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⚢ Fictions lesbiennes ⚥
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εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

25 juillet 2013

Chapitre 15

– J’arrive pas à croire que je t’ai laissé prendre la limousine, marmonna Sarah en plissant des yeux dans l’espoir de pouvoir voir à travers les vitres teintées.

Maena baissa le journal qu’elle était en train de lire.

– Pourquoi ? Tu n’aimes pas ?

– C’est pas ça, grimaça Sarah en se rasseyant confortablement, prenant soin de ne pas plisser sa robe. C’est juste que là, pour passer inaperçu, c’est loupé.

– Tu veux passer inaperçue ?

Sarah lui offrit un regard appuyé.

– Oui, enfin non, enfin... Maena, avec une voiture pareille, ils vont s’attendre à voir une célébrité !  Tout le monde va nous regarder.

– Non, répondit Maena d’un air absent tout en reportant son attention sur son journal. Tout le monde va me regarder, parce que la plupart des habitants de cette ville ne m’ont jamais vu en vraie.

Sarah se mordit l’intérieur de la joue.

– Tu n’es jamais allée en boîte, avant ?

– Hmm une fois, avec Alison. Mais c’était il y a longtemps. Et je n’avais pas spécialement aimé. Trop de gens... trop étouffant.

Sarah laissa courir ses doigts sur la surface en cuir de son siège tout en observant discrètement Maena du coin de l’œil. Sa robe bleue nuit dévoilait ses épaules sur lesquelles ses cheveux reposaient librement, et mettait surtout en valeur ses interminables jambes. Sarah la trouvait irrésistiblement sexy.

– Elle te manque parfois ? Alison, demanda-t-elle enfin, la curiosité présente dans sa voix.

Maena leva les yeux vers elle avant d’abaisser son journal.

– Celle que j’ai rencontrée quand j’avais dix-sept ans me manque, répondit-elle. Celle qui nous a quitté il y a peu... je préfère ne pas y penser, remarqua-t-elle calmement avant d’ajouter, les yeux brillants : d’ailleurs, en parlant de ça, j’espère ne pas avoir brisé le cœur de Gwen ?

Sarah l’observa, surprise avant de détourner le regard.

– Elle ne te porte pas dans son cœur, ça c’est sûr, marmonna-t-elle avant d’ajouter, plus haut : mais ça importe peu, nous ne sommes plus ensemble. Ce dont tu devais te douter vu les grands titres que notre mariage a fait.

Maena détourna simplement le regard et Sarah se mordit l’intérieur de la joue, le regard fixé sur sa robe qu’elle lissait d’un air absent :

– Tu savais qu’on allait finir par rompre, pas vrai ? demanda-t-elle sans lever les yeux. La nuit de mon enlèvement, tu as pris soin de prévenir Eva, mais pas Gwen.

– Parce que tu l’aurais fait toi ?

Sarah releva les yeux, surprise avant de faiblement secouer la tête.

– Non, admit-elle faiblement. Non, je ne l’aurais pas fait. Ça faisait des semaines que je l’évitais le plus possible. Mais ça n’explique pas pourquoi toi, tu t’es abstenue.

– La prévenir aurait apporté des complications, elle aurait voulu poser des questions, savoir pourquoi... La laisser dans l’ombre était plus simple, et je savais qu’Eva la rassurerait dès le lendemain. Le fait de te savoir à l’hôtel allait lui faire comprendre que sa compagnie n’était pas désirée.

– Et qu’est-ce qui t’a fait croire qu’elle n’allait pas insister pour me joindre par la suite ?

Maena l’observa droit dans les yeux :

– Elle ne l’a jamais fait avant.

Sarah détourna aussitôt la tête, mal à l’aise. Elle avait beau savoir que Maena l’avait observée pendant des mois et connaissait sa vie sur le bout des doigts, elle n’arrivait pas à s’y faire.

Maena sembla le pressentir :

– Je suis désolée, c’était déplacé.

– Non, c’est rien, répondit Sarah en secouant la tête. Je crois que j’ai simplement du mal à me faire à l’idée que tu m’aies espionnée pendant tout ce temps et que tu connaisses pratiquement tout de ma vie.

– Je comprends, répondit faiblement Maena en détournant le regard.

Pour une raison qu’elle ignora, sa réaction poussa Sarah à sentir son visage s’adoucir.

– Est-ce que tu es désolée, au moins ? demanda-t-elle en essayant de croiser le regard de Maena.

– Bien sûr, assura aussitôt Maena en relevant la tête. Sarah, si je pouvais revenir en arrière...

Sarah leva aussitôt une main afin de l’interrompre.

– Ça devrait m’aider à te pardonner alors, sourit-elle faiblement avant de tourner la tête vers la vitre lorsqu’elle sentit la voiture s’arrêter.

Elle détacha sa ceinture avant d’hausser un sourcil en direction de Maena.

– Bon, prête à affronter la musique ?

– Ça dépend, ce sont tes amis, je dois m’inquiéter ?

Sarah fit la moue.

– Nan, assura-t-elle, priant intérieurement pour qu’elle ait visé juste.

💕

Après avoir fait la queue pendant quelques minutes, Sarah et Maena furent enfin autorisées à entrer à l’intérieur. Sarah reconnut aussitôt que Liz avait dit vrai lorsqu’elle avait décrit The Heaven comme étant le club le plus respectable de la ville. L’atmosphère semblait relaxante et agréable, et Sarah apprécia aussitôt le fait que la musique soit assez faible pour ne pas avoir à hurler pour se faire entendre, mais assez forte pour couvrir le bruit d’un verre qui se briserait à l’autre bout de la pièce.

Elles longèrent le bar situé sur la droite afin de rejoindre les tables qui entouraient la piste de dance et Sarah fit aussitôt volte-face lorsqu’elle perçut ses amies, renversant presque Maena au passage.

– Ecoute, je sais qu’on n’a pas discuté de la ligne de conduite à adopter, mais... suis-moi juste, d’accord ?

Maena haussa les sourcils.

– C’est supposé me rassurer, ça ?

Sarah lui offrit aussitôt un regard appuyé.

– Pour la peine, je t’embrasserai toutes les cinq minutes, et avec la langue, menaça-t-elle en s’avançant dangereusement vers elle.

Maena la surprit en l’embrassant aussitôt sur les lèvres.

– Deal, sourit-elle en se reculant.

Sarah l’observa, la mâchoire pendante avant de porter une main à ses lèvres. Elle vient de m’embrasser là, j’ai pas rêvé ? Un léger raclement de gorge la ramena à la réalité et elle reprit tant bien que mal contenance.

– Bon, hum, on ferait mieux d’y aller, répondit-elle rapidement en faisant demi-tour, ignorant le faible rire qui résonna aussitôt derrière elle.

Elles se frayèrent péniblement un chemin jusqu’à la table qu’avaient réservé ses amies et Sarah fut aussitôt agacée de voir Liz perdre son sourire lorsque son regard se posa sur elles. Elle l’ignora volontairement pour répondre à l’accolade que lui offrait Emma, une amie qu’Eva et Liz lui avaient présentée quelques années plus tôt. Sarah aimait beaucoup le côté pétillant et épanoui qu’elle dégageait.

– Coucou toi ! s’exclama Emma avant de souffler à son oreille. T’as de la chance, Eva n’a pas pu venir. Elle est clouée au lit avec la varicelle.

– La varicelle ? s’exclama aussitôt Sarah en se reculant. Comment...

– Gaël l’a attrapé à la garderie, expliqua Emma en tendant timidement une main vers Maena suivit d’un petit « bonsoir ». Et comme Eva ne l’a jamais eu...

Sarah eut du mal à retenir le rire sadique qui montait en elle et le « bien fait ! » qui cherchait désespérément à passer la barrière de ses lèvres.

– Oh la pauvre..., mentit-elle, recevant aussitôt une tape sur le bras de la part de Kate, l’épouse d’Emma, qui n’y avait absolument pas cru. Hé ! s’exclama-t-elle en la prenant à son tour dans ses bras.

– Eva a demandé à ce que tu passes dès que possible, enchaîna Kate en répondant à son étreinte. Je serais toi, j’irais sous couvert d’une armure.

Sarah rit légèrement tout en se reculant, avant de frissonner lorsqu’elle sentit la main de Maena dans le creux de son dos. Elle s’apprêtait à faire les présentations mais Kate la prit de court, la surprenant par les paroles qu’elle prononça :

– Docteur Beauregard, salua Kate en tendant une main, le ton révérencieux. C’est un honneur.

Un honneur ? Même s’il faisait trop sombre pour le voir, Sarah put jurer que Maena rougissait.

– Docteur De Lonay, répondit Maena en s’emparant de sa main. C’est un honneur également que de rencontrer la nièce de cette grande femme qu’est votre tante. Et si j’en crois les médias, vous n’avez pas grand-chose à lui envier.

Ce fut au tour de Kate de rougir.

– Bon, quand vous aurez fini de vous complimenter l’une l’autre, on pourrait peut-être s’assoir, non ? demanda Liz en s’approchant à son tour, et Sarah fut rassurée de voir qu’elle souriait.

Elle l’embrassa furtivement sur la joue et attendit qu’elle et Maena échange une poignée de main avant de prendre place sur les canapés qui entouraient la table basse. Emma, Kate et Liz prirent aussitôt place en face d’elles et Sarah redouta un instant un interrogatoire en bonne et due forme. 

Elle fut soulagée lorsqu’elle vit Liz se redresser soudainement :

– Je vais danser, déclara-t-elle en s’emparant de la main de Sarah et l’entraîner avec elle sans lui demander son accord. Vous commandez en attendant ? Desperado cocktail pour moi et je suis sûre que Maena saura quoi choisir pour sa demoiselle, finit-elle en regardant la concernée.

– Prends-moi comme Liz, murmura précipitamment Sarah avant d’être entraînée sur la piste.

Elle fut surprise de voir Liz slalomer entre les gens jusqu’à atteindre l’autre bout de la pièce, puis pousser la lourde porte qui menait dans la cour extérieure, celle exclusivement réservée aux fumeurs. Liz regarda autour d’elle un instant, puis les dirigea vers le coin le plus éloigné, celui moins exposé à la fumée.

– Je croyais que tu voulais danser ? demanda Sarah une fois arrivée à destination.

– Plus tard, répondit Liz en secouant une main dans les airs. Sarah, c’est quoi cette histoire ? Mariée ? Tu ne nous as jamais parlé d’elle avant.

Sarah se frotta maladroitement le sourcil.

– Je sais, ça... c’est fait un peu rapidement, en fait. 

– Un peu rapidement ? répéta Liz, incrédule. Tu m’étonnes, c’était tellement rapide qu’on a rien vu venir ! Eva est vraiment hors d’elle, tu sais. Elle pensait que vous étiez plus proches que ça.

Même si elle jugea la réflexion méritée, Sarah encaissa néanmoins difficilement le coup.

– On ne peut pas dire qu’elle possède une très grande opinion de Maena, aussi, répondit-elle d’un ton légèrement sarcastique.

Oui, bon, son excuse était pathétique, mais elle essayait tant bien que mal de gagner du temps.

– Alors c’est ça, ton échappatoire ? C’est pour ça que tu ne nous as rien dit ?

– Non, soupira Sarah. C’est... compliqué. Mais je te promets que ce n’était pas contre vous, ça c’est juste fait comme ça. Wow, ça passerait presque pour un non mensonge, ça. Je suis trop forte !

Liz lui offrit un air sceptique :

– Vous vous êtes mariées à Vegas ou quoi ?

– C’est ça ! s’exclama aussitôt Sarah avant de regagner contenance lorsqu’elle vit plusieurs personnes tourner la tête dans leur direction. Enfin, pas à Vegas, mais c’est l’idée. Ça c’est fait très vite.

Elle vit Liz se mordre l’intérieur de la joue, avant d’abaisser son regard vers son ventre qu’elle observa d’un œil critique.

– Quoi ? demanda Sarah, mal à l’aise d’être ainsi observée.

– Oh rien, rien, répondit aussitôt Liz tout en relevant les yeux vers elle.

Sarah l’a vit continuer à l’observer du coin de l’œil et elle porta ses mains à ses hanches tout en lui offrant un regard appuyé.

– Liz...

Liz l’observa de la tête aux pieds :

– Je me disais juste qu’il devait bien y avoir une raison pour que vous ayez décidé de vous marier aussi rapidement, expliqua-t-elle avant de l’accuser du regard. T’es enceinte ?

Sarah sentit aussitôt sa mâchoire se décrocher et elle l’observa, incrédule, avant de croiser les bras sur sa poitrine :

– Je ne sais même pas pourquoi je prends la peine de me justifier auprès de toi.

Liz lâcha aussitôt un rire :

– Oh ça va, je te taquinais ma belle, répondit-elle avant de reprendre son sérieux. C’est juste que ça ne te ressemble tellement pas..., remarqua-t-elle en se passant une main sur le visage, avant de sourire. Mais bon, il paraît que l’amour fait faire des trucs de fous, alors...

Sarah l’observa, pleine d’espoir :

– Ca veut dire que je suis pardonnée ?

Liz l’attira aussitôt dans ses bras.

– C’est ça, murmura-t-elle en l’embrassant sur la tempe. Je suis contente pour toi, commença-t-elle en se reculant. Mais t’as encore Eva à affronter.

– Sur une échelle de 01 à 10, je dois m’attendre à quel niveau de gravité ? grimaça Sarah.

– 10, répondit Liz en lui tapotant gentiment l’épaule.

Sarah baissa la tête de dépit avant de la suivre à l’intérieur.

Super.

💕

 – Et tu es sortie quand même malgré le fait qu’Eva et ton fils soient malades ? demanda Sarah en s’accoudant au bar, regardant d’un air absent le barman préparer la quatrième tournée de boissons qu’elles avaient commandée.

– Hmm, ses parents sont chez nous, alors ils ne sont pas seuls, répondit Liz avant de sourire. Et sache qu’elle m’a littéralement jetée dehors, parce qu’elle tenait à ce que je t’informe de ce qu’elle pensait de la situation.

Sarah grimaça.

– Humpf, soupira-t-elle avant d’hausser un sourcil lorsqu’une Emma à l’air dépité vint littéralement se pendre au cou de Liz. Qu’est-ce que se passe ?

Emma releva péniblement la tête.

– J’aime Kate, vraiment, mais quand elle se met à parler médical... elle me perd super vite, gémit-elle avant de se redresser et poursuivre d’un air conspirateur : Mais Maena... woah ! Sarah, je ne sais pas où tu l’as trouvée, mais elle est super canon !

 Liz ricana aussitôt :

– T’as envie que Kate lui casse la figure ? T’as pas peur avec des propos pareils toi.

– Kate n’oserait pas, répondit Sarah en s’emparant de leurs boissons. Elle aurait trop peur que Maena ait le dessus.

Emma prit un air pensif :

– C’est vrai que Maena est assez grande, reconnu-t-elle avant de sourire malicieusement. Mais ne t’inquiète pas, y a aucun risque pour que ça arrive ; Maena est peut-être magnifique, Kate l’est encore plus.

– Et ton jugement est totalement biaisé, ma pauvre, rit aussitôt Liz en passant devant elles.

– Parce que tu penses que Maena est plus canon qu’Eva, peut-être ? enchaîna aussitôt Emma en la suivant.

Liz s’arrêta avant de marmonner un faible « non » et se fut au tour de Sarah et d’Emma de rire à ses dépens tout en passant devant elle.

Elles rejoignirent leur table et s’apprêtaient à déposer leur quatrième tournée de verres lorsque les paroles de Maena leurs parvinrent :

– ...des déficits enzymatiques qui conduisent à la surproduction d'acide urique comme le déficit partiel de l'hypoxanthine guanine phosphoribosyl transférase enzyme.

Sarah cligna plusieurs fois des paupières avant de relever les yeux vers Emma :

– Je comprends mieux ce que tu voulais dire quand tu disais que Kate te perdait super vite lorsqu’elle parlait médical, chuchota-t-elle, conspiratrice. Elle vient de dire quoi là ?

– J’en ai pas la moindre idée, rit Emma en déposant leurs verres. Mais je te propose de très rapidement trouver un nouveau sujet de conversation si on ne veut pas rejoindre Morphée plus tôt que prévu !

Sarah ricana à son tour avant de regagner sa place aux côtés de Maena, la coupant avant qu’elle ne reprenne la parole :

– Stop, plus de travail, ou de médecine ou je ne sais quoi, dit-elle en portant une main à ses lèvres avant de tourner la tête vers Kate. Et ça vaut aussi pour toi.

Kate pinça aussitôt des lèvres avant de mimer une fermeture éclair de ses doigts puis jeter la clé imaginaire par-dessus son épaule. Sarah ne put s’empêcher de rire de sa bêtise, avant de frissonner lorsqu’elle sentit la main de Maena prendre place dans le bas de son dos et la caresser légèrement de son pouce.

Elle sourit intérieurement, une chose était sûre, Maena savait se prendre au jeu lorsqu’il le fallait.

– Bon, maintenant que les présentations ont été faites, et que l’on est à peu près à l’aise les unes avec les autres..., commença Liz en se redressant avant de porter son attention sur Maena et Sarah, ...vous pouvez peut-être nous en dire un peu plus sur votre histoire ?

Sarah eut à peine ouvert la bouche qu’elle l’interrompit :

– Cassie nous a dit pour la rencontre, la demande ultra-romantique et le mariage version Las Vegas. Mais nous, on veut un peu plus que ça, sourit-elle malicieusement.

– La demande ultra-romantique ? chuchota aussitôt Maena à l’oreille de Sarah. Je t’ai demandé ta main sans me soucier de ton avis et tu t’es aussitôt évanouie, qu’est-ce qu’il y avait de romantique là-dedans ?

Sarah sourit poliment à ses amies avant de discrètement plisser des yeux dans sa direction :

– La rose ? murmura-t-elle. Cassie voulait tout savoir, il a bien fallu que je trouve quelque chose qui tienne la route, non ?

Maena hocha la tête, visiblement amusée, avant de reporter son attention sur leurs acolytes :

– Je crois surtout que l’on vous doit des excuses avant toute chose, pour le mariage improvisé, commença-t-elle en s’emparant de l’une des mains de Sarah avant de la poser sur sa cuisse. Les choses se sont tellement précipitées que l’on a vu que notre amour au détriment des gens qui comptaient pour nous. Sachez que nous sommes vraiment désolées pour ça. Il n’a jamais été question de vous mettre à l’écart, déclara-t-elle sincèrement avant de tourner la tête vers Sarah et afficher l’un de ses rares sourires. On a seulement été aveuglées par les sentiments que l’on avait l’une pour l’autre.

Sarah sentit son visage se réchauffer et elle fut aussitôt reconnaissante de l’obscurité prononcée de la pièce. Elle ne savait pas si ses amies y croyaient, mais pour sa part, elle trouvait Maena extrêmement convaincante. Si bien que si elle n’avait pas pris part de la supercherie elle aussi, elle y aurait presque cru.

– Awww, répondit Liz en encadrant son visage de ses mains et en battant des cils, poussant aussitôt Kate à lever les yeux au ciel. C’est mignon ! Je suis sûre que ça adoucira les ardeurs d’Eva. Enfin, un peu du moins, ajouta-t-elle après réflexion.

– Mais ça n’explique pas pourquoi vous avez gardé votre relation secrète aussi longtemps, poursuivit Kate, visiblement intriguée. C’est surtout ça qu’Eva vous reproche.

Sarah eut un rire dénué d’humour :

– « Me reproche », Kate, corrigea-t-elle en levant les yeux vers elle. Et si je n’ai rien dit, c’est parce que...

– Je lui ai demandé de ne pas le faire, coupa Maena.

Sarah tourna aussitôt la tête dans sa direction, confuse :

– Mais qu’est-ce que tu fabriques ? chuchota-t-elle. Je te préviens, tu n’as pas intérêt à te les mettre à  dos pour qu’elles ne m’en tiennent pas rigueur. Je ne te laisserai pas faire ça !

Maena l’ignora afin de poursuivre :

– Je voulais la protéger, expliqua-t-elle avant d’abaisser son regard sur leurs mains liées. Je savais qu’à partir du moment où notre relation serait publique, il y aurait de grandes chances pour que les médias décident aussitôt de mettre leur nez dans nos affaires. Je ne voulais pas que Sarah y soit confrontée.

Kate hocha aussitôt la tête, compréhensive. En tant que fille de Charles De Lonay et nièce de Jessie De Lonay, elle savait mieux que quiconque ce qu’une exposition aux médias représentait. Elle avait grandi avec et aujourd’hui encore devait en faire les frais de temps à autres.

– Je n’ai pas entendu grand-chose depuis que votre histoire a été dévoilée au grand public.

– Mon frère a fait en sorte qu’ils se tiennent à distance et mesurent leurs propos, répondit Maena en relevant les yeux vers elle. Il fait partie des plus grands hackers que la terre n’ait jamais portés, et sait être persuasif.

– Ça sent le blackmail, déclara Emma, visiblement mal à l’aise.

Maena se redressa légèrement :

– Rien de bien méchant, assura-t-elle. Il lui est arrivé d’avoir recours à des menaces, mais n’a jamais eu à les mettre à exécution. La plupart des gens savent se montrer raisonnable lorsque leur image risque d’être passablement ternie.

Elle se pencha légèrement vers l’avant lorsqu’elle vit Emma secouer la tête de désaccord :

– Emma ? Si je menaçais de dévoiler un lourd secret concernant Kate, ou de salir son image, tu resterais simplement là, les bras croisés, sans rien faire ?

– Je comprends tes motivations, répondit Emma en l’observant à son tour. Vraiment. Mais je crois que j’essaierais simplement de trouver une tactique différente.

Maena sourit faiblement :

– Plus pacifiste, j’imagine ? Ce genre de méthode marche rarement dans ce milieu.

– Je sais, répondit calmement Emma, un entretient passé avec le père de Kate surgissant dans son esprit. Difficile de débattre avec des gens manquant d’humanité, hein ?

Kate s’expliqua lorsqu’elle perçut les regards confus et intrigués de Maena et Sarah :

– Elle a rencontré mon père.

– Oh, répondit Maena, comprenant aussitôt avant de préciser pour Sarah : Charles De Lonay, il était à la tête du Groupe –

– Que Jessie De Lonay a repris, interrompit Sarah. Je sais qui c’est, Marko m’en a parlé.

Maena haussa les sourcils de surprise mais n’eut pas l’occasion d’approfondir sa curiosité que Liz reprit la parole :

– Sarah aurait tout de même pu nous le dire, tempéra-t-elle calmement. On ne l’aurait pas hurlé sur tous les toits, les médias n’en auraient jamais rien su.

– C’était ma décision personnelle, répondit Sarah avant que Maena ne puisse encore prendre la responsabilité de leurs prétendues actions. Je crois que j’aimais ce côté coupée du monde extérieur, c’était juste nous deux, sourit-elle timidement en jetant un rapide coup d’œil en direction de Maena. Le temps est simplement passé plus vite que je ne l’aurais cru.

– Hmm dit comme ça, difficile de t’en vouloir, taquina aussitôt Liz avant de prendre une gorgée de son verre. J’arriverai peut-être à plaider ton cas auprès d’Eva avec tout ça maintenant.

Sarah lui sourit son remerciement avant de s’excuser lorsqu’elle sentit son iPhone vibrer dans la poche arrière de son jean. Elle le sortit et fronça aussitôt les sourcils lorsqu’elle vit qu’il s’agissait d’un mms d’un numéro inconnu, avant de l’ouvrir, intriguée.

La discussion reprit autour d’elle mais elle n’y prêta pas attention, sentant à la place sa respiration se couper face à la photo que Marko venait visiblement de lui envoyer. Le cliché la montrait clairement en train de l’embrasser, sa main gauche tenant fermement le rideau alors qu’elle s’apprêtait à le fermer. Lui était de dos, mais on percevait quand même aisément la scène, et surtout le fait qu’elle n’était vêtue que d’un string et d’un soutien-gorge.

Les mains légèrement moites, elle remonta afin de lire la phrase signée de Marko à laquelle elle avait à peine prêter attention, et sentit aussitôt un profond soupir s’échapper de ses lèvres. « Situation sous contrôle, heureusement que tu as promis de ne plus m’embrasser ;)  Marko. »

Sarah s’apprêtait à se redresser dans l’espoir d’appeler Marko afin d’en savoir plus sur le sujet lorsqu’elle réalisa que Maena n’avait pas prononcé le moindre mot durant les quelques minutes où elle s’était retrouvée coupée du monde extérieur. Son cœur se mit à tambouriner à nouveau dans sa poitrine et elle hésita avant de lever les yeux vers elle, grimaçant aussitôt intérieurement dès qu’elle fit face à un regard impassible.

– Mae –

– Si vous voulez bien nous excuser, sourit poliment Maena en direction de Liz, d’Emma, et de Kate avant de se redresser puis tendre une main vers Sarah.

Perplexe et peu rassurée, Sarah décida néanmoins de jouer la comédie et s’empara de la main de Maena en prétendant que tout allait bien. Les filles semblèrent n’y voir que du feu, supposant très certainement qu’elles allaient danser, et elle suivit bêtement Maena jusqu’aux toilettes, sursautant légèrement lorsque cette dernière passa derrière elle pour poser ses mains sur ses hanches avant de la pousser dans la première cabine déserte.

L’étroitesse de l’endroit et la proximité avec Maena lui rappelèrent aussitôt le tour de passe-passe que lui avait joué son esprit ce jour-là, avec Marko, et Sarah se sentit aussitôt mal à l’aise.

Encore plus lorsqu’elle sentit le regard de Maena peser sur elle, de même que le silence qui les entourait.

– Vous êtes ensembles ?

Sarah releva aussitôt la tête, surprise :

– Hein ?

– Est-ce que vous êtes ensembles ?

Sarah cligna des yeux à plusieurs reprises, incrédule :

– Mais bien sûr que non ! Bon sang, Maena –

– Alors c’est quoi ? Une sorte de relation non exclusive ? Sans attachement ?

– Non, non c’est rien de tout ça, c’est –

– Ce n’est pas ce que cette photo avait l’air de dire.

Sarah referma la bouche d’un coup sec, agacée d’être à nouveau interrompue. Elle se passa une main sur le visage avant de soupirer :

– Je sais, admit-elle. Mais crois-le ou non, mis à part un baiser, il ne s’est rien passé d’autre. Et c’est la seule et unique fois que c’est arrivé.

Maena lui offrit un regard appuyé accompagné d’un sourcil haussé et Sarah leva aussitôt les mains au ciel lorsqu’elle comprit que Maena faisait référence à la première fois où elle avait rencontré Marko :

– Il ne s’est rien passé ce jour-là, je voulais juste lui mettre un vent pour s’être moqué de moi !

– Hmm et c’est ce qu’il s’est passé cette fois-ci ? Il s’est encore « moqué de toi » alors tu t’es dit que tu allais l’embrasser à pleine bouche ?

Sarah serra des dents avant de détourner le regard :

– Non, murmura-t-elle. Je voulais qu’il me donne son avis sur les vêtements que j’essayais, et je crois que j’ai simplement aimé la façon dont il me regardait. De fil en aiguille on s’est embrassés... mais j’y ai mis fin avant que ça n’aille plus loin.

Il y eut un long silence avant que la réponse n’arrive :

– Je dois m’attendre à ce que ça se reproduise ?

– Non, assura aussitôt Sarah en relevant la tête.

Maena lui offrit aussitôt un air sceptique et elle plongea son regard dans les yeux bleus au-dessus d’elle, désireuse d’être crue :

– C’était une erreur, Maena. Marko et moi l’avons aussitôt réalisé ce jour-là. Alors non, ça ne se reproduira plus.

Maena l’observa un instant avant de baisser les yeux :

– Bien, répliqua-t-elle calmement. Tu as le droit de fréquenter qui tu veux Sarah, mais j’aimerais juste être prévenue avant. Histoire de savoir s’il y a un risque pour que l’on fasse encore parler de moi dans mon dos.

Un rire dénué d’humour s’échappa de ses lèvres :

– C’est rarement en bien, alors j’aimerais pouvoir éviter de leurs fournir des éléments croustillants si je le peux.

Sarah se remémora aussitôt la réaction que Maena avait eu lorsqu’elle avait entendu Eva prononcer ces paroles au téléphone, puis lorsque la majorité de ses employés l’avaient vu à deux doigts d’embrasser Marko. Elle réalisa soudainement que Maena était parfaitement au courant de la façon dont le reste de la ville la percevait, et accordait en conséquence beaucoup d’importance à ce que les gens pensaient d’elle.

Elle sentit sa gorge se serrer face à la femme qui apparaissait désormais devant elle. Ce n’était pas celle qu’elle avait l’habitude de côtoyer, qui était si forte et si sûre d’elle, intrigante et énigmatique. Non, la femme qui se tenait devant elle aujourd’hui dévoilait quelque chose de beaucoup plus fragile, de douloureux. Une femme marquée au fer rouge par la médisance des autres, des ignorants.

Sarah se demanda depuis combien de temps elle trainait cette souffrance.

Elle voulut répondre, mais sa gorge, trop serrée, l’en empêcha alors elle fit ce qu’elle savait faire le mieux ; elle s’avança légèrement et lui offrit sa première étreinte, réconfortante, et prometteuse de pleins d’autres à venir encore si le besoin s’en faisait ressentir.

– Tu ne souffriras jamais par ma faute, Maena, promit-elle en encerclant sa taille de ses bras avant de poser sa tête sur son épaule et lever les yeux vers elle. Crois-le ou non, mais j’ai fini par beaucoup m’attacher à toi. Je ne suis pas sûre que j’arriverai à me regarder dans un miroir à nouveau si ça arrivait.

Maena lui rendit son étreinte avant de poser son menton sur le dessus de sa tête :

– C’est gentil, mais tu ne peux pas être sûre de ça. Personne ne peut savoir avec certitude qu’il ne fera jamais souffrir les gens qui lui sont chers.

Sarah médita un instant sur ses paroles avant de sourire faiblement :

– A moi de faire en sorte que ça n’arrive jamais alors, répondit-elle en s’écartant légèrement, son cœur se serrant lorsqu’elle vit les yeux humides de Maena. Je suis désolée Maena, je ne pensais pas que cette histoire avec ton frère te ferait aussi mal.

Maena haussa imperceptiblement les sourcils avant de s’emparer des feuilles de papier toilette que Sarah lui tendit.

– Merci, répondit-elle en s’essuyant les yeux. Vous avez pas mal discuté à ce que je vois.

– Un peu, admit Sarah. Pourquoi est-ce que tu ne m’as jamais dit qu’il était ton frère ?

Maena haussa les épaules avant de jeter le papier toilette dans la petite corbeille jouxtant le mur :

– Tu n’as jamais demandé, déclara-t-elle, souriant faiblement lorsque Sarah leva les yeux au ciel. Mais pour être honnête, je pensais que tu l’avais deviné étant donné qu’Amy t’avait très légèrement mise sur la voix.

– « Très légèrement » justement, marmonna aussitôt Sarah en croisant les bras sur sa poitrine avant de se mordre la lèvre inférieure. Et... hum, tu penses vraiment qu’il n’y a aucun risque pour que la photo que Marko m’a envoyé tombe entre de mauvaises mains ?

Maena ouvrit la porte de la cabine avant de l’inviter à sortir :

– Marko est le meilleur, ne t’inquiète pas, la rassura-t-elle en posant ses mains sur ses épaules. S’il te dit que tout va bien, c’est que tout va bien.

Sarah s’arrêta avant de se retourner :

– A vrai dire, je serais surtout rassurée si ces paroles venaient de toi, répondit-elle, son regard faisant clairement comprendre à Maena qu’elle parlait d’elles deux.

Maena l’observa avant de légèrement sourire :

– Tout va bien Sarah, je te le promets.

💕

– Tu tangues un peu, sourit légèrement Sarah en levant les yeux vers Maena.

Les premières notes de « Lovesong » d’Adèle avaient à peine résonnées que Maena l’avait aussitôt invitée à danser. Et même si la demande l’avait agréablement surprise pour une raison qu’elle ignorait, Sarah l’avait surtout fortement soupçonnée d’avoir simplement voulu échapper aux questions de ses amies.

Le début de soirée s’était plutôt bien passé, mais Kate, Emma et Liz avaient visiblement du mal à lui délier la langue. Sarah ne savait pas si c’était parce que Maena était mal à l’aise, ou parce qu’elle refusait tout simplement de s’intégrer.

– Je ne supporte pas très bien l’alcool, admit Maena, un léger rictus au coin des lèvres.

Sarah devait bien admettre qu’après deux Desperado cocktail à base de Tequila, de jus de citron et de bière blonde suivit d’une tournée de shooters B-52, elle n’était plus très fraîche elle non plus. Mais elle aimait la sensation de détente que cela procurait.

Elle frissonna lorsqu’elle sentit le souffle chaud de Maena contre son oreille :

– Tu sais que tes amies n’arrêtent pas de nous regarder, en tout cas ?

– Non, c’est toi qu’elles regardent, répondit Sarah en levant les yeux vers elle, le sourire aux lèvres. Figure-toi qu’elles te trouvent irrésistiblement canon.

Elle fut surprise de voir Maena détourner aussitôt les yeux d’embarras. Elle haussa un sourcil :

– Maena, rassure-moi, tu as conscience de combien tu es sublime quand même, hein ?

– Je croyais que j’étais simplement Carmilla à leurs yeux ? répondit Maena en l’observant à nouveau.

Sarah fit la moue, pensive :

– Eh bien... Carmilla est énigmatique, incroyablement séduisante et lesbienne, sourit-elle finalement avant de battre innocemment des paupières. Qui ne voudrait pas être comparée à elle ?

– Carmilla était surtout dangereuse.

– Ce que tu n’es pas, répondit aussitôt Sarah.

Maena haussa un sourcil parfaitement épilé :

– Qu’est-ce que te fait croire ça ? demanda-t-elle. Sarah, je t’ai fait kidnapper au cas où tu l’aurais oublié.

– Et tu m’as relâchée trois jours plus tard, en plus de m’offrir un dressing complet et 10 000€ par jour, répondit aussitôt Sarah en lui offrant un regard appuyé. Excuse-moi mais si ça c’est être dangereux, j’ai hâte de croiser tous les tarés du quartier !

Elle reprit son sérieux lorsqu’elle vit Maena secouer la tête, visiblement contrariée :

– Ecoute, s’il y a bien une chose que tu partages avec Carmilla, outre son exquise beauté, c’est son côté énigmatique, déclara-t-elle en plongeant dans les yeux bleus au-dessus d’elle, avant de poursuivre, un léger sourire sur les lèvres : tu es mystérieuse Maena, et j’ai bien l’intention de découvrir ce que tu caches.

– C’est pour ça que tu restes ? contra aussitôt Maena, intriguée. Pour assouvir ta curiosité ?

Sarah haussa les épaules :

– Peut-être, taquina-t-elle en tirant légèrement sur sa main afin qu’elles regagnent leur table. Ça et le fait que je dois aimer les femmes dangereuses.

Elle l’observa par-dessus son épaule, souriante :

– Et qu’il y a plusieurs millions d’euros à la clé, finit-elle dans un clin d’œil.

– Oh, tu veux juste la moitié de mon héritage alors, feint d’être blessée Maena, mais Sarah perçut aussitôt le trouble dans ses iris bleus glace.

Elle s’arrêta à quelques mètres de leur table pour lui faire à nouveau face :

– Ce serait mentir que de dire que l’argent ne m’attire pas, répondit-elle avant d’hausser un sourcil. Ose me trouver une personne qui dirait aussitôt non à plusieurs millions d’euros ? Mais si tu veux réellement savoir pourquoi je reste, c’est parce que cet héritage te revient, Maena. Je ne sais pas pourquoi Granny a fait tout ça, mais cette demeure et tout ce qu’elle contient t’appartient. Je tiens réellement à ce que tout te revienne une fois ces six mois écoulés.

– Même la moitié qui t’est destinée ? s’étonna Maena.

Sarah hocha aussitôt la tête :

– Maena, je n’ai rien à faire dans cette histoire. Je me sentirai mal à l’aise de profiter de ce qui ne m’appartient pas. Granny m’a permis d’avoir confiance en moi à un moment de ma vie où j’en avais le plus besoin, c’est plutôt à moi de lui rendre la pareille. Et c’est ce que je compte faire en faisant en sorte que sa petite fille reçoive ce qui lui revient de droit.

Maena sourit faiblement :

– Elle t’aurait sincèrement appréciée si elle avait eu la chance de te connaître. Mais tu ne repartiras pas les mains vides une fois ces six mois écoulés.

Maena passa devant elle et Sarah ouvrit la bouche avant de la refermer à plusieurs reprises, pour finalement se dépêcher de la rejoindre avant qu’elle ne s’asseye :

– Maena, gronda-t-elle en s’emparant de son bras. Tu m’as déjà donné de l’argent, un dressing complet et je suis littéralement nourrie logée. Ça suffit amplement !

– Et tu as perdu ton emploi.

Sarah cligna plusieurs fois des paupières, prise de court :

– Je ne savais pas que tu étais au courant, admit-elle en détournant le regard.

Maena haussa un sourcil :

– Tu penses vraiment que j’allais finir par croire que ton patron t’avait autorisé six mois de congés ? C’était destiné à arriver, Sarah.

– Je sais.

Le testament stipulait qu’aucune d’entre elles ne devait quitter la demeure plus d’une semaine sous peine de voir le testament s’annuler et la demeure remise entre les mains de la ville. Et là où Eva était architecte, Sarah s’occupait du service marketing et merchandising, ce qui nécessitait des déplacements parfois plus ou moins longs. Elle avait su dès le début qu’elle aurait à s’absenter plus d’une semaine au moins une fois durant ces six mois. Cela n’aurait tout simplement pas fonctionné, alors elle avait décidé de démissionner.

– Je trouverai autre chose, déclara-t-elle en relevant la tête. Les agences d’architecture ce n’est pas ce qui manque à la capitale.

Maena afficha un petit sourire en coin et elle plissa aussitôt les yeux, suspicieuse :

– Quoi ?

– Je connais quelques-uns des grands patrons, alors non, tu ne devrais en effet pas avoir de mal à trouver quelque chose.

Sarah secoua aussitôt la tête :

– Maena, je ne veux pas de ton aide. Je suis assez grande pour me débrouiller toute seule.

– Oh mais je n’allais rien faire, répondit Maena en la poussant légèrement vers leur table. Le simple fait que tu sois mon épouse suffit. Ton nom est à jamais associé au miens désormais, finit-elle dans un clin d’œil.

Sarah se contenta de secouer la tête, amusée.

Pour une raison qu’elle ignorait, l’idée était très loin de la déranger.

Et cela n’avait rien à voir avec les privilèges futurs dont elle allait visiblement bénéficier.

💕

– Hé !

Sarah lâcha un juron lorsque son eyeliner tomba dans le lavabo et elle jeta aussitôt un regard assassin vers la personne qui venait de lui donner la peur de sa vie, avant de sourire, agréablement surprise :

– Cassie ! s’exclama-t-elle en venant la prendre dans ses bras. Je croyais que tu ne pouvais pas venir ?

– Et louper Maena dans cette magnifique robe bleue nuit qui épouse tellement bien ses formes que – ouch ! s’interrompit-elle lorsque Sarah lui pinça le bras. Ben quoi ? répliqua-t-elle innocemment avant de sourire : C’est pas parce que je suis déjà servie que je ne peux pas regarder le menu hein !

Sarah plissa des yeux :

– Tiens-toi tranquille..., feignit-elle de menacer avant d’hausser un sourcil. Michael est venu avec toi ?

– Nan, répondit aussitôt Cassie en secouant négativement la tête. Il est à la maison avec Zoé, je suis d’ailleurs juste de passage ; on a prévu de passer la journée au parc demain, Zoé nous a rarement eu tous les deux à la maison en même temps ces derniers mois alors on a décidé d’en profiter. Et si je veux au moins quelques heures de sommeil..., grimaça-t-elle en regardant sa montre, notant qu’il était déjà presque quatre heures. Non vraiment je ne reste pas longtemps.

Sarah hocha la tête, compréhensive :

– C’est gentil à toi d’être venue, en tout cas, sourit-elle sincèrement.

Cassie remua une main dans les airs :

– Je te l’ai dit, Maena... magnifique robe bleue nuit...

– Cassie...

Cassie lâcha un rire.

– D’accord, d’accord, j’arrête de t’embêter, promit-elle. Bon et toi, comment ça va ? La soirée a l’air de plutôt bien se dérouler d’après ce que j’en ai vu, sourit-elle avant de se mordre l’intérieur de la joue. Bon en même temps, celle qui pose réellement problème n’est pas venue, mais t’as quand même réussi à te mettre les trois autres dans la poche, c’est plutôt positif, non ?

Sarah hocha aussitôt la tête :

– Elles s’inquiétaient juste, ce que je peux comprendre, répondit-elle en faisant tourner son eyeliner entre ses doigts, avant de lever un regard amusé vers Cassie. Et puis Maena maitrise la rhétorique comme personne, même si elles ne l’avaient  pas voulu, elles auraient été convaincues quand même.

– A qui le dis-tu, taquina aussitôt Cassie. C’est pour ça que j’ai choisi d’y croire dès le début !

Sarah sourit, mais haussa néanmoins un sourcil :

– C’est vrai que tu es la seule à avoir aussitôt bien pris la chose... une raison particulière ?

Cassie haussa les épaules :

– Disons que je vous connais suffisamment l’une l’autre pour savoir que je n’ai pas de soucis à me faire. Et crois-le ou non, mais avec deux cœurs aussi purs que les vôtres, c’est un peu difficile de vous en vouloir et ce peu importe ce que vous avez bien pu faire.

Sarah baissa les yeux, visiblement touchée, avant de lever soudainement la tête lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir à nouveau, laissant Emma entrer à son tour dans les toilettes :

– Laisse-moi deviner, grimaça-t-elle. Elles parlent encore médecine ?

Emma secoua négativement la tête, amusée :

– Non, répondit-elle avant de faire un léger signe de tête en direction de Cassie. En fait, je venais te mettre en garde contre Madame ici présente. Pour l’instant, elle observe de loin, et comprends bien qu’ « observe » est un euphémisme, mais ensuite, elle embrasse et avant que tu n’aies eu le temps de cligner des yeux, hop ! elle aura mis Maena dans son lit ! Ne lui fais absolument pas confiance, finit-elle dans un clin d’œil complice.

– Hé ! s’exclama aussitôt Cassie, outrée. C’est Kate qui m’a embrassée je te signale ! Et vu la façon dont elle s’y est prise, ça n’avait absolument rien de romantique. Et c’est toi qui m’as poussée dans votre lit conjugal ! Qui au passage était mon lit mais là n’est pas la question, précisa-t-elle en remuant une main dans les airs.

– Hmm je retiens surtout que je n’ai pas eu besoin de beaucoup pour te convaincre, taquina aussitôt Emma.

Cassie l’observa, la mâchoire pendante, et Sarah retint difficilement un rire :

– Vous êtes sûre que c’est avec Kate que vous êtes sortie toutes les deux ? Parce qu’à vous observer comme ça, on dirait un vieux couple qui se dispute...

Emma écarquilla les yeux avant de se reculer réflexivement d’un pas lorsqu’elle vit Cassie poser ses yeux sur elle et l’observer d’un air prédateur.

– Hmm tu as raison, ronronna Cassie tout en s’approchant d’Emma. Jusqu’à présent, je ne voyais que Kate, mais je dois bien admettre que sa moitié n’est pas méchante à regarder du tout..., poursuivit-elle en détaillant Emma de la tête aux pieds avant de lâcher un soupir résigné : c’est malin, je crois bien que c’est d’elle dont j’ai envie maintenant.

Emma haussa les sourcils de surprise avant de lâcher un cri aigu lorsque Cassie l’attrapa par la taille et la poussa vers la première cabine. Son dos heurta la porte et elle éclata de rire lorsque Cassie insinua son visage dans son cou et feignit de l’embrasser. 

Sarah les observa, totalement amusée, avant de tourner la tête lorsqu’elle vit la porte s’ouvrir d’un coin de l’œil, dévoilant Maena. Elle expliqua aussitôt lorsqu’elle la vit froncer légèrement les sourcils face à la scène qui se déroulait sous ses yeux :

– Je crois que l’alcool leur monte à la tête.

– Tcht, l’admonesta aussitôt Cassie alors qu’elle et Emma s’approchaient. Je n’ai pas encore bu je te signale, précisa-t-elle en se recoiffant. Et on allait justement regagner notre table avant que Kate ne se décide à venir nous chercher et m’étriper par la même occasion.

– Et tu ne l’auras pas volé, rit aussitôt Emma tout en la tirant par le bras.

Elles quittèrent la pièce et Sarah secoua la tête d’amusement avant de reporter son attention sur Maena :

– Ça va ?

Maena hocha légèrement la tête tout en s’approchant.

– Dis, je me demandais... vous partez à quelle heure, en général ?

– A la fermeture, répondit Sarah en rangeant son eyeliner dans son sac à main.

Maena avala difficilement sa salive avant de regarder autour d’elle :

– Et c’est à quelle heure, ça ?

– Cinq heures. Mais en général, on prend le petit déjeuner ensemble avant de rentrer chacune de notre côté. Pourquoi ?

Maena se frotta maladroitement le sourcil :

– Le soleil se lève à cinq heures.

Sarah lui offrit un regard confus avant de se souvenir.

– Oh. Eh bien... c’est pas grave, on peut partir plus tôt, répondit-elle, ne sachant pas ce qui la perturbait le plus entre le mal-être évident de Maena ou les non-dits qui flottaient autour d’elles. Bon sang Maena, quand me diras-tu de quoi il en retourne exactement ?

– Non, déclara aussitôt Maena en secouant la tête. Reste, je dirais au chauffeur de repasser te prendre.

Sarah lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– Maena, on est supposées être mariées, de quoi on va avoir l’air si on part toutes les deux à des horaires différents ? demanda-t-elle avant de lever une main lorsque Maena s’apprêta à répondre. Et ne me sors pas l’excuse du travail, c’est dimanche demain.

Maena sourit faiblement avant d’afficher un air embêté :

– Tu pourrais profiter de tes amis encore un peu si tu restais.

– Je sais, répondit Sarah avant d’hausser les épaules. Mais tu dois rentrer pour je ne sais quelle raison, alors on rentre. 

Maena tiqua sur ses propos et elle regretta aussitôt le ton qu’elle avait employé sans le vouloir.

– Excuse-moi, soupira-t-elle en se passant une main sur le visage. C’était pas censé sortir comme ça.

– C’est rien, répondit faiblement Maena en détournant le regard.

Un silence pesant s’installa entre elles et Sarah se mordit l’intérieur de la joue avant de demander :

– Tu me le diras, un jour ? Ce que tu caches.

Maena releva un regard mêlant crainte et appréhension vers elle.

– Je croyais que tu avais l’intention de le découvrir par toi-même ? répondit-elle après avoir repris contenance.

C’est pas comme si tu me facilitais la tâche aussi hein, pensa sarcastiquement Sarah.

– Un indice ? demanda-t-elle, pleine d’espoir. De quoi as-tu peur, Maena ?

Elle sut qu’elle n’obtiendrait pas de réponse lorsque Maena détourna à nouveau les yeux.

– Viens, capitula-t-elle en tirant légèrement sur son bras. Allons leur dire au revoir.

– Sarah...

Sarah posa aussitôt deux doigts sur ses lèvres.

– Il est quatre heures, j’ai passé une excellente soirée et je peux les revoir quand bon me semble, alors on rentre, énonça-t-elle simplement avant de sourire. J’ai une épouse à mettre au lit, après tout.

Maena afficha aussitôt l’un de ses rares sourires.

– Tu es sûre ?

– Que je veux rentrer ? Ou te mettre au lit ? répondit aussitôt Sarah, taquine.

Maena leva les yeux au ciel.

– Je suis sûre, assura Sarah en tirant légèrement sur sa main. Et dépêche-toi, l’heure tourne.

Elle s’apprêta à protester à nouveau lorsqu’elle sentit Maena la retenir par le bras, mais elle fut aussitôt coupée par deux lèvres sur les siennes. Surprise, elle se figea, avant de cligner bêtement des paupières lorsque Maena se recula.

– Que... quoi...

– Pour te remercier, répondit simplement Maena en replaçant une mèche blonde derrière son oreille. Et je n’ai rien dit tout à l’heure, mais cela m’aurait effectivement dérangée s’il y avait réellement eu quelque chose entre mon frère et toi, admit-elle en levant les yeux vers elle, avant de la contourner et regagner leur table.

Sarah se contenta de l’observer disparaître à travers la foule, déconcertée.

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22 juillet 2013

Chapitre 14

Sarah s’essuya nerveusement les mains sur son jean avant de toquer contre la porte des quartiers de Maena, la lèvre inférieure coincée entre ses dents. Faîtes qu’elle ne soit pas là, faîtes qu’elle ne soit pas là, faîtes qu’elle ne soit pas là...

– Entrez.

Sarah baissa la tête de dépit. Bon, j’aurais essayé. Hésitante, elle passa la tête dans l’entrebâillement de la porte avant d’entrer lorsqu’elle aperçut Maena dans le petit salon, le regard fixé sur un léger paquet de feuilles qu’elle tenait entre ses mains. Elle semblait totalement déconnectée du monde extérieur, allant et venant lentement dans la pièce et Sarah s’approcha jusqu’à venir prendre appui contre le dossier de l’un des fauteuils.

– Amy m’a dit que tu me cherchais, répondit Maena en relevant les yeux vers elle. Elle t’a préparée une tasse de thé, sourit-elle légèrement en désignant la table basse.

– Granny a vraiment fait quelque chose de bien lorsqu’elle l’a embauchée, sourit aussitôt Sarah en venant s’emparer du mug.

Maena haussa un sourcil.

– Tu ne lui en veux plus alors ?

– Je ne lui en ai jamais voulu, répondit Sarah, surprise de réaliser combien elle pensait ce qu’elle disait. Cette situation ne me fait pas plaisir, mais je n’arrive pas à lui en vouloir. En revanche, ce que je me demande, c’est pourquoi elle en est venue à faire ça.

Maena hocha la tête :

– Moi aussi.

– Mais tu penses toujours qu’elle l’a fait pour une bonne raison...

– Granny n’avait pas une once de méchanceté en elle, déclara Maena en relevant les yeux vers elle. Au contraire, alors oui, c’est ce que je pense.

Sarah se frotta le sourcil :

– Tu réalises que tu ne le sauras peut-être jamais, pas vrai ?

Maena se mordit l’intérieur de la joue, pensive.

– C’est possible, admit-elle finalement. Mais j’en doute.

– Comment ça ? répondit Sarah, confuse. Tu penses qu’il y a plus que le testament ?

Maena haussa les épaules.

– On verra bien, répondit-elle en déposant son paquet de feuilles sur la petite table avant de s’emparer de sa tasse à son tour. Mais assez parlé de ça. Regarde derrière toi, j’aurais besoin de ton avis.

Sarah haussa un sourcil avant d’obtempérer et elle sentit aussitôt sa mâchoire s’affaisser légèrement lorsqu’elle reconnut l’immense tableau accroché au mur.

– La magnifique, brillante, Effie Ruskin, murmura-t-elle d’un ton ébahi tout en détaillant la femme âgée d’une quarantaine d’années confortablement assise dans son fauteuil et vêtue d’une somptueuse robe rouge bordeaux. On raconte qu’elle était d’une beauté rare, avec de longs cheveux auburn et des yeux bleus-gris magnifiques... Ecossaise jusqu’au bout des ongles, en plus de posséder un charme fou et une générosité sans limite.

Elle tourna la tête vers Maena :

– Tu savais qu’elle aurait été demandée vingt-sept fois en mariage avant de finalement épouser John Ruskin en 1848, sous les conseils de sa famille ? 

Maena s’approcha jusqu’à s’arrêter à ses côtés avant d’acquiescer légèrement :

– Il paraîtrait également qu’elle aimait provoquer son draconien d’époux en venant prendre le petit déjeuner avec des fleurs dans ses cheveux.

Sarah haussa aussitôt les sourcils :

– Tu connais l’histoire ? demanda-t-elle, agréablement surprise.

Maena hocha imperceptiblement la tête avant de porter son attention sur le tableau.

– Sa lune de miel a été catastrophique, Ruskin a refusé de lui faire l’amour et elle a passé les six années suivantes à espérer qu’il change d’avis.  Elle a fini par tomber en dépression, et Ruskin a aussitôt insinué qu’elle avait perdu l’esprit.

– Et alors qu’elle était tombée au plus bas, Ruskin a suggéré qu’elle pose pour son petit protégé, John Everett Millais.

Maena acquiesça, un léger sourire sur les lèvres :

– Hmm, Everett savait reconnaître une beauté naturelle lorsqu’il en voyait une, il était d’ailleurs lui-même assez bel homme. Ils ont alors passé l’été de 1853 ensemble dans une petite maison de campagne dans les Highlands d’Ecosse. Ruskin a totalement ignoré sa femme. Everett, en revanche, était fasciné par Effie. Il la peignait les jours de pluie, et l’accompagnait lors de longues promenades quand le soleil brillait. Et puis un beau jour, alors qu’il l'aidait à traverser un cours d’eau en enjambant des pierres de gué, Effie s’est soudainement agrippée à son bras et ils ont tous les deux glissé dans la boue. Ça a été le début de leur histoire. Seulement, même si Everett savait que son mariage avec Ruskin partait en lambeaux, il craignait que la passion qu’il ressentait pour Effie ne la mette en péril. Mais c’était sans compter sur cette dernière qui, après des mois de dépression, a finalement révélé leur secret à ses parents. Avec leur aide et celle de nombreux amis influents, Effie a pu faire ses valises, dire adieu à Ruskin et rejoindre celui qu’elle aimait.

– Son mariage avec John Everett Millais a duré plus de quarante ans. Ils ont eu huit enfants, et elle a été sa muse, inspirant ses œuvres d’une beauté plus belle encore.

Sarah observa silencieusement le tableau quelques instants encore avant de faire la moue :

– Par contre, je n’ai pas la moindre idée de pourquoi Ruskin n’a jamais voulu consumer le mariage.

Maena exerça une légère pression sur sa taille afin qu’elle vienne prendre place sur l’un des deux fauteuils qui faisaient face à la cheminée :

– Ruskin aurait trouvé différentes excuses, commença-t-elle en prenant place. Un refus d’avoir des enfants pour lesquels il éprouvait une haine profonde, des motivations religieuses, un désir de préserver la beauté d’Effie... Il aurait fini par lui avouer la véritable raison lors de leur divorce. 

Maena dut retenir un sourire lorsqu’elle vit Sarah se pencher légèrement vers l’avant, comme si elle avait peur d’en louper une miette.

– Il aurait imaginé Effie différemment, et ce serait pour cette raison qu’il aurait refusé de lui faire l’amour. Son visage avait beau être magnifique, elle n’était selon lui pas faite pour susciter le désir chez l’autre. Au contraire, il aurait été dégoûté.

– Dégoûté ? s’exclama aussitôt Sarah, incrédule. Maena, je t’en prie, Effie était l’une – non, retire ça – elle était la plus belle femme de son époque !

Maena lui offrit un sourire indulgent. 

– Sarah, Ruskin était un esthète, il n’avait jamais vu de femme nue outre celles représentées dans les tableaux artistiques. Il s’était imaginé un idéal à des années lumières de la réalité. Le soir de la nuit de noces, lorsqu’il s’est retrouvé face à des poils pubiens, et non le renflement lisse, l’abricot imberbe auquel il s’attendait – celui véhiculé par la Royale Académie des Arts – il aurait été horrifié. D’autres racontent qu’Effie aurait simplement eu ses règles ce soir-là.

Sarah secoua la tête, mi-amusée, mi-incrédule.

– Horrifié... Maena, je t’en prie...

Maena haussa les épaules.

– C’est psychologique. Certains parlent d’asexualité, d’autres de pédophilie puisqu’il aurait rencontré Effie alors qu’elle était encore assez jeune, et aurait admis être par la suite tombé amoureux de Rose La Touche alors qu’elle n’avait que dix ans.

Sarah grimaça, mal à l’aise.

– Et tu en penses quoi, toi ?

Maena détourna son regard vers le feu qui crépitait doucement dans la cheminée.

– J’en pense... je pense que rien ne le prouve, et que c’est dommage de dresser de telles conclusions sans savoir si c’est vrai ou non. Et puis, même si c’était vrai, est-ce que ça importe vraiment ? John Ruskin était un défenseur de l'art pour l'art, de l'architecture gothique et de l'artisanat d'art, il a prêché pour une esthétique opposée à la réalité économique et sociale de la société victorienne. C’était un partisan infatigable de la justice sociale qui a profondément et durablement influencé des écrivains, des architectes, des mouvements artistiques et des hommes politiques aussi divers que Tolstoï, Gandhi ou encore Proust. Voilà ce qu’on devrait retenir. Pas tous ces commérages qui ne riment à rien.

Sarah eut soudainement l’impression qu’elles venaient d’atteindre un sujet sensible pour Maena, au point qu’elle se demanda s’il s’agissait toujours de Ruskin dont elle parlait. Hmm, bizarre.

– Ce sont pourtant certains de ces mythes qui font vivre nombre de ces tableaux, Maena. Effie Gray Millais fascine pour toutes ces histoires qui évoluent autour d’elle. Et puis, en ce qui la concerne, rien n’a été inventé. De nombreuses lettres qu’elle envoyait elle-même régulièrement à ses proches ont été retrouvées. Elle n’avait aucun secret, surtout pour son père.

Maena sourit légèrement :

– Tu veux toujours avoir le dernier mot, hein ? demanda-t-elle, retenant difficilement un rire lorsque Sarah hocha aussitôt la tête. Bon, et pourquoi est-ce que tu voulais me voir, sinon ?

Sarah sentit aussitôt le malaise qui l’avait habité toute la journée s’emparer à nouveau d’elle et elle abaissa son regard vers ses mains qu’elle tordait nerveusement sur ses cuisses avant de répondre :

– Eh bien... je... j’ai... j’ai failli coucher avec ton frère et ce au beau milieu d’un magasin de vêtement. Ah non je peux pas lui dire ça ! J’ai eu Eva au téléphone ce matin, se défila-t-elle finalement, levant intérieurement les yeux au ciel face à son cruel manque de courage. Et... et il se pourrait que...

– Qu’elle ait envie de faire ma connaissance ? proposa Maena, un sourcil haussé.

Sarah grimaça :

– Elle et quelques amies ? Elles n’ont pas spécialement apprécié le fait d’apprendre notre engagement au travers de Facebook alors je me disais...

– D’accord.

Sarah s’interrompit aussitôt, surprise :

– D’accord ? C’est vrai ?

– Hmm, répondit Maena d’un air absent tout en récupérant son paquet de feuilles. Où ça ?

– Dans un club gay-friendly, The Heaven ou un truc comme ça.

Sarah put jurer que Maena venait de se figer et lorsqu’elle releva les yeux vers elle, Sarah fut surprise d’y déceler le trouble qui l’habitait visiblement. Puis, aussi vite qu’il était apparu, il disparut et Maena hocha légèrement la tête avant de se redresser.

– Laisse-moi juste passer un coup de fil avant.

– O.K...., répondit Sarah, perplexe, avant de soudainement la retenir par le bras. Attends, tu ne vas pas demander à tes gardes de venir avec nous quand même, hein ?

Maena haussa les sourcils avant de laisser son visage s’adoucir :

– J’ai besoin d’eux ici Sarah, alors non, ils ne viendront pas avec nous.

– Oh, O.K., répondit Sarah dans un sourire penaud avant de froncer les sourcils. Mais pourquoi est-ce que tu as besoin de passer un coup de fil alors ?

– Pour... hum... le chauffeur, répondit finalement Maena avant de s’éloigner. Je n’en ai pas pour longtemps.

Sarah l’observa bêtement quitter la pièce, un sentiment de déception s’abattant sur elle.

Une chose était sûre, Maena était une très mauvaise menteuse. 

18 juillet 2013

Chapitre 13

– Ça fait longtemps que tu travailles pour elle ?

Seul le silence lui répondit et Sarah reposa le jean qu’elle observait d’un œil critique avant de se tourner vers Marko. Elle sourit aussitôt lorsqu’elle le vit observer les demoiselles qui évoluaient dans le rayon lingerie avec intérêt.

Elle lui donna une légère tape sur le ventre :

– L’une d’entre elle pourrait être ta copine si tu lâchais un peu tes ordinateurs, tu sais ?

Marko tourna la tête vers elle tout en plissant des yeux, mais décida de l’ignorer pour répondre à sa première question :

– Tout dépend ce que tu veux réellement savoir, car si c’est depuis combien de temps je connais Maena, je dirais... depuis toujours.

– Toujours ? s’étonna aussitôt Sarah. Genre toujours, toujours ?

Marko afficha un léger sourire tout en la poussant légèrement vers le rayon suivant. Il détestait le shoping, alors si en plus Sarah y passait la journée, il n’allait jamais y survivre.

– En fait, elle avait déjà trois ans lorsque je l’ai rencontrée. Mais je ne m’en souviens pas trop, puisque je n’en avais que quatre.

Sarah haussa les sourcils avant que la compréhension ne s’insinue dans son esprit :

– Tu es le fils d’Amy ?

– C’est ça, répondit Marko, amusé. Alors en plus d’être aveugle, tu es longue à la détente ?

Sarah le frappa aussitôt sur le bras.

– Elle a parlé de trois enfants, mais n’a mentionné que sa fille ainée, expliqua-t-elle. Alors je ne vois pas comment j’aurais pu le deviner !

– Rose, répondit aussitôt Marko en s’emparant d’un haut qu’il tendit à Sarah. C’est ma grande sœur, ensuite il y a mon frère, Sébastien et moi : Marc.

Sarah plaça le caraco devant elle avant de s’observer d’un œil critique dans l’un des nombreux miroirs qui occupaient les rayons ici et là :

– Je comprends mieux pourquoi tu reluques tout ce qui bouge sauf Maena en tout cas, sourit-elle malicieusement avant de relever les yeux vers lui. Elle doit être comme une sœur pour toi, non ? Puisque vous avez grandi ensembles.

Marko hocha la tête et Sarah l’observa de la tête au pied :

– Par contre, ne le prends pas mal, mais tu ne fais absolument pas trente-quatre ans, répondit-elle, visiblement surprise. Je te pensais même plus jeune que moi, ajouta-t-elle avant de se diriger vers le rayon lingerie.

– Je prendrais ça pour un compliment, sourit Marko avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’il réalisa où Sarah l’emmenait. Euh, t’es pas sérieuse là ? Déjà que je ne comprends pas pourquoi tu as insisté pour que ce soit moi qui t’accompagne, mais alors là, c’est hors de question. Appelle qui tu veux, moi je m’en vais !

Sarah le retint aussitôt par la capuche de son sweat-shirt.

– Je ne peux pas y aller avec mes copines, depuis qu’elles ont appris pour Maena et moi, elles sont insupportables. Et je déteste faire du shopping toute seule.

– Maena t’a offert un dressing au grand complet, répondit aussitôt Marko en lui offrant un regard appuyé. T’as même pas besoin de faire du shopping !

Sarah afficha un petit sourire :

– Une femme n’a jamais trop de vêtements, déclara-t-elle, les yeux brillants. Et j’ai quelques milliers d’euros qui n’attendent qu’à être utilisés, je ne vais quand même pas les laisser prendre la poussière ? ajouta-t-elle innocemment.

Marko marmonna entre ses dents avant de rougir furieusement lorsqu’un string en dentelle rouge fut agité juste sous son nez.

– J’en conclus que tu aimes, sourit Sarah en s’emparant du soutien-gorge assorti avant de prendre la direction des cabines. Et ne va nulle part, j’ai besoin de ton avis ! lâcha-t-elle par-dessus son épaule.

Marko leva aussitôt les yeux au ciel avant de la suivre. Elle veut ma mort. Il l’observa pénétrer dans l’étroite cabine la plus éloignée, puis sentit sa bouche littéralement s’assécher lorsque le rideau s’ouvrit à nouveau, dévoilant une facette de Sarah qu’il n’aurait jamais cru voir un jour. Comme hypnotisé, il ne put détacher son regard de son corps, contemplant ses jambes dénudées et finement musclées, la fine culotte qui cachait tellement peu qu’il en eut aussitôt le vertige, un ventre plat totalement mis à nu avant de s’arrêter sur une poitrine magnifiquement enserrée par un soutien-gorge en dentelle.

Il se demanda un instant s’il n’était pas mort et arrivé au Paradis.

– C’est... hum... c’est pas interdit d’essayer les sous-vêtements normalement ? bégaya-t-il finalement.

Sarah tira légèrement sur le tissu rouge afin de dévoiler un autre string en dentelle noire :

– Pas si tu gardes les tiens en dessous, expliqua-t-elle avant de relever la tête. Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Je ne sais pas trop si le rouge, c’est ma couleur...

Elle entendit Marko déglutir et elle afficha aussitôt un sourire satisfait :

– Ou peut-être que si, finalement.

Elle replaça la bretelle du soutien-gorge en un geste inconscient et elle vit aussitôt les yeux noisette de Marko s’assombrir ostensiblement. Son regard captura le sien, et elle ne sut si c’était parce qu’elle se sentait soudainement désirable, ou parce qu’elle était seule depuis si longtemps qu’elle avait besoin de se sentir connectée à quelqu’un à nouveau, ne serait-ce qu’un instant, mais elle se vit se hisser sur la pointe des pieds et poser ses lèvres sur les siennes.

Marko resta figé, aussi raide qu’une statue, les yeux fixés sur elle comme s’il la voyait pour la première fois et Sarah redouta un instant avoir mal interprété la lueur qui brillait dans son regard. Elle l’embrassa à nouveau, et fut rapidement soulagée de le sentir l’agripper par la taille avant de l’attirer doucement à lui.

Dans un élan de lucidité, Sarah leva une main afin de refermer le rideau derrière eux, puis s’accrocha à son cou. Le désir coulait dans ses veines, son corps vibrait d’impatience et elle sut aussitôt que Marko ressentait la même chose lorsqu’une main se posa sur son genou avant de remonter jusqu'à son entrejambe. Elle le connaissait depuis un peu moins de deux mois, mais le désir annihilait toutes les sonnettes d’alarmes que lui envoyait sa raison. Elle avait besoin de cette étreinte, de le sentir contre elle. En elle.

Marko laissa glisser sa main le long de son dos jusqu’au creux de ses reins et Sarah s’entendit gémir contre sa bouche lorsqu’elle le sentit venir caresser ses fesses. Comme si c’était le signal qu’il attendait, Marko la plaqua contre lui afin qu’elle sente la force de son désir et, au comble de l’excitation, Sarah glissa ses mains sous son sweat-shirt avant de les remonter jusqu’à la toison qui recouvrait son torse, ses dents venant mordiller l’oreille à proximité.

– Sarah...

Sarah fut surprise par la voix qui lui parvint, tant elle était complètement différente de ce à quoi elle se serait attendue. Elle ouvrit légèrement les yeux et remarqua aussitôt que ses mains s’étaient glissées dans de longs cheveux couleur ébène. Des yeux bleus turquoise, presque azur sous l’effet du désir, l’observaient en retour et elle sentit sa respiration se couper.

– Sarah...

Ce même timbre de voix, grave, et un peu cassé, accompagné d’un léger accent néo-zélandais qu’elle aurait reconnu entre milles lui parvint à nouveau et elle s’entendit gémir, avant de fermer les yeux lorsque des lèvres affamées se pressèrent à nouveau contre les siennes. Des mains parcoururent ses cuisses avant de remonter et agripper ses fesses, et même si le désir était à son apogée, Sarah fut surprise de sentir si bien, si à l’aise alors qu’elle l’embrassait.

Ses mains resserrèrent leur prise sur les cheveux ébène, et elle approfondit un peu plus le baiser, avant de le rompre à regret.

Ses yeux s’ouvrirent doucement, et elle eut aussitôt l’impression de recevoir comme une douche froide lorsqu’elle vit Marko. Son visage arborait une expression étrange, mais Sarah se demandait surtout ce qu’il venait de se passer. Elle était là, à l’embrasser, et soudainement... j’embrassais Maena, réalisa-t-elle avec stupéfaction. L’illusion avait été si forte qu’elle pouvait encore sentir ses mèches brunes entre ses doigts et ses yeux bleu azur posés sur elle.

Une main se posant sur sa joue la fit revenir à la réalité et elle leva aussitôt les yeux vers Marko avant de détacher ses jambes de sa taille et se redresser. Son désir n’était désormais plus qu’un souvenir et elle tenta tant bien que mal de regagner le contrôle d’elle-même. 

Elle se racla maladroitement la gorge :

– Je suis désolée Marko, répondit-elle enfin tout en réarrangeant ses vêtements. Je ne sais pas ce qui m’a pris et –

– C’est moi qui suis désolé, l’interrompit Marko en portant ses mains à son entre-jambe, priant pour que la bosse qui déformait son jean disparaisse rapidement. Heureusement que cette histoire de mariage est complètement bidon, je crois que Maena m’aurait tué pour ça sinon.

Sarah, qui avait commencé à se rhabiller, s’interrompit lorsque les paroles de Marko lui parvinrent :

– Qu-quoi ? balbutia-t-elle en l’observant à nouveau. Tu es au courant ?

Marko détourna le regard, embarrassé :

– C’est moi qui me suis occupé de ton enlèv – Ouch ! s’exclama-t-il lorsque Sarah le frappa aussitôt sur l’épaule de son poing. Désolé, je suis désolé ! poursuivit-il quand il comprit qu’elle ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin.

– T’as plutôt intérêt, gronda Sarah avant d’enfiler son chemisier. Elle t’aurait dit de sauter d’un pont, tu l’aurais fait aussi ?

Marko serra des dents, visiblement agacé.

– J’ai dit que j’étais désolé, qu’est-ce que tu veux de plus ?

– Là, tout de suite ? Que tu sortes de cette cabine, répondit Sarah en le poussant à l’extérieur. Et que tu remettes ça en rayon ! ajouta-t-elle en lui lançant les sous-vêtements qu’elle venait tout juste d’essayer.

Marko obtempéra, un profond soupir s’échappant de ses lèvres.

Et lui qui pensait que sa sœur avait du caractère...

💕

– Tu m’en veux toujours ?

– Oui, répondit Sarah en prenant appui contre la voiture et en croisant les bras sur sa poitrine tandis que Marko sortait tous ses sacs du coffre.

Marko secoua la tête, incrédule.

 – Je ne comprends pas pourquoi. Je veux dire, t’es toujours là, alors visiblement, les choses se sont réglées entre toi et Maena.

Sarah plissa des yeux :

– Parce que j’ai presque couché avec le type qui a orchestré mon kidnapping ! Sans compter que je suis censée jouer l’épouse de Maena, t’aurais jamais dû me laisser aller aussi loin.

– Oh c’est de ma faute alors ? s’exclama Marko tout en la contournant pour pénétrer dans l’immense demeure.

Sarah accéléra afin d’arriver à sa hauteur :

– Exactement. C’est ta sœur, elle te fait confiance.

– Et tu m’as embrassée, répondit aussitôt Marko en lui offrant un regard appuyé. A vrai dire, c’est toi qui passe ton temps à me séduire, alors c’est de ta faute.

Sarah ouvrit la bouche avant de la refermer. Même si ça lui coûtait de l’admettre, il marquait un point.

– Eh bien je te rassure, ça n’arrivera plus !

– Très bien !

Le silence s’installa entre eux tandis qu’ils montaient les marches de l’imposant escalier de marbre et Sarah l’observa du coin de l’œil, remarquant aisément qu’il était agacé. Elle se mordit l’intérieur de la joue avant de soupirer :

– Bon d’accord, je suis désolée, s’excusa-t-elle. Je n’aurais jamais dû faire ça, mais je pense quand même que tu es une ordure pour m’avoir fait kidnapper.

Même si elle lui en voulait sûrement, Marko nota néanmoins le faible sourire qui étirait ses lèvres et il hocha la tête en reconnaissance :

– Ça me convient. Et je suis désolé aussi.

– Parfait, sourit Sarah avant de tourner la tête lorsque le bruit d’une porte leur parvint.

Elle vit aussitôt Maena sortir de son bureau, rapidement suivit d’une femme que Sarah n’avait jamais vue avant et, intriguée, elle se recula et poussa Marko dans un léger renfoncement de manière à ce qu’ils puissent voir sans être vu. Son regard s’attarda un instant sur l’inconnue avec qui Maena discutait et elle devait bien admettre qu’elle était sublime. Son tailleur gris cendré épousait ses courbes de rêve à merveille et lorsqu’elle tourna légèrement la tête dans sa direction, Sarah découvrit des traits affirmés et un sourire craquant qui accentuaient encore plus sa beauté.

– Qui c’est ? murmura-t-elle tout en observant l’inconnue sortir un foulard de sa poche et venir le nouer autour de son cou.

– Jessie De Lonay, répondit Marko, tout aussi subjugué par la beauté brune. Ou la femme qui fait pâlir d'envie la Bourgeoisie au grand complet.

Avec une allure pareille, tu m’étonnes, pensa aussitôt Sarah avant de plisser des yeux vers le morceau de tissu qui recouvrait désormais le cou de l’inconnue.

– Et qu’est-ce qu’elle fait ici ? demanda-t-elle, intriguée.

– Elle investit dans les recherches de Maena.

– Comme Cassie ? s’étonna aussitôt Sarah.

Marko hocha aussitôt la tête et elle se mordit l’ongle du pouce, pensive :

– Hmm... je suppose que si je te demande de quoi il en retourne, tu ne me le diras pas ?

Marko secoua légèrement la tête :

– C’est à elle de te le dire.

– Elle refuse de le faire.

– Elle doit avoir ses raisons.

Sarah soupira :

– Elle sait visiblement bien s’entourer, en tout cas.

– Jessie est une vieille amie de Granny, comme beaucoup d’autres membres de la Haute société. Maena les a tous rencontrés par son intermédiaire. Elle a décidé d’accepter l’aide de quelques-uns d’entre eux lorsqu’ils se sont proposés. 

Sarah fronça légèrement les sourcils :

– Et ils offrent leur aide en hommage à Granny, ou sincèrement pour Maena ?

Marko afficha un sourire carnassier :

– Tu peux avoir confiance en Maena pour bien choisir ses investisseurs. Même si Granny représentait tout pour elle, il est des choses qu’elle n’accepterait jamais.

Sarah hocha la tête avant de reporter son attention sur Maena lorsque des rires lui parvinrent faiblement. Elle vit l’inconnue s’avancer légèrement afin de la prendre dans ses bras et l’embrasser sur la joue et Sarah se sentit obligée de détourner le regard, un sentiment de gêne qu’elle eut du mal à s’expliquer prenant place au creux de son estomac. 

– Ça va ? lui parvint aussitôt la voix sur la gauche.

Sarah fut surprise d’y discerner de l’inquiétude et elle acquiesça, un faible sourire sur les lèvres avant de relever la tête lorsque l’inconnue passa à côté d’eux pour regagner la sortie. Légèrement reculés dans l’obscurité, elle ne les aperçut pas et Sarah observa son foulard avec suspicion avant de reporter son attention sur Maena.

Peu importait ce qu’elle avait beau lui cacher, Sarah avait bien l’intention de le découvrir. Et vite.

15 juillet 2013

Chapitre 12

Sarah observa calmement Maena alors qu’elle refermait l’attache de la montre qui entourait désormais son poignet gauche. Elle fronça légèrement les sourcils.

– Comment t’as deviné que ma couleur préférée c’était le bleu ? demanda-t-elle avant de s’emparer du poignet de Maena. La tienne, c’est le vert ?

Maena sourit.

– Appelle ça l’instinct féminin. Et non, c’est le rouge, précisa-t-elle tout en levant vers Sarah des yeux d’un bleu presque gris sous l’éclairage de la lune. Mais le vert vient juste après.

Le rouge. Sarah avala difficilement avant de détourner le regard. Quelle surprise, pensa-t-elle sarcastiquement.

A sa demande, Maena avait accepté de diner avec elle à l’extérieur. Sa seule condition avait été d’attendre que le soleil soit couché, et Sarah avait bêtement hoché la tête, un léger mal être prenant place au creux de son estomac.

Puis elle avait vu la nappe à rayure rouge et blanche parsemée de bougies et de mets en tout genre, et elle avait intérieurement remercié Amy pour son aide inégalable. Sarah s’était sentie coupable du comportement qu’elle avait eu un peu plus tôt, lorsqu’elle avait blessé Maena en flirtant ouvertement avec Marko. Alors elle avait demandé à Amy de l’aider à organiser un diner romantique dans le jardin faisant face à la véranda, et pour que tout le monde soit au courant, elle avait parsemé des pétales de roses à même le sol du bureau de Maena jusqu’à la nappe sur laquelle elles étaient désormais assises, juste à côté du bassin d’eau.

Elle sursauta lorsqu’elle vit des formes oranges, vertes et roses évoluer dans ce dernier.

– Euh, Maena ? Je peux savoir pourquoi tes poissons brillent dans la nuit ?

Elle fut surprise d’entendre un léger rire résonner à côté d’elle. Maena souriait à peine, mais alors rire ? Impossible ! Pourtant, lorsqu’elle tourna la tête dans sa direction, elle sentit aussitôt sa respiration se couper face au sourire franc qui illuminait son visage et dévoilait une parfaite rangée de dents blanches.

– Ce sont des GloFish, des poissons zèbre génétiquement modifié, expliqua finalement Maena. Des gènes d'une protéine fluorescente ont été introduits dans leur génome.

– Oh... je peux avoir un truc comme ça dans ma chambre ? demanda Sarah, pleine d’espoir.

Maena secoua la tête, amusée.

– Si tu veux, sourit-elle avant de désigner le poignet de Sarah qu’elle tenait toujours entre ses mains. Je peux t’expliquer comment tu dois t’en servir maintenant ?

Sarah hocha la tête et elle obtempéra :

– Bien, tu vois le premier bouton, juste ici ? demanda-t-elle en désignant celui situé complètement sur la gauche. Tu ne peux pas le voir là, mais il y a un petit « G » gravé dessus ; c’est pour les gardes. Comme tu peux le constater, le bracelet est beaucoup trop petit pour pouvoir y apposer un bouton pour chacun d’entre eux, alors il te faudra prononcer un prénom à chaque fois, car ils sont tous branchés sur la même fréquence.

Elle hésita un instant avant d’ajouter :

– Sarah, si jamais il t’arrivait quelque chose, ou si tu remarquais quelque chose qui sort de l’ordinaire, je veux que tu les contactes aussitôt, d’accord ?

Sarah l’observa, surprise.

– Que tu veux qu’il m’arrive ici ? s’exclama-t-elle avant de plisser des yeux. Et puis de qui, d’abord ? ajouta-t-elle avant de pâlir soudainement. Elle ne me met pas en garde contre elle, quand même ?

– C’est... compliqué, répondit Maena avant de désigner le dernier bouton. Celui-ci, c’est Marko. Il est principalement mon homme à tout faire, mais c’est surtout un véritable génie de l’informatique. Il a accès sur tout ici, et dans chaque pièce : il voit tout et entend tout, un véritable Big Brother, sourit-elle légèrement avant de reprendre son sérieux. Idem, si jamais il arrivait quelque chose, je veux que tu le préviennes lui aussi, d’accord ?

Maena releva les yeux et elle laissa son visage s’adoucir lorsqu’elle remarqua l’air apeuré de Sarah.

– Excuse-moi, je m’y prends mal, grimaça-t-elle. Sarah, tu es vraiment en sécurité ici, je t’assure. Seulement, il arrive que mon travail... en vienne à attirer quelques irréductibles. Mais ils ne s’en prendront jamais à toi, sauf si tu décidais de te mettre sur leur chemin, j’imagine. Préviens juste ceux qui sont payés pour s’occuper de ce genre de chose, d’accord ? 

Sarah prit une profonde inspiration qu’elle relâcha doucement :

– C’est un peu un discours à double sens. Qu’est-ce que tu peux bien faire pour attirer des soi-disant... irréductibles ?

Maena soupira avant de se pincer l’arête du nez. Pourquoi fallait-il que Sarah soit aussi curieuse ?

– Des recherches.

– Je sais ça, répondit Sarah tout en lui offrant un regard appuyé. Mais sur quoi ?

– Sarah, commença Maena en prenant ses mains dans les siennes. Ce n’est pas ça qui importe, mais plutôt dans quel but ces personnes là cherchent à voler ce qui ne leur appartient pas.

Elle réfléchit un instant, cherchant un exemple qui lui ferait clairement comprendre ce qu’elle voulait dire.

– Il y a plusieurs années, une souche de coronavirus sur lequel des chercheurs d’un laboratoire de Chine travaillaient a été volée. La contamination s’est propagée à une vitesse folle, éclatant en novembre 2002 et sévissant jusqu'au début de l'été 2003. Plus de 8.000 personnes ont été touchées par la maladie dans le monde, et à peu près 800 en sont mortes.

Elle s’interrompit avant d’ajouter :

– Mis entre de mauvaises mains, les résultats de certaines recherches peuvent très rapidement devenir des armes ultimes. Et à contrario, un chercheur qui aurait tout juste découvert un remède contre le cancer pourrait se voir voler ses recherches avant même qu’il n’ait eu le temps de déposer un brevet. Son voleur pourrait en tirer tous les bénéfices.

Sarah pencha légèrement la tête sur le côté.

– C’est ce dont tu as peur, toi ? demanda-t-elle. Qu’on te vole tes recherches ?

Maena détourna le regard et alors que Sarah commençait à se faire à l’idée qu’elle ne lui répondrait pas, elle releva les yeux vers elle pour lui dire :

– Il est possible que ce soit déjà arrivé.

Sarah haussa aussitôt les sourcils.

– « Arrivé » ? Comment ça ? Et qu’est-ce que c’était ? Un remède contre le cancer ?!

Maena ne put retenir un faible sourire, mais elle secoua négativement la tête.

– Non, et avant que tu ne poursuives ton interrogatoire, coupa-t-elle en levant une main, je ne t’en dirais pas plus. La seule protection que je possède, c’est le silence. Et je compte bien m’y tenir.

Sarah grommela avant de se mettre à dessiner des arabesques sur la nappe du bout du doigt.

– Tu pourrais me dire ce sur quoi tu travaillais avant..., proposa-t-elle innocemment. Ce sur quoi il n’y aurait pas le risque d’incidences négatives aujourd’hui ?

Elle sut que sa méthode venait de fonctionner lorsque Maena afficha un faible sourire.

– Tu ne lâcheras pas le morceau tant que je ne te l’aurais pas dit, c’est ça ?

– C’est ça, répondit aussitôt Sarah, le regard brillant.

Maena hocha doucement la tête avant de poser son regard sur elle :

– Pour tout te dire, tu connais déjà la réponse.

Sarah l’observa, confuse :

– Le cancer ? proposa-t-elle.

– Le cancer, affirma Maena avant de détourner le regard. Leucémie aiguë, survenue pendant une grossesse. L’un des cancers les plus rares et les plus difficiles à traiter.

Sarah porta aussitôt une main à ses lèvres, horrifiée. Oh mon dieu, elle ne parle pas d’Alison quand même là, si ?

– La découverte d'une leucémie aiguë au premier trimestre nécessite une polychimiothérapie d'urgence, ce qui impose une interruption de grossesse, poursuivit Maena tout en levant les yeux vers les étoiles. Alison m’a aussitôt haï, parce que c’est moi qui lui avait fait part de mon envie d’avoir des enfants, mais elle qui avait dû le porter parce que je ne le pouvais pas. J’ai fini par la détester en retour, parce qu’elle me tenait pour responsable de tout, et m’avait privée des recherches que j’opérais à l’époque pour ne m’occuper que d’elle.

Elle inspira profondément avant de soupirer :

– Elle avait promis de me rendre ce que j’avais trouvé jusque-là dès qu’elle serait sortie d’affaire, poursuivit-elle avant de lâcher un rire dénué d’humour. Comme si j’allais, à moi seule, trouver un remède efficace d’ici là.

Elle secoua la tête avant de baisser les yeux vers Sarah.

– Mais elle ne m’a jamais rien rendu. Quant à la chimiothérapie, elle n’a pas fonctionné, et Alison est décédée quelques mois plus tard.

– Oh Maena...

Maena leva aussitôt une main.

– Non, juste... non, d’accord ? supplia-t-elle. Une part de moi lui en veut toujours de m’avoir fait perdre des années de recherches, alors qu’elle était simplement désespérée, commenta-t-elle avant d’hausser un sourcil. Ça doit en dire beaucoup sur ma personne, non ?

Sarah sentit aussitôt sa gorge se serrer et elle s’empara des mains de Maena avant de plonger son regard dans le sien à nouveau.

– Moi ce que je vois, c’est que désespérée ou non, Alison n’a pas joué fair-play dans l’histoire, répliqua-t-elle sincèrement. Mais que tu as quand même été là pour elle, même si ça t’a coûté beaucoup.

Elle hésita avant de demander :

– Ces recherches qu’elle t’a volé... ce sont celles sur lesquelles tu travailles en ce moment ?

Maena hocha doucement la tête.

– Celles sur lesquelles j’ai toujours travaillé.

– Et tu as peur qu’on te vole... parce qu’Alison l’a fait ?

Maena se figea aussitôt.

– Alison ne m’a pas seulement volé, coupa-t-elle d’un ton mêlant colère et désemparement. Elle a surtout vendu mes recherches au plus offrant.

– Oh la salope, s’exclama aussitôt Sarah avant de plaquer une main sur ses lèvres. Pardon.

Maena haussa les sourcils avant de secouer la tête, un sourire amusé sur ses lèvres.

– Non, je t’en prie, répondit-elle. Ça fait deux ans que je pense comme toi sur ce point, même si je l’ai surement cherché quelque part.

Sarah haussa un sourcil, incrédule.

– A ce que je sache, c’est pas toi qui lui a refilé le cancer, et elle devait bien le désirer aussi cet enfant pour accepter de se faire engrosser par le premier cathéter du coin.

– Engr... par le premier cathé... ? répéta bêtement Maena avant de littéralement éclater de rire. Oh mon dieu Sarah, tu es unique, tu le sais ça ?

Sarah se contenta d’hausser les épaules, un timide sourire sur les lèvres face au compliment inattendu. Elle était néanmoins contente d’avoir réussi à éloigner Maena de ses noirs démons et provoquer ce rire qui était si rare chez elle.

Elle tourna légèrement la tête lorsqu’elle perçu du mouvement derrière elle et repéra aussitôt Bulldog n°1 et Bulldog n°2.

– Tu crois qu’ils sont rassurés ? demanda-t-elle en observant de nouveau Maena.

Maena hocha doucement la tête.

– Ça n’importait pas vraiment, pour être honnête, répondit-elle avant d’ajouter sincèrement : mais merci de l’avoir fait.

Sarah se contenta d’afficher un sourire satisfait.

11 juillet 2013

Chapitre 11

Sarah attendit patiemment que bulldog n°6 et bulldog n°3 aient ouvert les doubles portes avant de pénétrer dans la salle de sport. Contrairement au reste de l’immense demeure, c’était la seule pièce à posséder des néons diffusant une lumière blanche typique de celles des hôpitaux. Elle possédait un coin fitness sur la gauche, juste à côté du mur d’escalade, un coin musculation sur la droite puis un espace réservé aux sports de raquettes. Sarah savait qu’en ce qui concernait tous les autres sports, ça se passait à l’extérieur, dans l’immense cour arrière.

Les doubles portes se refermèrent derrière elle et elle se dirigea aussitôt vers la salle des sports de raquettes, saluant les quelques gardes présents d’un signe de tête et grimaçant légèrement lorsque des effluves de sueurs vinrent désagréablement lui chatouiller les narines.

– Beurk, répliqua-t-elle tout en poussant la porte de verre à l’aide de son épaule.

Elle déposa le plateau qu’elle tenait entre ses mains sur le banc avoisinant puis se retourna et parcourut les diverses petites salles du regard dans l’espoir d’y trouver Marko. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi il ressemblait, mais Amy lui avait dit qu’il était complètement différent des gardes. Sarah avait alors supposé qu’elle devrait facilement le trouver juste avec ce détail.

Elle passa devant la salle de Pingpong, puis celle de badminton, et atteignait tout juste celle du tennis contre mur quand un raclement de gorge se fit entendre juste derrière elle. Surprise, elle se retourna, et fut aussitôt persuadée d’avoir enfin trouvé le dit Marko. Amy n’avait pas menti, il était à l’opposé même de ce à quoi ressemblaient la plupart des gardes. Là où tous avaient une allure de rugbyman, Marko était plus petit, avec un physique beaucoup plus fin. Un physique de cycliste, pensa-t-elle. Il avait des cheveux aussi, certes coupés courts, et une barbe de trois jours soigneusement entretenue. Ses yeux marrons semblaient rieurs, son sourire charmeur et une tenue décontractée jean-t-shirt-converses complétait l’ensemble.

Sarah devait bien s’avouer qu’il était plutôt beau garçon.       
 – Vous devez être Sarah ? demanda-t-il, un sourcil haussé. Ou plus communément connue sous le nom de « celle qui faisait tourner la tête de la moitié des employés de Dame Maena. »

Sarah haussa les sourcils et il afficha un sourire satisfait :

– Et elle n’est même pas au courant... comme c’est surprenant.

Sarah nota aussitôt le ton moqueur mais au lieu de le rembarrer, elle opta pour une toute autre tactique. Elle s’approcha jusqu’à pénétrer son espace personnel avant de lever les yeux vers lui, bien consciente qu’il pouvait aisément sentir son souffle sur ses lèvres.

– Et vous devez être Marko, l’homme à tout faire..., commenta-t-elle en venant laisser son doigt courir le long de son sternum avant de remonter vers son cou, puis jusqu’à ses lèvres. Je me trompe ?

Elle sourit intérieurement lorsqu’elle le vit inspirer soudainement.

– N-non, répondit-il tout en ne la lâchant pas du regard.

Sarah sourit, puis taquina la lèvre inférieure de Marko de son ongle parfaitement manucuré. 

– Alors dis-moi, Marko..., ronronna-t-elle, plongeant son regard dans les pupilles dilatées au-dessus d’elle. Est-ce que je te fais tourner la tête, à toi aussi ?

Elle sentit les mains de Marko prendre place autour de sa taille et serrer doucement et elle en profita pour se rapprocher plus encore, jusqu’à ce que son corps soit en contact avec le sien. Elle haussa un sourcil, dans l’attente.

– Pe-peut-être, répondit finalement Marko, son regard passant alternativement de ses yeux verts à ses lèvres.

Sarah en profita pour très légèrement sortir sa langue et les humidifier le plus lentement possible et elle retint difficilement un rire lorsqu’elle sentit le cœur contre elle se mettre aussitôt à tambouriner plus fort. Ah les mecs... C’était tellement facile qu’elle en fut presque déçue. Elle prit le menton de Marko entre ses doigts et rapprocha son visage jusqu’à frôler son nez du sien, le laissant croire qu’elle allait l’embrasser.

– Marko ? souffla-t-elle, sa main libre se glissant à l’arrière de sa tête, dans ses cheveux. Ton café va refroidir.

Elle attendit une seconde, puis deux, puis quelques-unes encore avant que Marko ne comprenne enfin ce qu’elle venait de dire et ne se recule subitement.

– Huh ? lâcha-t-il, incrédule.

Sarah lui tapota gentiment l’épaule.

– Ça t’apprendra à te moquer moi, chuchota-t-elle en se reculant, retenant difficilement un rire face au visage ahuri qui lui faisait face. Et...

Son regard dévia par-dessus l’épaule de Marko pour s’arrêter sur la silhouette nonchalamment appuyée contre la porte en verre et elle sentit aussitôt le sang quitter son visage.

– Et Madame Maena ne va absolument pas être ravie de ce qu’elle vient de surprendre, marmonna-t-elle en se reculant à une distance raisonnable.

– Hein ? répliqua Marko avant de tourner la tête afin de suivre son regard.

Il écarquilla aussitôt les yeux.

– Oh merde, je viens de signer mon arrêt de mort.

– Ça c’est si elle ne me tue pas avant, grimaça Sarah.

Marko lâcha aussitôt un « ppffft ! » l’air de dire « genre ! » et Sarah plissa des yeux avant de le pousser pour qu’il avance.

– Hé ! s’exclama-t-il aussitôt en se positionnant à côté d’elle.

– Quoi ? Il va bien falloir qu’on l’affronte un jour, non ?

Marko marmonna entre ses dents mais obtempéra et bien vite, ils ne furent plus qu’à un mètre de Maena, de son visage impossible à déchiffrer et de ses yeux presque noirs sous la colère qui l’habitait visiblement. Maena posa son regard sur Sarah et elle prononça d’un ton neutre :

– Marko ? Dans mon bureau.

Sarah l’entendit déglutir audiblement puis quitter la pièce en toute hâte et elle en profita pour aussitôt ouvrir la bouche mais Maena l’arrêta en levant une main.

Elle secoua légèrement la tête avant de soupirer :

– Bon sang Granny, tu étais vraiment obligée de choisir une bisexuelle ?

Sarah sentit aussitôt ses sourcils grimper sur son front.

– Pardon ? s’exclama-t-elle. Je peux savoir ce que mon orientation sexuelle vient faire la dedans ?

– Tu vois d’autres femmes ici ? coupa aussitôt Maena, le ton dur. Avec une lesbienne, au moins, j’aurais été sûre de ne pas avoir à affronter ce genre de problème un jour !

Sarah serra des dents.

– Si au moins tu me laissais m’expliquer...

– Expliquer quoi ? gronda aussitôt Maena en prenant un pas menaçant vers elle. Franchement Sarah, t’étais vraiment obligée de faire ça ? Ici, devant la majorité de mes employés qui, tous sans exception, nous pensent mariées ?!

Sarah cligna bêtement des yeux avant de regarder autour d’elle. La plupart des gardes du corps présent détournèrent aussitôt la tête, mais elle eut aisément le temps de remarquer le sentiment de désaccord qui habitait leurs visages. Son attention se reporta sur Maena et, même si tout n’était que comédie, elle comprit soudainement qu’elle venait surtout de blesser son amour propre. Elle passait soudainement pour la femme bafouée et ce devant la majorité de ses employés.

Sarah se sentit soudainement mal à l’aise.

– Maena... je... c’est vraiment pas ce que tu crois. Je t’assure que...

– A d’autres, Sarah, coupa Maena avant de se retourner et quitter la pièce.

Sarah relâcha aussitôt un grognement de frustration avant de lui courir après. Elle chuchota une fois arrivée à sa hauteur :

– T’es obligée de toujours prendre la fuite quand on se dispute ?

Maena remercia les gardes d’un signe de tête lorsqu’ils leur ouvrirent la porte avant de répondre :

– Peut-être parce que tout a été dit et qu’il n’y a rien de plus à ajouter ?

– Eh bien moi si, j’ai encore quelque chose à ajouter là justement ! s’exclama aussitôt Sarah en évitant d’hausser la voix.

Elle ne voulait pas embarrasser Maena une seconde fois. 

– Et qu’est-ce que c’est ? soupira Maena tout en s’arrêtant au beau milieu du couloir. Que ce n’est pas ce que je crois ? C’est bon, merci, j’ai compris.

– Je – ne – t’ai – pas – trompée ! Voilà ce que j’ai à ajouter, gronda Sarah en prenant une posture défiante. Marko s’est moqué de moi parce que je n’avais pas remarqué que la plupart de tes employés... m’aimaient un peu plus que bien, on va dire, expliqua-t-elle, légèrement mal à l’aise. Alors j’ai voulu me venger en lui faisant croire qu’il me plaisait pour finalement lui mettre un vent, marmonna-t-elle finalement, désormais complètement embarrassée.

Maena l’observa avant de soupirer.

– C’est pas ça le problème Sarah, expliqua-t-elle calmement. On n’est pas ensemble, tu es libre de faire ce que tu veux avec qui tu veux. Le problème –

– C’est de l’avoir fait devant la majorité de tes employés, marmonna Sarah avant d’afficher un regard empli d’excuses. Je sais, et je suis sincèrement désolée pour ça. Je n’ai pas réfléchi.

Elle hésita avant de demander :

– Tu m’en veux vraiment ?

Pour une raison qu’elle ignorait, la réponse lui importait beaucoup. Maena détourna le regard avant de légèrement secouer la tête.

– Je m’en remettrai, déclara-t-elle en l’observant à nouveau, avant d’afficher un air désolé. Et je suis désolée pour ton compte Facebook, la presse ainsi que la rémunération. Je n’aurais pas dû faire toutes ces choses, et encore moins dans ton dos.

– Ça veut dire que tu vas arrêter ? demanda Sarah, pleine d’espoir. La rémunération surtout, parce que j’ai l’impression d –

Elle fut coupée par une main sur ses lèvres.

– Uniquement si tu arrêtes de prononcer ce mot, frissonna Maena, visiblement blessée.

Sarah retira délicatement sa main.

– Voler. J’allais dire que j’ai l’impression de te voler. Maena, j’ai accepté de te rendre service, je n’ai pas besoin d’une rémunération en retour. Sans compter que 10 000€ par jour c’est... c’est... c’est de la folie !

Maena se mordit l’intérieur de la joue, pensive avant de hausser un sourcil :

– D’accord, mais tu gardes ce que je t’ai déjà donné alors. Deal ?

Sarah s’apprêta à protester mais elle s’interrompit lorsque Maena s’avança dangereusement vers elle, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de son corps. Elle glissa un doigt sous son menton afin de croiser son regard.

– Sarah... dans un couple, pour que ça marche... il faut faire des concessions des deux côtés, tu ne crois pas ?

Sarah avala difficilement sa salive, ne sachant pas ce qui la troublait le plus entre l’intense regard bleu glacé juste au-dessus d’elle, ou le souffle de Maena qui venait chatouiller ses lèvres.

– D’ac-d’accord, bredouilla-t-elle enfin, totalement hypnotisée.

Maena afficha un petit sourire.

– Parfait, répondit-elle avant de reprendre son sérieux. Ecoute, je sais que cette histoire de testament est très loin de te ravir, et que tu es littéralement en train de sacrifier six mois de ta vie pour moi –

– Oui enfin, il y a quand même plusieurs millions d’euros à la clé aussi..., la coupa Sarah dans un sourire.

– C’est vrai, sourit Maena avant de froncer les sourcils. Mais ce que je voulais dire, c’est que six mois c’est très long. Alors on pourrait peut-être faire en sorte d’éviter l’affrontement le plus possible et respecter le testament en bonne intelligence, tu ne crois pas ?

Sarah hocha la tête.

– Tu as raison, admit-elle. Je tâcherai de faire des efforts.

– Moi aussi, promit Maena avant de se reculer. Tu veux bien m’excuser maintenant ? J’ai un homme de main à torturer.

– T’es sûre ? grimaça Sarah. Parce que techniquement, il n’a pas fait grand-chose...

– Oh ça je le sais bien, répondit aussitôt Maena, les yeux brillants. Je le comprends même, après tout, comment pourrait-on résister à ton charme ? Même mes employés ont abandonné l’idée depuis bien longtemps.

Sarah se sentit aussitôt rougir furieusement.

– Tu aurais pu m’informer de ce petit détail, grommela-t-elle en se frottant la joue dans l’espoir de faire partir la rougeur.

– Et mettre fin au spectacle ? répondit aussitôt Maena dans une exclamation feinte. Jamais !

Sarah lui tira aussitôt la langue à quoi Maena lui répondit d’un clin d’œil avant de s’éloigner le long du couloir.

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8 juillet 2013

Chapitre 10

La clarté de son regard bleu était saisissante, et le contraste entre sa peau laiteuse et ses cheveux noir ébènes avait quelque chose d’étrange, de rare, mais d’indéniablement envoutant.

Et puis il y avait la façon dont il l’observait en retour, cette expression si intense et si admirative qui la rendait toujours mal à l’aise, mais aussi secrètement heureuse de savoir qu’elle retenait son attention. Il évoquait en elle une fascination tellement incontrôlable qu’elle ne pouvait s’empêcher de dévisager ses traits encore et encore. Ses pommettes saillantes qui accentuaient l’éclat singulier de son regard bleu glace, son nez droit et cette bouche qui inspirait le désir et lui conférait quelque chose de dur, particulièrement viril. Un ensemble qui selon elle ne pouvait laisser aucune âme humaine insensible.

– Mademoiselle ?

Sa voix lui parvint mais alors qu’elle reprenait pied avec la réalité, son sourire dévastateur la bouleversa aussitôt, et de nouveau, son esprit semblait comme vide.

– Je... hum... veuillez m’excuser, parvint-elle finalement à balbutier.

Embarrassée, elle s’apprêtait à quitter la pièce mais Mathis saisit son bras avant d’emprisonner sa main entre les siennes de façon rassurante. Surprise, Luna fut aussitôt saisit de vertige, de délicieux petits picotements se propageant dans sa chair au contact des doigts virils qui effleuraient son poignet.

– Qu’est-ce que...

Mathis l’ignora, levant son avant-bras afin de regarder sa montre.

– Dans dix minutes, vous ne serez plus mon employée. Je dois vraiment attendre si longtemps pour pouvoir vous embrasser ?

Les mots lui parvinrent et Luna se retrouva aussitôt en état de choc. Il voulait l’embrasser ? Il la trouvait donc attirante ? Au point de ressentir la même chose qu’elle ?

– Luna ? l’appela-t-il, désireux d’obtenir une réaction.

Luna cligna des paupières à plusieurs reprises, la joie immense qui s’insinuait en elle lui faisant agréablement tourner la tête :

– N... non. Nous n’avons pas à attendre aussi longtemps.

Un sourire empli de désir lui répondit, rapidement suivit de doigts frémissant sous son menton, et Luna sentit son cœur vaciller face à la dilatation révélatrice des pupilles qui lui faisaient face, ainsi qu’à la respiration légèrement saccadée qui venait frôler ses lèvres.

La pointe d’une langue vint retracer les contours de sa bouche et elle –

 

– Tu n’as jamais pensé à écrire du saphique ?

Sarah sursauta aussitôt face à la voix qui résonna par-dessus son épaule et elle porta une main sur son cœur. Plongée dans son histoire, elle n’avait pas entendu Maena entrer, mais maintenant qu’elle était là, elle sentit la colère qui l’avait habitée avant qu’elle ne se noie dans l’écriture monter en elle à nouveau et elle écarta l’ordinateur avant de s’assoir en tailleur sur son lit.

Il y avait d’abord eu Facebook, et même si la photo publiée sur son compte était absolument magnifique – bien que visiblement réalisée à partir d’un montage, car Sarah n’avait simplement aucun souvenir de quand cette photo aurait pu avoir été prise autrement – Sarah n’avait pas du tout apprécié, car si elle avait voulu que les gens soient au courant de son « mariage » avec Maena, elle aurait aimé pouvoir l’annoncer elle-même. 

Puis il y avait eu la surprise d’aujourd’hui. Celle qui avait fini de la mettre littéralement hors d’elle, et elle prit une profonde inspiration avant de prononcer dans un ton qu’elle se voulut calme :

– Non, et tu tombes justement à pique ; je voulais te voir.

Maena se redressa, un sourcil haussé :

– Ah ? J’espère que ce n’est pas pour l’écriture au moins, tu avais l’air de plutôt bien t’en sortir.

Sarah rougit légèrement. Son inspiration n’avait jamais été aussi prolifique que depuis qu’elle avait élu domicile dans l’immense demeure, et même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi ses histoires étaient toutes en lien avec une mystérieuse beauté ténébreuse, c’était bien la seule chose qui ne lui donnait pas de fil à retordre pour le moment.

– Non, c’est pas pour ça. Ce que je voudrais savoir, c’est si tu pouvais m’expli... mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?! s’interrompit-elle lorsqu’elle vit une boule de poil énorme entrer à son tour dans la pièce, ses griffes résonnant sur le parquet.

Maena afficha aussitôt un regard confus.

– Je croyais que tu l’avais toi-même demandé ? répondit-elle en glissant ses doigts dans la généreuse fourrure brune avant d’afficher l’un de ses rares sourires. Elle s’appelle Dixie. Elle est adorable, hein ?

– Adorable ? répéta aussitôt Sarah avant de fusiller du regard l’endroit où Maena venait de poser sa main. Elle était surtout censée me protéger de toi ! Mais c’est... c’est... c’est un vrai nounours oui !

Maena cligna des yeux, surprise par son emportement soudain.

– Et alors ? Tu n’aimes pas les Bouviers Bernois ?

– C’est pas ça, répondit Sarah en remuant une main dans les airs. J’avais demandé un chien intimidant, gronda-t-elle. Elle est pas intimidante elle !

Elle sentit sa colère monter d’un cran lorsque le dit chien dégagea la main de Maena de sa tête la lécher goulument. Elle plissa des yeux. Traitre !

– Sarah, je ne comprends pas, déclara Maena, confuse. Pourquoi est-ce que tu aurais besoin d’un chien intimidant ?

– Pour rien, soupira Sarah tout en récupérant son ordinateur. Par contre, si tu pouvais m’expliquer ça, ça me serait très utile, ajouta-t-elle en tournant l’écran vers Maena.

Maena s’approcha jusqu’à s’agenouiller au pied du lit pour mieux voir. Elle grimaça.

– Tu devrais peut-être penser à changer de banque, leurs frais de prélèvements sur les opérations sont incroyablement élevés.

Sarah haussa aussitôt les sourcils.

– Ah ouais ? s’étonna-t-elle avant de secouer la tête. Aaaah ne la laisse pas te déconcentrer ! Garde ça au chaud plus tard, d’accord ? demanda-t-elle avant de désigner l’écran. Il n’y a rien qui te choque, là ?

– Hmm... outre le fait que ton métier n’a pas l’air de si bien rémunérer ?

Sarah lui offrit aussitôt un regard appuyé.

– Figure-toi que la somme d’argent qui figurait sur mon compte en banque a mystérieusement augmenté de 140 000€, en raison de 10 000€ par jour. Tu n’aurais pas une idée d’où ça pourrait venir, par hasard ?

Maena cligna innocemment des paupières.

– Non ?

– Bien sûr, répondit aussitôt Sarah, sarcastique. Six mois... cent-quatre-vingt-deux jours... ça nous fait du 1 825 000€. Je me trompe ?

Maena ne répondit pas et elle poursuivit :

– 10 000€ la journée ? C’est ce que je vaux à tes yeux ?

Maena afficha aussitôt un air hésitant :

– C’est pas suffisant ?

– Suffisant ? répéta Sarah, incrédule avant de la fusiller du regard. C’est blessant oui ! J’ai pas envie d’être payée ! J’ai l’impression d’être... d’être... une pute !

– Une pute ? s’exclama Maena, horrifiée avant de se redresser d’un bon. Non mais ça ne va pas la tête, hein !

Sarah croisa aussitôt les bras sous sa poitrine, la posture défiante.

– Et si c’était moi qui te payais, tu le prendrais comment ? lâcha-t-elle tout en lui offrant un regard appuyé.

Maena ouvrit la bouche avant de la refermer.

– Tu m’offres un service, gronda-t-elle finalement, le regard dur. Je t’empêche de vivre ta vie comme tu le souhaiterais, alors oui, j’ai décidé de te rémunérer. Et c’est la seule raison pour laquelle j’ai décidé de le faire. Alors arrête de parler de prostitution !

Elle dévisagea Sarah encore un instant, la respiration saccadée, avant de finalement tourner les talons et quitter la pièce.

– Eh bien vas-y, fuit ! s’exclama Sarah avant de se laisser retomber sur le lit et cacher son visage entre ses mains. Aaaarg !

Des bruits de pas lui parvinrent à nouveau et elle redressa aussitôt la tête mais fut rapidement soulagée lorsqu’elle vit Amy ; un deuxième round avec Maena aussi près du premier aurait entrainé des paroles blessantes qu’elle n’aurait pas pensé et elle ne voulait surtout pas ça.

– Eh bien, il y a de l’ambiance par ici, sourit faiblement Amy tout en déposant son plateau sur le lit. Qu’est-ce qui se passe, il y a de l’orage dans l’air ?

– Non, soupira Sarah, avant de se redresser. Enfin si, peut-être. Je sais pas.

– Hmm, vous n’avez pas l’air très convaincue.

Sarah haussa les épaules, son doigt dessinant des arabesques sur le couvre lit. La colère était encore trop présente en elle pour qu’elle puisse prendre suffisamment de recul afin d’analyser objectivement la situation dans laquelle elle et Maena se trouvaient.

Tout ce qu’elle savait pour le moment, c’était qu’elle détestait juste qu’on prenne des décisions pour elle sans même lui en parler avant, elle avait vingt-huit ans pour l’amour  du ciel, pas cinq.

La voix d’Amy la ramena à la réalité :

– Je suis sûre que quoi qu’elle ait fait, ça partait d’un bon sentiment.

Sarah nota aussitôt le petit sourire d’Amy lorsqu’elle releva les yeux et elle remarqua une fois encore que la simple présence de la veille femme l’apaisait, si bien qu’elle sentit déjà une partie de la colère qui l’habitait s’évaporer à ces simples paroles.

– Oh vous pensez, hein ?

– Absolument, assura Amy en prenant au pied du lit. Maena a toujours admiré sa grand-mère, son sens aigu de la justice et son besoin maladif d’aider autrui. Malheureusement pour vous, et même si elle ne le réalise pas, ce sont deux des nombreux traits que Maena a hérité d’elle, finit-elle dans un clin d’œil.

Sarah rit faiblement avant de froncer les sourcils. Sens aigu de la justice... qu’avait dit Maena déjà ? Tu m’offres un service. Je t’empêche de vivre ta vie comme tu le souhaiterais, alors oui, j’ai décidé de te rémunérer. Sarah devait bien reconnaitre qu’il n’y avait rien de plus honnête dans la proposition.

Elle soupira.

– Vous avez surement raison, admit-elle dans un faible sourire. Mais parfois... j’aimerais juste qu’elle s’y prenne autrement.

– Ah ça... personne n’est parfait, et je n’ai jamais dit que Granny l’était elle non plus. Maena a forcément hérité de quelques-uns de ses défauts également...

Le ton était taquin et cette fois-ci, Sarah rit franchement, ravie lorsque la vieille femme la suivit.

– Dites Amy, vous la connaissiez si bien que ça, Granny ? demanda-t-elle une fois calmée.

– Ah ça pour la connaître, je la connaissais, acquiesça Amy dans un sourire. J’ai passé les trente dernières années à travailler pour elle.

– Oh ? répondit Sarah, visiblement surprise. Vous l’avez rencontrée comment ?

– Hmm j’avais à peu près votre âge à l’époque, commença Amy, le regard lointain. Je venais de fêter mes vingt-huit ans, j’avais trois enfants sur les bras, un époux décédé en guerre, et deux emplois pour garder la tête hors de l’eau. La crise économique nous rendait les choses très difficiles, et j’avais du mal à offrir à mes enfants un semblant de vie normal. Rose, mon ainée, m’aidait beaucoup mais ce n’était pas suffisant. On avait cruellement besoin d’argent.

– Et c’est là que Granny est apparue ?

Amy rit légèrement.

– Patience, l’admonesta-t-elle gentiment. L’une des usines dans laquelle je travaillais a fini par fermer, il ne me restait plus que la préparation des repas dans une pension de la ville, ce qui n’était pas suffisant pour payer le loyer et nous nourrir tous les quatre. J’ai commencé à sérieusement manquer d’argent, et à force de payer le loyer en retard, le propriétaire a fini par nous mettre à la rue.

– Oh non..., murmura Sarah, plongée dans l’histoire. Vous avez fait comment ?

– On s’est débrouillés comme on a pu, sourit tristement Amy. On est allés de refuges en refuges, et quand on ne le pouvait pas, mes enfants dormaient chez leurs amis.

– Mais pas vous ? devina Sarah.

Amy secoua la tête.

– J’étais bien trop fière pour ça. J’étais prête à tout pour mes enfants, mais je refusais qu’on me tende la main. Je ne voulais pas qu’on ait pitié de moi. Et puis, éventuellement, j’ai fini par perdre mon deuxième travail. J’étais trop fatiguée, trop affamée pour tenir la cadence.

Elle s’interrompit un instant avant de poursuivre :

– J’ai laissé mes deux fils et ma fille au refuge cette nuit-là, et je suis sortie prendre l’air. J’étais vraiment à bout, je me disais qu’il n’y avait plus d’espoir désormais. Alors je me suis effondrée, là au bord de la route, avec les passants qui m’observaient comme si j’avais perdu l’esprit.

Amy prit une profonde inspiration avant de poser son regard noisette sur Sarah :

– C’est là que je l’ai rencontrée. Je n’avais pas fait attention, mais j’avais marché jusqu’au quartier riche de la ville. Granny assistait à une soirée mondaine organisée pour venir en aide aux Ethiopiens lorsqu’un célèbre couturier est venu lui dire qu’une mendiante pleurnichait juste devant l’entrée. Il a ajouté qu’avec un jeu d’acteur un peu plus réussi, il aurait peut-être réussit à ressentir de la sympathie à mon égard.

– Le salaud, s’exclama aussitôt Sarah avant de grimacer. Pardon.

Amy sourit franchement :

– Ne vous excusez pas, c’est exactement ce qu’a pensé Granny. Mais elle s’est contentée de simplement s’excuser – comme Maena, elle ne supportait pas la provocation et l’évitait le plus possible – et est aussitôt sortie à l’extérieur. Le reste est plutôt flou, tout ce dont je me rappelle, c’est m’être réveillée dans cette chambre si grande et si luxueuse que j’étais persuadée d’être en train de rêver. Granny était assise à mes côtés et m’a expliqué que mes enfants étaient dans le jardin en train de jouer, et que le petit déjeuné m’attendait dans le salon. 

Elle secoua la tête :

– J’ai eu du mal à y croire, mais j’avais tellement envie de m’assurer qu’ils allaient bien que je suis aussitôt descendue. Et elle avait dit vrai, ils étaient là, tout juste sortis de la douche et habillés de vêtements neufs dont je n’osais même pas imaginer la valeur. Mais surtout, ils semblaient si heureux... après les dernières semaines que nous avions vécus, ce simple détail représentait tout pour moi.

– J’imagine, sourit Sarah, imaginant la scène avec aisance. Que s’est-il passé ensuite ?

– Granny m’a invité à la rejoindre à table. Elle m’a questionné un instant, et je me sentais tellement en confiance que les mots sont sortis tous seuls. Je lui ai raconté ma vie, mes difficultés, mes espérances et elle m’a calmement écoutée. Puis elle m’a expliquée qu’elle recherchait une assistante cuisinière, son chef était apparemment l’un des meilleurs du pays, mais son mauvais caractère avait poussé les derniers employés à rapidement démissionner. Elle me promettait un logis pour moi et mes enfants, ainsi qu’un bon salaire et un chauffeur à disposition pour les sorties en ville.

– Wow, et vous avez accepté ?

Amy secoua négativement la tête.

– Non, pas au premier abord. C’était beaucoup trop. J’avais ma fierté et cette femme ne me connaissait même pas. Mais il y avait mes enfants... Errer de refuges en refuges ce n’était pas une vie pour eux alors j’ai finalement accepté, sous condition que ce soit temporaire.

– Mais vous n’êtes jamais partie, devina Sarah.

Amy sourit.

– Non, Granny est très rapidement devenue une très bonne amie, malgré le fait qu’elle aurait pu être ma mère. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi généreux et bienveillant, et elle avait tellement fait pour moi et mes enfants que je ne me voyais pas faire autrement que lui offrir mes services pour le restant de mes jours.

– Et aujourd’hui ? Elle n’est plus là, vous pourriez partir...

– Pour aller où ? répondit aussitôt Amy. Ma vie est ici Sarah, c’est la maison dans laquelle mes enfants ont grandis, dans laquelle j’ai repris goût à la vie. Et puis il y a Maena, elle avait trois ans lorsque je suis arrivée,  et je crois que quelque part, je la considère comme ma fille elle aussi. Je n’ai pas envie d’être loin d’elle.

Sarah hocha doucement la tête.

– Je comprends, sourit-elle. Et ses parents, où sont-ils ? Maena ne m’en a pas parlé jusqu’à présent...

– Elle n’en parle jamais, répondit Amy avant de s’expliquer : Elle ne les a jamais connus, Granny est celle qui a toujours été là pour elle.

Sarah l’observa, confuse :

– Ils sont morts ?

– Pour Granny, sans aucun doute, admit tristement Amy avant de secouer la tête. Son fils ne l’a jamais autant déçue que ce jour-là. Lui et sa femme ont abandonné Maena avant de simplement disparaître de la circulation alors qu’elle n’avait que deux ans.

Sarah porta aussitôt une main à ses lèvres :

– Oh mon Dieu mais c’est horrible. Comment ont-ils pu lui faire ça ?

Amy se tourna de manière à lui faire face.

– Sarah, Maena a besoin de certaines dispositions particulières pour pouvoir vivre une vie aussi longue et aussi heureuse que n’importe qui d’autre. Ce sont des sacrifices que tous ne sont pas prêts à faire.

Sarah l’observa, confuse.

– Mais ce sont ses parents...

– Et personne n’est parfait, répondit Amy en se redressant. Elle a eu une enfance heureuse Sarah, Granny a pris très grand soin d’elle, c’est tout ce qui importe.

Sarah hocha doucement la tête même si au fond, elle ne comprenait pas tout, encore moins comment une femme que tout le monde respectait visiblement au plus haut point pouvait bien avoir établi un tel testament. Pourquoi mettre sa petite fille au pied du mur quand elle avait passé sa vie à tout faire pour qu’elle et les gens qu’elle croise soient heureux ?

– Elle ne vous a rien dit, pas vrai ? Sur pourquoi elle ne peut pas sortir dehors.

Sarah se contenta de secouer négativement la tête, le cœur battant. C’était la première fois que le sujet était clairement abordé, et elle ne put s’empêcher d’espérer qu’Amy lui révèle enfin ce qu’elle semblait être la seule à ignorer.

Elle l’observa, comme pendue à ses lèvres, et secrètement perturbée par l’air non identifiable qui habitait désormais son visage.

– Vous devez vraiment beaucoup tenir à elle pour avoir accepté de l’épouser quand même.

Sarah retint difficilement un soupir de déception.

– Croyez-moi, c’est pas toujours facile, plaisanta-t-elle tristement. Je ne sais même pas pourquoi elle me garde dans l’ombre.

Amy lui pressa gentiment l’épaule.

– Je suis sûre qu’elle a de bonnes raisons. Donnez-lui du temps.

Sarah sentit de nouveau l’irritation monter en elle mais elle décida de ne rien dire, Amy avait très certainement raison, et puis Maena ne lui devait rien, après tout, puisque tout n’était que comédie. Mais une part d’elle, plus forte, ne pouvait s’empêcher de penser que si, elle méritait de savoir, parce qu’elle avait accepté de sacrifier six mois de sa vie pour Maena, et surtout parce que cette dernière ne s’était pas gênée pour enquêter sur elle, au point de connaitre son existence dans les moindres détails.

– Je vais faire de mon mieux, répondit-elle enfin avant de remarquer la tasse de café et les petits gâteaux qui occupaient le plateau qu’Amy était venue déposer. Je croyais n’avoir demandé qu’un thé ? dit-elle en relevant les yeux, confuse.

– Et il est là, répondit Amy en le lui tendant. Le reste est pour Marko, il se trouve à la salle de sport dans l’aile opposée. Et contrairement à vous, il ne rechigne pas à avaler quelques sucreries une fois sa séance de sport terminée, finit-elle d’un ton taquin.

Sarah ne put s’empêcher de sourire.

– A la salle de sport, hein ? demanda-t-elle en s’emparant du plateau. Laissez-moi m’en occuper Amy, me défouler un peu, c’est exactement ce dont j’ai besoin.

4 juillet 2013

Chapitre 9

Sarah regretta aussitôt le déplacement lorsqu’elle remarqua la forme recroquevillée contre la fenêtre du salon quand elle pénétra dans son appartement. Elle avait décidé la veille, après sa dispute avec Maena, qu’un peu de temps passé dans son chez soi lui ferait le plus grand bien, et qu’elle pourrait par la même occasion rapporter quelques affaires dont elle avait besoin. Mais maintenant qu’elle y était, elle n’était plus si sûre que sa décision ait été une si bonne idée que cela finalement...

La porte se refermant derrière elle poussa enfin Gwen à tourner la tête dans sa direction et Sarah ne put s’empêcher de tiquer face à la tristesse qui habitait son visage. Ses yeux gris étaient humides, rouges et bouffis, et ses cheveux couleur chocolat partaient dans toutes les directions à force d’y avoir trop passé la main. Un bras enserrait sa taille et son autre main était plaquée contre sa bouche, un mouchoir déjà bien humide entre les doigts.

Sarah se surprit à tendre une main lorsque Gwen se leva pour passer devant elle.

– Gwen...

– Ravie de voir que tu es toujours en vie, la coupa aussitôt Gwen en pénétrant dans la cuisine.

Sarah jura intérieurement avant de la suivre, une nouvelle dispute en moins de vingt-quatre heures était la dernière chose dont elle avait besoin.

– Gwen écoute c’est –

La gifle la prit par surprise et Sarah porta aussitôt une main à sa joue, incapable de dire ce qui lui fit le plus mal entre le geste et la peine qui émanait de Gwen par vagues.

– Sarah je te jure que si tu me dis que ce n’est pas ce que je crois, c’est pas une gifle que tu recevras, mais mon poing, renifla Gwen.

Elle secoua la tête, et se mordit la lèvre pour retenir les larmes avant d’ajouter :

– J’arrive pas à croire que tu aies pu nous faire ça Sarah. C’était plus fort que toi, il a fallu que tu renvoies la pareille, hein ?

Sarah serra des dents mais ne chercha pas à répondre, prenant à la place la direction de la chambre. Elle s’empara aussitôt de la valise qu’elle avait calée en haut de l’armoire avant de la balancer sur le lit et y jeter pêle-mêle tous les vêtements qui lui tombaient sous la main. Elle ne releva pas la tête lorsqu’elle vit Gwen prendre appui contre le chambranle de la porte du coin de l’œil.

– Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda finalement Gwen, la voix rendue rauque par les pleurs.

Sarah soupira avant de répondre :

– Ça se voit pas ? Je m’en vais.

Un rire dénué d’humour lui parvint et Sarah serra à nouveau des dents, encore plus lorsque les paroles suivantes lui parvinrent :

– Bien sûr, question stupide. J’espère qu’elle est au courant de mon existence au moins, ce serait con de mettre fin à un mariage qui vient à peine de commencer pour cause d’adultère. 

Sarah referma la fermeture éclair de sa valise d’un coup sec avant de la déposer à ses pieds. Elle releva les yeux vers Gwendoline qui n’avait pas bougé et elle sentit la colère qui était monté en elle s’évaporer aussitôt lorsqu’elle vit la tristesse et la douleur qui habitait le visage qu’elle chérissait il y avait encore quelques mois.

Une part d’elle eut soudainement envie de lui dire que tout n’était que mascarade, qu’elle ne lui ferait jamais une chose pareille. Bon sang, elle ne le souhaitait même pas à son pire ennemi. Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas faire ça à Maena. Rien ne garantissait que Gwen garderait le secret, et vu la rancœur qui l’habitait aujourd’hui, Sarah en doutait fortement.

Son regard suivit une larme qui coula le long de la joue de Gwen et pendant une seconde, Sarah voulu la prendre dans ses bras et la rassurer, lui dire que tout allait bien. Lui montrer qu’elle était là pour elle, comme avant. Avant...

Mais le problème, c’était qu’avant n’était plus.

– Tu m’as trompée Gwen, commença-t-elle d’une voix lasse, le sujet ayant déjà été évoqué tant de fois. J’ai plus confiance en toi, en moi. J’ai..., elle écarta les bras avant de lâcher simplement : quelque chose c’est fissuré en moi. Et j’ai besoin d’être loin d’ici, de toi, de tout ça, pour aller mieux.

Elle leva une main lorsque Gwen voulut reprendre la parole :

– Et ça n’a rien à voir avec Maena, ni même le mariage. Ça fait des mois que notre histoire est terminée Gwen, il est temps de tourner la page.

Les mots s’échappaient de ses lèvres, mais Sarah savait cependant avec certitude qu’elle se souviendrait toujours du moment où Gwen s’était plantée devant elle et avait déclaré qu’elle avait eu une aventure. Mais plus elle parlait, plus Sarah avait entendu sa voix comme dans un écho, tandis que son cerveau moulinait une seule information : l’amour de sa vie, celle avec qui elle partageait tout, avait fait l’amour à une autre. Elle l’avait trompée alors qu’elles avaient décidé de construire quelque chose ensemble. Au bout de vingt ans, que Gwen donne un coup de canif dans le contrat, Sarah aurait pu le mettre sur le compte de la lassitude, ça lui aurait peut-être fait moins mal. Mais là, c’était au début, Gwen était amoureuse, et Sarah n’avait même pas été capable de la retenir.

L’insupportable avait été de savoir que L’autre avait joui et désiré ailleurs. Sarah avait alors eu l’impression de ne plus exister pour elle. La rivale avait alors hanté son espace vital, consumé son air, depuis que, même pour un instant seulement, elle l’avait remplacée auprès de Gwen.

Elle a pris ma place, elle incarnait ma peau, elle jouait mon rôle, avait alors pensé Sarah, effondrée. Et comme pour ne rien arranger, la ressemblance physique entre elles deux était si frappante qu’elle était le double parfait, donnant à Sarah le sentiment d’être effacée, d’être tuée…

– Vu le nombre de fois que tu as ramené Vincent ici dernièrement, tu ne dois pas aller si mal.

La voix de Gwen la ramena soudainement au présent, et Sarah cligna des yeux à plusieurs reprises face au ton ironique, notant néanmoins la note douloureuse sous-jacente. Plusieurs répliques acerbes lui montèrent à la bouche, mais Sarah s’abstint.

Elles souffraient bien assez comme ça.

– Je sais, répondit-elle simplement. Mais j'ai réalisé que ce n'était pas en couchant avec la première personne qui me tombait sous la main que j’allais t'oublier. Ni en faisant comme s’il n’y avait jamais rien eu entre nous.

Une boule se forma dans sa gorge, et Sarah inspira profondément avant de poursuivre :

– On s'est vraiment aimées, toutes les deux. Et puis tu m'as brisé le cœur. J'ai fait tout ce qui était possible pour me convaincre du contraire, mais ça marche pas comme ça.

Une larme s’échappa de son œil et elle l’essuya rapidement avant d’ajouter :

– Tu sais, la dernière fois que Vincent est venu, je me suis promis que la prochaine personne que j'embrasserai, je le ferais pour moi, pas par simple désir de t’oublier. Ne vois pas Maena comme un besoin pour moi de me venger de toi.

Ses paroles prononcées, elle ignora volontairement la nouvelle vague de larmes qu’elle venait de provoquer chez Gwen et s’empara de sa valise avant de quitter la chambre. Arrivée à la porte d’entrée, elle s’interrompit néanmoins :

– On dit que dans un couple, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre.

Elle haussa les épaules avant de regarder Gwen à nouveau.

– J'aurais simplement préféré que ce ne soit pas moi.

Là-dessus, elle franchit le seuil de la porte avant de la refermer doucement derrière elle, puis dégringola l’escalier à toutes jambes.

1 juillet 2013

Chapitre 8

Sarah s’approcha de l’une des immenses baies vitrées qui faisaient le tour de la véranda et se laissa tomber sur l’un des poufs, simplement vêtue d'un débardeur et d’une petite culotte. Le halo de la lune éclairait faiblement la pièce autour d’elle et elle baissa les yeux vers le magazine people qu’elle tenait entre ses mains.

Aussitôt après le départ de Cassie cet après-midi, elle était sortie faire un tour dans la capitale dans l’espoir de se rassurer. Un sourire dénué d’humour étira ses lèvres. Elle qui pensait avoir imaginé le pire... elle avait à peine parcouru quelques pas dans le quartier le plus fréquenté de la ville quand elle s’était jurée de tuer Maena. Son visage – leurs visages, apparaissaient partout, sur les stop-trottoir, sur les vitrines des bars-tabacs, et bien sûr, sur les couvertures de la presse à scandale, avec pour gros titre : On ne parle plus que de ça ! La mystérieuse Maena Beauregard se serait fiancée et... mariée en secret avec celle qui partage sa vie depuis le décès de sa défunte épouse, Alison Carmichael (leur mariage aura duré dix ans), la jeune femme, dénommée Sarah, a le mérite d'être inconnue.

– « A le mérite d’être inconnue »..., marmonna Sarah, dégouttée.

Elle comprenait mieux pourquoi son téléphone n’arrêtait pas de sonner, cependant, et après avoir passé le restant de l’après-midi à s’excuser et essayer de rassurer tout le monde, elle se retrouvait désormais là, à redouter passer le dernier appel qu’elle ne cessait de repousser.

Si cela n’avait dépendu que d’elle, elle n’aurait jamais rien dit à personne. Pourquoi avait-il fallut que Maena poste cette fichue photo sur son compte Facebook ?!

Mettant son irritation de côté, Sarah composa finalement le numéro, avant d’hésiter lorsque son regard s’arrêta sur la petite horloge située en haut à droite de l’écran. En général, elle évitait toujours d’appeler après 19h, parce qu’alors, leur conversation était plus que propice à finir en dispute. Mais d’un autre côté, elle savait que si elle n’appelait pas maintenant... elle passerait son temps à repousser indéfiniment l’appel.

Elle appuya sur le petit téléphone vert et attendit plusieurs sonneries avant que l’on ne décroche enfin.

– Allo ?

Sarah prit une profonde inspiration avant de répondre :

– Bonsoir maman, c’est moi.

Il y eut un léger silence.

– Eh bien, il t’en fallu du temps pour me rappeler.

Sarah leva aussitôt les yeux au ciel. Et c’est parti...

– Je sais, je suis désolée. J’étais assez... occupée ces derniers jours. Ça va ?

– Tu veux dire, outre le fait que j’ai dû apprendre par des collègues de travail que ma fille, ma propre fille, venait de se marier ? Oh oui, tout va parfaitement bien.

Sarah grimaça, l’ironie ne lui était pas passée inaperçue.

– Ecoute, c’est... c’est compliqué. C’est arrivé très vite et...

– Ne me prend pas pour une imbécile, Sarah.

Sarah s’interrompit aussitôt. Même si elle était depuis longtemps habituée au ton dur, claquant, parfois presque haineux, elle ne put s’empêcher de sentir la colère monter en elle. Mais étrangement, elle n’était pas destinée contre sa mère. Non, ce qui mettait toujours Sarah hors d’elle, c’était cette étrangère qu’elle était devenue. Celle qui avait, alors qu’elle n’était qu’adolescente, décidé qu’elle en avait marre et avait simplement baissé les bras. Celle qui avait trouvé son refuge dans l’alcool, faute de mieux, et en avait exclu le monde extérieur.

Celle qui, chaque soir, se transformait en cette étrangère que Sarah détestait au plus profond d’elle.

– Et ton père, il en pense quoi ?

Sarah soupira, elle détestait le mentionner avec elle.

– Il est déçu, mais tant que je suis heureuse...

Un rire dénué d’humour lui parvint aussitôt :

– Ça m’étonne pas, il n’a jamais voulu s’investir dans quoi que ce soit, celui-là.

Sarah ne répondit pas. Certes, son père n’avait pas toujours été présent quand il l’aurait dû, mais il avait toujours été là quand elle en avait eu besoin. Elle n’avait jamais eu beaucoup à dire, et il était là, présent, protecteur.

Si Sarah y réfléchissait vraiment, c’était justement ce qu’elle reprochait à sa mère, d’avoir simplement arrêté d’être là du jour au lendemain. Comme si elle avait jeté l’éponge. Elle n’avait simplement plus eu envie.

Le bruit familier de la clé qui tourne dans la serrure lui parvint et Sarah se pinça l’arête du nez, visualisant malgré elle les gestes dont elle avait été témoin des milliers de fois. Sa mère s’emparant de la bouteille de Ricard, le bruit de l’aluminium qui frottait contre le verre lorsqu’elle en dévissait le bouchon, puis la pression de l’eau provenant du robinet.

Quelques secondes encore, et Sarah entendrait le « plouf » des deux glaçons qu’elle y ajoutait toujours. Une touche finale qui aujourd’hui lui donnait la nausée.

– Maman...

– Quoi ?

Sarah prit une profonde inspiration avant de finalement secouer la tête. Ne dis rien...

– Non, rien. Ecoute, je te rappellerai. D’accord ?

– Ah ? Parce qu’on sera prévenus pour le divorce, au moins ?

Sarah se mordit la langue pour empêcher la réplique acerbe qu’elle sentait monter en elle de sortir.

– Bonne soirée, maman.

Un faible « hmm » lui parvint et elle raccrocha avant de jeter le téléphone sur la table basse.

– Eh bien ça, c’est fait, soupira-t-elle, avalant difficilement la boule qui lui serrait la gorge.

Son regard s’arrêta sur le magazine people qui reposait sur ses genoux et elle le jeta à son tour avant de prendre appui sur un coude, la tête au creux de la main. A travers la vitre, elle pouvait voir la lune que les nuages s’évertuaient de cacher sans jamais vraiment y parvenir, et un faible sourire étira ses lèvres malgré la mélancolie qui l’habitait.  

Son père lui avait raconté un jour, alors qu’elle était encore toute petite, que lorsque la pleine lune apparaissait deux fois dans un même mois, la dernière de ces deux lunes était nommée la Lune Bleue ou la Lune des Glaces et qu’elle permettait aux gens de reconnaître leurs échecs, d’en tirer des leçons, et de se fixer de nouveaux objectifs afin d'améliorer leur vie.

Sarah ne savait pas si elle y croyait, mais étrangement, cela lui avait donné un certain espoir. Que même au plus bas, on pouvait toujours aller mieux. Il y avait forcément quelque chose. Peut-être pas une Lune Blue, ou une Lune des Glaces pour nous aider ou au moins nous montrer la voie, mais... quelque chose.

Des mains chaudes se posèrent sur ses hanches, et Sarah sursauta légèrement avant de reconnaitre le doux parfum de Maena. Elle sentit cette dernière écarter ses cheveux du bout de ses doigts, avant que son souffle chaud ne vienne caresser sa nuque, et elle frissonna lorsque sa voix sensuelle résonna à son oreille.

– La légende raconte aussi qu’elle donnerait la possibilité aux vampires de se régénérer les nuits de pleine lune lorsqu'ils sont affaiblis par le manque de sang humain.

Sarah frissonna, ses yeux se fermant d’eux-mêmes, avant de légèrement rouler sur le dos lorsqu’elle sentit les mains de Maena s’enrouler autour de sa taille. Lorsqu’elle les rouvrit, ce fut pour voir le clair de lune se refléter sur le visage de Maena, teintant sa peau d’un éclat argenté et lui donnant presque un air mystique. Elle leva une main, et redessina un sourcil noir parfaitement épilé, avant de descendre vers une pommette saillante. La peau, si douce sous ses doigts, l’hypnotisa et elle descendit un peu plus bas, jusqu’à ses lèvres, avant de légèrement tirer sur celle inférieure.

– Je ne les vois pas, murmura-t-elle avant de relever les yeux vers ceux de Maena.

Pour la première fois depuis son arrivée dans l’immense demeure, ce ne fut pas de la peur qu’elle ressentit, mais une certaine attraction envers ce côté sombre, ténébreux qu’elle soupçonnait d’exister sa kidnappeuse.

Elle repensa soudainement à Lilith, fantasme onirique qui attirait les hommes pour son côté dominatrice et femme fatale et elle réalisa soudainement que c’était exactement ce qu’elle ressentait avec Maena. L’idée d’elle en suceur de sang avait quelque chose de terriblement torride et érotique qu’elle se sentait attirée comme un aimant.

Maena se pencha vers elle et elle ferma les yeux avant de légèrement tourner la tête sur le côté afin de rencontrer les lèvres dont elle avait désespérément envie. Elle sentit une bouche glisser le long de sa jugulaire, avant de remonter dans une lenteur désespérée jusqu’à son oreille, et elle ne put retenir un gémissement lorsqu’une langue chaude et humide en redessina le contour.  

Une main couvrit son sein droit et Sarah se cambra aussitôt, son corps réagissant en réponse. Les lèvres de Maena frôlèrent sa jugulaire à nouveau, et elle inspira soudainement lorsqu’elle sentit comme une piqûre d'épingle contre la peau tendre de son cou, la douceur des doigts de Maena évoluant tendrement le long de ses bras afin de la tenir en place.

Alors qu’elle se surprenait à pencher un peu plus la tête en arrière, désirant plus, Sarah sentit la bouche de Maena remonter le long de sa mâchoire, avant d’enfin recouvrir la sienne pour la première fois, et Sarah sursauta de surprise lorsqu’elle sentit la légère piqûre de canines, puis soupira d’aise lorsqu’elle laissa courir sa langue le long d'une pointe acérée. Une langue humide rencontra finalement la sienne et Sarah se laissa transporter dans un duo des plus sensuels. Elle sentit Maena commencer à légèrement remuer contre elle et elle laissa ses doigts affamés parcourir son corps, retirant une à une les couches de vêtements qui l’empêchaient de sentir la douceur de sa peau évoluer sous ses doigts.

Comme mues par une volonté propre, ses hanches se mirent à onduler dans l’espoir de soulager le feu qui doucement brûlait en elle, et un soupir s’échappa de ses lèvres lorsque la main qui couvrait son sein commença à effleurer son téton érigé de sa paume, rependant des vagues de frissons à travers son corps.

– Sarah... Sarah...

Son prénom murmuré à plusieurs reprises lui parvint et Sarah resserra son étreinte autour du corps allongé sur elle, avant de froncer les sourcils de perplexité lorsque des mais s’emparèrent de ses épaules afin de la repousser.

– Sarah !

Sarah cligna finalement des paupières, confuse, avant de réaliser que Maena était en train de la secouer. Elle leva les yeux vers un visage visiblement embarrassé et elle fronça les sourcils avant de progressivement réaliser que ce n’était qu’un rêve, et qu’elle était réellement en train d’embrasser Maena vu la façon dont cette dernière l’observait désormais. Stupéfaite, elle s’écarta aussitôt, comme si elle avait été brûlée.

– Mais qu’est-ce que tu fabriques ! s’exclama-t-elle finalement, la respiration saccadée.

Maena haussa les sourcils d’incrédulité.

– Ce que je fabrique ? C’est toi qui m’as sauté dessus !

– Pardon ? lâcha Sarah avant de réaliser qu’un plaid avait été déposé sur elle.

Elle le remonta jusqu’à son menton avant de poursuivre : 

– J’étais en train de dormir !

– Je sais, gronda Maena en s’agenouillant à même le sol. J’étais venue t’apporter une couverture et te proposer de de regagner ta chambre vu qu’il se faisait tard. Mais lorsque j’ai tendu une main pour te réveiller, tu m’as littéralement sauté au cou pour m’embrasser ! finit-elle, légèrement embarrassée.

Sarah cligna des yeux à plusieurs reprises.

– Tu m’as mordu, souffla-t-elle avant de tendre une main et soulever la lèvre supérieure de Maena.

– Quoi ? répondit Maena tout en l’observant comme si elle avait perdu la tête. Pah ! Arrête ça ! s’exclama-t-elle en écartant sa main d’un geste brusque.

Sarah secoua frénétiquement la tête.

– Je l’ai senti lorsque tu m’as embrassée dans le cou, insista-t-elle tout en portant une main à sa jugulaire. Puis quand je t’ai embrassée...

Maena l’observa, perplexe, avant de prendre sa main dans la sienne.

– Désolée, s’excusa-t-elle lorsque Sarah sursauta face à ses doigts froids. Ecoute, c’était juste un mauvais rêve, tout va bien maintenant. Tu es plongée dans l’obscurité à observer la pleine lune, ton imagination t’a peut-être simplement joué un mauvais tour ?

Sarah porta de nouveau une main à son cou avant de faiblement hocher la tête.

– Oui... oui, tu dois avoir raison, admit-elle en levant les yeux vers Maena. Je suis désolée pour... pour le baiser.

Maena afficha un léger sourire.

– Y a pas de mal, la rassura-t-elle en se redressant. Du moment que tu me promets de me raconter de quoi tu rêvais exactement.

Sarah se sentit aussitôt furieusement rougir.

– Euh... hum... je ne sais plus trop, en fait, marmonna-t-elle rapidement en se levant à son tour. Mais promis, si ça me revient, je t’en ferais part. Comme si ça allait arriver un jour !

Maena hocha doucement la tête.

– Ça va aller maintenant ? s’enquit-elle sincèrement, son regard déviant malgré elle vers la revue qu’elle avait repérée en arrivant.

Sarah récupéra son téléphone et le magazine people avant de répondre :

– Oui, je vais aller lire un peu, ça me changera les idées, répondit-elle, de plus en plus embarrassée maintenant que les derniers effluves de son rêve commençaient à s’estomper et qu’elle prenait de plus en conscience de la réalité qui l’entourait.

– Pas ça, j’espère ? répondit Maena en désignant le magazine.

Même si un sourire légèrement taquin étirait ses lèvres, Sarah perçut néanmoins l’air concerné qui habitait son regard et elle soupira.

– C’était vraiment obligatoire, la photo sur Facebook ?

Maena détourna aussitôt les yeux :

– C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour convaincre le notaire. Sans mariage... cela n’aurait jamais marché. Alors j’ai dû trouver un subterfuge.

– Un subterfuge ? répéta Sarah, incrédule, avant de réaliser : La presse, c’était toi aussi...

– Tu ne m’aurais jamais réellement épousée, répondit Maena en l’observant à nouveau. Il fallait que je trouve un moyen pour que le reste du monde pense que si.

– Et le notaire y a cru aussi ? rétorqua Sarah, visiblement sceptique.

Maena haussa les épaules :

– L’engouement de la part de la presse a joué en notre faveur, il n’a pas cherché plus loin que les papiers falsifiés que je lui ai fait parvenir. Il a été tellement convaincu qu’il a finalement renoncé à élire domicile ici afin de s’assurer que l’on suive le testament à la lettre.

Sarah secoua la tête, visiblement mécontente :

– Tu joues avec le feu Maena, tu le réalises ?

– Il n’y a aucune chance pour qu’il aille vérifier –

– Je ne parle pas du notaire.

Maena s’interrompit, surprise autant par la réponse que par le ton sec.

– Je parle de moi, reprit plus calmement Sarah, même si son regard démontrait clairement l’irritation qu’elle ressentait toujours. J’ai accepté de te rendre service, alors arrête de prendre des décisions dans mon dos, parce que je pourrais bien finir par changer d’avis.

Lorsque son regard s’arrêta de nouveau sur le visage de Maena, elle fut satisfaite de voir que cette dernière se sentait visiblement coupable, et espéra de tout cœur que cela signifiait que le message était clairement passé.

Un faible « bonne nuit » s’échappa de ses lèvres et elle l’observa une dernière fois avant de faire demi-tour et regagner l’étage.

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