à la limousine. ... Non, qu’elle passe par ses quartiers avant, aidez là à emmener tout ce qu’elle désire garder. ... Oui... oui, elle nous quitte. Définitivement. ... Merci Michael. »

Maena replaça sa manche avant de laisser sa tête reposer contre l’oreiller. Elle leva les yeux vers Sarah et l’observa calmement.

– Michael t’attend dans le couloir. Prends ce que tu veux dans ton dressing, la totalité de son contenu sera livré chez toi dans la journée. Je ne pourrais rien en faire de toute façon et puis, c’est bien la moindre des choses que je puisse faire pour t’avoir gardé prisonnière pendant trois jours, non ?

Sarah se contenta de l’observer bêtement, peu sûre de ce qui était en train de se passer.

– Donc... je peux partir ?

Maena hocha simplement la tête.

– Vraiment ? s’étonna Sarah en se redressant d’un bon. Je peux rentrer chez moi, reprendre ma vie, sans qu’on ne vienne jamais me ramener ici ?

– Sarah, soupira Maena avant de fermer de nouveau les yeux. Pars. Juste... pars.

Sarah n’eut pas besoin de se le faire dire deux fois et elle s’éloigna aussitôt avant de subitement s’arrêter une fois arrivée à hauteur de la porte.

– Et l’héritage ? s’exclama-t-elle soudainement. Je croyais que tu risquais de tout perdre si on ne suivait pas le testament...

Il y eut un léger silence avant que la réponse n’arrive :

– Ma grand-mère disait toujours qu’il fallait savoir faire des sacrifices dans la vie, parce qu’elle finirait toujours par nous le rendre. Je suppose que j’aurais juste à attendre et voir. Qui sait ? La chance me sourira peut-être un jour.

Sarah sentit aussitôt la culpabilité s’abattre sur elle face aux paroles de Maena et à son ton abattu.

– Tu n’as pas l’air de lui en vouloir, remarqua-t-elle simplement.  

– Elle était ma meilleure amie, je suis sûre qu’elle avait une bonne raison derrière tout ça.

Sarah leva les yeux au ciel :

– Maena, elle te force à vivre avec une étrangère pendant six mois sous peine de perdre ton héritage ! Tu peux me dire quelle bonne raison elle a bien pu avoir ? Parce que mis à part me faire perdre mon temps et mon travail, je vois pas moi hein !

Maena tourna la tête vers elle :

– C’est ton point de vu, répondit-elle avant de lui tourner le dos à nouveau. Maintenant pars Sarah, j’aimerais dormir.

Sarah observa la porte à nouveau, puis Maena, et elle monta soudainement sur le lit avant de s’arrêter juste derrière la forme allongée. Elle posa une main sur son épaule et secoua légèrement la tête :

– Non, répondit-elle avant de s’emparer du poignet de Maena.

Elle tira légèrement sur la manche sous un regard bleu des plus confus avant d’appuyer sur le premier bouton puis accola son oreille contre celle de Maena.

– « Michael ? » appela-t-elle, rapprochant le poignet de Maena à ses lèvres. « C’est Sarah. »

La réponse lui parvint faiblement :

– « Oui, Mademoiselle ? »

– « Oubliez ce que Mae... errr... Madame Maena vous a dit, je vais rester dans le coin pour quelques temps encore. »

– « Oh. Très bien. »

Maena tenta de récupérer son poignet mais Sarah tint bon, elle poursuivit :

– « Oh, et Michael ? »

– « Oui, Mademoiselle ? »

– « Vous devez vous y connaître en sport de combat, est-ce que vous savez frapper sans laisser de marques ? »

Maena lui offrit aussitôt un air à la fois surpris et horrifié mais Sarah décida de l’ignorer avant d’ajouter :

– « Je pense que Madame Maena aurait très sérieusement besoin qu’on lui remette les idées en place, mais, voyez-vous, ça m’embêterait d’abimer un si joli visage. »

Sarah fut ravie de voir Maena rougir furieusement mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder qu’une voix emplie d’inquiétude et d’incertitude lui répondit :

– « Mademoiselle ? »

Sarah retint difficilement un rire.

– « Oubliez la dernière partie, Michael. Je plaisantais. Bonne journée. »

– « Bien Mademoiselle », répondit l’homme, visiblement soulagé. « Bonne journée. »

Sarah s’écarta légèrement afin de pouvoir clairement observer le visage de Maena et posa un doigt sur ses lèvres lorsque cette dernière chercha à prendre la parole.

– Six mois, je te donne six mois. Mais en contrepartie, je veux pouvoir sortir à l’extérieur comme bon me semble ; je promets de ne pas te faire faux bon. Et pas de contrat de mariage. Je prétendrai être ton épouse, mais pas de contrat officiel. Deal ?

Maena ouvrit la bouche avant de la refermer.

– Le notaire est un ami de longue date de la famille, ça devrait pouvoir se faire, répondit-elle enfin, un léger rictus au coin des lèvres. Ce sera tout ?

– Nan, répondit aussitôt Sarah avant de légèrement tirer sur le haut de Maena. Je veux savoir où se trouve la salle de sport aussi, je ne l’ai pas trouvé la dernière fois, expliqua-t-elle avant de taquiner légèrement : il paraît que je dois faire attention à ma culotte de cheval.

Maena détourna aussitôt le regard, légèrement embarrassée.

– Sur ta droite en sortant, au bout du couloir. Demande à Michael si tu ne trouves pas.

Sarah haussa un sourcil.

– J’y aurais accès ?

– Comme à tout le reste de la demeure, répondit aussitôt Maena tout en reposant sa tête sur l’oreiller.

Sarah se redressa aussitôt.

– Menteuse ! Une tonne de pièce me sont interdites !

Maena haussa un sourcil face au soudain excès de colère.

– Uniquement celles en lien avec mon travail, répondit-elle. Tu n’as rien à y faire.

– Et pourquoi pas ? contra aussitôt Sarah, suspicieuse. Je te laisserais jeter un œil à mon travail, moi.

Maena l’observa, incrédule.

– Bien sûr, tu es écrivaine ! s’exclama-t-elle avant d’hausser un sourcil. Quoique, laisse-moi en douter, je ne pense pas que tu dévoilerais tes futures intrigues à n’importe qui.

Sarah détourna aussitôt les yeux ; elle marquait un point, même si elle fut passablement surprise que Maena soit au courant de son statut d’auteure.

– Je ne saurai pas sur quoi tu travailles, alors ?

– Rien qui ne t’intéresserait, répondit Maena en s’installant plus confortablement. Elle marmonna contre son oreiller : Et en ce qui concerne toutes tes requêtes, donne-moi juste une demi-heure, et je m’en occupe...

Même si elle la soupçonna fortement de changer de sujet pour ne pas avoir à répondre à ses interrogations, Sarah ne put retenir un sourire face à l’image que lui renvoyait tout à coup Maena, tellement à l’opposé de cette femme d’habitude toujours si imposante, sûre d’elle et impeccable.

Elle porta une main à son épaule qu’elle caressa doucement :

– Non, dors, ça peut largement attendre.

Maena posa une main sur la sienne et la pressa doucement en réponse avant de sombrer dans un profond sommeil.

20 juin 2013

Chapitre 5

Sarah sortait tout juste de la salle de bain lorsque de légers coups résonnèrent contre la porte de la chambre. Elle décida de les ignorer et se dirigea à la place vers la grande armoire qui longeait le mur, son peignoir fermement serré autour d’elle. Lorsqu’elle ouvrit le premier battant, elle fut aussitôt surprise par la douce odeur qui lui chatouilla les narines, un mélange de linge frais mais surtout de... d’huile de rose, pensa-t-elle soudainement, un léger sourire sur les lèvres. 

Elle tira légèrement sur le second battant et sentit aussitôt sa mâchoire s’affaisser lorsqu’elle leva les yeux. D’une grande armoire, il s’agissait en réalité d’un dressing de la taille d’une pièce toute entière et dont la lumière semblait automatiquement s’allumer une fois les portes grandes ouvertes. Le regard de Sarah s’arrêta aussitôt sur les nombreuses étagères de chaussures en tout genre, avant de dévier vers les robes toutes aussi sublimes les unes que les autres, puis les jeans, les petits hauts, les sous-vêtements, les accessoires... tout y était. Mais plus surprenant encore, Sarah savait à simple vue d’œil que tout, absolument tout, était à sa taille.

– Ça te plaît ?

Sarah sursauta avant de tourner la tête en direction de la porte de la chambre. Elle ne fut qu’à moitié surprise d’y voir Maena, les bras repliés autour d’une pochette qu’elle tenait serrée contre sa poitrine tout en attendant patiemment.

– Je ne me souviens pas t’avoir autorisé à entrer, répondit-elle finalement une fois qu’elle eut reprit contenance.

– Vu l’état dans lequel tu as quitté mon bureau, je ne m’attendais pas à ce que tu le fasses, commença Maena avant de désigner la pochette qu’elle tenait entre ses mains. Seulement, nous n’avons pas encore terminé notre conversation.

Sarah l’observa un instant avant de hausser un sourcil :

– On passe au tutoiement alors ?

– Tu connais beaucoup de couples qui se vouvoient, toi ? répondit aussitôt Maena avant de très légèrement sourire. Et puis, je viens de t’offrir une panoplie complète de sous-vêtements dessinés par les plus grands créateurs. Ça rapproche, non ?

Sarah retint difficilement un sourire.

- Dessinés par les plus grands créateurs, hein ? demanda-t-elle, un sourcil haussé. Tu es quoi, une riche héritière ? Parce que si la recherche paye si bien, je vais peut-être revoir mon plan d’avenir, finalement.

Maena abaissa le regard vers ses doigts qui tripotaient la pochette qu’elle tenait toujours entre ses mains.

– On peut dire ça comme ça, répondit-elle distraitement avant de relever la tête. Habille-toi, je t’attends.

Sarah l’observa, perplexe avant d’aller s’isoler dans le dressing et obtempérer.

💕

Une bonne demi-heure plus tard, et après de nombreux « oh mon Dieu, Jimmy Choo ! Et Coco Chanel ! Et Jean-Paul Gautier ! », Sarah ressortit finalement, un petit sourire embarrassé sur les lèvres.

– C’est bon, tu es prête ? demanda Maena, légèrement taquine, appréciant secrètement le caraco millesia et le jean moulant pour lesquels Sarah avait finalement optés.

Sarah acquiesça d’un signe de tête avant de la rejoindre à hauteur du lit, et elle s’y assit lorsque Maena l’y invita.

Maena s’apprêtait à prendre la parole mais elle s’interrompit lorsque Sarah regarda continuellement autour d’elle avant de bouger centimètres par centimètres. 

– Qu’est-ce que tu fais ?

Sarah redressa aussitôt la tête.

– J’ai peur de les abimer, grimaça-t-elle en désignant ses vêtements. Ça doit coûter une fortune !

 Maena leva aussitôt les yeux au ciel.

– C’est fait pour être porté, alors assis toi comme tu le sens et ne t’occupe pas du reste.

– D’accord, d’accord, marmonna Sarah tout en prenant appui contre le rebord du lit. Alors ? Qu’est-ce que tu voulais me dire ? Parce que si je peux enfin espérer obtenir des réponses, n’hésite pas, hein, lance-toi !

Maena s’empara de sa pochette et en sortit un paquet de feuilles qu’elle tendit à Sarah.

– J’ai besoin que tu lises ceci.

Sarah plissa les yeux afin de lire l’entête de la première feuille. Testament. Elle leva un regard surpris vers Maena.

– En général, quand on présente ça, c’est que quelqu’un nous a quitté..., commença-t-elle, appréhensive.

– Granny. Que tu connais certainement sous le nom de –

– Je sais qui c’est, coupa aussitôt Sarah en portant une main à son visage. La ville toute entière la connait. En même temps, comment pourrait-il en être autrement ? Elle a fait tellement pour nous tous...

Sarah ne put retenir un faible sourire lorsqu’elle se souvint de sa rencontre avec cette vieille femme au sourire toujours bienveillant. Elle venait tout juste d’entrer en sixième ce jour-là, dans ce que ses parents appelaient « la cour des grands » et elle en avait aussitôt détesté ce nouveau monde. Les mentalités y étaient différentes, beaucoup plus affirmées et pour cette petite fille victime de bégayement depuis son plus jeune âge, elle en avait beaucoup souffert.

Elle était sortie en pleurs à la fin de la journée et s’était appuyée contre le petit muret qui longeait la route afin d’attendre que sa maman vienne la chercher. Elle avait baissé la tête et fermé très fort les yeux dans l’espoir de se couper du monde qui l’entourait. Et puis, une main s’était glissée sous son menton, et avait doucement relevé son visage avant de sécher ses larmes. 

Sarah s’était aussitôt glissée dans les bras accueillants, soucieuse de recevoir ce réconfort maternel dont elle avait désespérément besoin. Une main avait répondu à sa demande en caressant son dos dans de tendres va-et-vient et elle s’était simplement laissée aller, évacuant la frustration qu’elle avait ressenti toute la journée.

Puis, alors que ses larmes s’étaient enfin taries, elle avait remarqué que quelque chose ne collait pas. La douce odeur de jasmin qui lui chatouillait habituellement les narines était différente. Elle s’était alors reculée, confuse, avant de rougir furieusement lorsqu’elle avait croisé un regard bleu ciel à la fois inquiet et chaleureux.

– Elle m’a dit qu’elle avait un secret pour moi, murmura Sarah en reprenant pied avec le présent.

– Pardon ? 

La voix de Maena lui parvint et Sarah leva les yeux vers elle avant de s’essuyer les joues lorsqu’elle réalisa qu’elle pleurait.

– Elle m’a demandé ce que j’avais ce jour-là, lorsqu’elle m’a vu pleurer à la sortie du collège. Je lui ai dit que je bégayais et que tout le monde s’était moqué de moi et... et elle m’a dit qu’elle avait un secret pour moi. Elle m’a demandé quel était mon livre préféré, et lorsque je le lui ai dit, elle m’a répondu qu’elle était sûre que si je le relisais à voix haute, je ne bégayerai pas. 

– Et ça a marché ? demanda Maena, visiblement intriguée.

Sarah secoua légèrement la tête :

– Pas le premier soir. Mais je l’ai revue le lendemain, au même endroit. Elle m’a demandé de ne pas me concentrer sur les mots, mais plutôt de laisser les images pénétrer dans mon esprit et simplement me perdre dans l’histoire. J’ai aussitôt essayé une fois entrée à la maison, et au bout de quelques minutes, j’ai senti qu’on me soulevait littéralement de ma chaise et mes parents étaient là, à me féliciter et me serrer contre eux.

Elle lâcha un léger rire :

– Ils étaient en extase, et moi je me suis simplement mise à pleurer d’incrédulité et de soulagement. Ça a demandé un peu d’entraînement, bien sûr, mais elle m’a redonné confiance, et pour ça... pour ça je lui en serai toujours reconnaissante.

Maena baissa les yeux vers la pochette qu’elle tenait entre ses mains :

– Elle aurait été contente d’entendre ça.

– J’aurais aimé le lui dire, répondit Sarah avant de se passer une main sur le visage. Bon sang, j’arrive pas à croire qu’elle soit partie. C’est arrivé quand ?

– Il y a deux mois. Le médecin nous avait dit que son cœur fatiguait, on y était plus ou moins préparés.

Sarah l’observa un instant.

– Elle était ta grand-mère, pas vrai ? Vous avez les mêmes yeux.

– Elle était surtout ma meilleure amie, admit Maena avant de désigner le paquet de feuilles que Sarah tenait toujours entre ses mains. C’est le testament qu’elle nous a laissé.

Sarah l’observa, confuse, avant d’abaisser les yeux vers le paquet de feuilles. Elle le parcourut silencieusement avant de lâcher un rire dénué d’humour.

– Cette fois-ci c’est sûr, c’est le rêve le plus long et le plus dingue que j’ai jamais fait, déclara-t-elle en secouant la tête. Moi qui l’avais pourtant trouvé très saine d’esprit...

Le visage de Maena se ferma aussitôt :

– Sarah... n’insulte pas la mémoire de ma grand-mère.

– Je suis désolée, s’excusa aussitôt Sarah en désignant le testament. Mais admet que là, elle a pété une durite hein ! Maena, je ne l’ai vu qu’une dizaine de fois dans ma vie à tout casser, et elle veut que j’hérite de la moitié de... 

Elle désigna autour d’elle :

– ... tout ça ? C’est insensé !

– Peut-être, admit Maena avant de préciser : mais c’est uniquement sous certaines conditions.

Sarah lui offrit un regard confus et Maena lui désigna le paragraphe concerné. Elle le lut à voix haute :

– « Pour bénéficier de votre héritage, vous devrez toutes les deux vivre dans la demeure pendant six mois à compter de la lecture de ce testament, sans ne jamais quitter les lieux plus d'une semaine durant cette période. Une fois la durée écoulée, si les termes ont été respectés, vous hériterez chacune d'une moitié. Vos parts ne pourront être vendues ou cédées qu'à l'une des bénéficiaires et ce pendant une période de cinq ans. »

Elle releva les yeux vers Maena :

– Oh je te rassure, tu peux d’ores et déjà avoir ma part, il est hors de question que je vive ici pendant six mois !

– Lis la suite.

Sarah plissa des yeux avant d’obtempérer :

– « Chaque parti devra respecter les dispositions énoncées précédemment sous peine de voir la demeure léguée à la ville afin d’être classée monument historique. »

Le visage de Sarah devint livide.

– Laisse-moi deviner, la demeure appartient à ta famille, et si je dis non... c’en est fini, c’est ça ?

– C’est ça, acquiesça doucement Maena.

Sarah se passa les mains sur les tempes, la colère faisant de nouveau surface.

– C’est dégueulasse, j’ai rien demandé moi ! Je vivais tranquillement de mon côté et il a fallu que tu me fasses kidnapper pour ensuite me mettre au pied du mur ! C’était vraiment indispensable ça d’ailleurs ?

Maena détourna simplement le regard et Sarah sentit sa frustration monter en flèche :

– Je ne veux pas de ta demeure, Maena. J’ai aucune envie de foutre six mois de ma vie en l'air pour un tas de pierres qui ne représente rien pour moi. Pas question ! Fais-en ce que tu veux, mais moi j'ai rien à faire ici ! C’est... c’est... insensé !

– Tu l’as déjà dit.

Sarah la fusilla du regard.

– Annule ou oppose ou je sais pas moi mais je ne veux rien avoir avec ça, ou toi ou Granny !

– C’est impossible, la loi l’interdit. Et puis, je croyais que tu lui étais reconnaissante ? répondit aussitôt Maena, un sourcil haussé. Tu ne crois pas qu’accepter la moitié d’une demeure dont la valeur s’élève à plusieurs millions d’euros serait justement une belle preuve ?

– Très drôle Maen – plusieurs millions d’euros ?! s’interrompit Sarah, incrédule. Wow la vache, c’est sûr que dit comme ça..., commença-t-elle avant de secouer la tête afin de s’éclaircir les idées. Aaah non, je ne peux pas rester ici pendant six mois Maena, j’ai une vie, un travail, des amis...

Elle s’apprêtait à ajouter une chérie mais elle ne savait plus trop où elles en étaient de ce côté-là.

Maena l’interrompit en prenant place à ses côtés :

– Sarah, tu t'en fiches peut-être mais c'est important pour moi. Je suis née ici, j’y ai passé toute ma vie et je ne perdrai pas ce qui me revient de droit. Ça m’est impossible. Seulement, je ne peux pas le faire sans toi.

Sarah se mordit l’intérieur de la joue avant de soupirer :

– J’ai besoin d’y réfléchir.

– Non.

Sarah leva aussitôt les yeux vers elle :

– Non ? répéta-t-elle, incrédule. Tu ne peux pas me forcer à rester ici si j’en ai pas envie !

– Oh tu crois ? répondit Maena, défiante avant d’ouvrir sa pochette à nouveau et en sortir un paquet de feuilles qu’elle tendit à Sarah. J’ai besoin que tu signes ça.

 Sarah plissa les yeux afin de lire l’entête de la première feuille et elle lâcha un rire dénué d’humour.

– Jamais.

Maena lui tendit un stylo.

– En bas à gauche, et sur les cinq feuilles.

– Maena, gronda Sarah en reposant le contrat sur le lit. Je ne signerai pas ces fichus papiers ! Il est hors de question que je t’épouse et il est hors de question que je reste ici !

– On n’a pas le choix, c’est inscrit sur le testament.

Sarah haussa les sourcils de surprise.

– Sérieux ? demanda-t-elle avant de jeter un œil. Oh la salo... errr... hors de question !

– C’est pas grave, je me suis entrainée à imiter ta signature, répondit Maena en récupérant le tas de feuilles.

– Hein ? s’exclama aussitôt Sarah avant de lui voler le stylo. Quand ? Comment ?!

– Tu penses que j’accepterai de choisir n’importe quelle épouse sans la connaître un minimum avant ? répondit aussitôt Maena en récupérant son stylo.

Sarah l’observa, ahurie.

– Tu m’as espionnée ?!

– Bien sûr, répondit distraitement Maena en apposant la signature de Sarah sur la première page du contrat.

Sarah lui arracha le stylo des mains avant de lancer à l’autre bout de la pièce.

– Combien de temps ?

– Dès... que j’ai eu vent du testament, hésita Maena avant de sortir un autre stylo de la poche arrière de son pantalon.

Sarah s’en empara et le brisa en deux avant de récupérer le paquet de feuilles et le placer au-dessus des bougies qui encadraient la tête de lit. Elles ne mirent pas bien longtemps avant de s’enflammer et elle afficha un petit sourire satisfait avant de reporter son attention sur Maena.

Elle fut surprise de la voir littéralement sauter du lit et s’écarter jusqu’à prendre refuge contre le mur.

– Je croyais que tu voulais y apposer ma signature ? déclara-t-elle innocemment tout en tendant le contrat dans sa direction.

Maena ne détacha pas du regard le paquet de feuilles qui flambait, visiblement mal à l’aise.

– Sarah, arrête, tu vas finir par blesser quelqu’un avec ça.

– Ce ne sont que des feuilles qui brûlent, Maena, tempéra Sarah, surprise par son comportement. Regarde, il suffit d’incliner le paquet, et... hop, ça s’éteint.

Elle attendit un peu et rapidement, il ne resta rien de plus qu’un fin trait rouge.

– Tu vois ?

Maena s’approcha et s’empara du contrat du bout des doigts avant de le jeter dans la corbeille jouxtant la porte.

– Ce que je vois, c’est que tu es surtout complètement inconsciente, répondit-elle, visiblement irritée. J’en ai fait d’autres copies, je les signerai moi-même et t’en ferai parvenir un double.

– Non mais t’es pas possible hein ! s’exclama Sarah en levant les mains au ciel. Qu’est-ce qui n’est pas clair dans « je-n’ai-pas-envie-de-t’épouser ! » ?!

Maena haussa les épaules.

– Ca m’est égal ? répondit-elle, un sourcil haussé avant de se diriger vers la porte. Je te ferais parvenir les doubles demain matin.

Sarah cligna des paupières à plusieurs reprises, incrédule. Non mais je rêve...

– Et ta femme ? demanda-t-elle soudainement avant que Maena n’ait pu quitter la pièce. Elle est où ?

Elle vit Maena se figer avant que la réponse n’arrive :

– Elle est morte il y a deux ans. Cancer.

Sarah se sentit soudainement mal à l’aise.

– Oh. Euh, hum, je suis désolée...

Maena haussa les épaules.

– T’embête pas, on n’était pas vraiment ce qu’il y a de plus proche, répondit-elle d’une voix monocorde. C’était plus un soulagement qu’autre chose.

Sarah haussa les sourcils.

– Un soulagement ? répéta-t-elle, incrédule. Mais comment peut-on dire ça ? Pourtant, sur le tableau, vous sembliez...

– Heureuses ? Amoureuses ? proposa Maena en tournant la tête dans sa direction. On l’était, admit-elle avant de baisser les yeux. Mais il s’est écoulé dix années entre ce jour-là et son cancer. Les gens changent en dix ans, Sarah.

 Sarah ne sut dire si c’était dû à son ton soudainement mélancolique ou à sa posture abattue, mais elle sentit sa gorge se nouer et ses yeux se voiler légèrement.

– Pourquoi ne pas l’avoir quitté alors ? demanda-t-elle finalement en se raclant légèrement la gorge afin de s’éclaircir les idées. Si tu en es venue à la haïr.

– Elle m’était trop utile. Tout comme je lui étais trop utile. On a fini par simplement s’utiliser l’une l’autre.

– S’utiliser ? s’étonna Sarah.

Maena hocha la tête avant de relever les yeux vers elle.

– Elle possédait un patrimoine non négligeable et certains... talents dont je pouvais difficilement me passer. Elle trouvait la même chose chez moi.

Certains talents ? Sarah fronça les sourcils avant de rougir furieusement. Elle ne parle quand même pas de... ? L’embarras laissa rapidement place à la colère lorsqu’elle se souvint de quelle position elle-même était supposée prendre.

– J’arrive pas à y croire, commença-t-elle en portant ses mains à son visage avant que sa voix ne monte crescendo. Alors c’était ça son plan à ta grand-mère ? Elle voulait la remplacer alors hop ! elle s’est dit qu’elle allait prendre le premier bon parti du coin en faisant en sorte qu’elle soit baisable aussi pour qu’elle puisse te convenir à tous les niveaux ?! Non mais quel genre de taré fait ça ?!

Maena écarquilla les yeux face aux propos et au ton soudainement accusateur lancés dans sa direction avant de lever les mains au ciel.

– Oh je t’en prie Sarah, ton compte en banque n’a jamais dépassé les quatre chiffres ! Si elle avait voulu te choisir en fonction de ça, elle ne t’aurait jamais prise !

Sarah ouvrit la bouche avant de la refermer à plusieurs reprises, outrée par ce qu’elle venait d’entendre, mais plus encore lorsque Maena ne nia pas la seconde partie, avant de finalement désigner la porte :

– Dehors ! hurla-t-elle, pleine de rage.

Maena l’observa, surprise, avant de serrer des dents et obtempérer mais elle eut à peine le temps de poser une main sur la poignée qu’un objet vint violemment la heurter à l’arrière de la tête, et elle s’effondra sur le sol.

Sarah écarquilla les yeux.

– Oh merde.

💕

– Oh merde, oh merde, oh merde, répéta Sarah en descendant du lit et en se précipitant vers Maena. Mon Dieu faites que je ne l’ai pas tué, s’il vous plaît, s’il vous plaît, s’il vous plaît !

La chaussure qu’elle avait utilisée sous le coup de la colère reposait juste à côté de la tête de Maena et elle la récupéra d’une main tremblante, grimaçant lorsqu’elle vit que le talon était recouvert de sang.

– Oh non, non, non Maena je suis désolée, pleurnicha-t-elle tout en tâtant le corps allongé à côté d’elle d’une main hésitante. S’il te plaît, réveille-toi, s’il te plaît...

Sa main s’arrêta au niveau de son cou et elle fut soulagée de sentir que son cœur battait toujours, puis elle lâcha un cri aigu lorsque Maena se redressa soudainement et porta une main à sa bouche avant de la plaquer au sol.  

– Non mais t’es complètement folle ! gronda-t-elle, ses yeux bleus paraissant presque noir sous la colère qui l’habitait.

Sarah écarquilla les yeux de peur avant que la colère ne s’empare d’elle à son tour. Elle écarta la main de Maena d’un geste brusque.

– Et tu n’aurais jamais dû me kidnapper dans l’espoir de faire de moi ta petite pute personnelle tout ça parce que ta grand-mère en a décidé ainsi ! cracha-t-elle en retour.

Maena cligna des yeux, les paroles de Sarah lui provoquant l’effet d’une douche froide.

– Quoi ? lâcha-t-elle en se redressant. Je n’ai jamais... Sarah, Granny ne ferait jamais ça. Je ne te ferais jamais kidnapper pour ça, grimaça-t-elle, horrifiée. Je demanderais jamais...

– Tu as dit ne pas m’avoir choisi pour mon argent, mais tu n’as pas nié le reste.

Maena haussa les sourcils avant de se remémorer les paroles de Sarah. Alors c’était ça son plan à ta grand-mère ? Elle s’est dit qu’elle allait prendre le premier bon parti du coin en faisant en sorte qu’elle soit baisable aussi pour qu’elle puisse te convenir à tous les niveaux ?!

Elle se passa une main dans le cou, grimaçant face à la migraine qui commençait sérieusement à se manifester.

– Je suis désolée, Sarah. Il n’a jamais été de question de sexe. Et puis comment en es-tu venu à conclure une chose pareille ?

– Tu as parlé de talents dont tu ne pouvais pas te passer alors j’ai pensé que... 

Maena fronça les sourcils, confuse avant de se sentir soudainement rougir.

– Je ne sous-entendais absolument rien de sexuel, assura-t-elle, l’idée d’Alison la touchant la rendant même nauséeuse. Je ferais plus attention à mes propos à l’avenir.

Sarah se contenta de hocher bêtement la tête, surprise par les excuses inattendues, avant de grimacer lorsque Maena retira une main couverte de sang de ses cheveux.

– Oh Maena, je suis vraiment désolée...

– C’est rien, répondit aussitôt Maena en se redressant subitement.

Sarah put jurer qu’elle venait de sérieusement pâlir.

– Ça va ? demanda-t-elle en se relevant à son tour.

– Oui, répondit Maena avant de balbutier : je ne... je ne supporte pas la vue du sang. Bonne journée.

La seconde suivante, elle était partie, la porte se refermant derrière elle dans un léger « clic ».

19 juin 2013

Anne Azel - Le Langage des Fleurs (Academy Valentine 2003)

(Texte original ici : Anne Azel - The Language of Flowers)

 

Le terreau noir, rendu humide par la neige fondue, se cassa facilement sous la pelle de Pat. L'odeur de terre se mêla aux arômes du printemps, aux nouvelles pousses d’herbe, aux jonquilles et aux tulipes.

L'hiver avait apporté une quantité de neige idéale, offrant une couverture chauffante pour son jardin et ses champs et une fonte apaisante qui nettoya et réveilla la terre une fois de plus. Pat disposait d’une centaine d’hectares. Une petite ferme, mais qu’elle utilisait au maximum. La plus grande partie de la superficie était consacrée à la production de maïs, de foin et de paille pour ses deux chevaux, Gale et Storm. Puis il y avait une rangée de pommiers, de poiriers et de pruniers. A proximité des écuries et de sa petite serre se trouvaient des terres qu’elle avait elle-même irriguées afin d’y cultiver des légumes pour les marchés fermiers locaux. Mais son endroit favori se trouvait juste derrière la vieille maison de campagne. Un hectare de terre clôturé d’une haie de cèdres dans lequel Pat avait créé un jardin de rêve.

C'était là qu'elle avait travaillé dur, retournant la terre des plates-bandes et ajoutant de l'engrais pour les plantes annuelles qu'elle comptait planter cette saison. Elle se redressa et regarda autour d’elle. Sa ferme s’étendait sur une longue bande le long de la ligne de concession. Deux hectares de large et cinquante de long. Les côtés sud et ouest étaient bordés par des routes départementales tandis que plus loin, à l'est, on pouvait apercevoir la route principale qui menait en ville. Au nord, une haie de cèdres courait le long de son terrain, telle une ceinture verte. Originellement plantée par son grand-père comme barrière de protection contre le vent et l'érosion, elle était devenue un mur entre elle et le monde moderne. Du côté nord de la haie se trouvait une maison monumentale, symbole de l’expansion urbaine des années 1980. Pourquoi fallait-il que les citadins vivent à la campagne et fassent sans arrêt la navette, remplissant l'air de dioxyde de carbone et de bruit de moteur ? C'était à la ville qu'ils appartenaient, là où ils devraient être.

Elle se mit au travail jusqu'à ce qu’un mouvement de rideau attire son regard dans la grande maison située juste en face, à l’extrémité de sa propriété. C’était la Femme de ses Rêves ; celle qui occupait constamment ses pensées. Pat avait entendu dire qu'elle était danseuse de ballet au Winnipeg Ballet. Elle était magnifique, élancée et aussi gracieuse qu’une danseuse. Ses cheveux d’un blond argenté étaient coupés court, style Pixie. Elle était sportive aussi parce qu’à chaque fois qu’elle croyait Pat absente, elle escaladait la clôture en cèdre haute de plus de deux mètres qui entourait la piscine située juste derrière sa grande maison, puis redescendait à travers la haie de cèdre afin d’atterrir dans le jardin de Pat. Ces intrusions avaient commencé à l'automne dernier lorsque le jardin était à son apogée de sa splendeur automnale. Le rouge flamboyant des buissons avait laissé place aux bronzes profonds, aux violets et aux mauves des chrysanthèmes tandis que les choux et graminées d’ornements balançaient leurs plumes dans la brise. Des feuilles d'érable aux couleurs éclatantes atterrissaient doucement sur la surface de l'étang ou déferlaient parmi les petites chutes d'eau, servant de parapluies à la carpe d'or située sous les eaux. L'herbe était verte et luxuriante et les ornements de jardin accentuaient parfaitement la beauté naturelle qui les entourait. La Femme de ses Rêves explorait alors le jardin avec grâce, prenant note de chaque changement jusqu'à ce qu'elle ait rejoint un banc en bois sculpté sur lequel les rayons de soleil venaient s’écraser une fois la fin de l'après-midi arrivée. Elle y prenait place et écrivait. Pat trouvait qu’elle ressemblait à une reine des fées.

Il lui avait fallu une grande dose de courage mais au bout d’une semaine, Pat avait déposé quelques fleurs fraîchement coupées sur le banc ainsi que son propre livre ; « Le langage des fleurs » de Pat Durran et les photos se trouvant à l'intérieur venaient toutes de son jardin. Le petit bouquet était composé de fleurs de jasmin, symbole d'amabilité, afin de laisser la Femme de ses Rêves savoir qu'elle était la bienvenue. La Femme de ses Rêves avait pris les fleurs et quelques jours plus tard, une demi-douzaine de muffins faits maison avaient été déposées pour Pat sur le banc. La carte de remerciement avait été signée par Eve Harrison. C'était donc le nom de la Femme de ses Rêves. Les muffins, tout juste sortis du four, étaient délicieux. Ce qui avait fait sourire Pat.

Elles avaient communiqué pendant toute la durée de l’automne et ce de la meilleure façon qu’il soit selon Pat : par le biais des fleurs. Il y avait eu de délicates fleurs blanches, des soupirs de bébé pour le bonheur, des chrysanthèmes aux couleurs éclatantes pour l’amitié profonde, et le bambou, fort et confident, qu'elle avait cultivé dans sa serre et qui représentait la loyauté. En retour, des petits cadeaux apparaissaient; des muffins, un poème sur un papillon virevoltant dans son jardin, une nouvelle bêche ou parfois une carte peinte à la main disant merci.

Elles s'étaient officiellement rencontrées en Novembre, alors que Pat se trouvait dehors à réunir des feuilles en un énorme tas. Elle possédait une soufflante, mais elle l’utilisait rarement. La beauté de la saison était partout autour d’elle, dans l'air vif, dans le bruissement régulier du râteau qui réunissait les feuilles colorées en un tas et dans le bleu-merle du ciel. Pat avait mis en place un système sonore dans son jardin, et maintenant que l'automne était là, elle aimait faire résonner les mélodies envoûtantes des flûtes amérindiennes. Elle se sentait parfaitement sereine et détendue entourée par la beauté de son jardin. Soudain, une petite silhouette passa à côté d’elle en courant avant de sauter dans le tas de feuilles d'or, son rire résonnant dans les airs.

– Je suis Eve Harrison. Je ne pouvais pas résister à votre tas de feuilles et d'ailleurs, il était temps que nous nous rencontrions.

Pat rougit. Sa gorge se serra et la panique s’empara d’elle.

– Je... je... argh.

– Oui, je sais. Vous bégayez, sourit Eve tout en se redressant, frottant son pull en laine couleur crème afin de se débarrasser de quelques feuilles. C'est pas grave. Je parle suffisamment pour deux, de toute façon. Votre jardin est magnifique. Merci de m’avoir permis d’y séjourner cet automne et de m’avoir parlé de vos fleurs. Je n’avais pas l’intention d’entrer chez vous comme ça mais je ne pouvais pas m'en empêcher. C’est un vrai petit coin de paradis. J'aime la musique. Je vous ai vu l’installer. Vous êtes vraiment intelligente. Vous voulez bien danser avec moi ?

Avant même que Pat n’ait eu le temps de secouer négativement la tête, le corps chaud et svelte d'Eve était dans ses bras. Les feuilles d'or se dispersèrent autour d’elle et elles se retrouvèrent à danser sur un lit douillet de verdure. Elles dansèrent ensembles, intimement collées l’une contre l’autre et en silence. Eve s’écarta finalement dans un soupir résigné.

– Mes répétitions m’attendent. Merci.

La seconde suivante elle s’éloignait, traversant le jardin à petite foulée puis escaladant rapidement la haie avant de se laisser retomber de l'autre côté. Pat était restée là à l’observer, le sourire aux lèvres. Eve avait rendu la chose si facile.

Elles s’étaient régulièrement retrouvées au cours de l'automne ainsi qu’au début de l'hiver. Elles avaient monté Gale et Storm afin de galoper à travers les champs qui les entouraient. Une fois la neige arrivée, Pat avait attelé les chevaux à un traineau, et elles avaient parcouru les routes de campagnes afin de déjeuner en ville. Pat avait découvert qu'elle pouvait parler à Eve avec de plus en plus d’aisance. Il lui était également plus facile de sortir parce qu’Eve pouvait faire la conversation pour deux si elle ne le voulait pas.

A Noël, elle avait retrouvé Eve chez elle pour la première fois. Cette dernière avait promis une soirée décontractée, mais converser avec des gens, cela n’avait rien de décontracté pour Pat. Elle s’était soigneusement habillée. Un jean noir taillé sur mesure, un pull à col roulé de la même couleur qu’elle avait glissé dans la ceinture de son jean, et ses longs cheveux noirs attachés en arrière à l’aide d’un cordon en cuir. Elle s'était observée dans le miroir. Elle était tout ce qu’Eve n'était pas, grande, brune et mince. Ses mains étaient puissantes et calleuse d’avoir travaillé dur. Elle écrivait, bien sûr, mettant sur papier ce qu'elle ne pouvait dire, mais cela ne semblait pas très passionnant. Pendant un instant, elle envisagea de téléphoner et de dire qu'elle était malade mais comment faire si jamais les mots ne voulaient pas sortir ? Et si elle inquiétait Eve ? Non, elle devait y aller.

Eve l’avait accueillie à la porte et l'avait embrassée sur la joue avant de la conduire dans la pièce, sa main dans la sienne.

– Tout le monde, je vous présente ma petite amie, Pat Harrison, l'auteure.

Eve lui avait vraiment facilité les choses. Elles n'avaient jamais parlé de la véritable nature de leur relation avant. Elles ne s’étaient jamais embrassées. Mais grâce à Eve, tout était arrivé cette nuit-là. La pièce était remplie de gens extrêmement artistiques et individualistes, mais personne ne lui mit la pression pour qu’elle parle. Plusieurs personnes avaient apporté des livres afin qu’elle les signe. Eve lui avait ouvert la voie. Pat avait fini la soirée avec son bras autour de sa taille et saluant chaque invité d’un signe de tête. Puis elle avait passé la nuit chez Eve, et elles avaient fait l'amour pour la première fois. Elles avaient passé Noël ensemble et le jour du Nouvel An, lorsque minuit avait sonné, elles étaient sorties à l’extérieur, tronçonneuse à la main et avaient percé la clôture puis la haie afin de faire une porte.

Elles étaient désormais en Février. Le jour de la Saint Valentin. Pat avait répété toute la semaine. Elle avait nettoyé la maison, préparé un dîner spécial pour elles et acheté des fleurs pour Eve. Elle lui avait acheté une bague aussi. Maintenant, elle n’avait plus qu’à trouver les mots.

Eve avait apporté un vin spécial. Le dîner s'était bien passé, même si Pat avait du mal à sortir les mots. Il y avait beaucoup trop en jeu ce soir-là.

– Mon cœur, qu'est-ce qui se passe ? Tu sembles terriblement tendue ce soir, demanda Eve tandis qu'elles sirotaient ce qu’il restait du vin au coin du feu.

Le moment était arrivé. Pat inspira profondément puis expira avant de se redresser sur un genou. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle essaya de nouveau.

– Je... veux...

Eve se pencha en avant et l'embrassa.

– Oui.

Puis les mots vinrent.

– V... veux, tu m’... m’épouser ? Je t’... t’aime.

– Je t'aime aussi.

Pat glissa fièrement la bague au doigt d’Eve, puis tendit une main et s’empara de l'une des roses rouges qu'elle avait offertes à Eve un peu plus tôt.

– Elles signifient, je t’... t’aime dans le langage des fleurs.

 

- Fin -

17 juin 2013

Chapitre 4

– Mariage, non mais je t’en foutrais du mariage moi, marmonna Sarah tandis qu’elle parcourait couloirs après couloirs, deux gardes du corps sur les talons.

– A droite, Madame.

Sarah s’arrêta subitement puis fit demi-tour et se posta à quelques centimètres seulement de l’un des deux bulldogs qui l’accompagnaient – elle avait aussitôt décidé de ne retenir aucun prénom, surtout parce qu’ils se ressemblaient tous avec leurs crânes dégarnis et leurs costumes trois-pièces. Mais aussi parce que cela sous-entendrait qu’elle compterait rester pour un certain temps, et ça, il en était hors de question.

– Pardon ? lâcha-t-elle, levant la tête pour pouvoir le regarder.

L’homme fronça les sourcils.

– Le bureau de Madame Maena se trouve sur votre droite, Madame.

– Madame..., répéta Sarah, agacée. Merci, mais c’est « Sarah », ou « mademoiselle ». Compris ?

Les deux hommes échangèrent un rapide coup d’œil.

– Mais Madame Maena nous a –

– Je m’en fous ! s’exclama Sarah en reprenant sa route. Madame Maena elle peut aller se faire voir, pour tout ce que j’en ai à foutre !

Les doubles portes s’ouvrirent au moment même où elle prononçait ces dernières paroles et elle s’arrêta aussitôt lorsque Maena leva les yeux vers elle depuis son bureau, un sourcil haussé :

– Ah ? s’étonna-t-elle, un léger rictus au coin des lèvres. Avec vous j’espère, alors.

Sarah ignora la réplique et s’avança jusqu’à être au centre de la pièce.

– Vous avez demandé à me voir ?

– Hmm, je suis ravie de voir que vous faites de nouveau partie du monde des vivants.

Sarah regarda autour d’elle et cette fois-ci, Maena ne ressentit pas son envie de s’échapper, mais plutôt un certain... mal être.

– Vous êtes claustrophobe ?

Sarah fut surprise de déceler une touche d’inquiétude.

– Si je dis oui, vous me laisserez partir ? contra-t-elle aussitôt, un sourcil haussé.

Maena l’observa un moment avant de désigner la chaise lui faisant face.

– Asseyez-vous.

Sarah soupira avant d’obtempérer.

– Bon, de quoi donc vouliez-vous me parler, chère épouse ? commença-t-elle d’une voix moqueuse.

– De votre installation dans la chambre principale, enchaîna aussitôt Maena. Nous sommes mariées, après tout.

Sarah en perdit aussitôt son sourire.

– Vous déconnez là ?

Maena garda le silence avant d’imperceptiblement hocher la tête.

– On peut discuter un peu plus sérieusement, maintenant ?

– C’est pas comme si j’avais réellement le choix, marmonna Sarah avant de remarquer pour la première fois l’immense tableau situé juste derrière Maena.

Elle y reconnut aussitôt cette dernière, debout en arrière-plan et vêtue d’une magnifique robe de mariée blanche. Son regard bleu était presque électrisant, mais ce n’était rien comparé au sourire qui illuminait son visage ; Sarah n’eut pas besoin d’être un génie pour deviner qu’elle était au comble du bonheur lorsque la peinture avait été réalisée.

Son regard dévia ensuite un peu plus bas sur la toile, vers la personne assise sur une chaise juste devant Maena, un magnifique bouquet corail entre les mains. Elle est sublime, pensa aussitôt Sarah alors qu’elle passait d’un regard vert rieur à de longs cheveux blonds puis à une silhouette digne des plus grands magazines de mode. Son sourire était semblable à celui de Maena et Sarah devina aisément qu’elle était tout aussi heureuse qu’elle en ce jour si particulier.

– J’imagine que votre femme fait partie du complot ? demanda-t-elle d’un ton sarcastique tout en reportant son attention sur sa kidnappeuse.

– Non, répondit Maena avant de se pincer l’arête du nez, visiblement agacée. Et ce tableau aurait dû être retiré hier comme je l’avais demandé.

– Pourquoi ? s’étonna Sarah avant de se pencher légèrement vers l’avant et chuchoter de manière conspiratrice. Vous avez enfin compris que c'était totalement snob d’avoir des peintures à son effigie chez soi ?

Maena plissa légèrement les yeux, un léger sourire au coin des lèvres et Sarah crut pendant un instant qu’elle était amusée. Elle se recula, perplexe.

– Vous êtes vraiment bizarre, vous savez, déclara-t-elle. Et puis, je peux savoir pourquoi vous m’avez kidnappé ? Parce qu’avec une demeure pareille, j’aurais un peu de mal à croire au coup de la rançon contre ma libération.

– Et vous avez bien raison, répondit Maena avant de s’interrompre lorsqu’elle vit le regard de Sarah s’arrêter sur l’iPhone qui reposait juste à côté d’elle.

Elle réfléchit un instant avant de le lui tendre.

– Allez-y. Appelez.

Sarah hésita visiblement.

– C’est quoi le piège ? demanda-t-elle, sur la réserve.

– Il n’y en a pas. Mais si vous ne voulez pas...

– Si ! Je prends, s’exclama Sarah avant que Maena n’ait eu le temps de reposer le téléphone.

Elle l’observa un moment avant de relever soudainement la tête :

– Et si j’appelais les flics ?

Maena haussa les épaules, reportant son attention vers les papiers éparpillés devant elle :

– Vous ne le ferez pas, je vous fais confiance, répondit-elle d’un air absent.

Sarah haussa les sourcils avant de grimacer, réalisant qu’elle serait en effet incapable de briser la confiance que sa kidnappeuse venait justement de placer en elle. Sarah Emily Delgado tu es beaucoup trop sage pour ton bien ! Elle redoutait surtout les conséquences que cela pourrait avoir, Maena aussi bien que ses bulldogs n’auraient aucun mal à lui briser la nuque avant qu’elle n’ait eu le temps d’hurler « au secours ».

Dans un soupir résigné, elle composa le numéro et porta le téléphone à son oreille. On décrocha au bout de la troisième sonnerie.

– Allo ?

– Eva ? s’exclama aussitôt Sarah avant de relâcher un soupir de soulagement. C’est Sarah. Je te dérange pas ?

Il y eut un léger rire à l’autre bout de la ligne.

– Outre le fait que je suis méga surprise que tu sois déjà debout à à peine dix heures ? Non, je te rassure. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Sarah se mordit la lèvre inférieure. C’était tellement tentant... mais elle savait aussi que Maena aurait juste à tendre le bras pour lui arracher le téléphone, et qui sait ce que les gardes plantés derrière la porte pourraient lui faire ?

– Rien de particulier, mentit-elle. Je voulais juste savoir, est-ce que tu connais une certaine...

Elle leva les yeux vers sa kidnappeuse et réalisa pour la première fois qu’elle n’avait aucune idée de comment elle se nommait.

– Maena Beauregard, répondit Maena tout en apposant sa signature sur un document.

Sarah l’observa, surprise. On ne peut pas dire que son nom ne lui convienne pas, en tout cas. Elle répéta le nom puis attendit.

– Hmm pas grand-chose, répondit Eva, l’air pensif. Tout ce que je sais, c’est que c’est une chercheuse, qu’elle possède plusieurs laboratoires chez elle et que c’est là-bas qu’elle travaille. Il paraît qu’elle y reçoit les plus grands scientifiques du monde entier, et qu’elle fait partie des chercheurs les plus gratifiés que la recherche n’ait jamais connue malgré son jeune âge. A part ça... oh attends.

Sarah entendit de légers chuchotements avant que la voix d’Eva ne lui revienne.

– Liz me dit que sa mère la connaît, et que les rares fois où elle-même l’a vue, elle lui a foutu les jetons.

Sarah sut que Maena entendait tout de la conversation lorsqu’elle vit les doigts de cette dernière resserrer leur étreinte sur le stylo qu’elle tenait. Elle appuya légèrement sur le côté du téléphone afin de baisser le volume.

– Une chercheuse ? demanda-t-elle finalement. Sur quoi ?

– Aucune idée, répondit aussitôt Eva. Mais je pense qu’elle intrigue surtout parce qu’il paraît qu’elle ne met jamais le nez dehors. Personne ne sait ce qu’elle fabrique là-haut, dans sa grande demeure.

Sarah sentit les battements de son cœur s’accélérer, encore plus lorsqu’elle leva les yeux pour voir le regard de Maena qui l’observait intensément, comme si elle la sondait.

La voix d’Eva la ramena à la réalité.

– Ah désolée ma belle, mais je vais devoir te laisser. J’espère que je t’ai été utile. Pourquoi est-ce que tu voulais savoir tout ça, d’ailleurs ?

– Pour rien, répondit aussitôt Sarah. Comme ça. Simple curiosité.

– Hmm oh et Sarah ?

– Oui ?

Il y eut un léger silence avant que la réponse n’arrive, le ton soudainement sérieux surprenant Sarah :

– Je sais que les choses ne sont pas forcément... au beau fixe entre toi et Gwen mais la prochaine fois que tu décides de finir la nuit à l’hôtel, envoie lui au moins un petit sms, d’accord ? Elle s’est inquiétée de ne pas te voir rentrer cette nuit.

Un simple regard en direction de Maena et Sarah comprit aussitôt qu’Eva, elle, avait reçu un sms sur sa soi-disant nuit à l’hôtel. Mais pourquoi ne pas avoir prévenu Gwen également ?

La réponse de Sarah fut dénuée d’émotion :

– Je tâcherai de faire attention à l’avenir, déclara-t-elle avant qu’un peu de chaleur ne réapparaisse dans sa voix : Passe un bon weekend en famille.

– Merci, prends soin de toi ma belle et profite bien de tes vacances ! Bisous !

La ligne se coupa et Sarah grimaça aussitôt. Elle avait complètement oublié ses deux semaines de congés et elle douta fortement que le hasard y était pour quelque chose cette fois-ci.

– Satisfaite ? demanda Maena en récupérant son téléphone.

– Pas vraiment, répondit aussitôt Sarah.

 Un sentiment étrange s’empara d’elle lorsque son regard dévia de nouveau vers l’immense tableau et lorsqu’elle observa une nouvelle fois les longs cheveux blonds et les yeux verts de la femme de Maena, elle eut l’étrange impression de déjà l’avoir vue quelque part. C’était comme si...

Elle s’observait elle-même.

Sarah baissa les yeux vers l’alliance qui ornait son propre doigt, et elle sentit son cœur s’arrêter de battre.

– Attendez, c’est..., elle s’interrompit avant de lâcher un rire dénué d’humour : c’est une blague, hein ?

Lorsque Maena ne réagit pas, elle sentit le sang quitter son visage :

– Vous n’espérez quand même pas la remplacer par moi ?! s’exclama-t-elle, ahurie.

Elle sentit son agacement monter en flèche lorsque Maena l’ignora complètement pour continuer à signer ses papiers.

– Ça marchera jamais, je ne ressemble pas à ça. Je veux dire, c’est un véritable top model ! s’exclama-t-elle avant de marmonner, sarcastique : En même temps, c’est sûr, Miss Univers n’irait pas épouser Miss Choucroute.

Maena haussa les sourcils.

– Miss Univers ? Je ne suis pas Miss Univers, la moitié de la ville me craint tandis que l’autre moitié me déteste tout simplement !

– Et alors ? renchérit aussitôt Sarah. Tout le monde détestait Charlize Theron dans Blanche-Neige et le Chasseur mais ça ne les empêchait pas de la trouver super sexy quand même. Pas comme cette potiche de Blanche-neige, marmonna Sarah avant de secouer la tête. Et puis pourquoi est-ce que vous ne l’avez pas kidnappé elle, d’ailleurs, hein ? Parce que là, vous vous êtes carrément faite arnaquée sur la marchandise !

Maena remua une main dans les airs.

– Trop difficile.

– Oh... trop difficile, répéta Sarah, sarcastique. Alors vous vous êtes dit que vous alliez prendre la première potiche du coin, du moment qu’elle était blonde aux yeux verts !

Maena posa ses mains devant elle avant de soupirer :

– Vous êtes fatigante, vous savez ? Et vous n’avez absolument rien à envier à Charlize Theron.

Sarah s’apprêtait à protester avant de refermer subitement la bouche lorsque les paroles de Maena lui parvinrent. Elle sourit avant de plisser les yeux :

– C’est un compliment sincère, ou juste pour que j’arrête de me plaindre ?

Maena se contenta de sourire et Sarah soupira tout en croisant les bras sur sa poitrine.

– Elle a les cheveux longs, remarqua-t-elle.

Maena haussa les épaules.

– Elle les aura fait couper.

– Et pour les dix centimètres qu’elle a visiblement de plus que moi, vous comptez faire comment ?

– Vous porterez des talons, répondit aussitôt Maena avant de plisser des yeux, son regard détaillant Sarah de la tête aux pieds. Et peut-être un peu de rembourrage... vous êtes sûre de faire un 85B ? Parce que votre poitrine paraît plus... enfin moins...

 Sarah l’observa, la mâchoire pendante.

– Eh bien vous n’avez qu’à demander à la Reine d’Angleterre, elle doit le savoir elle ! gronda-t-elle avant de se redresser et quitter la pièce. Et c’est la dernière fois que vous faites une remarque déplacée sur mon physique !

Maena l’observa simplement s’éloigner, un léger rictus au coin des lèvres.

Les prochains jours promettaient effectivement d’être divertissants.

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13 juin 2013

Chapitre 3

   Lorsque Sarah se réveilla, elle fut tout d’abord désorientée. Le décor qui s’offrait à elle était digne d’une résidence aristocratique, et elle se demanda un instant si, étant amie avec sa fille, elle ne s’était pas retrouvée chez la première ministre du pays par inadvertance.

   – Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? marmonna-t-elle tout en se redressant péniblement.

   Le lit sur lequel elle reposait semblait antique, avec des drapés de dentelle magnifiques et d’une taille qu’elle n’avait jamais vue. Et le reste du mobilier, éclairé à l’aide de bougies stratégiquement disposées ici et là, ne semblait pas en reste ; des meubles en bois de cerisier dont Sarah n’osa même pas imaginer la valeur, des coussins de soies éparpillés ici et là, une coiffeuse couleur ivoire...

   Du bruit retentit sur sa droite et elle tourna la tête juste à temps pour voir la porte s’entrouvrir légèrement, bien vite suivie d’une voix :

   – Je peux allumer la lumière ?

   Sarah haussa les sourcils de surprise. D’une part parce qu’elle n’aurait jamais pensé que son kidnappeur puisse être une femme, mais surtout qu’elle lui pose ce genre de question. Elle qui s’attendait à du « bouge pas ! » ; « ferme là ! » le tout parsemé de coup, elle en était... décontenancée. 

   C’est une amatrice, ou quoi ? Oh bon sang, dans quoi est-ce que je me suis encore fourrée moi...

   – Hum, oui ? répondit-elle finalement, perplexe.

   Le bruit d’un interrupteur que l’on enclenche se fit entendre, et Sarah plissa légèrement des paupières lorsque les trois immenses lustres en cristal qui ornaient le plafond de la chambre s’allumèrent progressivement. La porte s’ouvrit ensuite complètement et Sarah en oublia aussitôt de respirer lorsque sa kidnappeuse se tourna pour lui faire totalement face, un plateau entre les mains.

   – Doux jésus..., souffla-t-elle, figée sur place.

   Les mots fondirent littéralement sur sa langue et elle ne sut dire ce qui la troubla le plus. Ces yeux d’un bleu irréel, presque glacial, ou bien cette peau si crémeuse qu’elle semblait avoir été sculptée à même le marbre ? Jamais elle n’avait vu beauté si extraordinaire.

La chevelure brune qui retombait avec grâce sur ses épaules complétait le tableau, lui conférant un charme énigmatique qui renforçait sa séduction naturelle, et Sarah se demanda un instant si elle avait conscience de combien elle était splendide.

Une voix profonde et rauque la sortie de sa contemplation et elle fut aussitôt charmée par le léger accent néo-zélandais qu’elle y discerna :

   – Vous avez faim ? Je vous ai apporté le petit déjeuner.

Sarah haussa les sourcils avant de regarder autour d’elle.

   – Je... n’ai pas pour habitude de prendre mon déjeuner au beau milieu de la nuit.

   – Il est neuf heures, répondit aussitôt Maena.

Sarah tourna la tête vers les longs rideaux qui partaient du plafond pour venir frôler le sol et elle haussa les sourcils, impressionnée.

   – Wow. Vous pourrez remercier celui qui vous a vendu ça alors, même avec mes stores, la lumière filtre quand même.

Maena afficha un léger rictus tout en déposant le plateau sur le lit. Sarah était encore plus belle que lorsqu’elle l’avait vue pour la première fois ce jour-là, au travers de la vitre teintée de la limousine. Ses yeux verts lui rappelèrent aussitôt les feuilles naissantes, la verdure du printemps et ses cheveux blonds qui partaient quasiment dans toutes les directions à cause du sommeil lui conféraient un air indéniablement séduisant. Mais ce qui surprit agréablement Maena, c’était qu’elle s’avérait surtout très amusante.

Les prochains jours promettaient d’être divertissants.

   – Nous n’avons pas de fenêtres.

   – Pas de fenêtres ? s’étonna aussitôt Sarah en l’observant à nouveau. Elle lâcha un rire : Bien sûr. Et moi, je suis la reine d’Angleterre.

   – Qui sait ? Vous partagez sa petite taille, répondit Maena en prenant place à ses côtés. Allez-y, vérifiez si vous ne me croyez pas.

Sarah l’observa, indécise. Elle vient de faire une blague là ? Ou critiquer ma petite taille ? Elle plissa des yeux avant de descendre du lit puis se diriger vers les longs rideaux.

Doucement, elle tira avant de s’exclamer, horrifiée :

   – Oh mon Dieu, y a pas de fenêtres !

Maena leva les yeux au ciel.

   – Votre déjeuner va refroidir.

   – Je m’en fous ! s’exclama Sarah tout en regardant frénétiquement autour d’elle.

Elle réalisa aussitôt que le seul moyen de sortie était la porte et vu la position de sa kidnappeuse sur le lit, elle aurait peut-être le temps de...

   – N’y pensez même pas, coupa Maena sans même lever les yeux vers elle. Elle est verrouillée.

Sarah serra des dents avant d’hausser un sourcil :

   – Comment ? Il n’y a même pas de serrure !

   – Tout marche par empreintes ici. Marko est en train de s’occuper des vôtres, vous aurez accès aux autres pièces de la demeure d’ici quelques heures.

Sarah l’observa comme si elle avait perdu l’esprit.

   – Mais vous êtes folle hein, j’en ai rien à foutre des pièces de votre « demeure », s’exclama-t-elle en imitant des guillemets. J’ai rien à faire ici, alors ouvrez-moi cette porte, et laissez-moi partir !

Maena haussa un sourcil, imperturbable.

   – Votre déjeuner va refroidir.

   – Et puis qui n’a pas de fenêtres chez soi, franchement ? marmonna Sarah en regardant de nouveau autour d’elle. Non, laissez tomber, il ne faut pas que je m’échappe, bien sûr.

Maena se redressa et s’approcha jusqu’à poser ses mains sur les épaules de Sarah. Elle énonça clairement tout en la ramenant vers le lit :

   – Votre... déjeuner... va... refroidir, termina-t-elle en la forçant à s’assoir sur le rebord. Et la demeure tout entière a été dépossédée de ses fenêtres, à l’exception de la véranda. Je ne supporte pas le soleil. 

Sarah lâcha un rire nerveux :

   – Vous êtes quoi, un vampire ?

Maena haussa un sourcil avant d’afficher un léger sourire. Elle se pencha légèrement, le regard plongé dans celui de Sarah :

   – Qui sait ? ronronna-t-elle, bien consciente de l’intimidation qu’elle produisait.

Sarah avala de façon audible avant de détourner le regard.

   – Je... hum... et pourquoi est-ce qu’il y a une rose avec mon déjeuner ?! s’exclama-t-elle en relevant les yeux. Vous traitez toujours vos otages de cette façon ?

   – Je sais pas, vous êtes la première, répondit Maena en s’emparant de la dite rose.

Sarah haussa les sourcils avant de faire la moue. Elle a au moins le mérite d’être honnête, c’est déjà ça.

   – Qu’est-ce que vous faites ? grogna-t-elle lorsque Maena brisa la tige pour glisser la fleur à son oreille.

   – Une demoiselle se doit d’être présentable lorsqu’elle est demandée en épousailles.

Sarah haussa de nouveau les sourcils, avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’elle réalisa que Maena était sérieuse. Merde, faut vraiment que j’arrête les cocktails pour en venir à faire des rêves pareils !

   – Pardon ? demanda-t-elle avant de sursauter lorsque Maena s’empara de sa main gauche. Woah, la vache !

   – Je suis désolée, s’excusa aussitôt Maena en s’écartant. J’ai une mauvaise circulation du sang.

   – Nan ? Vraiment ? répondit aussitôt Sarah, sarcastique. A vivre dans un véritable cercueil aussi... regardez-vous, on dirait un cachet d’aspirine.

Maena se recula légèrement, le visage fermé et les yeux plissés.

   – Et vous, vous pourriez courir un peu plus, ça ne ferait pas de mal à votre culotte de cheval. Quand on sait que votre nom de famille, c’est Delgado, en plus...

Sarah écarquilla aussitôt les yeux, la mâchoire pendante.

   – Duh ! Merci !

   – Vous avez commencé, marmonna Maena en s’emparant à nouveau de sa main.

   – Et vous m’avez kidnappé ! s’exclama Sarah avant de gronder : c’est dans mon droit de vous haïr et de vous le faire savoir.

Maena haussa un sourcil avant de lever la main qu’elle tenait entre les siennes, un sourire satisfait sur les lèvres :

   – On a de la chance alors, puisque vous avez promis de m’aimer pour le meilleur, et pour le pire.

Sarah haussa les sourcils avant de remarquer l’alliance qui ornait désormais son annulaire gauche et elle s’évanouit.

10 juin 2013

Chapitre 2

– J’arrive pas à croire que ce type t’ait littéralement bavé dessus, grimaça Eva tout en tirant légèrement sur le haut de la jeune femme qui l’accompagnait.

Sarah leva les yeux au ciel avant de donner un coup de sac à main dans le ventre de sa meilleure amie et collègue.

– Ce qui ne serait pas arrivé si tu ne lui avais pas dit qu’il me plaisait !

– Oh non, non, non, s’exclama aussitôt Eva en remuant une main dans les airs. Ce qui ne serait certainement pas arrivé si tu n’avais pas soudainement décidé de passer la soirée dans une boîte hétéro ! 

– Je suis bisexuelle ! J’ai le droit non ?! C’est toi et Liz qui avez choisi de ne retenir que le côté homosexuel là-dedans, hein.

Eva retint difficilement un sourire.

– C’est surtout que c’est super chiant pour nous. Je veux dire, soit on reçoit des regards outrés, soit on attire tous les pervers. Il y a des bi dans les boîtes gays aussi, tu sais.

– Je sais, marmonna Sarah, fatiguée d’avoir cette conversation une fois de plus. Ecoute, c’est pas grave, la prochaine fois que je veux aller dans une boîte hétéro, j’irais avec d’autres amis, d’accord ?

Eva haussa les sourcils avant de plisser les yeux :

– Eh bien, les cocktails te rendent vraiment grincheuse toi, accusa-t-elle dans un sourire avant d’attirer Sarah contre elle. Je plaisantais Sarah, je m’en fous dans quelle discothèque on passe la soirée, tant qu’on la passe ensemble.

– C’est vrai ?

Eva posa une main sur son cœur :

– Je te le jure, promit-elle dans une voix enfantine tout en battant des cils.

Sarah éclata aussitôt de rire :

– D’accord, répondit-elle, secrètement rassurée. En plus, tu ne cherches plus personne depuis un moment toi alors... c’est pas comme si ça allait te poser problème de ce côté-là, taquina-t-elle.

– C’est vrai, acquiesça Eva, un sourire niais sur le visage comme à chaque fois que Liz était mentionnée.

Elle s’apprêtait à poursuivre lorsque son pied butta dans un stop trottoir et elle baissa les yeux vers l’affiche qui leur faisait face, détaillant un instant la femme aux longs cheveux sombres et aux yeux gris perçant, avant de lire le slogan : VOYANCE. Amour, travail, argent... Don ancestral de haut niveau. Ouvert 7j/7, 24h/24.

Elle retint difficilement un rire :

– Et en plus elle ne dort pas. Impressionnant hein ?

Sarah lui donna une légère tape sur le ventre même si elle était elle aussi visiblement amusée, avant de lever les yeux vers l’immeuble aux deux étages. Comme de nombreuses villes européennes, la Renaissance Italienne avait grandement influencée l’architecture de la capitale de Lynève, et pourtant, à bien y regarder, Sarah n’en vit pas la moindre trace dans les murs qui lui faisaient face. Elle reconnut par contre l’architecture gothique qui avait fait fureur au douzième et treizième siècle, et cette différence de style avec les autres habitations qui l’entouraient donnait à la demeure un côté hors du temps étrangement perturbant.

– Allons-y.

Sarah observa aussitôt Eva comme si elle avait perdu la tête :

– Hein ? s’exclama-t-elle. Me dis pas que tu crois en ces débilités, quand même ?

– Nan, assura aussitôt Eva. Mais ça peut être marrant, non ? Allez Sarah... qu’est-ce qu’on a à perdre ?

Sarah lui offrit un regard appuyé mais elle dut pourtant bien s’avouer qu’elle était tentée, même si elle ne sut dire si c’était par simple curiosité ou par trouble. Et puis, Eva n’avait pas tort, consulter une voyante, cela ne faisait de mal à personne, après tout. Au contraire, elle pourrait même ajouter ça à la liste des trucs loufoques qu’elle avait pu faire dans sa vie...

Comme mues par une volonté propre, ses jambes la menèrent jusqu’à la lourde porte en bois sombre, et elle la poussa difficilement de ses bras avant de franchir le seuil. Autour d’elles, tout n’était qu’obscurité. Un épais rideau bleu marine recouvrait les murs et quelques bougies éparpillées ici et là éclairaient le centre de la pièce, où une table ronde avait élue domicile. 

Une nappe rouge bordeaux la recouvrait, et trois chaises l’entouraient, une d’un côté et deux de l’autre.

– Si j’y avais cru, j’aurais dit qu’elle nous attendait, murmura Eva à son oreille en désignant les deux chaises au lieu d’une.

Sarah frissonna légèrement avant de sursauter lorsqu’une femme apparut soudainement devant elles. Vêtue d’un châle de couleur noire, dont Sarah ne put dire où il commençait et où il finissait, ses longs cheveux étaient épinglés à l’arrière de sa tête pour retomber librement dans son dos. Son visage était dégagé, dévoilant deux yeux perçant qui vous capturaient tout en vous donnant désespérément envie de détourner le regard. Sarah lui donna une quarantaine d’année.

– Installez-vous.

Eva et Sarah échangèrent un regard avant de venir prendre place, et cette dernière ouvrit aussitôt la bouche lorsque la voyante prit sa main dans la sienne :

– En fait, ce n’est pas pour moi que nous sommes venues, mais...

– Je sais, répondit la voyante avec un léger accent. Mais votre amie n’y croit pas du tout, cela ne marchera pas si elle ne prend pas la chose au sérieux.

Eva l’observa, à la fois incrédule et renfrognée, mais se contenta de croiser les bras sous sa poitrine lorsqu’elle sentit Sarah presser son genoux en un geste apaisant.

Sarah poursuivit :

– Et qu’est-ce qui vous fait croire que moi si ? demanda-t-elle, la curiosité présente dans sa voix.

– Vous ne savez simplement pas pourquoi vous êtes ici, répondit la voyante en levant les yeux vers elle. Ce qui est très fréquent. Mais nous allons le découvrir ensemble, si vous le voulez bien.

Sarah jeta un rapide coup d’œil en direction d’Eva qui se contenta de hausser les épaules, avant de légèrement hocher la tête en direction de la voyante. Elle fronça cependant les sourcils lorsqu’elle ne vit ni boule de cristal, ni carte de tarots, ni quoi que ce soit d’autres.

– Vous lisez les lignes de la main ? demanda-t-elle, légèrement nerveuse – d’impatience ou de crainte, elle n’aurait su dire.

– On peut dire ça comme ça, répondit la voyance en levant un regard énigmatique vers elle.

Elle s’empara de ses mains et contempla ses paumes un instant avant d’énoncer :

– Une longue vie... mais qui a déjà connu des difficultés, et en connaîtra encore.

Sarah pensa aussitôt au divorce de ses parents alors qu’elle n’était encore qu’une adolescente, puis la dégradation de sa relation avec sa mère, ainsi qu’au désastre qu’était sa vie amoureuse.

– Comme tout le monde, j’image, murmura-t-elle enfin. Non ?

– Vous êtes à une croisée des chemins, poursuivit la voyante en relevant les yeux vers elle. Une mauvaise décision pourrait vous porter préjudice.

Sarah se vit aussitôt au volant de sa Clio, arrêtée à un carrefour et hésitant entre tourner à gauche, à droite ou aller tout droit.

– C’est à peu près ça, poursuivit la voyante, les yeux emplis de compassion. Je vois une route familière, et une autre qui est inconnue. Mais aucune ne semble facile.

Sarah se mordit la lèvre inférieure :

– Dis comme ça, autant choisir n’importe laquelle alors...

– Le choix que vous allez faire déterminera le reste de votre existence, Sarah. Ne prenez pas de décision à la légère.

Sarah leva les yeux, surprise avant d’observer sa paume à son tour. Elle eut du mal à y discerner les lignes tant la pièce était sombre, et elle se demanda sérieusement si la voyante n’était pas en train de tout inventer. Elle avait très bien pu entendre son prénom quand elle et Eva étaient dans la rue, après tout.

La voix de la voyante la tira de ses pensées :

– Elle vous dit d’écouter votre cœur.

Sarah frissonna mais lorsqu’elle voulut répondre, Eva la devança :

– Qui ça ?

– Elle vous dit de ne pas résister, et d’écouter votre cœur. Il n’y a que comme cela que tout se passera bien.

Eva plissa des yeux :

– Ouais, c’est bien joli tout ça, mais ça ne nous dit toujours pas qui c’est, répondit-elle sarcastiquement avant de tourner la tête vers Sarah et passer une main dans son dos. Tu as une idée de qui ça peut être ?

Sarah réfléchit un instant avant de secouer la tête négativement. Sa mère, ses grand-mères, ses cousines, ses tantes, même ses arrières grand-mères étaient encore de ce monde. Une amie perdue de vue peut-être ? Une ex ? Plausible, mais Sarah avait toujours su garder auprès d’elle les personnes qui étaient chères à son cœur. Les autres... eh bien, ça faisait partie des aléas de la vie. Les liens se faisaient et se défaisaient. Sarah ne voyait vraiment pas qui aurait pu prendre la peine de lui faire passer un tel message.

– Cette mauvaise décision... écouter mon cœur, c’est le seul moyen dont je dispose pour l’éviter ?

La voyante hocha la tête, exerçant une légère pression sur ses mains.

– J’en ai bien peur.

– Merci... merci beaucoup alors, répondit Sarah avant de s’emparer de son sac à main. Je vous dois combien ?

– Rien du tout, répondit la voyante en remuant une main, avant de mystérieusement sourire. Elle ne me le pardonnerait pas.

Sarah l’observa, perplexe, avant de suivre Eva vers la sortie. Elle remarqua le porte carte de visite situé juste à côté de la sortie et elle se servit, son regard s’arrêtant aussitôt sur le nom affiché : Heidi Leick. Hmm pas commun comme nom pour une voyante...

– Sarah ?

Sarah se retourna, un sourcil haussé en signe d’interrogation.

– Ne vous débattez pas.

– Pardon ?

La voyante porta une main à son front, les sourcils froncés :

– Elle me dit de vous dire... ne vous débattez pas. Et écoutez votre cœur.

Sarah sentit son cœur se mettre à battre plus fort et l’observa, confuse, avant de faiblement hocher la tête lorsqu’elle sentit Eva la tirer légèrement par le bras et la mener vers la sortie.

– Je... tâcherai de faire au mieux, balbutia-t-elle.

La lourde porte se referma derrière elle et laissa Eva les diriger le long du trottoir désert.

– Pour un charlatan, je dois bien avouer qu’elle sait au moins faire flipper, frissonna Eva en accélérant inconsciemment le pas.

– Quoi ? répondit Sarah, reprenant peu à peu pied avec la réalité. T’y crois pas ?

Eva lui offrit un regard appuyé :

– Je t’en prie Sarah, c’est tiré par les cheveux. Elle te dit ce que t’as envie d’entendre, sans pour autant évoquer quelque chose de personnel. Elle n’a même pas été capable de sortir un nom quand je le lui ai demandé !

Sarah se mordit l’intérieur de la joue, pensive :

– Hmm, t’as raison, elle est restée assez évasive, admit-elle. Tu ne penses pas que je suis à un carrefour alors ?

Eva lâcha aussitôt un rire tout en passant un bras autour de ses épaules :

– Oh si, probablement. Mais si tu veux mon avis, c’est pas la première fois, et ce sera surement pas la dernière. La vie ce n’est que ça, on doit sans arrêt prendre des décisions sur décisions sur décisions... et toutes influencent plus ou moins notre vie à un certain degré.

– Mais peut-être que là, il y a vraiment quelque chose d’important...

Eva fronça les sourcils avant de soupirer :

– Peut-être, répondit-elle en haussant les épaules, avant de sourire. Ecoute ton cœur, alors, finit-elle dans un clin d’œil.

Sarah secoua la tête, amusée :

– Je vais surtout profiter d’une bonne nuit de sommeil pour l’instant. T’as raison, c’est tiré par les cheveux. J’y verrais surement plus clair demain.

– Hmm j’en suis sûre, assura Eva en lui ébouriffant légèrement les cheveux. Je ferais bien de rentrer moi aussi, Liz et Gaël rentrent tôt demain... errr... oups, ce matin, grimaça-t-elle lorsqu’elle jeta un œil à sa montre et nota qu’il était déjà trois heures. Et si je veux dormir un peu...

Sarah hocha la tête, compréhensive.

– Embrasse-les pour moi.

– Promis, répondit aussitôt Eva avant de lever une main et arrêter le premier taxi qui passait. On se refait un petit quelque chose tous ensemble bientôt, d’accord ?

Sarah attendit qu’Eva soit installée avant de refermer la portière derrière elle.

– Compte sur moi, répondit-elle avant de lui faire un signe de la main.  

Le taxi s’éloigna et Sarah resserra sa petite veste autour d’elle avant de poursuivre sa route. Par chance, elle habitait en centre-ville et n’avait que quelques rues à traverser pour rentrer de la discothèque du centre dans laquelle elle et Eva venaient de passer la soirée. Elle croisa quelques jeunes légèrement éméchés, leur façon de marcher et leurs propos incohérent la faisant sourire, avant qu’elle ne presse le pas lorsque son immeuble lui apparut enfin. On avait beau être au printemps, les nuits restaient encore assez fraîches et Sarah mourrait d’envie d’une douche bien chaude et surtout, surtout de nettoyer le filet de bave qu’elle avait senti couler le long de son sein lorsque son dragueur invétéré s’était penché sur elle pour soi-disant lui murmurer quelque chose à l’oreille.

Elle frissonna. Elle en avait été tellement dégouttée qu’elle avait aussitôt tiré Eva hors de la discothèque sans prendre le temps de passer aux toilettes se nettoyer. Quel porc.

Arrivée à hauteur du hall d’entrée, Sarah tapa machinalement son code puis poussa la lourde porte une fois qu’elle eut émis son « bzzz » caractéristique. Une odeur étrange lui parvint aussitôt, mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder qu’un bras surgit soudainement de nulle part et plaqua un tissu blanc contre ses lèvres, l’empêchant aussitôt de respirer. Sarah se débattit, mais ses bras furent aussitôt bloqués dans son dos et elle grimaça face à la douleur.

Une pensée surgit soudainement dans son esprit, ne vous débattez pas, et elle écarquilla les yeux avant de finalement sombrer dans l’inconscience.

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