Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

Publicité
⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

1 septembre 2011

Chapitre 24

Mardi 7 Avril 2004

Un bruit sourd sortit Emma de son sommeil et elle se frotta péniblement les yeux avant de s’étirer. Le soleil filtrant à travers les fenêtres éclairait généreusement la pièce, et elle regarda un instant autour d’elle avant de quitter le canapé et prendre la direction de la chambre.

– Kate ?

De légers rires lui parvinrent et Emma fronça légèrement les sourcils, frappant à la porte avant de coller son oreille contre le battant.

– Kate ? Je peux entrer ?

Le silence lui répondit, suivit de frottement de draps et du lit qui grinça légèrement, et Emma haussa les épaules avant d’ouvrir. 

La vue qui s’offrit à elle la poussa cependant à se figer sur place. Kate était allongée sur son lit, seulement vêtue d’un jean et d’un soutien-gorge et Emma pouvait voir ses doigts s’insinuer dans des cheveux bouclés aussi bruns que les siens afin d’attirer la tête enfouie dans le creux de son cou encore plus contre elle. Ses jambes étaient étroitement enroulées autour de la taille du garçon allongé sur elle, et lorsque ce dernier releva la tête, Emma sentit sa respiration se couper.

– Lukas ? 

Un sourire se dessina sur les lèvres du garçon et il laissa l’une de ses mains remonter jusqu’à la poitrine de Kate avant de demander :

– Tu crois qu’on devrait lui demander de nous rejoindre ?

Kate sourit à son tour avant de réunir leurs bouches et l’embrasser langoureusement :

– Nan... elle n’a plus l’air de vouloir de toi depuis la dernière fois, taquina-t-elle contre ses lèvres avant de dévier son regard vers Emma. Mais elle ne sait pas ce qu’elle rate par contre, c’est dommage...

Le rire de Lukas résonna faiblement dans la pièce mais Emma l’entendit à peine, tout ce qu’elle pouvait voir, c’était les mains de Kate qui descendaient le long du dos dénudé de Lukas pour venir s’emparer de ses fesses afin de l’attirer encore plus contre elle. Elle ferma aussitôt les yeux de plaisir, et Emma sentit sa vue se brouiller tandis que son cœur se brisait littéralement.

 

– Emma ?

Emma sursauta légèrement avant de reporter son attention sur le Docteur Heather Lohane. Elle rougit légèrement :

– Excusez-moi, je repensais juste à ce matin.

– Hmm, ce rêve a l’air de t’avoir pas mal bousculée, remarqua la psychologue, le regard empli de compassion.

Emma haussa les épaules avant de regarder autour d’elle. Elle avait décidé, peu de temps après la visite d’Eva et de Cassie à l’appartement, d’entreprendre les démarches nécessaires afin d’obtenir un suivi psychologique. La scène qu’elle avait surprise dans les toilettes des filles deux mois auparavant l’avait bousculée davantage qu’elle n’avait bien voulu l’admettre, ramenant avec elle des souvenirs qu’elle pensait profondément enfouis au fond d’elle, et après plusieurs nuits à cauchemarder, Emma avait finalement accepté d’admettre qu’elle avait visiblement besoin d’aide.

Elle en était à sa cinquième séance aujourd’hui, et même s’il était encore trop tôt pour le dire, Emma pouvait néanmoins certifier que ces rendez-vous lui faisaient du bien. Le Docteur Lohane savait visiblement s’y prendre pour vous faire sentir à l’aise, et Emma avait un faible tout particulier pour les petits gâteaux fait maison qu’elle disposait toujours sur la petite table qui les séparait ainsi que le thé vert les accompagnant.

En y réfléchissant, Emma dut bien s’admettre que c’était bien ça, son point fort. Le Docteur Lohane faisait toujours en sorte que ses patients se sentent comme chez eux. Son bureau avait d’ailleurs davantage l’aspect d’un salon que d’un lieu de travail avec son canapé et ses fauteuils profonds et confortables, sa petite table basse, sa fausse cheminée et ses immenses fenêtres avec vue sur le lac. Les tons gris, blanc et beige de ses murs ainsi que les petites plantes éparpillées ici et là invitaient d’ailleurs au calme et à la sérénité et Emma en ressentait déjà les effets à peine la porte passée.

Le Docteur Lohane n’était, quant à elle, pas bien différente. Pour une raison qu’Emma ignorait, elle avait toujours visualisé les psychologues avec une paire de lunettes et vêtus de l’éternelle blouse blanche, mais le Docteur Lohane n’avait rien de tout ça. Au contraire, ses longs cheveux châtains étaient toujours libres autour de son visage, avec cet aspect légèrement décoiffé qu’ont ces gens qui ont toujours pour habitude de se passer la main dans les cheveux. Sa tenue n’avait quant à elle rien de ce qu’on pourrait qualifier de décontractée, mais elle était aussi bien loin du tailleur qu’on porte habituellement pour aller au travail. Emma avait remarqué qu’elle aimait beaucoup les jeans et pantalons en lin, et que ses hauts étaient toujours assortis à ses ballerines ou ses chaussures de ville. Elle avait également quelque chose de très féminin dans sa façon de bouger et s’exprimer.

C’était ce qu’aimait Emma, en fait. Elle n’avait jamais l’impression de se trouver dans le bureau d’une psychologue,  et à bien y réfléchir, c’était exactement pour ça qu’elle éprouvait une si grande facilité à se confier. 

Elle reporta son attention sur le Docteur Lohane :

– Il avait l’air tellement réel... j’ai cru que mon pire cauchemar devenait réalité. J’arrive pas à m’empêcher d’y repenser depuis.

– Hmm. Et si tu me disais ce que tu en penses. Les choses que tu as vues, qu’est-ce que ça t’évoque ?

Emma fronça les sourcils, un air concentré sur le visage :

– Je ne supporterais pas de voir Kate avec quelqu’un d’autre, ça c’est certain. Et j’ai aucune envie que Lukas réapparaisse dans ma vie. Les deux ensembles... c’était le pire scénario possible que mon cerveau pouvait imaginer.

Le Docteur Lohane l’observa avec compassion :

– Parle-moi de Kate, proposa-t-elle. Comment a-t-elle réagi lorsque tu lui as parlé de ton rêve ?

– Elle a essayé de me rassurer, répondit aussitôt Emma, un faible sourire étirant ses lèvres. Je sais que je peux toujours compter sur elle, elle est toujours là quoi qu’il arrive. Elle me soutient, et elle trouve toujours les mots qu’il faut. Mais je crois... que parfois... elle a peur que je ne lui fasse pas confiance. Elle est tellement terrifiée à l’idée de me faire du mal, que je sais que si elle découvrait un jour que c’était le cas, ça la rendrait terriblement malheureuse et qu’elle s’en voudrait beaucoup.

Heather se pencha légèrement vers l’avant, les bras en appui sur ses cuisses :

– Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Tu crois que c’est ce que Kate pourrait faire ? Te faire délibérément du mal ?

– Non.

La psychologue retint difficilement un sourire face à la réponse immédiate d’Emma :

– Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda-t-elle gentiment.

– Je sais que Kate ne me ferait pas ce qu’il… ce qu’ils ont pu me faire, reprit Emma, les sourcils froncés de concentration. Elle passe son temps à me protéger et à se sentir responsable de ce qui peut bien m’arriver alors qu’elle ne fait rien de plus que de me faire sentir bien. Si elle avait voulu me faire du mal, elle l’aurait fait depuis longtemps, et elle ne se serait certainement pas comportée comme elle l’a pu le faire avec moi depuis tout ce temps.

Emma vit le Docteur Lohane hocher légèrement la tête et elle se passa une main sur le visage avant de soupirer :

– C’est pour ça que je ne comprends pas pourquoi ça marche pas. Pourquoi est-ce que j’ai ce genre de rêves ? Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je pense à Cassie, j’ai constamment peur qu’elle se décide à me voler Kate et qu’elle y parvienne ? Pourquoi est-ce que... pourquoi est-ce que j’arrive pas à offrir à Kate ce que j’ai désespérément envie de lui donner ?

Le docteur Lohane reposa son bloc-notes afin de venir prendre place sur la petite table, juste en face d’Emma. Elle prit sa main dans la sienne :

– Emma, après ce que tu as vécu dans ton ancien lycée, il est normal que tu aies toutes ces craintes, tous ces blocages aujourd’hui, la rassura-t-elle. Les blessures du cœur ne sont pas très différentes des autres, tu sais. Elles aussi ont besoin de temps pour cicatriser.

– Mais j’ai confiance en Kate, ça devrait être suffisant, non ? Si j’ai confiance en elle... qu’est-ce qui m’empêche d’aller plus loin alors ?

– Et si la confiance n’était pas le problème, mais simplement une peur profonde de voir ce qui t’est arrivé se reproduire une nouvelle fois ? proposa Heather, un sourcil haussé. Ce n’est pas que tu n’as pas confiance, Emma, mais simplement que tu ne peux t’empêcher d’être constamment sur tes gardes. Ton esprit a mis en place des mécanismes de défense parce qu’il a senti que tu avais besoin de te protéger. Comme un moyen de survie, si tu veux. Sauf que Kate, et Cassie, sont venues chambouler tout ça. Tu as passé la dernière année à te dire que tout allait bien mais les éléments que tu as refoulés au fond de toi sont restés actifs, dans ton inconscient, et ont fini par remonter à la surface.

– D’où les cauchemars..., réalisa soudainement Emma. C’est ça ?

Le Docteur Lohane hocha légèrement la tête :

– C’est ça, acquiesça-t-elle. Seulement, te détacher de ton passé et des angoisses qui y sont rattachées, c’est une chose qui se fait progressivement, Emma. Ça prend du temps. Tu ne peux pas lâcher prise, comme ça, et espérer que tout ira bien. Pas après avoir mis autant d’effort à essayer de te protéger du monde qui t’entourait.

– Alors... je fais quoi ? répondit Emma, désemparée. J’attends ?

Sa réplique provoqua un léger rire et Heather se redressa afin de récupérer son carnet de rendez-vous :

– Eh bien, je pense que continuer à venir me voir à raison de deux séances par semaine afin de continuer à y travailler ensemble, ce serait un bon début, non ?

Emma hocha la tête, un timide sourire sur les lèvres et Heather prit appui contre son bureau avant de l’observer avec compassion :

– Emma, l’important c’est d’avancer à son propre rythme. De ne rien précipiter. Kate et toi n’êtes ensemble que depuis un mois, accorde vous un peu de temps, d’accord ? Et puis, de ce que tu me dis, Kate a visiblement beaucoup souffert de sa dernière relation, alors il est possible qu’elle ait, elle aussi, envie de prendre les choses avec douceur.

– Vous avez raison, je lui en parlerai, acquiesça Emma avant de demander, hésitante : et est-ce que... est-ce qu’elle pourrait venir avec moi, la prochaine fois ? Je pense que ça m’aiderait, et que ça pourrait la rassurer.

Le Docteur Lohane hocha la tête :

– Je pense que c’est une excellente idée, acquiesça-t-elle dans un sourire. Vendredi à 16h ?

Emma hocha la tête avant de s’emparer d’un biscuit à la cannelle puis reprendre appui contre le dossier.

Elle se sentait étrangement satisfaite.

💕

Emma fut surprise de retrouver Kate dans la salle d’attente lorsqu’elle sortit du bureau du Docteur Lohane, encore plus lorsqu’elle remarqua que cette dernière semblait visiblement mal à l’aise. 

– Kate ?

Kate détourna son regard de la vitre pour le poser sur Emma et elle lui sourit maladroitement tout en enfonçant profondément ses mains dans ses poches :

– Hé. Ça va ?

Emma hocha la tête, profitant du fait que l’endroit était désert pour venir se réfugier dans les bras de Kate, et elle fronça légèrement les sourcils lorsqu’elle sentit cette dernière se tendre.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle, avant de sourire. Non pas que la visite surprise me déplaise, je te rassure.

Kate relâcha visiblement un soupir de soulagement, ses bras se refermant d’eux-mêmes autour d’Emma :

– Tant mieux, j’étais pas sûre que... enfin, je voulais pas que tu penses que je t’étouffe ou...

– Jamais, répondit aussitôt Emma avant de l’embrasser. C’était une excellente idée, et justement, tu tombes à pic parce que je viens tout juste d’apprendre pourquoi j’étais aussi stressée ces derniers temps.

– Ah ? répondit Kate, visiblement ravie. Et ?

– Je te l’expliquerai plus en détail à l’appartement, répondit Emma en plongeant son regard dans les yeux noisette qu’elle affectionnait tant. Mais elle m’a fait comprendre qu’il fallait que j’arrête de vouloir précipiter les choses. Que c’était pas parce que je cherchais à me persuader que j’allais bien maintenant que toute cette histoire avec Cassie était terminée, que ça voulait forcément dire que j’allais bien, justement.

Elle se frotta légèrement la joue avant d’ajouter, les sourcils froncés :

– C’est juste que... on dit toujours qu’on oublie jamais sa première fois, et la mienne s’est déroulée avec un type qui a simplement voulu se jouer de moi. Je sais bien que je ne l’oublierai jamais, mais quand je regarderai en arrière dans un an, cinq ans, dix ans... je veux que la première chose qui me vienne à l’esprit, ce soit la merveilleuse personne dont je sois tombée amoureuse, ainsi que tous les souvenirs qu’on aura construits ensemble. Et... je crois que c’était ce que j’essayais de faire. J’essayais de vivre le plus de choses possibles avec toi, dans l’espoir de ne plus penser à lui.

Le silence retomba avec ses dernières paroles, et elle baissa le regard vers ses mains qui jouaient nerveusement avec la couture du t-shirt de Kate, désormais mal à l’aise :

– Et je voulais aussi que tu saches que, hum, je le comprendrais parfaitement si tu étais en colère ou...

Un doigt s’insinuant sous son menton l’interrompit et elle leva les yeux avec réluctance, aussitôt surprise de voir que Kate était en train de sourire.

– Il y avait quelque chose de drôle dans ce que je viens de dire ? demanda-t-elle, confuse.

– Non, répondit Kate, en secouant légèrement la tête. Mais c’était la plus belle déclaration d’amour qu’on ne m’a jamais faite.

Emma l’observa, perplexe, avant de se sentir profondément rougir lorsqu’elle se rappela les paroles qu’elle venait d’avoir. Je veux que la première chose qui me vienne à l’esprit, ce soit la merveilleuse personne dont je sois tombée amoureuse.

Elle relâcha un grognement tout en venant enfouir son visage dans le cou de Kate.

– Kate... je viens de te dire que j’ai presque tout gâché entre nous simplement pour oublier Lukas...

– Et tu m’as entendu m’en plaindre ? rétorqua Kate avec mesure. Emma, il n’y a rien de mal dans ce que tu as fait, je comprends même très bien pourquoi tu l’as fait. Et tu n’as rien gâché du tout –

– Ça aurait pu, l’interrompit Emma avant de tristement soupirer. Ça aurait pu, et c’est pas sain pour notre relation.

Kate la serra un peu contre elle avant de l’embrasser sur la tempe :

– Non, tu as raison, acquiesça-t-elle avant de se presser d’ajouter lorsqu’elle sentit Emma frissonner : mais tout ce que tu as fait jusqu’à présent, tu l’as fait parce que tu en avais envie, Emma. Tu ne t’es pas forcé à faire quoi que ce soit juste pour l’oublier, mais parce que tu le voulais aussi. La seule chose que tu as faite, et qui te rend visiblement malheureuse, c’est d’avoir voulu aller plus vite que la musique afin d’avoir de belles choses auxquelles te raccrocher au cas où tes vieux démons se décideraient à vouloir refaire une apparition. Eh bien, je te le répète, il n’y a rien de mal à ça, et ne compte certainement pas sur moi pour t’en vouloir, parce que c’est pas près d’arriver.

Emma lâcha un faible rire avant de dévoiler un regard humide :

– Tu es trop gentille avec moi, répondit-elle avant d’embrasser Kate avec douceur. Je vais avoir besoin de ton aide pour arranger tout ça, je ne veux pas continuer comme ça. Ce qu’on partage est beaucoup trop important pour moi pour que je prenne le risque de tout perdre.

– Tu ne perdras absolument rien du tout, assura Kate en l’embrassant à son tour. Mais tu peux compter sur moi, c’est promis.

– Merci, sourit aussitôt Emma en posant sa tête contre l’épaule de Kate. Il y a autre chose, par contre

Kate haussa un sourcil, ses mains faisant des va-et-vient inconscients dans le dos d’Emma :

– Ah ?

– Hmm, je ne t’ai pas pris en compte dans l’histoire. Le Docteur Lohane m’a fait comprendre que toi aussi, tu avais peut-être besoin de temps alors... je suis désolée si...

– Shh, l’interrompit Kate en l’embrassant sur le dessus de la tête. Je te promets, je te l’aurais dit si ça avait été le cas. Mais même si tu n’avais pas tous ces problèmes, je pense que ce n’est pas une si mauvaise idée de prendre notre temps... et voir où ça nous mène. Pas vrai ?

Emma hocha la tête avant de s’écarter légèrement afin de pouvoir la regarder :

– C’est une excellente idée, acquiesça-t-elle. Et je te promets de tout te dire désormais, plus de secrets.

– Idem, sourit Kate avant de l’embrasser sur la joue et murmurer à son oreille : et pour en revenir à ce que tu disais tout à l’heure... je suis amoureuse de toi aussi.

Emma sentit aussitôt une multitude de papillons prendre leur envol dans son estomac et elle grogna légèrement tout en rougissant :

– C’était pas censé sortir... enfin pas comme ça...

Kate haussa les épaules :

– Je suis contente que tu l’aies fait, répondit-elle avant de feindre une menace : alors t’as pas intérêt à le regretter.

Emma lâcha aussitôt un rire :

– Non, c’est pas le cas, assura-t-elle avant d’afficher un air timide. Mais en ce qui concerne les trois petits mots... je te les dirai un jour, mais lorsque le lieu s’y prêtera. Parce que je ne pense pas qu’une salle d’attente soit le meilleur endroit pour ça, termina-t-elle dans une grimace. 

Kate afficha un sourire :

– On a dit qu’on allait prendre notre temps de toute façon, acquiesça-t-elle.

– Hmm, répondit Emma avant de venir recouvrir le cou de Kate de petits baisers. Hé, tu ne m’as pas répondu tout à l’heure, qu’est-ce que tu fais ici au fait ?

Kate sentit les battements de son cœur s’accélérer malgré elle face à l’attention qui lui portait soudainement Emma :

– Euh... je voulais juste...

– Oui ?  demanda Emma tandis qu’elle remontait le long de sa mâchoire.

– ... te faire...

Kate sentit le souffle chaud d’Emma contre sa bouche et elle déglutit avant d’ajouter :

– Une surprise.

– Ah ? sourit Emma, frôlant son nez avec le sien. Eh bien c’est réussi.

Elle l’embrassa furtivement avant d’ajouter :

– Et j’ai adoré.

– Tant mieux, répondit Kate, un sourire légèrement béat sur le visage. 

Emma lui sourit en retour avant de venir l’embrasser avec douceur, répétant le geste plusieurs fois de suite juste pour le plaisir de sentir ses lèvres contre les siennes avant de se reculer légèrement.

– Tu sais que tes lèvres sont incroyablement douces ?

– Les tiennes le sont encore plus, répondit aussitôt Kate en se penchant pour venir l’embrasser à son tour.

Elle fut aussitôt surprise d’être coupée par une main sur ses lèvres :

– Huh ?

– Il faut qu’on rentre, s’excusa Emma, une légère lueur de malice brillant néanmoins dans son regard.

Kate afficha aussitôt un air boudeur :

– T’es pas drôle.

– Et je risque de l’être encore moins pendant les trente prochaines minutes, grimaça Emma, visiblement appréhensive.

– Pourquoi ça ? demanda Kate, aussitôt alarmée.

Emma leva les yeux vers elle :

– Faut que j’appelle ma mère, il est grand temps que je lui raconte tout ce qui m’est arrivé depuis mon histoire avec Lukas.

– Oh, répondit Kate avant de grimacer à son tour. Oh

Emma lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– C’est ta façon de me remonter le moral ?

– Non, répondit aussitôt Kate, l’attirant un peu plus contre elle. Mais ça, si. On y va ?

Emma sourit avant de l’embrasser sur le menton :

– On y va.

Publicité
Publicité
1 septembre 2011

Chapitre 23

Samedi 20 Mars 2004

Un rayon de soleil ayant élu domicile sur son visage poussa Kate à quitter le pays des songes, et elle grommela légèrement avant de reconnaître ce parfum qu’elle connaissait par cœur, une fragrance légèrement fruitée mêlée d’une touche de fleur d’oranger, d’ylang, et de gardénia qui la poussa aussitôt à ouvrir les yeux. Son regard s’arrêta sur le visage d’Emma situé à quelques centimètres du sien et elle resserra inconsciemment son étreinte autour du corps d’Emma, le gémissement de contentement qu’elle reçut en retour lui arrachant un sourire.

Une semaine s’était écoulée depuis qu’Emma lui avait raconté son histoire, et pourtant Kate ne pouvait s’empêcher de penser que tout cela n’avait été qu’un rêve et qu’elle allait finir par se réveiller à un moment ou un autre. Jamais elle n'aurait pu imaginer qu'un simple baiser pouvait faire ressurgir d’aussi douloureux souvenirs. Mais ce qui la surprenait surtout, c’était qu’Emma ne lui en voulait pas, et qu’elle recherchait au contraire son réconfort. Elle l'avait peut-être aidé plus qu'elle ne le pensait en l'écoutant finalement, en lui apportant son soutien et en la consolant du mieux qu’elle le pouvait.

Un léger sourire étira ses lèvres tandis qu’elle redessinait le visage d’Emma du bout du doigt. En plus des cours, elles venaient de passer la semaine qui venait de s’écouler à tenter de s’apprivoiser l’une l’autre, à chercher à savoir jusqu’où l’une était prête à aller sans pour autant embarrasser l’autre ou la mettre mal à l’aise. Et à ce petit jeu, Kate devait bien s’avouer qu’elle avait été agréablement surprise.

Bien sûr, le passé d’Emma et le fait que c’était la première fois qu’elle se retrouvait attirée par une fille avait fait qu’elles avaient automatiquement décidé d’y aller avec douceur. Et c’était exactement comme ça que les choses s’étaient déroulées, les deux adolescentes échangeant de furtifs baisers ici et là, partageant de légers frôlements de main lorsqu’elles se croisaient au détour d’un couloir, ou bien encore en passant leurs soirées simplement blotties dans les bras l’une de l’autre tandis qu’elles regardaient la télévision.

Mais la veille au soir, les choses avaient été différentes et Kate ne put s’empêcher de rougir lorsque la scène se déroula une nouvelle fois dans sa tête malgré elle...

 

Kate venait tout juste de reprendre sa place sur le canapé après avoir déposé deux tasses de thé fumant sur la table basse lorsqu’un paquet de feuilles fut soudain déposé sur ses cuisses.

– Tiens, si Mr Ranger est pas trop sévère, tu peux espérer un treize, expliqua Emma tout en tendant une main vers son mug. T’as fait d’énormes progrès sur le gérondif, tu sais, y avait pas une seule erreur.

– C’est vrai ? s’étonna Kate en parcourant sa copie du regard. Par contre, le génitif est à revoir visiblement, grimaça-t-elle.

Emma l’embrassa sur la joue avant de poser le menton sur son épaule :

– On retravaillera ça, c’est pas grave.

– Hmm, acquiesça Kate avant de tendre une main vers son sac et en sortir un paquet de feuilles à son tour ainsi qu’un stylo.

Elle gribouilla quelque chose sur la seconde page avant de tendre la copie à Emma :

– Et si monsieur Tendyl est pas trop sévère non plus, tu peux espérer la même note.

– C’est vrai ? s’exclama à son tour Emma avant de vérifier ce que Kate venait de griffonner. J’aurais dû avoir combien normalement ?

– Entre onze et douze, répondit Kate avant de sourire. Mais comme t’as été plus généreuse avec moi...

Emma la chatouilla au niveau des côtes avant de reprendre appui contre le dossier et parcourir sa copie du regard :

– Bon, j’ai toujours un sacré problème avec les limites en tout cas, soupira-t-elle. Pas étonnant que j’ai eu huit au bac blanc.

– Mais t’as déjà fait d’énormes progrès, la rassura Kate en posant une main sur sa cuisse et la serrant légèrement. T’inquiète pas, t’es sur la bonne voie.

– Même en sachant qu’on est à deux mois et demi du bac ? grimaça Emma, essayant tant bien que mal d’ignorer le doux frisson qui la parcourut au simple contact de Kate.

Kate se tourna légèrement de manière à lui faire face avant d’appuyer son coude contre le dossier et prendre appui sur sa main :

– On mettra les bouchées doubles, c’est pas grave, répondit-elle en haussant les épaules. T’as fait passer ma moyenne d’anglais de 4.57/20 à presque neuf ce semestre, je suis sûre qu’on aura atteint la moyenne d’ici le bac.

Emma déposa sa copie sur la table avant de porter son mug à ses lèvres :

– Je l’espère, soupira-t-elle avant de sourire en direction de Kate. Et puis qu’est-ce qui te fait dire que c’est moi et pas tes heures de soutien ?

Kate secoua aussitôt la tête :

– Non parce que je suis trop occupée à regarder la façon dont le tissu de la jupe de la prof épouse ses fesses et ne cesse de remonter sur ses cuisses...

Elle remarqua aussitôt le visage d’Emma qui se fermait et elle l’embrassa furtivement avant d’ajouter :

– Emma, celui qui s’occupe du soutien, c’est monsieur Chapelier. Tu sais, tête dégarnie, visage bouffi, la cinquantaine extrêmement bien dépassée...

– T’es pas drôle, marmonna Emma en croisant les bras sur sa poitrine, faisant attention à ne pas renverser son thé.

– Je sais, sourit Kate en posant sa tête contre le dossier. Mais toi, t’es absolument à croquer quand t’es jalouse.

Emma rougit légèrement et elle se racla maladroitement la gorge avant de tourner la tête vers Kate :

– Kate... t’as eu combien d’ex, à part Cassie ?

– C’était la seule, répondit Kate, surprise par la question inattendue. Et toi ?

– Hmm, il y a eu Maxime au collège, mais c’était rien d’important, sourit timidement Emma. Juste histoire de faire comme tout le monde, tu sais.

Kate hocha la tête et Emma se tourna afin d’imiter sa position :

– Ça a duré longtemps entre vous deux ? continua-t-elle.

– Un peu moins d’un an et demi, on s’est mises ensemble le jour du nouvel an, déclara Kate, peu sûre de savoir jusqu’où elle pouvait aller sans énerver Emma ou la mettre mal à l’aise.

– Oh. Ça devait être romantique alors, remarqua Emma en baissant les yeux vers sa tasse. Tu savais déjà que t’aimais les filles à ce... moment...

Elle s’interrompit lorsqu’elle sentit Kate glisser une main sous son menton avant qu’elle ne l’embrasse délicatement.

– Emma, je te raconterai rien de plus la concernant si ça te dérange, répondit Kate en l’observant sérieusement.

– Oh. Non ça va, la rassura Emma en l’embrassant à son tour. J’ai plus de questions la concernant de toute façon. Alors ?

– Quoi ? Oh. Non, pas vraiment. Je savais que les garçons m’attiraient pas spécialement, mais je m’étais pas posé plus de questions que ça. J’avais que quinze ans après tout

Emma hocha légèrement la tête :

– Donc ce qui m’arrive en ce moment... ça t’est arrivé aussi alors ?

Kate sourit, comprenant enfin où Emma voulait en venir :

– Un peu, oui. A la différence près que Cassie était dans la même situation que moi.

– Hmm, je crois que je préfère plutôt quand c’est comme ça, répondit Emma en prenant la main de Kate dans la sienne. Y en aura au moins une de nous deux qui saura quoi faire le moment venu, taquina-t-elle, rougissant légèrement.

Kate haussa un sourcil avant de venir l’embrasser juste au coin des lèvres :

– Et qu’est-ce qui te fait croire que je te laisserai pas prendre les rênes dès le début juste pour voir où ça nous mène justement ? demanda-t-elle tout contre sa bouche.

Le souffle de Kate la troubla et Emma eut besoin d’un instant avant que les paroles de Kate ne prennent sens dans son esprit. Elle se sentit aussitôt furieusement rougir :

– Han Kaaaaate, gémit-elle en venant enfouir son visage dans le cou de Kate.

Kate lâcha un rire tout en se débarrassant délicatement de leurs tasses de thé :

– T’inquiète pas, je t’ai promis que je ne ferais jamais rien qui pourrait te mettre mal à l’aise, rassura-t-elle en déposant les deux mugs sur la table basse. 

– Je sais, marmonna Emma avant de fermer les yeux lorsqu’elle sentit les bras de Kate se refermer autour d’elle. Hé, Kate ?

– Hmm ?

– Je peux dormir avec toi ce soir ?

Le corps de Kate se figea aussitôt et Emma se redressa rapidement lorsqu’aucune réponse ne vint :

– Juste pour dormir. Pas... enfin... c’est juste pour dormir, balbutia-t-elle. Rien de plus.

Kate relâcha doucement le souffle qu’elle avait retenu avant de rire :

– Je sais, et c’est bien ça qui me fait peur, répondit-elle en secouant légèrement la tête.

– Pourquoi ça ? s’étonna aussitôt Emma en la dévisageant.

– Tu vas mettre mes envies à rude épreuve, sourit Kate, taquine, avant de l’attirer de nouveau à elle.

Oh. Emma réfléchit un instant avant de laisser un sourire s’étirer sur ses lèvres :

– On pourra s’embrasser aussi ?

– Emma...

– Et se câliner ?

– Emmaaaa...

– Oh et j’aimerais bien que tu m’apprennes ce truc que tu fais avec ta langue, tu sais quand tu m’embrasses là...

– Emma !

 

Kate ne put retenir un sourire. Non seulement, elles avaient passé la nuit ensemble, mais elles avaient surtout passé un bon moment à s’embrasser et à laisser leurs mains s’évader un peu plus loin qu’à l’habitude. Rien d’extravagant, bien sûr, Kate savait qu’Emma avait besoin de temps et elle ne voulait certainement pas prendre le risque de précipiter les choses, mais elle avait découvert avec plaisir quels endroits exactement faisaient soupirer Emma de plaisir quand d’autres la faisaient tout simplement gémir.

Et puis Emma avait fini par s’endormir, dans la même position qu’elle occupait encore ce matin, son corps collé contre celui de Kate et leurs jambes entremêlées ensemble. Et Kate avait patiemment attendu que les battements de son cœur reprennent un rythme normal avant de la rejoindre au pays des songes à son tour.

Son regard s’arrêta de nouveau sur le visage d’Emma, et Kate dut bien admettre qu’elle venait de passer l’une des plus belles nuits de sa vie et ce depuis bien longtemps. C’était comme si Emma la faisait revivre à nouveau. Et alors qu’elle l’embrassait délicatement sur le front, Kate décida de faire en sorte que le reste de la journée soit tout aussi inoubliable.

💕

Emma étouffa un bâillement tout en s’étirant lorsqu’elle se réveilla quelques instants plus tard, ouvrant aussitôt les yeux lorsqu’elle sentit l’absence de Kate à ses côtés. Balayant rapidement la pièce du regard, elle réalisa qu’elle était totalement seule, avant qu’un sourire n’étire ses lèvres lorsqu’une odeur familière vint lui chatouiller les narines. Café, bacon, œufs brouillés et… oooh pancakes ! Elle roula sur le ventre et réalisa que la place qu’occupait Kate était encore chaude, son odeur encore présente sur l’oreiller, et elle inspira profondément avant de s’assoir sur le lit. Elle ne savait pas exactement quand Kate l'avait quittée mais elle savait qu'elle avait passé toute la nuit dans ses bras et cette simple pensée la mit aussitôt d’une humeur joviale.

Tendant une main vers son peignoir, elle réalisa qu’elle n’avait jamais laissé quelqu’un être aussi proche d’elle depuis ce qui lui était arrivé avec Lukas. Et pour être entièrement honnête avec elle-même, elle avait vite rejeté l’idée, la trouvant inconcevable. Pourtant Kate avait réussi, tout doucement, à l’atteindre, elle, que personne ne connaissait vraiment, ou n’avait jamais cherché à connaître. Mais elle savait aussi et surtout qu'elle devait résoudre son problème de culpabilité avant de pouvoir envisager quoi que ce soit avec Kate car elle ne voulait pas la faire souffrir. Bon sang, je préfèrerais mourir plutôt que de la faire souffrir.

Sur cette pensée, son ventre émit un grognement furieux et elle décida à se lever, s’accordant un petit tour dans la salle de bains avant de rejoindre Kate dans la cuisine. Arrivée à sa hauteur, elle dut cependant s’arrêter et retenir tant bien que mal le rire qui menaçait de s’échapper d’elle. Comme elle l’avait suspecté, sa colocataire était occupée à préparer le petit déjeuner dont elle avait reconnu les effluves quelques instants plus tôt, mais ce qui poussa Emma à porter ses mains à sa bouche, c’était la façon dont Kate se tortillait tout en cuisinant. Ses écouteurs étaient vissés à ses oreilles et elle mimait ce qu’Emma devina être une trompette ou un instrument de ce genre, et lorsqu’elle tendit l’oreille, elle reconnut rapidement la chanson qu’elle était en train de fredonner :

 

“A little bit of Monica in my life,

A little bit of Erica by my side.

A little bit of Rita's all I need,

A little bit of Tina's all I see.

A little bit of Sandra in the sun,

A little bit of Mary all night long.

A little bit of Jessica here I am,

A little bit of you makes me your girl!”

 

Emma haussa les sourcils. Oooooh je suis certaine qu’elle a changé le dernier mot des paroles ! Bon sang, Kate, pensa-t-elle en secouant la tête, retenant difficilement un rire.

Kate choisit ce moment pour se retourner et elle arrêta aussitôt tout mouvement lorsqu’elle réalisa qu’elle avait une spectatrice. Spectatrice qui se régalait visiblement de ce qu’elle venait de voir.

– Hum, hé, salua-t-elle en retirant ses écouteurs.

– Hé, sourit Emma. T’as pas mal de femmes à tes côtés à ce que je vois, taquina-t-elle.

Kate se sentit aussitôt rougir :

– T’étais pas censée voir ça, en fait, grimaça-t-elle en se grattant maladroitement la joue.

– T’es sûre ? Parce que cette façon que t’as d’imiter la trompette tout en remuant des hanches comme ça... j’aurais été verte de louper ça, sourit Emma en se mordant la lèvre inférieure.

Kate devint un peu plus cramoisie et elle enroula rapidement ses écouteurs autour de son MP3 avant de désigner la plaque chauffante :

– J’ai fait des œufs et du bacon, ça te dit ? demanda-t-elle, le dos tourné à Emma. Y a des pancakes aussi.

Comprenant qu’elle était embarrassée, Emma autorisa Kate à changer de sujet et elle vint l’enlacer par derrière avant de regarder par-dessus son épaule :

– Hmm un peu de chaque serait parfait, répondit-elle avant de murmurer à l’oreille située à proximité : après la soirée que je viens de passer, je suis affamée.

– O.K ! s’exclama aussitôt Kate tout en s’écartant, un frisson remontant le long de son dos. Alors pancakes, bacon, et œufs..., énuméra-t-elle en remplissant une assiette pour Emma. Tiens, le sirop d’érable est sur le bar.

Emma s’empara de l’assiette dans un sourire amusé avant de prendre place sur l’un des hauts tabourets :

– Merci mon cœur, taquina-t-elle avant de sursauter lorsque Kate lâcha un juron puis porta sa main à ses lèvres. Kate ? s’alarma-t-elle en sautant de son tabouret.

Elle s’empara délicatement de son poignet puis le tourna dans un sens, puis dans l’autre avant de froncer les sourcils :

– Je vois rien du tout, déclara-t-elle avant de repérer la lueur malicieuse qui brillait dans le regard de Kate. O.K, j’ai compris, j’arrête de te taquiner.

– Merci, sourit aussitôt Kate avant de l’embrasser furtivement sur le bout du nez. Maintenant file, ça va refroidir.

Emma se contenta de lui sourire tout en récupérant sa place, avant de sursauter légèrement lorsque Kate la chatouilla au niveau des côtes quand elle s’installa à côté d’elle.

– Qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ?

– T’embrasser jusqu’à ce que tu hurles mon prénom.

Kate laissa aussitôt sa fourchette retomber dans son assiette :

– Emmaaaa !

💕

– Tu vois ce que je vois ? demanda Eva, stupéfaite, le regard rivé sur le cou de Kate.

– Avec une taille pareille, ce serait difficile de passer à côté, répondit Cassie en se frottant maladroitement la nuque. Toi qui te demandais si elles étaient ensemble, au moins maintenant, t’es fixée.

Eva hocha la tête l’air de dire « c’est pas faux » avant de demander :

– Bon, on peut entrer maintenant ou tu comptes nous faire attendre sur le palier encore longtemps ?

Kate les observa tour à tour, un air alarmé sur le visage, avant de soudainement leur fermer la porte au nez :

– Emma ?! gémit-elle en prenant appui contre le battant, ignorant Eva qui s’insurgeait de l’autre côté.

Emma entra dans la pièce, un air interrogateur sur le visage :

– Qui c’était ? demanda-t-elle en s’approchant, intriguée par le vacarme qui résonnait dans le couloir.

– Eva et Cassie. Qu’est-ce que t’as fait à mon cou ?!

Emma haussa les sourcils de surprise avant de dévier son regard vers la porte lorsqu’elle entendit le rire d’Eva résonner dans le couloir.

– Un suçon de la taille du Nevada, ma belle !

Kate rougit aussitôt avant de plaquer une main sur sa jugulaire :

– Dis-moi qu’elle est en train de mentir, s’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît, gémit-elle d’un ton suppliant.

Emma secoua négativement la tête, elle aussi désormais cramoisie avant d’enfoncer ses mains dans les poches de son jean :

– Je suis désolée ? tenta-t-elle dans une grimace.

– Je dois être maudite, grogna Kate en laissant retomber sa tête contre la surface en bois. Eva va m’embêter jusqu’à la fin des temps avec ça.

Un rire résonna de nouveau derrière elle avant qu’Eva ne parvienne à ouvrir légèrement en poussant à l’aide de son épaule :

– Juste un peu si tu nous laisses entrer maintenant, taquina-t-elle, le regard brillant.

Kate obtempéra, l’air dépité, avant d’aller prendre place sur l’un des hauts tabourets de la cuisine et Eva la suivit aussitôt :

– Si je ne t’appréciais pas autant, je t’attraperais par l’oreille et te traînerais jusqu’en surveillance pour une heure de retenue, s’exclama-t-elle les yeux plissés tout en remuant un doigt vers elle. Salut Emma, ajouta-t-elle dans un léger clin d’œil.

– Hmm, salut, répondit Emma en s’écartant légèrement pour les laisser passer.

Elle referma la porte derrière elles et fut aussitôt surprise de voir la jeune surveillante faire le tour de la cuisine, un doigt posé contre le menton pendant que son regard passait d’un meuble à l’autre. Mais qu’est-ce qu’elle fait ?

– Et si vous vous installiez dans le salon pendant que je m’occupe par ici ? proposa Eva en désignant la cuisine. Je suis sûre que je peux…

Elle ouvrit un placard et jeta un œil à l’intérieur :

– Ah ! Bingo ! Décidément Kate, tu changeras jamais.

Emma haussa les sourcils :

– Elle sait où tu caches ta réserve de chocolat ?

– Eva a passé pas mal de soirée ici avant que tu ne deviennes ma colocataire, répondit Kate en se grattant maladroitement la joue. Elle est une très bonne amie… qui va laisser ma réserve de chocolat tranquille, ajouta-t-elle en fusillant la jeune surveillante du regard.

– Oh allez, tu me dois bien ça pour m’avoir fait patienter dans le couloir ! contra Eva avant de sourire fièrement. Promis, je mangerai pas tout.

Kate posa ses mains sur ses hanches tout en plissant des yeux et Emma ne sut dire laquelle des deux la faisait le plus rire. Un mouvement sur sa droite attira néanmoins son regard et elle porta son attention sur Cassie qui avait trouvé refuge dans le fauteuil du salon et semblait trouver ses mains croisées sur ses cuisses extrêmement intéressantes. Emma n’avait aucune envie de se retrouver seule avec elle, mais elle savait aussi que la présence de l’adolescente ici devait très certainement la concerner et si elle devait absolument l’affronter un jour où l’autre, Emma préférait le faire avec Kate et Eva non loin d’elle.

Inspirant profondément, elle jeta un dernier coup d’œil en direction de Kate et Eva qui se chamaillaient toujours avant de prendre la direction du salon à son tour et s’installer sur le canapé, en face de Cassie.

Apercevant le mouvement du coin de l’œil, Cassie releva la tête et l’observa d’un air hésitant :

– Hé.

– Hé, répondit Emma, loin d’être plus à l’aise. Tu es venue pour la plainte ?

Cassie lui offrit un air confus et elle s’expliqua :

– Je t’avais dit que je retirerais ma plainte s’il décidait de te faire du chantage...

– Oh. Oh non, répondit Cassie en secouant la tête. Neil est de l’histoire ancienne désormais. Il est parti sans faire d’histoires, et je crois que je peux réellement remercier Eva pour ça. 

– Pas de dépôt de plainte alors ? s’étonna Emma, légèrement accusatrice malgré elle.

Cassie haussa un sourcil avant d’afficher un sourire dénué d’humour :

– Tu ne rends vraiment pas les choses faciles pour qu’on ait une conversation civilisée toutes les deux, fit-elle remarquer en se frottant le sourcil. Si, Eva l’a fait en mon nom puisque je suis mineure. L’enquête est en cours... la directrice fait en sorte que rien ne s’ébruite pour préserver l’image de l’école et pour que mes parents n’en sachent rien.

– Pourquoi ça ? répondit Emma, confuse. Je veux dire, ce sont tes parents. Ils devraient être mis au courant, non ?

Cassie soupira avant de l’observer droit dans les yeux :

– Ta mère te serrerait probablement dans ses bras en pleurant avec toi, les miens auraient tout simplement honte et passeraient leur temps à me le faire savoir.

Son ton avait été plus sec qu’elle ne l’avait voulu, et lorsque le silence lui répondit et elle remarqua qu’Eva et Kate avaient cessé de parler pour la regarder d’un air désapprobateur. Elle reprit, plus calmement :

– Le fric et l’apparence passent souvent en priorité chez les gens de la haute, ironisa-t-elle.

– Hmm, je crois me souvenir que c’était ce que tu cherchais à me faire comprendre, remarqua Emma d’un ton légèrement sarcastique. Qu’est-ce que tu fais ici alors ? C’était juste pour me dire que finalement, tu n’auras pas besoin de mon aide ?

Cassie se mordit l’intérieur de la joue avant de secouer négativement la tête :

– J’ai un suivi psychologique depuis, expliqua-t-elle en lui jetant un rapide coup d’œil. Ça me permet de faire le point sur les problèmes que j’ai pu accumuler depuis ma rupture avec Kate et... hmm...

– La première étape consiste à venir t’excuser auprès de tes victimes, c’est ça ?

Cassie baissa les yeux vers ses mains, un léger sourire au coin des lèvres :

– Non, et y a pas vraiment d’étapes non plus, répondit-elle avant d’ironiser : elle m’écoute plus qu’elle ne parle d’ailleurs. Mais je sentais que c’était un passage indispensable si je voulais aller mieux, ajouta-t-elle en relevant les yeux vers Emma. Je sais que tu me le pardonneras probablement jamais, mais j’ai besoin que tu saches que je regrette sincèrement ce que j’ai pu te faire subir et que... que je suis vraiment désolée.

Emma l’observa un instant avant de baisser les yeux à son tour :

– Tu sais, parfois, j’ai simplement envie de te voir souffrir autant que tu as pu me le faire. Mais j’imagine qu’après tout ce qui t’est arrivé, t’as déjà eu ton lot de malheur, hein ? Je veux bien accepter tes excuses, Cassie. Mais n’attends pas plus de moi, parce que c’est certain, je ne pourrais jamais te le donner, finit-elle en relevant les yeux.

Cassie hocha légèrement la tête d’un air entendu :

– Je n’en attendais pas vraiment plus, répondit-elle dans un faible sourire. Mais merci. Et merci aussi d’avoir proposé de m’aider malgré tout.

– Je pense qu’on a déjà établi pourquoi j’ai décidé de le faire, répondit Emma en haussant les épaules. T’as pas besoin de me remercier pour ça.

Cassie acquiesça avant de jeter un rapide coup d’œil vers la cuisine puis se pencher légèrement vers Emma, un air hésitant sur le visage :

– Est-ce que... est-ce qu’il t’a fallu longtemps avant d’aller mieux ?

Emma l’observa, confuse, avant de réaliser que Cassie faisait référence à son expérience passée, celle qu’elle avait sous-entendue dans les toilettes des filles alors qu’elle était en proie à la colère. Bien sûr, Cassie ne savait pas ce à quoi Emma avait fait référence exactement, et selon elle, leurs histoires n’étaient même pas comparables. Mais une chose les reliait malgré tout : chacune avait accordé sa confiance à un autre, et il en avait profité pour salir ce qu’elles avaient de plus personnel ; leur intimité, leur amour-propre, la confiance qu’elles avaient en elle et en autrui. 

– J’en sais rien, répondit-elle enfin. T’es plus courageuse que moi, au lieu d’affronter mes problèmes, j’ai décidé de les fuir. 

– Oh, répondit Cassie, visiblement surprise avant d’afficher un air affligé. Et j’imagine que mes petites provocations n’ont pas aidé, hein ?

– Non, répondit aussitôt Emma en entourant sa taille de ses bras. D’ailleurs... je me demandais, pourquoi est-ce que tu n’as jamais utilisé ce qui était inscrit dans mon dossier contre moi ?

Cassie releva aussitôt la tête, mal à l’aise :

– Parce que je n’y ai jamais eu accès, répondit-elle avant d’expliquer lorsqu’Emma lui offrit un regard sceptique : c’est Neil qui l’avait, enfin... il l’a consulté depuis son ordinateur. J’imagine qu’il avait peur que ça remonte jusqu’à lui s’il me donnait des informations qu’on ne trouvait que dans ton dossier. L’absence de ton père... tu aurais pu l’avoir confié à n’importe qui.

– Hmm, je crois que son minimum de bon sens m’aura été bénéfique alors, hein ? ironisa Emma avant de se passer une main sur le visage. Bon, quitte à mettre cartes sur table, il y a d’autres choses que je devrais savoir ?

Cassie commençait à secouer la tête lorsqu’elle s’arrêta subitement et dévia son regard vers Kate :

– J’imagine qu’elle t’a informée de la petite visite nocturne qu’elle m’a rendue le mois dernier ?

– Oui, acquiesça Emma en secouant la tête. Je sais que tu veux redevenir amie avec elle, et que tu as fait tout ça parce que tu l’aimes toujours.

Cassie haussa les sourcils :

– C’est pas ce que j’ai dit, répliqua-t-elle, visiblement surprise.

– Tu l’aimes plus alors ? rétorqua aussitôt Emma, dubitative.

Cassie se sentir rougir :

– C’est pas ça, répondit-elle en remuant une main dans les airs. Ce que je lui ai dit, c’est que si j’avais fait de ta vie un enfer... c’était parce que j’étais jalouse de toi. Pas seulement parce que tu avais Kate, même si, crois-moi, y avait beaucoup de ça dedans, ironisa-t-elle. Mais parce que... parce que tu peux être avec Kate sans que personne ne t’en empêche, Emma. Dans un milieu comme celui de la Haute... tu choisis rarement celui avec qui tu vas finir ta vie. Et je dis bien « celui », parce que là-bas, l’homosexualité, ça n’existe pas.

Le silence retomba avec ses dernières paroles et Emma se contenta de l’observer, rendue muette par ce qu’elle venait d’apprendre. Certes, il n’y avait pas grand-chose de nouveau dans ce que Cassie venait de lui avouer, Emma savait déjà que cette dernière avait fait tout ça en grande partie par rapport à Kate, et elle savait également que le milieu dans lequel elles avaient grandi était loin d’être reluisant quand on y regardait de plus près. Mais Cassie jalouse d’elle ? Emma eut presque envie de se pincer pour vérifier qu’elle était bel Eh bien réveillée.

– Je viens de te scotcher, hein ? reprit Cassie, un sourire mi-amusé, mi-chagriné sur les lèvres. Je donnerais n’importe quoi pour la voir revenir vers moi, tu sais, admit-elle en déviant son regard vers Kate. Mais j’ai pas envie d’être avec quelqu’un qui ne veut pas de moi en retour.

– Alors tu me dis ça... pour que j’arrête de te voir comme une potentielle rivale, c’est ça ?

Cassie eut un léger sourire :

– Non, simplement pour te faire comprendre que je n’ai en aucun cas l’intention de m’immiscer entre vous. S’il devait de nouveau y avoir quelque chose entre Kate et moi... j’ai envie que ce soit parce qu’elle le veut elle aussi, et pas autrement.

– Hmm, c’est de bonne guerre, répondit Emma, même si elle n’avait absolument aucune envie de penser à un potentiel retour du couple Cassie & Kate. Elle veut que vous redeveniez amies elle aussi.

Cassie releva aussitôt les yeux vers elle :

– Elle te l’a dit ?

Emma hocha la tête :

– Sa meilleure amie lui manque, admit-elle en haussant légèrement les épaules, ignorant tant bien que mal la douleur que lui provoquait le simple fait de prononcer ces paroles. Tout comme elle te manque visiblement à toi aussi.

– Et tu me dis ça parce que... ? demanda à son tour Cassie, perplexe.

– Kate m’a promis de ne jamais rien faire qui me mettrait mal à l’aise. Je sais qu’elle ne cherchera pas à renouer contact avec toi si elle sent que ça ne me plaît pas. Sauf que... j’ai pas envie de l’empêcher de vivre tout ça parce que j’ai des insécurités et une certaine rancœur te concernant. 

 Cassie haussa un sourcil avant de laisser retomber contre le dossier et croiser les bras sur sa poitrine :

– Donc tu la pousses carrément dans les bras de son ex, conclut-elle avant de sourire. Elle va finir par croire qu’elle s’est trouvé la copine parfaite, tu sais.

– Cassie..., prévint soudainement Kate en venant prendre sur l’accoudoir, juste à côté d’Emma.

Cassie leva les yeux au ciel :

– Oh ça va, si on peut plus plaisanter aussi..., répliqua-t-elle, s’écartant légèrement afin qu’Eva puisse prendre place à côté d’elle. J’imagine que tu as tout entendu ?

– En ce qui nous concernait, du moins, répondit Kate en attirant Emma contre elle. Et Emma a raison, je ne ferais rien qui pourrait la mettre mal à l’aise.

Cassie s’empara de l’une des cuillères qu’Eva avait apportées afin de piocher à son tour dans le pot de Nutella :

– Eh bien, on est d’accord alors, répondit-elle. Puisque je t’avais promis que je respecterais ta décision.

Emma voulut protester mais Eva la dissuada d’un signe de la tête :

– Crois-moi, elles sont aussi têtues l’une que l’autre, tu perdrais ton temps, expliqua-t-elle dans un clin d’œil. Et puis avec tout ce que vous avez vécu toutes les trois... je pense que c’est la meilleure solution. Donnez-vous du temps pour retrouver la confiance que vous aviez en vous et en autrui, les choses devraient se faire d’elle-même après ça.

Emma échangea un rapide coup d’œil avec Kate, puis Cassie avant de reporter son attention sur Eva :

– Vous êtes toujours aussi proches de vos élèves comme ça ? demanda-t-elle, visiblement intriguée.

Eva, qui portait sa cuillère pleine de Nutella à sa bouche, se figea soudainement :

– Elle ne vient pas de me vouvoyer là, si ? grimaça-t-elle, provoquant de léger de rires. Non, je suis loin d’être comme ça avec tous mes élèves, mais parfois, on se retrouve obligée de faire des exceptions, expliqua-t-elle dans un clin d’œil.

– Oh, répondit Emma, même si elle était peu sûre de savoir ce que cela signifiait réellement. Désolée pour le vouvoiement en tout cas, ajouta-t-elle en rougissant légèrement.

Eva remua une main dans les airs :

– Il n’y a pas de mal, répondit-elle dans un sourire. Au contraire, ça fait du bien de voir qu’au moins l’une d’entre vous a des notions de politesses, taquina-t-elle, ravie de voir Kate et Cassie s’insurger aussitôt.

– Comme si tu étais irréprochable, contra Cassie en levant les yeux au ciel.

Eva lui tira la langue avant de récupérer sa cuillère et prendre la direction de la cuisine :

– Je suis irréprochable, lâcha-t-elle par-dessus son épaule, provoquant aussitôt une tournée de rire. C’est ça, moquez-vous. Sauf qu’en attendant, on sait très bien qui est la surveillante principale ici, ajouta-t-elle, un sourcil haussé. Alors ?

Les trois adolescentes s’observèrent un instant avant de tourner la tête dans sa direction et répondre en chœur :

– Tu bluffes.

Eva afficha aussitôt un air boudeur, nettoyant sa cuillère avant de la ranger :

– Eh bien puisque c’est ça, je vais retourner travailler, voilà, répondit-elle dans un air faussement vexé avant de grimacer. Ce qui après réflexion ne serait pas une si mauvaise idée étant donné que Madame l’Impératrice m’a désormais à l’œil.

– Comment ça ? demanda aussitôt Cassie, visiblement appréhensive. Ça n’a rien à voir avec Neil, hein ?

Eva détourna aussitôt les yeux, légèrement cramoisie :

– Non, non rien à voir, juste une sombre histoire de placard à balais et… hmm… de bruits étranges résonnants dans le couloir.

Kate laissa retomber la cuillère qu’elle tenait :

– Vous vous êtes fait surprendre ?! s’exclama-t-elle. 

– Mais on voulait juste un câlin…, répondit aussitôt Eva, la moue boudeuse.

– Hein ? rétorqua Emma qui ne comprenait plus rien, avant de tourner la tête vers Kate. Quand elle dit « câlin »...

Eva lâcha un rire tout en s’approchant, un torchon entre les mains :

– Vu la jolie marque que Kate a dans le cou, je pense que tu vois très bien de quoi je veux parler quand je dis « câlin », taquina-t-elle, ravie de voir Emma et Kate rougir furieusement.

– Moi c’est le passage sur le placard à balais qui m’intéresse, intervint Cassie, se retenant visiblement de rire. Qu’est-ce que vous avez fait encore ?

Encore ? s’étonna silencieusement Emma.

– Y a pas des endroits plus… appropriés pour faire… ce genre de chose ? demanda-t-elle dans une grimace.

Elle entendit Kate ricaner à côté d’elle et elle lui lança aussitôt un regard interrogateur.

– Excuse-moi, répondit Kate. C’est juste qu’un lit serait très certainement le dernier endroit où Eva aurait envie de faire ce genre de chose.

– Hé ! s’exclama la jeune surveillante, légèrement cramoisie, avant de croiser les bras sur sa poitrine. C’est même pas vrai d’abord. La dernière, c’était... c’était...

Dans les douches du gymnase.

Arg. Merde.

– Oui bon d’accord, marmonna-t-elle. Mais c’est pas une raison pour le dévoiler à tout le monde !

– La faute à celle qui le raconte à l’origine, ricana Cassie avant d’échanger un high-five avec Kate.

– Bon, alors, c’est quoi cette histoire ? reprit Kate, reportant son attention sur Eva.

Eva entortilla le torchon entre ses mains avant de répondre :

– Eh bien, j’ai croisé Liz au détour d’un couloir et une chose en entraînant une autre, on s’est vite retrouvée enfermée dans la pièce la plus proche. Seulement, on n’a visiblement pas été très discrète puisque Marc et Sébastien nous ont entendues et... comme ils ont tout de suite pensé à des étudiants... ils ont frappé et nous ont ordonné de sortir.

– Et ?

– J’ai poussé Liz derrière le battant puis j’ai ouvert la porte. Alors, hmm, ils pensent que je… m’amusais. En solitaire. 

Il y eut un léger silence avant que les trois adolescentes n’éclatent de rire :

– Oh mon Dieu, s’exclama Kate en s’essuyant les yeux. Et ils t’ont crue ?

– Kate, j’étais en soutien-gorge, la chemise grande ouverte, à raconter que je m’adonnais à une petite partie de plaisir. Tu crois vraiment qu’ils allaient y trouver à redire ? Ils avaient quasiment la langue qui pendait.

– Erk, grimaça Cassie. Et la directrice le sait alors ?

Eva haussa les épaules :

– Je sais pas, je pense pas qu’ils le lui en ont parlé... mais sait-on jamais, les ragots circulent vite par ici.

– Hmm, fais attention, répondit Kate.

– Toujours, répondit Eva dans un clin d’œil avant de tourner la tête vers Casse. Je te raccompagne chez toi ?

Cassie hocha la tête avant de se redresser à son tour :

– Merci encore de m’avoir écouté, Emma, répondit-elle sincèrement avant de lever les yeux vers Kate. Et merci à toi d’avoir littéralement explosé le nez de Neil, taquina-t-elle.

Kate rougit légèrement :

– J’ai été un peu impulsive pour le coup, admit-elle en se frottant maladroitement la nuque.

– Bah, c’est pas comme s’il le méritait pas, répliqua Eva en tirant légèrement Cassie par le bras. Merci pour le petit déjeuner improvisé, en tout cas !

– Tu t’es servi toi-même, Eva…

– Ben merci quand même, sourit la jeune surveillante avant de leur faire un signe de la main. A plus tard !

La porte se referma derrière elles et Emma se tourna aussitôt vers Kate :

– Dis, c’est moi où toutes les filles ont l’air d’être lesbienne par ici ? Et elle sort avec une élève ?! s’exclama-t-elle avant de froncer les sourcils. Attends... Liz... c’est pas ta partenaire de chimie, ça ? Elizabeth Graham Bathory... elle sort avec la fille de la première ministre du pays ?!

Kate éclata de rire avant de prendre sa main et l’attirer vers la chambre :

– Non, oui, oui et oui, répondit-elle avant de poser deux doigts sur les lèvres d’Emma lorsque celle-ci voulut poursuivre son interrogatoire. On verra plus tard pour les questions, parce qu’en attendant, j’ai un suçon de la taille du Nevada qui ne demande qu’à prendre sa revanche.

Emma sentit aussitôt un frisson remonter le long de sa colonne :

– C’est vrai ? sourit-elle aussitôt, soudainement enthousiaste. Ça veut dire que je vais pouvoir pratiquer ce truc que tu m’as appris avec la langue ?

Kate se sentit aussitôt rougir :

– Emmaaaaa !

1 septembre 2011

Chapitre 22

Kate se redressa péniblement :

– Oh Emma, je suis vraiment désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai –

Elle fut tue par deux doigts se posant sur ses lèvres et la réponse fut accompagnée d’un petit sourire indulgent qu’Emma réussit malgré tout à trouver :

– Hé, on était deux dans l’histoire, non ? Je suis aussi responsable que toi.

Elle s’empara de la main de Kate avant de se redresser et inviter cette dernière à reprendre sa position initiale, juste à côté d’elle.

– Par contre, je crois qu’il faut qu’on discute de tout ça.

Kate se contenta d’acquiescer, soudainement muette. Elle sentit un nœud se former au creux de son ventre et elle réalisa qu’elle redoutait ce qu’Emma allait lui dire; regrettait-elle ce qui venait de se passer ? Ses craintes gagnèrent en intensité lorsque son regard s’arrêta sur la seule et unique larme qui coulait lentement le long de la joue de sa colocataire.

– Emma ? Ça va ? demanda-t-elle, le ton inquiet.

La réponse vint, accompagnée d’un léger hochement de tête.

– Oui, répondit Emma avant de lui offrir un faible sourire pour la rassurer.

Kate se contenta de la fixer, loin d’être convaincue et ses pensées circulant à une vitesse folle dans sa tête. Etait-ce elle qui l’avait fait pleurer ? Peut-être que les choses étaient allées trop vite, peut-être qu’elle regrettait… Une vague de colère commença soudainement à monter en elle et elle serra des dents. Comment avait-elle pu laisser les choses déraper comme ça, aussi facilement ? Bon sang Kate, qu’est-ce que tu peux être stupide parfois ! Elle t’embrasse et toi, tu lui sautes littéralement dessus ! Tu as perdu l’esprit, ou quoi ?

Emma qui l’avait observé remarqua son soudain changement d’humeur et elle exerça aussitôt une légère pression sur la main de Kate qu’elle tenait toujours :

– Je vais bien, Kate, tenta-t-elle de la rassurer, même si elle savait que sa réponse ne l’apaiserait pas et que Kate allait chercher à savoir pourquoi elle était dans cet état.

Et après réflexion, Emma se rendit justement compte qu’elle en avait en fait envie. Elle voulait se confier. D’une part parce qu’elle ne voulait plus être seule dans sa douleur, elle avait gardé tout cela trop longtemps enfoui en elle, et d’autre part, parce qu’elle savait que si elles devaient partager quelque chose ensemble, elle aurait à le faire à un moment ou un autre.

La voix de Kate la tira de ses pensées et elle reporta son attention sur son visage.

– Est-ce que… est-ce que c’est à cause de moi ? De ce qu’il s’est passé…

Emma l’interrompit aussitôt, les yeux écarquillés :

– Non ! Non, Kate. Je t’assure que tu n’es responsable de rien.

Les larmes menacèrent à nouveau de couler et elle ferma les yeux un instant avant de l’observer à nouveau :

– C’est de ma faute, renifla-t-elle. J’ai tenté d’oublier pour ne plus avoir mal mais… ça n’a pas été très concluant, poursuivit-elle avant de porter sa main à sa bouche pour empêcher un sanglot de s’échapper.

Elle sentit les bras de Kate venir l’enlacer afin de la serrer contre elle et Emma plaça aussitôt sa tête dans le creux de son cou, reconnaissante. Elle ferma les yeux, laissant les sanglots durement retenus s’emparer d’elle et se concentra uniquement sur la présence rassurante de Kate, sur son bras autour de sa taille, et sa main dans ses cheveux qui la caressaient avec douceur afin de ne pas laisser ses vieux démons s’emparer d’elle. 

Les minutes s’écoulèrent et Kate glissa finalement une main sous son menton afin de croiser son regard lorsqu’elle sentit la tension qui habitait son corps disparaître peu à peu.

– Ça va mieux ?

Emma hocha légèrement la tête tout en s’essuyant les yeux d’un revers de manche. Elle sentit Kate poser une main sur sa joue et elle ferma un instant les yeux afin d’apprécier le contact, avant de les rouvrir pour plonger dans un regard empli d’inquiétude et de compassion.

– Je pensais que l'enfouir au plus profond de moi allait enlever la douleur, renifla-t-elle. Mais ça n'a pas été le cas. La douleur n'a pas disparu, et… ce qui s’est passé tout à l’heure a ramené de mauvais souvenirs.

Même si elle était perplexe, Kate hocha néanmoins la tête d’un air compréhensif :

– Je suis désolée, répondit-elle sincèrement. Si j’avais su… je n’aurais pas…

– Non, répondit aussitôt Emma en encadrant son visage de ses mains. Je t’en supplie Kate, ne me dit pas que tu regrettes ça. J’en avais envie… j’en ai envie, sourit-elle timidement. Mais…

Elle s’interrompit et fronça les sourcils :

– Tu ne dois rien comprendre, hein ?

– Non, répondit Kate, un faible sourire sur les lèvres. J’avoue que je suis assez perdue. Tu me dis que tu ne regrettes pas mais tu fonds en larmes juste après… on ne peut pas dire que ce soit la réaction à laquelle je m’attendais.

– Ouais, je me doute, ironisa Emma en baissant la tête sur leurs mains liées. Je vais essayer de t’expliquer ça, d’accord ?

Kate hocha la tête et elle sentit Emma venir enfouir son visage dans le creux de son cou, avant que sa voix ne lui parvienne et ne lui raconte l’horreur qu’avait été le reste de son année de Première. Kate savait déjà qu’Emma avait été ostracisée par ses camarades de classe pour ses compétences intellectuelles visiblement supérieures à la moyenne, mais ce qu’elle lui racontait désormais allait beaucoup plus loin que tout ce que Kate aurait pu imaginer.

Emma lui apprit, d’une voix difficilement maitrisée, qu’un nouveau était arrivé en cours d’année, le genre qui faisait craquer toutes les filles et qui, à sa plus grande surprise, les avait pourtant toutes ignorées pour s’intéresser à elle. Elle, la fille qui passait son temps dans ses livres et qu’on surnommait la « no-life » parce qu’elle avait souvent les meilleures notes.

Lukas ne s’en était pas soucié, cependant, et les semaines s’écoulant, ils avaient fini par devenir amis avant de sortir ensemble. Cette période de sa vie avait été comme une renaissance pour Emma, l’un des garçons les plus populaires du lycée avait accepté de sortir avec elle, et ses camarades la laissaient enfin libre de vivre sa vie comme elle l’entendait. Et puis, après quelques mois seulement de relation, Lukas lui avait fait part de son envie d’aller plus loin et Emma étant amoureuse, elle avait accepté de se laisser convaincre.

Il s’était comporté de façon si prévenante, si attentionnée avec elle qu’Emma avait aussitôt été persuadée d’avoir pris la bonne décision. Elle s’était senti planer sur un petit nuage après ça, comme si la chance avait enfin tourné et qu’elle pouvait désormais espérer au bonheur elle aussi.

Et puis le lundi suivant avait fait son apparition. Emma avait d’abord remarqué le comportement étrange de ses camarades qui la dévisageaient avant de chuchoter et ricaner entre eux, puis s’était inquiétée de l’absence de Lukas quand elle avait justement désespérément besoin de lui.

Emma s’était d’abord dit qu’il avait dû avoir une panne de réveil, ou bien qu’il avait simplement dû manquer le bus le matin même, avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’il était finalement apparu, là, à la vue de tous, une fille pendue à son cou tandis qu’il baissait la tête pour l’embrasser.

Emma s’était simplement retrouvée à les observer, figée par l’incompréhension, avant de sentir tous les yeux posés sur elle, puis croiser le regard satisfait de Lukas tandis que les premières larmes déferlaient sur son visage.

Emma avait alors avoué que la suite était plutôt floue dans son esprit. Elle se souvenait être allée se réfugier dans les toilettes des filles après ça, et la porte s’était à peine refermée derrière elle qu’elle avait aussitôt compris pourquoi. L’adresse du site était là, gravée à même le bois ; celle d’un blog internet sur lequel on pouvait trouver son nom, sa photo, ainsi que la cruelle légende : « Mais qui aura l’honneur de dépuceler la petite intello ? ».

 Emma avait déposé une plainte au commissariat dès le lendemain et constitué un dossier à l’aide d’un avocat pour que les propos portés à son égard soient supprimés d’internet. Puis elle avait pris une décision. Il fallait qu’elle parte. Elle ne pouvait plus rester là-bas. C’était trop difficile. Elle se sentait salie, et abusée… et surtout incroyablement stupide. Car après tout, comment avait-elle pu être aussi naïve ?

Elle avait alors choisi d’intégrer une excellente pension privée où la pédagogie était peut-être meilleure, mais où surtout les pulsions des élèves étaient supposées être contenues par le respect affiché envers la culture et la tradition.

Son histoire s’était terminée sur ces dernières paroles et Kate avait aussitôt resserré son étreinte autour d’elle. Elle l'avait écoutée en silence, sans broncher ni se permettre le moindre commentaire, mais maintenant qu’elle avait terminé, Kate était incapable de dire ce qu’elle avait envie de faire le plus entre serrer Emma contre elle et pleurer avec elle ou bien hurler de rage et fracasser tout ce qui pourrait bien lui tomber sous la main.

Kate savait combien les adolescents pouvaient se montrer cruels entre eux, elle en avait elle-même été témoin à plusieurs reprises lors des soirées qu’elle avait organisées au sein de son groupe. Mais ce qu’Emma avait subi allait beaucoup plus loin que ça. Ce que ses camarades avaient orchestré, c’était une manipulation de son esprit, une manipulation de ses sentiments pour aboutir à une manipulation de son corps.

On avait abusé de sa confiance, pour pouvoir lui violer son intimité.

Kate eut soudainement l’impression qu’elle allait être malade. Car même si les paroles d’Emma avaient été claires et limpides, Kate avait senti au ton de sa voix et aux larmes qui avaient fini par lui échapper que cette histoire l’affectait toujours autant qu’au premier jour. Et il y avait ce poids de la culpabilité qui pesait visiblement sur ses épaules, et même si Kate pouvait comprendre pourquoi Emma se reprochait de n'avoir pu empêcher l'inévitable, elle savait aussi qu’à part l'empêcher d'avancer, cela ne servait à rien.

Mais après ce qu’elle avait vécu, qui pouvait réellement l’en blâmer ?

– Emma, regarde-moi, commença Kate en tournant délicatement son visage vers elle. Je suis sincèrement, sincèrement désolée que toutes ces horreurs te soient arrivées. Tu ne méritais pas ça. Bon sang, personne ne mérite ça. Et je peux te promettre que je ferais tout mon possible pour que personne ne te blesse de cette façon à nouveau. Mais s’il te plaît... ne te sens pas responsable. Tu n’as rien à te reprocher dans cette histoire, Emma. Le coupable, c’est lui, et tous ceux qui ont manigancé ça contre toi. Toi... la seule chose que tu as fait, c’est suivre ton cœur et croire en autrui, personne ne peut te reprocher ça.

Sa voix était douce et calme, légèrement suppliante aussi, et Emma sentit l’émotion la gagner à nouveau. Elle savait que partager son histoire avait été la première étape, et elle sentait déjà que cela lui avait fait du bien. Mais s’ouvrir n’avait pas chassé les mauvais souvenirs ni la culpabilité, qu’elle sentait toujours là, au fond d’elle. Seulement, avec le temps, elle savait qu’ils finiraient par se faire plus légers, moins douloureux. Il fallait simplement laisser le temps au temps.

Il y eut un silence avant qu’Emma ne relève un regard encore embué de larmes vers Kate :

– Merci.

Kate resserra son étreinte et elles restèrent ainsi, profitant du calme paisible qui les entourait désormais. Emma semblait se détendre et Kate en était soulagée. La voir dans cet état de détresse lorsqu’elle avait raconté son histoire lui avait littéralement brisé le cœur, mais il fallait parfois forcer un peu les choses afin de pouvoir avancer. Emma était restée trop longtemps confinée dans un même schéma de pensée et Kate se doutait qu’il lui était à présent difficile de voir les choses autrement. Mais Emma était intelligente et persévérante, alors Kate savait qu’elle y arriverait, qu’elle finirait par surmonter cette peine et cette culpabilité, avec quelques efforts sur elle-même et l’aide et le soutien des personnes qui l’entouraient.

Emma leva la tête vers elle à nouveau et Kate fut ravie de découvrir que son regard était déjà un peu plus clair, plus posé, comme si un poids avait été retiré de ses épaules et qu’elle était désormais plus apaisée.

– Ça va mieux ?

Emma hocha légèrement la tête avant de prendre appui contre l’épaule de Kate et jouer d’un air absent avec ses cheveux désormais secs :

– Oui, merci. Je me sens surtout fatiguée maintenant, en fait.

– Hmm, c’est le contre-coup de l’émotion, répondit Kate en caressant légèrement la taille d’Emma de ses pouces. Je suis contente que tu aies accepté de me raconter tout ça, en tout cas.

Emma se sentit faiblement sourire :

– Et c’est là qu’il y a un « mais… » c’est ça ?

– Possible, sourit à son tour Kate avant de légèrement froncer les sourcils. Je pensais... que ce serait une bonne idée que tu mettes ta mère dans la confidence aussi. Elle n’est au courant de rien, pas vrai ?

– Non, répondit Emma en secouant légèrement la tête. Mais je t’arrête tout de suite Kate, je ne peux pas la décevoir.

Kate haussa aussitôt les sourcils :

– La décevoir ? s’étonna-t-elle. Emma je te l’ai dit, t’as rien fait de mal dans cette histoire. Bien au contraire. Il n’y a aucune chance pour que ta mère soit déçue.

Emma soupira avant de légèrement s’écarter.

– Je sais pas. Elle a déjà connu tellement de malheur dans la vie, j’ai pas envie de lui faire encore plus de peine.

– Même si ça vous rapprochera au final ? contra Kate, un sourcil haussé. Tu l’as dit toi-même, ta mère est ta meilleure amie, et entre meilleures amies, on se dit tout, non ? C’est trop important pour que tu ne lui en parles pas, Emma. Et crois-moi, ça lui fera plaisir de voir que tu te confies auprès d’elle.

Kate s’interrompit avant d’ajouter :

Je suis contente que tu te sois confiée auprès de moi. Et je suis très loin d’être déçue. Alors ? 

Emma l’observa avant d’afficher un sourire malgré elle :

– D’accord, t’as gagné, je lui parlerai. On peut… on peut parler de ce qui s’est passé plus tôt, maintenant ?

Kate se sentit soudainement mal à l’aise. Au fil des semaines, elle s’était de plus en plus rendu compte à quel point elle s’était attachée à Emma mais elle s’était interdit de penser à plus, de peur que les sentiments ne soient pas réciproques. Et puis, lorsqu’Emma s’était approchée d’elle quelques instants plus tôt, sa façon de la regarder et cette demande de l’embrasser… c’était comme si son cœur s’était remis à battre d’un coup. En quelques secondes, elle était passée de la peur de voir son pire cauchemar se réaliser à la matérialisation de son plus fol espoir.

Et puis, elle s’était laissé emporter par les émotions, et Emma avait tout arrêté avant que les choses n’aillent beaucoup plus loin.

Kate sentit la peur s’insinuer en elle malgré elle. Elle savait qu’Emma ne regrettait pas, elle le lui avait dit. Mais… et si elle ne voulait pas, ou ne pouvait pas aller plus loin ?

– Kate ?

Le son de la voix d’Emma lui parvint et Kate secoua légèrement la tête afin de reprendre pied avec la réalité :

– Hmm ?

– Tu veux bien arrêter de paniquer alors que j’ai pas encore prononcé le moindre mot, s’il te plaît ?

 Kate se sentit aussitôt rougir :

– Oui, excuse-moi, répondit-elle dans un sourire embarrassé. Je t’écoute.

– Merci, répondit Emma en l’embrassant furtivement sur la joue. Alors si je t’ai raconté mon histoire, c’est parce que… eh bien… j’aime ce que je ressens lorsque tu es à mes côtés, blottie contre moi pour regarder un film, ou simplement lorsque tu poses ta tête sur mon épaule quand tu as besoin de réconfort. J’aime ta moue boudeuse quand tu as envie de me taquiner, ou la façon dont tu me regardes quand tu es inquiète ou quand tu ris. J’aime lorsque tu me glisses quelques mots d’encouragement avant un examen ou quand tu attends mon retour avec une tasse de chocolat chaud pour me remonter le moral après une longue journée. J’aime...

Emma s’interrompit avant de légèrement secouer la tête. O.K., la déclaration n’était absolument pas prévue.

– Ce que je veux dire, reprit-elle plus calmement. C’est que, tu comptes énormément pour moi Kate, à un point que c’en est parfois déstabilisant, admit-elle dans un sourire embarrassé. Seulement, ce qu’il s’est passé avec Lukas est encore trop présent, je te fais confiance, là n’est pas la question, mais ce qu’il s’est passé tout à l’heure…

Elle fit une légère pause avant de reprendre d’une voix peu assurée :

– Je ne sais pas ce que je peux te donner, Kate, et je sais que je ne peux pas te demander d'être patiente pour toujours, mais… j’ai envie de ça et… Je crois que ce que j’essaye de dire, c’est que j'ai besoin de temps. J’ai beaucoup trop perdu avant pour prendre tout ça à la légère et foncer tête baissée comme ça... sans me soucier des conséquences que tout ça pourrait avoir. 

Kate hocha la tête d’un air compréhensif avant de porter leurs doigts entrelacés à ses lèvres :

– On prendra tout le temps qu’il faudra, répondit-elle, son regard se voulant rassurant. Il n’y a absolument rien qui presse, ajouta-t-elle avant de prendre un sourire taquin. Après tout, y a encore moins d’une heure je pensais être la seule à ressentir quelque chose alors...

Emma rougit légèrement :

– Justement... ça fait longtemps que tu... hmm, ressens quelque chose pour moi ?

– Autre que de l’amitié tu veux dire ? sourit Kate, terriblement charmée par l’air soudainement intimidé d’Emma.

Cette dernière hocha la tête et elle poursuivit :

– Tu te souviens quand on était chez toi à Noël, et que tu m’as montré ce lac gelé, là où on a fait la bataille de neige ? J’ai commencé à vraiment m’en rendre compte à ce moment-là. 

– Mais c’était y a trois mois, s’étonna aussitôt Emma avant de porter ses mains à sa tête. Comment est-ce que j’ai fait pour ne rien voir pendant trois mois ?!

Kate rit légèrement avant de demander :

– Et toi ?

– Moi ? répéta Emma, soudainement embarrassée. Hmm... ce matin ? grimaça-t-elle avant d’ajouter précipitamment lorsqu’elle vit Kate hausser les sourcils : je crois que j’ai toujours su que tu occupais une place particulière... ici, précisa-t-elle en désignant son cœur. Mais il m’a fallu du temps pour réaliser que c’était peut-être un peu plus que de l’amitié que je ressentais pour toi. C’est nouveau pour moi ce truc... fille-fille et puis ce matin, aarg, j’arrivais pas à détacher mon regard de toi.

– D’où le passage où tu disais que je te trouble, c’est ça ? proposa Kate, légèrement amusée.

Emma hocha frénétiquement la tête :

– Bon sang Kate, t’es littéralement un mannequin pour sous-vêtement ambulant. J’ai l’impression d’être Rachel dans Friends quand elle en était arrivée à souhaiter passer la nuit en compagnie du premier venu tout ça parce que ses pulsions la faisaient tourner en bourrique ! Un simple touché de ta part et hop ! j’avais l’impression de frôler la combustion instantanée !

Kate haussa aussitôt les sourcils face à la réplique inattendue avant de rougir furieusement lorsque les paroles d’Emma prirent sens dans son esprit :

– Donc au lieu d’avoir envie de me fuir à toutes jambes, t’as envie de... euh... passer la nuit avec moi ?

– O.K c’était peut-être pas le meilleur exemple, grimaça Emma, désormais elle aussi cramoisie. Non, enfin si, enfin non mais... aaaah... ce que je veux dire c’est que tu me faisais tourner en bourrique avec ta brassière et ton corps de rêve et tes cheveux humides et...

Réalisant qu’elle balbutiait et que le sourire de Kate s’agrandissait de plus en plus au fur et à mesure qu’elle parlait, elle s’interrompit pour reprendre plus sérieusement :

– Je t’ai dit que tu comptais beaucoup pour moi, Kate. Eh bien... je crois... que tu comptes un peu plus que beaucoup pour moi, et qu’à force, mon corps n’arrive visiblement plus à l’ignorer, finit-elle embarrassée.

Kate sourit avant de l’embrasser délicatement sur les lèvres :

– Eh bien on est deux alors, répondit-elle dans un clin d’œil.

– C’est vrai ? s’étonna aussitôt Emma. Toi aussi t’es... enfin tu...

– Perds totalement mes moyens en ta présence ? proposa Kate avant de lui offrir un regard appuyé. Emma, ça fait trois mois que ça dure et que j’ai parfois l’impression d’être une parfaite imbécile à rougir et balbutier pour rien.

Emma lâcha aussitôt un rire avant de laisser une main s’insinuer sur la nuque de Kate puis l’embrasser tendrement, soupirant aussitôt d’aise lorsqu’elle sentit les bras de sa colocataire resserrer leur prise autour de sa taille et l’attirer un peu plus contre elle.

– Tu balbuties jamais, répondit-elle enfin en lui mettant une légère tape sur le nez. Mais merci d’essayer de faire en sorte que je me sente plus à l’aise.

Kate haussa les épaules, un sourire sur les lèvres même si une légère coloration apparaissait le long de ses joues d’avoir été aussi facilement démasquée.

– Bon, ces DVD, on se les regarde ou pas alors ? Maintenant que cette petite mise au point est faite.

Emma hocha la tête et elles allèrent prendre place sur le canapé du salon, l’adolescente affichant aussitôt un sourire lorsqu’elle sentit Kate passer un bras autour de sa taille et l’attirer plus à elle, son corps doux et chaud se collant aussitôt contre son dos, rapidement suivit d’un souffle chaud contre son visage.

Le film retint difficilement son attention, et à la vue de leurs doigts entrelacés contre son ventre, et des baisers aussi légers qu’une plume que Kate déposait de temps à autre contre sa joue, Emma ne put s’empêcher de penser que ce « truc fille-fille » allait être extrêmement intéressant.

Elle avait hâte de voir ce que ça allait donner dans les prochains jours.

1 septembre 2011

Chapitre 21

Samedi 13 Mars 2004

– Kate, qu’est-ce que tu fabriques ? Ça va faire une demi-heure que t’es là-dedans !

Emma attendit une micro seconde avant que la voix de Kate ne lui réponde :

– Et alors? C’est le weekend, on a le temps !

Emma haussa les sourcils avant de prendre appui contre le mur et soupirer. Le Baccalauréat blanc venant tout juste de s’écouler, elles avaient décidé de commencer le weekend par aller courir le long de la propriété histoire de décompresser, avant de passer le reste de la journée tranquillement installées dans le salon à visionner la pile de DVD qu’elles avaient sélectionnés la veille.

Seulement, et ce grâce à Kate qui mettait un temps fou dans la salle de bains, il était déjà près de 9h alors qu’elles avaient décidé de décoller à l’orée du jour.

– Ça se voit bien que tu es une fille en tout cas, marmonna-t-elle entre ses dents.

– J’ai entendu ça, s’exclama Kate depuis l’autre côté de la porte.

Emma plissa des yeux avant de tirer la langue, même si Kate ne pouvait pas la voir.

– Et range-moi cette langue !

L’adolescente haussa les sourcils avant de lever les yeux au ciel.

– Et pas besoin de lever les yeux au ciel.

Mais elle voit à travers les murs ou quoi ? Incrédule, Emma porta ses mains à ses hanches et commença à ouvrir la bouche lorsque Kate la prit de court.

– Et non, je n’ai pas la vision à rayons X.

– Arg Kate, arrête ça ! gémit Emma en portant ses mains à son visage.

Elle entendit sa colocataire rire de l’autre côté de la porte avant que sa voix ne lui parvienne à nouveau :

– Fallait être patiente, ma belle.

– Mais je croyais que tu avais juste à te changer, qu’est-ce que tu fabriques ?!

Du mouvement se fit entendre au sein de la petite pièce avant que la porte ne s’ouvre, laissant apparaître Kate, une brosse à dents dans la bouche et une serviette de bain reposant de manière désinvolte sur l’épaule.

– Ma toilette, un problème avec ça ? demanda-t-elle en retirant l’objet de sa bouche, se retenant visiblement de sourire.

Elle n’était certes pas du matin, mais elle avait découvert au fil du temps qu’Emma avait, elle aussi, ses mauvais jours.

– Non, répondit Emma, le regard fixé sur le visage de Kate. Mais c’est pas trop tôt.

Elle avait découvert, lorsque Kate avait ouvert la porte, que cette dernière avait certes enfilé son pantalon de toile, mais en ce qui concernait le haut, elle n’était vêtue que d’une simple brassière de sport. Emma n’avait su pourquoi, mais la simple vue de son ventre plat dont les muscles étaient légèrement dessinés et dont la peau paraissait aussi douce que celle d’un nouveau-né, l’avaient passablement embarrassée et elle avait dû lutter pour parvenir à détacher son regard.

– T’as terminé ? Je peux y aller ?

Kate haussa les épaules :

– Tu peux commencer le temps que je finisse de me laver les dents si tu veux.

– O.K..

Emma entra à sa suite avant de déposer ses affaires sur la cuvette des toilettes, mais quand elle s’approcha du lavabo pour se laver les dents à son tour, son regard se posa automatiquement sur le reflet toujours aussi dénudé de Kate dans le miroir et elle se sentit rougir malgré elle.

– Ça va ?

La voix de Kate la poussa à détourner le regard et elle hocha légèrement la tête avant de jurer lorsque le tube de dentifrice lui échappa des mains :

– Oui, oui, super bien. Pas très bien... réveillée, c’est tout.

Elle retira le bouchon d’une main légèrement tremblante avant de l’échapper à nouveau, lui, le bouchon et la brosse et elle laissa retomber ses mains contre la faïence avant de se tourner vers Kate :

– Tu sais quoi ? Après réflexion, je crois que je vais te laisser finir en fait.

 Elle hocha la tête d’un air entendu puis quitta la pièce sans laisser à Kate le temps de répondre, avant de refermer la porte derrière elle.

Bon sang mais qu’est-ce qui m’arrive ?!

💕

Deux heures plus tard, légèrement couvertes de sueur, elles étaient en train de courir le long d’un sentier que Kate avait elle-même choisi. Non pas que celui qu’elles utilisaient habituellement leur ait posé problème, mais elles aimaient bien changer de temps à autre histoire de pouvoir bénéficier de paysages complètement différents de ceux qu’elles avaient l’habitude de voir.

Après un rapide coup d’œil par-dessus son épaule, Kate réalisa qu’Emma était encore légèrement loin derrière elle et elle se demanda sérieusement si le trajet qu’elle avait choisi aujourd’hui n’était peut-être pas un peu trop difficile pour ses capacités.

– Ça va ? appela-t-elle, ralentissant légèrement l’allure.

– Ça va, souffla Emma. J’ai juste un point de côté.

Ah. Kate tourna légèrement la tête :

– Tu veux qu’on s’arrête ?

– Non, ça va, répondit Emma. On est bientôt arrivées de toute façon, non ?

– Encore quelques centaines de mètres.

Emma s’essuya la joue contre son épaule avant d’accélérer afin de se positionner à sa hauteur :

– Un sprint ? demanda-t-elle, une pointe de défi dans la voix.

– Hein ? Et ton point de côté ? s’étonna aussitôt Kate.

– Ça va mieux. A trois, prête ?

– Emma, je crois pas que –

– Trois !

Kate eut à peine le temps de terminer sa phrase qu’Emma accéléra d’un coup et, le temps qu’elle réalise ce qui venait de se passer, l’adolescente avait déjà plusieurs mètres d’avance sur elle. Jurant entre ses dents, Kate s’apprêtait à la suivre lorsqu’elle réalisa avec effroi que l’orée du bois était bien plus proche qu’elle ne le pensait, renfermant avec elle les racines des arbres qui ressortaient du sol par endroit, et à la vitesse à laquelle Emma courait, Kate savait qu’elle ne les verrait jamais à temps avec ce soleil qui éclairait autant l’étendue d’herbe le prédominant.

Sentant la panique monter en elle, elle accéléra à son tour et pria intérieurement pour qu’Emma l’écoute lorsqu’elle ouvrit la bouche :

– Emma ! Arrête-toi ! hurla-t-elle.

La voix de Kate parvint à ses oreilles et Emma ne put s’empêcher d’afficher un sourire surexcité. S’il y avait bien un point sur lequel sa colocataire était imbattable, c’était le sport, mais cette fois-ci, Emma pouvait presque sentir la victoire dans le creux de sa main, et elle était bien décidée à l’obtenir.

Le passage du soleil à l’ombre l’aveugla un instant lorsqu’elle passa les premiers arbres et elle comprit soudainement son erreur quand elle sentit sa cheville buter contre quelque chose de dur. Par chance, elle réussit à maintenir son équilibre avant de trébucher à nouveau, et cette fois-ci, elle vit aussitôt son corps partir vers l’avant, avant qu’une vive douleur ne la traverse lorsqu’elle heurta le sol avec dureté. Elle roula ensuite sur elle-même sur plusieurs mètres jusqu’à ce qu’une rencontre brutale avec un tronc d’arbre ne l’arrête finalement et n’évacue l’air de ses poumons.

Ouch !

Rouvrant les yeux avec une lenteur délibérée, Emma prit quelques secondes afin de retrouver ses esprits avant de péniblement se redresser. O.K., c’était une trèèès mauvaise idée.

– Emma ?! résonna la voix paniquée de Kate.

– Ici, répondit faiblement l’adolescente.

Kate apparut finalement quelques secondes plus tard et elle s’agenouilla aussitôt à ses côtés, un air inquiet sur le visage :

– Ça va ? Rien de casser ?

– Je pense pas, répondit Emma avant de grimacer lorsque Kate toucha son poignet. O.K., oublie ça, je pense que si en fait.

Dans une situation complètement différente, Kate aurait probablement souri, mais la façon dont Emma tenait son bras contre sa poitrine la préoccupait beaucoup trop pour ça et elle s’accroupit à ses côtés avant d’essuyer ses mains sur son pantalon.

– T’as pas mal d’égratignures aussi, remarqua-t-elle avant de tendre une main. Je peux voir ?

Emma hocha la tête et elle sentit aussitôt les doigts de Kate venir courir le long de sa peau, tournant légèrement son bras d’un côté puis de l’autre, vérifiant le mouvement du poignet, puis celui du coude, avant d’appuyer légèrement et masser les muscles tendus. 

– Hmm, rien de cassé, mais tu as l’air d’avoir une belle entorse, déclara Kate, avant de relever les yeux vers elle. Tu peux te relever ?

Emma, dont le corps était encore parcouru de délicieux frissons face au simple contact de Kate sur sa peau, cligna plusieurs fois des paupières avant de demander :

– Hein ?

– Te relever ? Tu penses pouvoir le faire ?

– Oh. Euh oui, oui, c’est bon, répondit Emma en se redressant. Pas de problème.

Kate l’aida à nettoyer son pantalon et son débardeur des quelques feuilles et autres brindilles qui s’étaient accrochées ici et là avant de faire un inventaire de son corps, prenant soin de s’assurer qu’elle n’avait laissé passer aucune autre blessure importante avant qu’elles ne se décident à reprendre la route en direction de la propriété.

Elle s’arrêta lorsqu’elle repéra une vilaine entaille sur le front d’Emma, à la limite du cuir chevelu :

– T’as dû prendre un sacré coup sur la tête, grimaça-t-elle. Comment tu te sens ? Pas de migraine, d’étourdissement, d’envie de vomir ?

– Rien de tout ça, répondit Emma en levant une main vers l’endroit désigné avant de se retrouver les doigts couverts de sang. Mais maintenant serait peut-être un bon moment pour te dire que je ne supporte pas la vue du sang ? ajouta-t-elle, son visage palissant à vue d’œil.

– O.K..., répondit aussitôt Kate en retirant son débardeur en vitesse avant de presser un côté dépourvu de sueur sur la plaie. Tiens ça en place, ça devrait aller.

Emma se contenta de hocher la tête, rendue muette par la vision que Kate lui offrait désormais. La blancheur de sa peau, luisante de sueur, lui donnait l'aspect d'une porcelaine dénuée d’imperfection et Emma éprouva encore plus de difficulté à détourner le regard.

Elle sentit la main de Kate se poser sur sa taille et un frisson lui parcourut aussitôt le corps, remontant le long de sa colonne avant de lui électriser la nuque.

– Ça va?

– Nickel, répondit aussitôt Emma, grimaçant intérieurement face à sa voix légèrement tremblante.

Kate lui offrit un regard intrigué avant de désigner devant elle :

– On y va ? J’aimerais rejoindre l’infirmerie assez vite si possible. Tu veux que je te porte ?

Le regard d’Emma descendit de nouveau le long du torse de Kate malgré elle et elle secoua aussitôt la tête, une douce chaleur recouvrant ses joues. Avoir le corps de l’adolescente exhibé juste sous ses yeux était déjà une chose, mais le sentir tout contre elle en était largement une autre.

– Non ça va, je vais marcher, répondit-elle précipitamment avant de partir devant.

Kate fronça les sourcils de perplexité face à son comportement, avant de hausser les épaules et la suivre à son tour.

Ça doit être un contre coup de l’accident, conclut-elle avant de légèrement accélérer le pas afin de se positionner à sa hauteur.

Si seulement elle avait pu entendre les pensées qui traversèrent une fois de plus l’esprit d’Emma lorsqu’elle posa de nouveau sa main sur son épaule, elle n’en aurait pas été si sûre.

💕

Emma se laissa retomber sur son lit dans un bruit sourd avant de fermer les yeux lorsqu’elle sentit les douces mains de Kate venir nettoyer la plaie située sur son front avant d’y appliquer un nouveau bandage.

Comme sa colocataire l’avait suspecté, ses blessures étaient superficielles, même celle que Kate traitait à l’instant, et Emma avait été soulagée d’apprendre qu’elle n’avait qu’une légère entorse au poignet. L’infirmière lui avait alors remis ce qu’il fallait en bandages et désinfectants, ainsi que de la pommade et des analgésiques pour la douleur, et elles avaient aussitôt regagné l’appartement afin de prendre une douche chacune leur tour pour pouvoir ensuite s’occuper de ses plaies.

Emma sentit Kate s’agenouiller devant elle et elle rouvrit les yeux pour la voir délicatement s’emparer de son bras, le tournant légèrement afin de dévoiler quelques égratignures au niveau de son coude. Lorsqu’elle était sortie de la salle de bains quelques instants plus tôt, Emma avait aussitôt senti son corps réagir face au t-shirt et au jean moulant légèrement déchiré qu’elle avait revêtus, ainsi qu’à ses cheveux humides qui retombaient sauvagement sur ses épaules. Et à la voir traiter à présent ses blessures dans des gestes d’une grande délicatesse, Emma ne put s’empêcher de frissonner à nouveau. C’était Kate tout craché ça, un côté volcanique sous-jacent mêlé d’une douceur féminine omniprésente. L’un n’allait pas sans l’autre. Et si Emma était totalement honnête avec elle-même, elle avouerait qu’elle admirait ces deux pans de sa personnalité l’un tout autant que l’autre.

Le produit entra en contact avec sa peau abimée et elle grimaça légèrement avant de sentir une douce chaleur s’emparer d’elle à nouveau, lui faisant progressivement oublier le monde qui l’entourait pour ne la laisser qu’elle et les doigts de Kate qui caressaient sa peau de manière exquise.

Son autre coude bénéficia du même traitement de faveur, puis ses genoux, et Emma sentit finalement un produit frais être étalé le long de son poignet, avant que Kate ne commence à masser fermement la peau et étendre les muscles de manière agréable.

D’un simple touché, c’était comme si Kate avait mis tous ses sens en éveil et elle était persuadée que si elle rouvrait les yeux, elle pourrait apercevoir la légère chair de poule qui s’était hérissée le long de sa peau. De légers picotements remontèrent le long de sa colonne et elle rouvrit les yeux pour se retrouver comme hypnotisée par les doigts de Kate qui dansaient désormais sur sa peau luisante, avant de remonter vers son visage concentré par l’effort.

Ses sourcils froncés lui donnaient un air terriblement adorable, et la façon dont ses cheveux encore humides encadraient son visage...

– Emma ?

Le son de la voix de Kate lui parvint et Emma cligna légèrement des yeux avant de croiser le regard noisette pausé sur elle :

– Hmm ?

– Qu’est-ce que tu fais ?

Emma se sentit aussitôt rougir :

– Comment ça, qu’est-ce que je fais ?

Kate libéra lentement son poignet avant de désigner la main d’Emma qui s’était insinuée dans ses cheveux et elle lui lança un regard interrogateur.

– Oh, s’exclama Emma, retirant sa main comme si elle avait été brulée. Euh c’est... je... tu avais un truc, dans les cheveux. Un truc coincé dans les cheveux, tu sais, balbutia-t-elle avant de cacher son bras dans son dos.

Kate lui offrit un regard perplexe avant de s’essuyer les mains sur son jean et récupérer un long bandage :

– Tu me dis si c’est trop serré hein ?

Emma hocha la tête et elle tapa nerveusement du pied en attendant que Kate ait terminé, pressée de pouvoir s’éloigner de l’adolescente avant que sa main ne se décide à la trahir à nouveau. Kate enroula le bandage avec précision et dextérité puis y ajouta deux morceaux d’adhésif médical avant de relever la tête :

– Ça va comme ça ?

– Parfait, sourit Emma, un peu plus rapidement qu’elle ne l’aurait voulu.

Kate l’observa à nouveau, perplexe, avant de récupérer ses affaires et finalement soupirer :

– Tu sais Emma, si tu voulais pas que je te touche, t’avais qu’à le dire.

Surprise par la remarque autant que par le ton légèrement accusateur mais surtout douloureux, Emma observa Kate récupérer le reste des produits avant de disparaître dans la salle de bains sans un mot de plus.

– Quoi ? s’exclama-t-elle finalement, interloquée.

Pourquoi Kate venait-elle de dire ça ? Surtout quand Emma pouvait encore sortir sa peau la chatouiller de façon agréable et qu’elle ne désirait plus que de bénéficier de son touché à nouveau ?

Kate entra de nouveau dans la pièce, le visage fermé, et Emma haussa les sourcils lorsqu’elle la vit récupérer son ordinateur et s’apprêter à quitter la pièce à nouveau.

Elle se précipita afin de lui bloquer le passage :

– Kate, attends... tu ne vas même pas me répondre ?

Kate soupira :

– J’ai dit ce que j’avais à dire, c’est toi qui m’as pas répondu.

– Très bien, répondit lentement Emma, surprise de réaliser combien la distance que Kate mettait soudainement entre elles lui faisait du mal. Eh bien, je ne comprends pas pourquoi tu dis ça alors je ne vois pas comment je pourrais te répondre.

Kate serra des dents avant de déposer son ordinateur sur la commode d’Emma puis croiser les bras sur sa poitrine :

– Tu refuses que je te porte pour t’emmener à l’infirmerie, tu es complètement tendue, et t’arrêtes pas de tressaillir à chaque fois que je te touche, énuméra-t-elle avant de hausser un sourcil. Ça te va, ou je dois continuer ?

Emma l’observa, interdite. Avait-elle réellement fait tout ça ? Elle avait refusé que Kate la porte, mais uniquement parce qu’elle savait qu’un simple contact de sa peau contre la sienne l’aurait davantage troublée. Quant au reste... Kate n’avait pas tort, mais elle avait visiblement terriblement mal interprété les signes.

Elle leva les yeux pour lui répondre, mais s’interrompit aussitôt lorsqu’elle remarqua la profonde tristesse qui habitait le regard de Kate, ainsi que la vulnérabilité sous-jacente, et elle réalisa soudainement que Kate était persuadée d’être en train de voir sa plus grande peur se réaliser ; que les gens qu’elle laissait entrer dans son cœur l’abandonnent comme ses parents avaient pu le faire, tout ça parce qu’elle était lesbienne.

En y réfléchissant, Emma dut bien s’avouer qu’elle n’en était même pas surprise. Cette histoire avait touché Kate bien plus qu’elle ne le laissait paraître et elle réalisa que seul le long terme, bien plus que de simples mots, l’aiderait probablement à surmonter cette peur.

Fermant les yeux un instant, elle se réprimanda intérieurement avant de venir prendre les mains de Kate dans les siennes et plonger son regard dans le sien :

– Kate, j’ai pas refusé que tu me portes, j’ai juste eu peur que tu me troubles davantage. Et je n’ai pas tressaillie à chaque fois que tu me touchais... j’ai frissonné grave, avoua-t-elle dans un sourire embarrassé.

Kate l’observa, confuse :

– Je te trouble ?

Emma hocha frénétiquement la tête et lorsqu’elle remarqua l’air si fragile qui habitait le visage de Kate, elle décida de laisser son cœur la guider, et de simplement le laisser lui dire ce qu’elle n’avait pas voulu entendre jusqu’à présent.

Elle tenait beaucoup à Kate, leur relation avait un côté magique, basée sur une confiance mutuelle, une affection particulière et à cette pensée, Emma sentit son rythme cardiaque s’accélérer et des bouffées de chaleur l’envahir. Elle n’avait envie de personne d’autre dans sa vie. Elle ne voulait que Kate. La belle, intelligente, craquante et touchante Kate.

Alors, avalant difficilement sa salive, elle porta une main à sa joue et la caressa dans une infinie douceur. Elle savait qu’il y avait de grandes chances pour que les sentiments ne soient pas partagés, mais elle rejeta rapidement la pensée. Ce qu’elle voulait avant tout, c’était que Kate sache qu’elle ne la jugeait pas et surtout qu’elle ne la rejetait pas, bien au contraire. Alors elle décida de prendre le risque de se voir repousser par la personne qui comptait le plus pour elle.

La regardant toujours droit dans les yeux, elle approcha lentement ses lèvres des siennes avant de s’interrompre lorsque Kate demanda, hésitante :

– Emma ?

Un tendre sourire accompagna la réponse :

– J’ai envie de t’embrasser Kate, tu veux bien me laisser faire ?

La phrase avait été prononcée avec tant de chaleur que Kate sentit son cœur manquer un battement. Emma arborait un air qu’elle ne lui connaissait pas et elle se retrouva à l’observer durant plusieurs secondes avant de finalement comprendre. Le regard d’Emma était empli d’une affection et d’une tendresse si profonde qu’elle réalisa que ce qu’elle avait interprété comme du rejet était en fait tout le contraire. Elle ne la repoussait pas pour sa différence, non... elle ressent la même chose que moi. Plongeant dans ses prunelles brillantes, elle sentit un sourire se dessiner à son tour sur ses lèvres, et elle porta sa main à son visage, s'attardant sur ses joues légèrement rougies, détaillant chaque petit détail du plus beau visage qu’elle n’avait jamais vu, avant de hocher la tête dans une autorisation muette.

Emma relâcha le souffle qu'elle avait retenu sans le savoir et elle sentit son sourire s’agrandir, puis, ne lâchant pas le regard de Kate, sa main continua son chemin jusqu'à sa nuque où elle laissa ses doigts se faufiler dans ses cheveux humides, ses lèvres se rapprochant centimètre par centimètre pour finalement se poser sur les siennes aussi légèrement qu’une plume.

Un premier baiser, doux, hésitant, timide. Emma sentit les bras de Kate entourer sa taille avec douceur et plongeant de nouveau dans ses yeux familiers, elle lui sourit, glissant ses bras autour de son cou pour l'attirer encore plus. Les nouvelles sensations qui l’envahissaient l’incitèrent à goûter de nouveau à ses lèvres dans un baiser plus curieux, le bout de sa langue effleurant la lèvre inférieure de Kate qui ne put retenir le petit gémissement qui naquit dans sa gorge. Sa langue glissa contre la sienne, tendre et brûlante, et Emma s’appuya plus encore contre elle, augmentant la sensation de chaleur qu’elle sentait se répandre dans tout son corps.

Elle sentit Kate la pousser doucement vers l’arrière et elle se laissa aller, s’allongeant sur le dos alors que Kate prenait place sur elle, enlaçant plus étroitement leurs corps. Le souffle de Kate s’accéléra lorsqu’elle sentit les mains d’Emma glisser de ses cheveux pour suivre les contours de son dos et sa bouche quitta la sienne pour descendre dans son cou qu’elle couvrit aussitôt de tendres petits baisers.

Ses lèvres rencontrèrent le point de pulsations qui battait à un rythme endiablé et elle étira sa langue pour goûter la peau sucrée juste avant de l’embrasser. Un sifflement étouffé s’échappa des lèvres d’Emma et elle laissa glisser sa main le long de son corps, frôlant sa cuisse et remontant le long de son côté. Des frissons la parcoururent lorsqu’elle sentit une légère morsure au lobe de son oreille et elle inspira bruyamment alors qu’une de ses mains s’insinuait sous le haut d’Emma et effleurait son ventre.

Les sensations que provoquaient leurs caresses étaient enivrantes et sans qu’elles ne s’en rendent vraiment compte, le bas de leurs corps commença à se frotter l’un contre l’autre, ondulant de manière continue dans un léger mouvement de va-et-vient. Submergée par les émotions, Emma rejeta la tête en arrière puis, prenant soudainement conscience de ce qui était en train de se passer, elle sentit son corps se figer.

– Kate, souffla-t-elle. Kate, s’il te plaît arrête. Je… stop, je t’en prie.

Le son de sa voix parvint péniblement à ses oreilles et Kate redressa doucement la tête, plongeant son regard empli de désir dans celui troublé d’Emma.

L’agitation qu’elle y lut la ramena cependant rapidement sur terre.

1 septembre 2011

Chapitre 20

Lorsque Kate arriva à l’appartement, ce fut pour retrouver Emma assise sur le rebord de la fenêtre du salon, de la même façon qu’elle-même l’avait été un mois plus tôt. Les rayons du soleil se reflétaient dans ses longs cheveux blonds, et Kate s’autorisa un moment à simplement observer la vue qui s’offrait à elle avant de s’approcher.

Comment Emma faisait-elle pour lui couper le souffle même dans les situations les plus critiques ?

Kate s’arrêta finalement à ses côtés et Emma tourna la tête dans sa direction, dévoilant un regard légèrement humide.

– Hé, salua Kate. Ça va ?

Emma haussa les épaules :

– Surement mieux qu’elle, répondit-elle en désignant la porte. Quelle histoire, hein ? 

– Ouais, acquiesça Kate en prenant appui contre le mur avant de glisser ses mains dans ses poches. Eva m’a dit que tu les avais surpris ?

Emma hocha légèrement la tête :

– Ils étaient dans les toilettes des filles, non pas que j’ai spécialement envie d’y repenser, ajouta-t-elle lorsque les images s’immiscèrent malgré elle dans son esprit.

– Je me doute, désolée, répondit Kate, embarrassée. Je voulais juste m’assurer que tu allais bien. C’est pas le genre de vision qui doit laisser insensible.

Emma haussa les épaules avant de reporter son regard sur le décor qui s’offrait à elle à travers la vitre. Elle avait pleuré avant que Kate n’arrive, pour elle, ou pour Cassie, ou pour toutes ces filles victimes de ce genre de choses, peut-être. Elle ne savait pas trop. Mais maintenant que la crise de larmes était terminée, elle devait bien avouer qu’elle se sentait extrêmement fatiguée.

Une pensée lui revint soudainement en mémoire et elle fronça les sourcils avant de relever ses yeux émeraude vers Kate :

– Entre Cassie et toi... il y a quoi exactement ?

Kate haussa les sourcils, surprise par la question inattendue :

– Comment ça ?

– Eh bien, je sais qu’elle est ton ex et tout ça mais la façon dont tu l’as prise dans tes bras tout à l’heure... et même si je peux le comprendre vu le contexte, ça avait quand même l’air particulièrement amical et... et elle m’a dit quelque chose quand on était dans les toilettes, un truc comme quoi tu ne me disais visiblement pas tout ?

Kate sentit le sang quitter son visage et elle détourna les yeux, embarrassée :

– On dirait que vous avez pas mal discuté visiblement, ironisa-t-elle d’une voix mal assurée.

– Elle avait besoin d’aide, Kate, tempéra Emma avant de marquer une pause. Il y a quelque chose que je devrais savoir ?

Kate relâcha un profond soupir avant de lui faire à nouveau face :

– Tu te souviens du soir où Cassie t’a rasé la tête ?

Emma hocha la tête et elle poursuivit :

– Tu t’es endormie peu de temps après que j’ai nettoyé tes plaies, alors j’en ai profité pour aller rendre une petite visite aux jumelles.

– Pendant que je dormais ? s’étonna Emma.

Kate acquiesça :

– Je tenais à m’assurer qu’elles te laissent tranquille. J’ai trouvé la tondeuse qu’elles avaient utilisée sur toi dans les affaires de Julia, elle n’avait même pas pris le temps de la nettoyer. Alors j’ai menacé de les dénoncer si elles s’amusaient à te harceler. C’est là que j’ai appris que Cassie avait trouvé un moyen de se procurer des corrigés d’examens afin d’obtenir d’elles tout ce qu’elle voulait. Et j’ai rapidement dressé la conclusion que celui qui avait laissé échapper des informations sur toi devait être la même personne qui fournissait ces sujets à Cassie, alors j’ai aussitôt prévenu Eva pour qu’elle enquête de son côté.

Emma hocha lentement la tête, prenant le temps d’assimiler tout ce que Kate venait de lui apprendre :

– C’est pour ça qu’elles ont laissé tomber Cassie peu de temps après, conclut-elle. Et que tu m’as dissuadé de porter plainte contre elles.

Kate rougit légèrement :

– Je les avais déjà sous la main, c’était inutile.

– Hmm et tu ne m’as rien dit parce que... ?

Kate sentit soudainement son cœur se mettre à battre dans sa poitrine et elle détourna le regard avant de hausser les épaules :

– Tu avais déjà beaucoup à gérer avec tout ce qu’elles te faisaient subir, et puis, ça restait ma faute après tout.

– Kate... on a déjà parlé de ça, répondit Emma en tendant une main afin de prendre celle de Kate dans la sienne. Arrête de te sentir coupable de ce qu’elles m’ont fait.

Kate afficha un sourire crispé avant de soupirer, se préparant au pire :

– Et puis il y a eu ma visite auprès de Cassie il y a deux semaines, poursuivit-elle, grimaçant intérieurement lorsqu’elle sentit Emma se figer. J’y suis allée pour les mêmes raisons, pour qu’elle te laisse tranquille et menacer de la dénoncer sinon, mais...

– Mais ? demanda Emma, craintive.

Kate se passa une main sur le visage avant d’expliquer :

– J’ai appris pourquoi elle avait eu recours à des couvertures il y a un an. Ses parents lui mettaient la pression et elle l’a fait uniquement par crainte de son père et de ses hommes de main. Et puis elle m’a dit que je lui manquais, et qu’elle aimerait qu’on redevienne amies.

Ses paroles furent à peine terminées qu’elle sentit aussitôt la main d’Emma quitter la sienne avant que sa voix ne lui parvienne :

– Et qu’est-ce que tu lui as répondu ? demanda l’adolescente d’une faible voix, le regard de nouveau tourné vers la vitre.

– Qu’elle a été mon premier amour, que je n’oublierais jamais ça. Et que l’amitié qu’on avait me manque, répondit sincèrement Kate avant d’ajouter rapidement lorsqu’elle crut voir le regard d’Emma s’humidifier à nouveau : mais qu’elle faisait partie de mon passé, que notre histoire faisait partie du passé. Qu’il y avait toi maintenant et que si on envisageait d’être amie à nouveau, on allait de toute façon avoir besoin de temps.

Emma hocha légèrement la tête avant de lever les yeux vers Kate, une larme s’échappant malgré elle :

– Merci d’avoir été honnête, sourit-elle faiblement. C’est tout ?

– Ça dépend, grimaça Kate. Il est possible que je l’ai embrassée aussi ?

Emma en perdit aussitôt son sourire et elle poursuivit rapidement :

– C’était pas un baiser amoureux, rien de tout ça. C’était, hmm, j’ai juste plaqué ma bouche sur la sienne assez violemment. Après, hmm, après l’avoir plaquée contre le mur. Je croyais que c’était ce qu’elle voulait alors… j’ai pas réfléchi, je voulais juste… j’avais tellement envie de lui faire payer pour tout ce qu’elle t’avait fait et...

Emma leva aussitôt une main :

– Ça fait un peu trop d’informations, répliqua-t-elle en se frottant la nuque, visiblement mal à l’aise.

– Je voulais juste lui faire peur, conclut Kate. Elle m’a mis une sacrée gifle si ça peut te rassurer.

Sa réplique provoqua un faible sourire sur les lèvres d’Emma malgré elle :

– Je comprends mieux la marque rouge que tu avais en tout cas, ironisa-t-elle. Je me suis longtemps demandé ce que ça pouvait être.

– Oh, aah, je suis désolée, répondit Kate, de nouveau embarrassée.

Emma haussa légèrement les épaules :

– Tu ne m’as rien dit pour elle non plus... c’était pour les mêmes raisons ?

Kate laissa son regard retomber sur le sol, ses mains tripotant nerveusement le bas de son t-shirt. Elle secoua négativement la tête :

– J’avais peur que tu ne veuilles plus me parler après ça, expliqua-t-elle avant de lâcher un rire dénué d’humour. Je veux dire, ta pire ennemie veut littéralement redevenir ma meilleure amie.

– Et tu en as envie aussi, remarqua Emma d’un ton triste avant de lever les yeux vers Kate. J’ai beaucoup d’insécurité, mais je ne compte pas laisser quoi que ce soit s’immiscer entre nous simplement à cause de ça. Pas tant que tu voudras de moi, ajouta-t-elle dans un faible sourire.

Elle hésita avant de poursuivre :

– Je te l’ai dit Kate, je tiens vraiment beaucoup à toi. Et... et je sais que tu ne me ferais jamais de mal délibérément.

– Jamais, promit aussitôt Kate. Et j’ai aucune envie d’être amie avec elle si c’est pour mettre ma relation avec toi en péril. Tu comptes beaucoup pour moi aussi, Emma.

Emma afficha un grand sourire, visiblement touchée :

– C’est exactement pour ça que tu n’as pas de soucis à te faire, tu peux être amie avec Cassie si c’est que tu veux... Je promets de ne pas t’en tenir rigueur.

– Hmm on verra, répondit Kate en s’agenouillant à ses côtés avant de venir jouer avec le bracelet d’Emma. Mais compte sur moi pour tout arrêter si ça te met beaucoup trop mal à l’aise.

– Kate...

– Tu passeras toujours en premier, va falloir te faire une raison.

Sa réplique prit Emma par surprise et elle s’interrompit, levant les yeux vers Kate et incapable de prononcer le moindre mot. Des picotements la parcoururent dans tout le corps, encore plus là où les doigts de Kate la chatouillaient au niveau du poignet, et elle sentit un doux sourire venir étirer ses lèvres malgré elle, la poussant à détourner le regard.

Kate n’avait certes pas sa langue dans sa poche, mais elle savait aussi dire les plus belles choses.

Tu passeras toujours en premier, va falloir te faire une raison.

Trop émue pour pouvoir continuer, Emma préféra changer de sujet :

– Eva a mentionné des visites nocturnes, c’était ça alors ?

– Oui, répondit Kate, son attention portée sur le bracelet d’Emma pour ne pas céder à l’envie qu’elle avait de venir essuyer la larme qui coulait toujours le long de sa joue. Ça nous permettait de passer du temps ensemble Cassie et moi l’an dernier sans qu’on risque de se faire prendre.

Emma se redressa et s’étira légèrement avant de prendre la direction de la cuisine :

– Hmm donc les jumelles... Cassie... et c’est tout ? demanda-t-elle une fois arrivée à hauteur du frigo. Ou il y en a eu d’autres ?

– Non, c’est tout, assura Kate en se redressant à son tour, avant de se mordre l’intérieur de la joue. Tu ne m’en veux pas, hein ?

Emma récupéra une petite bouteille d’eau avant de revenir à sa hauteur :

– Tu as fait tout ça pour me protéger, commença-t-elle en récupérant la main de Kate. Bien sûr que non je suis pas fâchée, je suis au contraire très touchée, ajouta-t-elle avant de venir l’embrasser sur la joue, juste au coin des lèvres.

Leurs regards se croisèrent et Emma exerça une dernière pression sur la main qu’elle tenait toujours dans la sienne avant d’ajouter :

– Merci d’être une aussi bonne amie avec moi Kate, tu n’imagines même pas combien ça me fait du bien, déclara-t-elle sincèrement avant de la relâcher et prendre la direction de la chambre.

Kate la regarda s’éloigner, persuadée que ses jambes allaient céder sous elle si elle ne s’asseyait pas d’ici peu.

Emma l’avait presque embrassée.

Wow.

Publicité
Publicité
1 septembre 2011

Chapitre 19

Vendredi 12 Mars 2004.

Emma arrivait tout juste en bas des escaliers lorsqu’une silhouette apparut soudainement et la bouscula au passage, manquant de la faire tomber.

– Oh merde, je suis désolée ! s’exclama la voix. Ça va ?

Emma redouta un instant d’avoir affaire à un autre tortionnaire tant la scène était cruellement semblable à celle qu'elle avait subie au début de l'année, mais lorsqu'elle leva les yeux, elle fut soulagée de croiser un regard noisette légèrement différent de celui qu’elle connaissait désormais par cœur.

Elle sourit faiblement.

– Oui, rien de cassé.

– Ouf, répondit Eva en se passant une main sur le front, feignant un air soulagé. Ça m’apprendra à être en retard à un rendez-vous et courir dans les escaliers, taquina-t-elle, avant de baisser les yeux. Oh Pan.

Emma l’observa, confuse :

– Pardon ?

– Tom Robbins, “Jitterbug Perfume” ? C’est bien ça non ? demanda Eva en désignant le livre qu’Emma tenait contre elle. Le roi Alobar, condamné à mort au premier signe de vieillesse… C’est Pan sur la couverture. Très bon livre en tout cas. C’est au programme du cours d’anglais ?

Emma jeta un rapide coup d’œil à la couverture, à l’homme au corps de bouc dont les cheveux et la barbe étaient passablement négligés, avant de secouer la tête :

– Non, lecture personnelle, répondit-elle avant de sourire. Et visiblement, j’ai bien choisi.

– Et comment, répondit Eva dans un clin d’œil avant de s’éloigner le long du couloir. Tiens-moi quand tu l’auras terminé ? J’aimerais avoir ton avis.

Emma hésita un instant avant de hocher la tête et elle fut aussitôt récompensée par un sourire ravi, la poussant à penser que Kate n’avait peut-être pas tort quand elle disait qu’on pouvait faire confiance à la jeune surveillante.

Elle la vit faire demi-tour et poursuivre sa route le long du couloir avant de saluer une élève qui venait en sens inverse, et Emma fut surprise de voir cette dernière s’emparer de la main de la jeune surveillante et la serrer légèrement avant de continuer à avancer. 

C’était quoi ça ? se demanda-t-elle avant d’être un peu plus surprise lorsque l’élève en question s’arrêta devant elle.

Légèrement plus grande qu’elle, elle arborait une peau légèrement hâlée encadrée de longs cheveux couleur ébène ainsi qu’un regard bleu perçant incroyablement clair et Emma se demanda un instant si elle n’avait pas des origines Indiennes ou Sri-Lankaises. 

– Tu es Emma, c’est ça ? demanda-t-elle avant de tendre une main lorsqu’Emma hocha silencieusement la tête. Elizabeth Graham Bathory, mais tout le monde m’appelle « Liz ».

Graham Bathory ? s’étonna silencieusement Emma. Comme dans Montana Graham Bathory, la première ministre du pays ?!

– Ecoute, je sais que ça va te paraître étrange, mais j’ai coincé une pochette dans l’encadrement de la porte de votre appartement à toi et Kate. C’est notre projet de chimie. J’ai terminé ma partie et il faut absolument que Kate y jette un œil ce weekend afin qu’on puisse s’occuper des derniers petits détails la semaine prochaine avant de le rendre. Je lui aurais bien remis en mains propres mais... j’ai un rendez-vous avec la conseillère d’orientation et je sais que Kate a son cours de soutien ce soir alors...

– Je m’en occupe, répondit Emma en hochant la tête d’un air compréhensif. Je lui dirais dès qu’elle sera rentrée.

Liz afficha aussitôt un sourire ravi :

– Parfait, merci, répondit-elle, visiblement soulagée. Elle sait où se trouve mon appartement si jamais elle a un problème. Dis-lui de ne pas hésiter, d’accord ?

– Ce sera fait, promit Emma avant de l’observer s’éloigner le long du couloir.

– Merci encore !

 Emma lui offrit un faible signe de la main, légèrement intriguée par ce qu’elle avait vu entre elle et la jeune surveillante quelques instants plus tôt, avant de hausser les épaules et se diriger vers les toilettes des filles.

J’imagine qu’elle est amie avec tout le monde dans l’établissement.

Emma fut aussitôt surprise d’entendre une voix d’homme lorsqu’elle pénétra à l’intérieur, et elle leva les yeux au ciel face à ces couples qui ne pouvaient pas trouver d’endroits plus intimistes pour se retrouver.

 Elle s’apprêtait à faire demi-tour afin d’utiliser les toilettes d’un autre étage lorsque des voix lui parvinrent, et elle tendit l’oreille malgré elle avant de se figer aussitôt sur place.

Cette voix, elle la connaissait. Elle l’aurait reconnue entre mille d’ailleurs tellement il lui arrivait de la hanter ici et là. Mais ce qui surprit le plus Emma, ce fut celle qui lui répondit.

Que pouvait bien faire Cassie, dans les toilettes des filles, en compagnie de l’un des surveillants de la pension ?!

Sa curiosité prenant le pas sur elle-même, Emma s’avança discrètement le long des cabines avant de légèrement pencher la tête en direction des lavabos et elle sentit aussitôt sa respiration se couper.

Debout face au miroir, Cassie était visiblement occupée à se repoudrer le visage, mais ce qui choqua Emma, ce fut le surveillant qui l’enlaçait par derrière et dont le nez était plongé dans le cou de l’adolescente. 

– Hmm, je ne sais vraiment pas comment tu fais pour toujours sentir aussi délicieusement bon.

Eh bien au moins ça ne laisse aucun doute quant à la nature de leur relation, remarqua Emma avant d’observer Cassie lever les yeux vers lui à travers le miroir, un léger rictus au coin des lèvres :

– Jamais entendu parler de ces choses révolutionnaires qu’ils ont inventées, tu sais... les produits cosmétiques ?

Un rire résonna aussitôt dans la pièce.

– Non, je pense que ça vient simplement de toi, de tes cheveux, de ta peau...

Il commença à l’embrasser mais Cassie remua légèrement des épaules afin de se dégager :

– Neil arrête, mon cours commence dans cinq minutes.

– C’est pas grave, je te ferais un mot..., répondit l’homme avant de recommencer. 

Sa main remonta un peu plus avant de s’arrêter à la lisière de sa poitrine et Emma détourna les yeux, la petite voix à l’intérieur de sa tête lui disant qu’elle en avait vu assez. Pourtant, elle se retrouva incapable de faire demi-tour et quitter la pièce.

Cassie était une élève et Neil un surveillant, cet élément-là suffisait pour conclure que quelque chose ne collait pas. Et pourtant, Emma pouvait sentir des frissons désagréables remonter le long de son dos. L’atmosphère qui régnait avait quelque chose de dérangeant, de pesant, mais elle était incapable de dire ce qui exactement lui faisait ressentir ça.

Lorsqu’elle jeta de nouveau un coup d’œil dans leur direction, elle fut surprise de voir que le surveillant avait changé de place et se trouvait désormais à côté de Cassie, son dos faisant face au miroir et ses fesses en appui contre la porcelaine.

Ses lèvres étaient soudées à celles de l’adolescente mais alors qu’il semblait demander plus, Emma vit Cassie se dégager avant de baisser les yeux vers sa main qu’il tenait désormais dans la sienne.

– On pourrait nous surprendre, remarqua-t-elle en essayant de libérer, en vain.

– On entendra la porte.

Cassie relâcha un soupir avant de lever les yeux vers son visage :

– Neil, sérieusement... j’ai pas envie.

Le ton de sa voix, ainsi que les mots prononcés, firent aussitôt comprendre à Emma ce qu’elle avait deviné depuis le début sans vraiment parvenir pour autant à mettre le doigt dessus. La scène qui s’offrait à elle n’avait rien à voir avec deux amoureux qui s’étaient isolés pour se retrouver. Non, ce dont elle était témoin, c’était d’un homme qui utilisait probablement sa position hiérarchique pour obtenir d’une élève ce qu’il attendait visiblement d’elle.

Emma eut l’impression qu’elle allait vomir.

– Neil...

Le nom prononcé dans un ton plaintif ramena Emma au présent et elle fronça les sourcils lorsqu’elle vit le surveillant fermer les yeux tout en frémissant, avant de sentir son cœur s’arrêter lorsqu’elle regarda un peu plus bas, et vit sa main littéralement forcer celle de Cassie dans l’ouverture de son pantalon.

– Là, tu vois, c’était pas bien difficile..., susurra-t-il avant de légèrement grimacer. Nuh-huh, reste sage..., ajouta-t-il en accentuant sa pression sur le poignet de Cassie.

Incapable d’en supporter davantage, Emma fit demi-tour puis quitta la pièce dans ce qui était, elle l’espéra, le plus discrètement possible. Ses membres tremblaient et elle n’avait qu’une seule envie, c’était d’aller se réfugier quelque part et effacer les dernières minutes de sa mémoire. Oublier qu’elle venait d’être témoin d’une adolescente qui était victime d’un... d’un...

D’un viol.

Le mot résonna dans sa tête et Emma fit aussitôt volte-face afin d’observer la porte par laquelle elle venait de sortir. Là, dans la pièce, à quelques mètres seulement d’où elle se trouvait, Cassie était seule avec cet homme et Dieu sait ce qu’il pouvait bien être en train de lui faire.

Emma sentit la panique monter en elle. Certes Cassie lui avait fait subir les pires horreurs et ce dès son arrivée à La Lumeda, mais personne, personne, ne méritait ce qui était visiblement en train de lui arriver, et ce même si Emma avait plus d’une fois fantasmé lui rendre ne serait-ce qu’un cinquième de ce qu’elle lui avait fait subir. Le cœur tambourinant dans la poitrine, Emma regarda frénétiquement autour d’elle avant de s’arrêter sur le petit boîtier rouge fixé au mur au milieu du couloir, presqu’à hauteur de son visage.

Il faut que je l’arrête, et il faut que je l’éloigne d’elle.

Emma s’y dirigea avant de réaliser qu’elle tenait toujours son livre entre ses mains. Elle le glissa dans la poche arrière de son jean – secrètement soulagée d’avoir laissé ses affaires en permanence lors de son petit détour à la bibliothèque – leva une main et appuyer sur le gros point noir situé en son centre, se couvrant aussitôt les oreilles de ses mains lorsqu’une alarme stridente résonna au-dessus d’elle. Grimaçante, elle fila droit devant elle et trouva refuge dans un léger renfoncement du mur afin d’observer la porte des toilettes sans être vue. 

Après quelques secondes seulement, elle vit le surveillant quitter la pièce, les mains occupées à refermer l’attache de son pantalon tandis qu’il s’éloignait d’un pas rapide le long du couloir et Emma fut aussitôt surprise de voir que Cassie ne le suivait pas.

Inquiète, elle patienta encore quelques minutes, avant de retraverser le couloir et s’approcher des toilettes à nouveau. Avec l’alarme, il lui était impossible d’entendre quoi que ce soit à l’intérieur, alors elle poussa légèrement la porte avant de s’avancer d’un pas hésitant le long des cabines.

La vue qui s’offrit à elle lorsqu’elle tourna en direction des lavabos l’arrêta aussitôt sur place. Cassie avait le visage recouvert de larmes, ses yeux azur étaient rouges et gonflés et elle ne cessait de renifler et de s’essuyer les joues d’un revers de manche. Son regard était quant à lui fixé sur ses mains qu’elle frottait entre elles dans des gestes mécaniques presque violents, rajoutant régulièrement du savon et les passants légèrement sous l’eau avant de recommencer encore et encore, et après ce qu’Emma avait surpris, elle devina aisément ce que devait ressentir Cassie à présent.

Cette dernière choisit ce moment pour lever les yeux et lorsqu’elle croisa le regard d’Emma à travers le miroir, elle se figea un instant avant de secouer la tête tout en soupirant :

– Génial, manquait plus que ça, marmonna-t-elle. T’as pas remarqué que l’alarme incendie était en train de sonner ?

– Si, répondit Emma, ignorant volontairement le ton acerbe pour s’avancer légèrement. Mais je voulais voir comment tu allais.

Cassie détourna le regard avant de hausser les épaules :

– Je me suis juste mis du mascara dans l’œil, y a pas de quoi en faire tout un drame.

Emma hésita un instant avant de venir se poster juste à côté d’elle, à l’endroit même où était assis le surveillant quelques instants plus tôt, et elle se tourna légèrement de manière à pouvoir voir son visage :

– Cassie... j’étais là tout à l’heure, j’ai vu ce qu’il te fait.

Cassie se figea, un air de panique traversant ses traits, et Emma crut pendant un instant qu’elle allait bondir hors de la pièce. Mais elle se rattrapa rapidement et tendit une main vers le distributeur de serviettes, avant de répondre de façon nonchalante :

– Et alors ? Qu’est-ce que tu comptes faire, avoir ta petite vengeance et me dénoncer à ton tour ?

Quoi ?

– Non ! s’exclama Emma, incrédule. Cassie, ce qu’il te fait, c’est pas normal. Il doit être dénoncé !

– Ouais ben ça va être un peu difficile pour ça, ironisa aussitôt Cassie tandis que de nouvelles larmes coulaient le long de ses joues. C’est ce que je reçois en retour pour t’avoir pourri l’existence, après tout. Tu devrais être contente.

– Quoi ? répondit Emma, confuse. Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans, moi ?

Cassie traversa la pièce afin de jeter les feuilles de papier dans la corbeille et elle secoua légèrement la tête avant de se passer une main dans ses cheveux blonds légèrement décoiffés :

– Kate est loin de tout te raconter, visiblement, railla-t-elle en lui faisant de nouveau face. Tu ne t’es jamais demandé comment je faisais pour que les jumelles m’obéissent au doigt et à l’œil ? C’est grâce à lui. Il me fournit ce dont elles ne peuvent se passer, et en échange...

– Il abuse de toi, l’interrompit Emma, le ton dur. Tu dois le dénoncer Cassie.

– Pour qu’il me fasse porter le chapeau ? Non merci.

Emma cligna des yeux avant de demander, hésitante :

– Qu’est-ce que tu risques ?

– Oh laisse-moi réfléchir, répondit Cassie en feignant un air songeur. Qu’est-ce que je risque si mon père venait soudainement à découvrir que je me suis fait renvoyer pour avoir martyrisé une élève sans le sou – parce que oui, il aurait préféré que je te prenne sous mon aile, ça aurait fait une pub d’enfer pour le Groupe – et refourgué des corrigés d’examens pour arriver à mes fins ? Crois-moi, bien pire que ce que Neil a pu me faire. Il a des hommes de main qui savent se montrer particulièrement... intimidants.

– Alors tu vas juste le laisser continuer ? s’insurgea aussitôt Emma.

Cassie posa aussitôt un regard froid sur elle avant de s’avancer dangereusement :

– Dis donc « mademoiselle-je-suis-plus-intelligente-que-tout-le-monde », va pas croire que toute cette histoire me donne envie de sauter au plafond, parce que c’est certainement pas le cas, claqua-t-elle avant de prendre un ton ironique. Seulement tu vois, dans la vie, on n’a pas toujours ce qu’on veut.

– C’est pas une raison pour le laisser avoir ce qu’il veut lui, contra aussitôt Emma en croisant les bras sur sa poitrine.

Cassie l’observa un instant avant de soupirer et imiter son geste, les yeux de nouveau humides :

– D’accord, très bien, rétorqua-t-elle, la voix presque tremblante. Qu’est-ce que tu proposes ?

– J’ai vu ce qu’il te fait, je pourrais témoigner.

Cassie émit aussitôt un bruit sarcastique :

– Ouais sauf qu’on a déjà eu un très joli aperçu du poids que tes paroles pouvaient...

Elle s’interrompit avant de baisser les yeux vers Emma :

– Attends. La plainte, c’est auprès de lui que tu l’as déposée, pas vrai ?

– Lui et un autre de ses collègues, répondit aussitôt Emma, confuse, avant de comprendre où Cassie voulait en venir. Tu penses qu’il s’est arrangé pour qu’elle passe inaperçu ?

– J’en suis même certaine, acquiesça Cassie. Sans moi, finies les petites sauteries quand bon lui semblait, ironisa-t-elle, un frisson de dégout la traversant. Sans compter qu’il sait pertinemment que je l’aurais fait tomber aussi.

Emma hocha légèrement la tête et elle se passa une main sur le visage avant de soudainement demander :

– Et Eva ? Elle est ton amie, elle ne pourrait pas faire quelque chose ?

Cassie hésita visiblement :

– Quand elle va apprendre ça, elle va être encore plus remontée contre moi, grimaça-t-elle en se passant une main dans le cou. Mais j’imagine qu’au point où j’en suis... il ne me reste plus beaucoup de choix.

– Allons-y alors, répondit aussitôt Emma en se dirigeant vers la porte avant d’être soudainement retenue par le bras.

– Je peux savoir ce que tu fabriques ?

Emma leva les yeux vers elle, irritée par le geste et confuse :

– Comment ça ?

– Je te fais littéralement vivre un enfer, et il suffit que tu me surprennes avec un type qui profite visiblement de moi pour que soudainement hop ! tout soit oublié et que tu te décides à m’aider ?

– Tout n’est certainement pas oublié, gronda aussitôt Emma en se dégageant. Mais ce qu’il te fait est impardonnable alors oui, j’ai l’intention de te venir en aide.

Cassie l’étudia un instant avant de croiser les bras sur sa poitrine et hausser un sourcil :

– Tu caches quelque chose.

– Non, répondit aussitôt Emma en détournant le regard.

– Menteuse.

Emma serra des dents avant de soupirer :

– Sans lui t’aurais jamais pu me pourrir l’existence comme tu l’as fait, alors j’estime que c’est dans mon droit de vouloir le faire tomber moi aussi, non ?

– Oh je vois, donc c’est juste histoire d’assouvir ta petite vengeance personnelle, rétorqua aussitôt Cassie d’un ton sarcastique avant qu’elle ne secoue la tête. Je devrais même pas être surprise, je mérite pas plus, après tout, hein ?

Emma relâcha un grognement tout en se passant les mains dans les cheveux, désormais clairement en colère et excédée :

– T’es chiante, tu le sais ça ? Parce qu’au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, j’ai hissé le drapeau blanc là, ce qui est ironique puisque c’est toi qui passes ton temps à m’agresser moi. Alors on s’en fout du pourquoi je t’aide ou non, l’important, c’est que je le fasse. Et puis peut-être... peut-être que j’ai une assez bonne idée de ce qui vient de t’arriver, d’accord ? répliqua-t-elle un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Cassie l’observa, surprise par le monologue inattendu, avant que les dernières paroles d’Emma ne résonnent dans sa tête et qu’elle sente le sang quitter son visage :

– Tu as été victime de viol ?

– J’en dirais pas plus, coupa aussitôt Emma avant de désigner la porte. On peut y aller maintenant ?

Cassie hésita. Ce qu’Emma venait de lui apprendre la bouscula plus qu’elle ne l’aurait cru possible. Elle regrettait ce qu’elle lui avait fait subir. Tout n’avait été qu’un enchevêtrement de mauvaises décisions, de dérapages et de pertes de contrôle, et maintenant qu’elle tentait désespérément de tout remettre dans l’ordre, les conséquences de ses actes passés ne cessaient de lui revenir en plein visage comme un boomerang.

Mais si Emma avait, elle aussi, été victime d’une chose similaire à ce que Neil lui faisait subir, Eh bien... elle sentit soudainement la nausée s’emparer d’elle de lui avoir rendu la vie si difficile quand elle avait déjà connu l’horreur. 

– Cassie ?

La voix d’Emma la ramena à la réalité :

– Excuse-moi, répondit-elle en secouant légèrement la tête. Oui, oui allons-y. Mais pour ce que ça vaut... je sais très bien que je ne mérite pas ce que tu es en train de faire, et peu importe tes motivations, mais... merci. Merci de m’aider malgré tout.

Ses paroles furent à peine terminées qu’elle put aussitôt dire qu’Emma en était surprise vu ses sourcils qui grimpèrent littéralement sur son front. L’adolescente l’observa un instant avant de finalement hocher la tête d’un air entendu et elles quittèrent ensemble la pièce pour partir à la recherche d’Eva.

💕

Eva était tout juste en train d’enfiler sa veste lorsque deux coups résonnèrent contre la porte et que Cassie pénétra dans son bureau, la faisant légèrement sursauter :

– Ils vous ont déjà laissé remonter ? s’étonna-t-elle avant de dévier son regard vers Emma lorsqu’elle entra à son tour dans la pièce.

Elle nota les yeux rougis de la première, la position légèrement tendue de la seconde, et elle croisa les bras sur sa poitrine :

– O.K..., je vous écoute, qui a commencé ?

– Personne, rétorqua aussitôt Cassie en se laissant tomber dans l’un des fauteuils réservés aux visiteurs. Je ne lui ai rien fait, et elle ne m’a rien fait non plus.

Eva l’observa, sceptique, avant de finir de s’habiller :

– Bon, eh bien ce qui vous amène ici va devoir attendre en tout cas, parce qu’on n’a pas le droit de se trouver dans le bâtiment tant qu’on ne sait pas pourquoi l’alarme incendie s’est déclenchée.

– Ben justement..., grimaça Emma en prenant place à son tour dans le second fauteuil réservé aux visiteurs. C’est moi. Je suis celle qui a appuyé sur le bouton.

Elle sentit aussitôt deux regards se tourner vers elle et elle hésita un instant avant de chuchoter en direction de Cassie :

– Il fallait que je trouve un moyen de l’arrêter.

Cassie sentit de nouveau sa vue se brouiller et elle hocha légèrement la tête, reconnaissante.

– Tu as déclenché l’alarme incendie, répéta Eva dans une lenteur délibérée en déposant sa veste sur le dossier de sa chaise. Et tu as fait ça, parce que... ?

– Elle l’a fait pour m’aider, répondit Cassie en détournant le regard.

Eva les observa tour à tour avant de prendre place derrière son bureau :

– Bon. J’aimais déjà pas que ce soit la guerre entre vous, mais je suis pas sûre d’être plus rassurée de vous voir comploter. Alors, qui commence ?

Les deux adolescentes échangèrent un regard avant que Cassie ne se racle légèrement la gorge :

– La fuite que tu cherches, c’est Neil. C’est lui qui m’a donné les informations que je lui ai demandées sur Emma, ainsi que les corrigés d’examens.

Elle vit Eva se laisser retomber contre le dossier du fauteuil et hocher légèrement la tête :

– Hmm, je me doutais que ça ne pouvait venir que d’un surveillant, remarqua la jeune surveillante.

– Mais le problème, reprit Cassie en levant un regard réservé vers elle. C’est que tu ne peux pas le dénoncer.

Eva haussa un sourcil avant de se passer les mains sur le visage :

– Laisse-moi deviner, parce que si je le fais, il te fera tomber aussi, c’est ça ? Ce qu’il a fait est illégal, Cassie. Il doit être sanctionné.

– Mais pas moi, peut-être ? C’est moi qui lui ai demandé de faire tout ça.

Eva jeta un rapide coup d’œil en direction d’Emma avant de répondre :

– Si, tout comme Kate pour ses sorties nocturnes. Seulement je sais très bien pourquoi vous faites ça, et ce qu’un renvoi signifierait réellement pour chacune d’entre vous. Vous êtes mes amies... ça passera toujours en priorité, sourit-elle légèrement avant de pointer du doigt. Même si ça ne m’empêchera pas de vous passer un sérieux savon si besoin. 

Cassie rougit légèrement avant de répondre :

– Merci. Mais c’est pas tout, il a aussi fait en sorte que la plainte d’Emma passe inaperçue.

Eva lui offrit un regard confus :

– Pourquoi est-ce qu’il aurait fait une chose pareille ?

– Pour que je ne sois pas renvoyée ?

Eva haussa les sourcils :

– Parce qu’il a peur que tu le fasses tomber aussi ? hasarda-t-elle.

– Il y a de ça, admit Cassie, mal à l’aise. Je l’aurais certainement fait tomber, mais il sait aussi qu’il ne peut pas se passer de moi.

Eva vit Emma se tourner légèrement dans la direction opposée, comme si la conversation la mettait mal à l’aise et qu’elle avait envie de quitter la pièce et lorsqu’elle reporta son attention sur Cassie et qu’elle remarqua son regard embué, elle sentit aussitôt l’appréhension s’emparer d’elle :

– Cassie... quand tu dis qu’il ne peut pas se passer de toi...

– Je l’ai séduit, au début, répondit Cassie d’une voix légèrement tremblante. Puis quand j’ai voulu y mettre fin, il m’a fait du chantage. Il ne me dénoncerait pas tant que je continurais à...

Les premiers sanglots s’emparèrent d’elle et Eva se redressa aussitôt afin de venir la prendre dans ses bras, les mains tremblantes par ce qu’elle venait d’apprendre. Le comportement que Cassie avait eu envers Emma l’avait déjà grandement surprise, mais elle n’aurait jamais pu s’imaginer que les choses étaient en fait bien plus complexes et plus sordides qu’elles n’y paraissaient.

A trop vouloir mettre la main sur le coupable et protéger Emma, elle n’avait pas pensé une seule seconde que Cassie puisse être victime d’une chose aussi monstrueuse. Et ce venant d’un homme avec qui elle travaillait et côtoyait tous les jours.

Cette ordure va payer pour ça.

Ses mains caressèrent le dos de Cassie en des cercles apaisants et elle attendit patiemment qu’elle se calme avant de légèrement tourner la tête :

– Emma ? On a un distributeur d’eau dans la petite pièce derrière toi, tu veux bien lui remplir un verre ?

Emma obtempéra aussitôt et Eva vint embrasser Cassie sur la tempe avant de tendre une main et s’emparer de la boîte de kleenex qui reposait sur son bureau.

– Ça va mieux ? demanda-t-elle lorsque cette dernière se recula légèrement.

Cassie se contenta de hocher la tête et Eva lui caressa les genoux de ses pouces en attendant qu’elle s’essuie les yeux, avant de tourner la tête lorsqu’Emma réapparut dans la pièce.

– Tiens, répondit l’adolescente en tendant le verre d’eau en direction de Cassie. Je ferais mieux de vous laisser maintenant, je peux attendre dans le couloir si...

– A vrai dire, je préférerais que tu restes, si ça ne dérange pas Cassie.

Cassie haussa les épaules :

– Elle vient de me sortir d’un sacré pétrin alors... non, c’est loin de me déranger.

– Hmm, je comprends mieux cette histoire d’alarme incendie en effet, commenta Eva d’un ton pensif en se redressant. Dans tous les cas, tu dois déposer plainte Cassie. Cette fois-ci, y a pas d’autres scénarios possibles.

Cassie soupira :

– Le problème reste le même, s’il tombe, il me fera tomber avec lui.

– Mais il abuse de toi ! rétorqua Eva, la colère qui l’habitait de plus en plus difficile à contrôler.

– Tu crois que je le sais pas ? s’emporta Cassie à son tour, le regard furieux. C’est moi qui me retrouve allongée sous lui, je te signale !

Eva tiqua aussitôt sur ses propos et elle vint aussitôt s’assoir sur l’accoudoir du fauteuil avant d’attirer Cassie contre elle :

– Je sais, je suis désolée, s’excusa-t-elle avec empressement. J’aurais pas dû m’emporter comme ça. Toute cette histoire me met juste hors de moi. 

– Ouais ben, t’es pas la seule, ironisa Cassie en s’emparant d’un nouveau mouchoir.

Un silence pesant les entoura avant qu’Emma ne se racle légèrement la gorge :

– Et si je vous disais que j’ai peut-être une idée ?

– Laquelle ? répondit aussitôt Eva, visiblement intéressée.

– Eh bien, le problème visiblement c’est qu’il entraîne Cassie avec lui dans sa chute alors... puisqu’il aime visiblement faire du chantage, pourquoi est-ce qu’on lui en ferait pas nous aussi en retour ?

Cassie s’essuya les yeux d’un revers de main avant de demander :

– Comment ça ?

– Eh bien, s’il menace de te dénoncer... je répondrais que c’est faux, que tu ne m’as jamais rien fait.

– T’as déposé une plainte, lui rappela aussitôt Cassie.

Emma haussa les épaules :

– Je peux toujours la retirer. Les filles ça se dispute tout le temps, c’est bien connu, non ?

Sa réponse provoqua malgré elle un faible sourire sur les lèvres de Cassie :

– Je ne comprends toujours pas pourquoi tu veux m’aider comme ça... mais il lui restera toujours les corrigés d’examens.

– Il ne peut pas t’accuser pour ça, intervint Eva. Seuls les enseignants et surveillants ont accès à la salle des profs, il se trahirait forcément.

Cassie resta silencieuse un moment avant de se détacher de l’étreinte d’Eva et se laisser retomber contre le dossier :

– J’ai plus qu’à porter plainte alors, hein ? remarqua-t-elle avant de baisser les yeux. Je sais pas si j’ai la force pour ça.

Eva glissa un doigt sous son menton avant de lui redresser la tête et croiser son regard :

– Je serais là, promit-elle. Et si tu es vraiment mal à l’aise, ce sera juste entre toi et moi. Je m’occuperai de Madame L’Impératrice plus tard.

Cassie s’apprêtait à répondre lorsque la porte s’ouvrit soudainement, les faisant toutes les trois sursauter :

– Eva faut que tu m’aides, paniqua Kate, ses longs cheveux châtains légèrement décoiffés. L’alarme incendie s’est déclenchée et ça fait une demi-heure que je cherche Emma sans la trouv... 

Le regard de Kate s’arrêta sur Cassie, puis sur Emma avant de revenir sur Cassie et elle s’approcha aussitôt d’un pas menaçant :

– Qu’est-ce que tu lui as fait ? gronda-t-elle avant d’être soudainement interceptée par Eva.

– Woah du calme championne, tempéra Eva en la repoussant jusqu’à son bureau. Cassie n’a rien fait du tout.

Kate l’observa, sceptique et Eva la supplia aussitôt du regard lorsqu’elle la sentit avancer de nouveau :

– Kate s’il te plaît, chuchota-t-elle, baissant la voix afin que seule l’adolescente l’entende. Emma vient de la surprendre avec Neil. Il... il abuse d’elle sexuellement, Kate.

Les mots lui parvinrent et Kate sentit comme une douche froide s’abattre soudainement sur elle, son regard noisette étudiant un instant le visage d’Eva avant qu’elle n’essaye d’avancer à nouveau.

– Kate...

– Je vais pas lui faire de mal, promit aussitôt l’adolescente avant de la remercier d’un hochement de tête lorsqu’elle Eva la laissa finalement passer.

La forme recroquevillée de Cassie apparut et elle s’arrêta devant elle avant de finalement se pencher et glisser ses bras sous ses épaules, l’invitant silencieusement à se redresser. Confuse, Cassie obtempéra cependant, avant de sentir une nouvelle vague de larmes s’emparer d’elle lorsque Kate la serra contre elle avant de refermer ses bras autour de son corps.

– Emma, où est-ce que...

La voix d’Eva leur parvint et Kate tourna aussitôt la tête pour voir l’adolescente quitter le bureau d’un pas pressé, bousculant au passage le surveillant qui entrait au même moment dans la pièce. Confuse, Kate s’écarta de Cassie après une légère pression sur sa taille, avant de sentir une colère froide s’emparer d’elle lorsqu’elle leva les yeux vers l’homme désormais présent dans l’encadrement de la porte.

– Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ici ? s’exclama l’homme en levant une main vers ses cheveux inexistants avant de pâlir lorsque son regard gris cendré s’arrêta sur Cassie.

Kate put sentir l’adolescente se figer contre elle et elle enjamba la pièce avant de se poster juste devant lui et lui balancer son poing en plein dans la figure, grimaçant lorsqu’un bruit d’os brisés résonna aussitôt dans la pièce.

– Kate ! s’exclama Eva en la prenant par la taille afin de la reculer.

– Non seulement tu vas être renvoyé, mais tu peux aussi dire adieu à ta carrière, cracha Kate en pointant un doigt vers lui avant de se dégager de l’étreinte d’Eva et partir à la suite d’Emma.

– Mais cette gamine est complètement malade ! s’exclama Neil en portant ses mains à son visage, les doigts aussitôt recouverts de sang.

Eva s’empara de plusieurs kleenex qu’elle lui tendit avant de désigner le fauteuil qu’Emma venait de quitter :

– Assis.

– Oublie ce qu’elle a pu te dire, elle a menti.

Eva haussa un sourcil avant de prendre appui contre le rebord du bureau, les bras croisés contre sa poitrine :

– Ah ? Donc j’imagine que l’élève qui vient de te bousculer ne t’as pas surpris en compagnie de Cassie, et n’a pas déclenché l’alarme incendie pour t’éloigner d’elle non plus ? Deux voix contre une, ça fait déjà pencher la balance en ta défaveur. A ton avis, si j’y rajoute la mienne... il t’arrivera quoi ?

Neil serra des dents avant de dévier son regard vers Cassie, un tas de Kleenex pressés contre son nez :

– Laisse-là faire et tu tomberas aussi, c’est une promesse.

– Pour ça il aurait fallu que l’élève qui vous surprenne ne soit pas Emma, rétorqua aussitôt Eva. En ce qui la concerne, Cassie ne lui a jamais rien fait.

Elle marqua une pause avant d’ajouter :

– Alors ? Tu t’assois et on discute ou je monte directement voir Madame L’Impératrice ? Parce qu’entre nous, Neil... on sait très bien qui est sa surveillante favorite, ajouta-t-elle dans un sourire moqueur.

Eva éprouva un malin plaisir à le voir finalement obtempérer, mais encore plus lorsqu’il se contenta de docilement hocher la tête à chacune de ses paroles.

1 septembre 2011

Chapitre 18

Lundi 1er Mars 2004.

– Bon, tu n’aimes pas tourner autour du pot, alors je vais aller droit au but. Tu l’aimes toujours ?

Kate resta un instant silencieuse avant de répondre. Assise à même le dossier d’un banc en marbre, les bras en appui sur les cuisses, elle observait d’un air absent le lac animé de canards sauvages et de cygnes noirs qui ébrouaient leurs ailes et nageaient tranquillement devant elle. Dans son dos, le soleil la chauffait doucement et elle pouvait entendre les oiseaux chantonner au loin, interrompus de temps à autre par les conversations des étudiants qui passaient près d’elles.

– Elle me manque, parfois, admit-elle finalement. L’amitié qu’on avait, il m’arrive d’avoir envie de retrouver ça.

– Mais tu n’es plus amoureuse, hasarda Eva en levant les yeux vers elle, un coude en appui contre le dossier du banc.

Kate secoua légèrement la tête :

– Notre histoire est terminée depuis un an, j’ai tourné la page. Ça n’a pas été facile... mais c’est comme ça.

– Hmm, acquiesça Eva. Et puis il y a Emma maintenant.

Kate tourna aussitôt la tête dans sa direction et la jeune surveillante leva aussitôt les yeux au ciel :

– Je t’en prie Kate, je te connais à force, répondit-elle en lui offrant un regard appuyé avant de laisser son visage s’adoucir. Ça fait longtemps qu’elle est plus qu’une simple amie pour toi ?

– Un petit moment, répondit Kate avant de soupirer. Mais ça sert à rien de toute façon parce qu’elle est pas lesbienne.

Eva haussa aussitôt les sourcils :

– Elle te l’a dit ?

– Non. Mais quand je lui ai dit que moi je l’étais, elle me l’aurait dit si elle l’était aussi, non ?

– Pas si tu lui plais aussi, sourit malicieusement Eva. Et puis, même si elle ne l’est pas, qu’est-ce qui l’empêcherait de tomber sous ton charme ?

Kate secoua aussitôt la tête :

– Eva…

– Ben quoi ? C’est vrai. Il faut peut-être juste qu’elle se découvre. Et rien n’empêche une hétéro de tomber amoureuse d’une femme, ajouta Eva en remuant un doigt vers Kate qui lâcha aussitôt un rire.

– C’est vrai que tu parles en connaissance de cause, taquina l’adolescente en lui faisant un clin d’œil.

Eva rougit légèrement :

– Je te raconte beaucoup trop de choses, répondit-t-elle en feignant l’exaspération. Quoi qu’il en soit, arrête d’être si défaitiste, t’en sais rien. Il se pourrait bien qu’elle te surprenne, qui sait ?

– Humpf, répondit Kate en faisant la moue. Quoi qu’il en soit, elle va m’en vouloir d’être allée voir Cassie et de ne pas le lui avoir dit tout de suite, alors…

Eva grimaça :

– Ça fait combien de temps ?

– Deux semaines aujourd’hui, répondit Kate en grimaçant à son tour.

– Aïe… et qu’est-ce qui te retient de le lui dire ?

Kate laissa son regard retomber sur ses mains avant de répondre :

– Je sais pas trop. Elle ne va pas aimer apprendre que Cassie aimerait qu’on redevienne amie. Et que je l’envisage moi aussi. Et si elle ne voulait plus me parler après ça ?

Eva haussa les sourcils, surprise par la vulnérabilité soudaine de Kate, avant de se rappeler une fois encore combien le rejet de ses parents lui avait laissé des marques indélébiles.

Elle posa une main sur le bras de Kate et y exerça une légère pression avant de répondre :

– Kate, ma belle, tu es allée voir Cassie pour lui dire de la laisser tranquille, tu penses vraiment qu’elle t’en tiendra rigueur ? Bon, c’est sûr que cette histoire d’amitié ne va pas lui faire plaisir, mais tu penses sincèrement qu’elle te tournerait le dos ?

– Elle le fait bien avec toi, non ? rétorqua aussitôt Kate, craintive.

Eva remua une main dans les airs :

– Moi c’est différent, elle ne me connait qu’en tant que surveillante. Ça ne change rien pour elle. Toi tu es son amie, une très bonne amie à ce que j’ai cru comprendre alors... donne-lui un peu de crédit, tu veux?

Kate l’étudia un instant avant de hocher la tête puis reporter son attention sur le lac. Eva avait probablement raison, Emma avait prouvé à plusieurs reprises qu’elle la considérait comme une amie, que le lien qu’elles partageaient était important pour elle. Mais quand elle repensait à la réaction qu’Emma avait eue ce jour-là, juste après les avoir surprises à la bibliothèque...

Kate savait qu’elle ne pourrait pas supporter de se faire abandonner une fois de plus.

– Et puis tu sais, reprit finalement Eva, interrompant le cours de ses pensées. Je pense que s’il y a bien une personne à qui Emma doit vraiment en vouloir, c’est moi.

Surprise autant par les propos que par le ton utilisé, Kate tourna aussitôt la tête dans sa direction, les sourcils haussés :

– Quoi ?

Eva se racla maladroitement la gorge :

– J’ai pris la décision de l’installer dans ta chambre, poursuivit-elle. J’étais persuadée qu’avec toi, elle ne risquerait rien ; tu n’aurais jamais eu les propos que Cassie a pu avoir envers elle. Mais au final, c’est tout le contraire qui s’est produit. Elle qui avait déjà connu l’enfer dans son ancien lycée souffre encore par ma faute et...

– Quoi ?

Eva soupira :

– Kate, s’il te plaît, tu sais que c’est vrai. Si je n’avais pas –

– Non, attend, l’interrompit Kate, confuse. Je t’ai demandé au début de l’année si tu savais pour quelle raison Emma s’était inscrite ici, tu m’as simplement répondu que certains de ses professeurs lui reprochaient sa timidité et son manque d’intégration.

Elle dévisagea Eva un instant avant d’ajouter :

– Tu sais pourquoi elle est ici, et tu ne me l’as pas dit, accusa-t-elle, blessée.

– Si mes souvenirs sont bons, je t’ai répondu que seule l’intéressée pouvait répondre à tes questions. Il s’agit de sa vie privée Kate, si quelqu’un doit décider d’en parler ou non, c’est elle, et personne d’autre. Ça fait partie de mon travail de garder le silence sur certaines choses.

Kate sentit la tension qui l’avait soudainement habitée quitter son corps et elle hocha la tête de manière compréhensive avant de répondre :

– Tu as raison, excuse-moi. Mais te sens pas coupable, la seule responsable, c’est Cassie. Et moi, pour avoir refusé de voir ce qu’il y avait sous mes yeux. Mais certainement pas toi. En plus, si tu ne l’avais pas placée avec moi, je ne l’aurais probablement jamais connue. Alors chut.

Eva ne put retenir un faible rire :

– D’accord, d’accord, j’arrête de me plaindre. Merci d’essayer de me remonter le moral en tout cas, mais ça ne risque pas de marcher si tu le fais à tes dépens, finit-elle dans un clin d’œil. 

Kate rougit légèrement :

– Bon eh bien arrêtons de nous blâmer alors, sourit-elle. Ce qui est fait est fait après tout, ça servirait pas à grand-chose, mis à part nous faire culpabiliser davantage. 

– Dixit la fille qui repousse sans cesse la discussion qu’elle doit avoir avec sa colocataire, taquina aussitôt Eva.

Kate eut un rire dénué d’humour :

– Bon sang, pendant une minute, j’ai détesté l’idée que tu aies pu me mentir. J’imagine même pas la réaction d’Emma quand elle va apprendre que ça fait deux semaines que je lui cache quelque chose.

– Bah Kate, tu me donnes mal à l’estomac à stresser comme ça, gémit Eva en se redressant. Ecoute, vois déjà ce que ça donne lorsque tu lui diras, raconte-lui simplement ce qu’il s’est passé, discutez-en, et occupe-toi de Cassie plus tard. Que tu veuilles retrouver ton amitié avec elle ou non, vous aurez de toute façon besoin de temps, alors fais comme ça, d’accord ?

Kate hésita avant de hocher la tête et Eva lui donna un léger coup sur la cuisse :

– Allez file, et dis-lui tout.

Kate descendit du banc avant de poser un regard incertain sur elle :

– Elle est en cours jusqu’à midi.

– C’était une façon de parler, Kate, rit Eva avant de passer un bras autour de son cou et l’embrasser sur la tempe. Arrête d’attendre et de te torturer l’esprit, d’accord ?

– D’accord, répondit Kate en l’embrassant à son tour avant de commencer à s’éloigner. Souhaite-moi bonne chance.

– Je croise les doigts, répondit Eva en lui faisant un clin d’œil. Oh, et Kate ?

Kate s’interrompit pour lui faire de nouveau face :

– Hmm ?

– Les photos, tu oublies, d’accord ? Cassie restera sage.

Kate haussa les sourcils :

– Comment… ? demanda-t-elle en se rapprochant.

– Elle m’en a parlé. Ça a été dur pour elle aussi, tu sais ? Votre rupture ?

Kate sentit son visage se fermer :

– Je croyais qu’elle te disait rien.

– C’était le cas, acquiesça aussitôt Eva. Jusqu’à ce que je puisse enfin mettre la main sur elle et lui passer un savon pour la tondeuse. Elle se tiendra tranquille.

Kate hocha légèrement la tête :

– Je sais, je le pense aussi. Je l’espère fortement, du moins. Elle t’a parlé de la fuite ou pas ?

– Non, répondit Eva en secouant la tête. Elle s’est aussitôt refermée comme une huître quand j’ai voulu aborder le sujet. Mais je pense qu’avec un peu de temps... elle finira par lâcher le morceau. Ta visite a déjà ouvert une sacrée brèche, elle est en train de clairement réaliser qu’elle s’est laissé dépasser par les évènements et qu’elle renferme beaucoup de peine au fond d’elle.

Eva s’interrompit avant de regarder Kate droit dans les yeux :

– Mais Kate, les photos… poubelle, d’accord ? J’ai vraiment vu rouge quand j’ai appris ce que tu comptais faire. Et avoir recours à la violence ? Bon sang, Kate...

– Je voulais juste –

– Je sais, la coupa gentiment Eva. Protéger les gens auxquels on tient, c’est un très beau sentiment, Kate. Seulement, le revers de la médaille est parfois très douloureux. Tu te serais attiré de gros ennuis, et Emma se serait retrouvée seule. Alors je ne vais te le demander qu’une seule fois : ne refais plus jamais ça, d’accord ?

Eva attendit que Kate ait acquiescé avant d’ajouter :

– Demander de l’aide, c’est pas une honte. Si tu as des problèmes, n’hésite pas à en faire part à ceux qui t’entourent. Pas seulement pour t’escorter, mais pour en discuter et trouver une solution. Ensemble.

Le véritable sens de ses paroles pénétra son esprit et Kate hocha légèrement la tête, ses yeux s’humidifiant légèrement. Eva lui faisait comprendre, d’une façon légèrement détournée, qu’elle n’était pas uniquement là pour protéger ses arrières ou simplement passer du bon temps avec elle, mais qu’elle était surtout une amie sur qui elle pouvait s’appuyer, demander conseil, trouver du réconfort à chaque fois que le besoin s’en faisait ressentir.

Elle se racla maladroitement la gorge avant de murmurer :

– Je le ferais plus, c’est promis.

– Brave fille, répondit aussitôt Eva dans un sourire avant de se mordre l’intérieur de la joue et grimacer. Bon, ça ressemblait à un bon remontage de bretelles ça, hein ? Allez, viens, ajouta-t-elle en écartant les bras. Je déteste quand tu es triste comme ça.

Kate s’essuya les yeux d’un revers de main avant de jeter un coup d’œil autour d’elle :

– Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, renifla-t-elle.

– Les amis ont bien le droit de se faire des câlins, non ? rétorqua Eva en haussant les épaules. Et les surveillants de consoler les élèves quand ça ne va pas fort. Surtout quand c’est de ma faute, grimaça-t-elle à nouveau.

Kate lâcha un léger rire avant de venir se réfugier dans ses bras, puis exercer une légère pression qu’elle se vit aussitôt retournée.

– C’est rien, t’as eu raison, assura-t-elle avant de s’écarter. Je suis désolée.

– Bah, retiens juste la leçon, d’accord ? taquina Eva en lui mettant une légère tape sur le bout du nez. Allez, file. Et tiens-moi au courant.

Kate hocha la tête avant de l’embrasser sur la joue :

– Merci, Eva. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

La jeune surveillante se contenta de lui faire un clin d’œil avant de l’observer s’éloigner, priant intérieurement pour que l’état dans lequel elle avait retrouvé Kate un an plus tôt, en pleure au beau milieu de ce couloir sombre, ne se reproduise pas cette année.

1 septembre 2011

Chapitre 17

– Tu es sûre de vouloir m’attendre ? demanda Kate alors qu’elles arrivaient en haut de l’escalier et s’apprêtaient à tourner au coin du couloir.

Eva s’assura que l’endroit était désert à l’aide de sa lampe avant de lui faire signe d’avancer :

– Oui, on ne sait jamais ce qui peut se passer, si l’une d’entre vous se met à crier ou je ne sais quoi encore. Que je puisse au moins réparer les pots cassés sans alerter tout l’immeuble. Puis si Marc débarque, il faudra bien que je détourne l’attention.

Elle s’interrompit avant de prendre un air songeur :

– Je pourrais le séduire, il est mignon.

– Eva…

– Hé faudra bien que je l’éloigne d’ici, non ?

Kate leva les yeux au ciel :

– Oui mais y a d’autres moyens que la séduction !

– Je sais, je plaisantais, soupira Eva. J’aurais juste à lui proposer un café et ça suffira, je passe mon temps à le repousser, il sera ravi et n’y réfléchira pas à deux fois avant de dire « oui ».

– Liz le sait qu’il te court après ?

Eva haussa aussitôt les sourcils :

– Liz ? Depuis quand tu l’appelles comme ça, toi ?

– Ben, c’est plus court qu’Elisabeth, répondit Kate comme si c’était l’évidence même. Puis tu passes ton temps à le faire, j’ai dû prendre le pli.

– Hmm, elle m’a dit que vous vous étiez mises ensemble pour un projet de chimie, poursuivit Eva l’observant du coin de l’œil, secrètement contente qu’elles aient pris cette initiative.

Selon elle, Kate était beaucoup trop solitaire, et puis il était plus que temps qu’elles se réconcilient.

– Oui, elle est plutôt douée, on devrait assez bien s’en sortir, répondit Kate avant de prendre un air malicieux et pointer le halo de la lampe vers Eva afin de jauger sa réaction. Et puis, elle me raconte des détails assez croustillants sur vous deux, comme un certain tatouage que tu aurais…

Eva prit une teinte légèrement cramoisie et Kate sentit sa mâchoire s’affaisser :

– Merde, t’as vraiment un tatouage ?

Eva leva aussitôt les mains au ciel :

– Tu viens de me dire que Liz te l’avait dit !

– Mais non ! Enfin si, mais je te faisais marcher ! s’exclama Kate en évitant de hausser la voix. Il est où ? Attends, je t’ai déjà vue en short et en débardeur alors… merde, je t’ai même déjà vue en sous-vêtements ! Alors il doit être…

Elle fut interrompue par une main sur ses lèvres :

– Kate ?

– Hmm ?

– Chut. Je vais retirer ma main, et on va changer de sujet de conversation, d’accord ?

Kate donna un léger coup de langue contre sa paume et Eva la libéra aussitôt :

– Pah ! s’exclama-t-elle en s’essuyant contre son jean. Vilaine, ajouta-t-elle en plissant des yeux.

– Liz me le dira de toute façon, sourit Kate.

– Oh non, répondit aussitôt Eva en remuant un doigt vers elle. J’y veillerais.

Kate lui tira la langue avant de reporter son attention sur le couloir :

– Bon, alors ?

– Quoi ? Oh oui, oui Liz le sait qu’il me court après, elle passe son temps à lui lancer des regards noirs quand elle le croise, le pauvre ne comprend rien.

Eva sourit diaboliquement :

– C’est génial.

– T’es pas possible, rit Kate avant de s’interrompre et de porter ses mains à son visage. Oh merde, Eva t’es trop bête !

La jeune surveillante haussa les sourcils avant de porter ses mains à ses hanches :

– Eh bien merci, ça fait toujours plaisir à entendre.

– Non, non mais, tu sais quel jour on est aujourd’hui ?!?

– Hmm, la Saint Valentin ?

– Et c’est tout ce que ça te fait ? s’étonna Kate. Tu devrais être avec Liz, pourquoi est-ce que tu m’as rien dit quand je t’ai demandé de m’accompagner ce soir ?! 

Eva laissa un sourire apparaître sur ses lèvres :

– T’es mignonne, tu le sais ça ? On va fêter ça ce weekend, même si on n’est pas trop pour. C’est devenu beaucoup trop commercial, le côté tradition antique s’est complètement perdu, c’est dommage. Et puis j’étais de garde cette nuit de toute façon, alors…

Kate hocha la tête d’un air entendu, visiblement soulagée, avant de porter son attention sur la porte devant laquelle elles venaient de s’arrêter :

– Bon, nous y voilà, tu restes ici alors ?

– Oui, tu penses que ça va aller ? demanda sérieusement Eva tout en insérant la clé dans la serrure.

Kate haussa les épaules :

– C’est plutôt pour elle que tu devrais te faire du souci.

– Kate..., soupira Eva. Ne fais rien que je ne pourrais pas couvrir, tu veux?

Kate hocha la tête puis posa une main sur la poignée, avant d’entrer à l’intérieur après avoir jeté un dernier coup d’œil en direction d’Eva. L’une des caractéristiques immuables de La Lumeda était que les appartements étaient tous conçus de la même façon, alors Kate ne perdit pas de temps à chercher la chambre avant de s’y diriger.

Des respirations légères et régulières l’accueillirent aussitôt, et elle poussa légèrement le battant avant d’enclencher l’interrupteur, attendant simplement les réactions qui allaient venir.

Cassie fut la première à se réveiller, et lorsque son regard s’arrêta enfin sur Kate, elle l’observa un instant, encore en proie au sommeil, avant de relâcher un grognement mécontent et se laisser retomber contre son oreiller, un bras sur le visage afin de se protéger de la lumière.

Kate dévia ensuite son regard vers celui de sa colocataire, et elle lui fit aussitôt signe de quitter la chambre lorsqu’elle remarqua qu’elle était, elle aussi, réveillée et l’observait avec crainte et perplexité. Encore à moitié ensommeillée, l’adolescente récupéra son livre de chevet et sa couette avant de disparaître dans le salon, évitant soigneusement le regard de Kate lorsqu’elle passa à côté d’elle.

Kate ferma la porte derrière elle avant de reporter son attention sur Cassie :

– C’est moi ou j’ai l’impression que c’est pas la première fois qu’elle est mise dehors comme ça ?

Cassie relâcha un soupir avant de tourner la tête vers Kate :

– La réponse t’intéresse vraiment ? répliqua-t-elle avant de se redresser et l’observer de la tête aux pieds. J’aurais pensé que tu serais venue plus tôt, en tout cas. J’étais presque déçue de ne pas te voir dimanche soir, ajouta-t-elle dans un léger sourire. Mais bon, si ça me vaut une visite surprise le jour de la Saint-Valentin...

– Lève-toi.

Cassie s’interrompit et l’observa, confuse :

– Pardon ?

– J’ai dit : lève-toi, répéta Kate s’approchant. Allez.

Cassie leva les yeux vers son visage, perplexe, avant de hausser les épaules puis obtempérer, et elle relâcha aussitôt un cri de surprise lorsque Kate en profita pour la plaquer contre le mur, avant de s’emparer de ses poignets et les bloquer de chaque côté de sa tête.

Un sourire ironique se dessina aussitôt sur ses lèvres lorsqu’elle réalisa l’effet qu’elle produisait sur Cassie, son visage dégageant un mélange de surprise et d’appréhension et Kate l’observa un instant avant de plaquer soudainement sa bouche contre la sienne dans une violence presque bestiale.

Le corps sous elle se figea aussitôt de surprise avant que Cassie ne gémisse de rage, son corps se débattant dans l’espoir de se défaire de son étreinte. Une de ses mains parvint finalement à se libérer et elle repoussa Kate avant de la gifler de toutes ses forces, l’impact résonnant dans la pièce étonnamment silencieuse, seulement brisée par leurs respirations saccadées.

– Mais t’es complètement malade ma parole, articula finalement Cassie en s’essuyant la bouche d’un revers de main.

Le visage de Kate, qui avait suivi le mouvement de la gifle, se tourna lentement pour lui faire de nouveau face et elle la cloua sur place d’un regard glacial, sa main entourant de nouveau son poignet alors qu’elle se rapprochait dangereusement.

– Voyons Cassie, c’est pas ce que tu voulais ? demanda-t-elle, sarcastique. C’est pas ce que tu cherchais depuis le début ?

Le regard de Cassie se fixa sur sa joue désormais rougie et elle ferma les yeux un instant avant de légèrement secouer la tête :

– Tu as perdu l’esprit, ma pauvre.

Kate eut un rire dénué humour :

– Peut-être, qui sait ?

Sa voix avait pris un timbre froid et cruel, presque sadique avec une légère pointe d’ironie et pendant un instant, elle se demanda si la personne qui venait tout juste de parler était vraiment elle.

– Ou peut-être que j’ai simplement décidé de jouer à ton petit jeu, poursuivit-elle. Tu sais, agresser les pauvres filles sans défense. Marrant, n’est-ce pas ? Ouais, je te comprends, je m’amuse comme une folle, claqua-t-elle d’un ton sarcastique.

Cassie sentit la main entourant son poignet resserrer son étreinte et les battements de son cœur s’accélérèrent malgré elle :

– Kate, s’il te plaît, arrête, demanda-t-elle difficilement.

Kate haussa un sourcil :

– Woah, j’ai même droit à un « s’il te plaît »… et quand Emma te l’a demandé de cette façon, tu l’as laissée tranquille ?

Elle resserra encore légèrement sa prise :

– J’en doute.

– D’accord, d’accord, Kate, calme-toi. Dis-moi ce que tu veux, d’accord ? Ça sert à rien de s’énerver comme ça.

Kate secoua légèrement la tête :

– Il me semblait t’avoir prévenue, mais visiblement, ma mise en garde n’a pas porté ses fruits.

Elle marqua une légère pause avant d’ajouter :

– Je crois bien que tu vas devoir faire face aux conséquences de tes actes, maintenant.

Les yeux de Cassie s’élargirent ostensiblement et Kate sentit la panique commencer à s’emparer d’elle. Elle a peur de moi ? s’étonna-t-elle. Oooooh je ne devrais pas aimer ça mais… Elle sourit intérieurement.

– Et, qu-qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda difficilement Cassie, tandis qu’elle essayait désespérément de se libérer de son étreinte.

Kate l’étudia un instant avant de relâcher sa prise autour de ses poignets puis se reculer :

– Certainement pas ce à quoi tu sembles manifestement penser. J’ai encore agressé personne, et j’ai certainement pas l’intention de commencer aujourd’hui.

Cassie se contenta de se laisser glisser sur le sol, visiblement soulagée :

– Tu avoueras que ton attitude prêtait à confusion, marmonna-t-elle en massant sa peau légèrement rougie.

– Et qu’est-ce que je devrais dire de la tienne ? contra aussitôt Kate, sa voix gagnant en intensité. Coincer Emma entre deux murs et lui raser la tête ?! Mais qu’est-ce qui t’est arrivé bon sang !

– Qu’est-ce qui m’est arrivé ?! s’emporta Cassie en se redressant et en pointant sa poitrine du doigt. Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Non mais tu t’entends ? Regarde ce que tu deviens Kate, à jouer amie-amie avec la première clocharde du coin !

Elle secoua la tête :

– La Kate que j’ai connue n’avait rien à voir avec celle que tu es aujourd’hui, ajouta-t-elle avec dégoût. 

– Rassure-toi, je peux te retourner le compliment, ironisa aussitôt Kate. Et en ce qui concerne ce que je suis devenue, tu sembles l’oublier, mais tu en es la responsable.

Agacée, elle fit demi-tour et se dirigea vers la porte en secouant la tête. Et merde, je ne comprends même pas pourquoi j’ai pris la peine de venir ici. Elle s’interrompit cependant une fois sa main posée sur la poignée.

– Tu sais, je ne te comprends pas, reprit-elle d’une voix étonnamment calme. Tu n’aimais déjà pas celle que j’étais avant, alors qu’est-ce que ça change aujourd’hui ?

Il y eut un léger silence avant que la réponse ne lui parvienne, à peine plus haute qu’un murmure.

– Dis pas n’importe quoi Kate, tu sais que c’est faux.

Surprise, Kate tourna aussitôt la tête dans sa direction :

– Quoi ?

– Tu as très bien entendu, répondit Cassie en évitant son regard. Maintenant si tu veux bien sortir, j’aimerais dormir.

Kate secoua la tête avant de relâcher la poignée et s’approcher d’elle :

– Pourquoi est-ce que tu fais tout ça ? demanda-t-elle, la curiosité présente dans sa voix.

Cassie soupira :

– Elle n’a rien à faire ici.

– Elle a autant sa place ici que toi ou n’importe qui d’autre si elle le désire. Alors, pourquoi ?

Cassie la fixa droit dans les yeux et énonça distinctement chaque mot :

– Elle - n’a - pas - sa - place - ici ! On ne se mélange pas Kate, c’est à peine si on ne nous l’apprend pas dès la naissance, tu as eu un lavage de cerveau ou quoi !

Kate hocha pensivement la tête :

– Comme l’homosexualité.

– Quoi ? demanda Cassie, confuse.

– Ça ne rentrait pas dans leurs cordes, alors tu m’as jetée.

Cassie soupira à nouveau tout en s’asseyant sur son lit :

– Je ne t’ai pas jetée, Kate, et tu le sais.

– Non, c’est vrai, admit Kate en croisant ses bras sous sa poitrine. Tu as fait bien pire.

– Kate…

Kate l’ignora et poursuivit :

– Et tu veux que je fasse la même chose avec Emma parce que « ça ne se fait pas » dans notre milieu. La question est, pourquoi ? Pourquoi prends-tu cette peine, si tu n’en as plus rien à foutre de moi ?

La mâchoire de Cassie se contracta et elle garda les yeux rivés sur le sol, ses doigts s’entremêlant nerveusement sur ses cuisses ; une attitude que Kate ne lui connaissait que trop bien et qui la laissa soudainement abasourdie, à tel point qu’elle dut s’assoir à son tour tellement ses jambes se mirent à trembler sous elle.

– C’est tout le contraire en fait, murmura-t-elle, médusée. Tu es loin d’en avoir rien à foutre de moi, c’est ça ?

Le silence qui suivit confirma ses soupçons et elle se retrouva là à la fixer bêtement, la mâchoire légèrement pendante, ses pensées défilant tellement vite dans son esprit qu’elle n’arrivait pas à en retirer quoi que ce soit. Elle l’avait soupçonné, en avait même fait part à Emma, en avait même embrassé Cassie pour l’amour du ciel, mais avait bien vite rejeté l’idée au fond, la trouvant bien trop… invraisemblable.

Elle réalisa soudainement qu’elle n’avait surtout pas voulu y croire, se contentant de l’accepter uniquement parce qu’il y fallait une raison, et qu’elle n’en voyait aucune autre. Un bon compromis, qui ne l’obligeait pas à y croire vraiment, puisque rien ne le prouvait réellement, mais qui fournissait néanmoins une explication plausible.

Et maintenant, elle était là, face à une vérité qui la chamboulait plus qu’elle ne l’aurait cru possible. 

– J’arrive pas à y croire, j’arrive vraiment pas à y croire…

Kate secoua la tête, sa colère faisant de nouveau surface :

– Alors tu t’attends à quoi ? Que je revienne ? Non, bien sûr, ça ne collera pas avec ton petit plan d’avenir tout tracé. Tu t’attends à ce que je revienne comme avant, c’est bien ça ? Avec la même comédie : Kate se cache pendant que mademoiselle s’affiche avec ses couvertures. C’est bien ça ?

Le faible murmure de Cassie parvint difficilement à ses oreilles :

– C’était une erreur.

– Pardon ?

Cassie se racla maladroitement la gorge :

– Les couvertures, c’était une erreur.

– Eh ben bravo, il était temps que tu le réalises, claqua Kate d’un ton froid.

Cassie releva la tête et Kate en oublia soudainement sa colère, surprise de réaliser combien l’image qui s’offrait désormais à elle lui faisait mal au cœur. Le visage de l’adolescente était couvert de larmes ayant silencieusement coulées le long de ses joues et elle apparaissait subitement terriblement vulnérable, une facette que Kate ne lui avait pas vue depuis… Des images du passé apparurent subitement dans son esprit et elle se retrouva complètement déstabilisée, ses pensées s’entremêlant dans son esprit, ses émotions s’entrechoquant, la laissant simplement là à l’observer bêtement à nouveau.

– J’ai tout gâché, je le sais bien, renifla Cassie. Mais qu’est-ce que je pouvais y faire, Kate ? Mes parents me mettaient sans arrêt la pression, mon frère les avait déjà laissé tomber pour l’armée, alors découvrir que celle en qui ils avaient portés tous leurs espoirs était gay…

Elle secoua la tête :

– Ils m’en ont fait baver, là-bas autant qu’ici. Ma mère m’appelait tous les soirs pour me sermonner, me dire que je gâchais tous leurs espoirs… alors, j’avais intérêt à montrer un meilleur exemple, ou ils s’en chargeraient eux-mêmes.

Elle eut un sourire dénué d’humour :

– Tu sais combien les hommes de main de mon père m’ont toujours foutu la trouille.

Secouant légèrement la tête, Kate sortit finalement de sa torpeur et se racla maladroitement la gorge :

– Tu ne crois quand même pas que tes parents auraient…

– Je le sais, et tu le sais aussi, renifla Cassie en lui offrant un regard appuyé. Tu sais très bien de quoi ils sont capables quand ils veulent obtenir ce qu’ils désirent, ajouta-t-elle d’un ton amer. Jérôme n’est pas uniquement parti pour assurer la défense du pays, tu sais. Il voulait surtout être le plus loin possible de toutes ces conneries… 

Kate laissa son regard retomber sur le lit, soudainement incroyablement mal à l’aise :

– Je ne savais pas tout ça, remarqua-t-elle maladroitement. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

Cassie haussa les épaules :

– J’en sais rien, j’avais peur… j’avais peur que tu ne décides de tout arrêter si je le faisais. Tu n’aurais jamais accepté les couvertures, et bon sang, ça ne me faisait pas plaisir non plus. Mais c’était le seul moyen de leur faire croire que c’était fini entre toi et moi. Le seul moyen pour qu’ils nous laissent tranquille. Je voulais pas qu’ils s’en prennent à toi Kate et… qu’ils t’éloignent alors… j’ai pensé que c’était la meilleure solution...

Elle s’interrompit et enfouit son visage entre ses mains, les sanglots devenant de plus en plus fort et l’empêchant de continuer. Son corps fut rapidement secoué de soubresauts et elle se laissa simplement aller, oubliant presque la présence de Kate jusqu’à ce qu’elle sente soudainement deux mains se poser sur ses épaules et l’attirer doucement contre un corps chaud. Hésitant un instant, elle se laissa finalement aller contre Kate qui la serra automatiquement contre elle et lui offrit une étreinte réconfortante, ignorant la petite voix dans sa tête qui lui demandait sérieusement ce qu’elle était en train de faire.

Au bout de quelques minutes, Cassie releva finalement la tête, les yeux humides :

– J’avais peur Kate, j’étais terrifiée et stupide. Alors j’ai suivi à la lettre ce que mon père disait, en essayant de te garder auprès de moi en même temps.

Elle s’essuya les joues du revers de ses mains tout en se redressant :

– Mais ça n’a pas marché. Au contraire, j’ai tout foutu en l’air, pour le plus grand plaisir de mes parents.

– Tu leur as dit ? s’étonna Kate.

– Non, mais ils m’ont appelée le lendemain de notre rupture et l’ont vite deviné quand ils ont vu l’état dans lequel j’étais.

Kate hocha la tête, avant de se passer une main sur le visage puis faire les cent pas dans la pièce, ses pensées défilant dans sa tête. Elle avait beaucoup de choses à assimiler, et elle devait bien s’avouer qu’elle ne savait pas quoi en faire. Tout était tellement soudain, et inattendu.

Lorsqu’elle avait pris la décision de rendre une petite visite nocturne à Cassie, elle s’était imaginé lui demander des explications, avant de lui expliquer qu’elle comptait bien la faire renvoyer de l’établissement par un moyen ou un autre.

Et pourquoi pas lui faire un petit peu peur aussi, pendant qu’elle y était…

Ce qui s’était produit jusqu’à présent était néanmoins très loin de ce qu’elle avait envisagé, et elle se sentait perturbée. Les révélations que Cassie venait de lui apporter la chamboulaient plus qu’elle ne l’aurait cru possible, et elle réalisa qu’elle ne savait pas comment réagir. Cassie lui offrait une vision tellement différente de la fin de leur histoire qu’elle ne put s’empêcher de se sentir coupable. Comment avait-elle pu être aussi aveugle, et ne pas avoir vu tout ce que Cassie venait de lui apprendre ? J’aurais dû le deviner…, pensa-t-elle tristement. On aurait pu éviter tout ce gâchis.

Elle s’arrêta finalement et porta de nouveau son regard sur Cassie :

– J’aurais aimé que tu m’en parles. Que tu me dises tout ça à l’époque. Je t’aimais Cassie, comme une folle. Et j’ai perdu ma meilleure amie du jour au lendemain à cause de tout ça.

Elle fit une légère pause, surprise de sentir sa gorge se resserrer et ses yeux se brouiller légèrement :

– Ça a été dur, très dur, lâcha-t-elle avec douleur. J’ai mis du temps à m’en remettre.

– Je sais, murmura Cassie. J’ai perdu tout ça moi aussi.

Kate resta un instant silencieuse avant de demander :

– Et Emma ?

– Quoi ? demanda Cassie en relevant la tête.

– Emma, pourquoi lui faire vivre un enfer comme ça ?

Cassie laissa de nouveau son regard retomber sur ses mains et resta silencieuse :

– Cass’ ?

– Tu sais combien de temps ça fait que tu ne m’as pas appelée comme ça ? répondit Cassie dans un léger sourire avant de reprendre, le ton sérieux. Je crois qu’on appelle ça de la jalousie.

– De la jalousie…, répéta Kate avant de passer ses mains sur son visage puis de les laisser retomber de chaque côté de son corps. Je t’en prie, dis-moi que tu plaisantes.

– J’aimerai, murmura Cassie. Quand je vous ai vu ensemble la première fois… bon sang, j’ai détesté ça. J’ai ressenti ce pincement au creux de mon ventre et… j’ai eu horreur de ça. Puis j’ai appris qui elle était, ou plutôt d’où elle venait. Une petite provinciale dont la mère se moque très certainement du fait qu’elle ramène un étranger, un pauvre ou… une femme.

Elle releva la tête et regarda Kate droit dans les yeux :

– Elle avait ce que je n’avais pas et qu’elle peut avoir sans ce que cela ne pose problème à qui ce soit : toi.

– Cassie…

– J’ai déraillé, ça me rendait juste… dingue. A chaque fois que je la voyais… tout ça me revenait à la figure. Tout ce que j’avais perdu, et que je n’avais aucune chance de retrouver. Je voulais juste… qu’elle disparaisse, parce que je ne voulais plus penser à tout ça. Ça… ça fait trop mal.

Le silence retomba avec ces dernières paroles et Kate s’essuya les yeux d’une main irritée, incapable de dire pour qui elle souffrait le plus. Elle pour n’avoir rien vu à l’époque et avoir peut-être pris une décision trop soudaine et irréfléchie ? Emma pour avoir malgré elle subit les foudres d’une ex aux prises avec la jalousie ? Ou bien Cassie qui avait choisi de s’oublier afin d’obéir à son paternel par peur de représailles ?

– Tu l’aimes ?

Kate releva soudainement la tête, surprise par la question inattendue :

– Quoi ?

– Emma, est-ce que tu l’aimes ?

Kate détourna le regard avant de hausser les épaules :

– On est amies.

– Ça ne répond pas à la question.

– Elle est un peu trop personnelle.

Cassie hocha légèrement la tête avant de baisser les yeux vers ses mains :

– Hmm, excuse-moi.

Kate releva les yeux vers elle avant de venir prendre place à ses côtés :

– Cassie, ce qui s’est passé ce soir, ce qui s’est passé avant avec Emma, il est  hors de question que ça se reproduise.

– Je sais. Je suis désolée.

– C’est pas à moi que tu dois des excuses.

– Je sais, admit de nouveau Cassie en détournant le regard. 

Kate glissa un doigt sous son menton et la força doucement à la regarder avant de supplier :

– Cassie, il faut vraiment que tu me promettes ça. Je suis à deux doigts de te faire renvoyer d’ici, et je n’hésiterai pas à le faire si tu continues de déconner comme tu le fais.

Cassie étudia longuement son visage avant de demander, un sourcil haussé :

– Qu’est-ce que tu comptes faire ?

– Je suis allée voir tes gardes du corps.

Cassie fronça les sourcils :

– Mes gar… ah, les jumelles.

– Hmm, je me suis dit qu’une petite visite pourrait m’être bénéfique, que je pourrais…

– …déterrer un truc bien juteux avec lequel me faire chanter ? Hmm, et alors ? Ça t’a été bénéfique ?

Kate pencha légèrement la tête sur le côté :

– On peut dire ça... mais c’est pas encore suffisant pour pouvoir te faire renvoyer. Alors j’ai pensé à autre chose.

– Ah ? Et... qu’est-ce que c’est ?

– Noël dernier.

Cassie fronça de nouveau les sourcils :

– Noël dernier… quoi ? demanda-t-elle, perplexe. Qu’est-ce que…

Des flashs de souvenirs apparurent soudainement dans son esprit et elle écarquilla soudainement les yeux avant de prendre une teinte légèrement cramoisie :

– Merde, je savais que cette histoire d’appareil photo était une très mauvaise idée, répondit-elle en frottant son visage de ses mains pour faire partir la rougeur, les images envahissant son esprit malgré elle.

 

Arcadie, la capitale. Mardi 24 Décembre 2002.

– J’aime pas, grimaça-t-elle.

Un sourcil sombre se haussa :

– T’aimes pas ?

– Non, pas du tout.

Debout devant son miroir, Kate laissa sa bretelle droite retomber nonchalamment sur son épaule avant de croiser de nouveau le regard bleu azur dans le miroir.

– Vraiment ?

– Définitivement, répondit Cassie depuis sa place sur le lit, le menton en appui sur ses doigts entrelacés, les coudes en appui sur ses genoux.

Kate laissa ses mains retomber de chaque côté de son corps tout en soupirant, sa peau frôlant légèrement le tissu doux et frais.

– Tu ne m’aides pas du tout là, Cass’.

Notant l’air désespéré qui habitait désormais le visage de Kate, Cassie se redressa afin de venir passer ses bras autour de sa taille et poser son menton sur son épaule.

– Je sais, mais cette robe ne te va pas du tout, on dirait… un sac à patates.

Kate haussa un sourcil avant de porter ses mains à ses hanches :

– Un sac à patates ? Eh bien merci, c’est gentil, répondit-elle sarcastiquement.

Cassie leva les yeux au ciel avant de sourire et de resserrer légèrement son étreinte :

– Pas toi. Tu es toujours magnifique, tu le sais, dit-elle en l’embrassant sur la joue. Le problème, c’est cette robe. Avoue qu’elle est…

– Hideuse ? Affreuse ? Horrible ? Moche ? Atroce ? Je sais, grimaça Kate en tripotant le tissu. Mais ma mère me l’a faite faire sur-mesure pour ce soir.

Cassie haussa un sourcil :

– Et il avait pris combien de verres notre cher Pablo quand il a pris les mesures ? Parce que cette robe serait parfaitement à ta taille si tu faisais quelque chose comme… vingt kilos de plus. Et encore.

Kate lâcha un rire avant de recouvrir les bras de Cassie de ses mains et les caresser d’un air absent :

– Je suis pressée d’être à ce soir, tu sais.

Notant le changement de ton dans la voix de son amoureuse, Cassie leva les yeux et observa son visage à travers le miroir :

– C’est la première fois que tu dis ça pour une soirée où nous ne serons pas que toutes les deux.

Elle plissa légèrement les yeux d’un air accusateur :

– Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de ma moitié ?

Kate eut un léger rire :

– Ma tante vient ce soir, elle a réussi à se libérer.

– C’est vrai ? s’étonna Cassie. C’est génial, je sais combien elle te manquait.

– Hmm, j’aimerais lui dire pour nous deux.

Kate sentit le corps derrière elle s’immobiliser puis entendit Cassie déglutir.

– C’est vrai ? demanda cette dernière d’une voix qui trahit aussitôt l’émotion qui la traversait.

– C’est vrai, acquiesça Kate. Je sais que ça ira, elle est différente.

Cassie lâcha un léger rire :

– Oh oui, je me souviens bien du dernier compagnon qu’elle a amené ici. Comment s’appelait-il déjà ? Mahoul, Mouhal ?

– Moulham, rit Kate.

– Ah oui, j’ai sincèrement cru que ton père allait y passer quand il l’a vu. Ta tante n’a vraiment peur de rien.

Kate haussa les épaules :

– Il ne peut rien y faire de toute façon.

– Hmm, tu es sûre de toi alors ? demanda Cassie en croisant son regard dans le miroir.

– Certaine, sourit Kate. Je crois qu’elle le sait déjà, en fait.

Les sourcils de Cassie grimpèrent aussitôt sur son front :

– Comment ça ?

– Elle m’a demandé trois fois de tes nouvelles au téléphone l’autre jour, puis elle m’a parlé d’un film que je devais absolument regarder, qu’elle était sûre que j’allais adorer. « I can’t think straight » ou un truc comme ça.

Elle se mordilla légèrement la lèvre inférieure :

– Je suis sûre que c’est gay.

Cassie écarquilla légèrement les yeux avant d’éclater de rire :

– Mon dieu, j’adore ta tante, répondit-elle collant son front contre la tempe de Kate. Elle t’a littéralement devancée dans ton coming out !

Kate grimaça légèrement avant de sourire :

– C’est plutôt bien, non ?

– Plutôt bien ? C’est génial, mon amour.

Kate sentit son sourire s’agrandir et elle tourna légèrement la tête afin d’embrasser Cassie, ses lèvres explorant un instant les siennes avant de reporter son attention sur le miroir :

– Elle va me tuer si je ne la mets pas, soupira-t-elle en désignant la robe.

– Non, pas si tu es magnifique, murmura Cassie au creux de son oreille. Et je sais exactement ce qu’il te faut pour ça, ajouta-t-elle en se dirigeant vers le dressing.

Kate la regarda disparaître à travers les doubles portes d’un œil intrigué avant de se retourner et s’assoir sur le lit en attendant. Le bruit de cintres glissant contre la barre de la penderie et de frottements de tissu lui parvint puis Cassie réapparut, un vêtement rouge entre les mains.

– Celle-ci, dit-elle en lui exposant la robe.

Kate l’observa un instant avant de reporter son attention sur Cassie :

– C’est celle de mon anniversaire.

– Je sais, répondit Cassie en l’étalant sur le lit. Et heureusement que tu l’as gardée, tu étais superbe dedans. Le rouge te va à ravir, ça fait ressortir ton joli regard et c’est parfait avec ta couleur de cheveux. Et puis les robes sans bretelle sont magnifiques sur toi. Alors ?

Kate sentit ses joues rougir et se racla maladroitement la gorge :

– Alors j’en dis que tu es géniale. Reste juste à espérer qu’elle ne réalise pas que je l’ai déjà portée une fois, grimaça-t-elle en se relevant.

– Kate, elle t’offre limite une robe par jour, tu crois sincèrement qu’elle s’en rendra compte ? C’est quoi cette lubie qu’elle a pour les tenues de soirée d’ailleurs ?

Kate posa ses mains sur ses hanches :

– Dixit la fille dont la mère demande sans cesse à ses domestiques d’astiquer son argenterie.

– Oh si elle savait ce qu’elles astiquent quand père est à la maison et qu’elle est absente.

Kate écarquilla les yeux avant de plaquer une main sur ses lèvres :

– Cass’, il est des images que je ne veux pas avoir en tête, d’accord ?

Cassie remua les sourcils avant de lui mordiller la paume de ses dents et Kate la libéra aussitôt dans un rire.

– D’accord, sourit Cassie désormais libre.

– Bien.

Kate lui mit une légère tape sur le bout du nez puis s’empara de sa nouvelle robe avant de faire de nouveau face à son miroir. Cassie, qui avait repris sa place initiale sur le lit, pencha légèrement la tête sur le côté tout en l’observant.

– Tu me disais géniale, c’est bien ça ? J’avoue, étant donné la vue que cela vient de m’offrir...

Kate, qui s’apprêtait à enfiler la robe rouge, s’interrompit et lui fit aussitôt face :

– Vicieuse, répondit-elle en plissant des yeux avant de sourire. Mais si mes souvenirs sont bons, t’as toi aussi une robe à enfiler, non ? 

– Si, répondit Cassie en tapotant la housse qui se trouvait à ses côtés et recouvrait sa tenue de soirée. Mais la vue est bien plus intéressante.

Kate leva les yeux au ciel avant lui lancer la robe qu’elle venait de retirer :

– Pah ! s’exclama aussitôt Cassie en l’écartant. Beurk, même la matière est insupportable.

Elle croisa de nouveau le regard de Kate et elle leva les mains en signe de capitulation :

– D’accord, d’accord, je m’habille…

Elle retira son jean et son haut à manches courtes une fois debout puis commençait tout juste à sortir sa robe lorsqu’un flash éclaira soudainement la pièce. Surprise, elle tourna la tête en direction de Kate et l’aperçut aussitôt nonchalamment appuyée contre sa maquilleuse, un sourire satisfait sur les lèvres et un appareil photo entre les mains.

– Oh mademoiselle Katherine Alexandra De Lonay, vous allez regretter ce que vous venez de faire, menaça-t-elle en remuant un doigt vers elle. 

Kate lâcha un rire tout en s’approchant :

– Désolée, je vérifiais juste qu’il marchait toujours et mon doigt a malencontreusement glissé sur le déclencheur, répondit-elle, les yeux brillant de malice.

– Bien sûr, répondit Cassie, son ton démontrant clairement qu’elle n’y croyait pas du tout.

Kate attendit qu’elle soit arrivée à sa hauteur avant de légèrement pencher l’appareil de manière à avoir une plongeante sur son corps seulement vêtu de ses sous-vêtements puis appuyer sur le bouton.

– Oups, désolée, sourit-elle lorsqu’un flash apparut une nouvelle fois dans la pièce.

– Non, tu ne l’es pas du tout, sourit Cassie en la prenant dans ses bras avant de l’embrasser avec douceur.

Kate passa une main à l’arrière de son cou pour approfondir le baiser et elle appuya à nouveau sur le déclencheur une fois sûre d’avoir bien cadré leur visage.

– Oh je vais adorer celle-ci, taquina-t-elle en se reculant légèrement.

Elle dirigea l’objectif sur leurs poitrines collées l’une contre l’autre et appuya à nouveau.

– Oooh et celle-ci aussi ! s’exclama-t-elle dans un rire.

– Kate ! s’exclama Cassie en essayant d’attraper l’appareil. Espèce de petite fauteuse de trouble !

– Oh non, non, non, non, non, répondit Kate en cachant à l’arrière de son dos. Je t’en prie Cass’, l’objectif t’adore, allez…

– Et c’est une raison pour me mitrailler dès que je suis en sous-vêtements ?

Kate posa un doigt sur son menton et fit mine de réfléchir avant de hocher frénétiquement la tête :

– Absolument !

Cassie secoua légèrement la tête :

– T’es pas possible, tu le sais ça ? sourit-elle avant de l’embrasser à nouveau. Mais lorsque deux personnes se trouvent en sous-vêtements, et ce, dans la chambre de l’un des deux partis, la dernière chose qu’elles ont envie de faire, c’est de prendre des photos..., murmura-t-elle contre ses lèvres tout en la poussant doucement vers le lit.

Kate se laissa lentement retomber sur le matelas avant d’entraîner Cassie avec elle, ses bras venant aussitôt s’entourer autour de son cou :

– T’es sûre ? Parce que j’aimais bien prendre des photos moi..., répondit-elle d’un air boudeur alors que Cassie mordillait la peau de son cou et descendait vers sa clavicule.

– Nuh-huh, crois-moi Kate dans moins de cinq minutes tu auras complètement abandonné l’idée, murmura Cassie contre sa peau tandis qu’elle se débarrassait de son soutien-gorge et qu’elle sentait Kate faire la même chose avec le sien.

Kate lâcha un léger rire :

– T’es sûre de toi ?, sourit-elle avant de prendre une inspiration profonde lorsqu’elle sentit l’une des mains de Cassie remonter le long de l’intérieur de sa cuisse.

– Kate, donne-moi cet appareil, ordonna Cassie tout en embrassant la courbe de son sein, savourant la sensation de sa peau contre ses lèvres.

Kate ferma les yeux, sa concentration rendue de plus en plus difficile :

– Pourquoi ? Tu veux les prendre toi-même ? demanda-t-elle, ses doigts se glissant d'eux-mêmes dans la chevelure claire afin de presser Cassie un peu plus contre son corps.

– Kaaaaate…

– Nooooon, répondit Kate d’une voix toute aussi traînante. Il doit rester assez de place pour une centaine de clichés, je n’arrêterai pas tant qu’il ne sera pas plein.

– Hmm, si ça continue comme ça, il va falloir que je m’attende à te voir débarquer en tenue de cuir, avec des menottes et un fouet, miss exhibitionniste, taquina Cassie tout en mordillant la peau de son nombril, sentant le corps sous elle se mettre à trembler avant que le rire de Kate n’envahisse la pièce et qu’un flash n’apparaisse à nouveau.

Une heure plus tard, l’appareil était complet.

 

Aujourd’hui.

– Tu es au courant qu’on est très peu vêtues sur ces clichés, pas vrai ? demanda Cassie.

– Je dirais même que l’on est pas du tout vêtues sur certains, répondit Kate dans un sourire diabolique. Tout l’intérêt est là.

Cassie secoua la tête, un léger rire s’échappant de ses lèvres avant qu’elle ne reprenne son sérieux :

– Ces clichés datent de plus d’un an, qu’est-ce que tu comptais en faire ?

– Tout d’abord, demander à Maria de me les envoyer.

– Maria ? Tu étais la seule qu’elle appréciait dans cette maison, elle travaille toujours pour tes parents malgré tout ?

– Mon paternel lui offre des croisières aux quatre coins du globe chaque année, bien sûr qu’elle travaille toujours pour eux, répondit Kate en lui offrant un regard appuyé. Et heureusement, elle est la seule à connaitre ma planque, pensa-t-elle sarcastiquement.

– C’est sûr que vu comme ça, grimaça Cassie. Et donc ? La suite du plan ?

– Les envoyer à ton père et à tous les grands journaux de la capitale avec un petit mot du style « Bons baisers de La Lumeda où l’on s’amuse comme des petites folles ».

Cassie écarquilla aussitôt des yeux avant de grimacer :

– Bien joué, ils m’auraient tuée pour ça. Bon sang, je me serais même tuée moi-même pour ça. Enfin, façon de parler.

– Hmm, ils t’auraient surtout sorti d’ici, c’est tout ce que je voulais.

– Tes parents auraient été prévenus aussi, Kate, lui répondit sérieusement Cassie.

Kate haussa les épaules avant de répondre :

– L’important, c’était que tu laisses Emma tranquille.

– En la privant de son amie au passage ? s’exclama Cassie avant de secouer la tête en signe de désaccord. Bon sang Kate, tu réfléchis pas parfois.

Kate haussa les sourcils :

– Il y a encore quelques minutes, tu la détestais, et maintenant, tu vas prendre son parti ? demanda-t-elle, incrédule.

Cassie grimaça :

– Ça ressemble à la quatrième dimension, hein ? Je ne la déteste pas, je la déteste pour tout ce qu’elle me rappelle, sans compter ce qu’elle a et que je n’ai pas. 

– Cassie…

Cassie leva une main :

– Je sais, c’est stupide, et puéril, et tout ce que tu veux. Je la laisserais tranquille, c’est promis.

– Vraiment ? demanda Kate en étudiant son visage.

– Vraiment, assura sincèrement Cassie. Il te reste ces clichés si jamais tu veux réellement t’en assurer, ajouta-t-elle en détournant le regard.

Kate l’observa un long moment avant de se redresser :

– D’accord, répliqua-t-elle avant d’enfoncer maladroitement ses mains dans ses poches. Je vais y aller maintenant que, hmm, tout est réglé.

– Hmm, acquiesça Cassie tout en se levant à son tour. J’espère pour toi qu’Eva ne s’est pas endormie dans le couloir.

Kate qui avait commencé à se diriger vers la porte s’interrompit soudainement :

– Quoi ? demanda-t-elle en tournant la tête vers Cassie.

– Kate, je t’en prie, c’est elle qui nous aidait il y a un an, répondit Cassie en levant les yeux au ciel avant qu’un léger sourire ne se fraye un chemin sur ses lèvres. Laisse-moi deviner, elle était prête à entrer au premier cri ou verre brisé ?

Kate se sentit sourire à son tour :

– Oui, et c’est pas passé loin, grimaça-t-elle en désignant les poignets de Cassie sur lesquels une légère marque rouge était désormais visible. Désolée pour ça.

Cassie suivit son regard et haussa les épaules :

– On est en hiver, personne ne s’en rendra compte. Toi par contre, je ne t’ai pas loupée, grimaça Cassie en désignant la joue de Kate qui était désormais rouge et enflée.

– Bah, ça ira avec ma réputation, répondit Kate les yeux légèrement brillants. Et puis je l’ai méritée, reprit-elle plus sérieusement avant de baisser les yeux vers le sol. Je ne sais pas trop ce qui m’a pris.

– Je pense au contraire que tu le sais très bien, contra Cassie dans un léger sourire. Tu avais l’air plutôt remontée, et vu ce que j’ai pu faire à Emma... c’est plutôt compréhensible. Tu as toujours été une bonne amie, Kate.

Kate releva les yeux vers elle et un silence légèrement embarrassant les entoura avant que Cassie ne se racle maladroitement la gorge :

– Ecoute, je sais que… j’ai fait beaucoup d’erreurs, et que je suis très certainement la personne la moins chère à ton cœur à l’heure actuelle, mais… hmm, tu crois que… qu’il y aurait une chance pour que je retrouve ma meilleure amie un jour ?

Prise de court, Kate se contenta de l’observer avant de demander :

– C’est vraiment ce que tu veux ?

Elle vit Cassie hocher légèrement la tête et laissa son regard s’évader autour d’elle avant de l’observer à nouveau, hésitante :

– En toute honnêteté, je ne sais pas si je pourrais te faire confiance à nouveau, répondit-elle enfin. Ou si je pourrais oublier ce que tu as pu faire à Emma. C’est… une partie de moi à vraiment envie de t’étriper pour tout ce que tu lui as fait. Mais... mais ma meilleure amie me manque. Ça fait un an qu’elle me manque. Et j’ai envie de croire qu’elle est toujours là, quelque part.

Sentant l’émotion la gagner à nouveau, Kate s’interrompit et prit une inspiration tremblante avant d’ajouter :

– Mais je peux rien te promettre, parce que j’en sais rien. C’est plutôt très embrouillé là-dedans, termina-t-elle en désignant sa tête.

– Et il y a Emma, devina aussitôt Cassie lorsqu’elle vit Kate s’apprêter à reprendre la parole. Je comprends. Et je me doute qu’il va te falloir du temps, mais si tu pouvais y accorder juste un moment de réflexion au moins... je te demande juste ça, Kate. Je sais que je ne peux pas revenir en arrière, ni tout recommencer. Mais je te promets que si tu me donnes une seconde chance… je ferais tout pour ne pas te décevoir à nouveau.

Kate se mordit l’intérieur de la joue avant de hocher la tête :

– D’accord.

– C’est vrai ? s’étonna Cassie avant de sentir sa vue se brouiller lorsqu’elle vit Kate hocher la tête à nouveau. Merci, répondit-elle sincèrement avant de désigner la porte. Maintenant file avant qu’Eva ne s’impatiente et que Rachel n’ait une crampe à force d’être collée contre le battant à nous écouter.

Kate lâcha un rire tout en posant sa main sur la poignée :

– Oui, tu as surement raison, répondit-elle avant de lever les yeux vers Cassie. Bonne nuit, Cass’.

Cassie resta silencieuse pendant quelques battements de cœur avant de secouer légèrement la tête. Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu ces trois petits mots sortir de la bouche de cette personne-là, pensa-t-elle intérieurement.

– Bonne nuit, Kate.

Kate hocha la tête d’un air entendu puis sortit de la chambre, se demandant intérieurement si elle avait vraiment pris la bonne décision tandis que dans sa tête, la même phrase tournait en une ronde incessante.

Comment vais-je expliquer tout ça à Emma, moi, maintenant ? 

1 septembre 2011

Chapitre 16

Vendredi 14 Février 2004.

– Tu sais, je me demande vraiment pourquoi on n’a pas une langue universelle, marmonna Kate en ouvrant brutalement son casier avant de jeter ses livres à l'intérieur. Non, oublie, ce serait certainement l’anglais, grimaça-t-elle.

– Nan, l'Esperanto a plus de chance, répondit Emma en prenant appui contre le mur à côté d’elle. Elle est la plus répandue Eh bien plus simple et plus pratique, sans compter qu’elle peut être indéfiniment perfectionnée. Choisir une langue morte ou une langue vivante présenterait bien trop de difficultés.

Elle fit une légère pause avant d’ajouter :

– Même si j’aurais bien aimé l’anglais, moi.

Kate referma la porte de son casier avant d’appuyer son front contre la surface en bois :

– Emma, soupira-t-elle, tu veux rendre ma journée encore plus merdique qu’elle ne l’est déjà ?

– Non, répondit Emma avant de sourire. Mais j’ai un nouveau surnom pour toi, en tout cas.

Kate tourna la tête dans sa direction et tomba aussitôt nez à nez avec deux yeux verts plein de malice qui la fixaient intensément. Oh oh.

– Ça veut dire que j’en avais déjà un ? répondit-elle dans une grimace.

Emma fit mine de réfléchir tandis qu’elles avançaient à nouveau dans le couloir :

– Non. Laisse-moi reformuler ça alors : je viens tout juste de te trouver un adoooorable surnom. 

Kate leva aussitôt les yeux au ciel :

– Oh super, j’ai hâte de savoir ce que tu m’as trouvé ! feignit-elle dans un ton enjoué. Alors ?

– Eh bien, j’avais pensé à « Ma Colocataire est une Grincheuse ». Ou « Ma Colocataire Passe son Temps à Bougonner ». Tu sais, un peu comme les Martines, taquina-t-elle fièrement en agitant son doigt sous le nez de Kate. Tu devrais avoir un t-shirt pour ces moments-là d’ailleurs, tu sais, genre : « Stay away from me ! I’m grumpy ! ».

Kate croisa aussitôt les bras sur sa poitrine, l’air renfrogné :

– Oublie tout de suite, je suis pas comme ça.

Sa réponse lui valut un regard appuyé accompagné d’un haussement de sourcil et elle soupira :

– Bon d’accord, peut-être un peu, mais tu sais comment me mettent les cours d’Anglais, marmonna-t-elle. T’es pareil avec les maths en plus, accusa-t-elle, la défiant du regard de la contredire.

Emma ne put s’empêcher de sourire, Kate était très loin d’avoir tort sur ce point, car tout comme elle, les cours de mathématique la mettaient instantanément de mauvaise humeur, tout simplement parce qu’elle n’y comprenait jamais rien.

Mais au moins, Kate était là pour l’y aider. Et dieu sait que sans ça, ma moyenne serait très certainement plus proche du zéro que du dix, pensa-t-elle en grimaçant.

– Bon, explique-moi. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que je te récupère dans cet état ?

– Echange interscolaire, grimaça Kate. Mr Ranger a décidé de prendre quelques vacances outre Atlantique et nous laisser entre les mains d’une Canadienne, mais le problème, c’est qu’elle ne prononce pas un seul mot Lynèvois ! s’exclama-t-elle en levant les mains au ciel, avant de plisser des yeux lorsqu’Emma éclata de rire à côté d’elle. Emma…

– Excuse-moi, excuse-moi, sourit Emma en levant les mains en signe d’apaisement, les yeux humides. Mais, c’est un peu le but du cours d’Anglais, Kate. Comment veux-tu apprendre une langue si tu ne la pratiques pas ?

– Mouais, ben un peu de Lynèvois ne ferait pas de mal, marmonna Kate en enfonçant ses mains dans ses poches. Ça m’aurait aidée à comprendre parce qu’avec son accent, j’ai eu beaucoup de mal. Parce que tu vois, j’étais là à essayer de déchiffrer ce qu’elle pouvait bien être en train de dire, quand tout à coup, tout le monde s’est mis à rire. Moi tout ce que j’avais déchiffré, c’était « blablabla » !

Elle soupira lourdement avant de se rendre compte qu’Emma tentait tant bien que mal de ne pas éclater de rire à nouveau :

– C’est pas drôle ! grommela-t-elle en croisant ses bras sous sa poitrine.

Le ton utilisé et ainsi que l’air boudeur qui habitait désormais son visage en furent trop pour Emma elle ne put se retenir une seconde de plus, partant dans un fou rire incontrôlable tandis que de nouvelles larmes dévalaient le long de ses joues.

– Oh si, au contraire, répondit-elle en s’essuyant les yeux. Je t’imagine bien au milieu de tous, l’air complètement perdu ! rit-elle à nouveau.

Kate plissa des yeux avant de laisser malgré elle un sourire apparaître sur ses lèvres :

– D’accord, d’accord, j’avoue, c’était amusant, admit-elle. Elle nous a fait écouter une chanson d’un groupe de leur pays aussi : « Barenaked Ladies – If I had one Million Dollars ». Je pense que tu aurais beaucoup aimé.

– De qui ? demanda Emma les sourcils froncés.

– Barenaked Ladies. Je ne sais pas ce que ça veut dire ça par contre. Ladies bon… mais Barenaked ?

– Comment tu l’épelles ?

Kate s’interrompit avant de plisser des yeux :

– C’est ta façon de me dire que mon accent laisse à désirer ?

– Non, mentit aussitôt Emma, le sourire aux lèvres.

Kate plissa des yeux avant de soupirer :

– B-a-r-e-n-a-k-e-d je crois, alors ?

Emma se sentit aussitôt rougir :

– Euh, hmm, ça parle de quoi comme chanson ?

– D’un type qui raconte ce qu’il ferait s’il gagnait un million de dollars. Pourquoi ? Il veut dire quoi ce mot alors ?

– Eh bien…

– Oui ?

– Barenaked veut dire… hmm, tout nu.

Kate haussa les sourcils :

– Tout nu ? Genre, tout nu, tout nu ?

Emma lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– Kate, y a pas cinquante mille façons d’être tout nu.

– Je sais, sourit aussitôt Kate, carnassière. Mais ça veut dire que leur groupe s’appelle « Les femmes toutes nues », et ça, j’aime beaucoup l’idée.

– Han Kate ! gémit aussitôt Emma avant de cacher son visage entre ses mains, persuadée d’être cramoisie.

Une porte de casier claqua non loin d’elles et elle sursauta cependant avant de tourner la tête en direction du bruit. Son regard s’arrêta aussitôt sur la jeune femme blonde qui s’éloignait le long du couloir et elle resserra inconsciemment sa prise sur la bandoulière de son sac, avant de soupirer de soulagement lorsque son visage lui apparut. 

– Elle ne t’approchera pas ici Emma, la rassura gentiment Kate qui avait aussitôt deviné avec qui Emma avait cru confondre l’adolescente.

– Je sais, c’est juste que… je vais avoir besoin d’un peu de temps avant d’arrêter de constamment regarder par-dessus mon épaule, admit-elle dans un sourire embarrassé. J’arrive pas à croire que ma plainte n’ait servi à rien. Quoique, non, je ne suis même pas étonnée en fait, ajouta-t-elle après réflexion.

La plainte qu’elle avait déposée dans son ancien lycée avait, elle aussi, était ignorée, après tout. A croire que l’on ne me prendra jamais au sérieux, soupira-t-elle intérieurement.

– Elle a eu un avertissement, répondit Kate, entrelaçant son bras avec le sien. Même si ce n’est pas beaucoup, les surveillants la garderont à l’œil. Enfin, normalement.

Comme l’avait prédit Eva, au vu de la réputation de Cassie au sein de l’établissement et le statut social d’Emma, cette dernière n’avait pas été prise au sérieux. C’est limite s’ils ne l’ont pas accusée de s’être elle-même rasée la tête, pensa-t-elle amèrement. Cassie s’en était donc tirée avec un simple avertissement, manque de preuves, réputation et comportement exemplaire obligent.

– Parce que tu penses qu’on peut leur faire confiance ? répliqua Emma, sceptique. Cassie est amie avec au moins une d’entre eux.

– Eva ? Absolument, assura Kate une fois qu’Emma eut hoché la tête. Elle ne ferait jamais rien qui irait à l’encontre du bien-être de ses élèves.

Emma se mordit la lèvre inférieure :

– Peut-être, mais vu son amitié avec Cassie... je préfère rester loin d’elle.

– Hmm. Les amis de mes ennemis sont mes ennemis, hein ? sourit faiblement Kate, secrètement attristée qu’Emma pense ainsi.

Que les jumelles remettent en question la crédibilité d’Eva, c’était une chose, et Kate aurait probablement été en colère si Emma avait décidé de faire la même chose. Mais cette fois-ci, les choses étaient différentes. Emma ne faisait rien de plus que chercher à se protéger, et même si Kate en était peinée, après tout ce qui lui était arrivé, elle pouvait largement le comprendre.

– Elle n’est pas mon ennemie, répondit Emma en levant les yeux vers elle. C’est juste...

– Je sais, interrompit Kate en exerçant une légère pression sur son bras. Et je comprends, t’en fais pas.

Emma afficha un petit sourire, visiblement soulagée avant de regarder une nouvelle fois autour d’elle et soupirer :

– J’aurais dû déposer plainte contre les jumelles aussi. Peut-être que ça aurait eu plus de poids.

– Ça n’aurait servi à rien. Je te l’ai dit, Cassie les a laissé tomber. Tu n’as plus rien à craindre d’elles maintenant.

– Mais ça n’empêchera pas Cassie de trouver d’autres acolytes...

Kate haussa les épaules :

– Peut-être, admit-elle avant d’arborer un sourire. Mais ce sera le cadet de nos soucis, parce qu’à partir de maintenant, je me proclame ton garde du corps.

Emma haussa les sourcils avant de sourire à son tour :

– Mon garde du corps, hein ? répéta-t-elle, à la fois charmée et amusée.

– Hmm. Alors, ton prochain cours, c’est quoi ?

Emma rit légèrement avant de lever un bras et désigner droit devant elle :

– Troisième étage, Histoire-Géographie.

Le trajet se passa sans encombre et, une fois arrivée à destination, Emma jeta un rapide coup d’œil dans la salle avant de se tourner vers Kate :

– Tu viens me récupérer à la fin du cours ? demanda-t-elle avant de taquiner. Et je te promets de t’accompagner à ton cours de soutien.

– Mr Ranger va payer pour ça, se plaignit aussitôt Kate en se laissant retomber contre le mur. Trois soirs par semaine à finir à 19h, c’est pas juste, gémit-elle. 

Emma observa un instant les élèves qui entraient en classe avant de répondre :

– Ils t’ont laissé ton samedi, c’est déjà ça non ? tenta-t-elle de la consoler. Et puis si ça se trouve, tu ne seras bientôt plus toute seule vu mes résultats en maths.

Kate afficha aussitôt un sourire :

– Je devrais arrêter de t’aider alors, taquina-t-elle, les yeux brillants.

– T’as pas intérêt, menaça aussitôt Emma en s’approchant dangereusement d’elle avant de sourire et l’embrasser sur la joue. Maintenant file avant que je ne me décide à endommager mon garde du corps.

– Oh non, ce serait terrible ! feignit aussitôt Kate d’un ton alarmé tout en levant les mains, un sourire néanmoins présent sur les lèvres. A toute à l’heure, ajouta-t-elle en s’éloignant le long du couloir.

Emma l’observa un instant avant d’interpeller :

– Hé, Kate ?

– Hmm ? demanda aussitôt cette dernière en se retournant et en marchant à reculons.

Emma attendit de croiser son regard avant de répondre :

– Merci.

Kate hocha la tête d’un air entendu, le sourire aux lèvres puis fit demi-tour afin de rejoindre son cours. Une fois arrivée en bas des escaliers, elle aperçut aussitôt Cassie qui sortait des toilettes des filles et elle l’observa un instant avant de finalement se décider à regagner le rez-de-chaussée. Arrivée à destination, elle jeta un rapide coup d’œil à travers la porte grande ouverte et fut aussitôt soulagée de voir que l’endroit était désert mis à part la personne qu’elle cherchait.

– Eva ? appela-t-elle avant de refermer la porte derrière elle.

– Hé Kate, sourit aussitôt la jeune surveillante en levant les yeux de son ordinateur. Tu tombes bien, je viens juste de recevoir le nouvel album des…

Elle s’interrompit les sourcils légèrement froncés :

– Attends, t’es pas censée être en cours toi ?

Kate s’installa sur le rebord de son bureau avant de s’emparer des jaquettes qu’elle y trouva :

– Queen Made in Heaven et… ooooh Scorpions Eye II Eye. Mais Eva, ça fait cinq ans qu’il est sorti, c’est pas un nouvel album.

– Je sais, mais je l’avais pas, répondit aussitôt Eva en les récupérant avant de lui tirer la langue.

Kate lâcha un rire.

– Tu me les prêteras ?

– Ouais, mais moi d’abord. Et seulement si tu me promets d’avoir tes écouteurs sur les oreilles, ajouta Eva en remuant les jaquettes sous son nez. Alors ?

– Alors ? Ah oui, philo, j’y vais là, mais il fallait que je te voie avant.

Eva pencha légèrement la tête sur le côté, les yeux plissés :

– Pour une bêtise déjà faite ou en projet ?

– En projet ? grimaça aussitôt Kate.

La jeune surveillante soupira :

– Bon sang Kate, tu crois pas que tu devrais ralentir la cadence ? Ça va finir par mal tourner cette histoire. Je croyais que tu avais déjà tout réglé en plus.

– Non, pas encore. Il faut que je fasse une dernière chose. Après, promis, c’est fini.

Eva hésita :

– Sûr ?

– Sûr, affirma Kate avant de laisser ses yeux s’évader autour d’elle. Enfin, en ce qui me concerne du moins. T’as du nouveau sur cette histoire de fuite ?

Eva se laissa retomber contre le dossier et secoua la tête :

– Non, et si tu veux mon avis, c’est perdu d’avance, répondit-elle avant de désigner les bureaux de ses collègues. Chacun d’entre nous a accès aux dossiers des élèves, ils ont même été numérisés au sein des ordinateurs. Ça pourrait être n’importe qui.

– Un prof aussi ? demanda Kate en levant les yeux vers elle.

Eva se mordit l’intérieur de la joue :

– Faudrait qu’il demande l’accès à l’administration pour ça... pourquoi ?

– Parce que celui ou celle qui a lâché l’info sur le père d’Emma s’amuse aussi à faire circuler des corrigés d’examens avant qu’ils n’aient eu lieu.

– Tu plaisantes ? s’alarma aussitôt Eva en se redressant. Qui t’a raconté ça ?

Kate hésita un instant avant de répondre :

– Ça reste entre nous ?

– C’est ta façon de me demander de ne pas dénoncer les élèves concernés ? répliqua aussitôt Eva, les sourcils haussés.

Kate hocha la tête et elle soupira :

– Tu réalises que ça fait de moi une complice si je fais ça.

– Eh bien pour l’instant y en a déjà deux qui pensent que la fuite vient de toi, si on oublie Emma qui vient de me dire qu’elle préférait garder ses distances te concernant. Je peux savoir comment elle a su que Cassie et toi étiez amies ?

Eva cligna des yeux à plusieurs reprises avant de lever les mains afin de lui faire signe de s’arrêter :

– Attends, attends... Kate, qui t’a raconté ça ?

– Les jumelles. C’est comme ça que Cassie obtenait d’elles tout ce qu’elle voulait.

Eva sentit le sang quitter son visage et elle l’observa un instant avant de se redresser :

– Donc on a un type, ou une nana, qui s’amuse à voler des corrigés d’examens, à les refourguer à Cassie, qui elle-même s’en sert afin de faire du chantage... tout ça pour martyriser Emma. C’est ça ?

Kate l’observa faire les cent pas dans la pièce avant de hocher la tête :

– C’est ça.

– Et Julia et Mélanie me soupçonnent parce que... ?

Kate grimaça légèrement avant de répondre :

– Il paraît que Cassie passe beaucoup de temps ici. Que vous êtes amies elle et toi.

– Hmm, alors elles en ont aussitôt conclu que les copies devaient venir de moi, répondit Eva en hochant la tête d’un air entendu avant de l’observer. Cassie distribuait des formulaires pour moi quand j’ai croisé Emma dans le couloir, non loin de votre appartement. Je voulais avoir la possibilité de juger par moi-même ce que tu me disais, alors j’ai interpellé Cassie afin qu’elle lui donne les vôtres en main propre. Il s’est avéré qu’elles étaient en effet très loin d’être ravie de se retrouver en présence de l’autre. Emma doit certainement vouloir prendre ses distances par rapport à ça.

Kate se gratta l’arrière de la nuque :

– Ceci expliquerait en effet cela, acquiesça-t-elle avant de relever un regard hésitant en direction d’Eva : t’es pas en colère, hein ?

– Je devrais, soupira Eva en regagnant sa place derrière le bureau. Pas contre toi, je te rassure. Ni Emma. Ni même les jumelles. Mais Cassie... je ne comprends vraiment pas ce qu’elle nous fait cette année.

– Tu es son amie... elle ne te dit rien ?

Eva secoua légèrement la tête :

– On ne se voit pas si souvent que ça, et quand ça arrive, on parle de tout sauf des problèmes qu’elle peut visiblement bien avoir. Je doute fortement qu’elle me réponde si je l’interroge.

– Hmm. Eh bien le plus important en tout cas pour l’instant, c’est de trouver qui est le véritable coupable. Parce qu’en attendant, c’est toi qu’on soupçonne.

Eva hocha la tête d’un air entendu :

– Tu as raison, je vais mener ma petite enquête, répondit-elle avant de s’emparer de la main de Kate et lever les yeux vers elle. Merci de me faire confiance en tout cas.

– Tu protèges toujours mes arrières, c’est normal que je fasse la même chose pour toi en retour, non ?

Eva lui sourit aussitôt :

– Je pourrais t’embrasser rien que pour ça, taquina-t-elle. Bon, et toi alors. En quoi est-ce que je peux t’être utile ?

Elle eut à peine posé sa question qu’elle leva aussitôt une main :

– Non, attends, laisse-moi deviner. Sortie nocturne, c’est ça ?

Kate afficha aussitôt un grand sourire :

– C’est ça.

1 septembre 2011

Chapitre 15

Assise sur le rebord de la fenêtre, une tasse de thé entre les mains, Kate laissait son regard courir sur la propriété. Le soleil était désormais couché depuis un bon moment et des lampes à énergie solaire, d’une lumière bleutée, éclairaient le lac et les bâtiments, révélant une facette de la pension complètement différente de celle qu’elle avait l’habitude de voir durant la journée.

Au fil des mois, elle avait découvert que cette atmosphère avait un effet apaisant sur elle, et, lorsqu’Emma était absente, il lui arrivait de rester simplement là, à tranquillement siroter son breuvage pendant des heures. Pourtant, ce soir, la magie ne semblait pas vouloir opérer. Ce qui s’était passé quelques heures plus tôt l’avait bien évidemment mise hors d’elle, mais ce qui lui nouait à présent l’estomac, c’était la culpabilité qu’elle ressentait. Elle était bien consciente que ce qui était arrivé à Emma était entièrement sa faute, et qu’on s’en prenne à son amie… quand on la visait elle… elle avait énormément de mal à l’accepter.

Elle avait pourtant été surprise par le comportement d’Emma plus tôt dans la soirée alors qu’elle nettoyait les plaies de son cuir chevelu. Cette dernière s’était montrée plus détendue et Kate avait été surprise de soudainement l’entendre se mettre à lancer quelques plaisanteries sur sa nouvelle coiffure, soulignant le fait que si Demi Moore était toujours aussi sexy avec la tête rasée, elle pouvait bien l’être aussi, non ? Kate en avait été déstabilisée, avant de se dire que sa crise de larmes n’avait probablement été qu’un contrecoup de l’injustice dont elle avait été victime. Alors elle s’était détendue à son tour, profitant de la présence d’Emma à ses côtés et de la bonne humeur qui régnait autour d’elles après ces sombres évènements.

Puis, aucune d’elles ne voulant se coucher, elles avaient finalement trouvé refuge devant la télévision où Emma avait fini par s’assoupir et Kate, après l’avoir observée un instant, s’était dit qu’une petite sortie nocturne était de rigueur. Elle était finalement rentrée quelques heures plus tard et, incapable de trouver le sommeil, elle s’était installée sur le rebord de la fenêtre où elle ressassait depuis ses sombres pensées.

– Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

La douce voix d’Emma près de son oreille la sortit soudainement de sa torpeur et Kate sursauta, portant une main sur son cœur avant de réaliser avec horreur qu’elle pleurait.

– Kate ? Ça va ? demanda aussitôt Emma d’un ton alarmé lorsqu’elle vit cette dernière s’essuyer les yeux d’un revers de main.

– C’est rien, marmonna Kate en évitant son regard. J’ai dû attraper un rhume ou un truc comme ça.

Emma lui offrit un regard appuyé tout en s’agenouillant devant elle :

 

– Bien sûr, et moi j’ai une angine terrible, répondit-elle en caressant ses genoux de ses pouces. Alors, qu’est-ce qu’il y a ? Et va pas me répéter qu’y a rien, ajouta-t-elle d’une voix ferme mais douce.

Kate eut un faible sourire avant de dévier son regard vers la vitre, l’air pensif :

– Tu sais, je suis tombée sur le calendrier tout à l’heure, et j’ai réalisé que ça faisait exactement un an jour pour jour que j’étais ici aujourd’hui.

– Oh. Et c’est ça qui te fait pleurer ?

Un sourire accompagna la réponse :

– Non. Pas vraiment, répondit Kate avant d’ajouter plus sérieusement : C’est compliqué.

Compliqué. Emma grimaça intérieurement. C’était exactement le même terme que Kate avait utilisé pour définir la raison de sa présence à La Lumeda.

– Peut-être que si tu m’expliquais…, tenta-t-elle.

Kate détourna le regard de la fenêtre pour l’observer et elle hocha légèrement la tête :

– Viens, répondit-elle en se levant et en la prenant par la main.

Elle déposa sa tasse sur la petite table du salon puis prit place sur le canapé, haussant un sourcil de surprise lorsqu’Emma s’installa tout contre elle et posa sa tête contre son épaule.

– J’ai un peu froid, répondit cette dernière dans un sourire penaud, avant de rapprocher ses jambes de son torse et les entourer de ses bras. Mais tu peux aussi considérer ça comme du soutien moral.

Kate secoua légèrement la tête, amusée, avant de passer un bras autour de ses épaules, et elle dut aussitôt lutter contre l’envie qu’elle avait de l’attirer encore plus à elle lorsque son odeur si familière et la douce chaleur de son corps lui parvinrent.

– Il y a une chose qu’il faut que tu saches mais je ne sais pas vraiment comment m’y prendre pour te le dire, ni comment tu vas réagir.

Emma leva les yeux vers elle et l’observa un instant avant de demander :

– Ça a un lien avec ce qu’il s’est passé ce soir ?

Kate prit une inspiration profonde qu’elle relâcha aussitôt :

– Oui.

– Oh. Cassie m’a dit que… ça, répondit Emma en désignant l’arrière de sa tête. Elle m’a dit que c’était un message pour toi.

Kate ferma un instant les yeux, refoulant les larmes qui montaient à nouveau. Comment pouvait-elle annoncer à une personne aussi douce, aussi innocente, aussi irréprochable qu’Emma... qu’elle avait été agressée par sa faute ? Dire qu’elle se sentait mal à l’aise aurait été un euphémisme, un nœud lui tordait l’estomac et la seule chose qu’elle voulait, s’était s’enfuir à toutes jambes. Mais Emma méritait la vérité, et même si elle redoutait profondément sa réaction, Kate savait qu’elle devait la lui dire malgré tout.

Elle se racla légèrement la gorge avant de répondre :

– Emma, je vais te raconter une histoire, d’accord ? Ça te permettra de comprendre.

– D’accord, répondit aussitôt Emma, quelque peu confuse.

Kate réfléchit un instant avant d’opter pour une entrée en matière directe. De toute façon, je n’ai jamais aimé tourner autour du pot, alors…

– Avant d’atterrir ici, j’étais en couple.

Une inspiration profonde.

– Avec une fille.

Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’Emma ne se redresse et n’étudie son visage.

– Tu es lesbienne ? s’étonna-t-elle finalement.

– Hmm, oui. Ça te pose un problème ? demanda Kate, anxieuse. S’il te plaît dis-moi que non, s’il te plaît…

– Eh bien, c’est... enfin je, euh, hmm…

Emma leva les yeux au ciel avant de laisser sa tête retomber contre l’épaule de Kate.

– Oh bon sang mais qu’est-ce que j’ai à bégayer comme ça ?! Et je t’interdis de te moquer de moi, se pressa-t-elle d’ajouter en levant une main.

– Je te rassure, je suis bien trop stressée pour ça, ironisa Kate tandis qu’elle angoissait de plus en plus.

Emma redressa légèrement la tête et elle sentit aussitôt son cœur se serrer lorsqu’elle réalisa que Kate évitait soigneusement son regard.

– Oh Kate, je suis désolée, répondit-elle en prenant sa main dans la sienne et en la serrant légèrement. Excuse-moi, je ne savais pas que c’était un sujet sensible. Ça m’a prise de court, c’est tout. J’ai aucun problème avec ça, je t’assure. C’est…

Un évènement passé lui revint subitement en mémoire et elle s’interrompit avant de secouer légèrement la tête :

– Je crois que j’aurais dû m’en douter, en fait, réalisa-t-elle dans un sourire.

– Quoi ? s’étonna aussitôt Kate, confuse, avant de paniquer intérieurement. Elle sait ce que je ressens pour elle ?

– Le Lévitique, tu t’es mise à pleurer lorsque j’ai dit…

– …que lorsque deux personnes s’aiment, et s’il y a bien existence d’une force divine, que cette dernière se moque bien de qui elles sont et de ce à quoi elles ressemblent et les laisse vivre leur vie sans jugement. C’est bien ça ? demanda Kate, soupirant intérieurement de soulagement.

Emma acquiesça et elle poursuivit :

– L’association catholique et homosexuelle n’est pas toujours facile à vivre, répondit-elle dans un triste sourire. T’entendre dire ce genre de choses… ça ne laisse pas insensible.

– Je suis bien contente alors, répondit Emma dans un sourire avant de froncer les sourcils. Mais… pourquoi est-ce que tu ne m’en as jamais parlé alors ? T’avais peur que je le prenne mal ?

Kate détourna le regard, embarrassée, avant de se racler maladroitement la gorge :

– Tu te souviens de ton premier jour ici ?

– Quand on s’est rencontrée ?

– Hmm. Tu m’as demandé pour quelle raison j’étais ici.

Emma répondit, confuse :

– Oui, et ? Où veut-elle en venir ?

– Tu te souviens de ce que je t’ai répondu ?

Emma réfléchit un instant :

– Eh bien... tu m’as dit que… tu me raconterais ton histoire une fois que je t’aurais raconté la mienne.

Kate sourit légèrement :

– C’est ça.

– Mais je ne comprends pas, répondit Emma, les sourcils froncés, avant de réaliser : Oh, ton homosexualité a un lien avec ta présence ici ?

Kate hocha légèrement la tête et elle poursuivit :

– Et tu vas me le raconter.

– C’est ça.

– Mais je ne t’ai pas raconté mon histoire, répliqua Emma avec prudence.

Kate l’observa un instant avant de baisser les yeux sur leurs mains liées :

– C’est pas grave. Je sais que je peux te faire confiance, c’est tout ce qui importe, répondit-elle avant de la regarder à nouveau. Et puis tu m’as déjà raconté un morceau de ta vie, tu te souviens ? Ce serait simplement juste pour moi que de te renvoyer la pareille.

– D’accord, répondit Emma en hochant légèrement la tête. Si c’est ce que tu veux, je t’écoute.

Kate acquiesça avant de poursuivre d’une voix gênée :

– J’étais donc en couple avec une fille. Seulement, c’était pas n’importe quelle fille, c’était... hum, c’était Cassie. 

Le nom eut à peine passé la barrière de ses lèvres qu’elle sentit aussitôt Emma se figer à ses côtés, avant de redresser vivement la tête, les sourcils haussés.

– Cassie, comme… LA Cassie ? La peste qui me pourrit la vie ?!

– Hmm, oui ? grimaça Kate de plus en plus mal à l’aise.

Abasourdie, Emma se contenta de l’observer bêtement avant de se redresser d’un bon et faire les cent pas dans la pièce.

– Oh merde. Oh merde, oh merde, oh merde, répéta-t-elle en se passant une main nerveuse dans les cheveux. Mais… comment ? Je veux dire, c’est une garce !

– Elle n’est pas… enfin, elle n’était pas comme ça, tempéra Kate avant d’ajouter lorsqu’elle vit Emma l’observer d’un air sceptique. Je t’assure. Je la connais depuis toujours, on vivait dans le même arrondissement à la capitale, on a côtoyé le même groupe, on a eu les mêmes fréquentations… Elle n’était pas du tout celle qu’elle est devenue aujourd’hui.

Emma se mordit l’intérieur de la joue avant de venir prendre place en face de Kate, sur la table basse :

– Qu’est-ce qui a changé alors ?

– Beaucoup de choses, répondit Kate, visiblement amère. Comme tu le sais, nos parents font partie des grandes fortunes du pays, le père de Cassie est à la tête d’un grand Groupe Industriel principalement présent dans le secteur militaire et, étant les futures héritières, nous devions être le parfait exemple du pays et avoir une image irréprochable. En soi, certainement pas lesbienne. Pour ces gens si conservateurs, ça aurait été la fin du monde. Même si la belle-famille jouait dans la même cour…

« Cassie, en ce qui la concernait, refusait que ça s’apprenne car mis à part son refus de s’engager avec les prétendants vers lesquels ses parents pouvaient la diriger, elle acceptait volontiers tout le reste. Pour ma part, j’étais à peu près dans le même état d’esprit. Etre à la tête du Groupe ne me répulsait pas, j’avais de toute façon aucune idée de ce que je voulais pour mon avenir, et le reste du temps, j’avais Cassie à mes côtés alors...

Kate s’interrompit un instant avant de poursuivre :

– On était donc d’accord pour garder notre histoire secrète, et accepter tout le reste, mis à part les prétendants.

– Mais ça ne s’est pas passé comme prévu..., devina Emma, surprise de réaliser combien le fait que Kate parle de Cassie en bien la dérangeait.

Un triste sourire apparut sur le visage de Kate :

– Non, en effet, acquiesça-t-elle avant de reprendre plus sombrement. Cassie était venue chez moi pour réviser un mercredi après-midi. Tu te doutes bien que ce n’était qu’un prétexte pour se voir, et alors que nous étions en train de… enfin, hmm, tu vois ? demanda-t-elle en se frottant maladroitement la joue.

Emma l’observa, confuse, avant de se sentir aussitôt rougir lorsqu’elle remarqua l’air embarrassé qui habitait le visage de Kate :

– Oh. Euh, oui, oui je vois, bredouilla-t-elle. Un scrabble.

Kate qui s’apprêtait à poursuivre s’interrompit et haussa les sourcils.

– Quoi ?

– Ben tu sais, un scrabble, répéta Emma en insistant bien sur le mot et en lui offrant un regard appuyé. 

Kate continua à la fixer bêtement et elle remua une main dans les airs :

– Oublie.

– Un scrabble, répéta Kate silencieusement. Le sexe, ça te fait penser à un scrabble ?

Emma appuya aussitôt ses coudes sur ses genoux afin de cacher son visage entre mains :

– Non, rit-elle légèrement. Mais parfois, lorsque les gens parlent de scrabble, ils sous-entendent du sexe. Tu sais, la phrase… « On fait un scrabble ? »

– Ah… et ils comptent les points aussi ?

Emma lui mit aussitôt une main sur les lèvres :

– Poursuis ton histoire, d’accord ? ordonna-t-elle avant de secouer la tête. Ça m’apprendra à ne pas réfléchir avant de parler.

Kate lui tira aussitôt la langue une fois libérée :

– Il n’empêche que je vais y réfléchir à deux fois lorsque je proposerai à quelqu’un de jouer au scrabble.

– Kaaaate, se plaignit aussitôt Emma d’une voix trainante.

– D’accord, d’accord, répondit Kate en levant les mains en signe d’apaisement. Bon, j’en étais où ? Ah oui, le meilleur moment de ma vie... J’étais donc avec Cassie ce jour-là, et pour éviter d’être entendues au cas où quelqu’un se déciderait à passer dans le couloir, j’avais mis de la musique, seulement à cause de ça, aucune de nous n’a entendu les pas qui se rapprochaient dans l’escalier, et encore moins la porte qui s’ouvrait soudainement.

Elle secoua légèrement la tête, revoyant la scène comme si c’était hier :

– Mon paternel était fou de rage. Il s’est mis à hurler tout un tas d’insanité avant de se retourner et nous dire de nous rhabiller, puis a demandé, ou plutôt ordonné à Cassie de rentrer chez elle, avant d’ajouter d’un ton ironique que Dame de Lonay allait téléphoner à ses parents afin de les prévenir de l’immondicité qu’ils venaient de surprendre.

Elle s’interrompit avant de lever les yeux vers Emma :

– C’était la dernière fois que je la voyais. Mon père m’a mis la raclée de ma vie et deux jours plus tard, j’assistais à ma dernière soirée mondaine où je les ai passablement embarrassés, avant de débarquer ici. J’ai pas eu de nouvelles de mes parents depuis.

Ses paroles à peine terminées, Emma regagna sa place sur le canapé afin de se glisser au creux de ses bras. Avec le temps, elle avait fini par apprendre à lire ce que Kate ne disait pas. Ce qu’elle avait vécu, et même si Emma sentait qu’il y avait plus à l’histoire, était particulièrement rude. Les personnes les plus proches d’elle lui avaient tout simplement tourné le dos et Emma pouvait sentir qu’au fond, Kate en avait été profondément blessée. Peut-être même plus qu’elle ne l’imaginait.

Elle leva les yeux vers elle avant de répondre, le ton incroyablement sérieux :

– Je suis désolée que tes parents aient réagi comme ça, et je suis encore plus désolée qu’ils aient fait subir une chose aussi monstrueuse et ce à leur propre fille. C’est honteux, et injuste,  surtout quand cette dernière est aussi brillante, intelligente et adorable.

Elle s’apprêtait à poursuivre lorsque le faible murmure de Kate l’interrompit :

– Tu le penses vraiment ?

Emma leva les yeux vers son visage et elle fut aussitôt surprise de voir combien Kate paraissait soudainement vulnérable. Une vague de colère s’empara d’elle à l’encontre de ses géniteurs, mais elle décida de l’ignorer pour prendre la main de Kate dans la sienne et entremêler leurs doigts. Elle répondit, le regard fixé dans le sien :

– Bien sûr que je le pense Kate, tu es tellement… tellement douce, sensible, attentionnée, protectrice. Regarde ce que tu as fait ce soir quand tu as découvert ce que Cassie et ses acolytes m’ont fait. Tu es quelqu’un de bien, ne laisse jamais personne te faire croire le contraire.

Rendue muette par l’émotion, Kate se contenta de hocher la tête avant de la reprendre dans ses bras et la serrer fort contre elle.

Longtemps.

Très longtemps.

Avant de finalement murmurer contre les cheveux blonds :

– Merci. T’es pas mal non plus tu sais.

Emma rit légèrement avant de reprendre sa place au creux de son cou. Elle ne savait pas comment s’expliquer ce besoin tactile qu’elle avait soudainement, même si elle soupçonnait fortement les derniers évènements d’y être pour quelque chose, mais elle n’avait en tout cas certainement pas l’intention de se priver. Et puis Kate avait besoin d’elle, après tout, et maintenant plus que jamais, alors elle se devait de lui apporter son soutien, pas vrai ?

Les minutes s’écoulèrent, chacune plongée dans leurs pensées, avant qu’Emma ne reprenne la parole.

– Tu as parlé d’embarras tout à l’heure, quand tu as mentionné ta dernière soirée mondaine… qu’est-ce que tu as fait ?

Kate sentit aussitôt un sourire se dessiner sur ses lèvres :

– Je me suis présentée uniquement vêtue d’un soutien-gorge et d’un string assortis.

Emma haussa les sourcils avant de se redresser de manière à pouvoir la regarder :

– Devant tout le monde ?!

– Hmm. J’avais pas revu Cassie depuis que mes parents nous avaient surprises, et je doutais fortement d’avoir l’occasion de la revoir à nouveau. Autre que dans un cadre officiel, du moins. Alors… j’ai passé les pires quarante-huit heures de toute ma vie, j’avais plus goût à rien, j’étais déprimée, et en colère…

Elle fronça les sourcils :

– Je crois surtout que j’étais loin d’avoir réellement conscience de ce que je faisais, admit-elle avant qu’un sourire diabolique n’apparaisse sur ses lèvres. Mais je les ai vraiment mis hors d’eux.

– Et c’est pour ça qu’ils t’ont envoyée ici ? Parce que tu t’es… rebellée ?

Kate secoua négativement la tête :

– Oh non, mon départ pour La Lumeda était déjà prévu depuis l’incident avec Cassie, répondit-elle avant de prendre un ton amer. Ils voulaient simplement que je sois présente à leur soirée de charité en faveur de la lutte contre le cancer du sein, parce qu’en tant qu’unique héritière, j’étais sensée faire le discours cette année-là.

– Oh. Pas cool, grimaça Emma avant de demander : Votre histoire s’est terminée comme ça alors, avec Cassie ?

– Non, ça n’a pas été aussi simple, répondit Kate. Lorsque je suis arrivée à La Lumeda, Cassie y était déjà, et bon sang, je n’ai jamais été aussi heureuse que de me retrouver dans cette pension, sourit-elle ironiquement. Nos familles se trouvant à des milliers de kilomètres, j’ai vraiment cru qu’on allait enfin pouvoir être tranquille, et vivre notre petit bonheur sans encombre. Il nous suffisait juste d’être prudentes.

– Mais une fois encore, ça ne s’est pas passé comme prévu...

Kate secoua tristement la tête :

– Non, tu as raison.

– Que s’est-t-il passé ? demanda Emma, la curiosité présente dans la voix.

– Eh bien, Cassie est allée trop loin. Et je ne l’ai pas supporté.

 

La Lumeda. Vendredi 04 Avril 2003.

Plus qu’une marche… euh, une marche ou deux ? Oooh, ça bouge…

Le corps en appui contre le mur, Kate laissa sa tête y reposer un instant, appréciant la sensation du froid contre sa peau. Le monde tournait autour d’elle et elle se sentait nauséeuse, en plus du mal de tête qui commençait à lui marteler les tempes et des remontées acides qui la faisaient grimacer de temps à autre. Beuh, promis, plus jamais je ne toucherai à une goutte d’alcool…, gémit-elle intérieurement avant de descendrela dernière marche avec difficulté puis s’engager dans le couloir.

Quelques chutes plus tard, elle arriva enfin à destination et fut aussitôt surprise de voir la porte s’ouvrir à peine le premier coup de poing donné.

– Hé Cass’…

– Bon sang mais qu’est-ce que tu fabriquais ? soupira aussitôt Cassie avant de s’écarter pour la laisser entrer. Je t’ai attendue pendant trois heures ! Ça t’aurait tuée de me prévenir si tu avais autre chose de prévu ?

– J’ai pas vu… le temps passer…, marmonna Kate tout en se dirigeant tant bien que mal vers le salon.

Cassie l’observa tituber jusqu’au canapé avant de froncer les sourcils :

Kate pourquoi est-ce que tu… tu as bu ? s’exclama-t-elle finalement tout en s’approchant.

– Wahoo et toi t’es devenue devin pendant la nuit, ironisa aussitôt Kate tout en se retournant pour lui faire face.

Surprise par le ton employé, Cassie haussa les sourcils avant de s’emparer de sa main et l’entraîner avec elle vers le canapé :

– Tu veux bien m’expliquer ce qu’il se passe là ? demanda-t-elle une fois assise, un air mêlant inquiétude et perplexité sur le visage.

– Hein ? demanda Kate en haussant les sourcils.

Cassie soupira :

– Je t’ai attendue toute la soirée, et toi tu débarques, trois heures plus tard, complètement torchée. Tu m’expliques ?

– Oh, ça…

– Oui ça ! s’exclama Cassie en levant les mains avant de les laisser retomber sur ses cuisses, sa patience ayant atteint ses limites. Bon sang Kate, mets-y un peu du tien, tu veux ?

Le ton de sa voix eut l’effet d’un électrochoc sur elle et Kate se redressa aussitôt, la mâchoire serrée :

– Je suis encore libre de faire ce que je veux, non ? répondit-elle sèchement. Oh non… excuse-moi, c’est toi ça, suis-je bête, moi je ne suis que le petit toutou qui doit obéir au doigt et à l’œil !

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? demanda Cassie, confuse.

– Ce que je raconte ? Je t’ai vue avec ce type cet après-midi, belle couverture. Ça fait quoi ? La troisième, ce mois-ci, non ?

Cassie évita soudainement son regard avant de soupirer :

– J’ai pas le choix, Kate.

– Pas le choix ? Oh si, tu l’as, et tu le sais très bien. Ce que je ne comprends pas par contre, c’est pourquoi t’as constamment besoin d’une satanée couverture ?! Le célibat c’est pas pour les chiens, bordel !

Cassie releva aussitôt la tête vers elle, le regard suppliant :

– Je t’en prie Kate, les gens vont finir par se poser des questions si je passe mon temps à repousser tout le monde, tu le sais. Mon père –

– Oh oui, ton père, encore, l’interrompit Kate, le ton moqueur. Ça faisait longtemps tiens ! Mais dis-lui merde Cassie ! Il t’a envoyée ici, tu crois qu’il en a quelque chose à foutre de ce que tu fais maintenant ?

Une main s’abattit violemment sur sa joue et Kate resta un instant interdite avant de tourner à nouveau la tête vers Cassie, le visage impassible.

– Oh merde, murmura Cassie, son regard passant alternativement de sa main la joue de Kate, abasourdie par le geste qu’elle venait d’avoir. Kate, excuse-moi, je suis vraiment désolée, je…

Elle passa une main sur son visage avant de soupirer :

– Ecoute, reprit-elle plus calmement. Je n’ai pas d’autres choix, si les gens apprennent –

– Arrête Cassie, répondit Kate avant de se redresser, sa colère apparaissant à nouveau. Tu peux, pour toi, pour nous. Tu choisis juste de ne pas le faire. C’est toujours comme ça avec toi, ce que les gens pensent, ce que ton paternel pense.

Elle secoua la tête, désabusée :

– Eh bien tu sais quoi ? Va te faire voir Cassie, j’en ai plus rien à foutre.

Sur ce, elle lui tourna le dos et se dirigea vers la porteaussi vite que ses pieds le lui permirent, ignorant tant bien que mal la voix suppliante de Cassie qui résonnait derrière elle, avant de sentir son cœur se serrer dans sa poitrine lorsqu’elle remarqua la tristesse qui y transparaissait. Serrant des dents, elle laissa sa tête retomber contre le battant de la porte avant de murmurer d’une voix douloureuse :

– Tu ne t’imagines même pas ce que ça me fait de te voir avec tous ces types, gémit-elle, les images envahissant son esprit malgré elle.

– Tu n’étais pas censée le découvrir, renifla Cassie, désormais près d’elle.

Ses mots pénétrèrent son esprit et Kate releva soudainement la tête afin de pouvoir la regarder, aussitôt surprise d’apercevoir les larmes qui coulaient silencieusement sur son visage. Légèrement déstabilisée, elle détourna un instant les yeux avant de la regarder à nouveau.

– Et c’est censé me faire sentir mieux ? demanda-t-elle, incrédule.

– Non, répondit Cassie. Mais ça nous aurait évité d’en arriver là.

Kate secoua la tête, incrédule :

– Tu m’as menti, et tu es en train de me dire que tu aurais préféré continuer.

Elle prit une inspiration tremblante :

– Je dois être en train de rêver, c’est pas possible.

– Kate, s’il te plaît, j’ai jamais voulu ça, répondit Cassie la voix brisée avant de venir encadrer son visage de ses mains. On peut… on peut y arriver. C’est juste… c’est pour de faux, je ne fais rien avec ces types Kate, c’est… tout est faux, s’il te plaît, fais-moi confiance…

Des sanglots l’interrompirent et elle s’essuya les joues d’un revers de main avant de lâcher dans un souffle :

– Me laisse pas Kate, s’il te plaît, me fais pas ça…

Ne supportant plus la vue qui s’offrait à elle, Kate entoura à son tour le visage de Cassie de ses mains et caressa tendrement ses joues de ses pouces avant de plonger son regard dans ces yeux bleu azur qu’elle connaissait par cœur.

– Je te demande juste d’être avec moi Cass’, juste avec moi, murmura-t-elle difficilement, sa voix rendue de plus en plus faible à cause de la boule qui lui obstruait la gorge. Est-ce que tu peux me promettre ça ?

Il y eut un léger silence avant que Cassie ne baisse les yeux et ne murmure d’un ton résigné :

– J’ai pas le choix, Kate, renifla-t-elle. S’il te plaît, comprends ça.

Kate secoua la tête puis retira doucement ses mains avant de se reculer, ignorant tant bien que mal la douleur dans sa poitrine et sa vue qui se brouillait de plus en plus.

– Non, répondit-elle calmement. Non, je ne peux pas comprendre ça.

Elle fit une pause avant de lâcher dans un souffle :

– C’est fini Cassie, je ne veux plus rien avoir à faire avec toi.

Elle n’attendit pas de réponse et quitta aussitôt la pièce, ses jambes la portant sur quelques mètres avant qu’elle ne s’effondre lamentablement sur le sol, et que les sanglots durement retenus ne s’emparent d’elle dans des gémissements déchirants.

Pour la première fois de sa vie, elle ne s’était jamais senti aussi seule, ni aussi malheureuse.

 

Aujourd’hui.

– Elle comptait travailler au sein du Groupe de son père une fois sortie de La Lumeda et ses études terminées, ainsi que s’engager auprès d’un bon parti pour ne pas éveiller les soupçons sur notre relation. En ce qui me concerne, il en était hors de question. Je n’arrivais même pas à croire qu’elle puisse me faire ça. Alors j’ai dit stop.

– Mais quelque chose me dit que ça ne s’est pas terminé aussi simplement, répondit Emma.

Kate soupira.

– Elle est venue s’excuser quelques jours plus tard, mais ma décision était prise et définitive. Je ne supportais plus sa façon d’agir, on avait pas les mêmes priorités et on aurait fini par se détruire. Elle n’a pas sauté au plafond, mais elle n’a pas insisté non plus. Je pensais qu’elle avait accepté ma décision mais… 

– Mais ?

Kate hésita avant de lever les yeux vers Emma :

– Ton arrivée ici m’a prouvé le contraire.

– Comment ça ? s’étonna aussitôt Emma, les sourcils haussés.

Kate se tourna légèrement de manière à lui faire face :

– Emma, ce qu’il s’est produit tout à l’heure, ce qu’elle te fait subir depuis le début de l’année... c’est à cause de moi. Et crois-moi, j’en suis sincèrement, sincèrement désolée, je n’aurais jamais cru qu’elle puisse aller aussi loin, si j’avais su…

– Attends, attends, l’interrompit Emma en levant une main. Qu’est-ce qui te fait dire que si elle fait tout ça, c’est à cause de toi ?

– Parce que tu es proche de moi, répondit aussitôt Kate en détournant le regard.

Emma secoua légèrement la tête :

– Je ne comprends pas… elle tient toujours à toi ?

– Je… je sais pas, hésita Kate. Sa façon d’agir me laisse à penser que oui. Pourquoi le ferait-elle sinon ? Parce que honnêtement, son histoire de mondes différents et de personnes qui ne devraient pas se fréquenter… j’ai du mal à croire qu’elle fasse tout ce cinéma rien que pour ça. Elle le pense peut-être, mais à mon avis, ce n’est qu’un prétexte pour t’éloigner de moi. Jusqu’à présent, j’ai toujours été seule ici et elle ne m’a prêté aucune attention depuis que j’ai mis fin à notre histoire. Et puis tu arrives, et elle se met aussitôt à te harceler pour que tu restes loin de moi. Sans compter qu’elle a choisi ce jour précis, jour de mes un an ici, pour me passer un message par ton intermédiaire.

Emma haussa les sourcils, sceptique :

– Donc je viens de me faire raser l’arrière de la tête… juste parce qu’elle croit qu’on est ensemble ?

Kate hocha positivement de la tête.

– Je pense qu’au fond d’elle, elle n’a cessé de croire que je finirais par revenir. Et en me voyant avec toi, elle a dû finir par comprendre que non.

Emma resta silencieuse un instant, ses pensées défilaient à mille à l’heure dans son esprit. Comme dans son ancien lycée, elle s’était persuadée que sa différence avait de nouveau fait d’elle une cible facile et elle n’avait pas cherché plus loin. Après tout, comment l’aurait-elle pu ? Mais Kate lui offrait soudainement une vision complètement différente et si ce qu’elle pensait était véridique, c’était cette fois-ci la jalousie, la possessivité d’une autre qui avait fait d’elle une victime. En y réfléchissant, elle dut bien s’avouer que cela ne l’étonnait même pas, elle savait mieux que personne à quel point les gens pouvaient parfois faire preuve de cruauté et elle décida que quelle qu’ait été la raison de ses actes, cela ne changeait rien pour elle. Au final, la douleur était la même.

– Ça fait longtemps que tu en as déduit tout ça ? demanda-t-elle enfin.

Il y eut un léger silence avant que Kate ne réponde.

– Disons que ce qui s’est passé ce soir a confirmé mes soupçons. Ecoute Emma, je suis vraiment désolée. Je sais que tout ça est de ma faute et –

– Kate, s’il te plaît, la coupa soudainement Emma. Cette fille est complètement malade, tu n’es en rien responsable de ses actes. Alors je t’en prie, ne te sens pas coupable de ce qu’elle a pu faire.

– Elle te fait vivre un enfer parce que je suis amie avec toi !

– Et alors ? Je suis amie avec toi aussi, non ? pointa aussitôt Emma, un sourcil haussé.

Kate commença à protester avant de simplement soupirer :

– Dans tous les cas, c’est la dernière fois qu’elles s’approchent de toi.

– Je l’espère, répondit Emma en reposant sa tête contre son épaule.

Ce qu’elle ignorait, c’était que Kate, pour sa part, était on ne peut plus confiante. 

💕

Allongée sur son lit, les couvertures remontées jusqu’au menton, Emma observait d’un air absent les reflets de la lune qui filtraient à travers les volets et venaient s’écraser sur le plafond. Là où elle s’était attendu à passer une nuit blanche à cause de son passé qui ne s’était pas gêné pour venir la hanter pendant la soirée, c’était en fait l’histoire de Kate qui lui torturait les méninges.

Elle avait appris beaucoup de choses sur sa colocataire ce soir, certaines l’avaient mise hors d’elle, d’autres l’avaient surprise, d’autres encore l’avaient presque émue jusqu’aux larmes. Et pourtant, ce qu’elle retenait de tout ça, c’était qu’elle se sentait encore plus proche de Kate, si cela était possible. Sa colocataire lui accordait visiblement une confiance aveugle, et pour Emma, ce genre de chose n’avait pas de prix. Car c’était bien là-dessus que se basaient les relations les plus profondes, après tout. Et avec ce qu’elle avait vécu dans son ancien lycée, Emma chérissait ce nouveau lien à un point inimaginable.

Pourtant, il y avait encore un point qui la tracassait, et lorsqu’elle entendit sa colocataire remuer dans son lit à quelques mètres d’elle, elle ne put s’empêcher d’appeler :

– Kate ?

La forme recroquevillée sous les couvertures se figea avant qu’une voix ne lui parvienne :

– Hmm ?

– Tu dors ?

– J’essaye.

– Oh. Je peux te poser une question ?

Kate se tourna de manière à lui faire face :

– Tu n’as pas sommeil ? demanda-t-elle avant de prendre appui sur un coude

– Non, répondit Emma. Enfin si, mais quelque chose me tracasse.

– Ah ? Qu’est-ce que c’est ?

– Pourquoi vous avoir envoyées toutes les deux ici ? Cassie et toi.

Kate afficha aussitôt un sourire à peine visible dans l’obscurité :

– Mon histoire t’a vraiment captivée, hein ? taquina-t-elle avant de hausser les épaules. Tout le monde rêve d’avoir ses enfants à La Lumeda, et ils pensaient surement que si on se faisait surprendre ici, les sanctions nous arrêteraient bien vite. Mais, à mon avis, ils voulaient surtout ne plus nous avoir sous leurs yeux. Voir tous leurs espoirs être réduits à ça... on ne peut pas dire que cela leur ait fait très plaisir.

– Ils auraient pu l’accepter, rétorqua calmement Emma. Je veux dire, mis à part le fait que tu n’épouserais pas un homme, ça ne changeait rien à ce qu’ils avaient prévu pour toi.

– Hmm, mais ça aurait changé la façon dont les gens auraient posé leur regard sur eux, sur le Groupe. Ils auraient pu perdre beaucoup.

– Alors ils ont préféré sauver leur image, leur petit confort au détriment de leur propre fille, remarqua Emma avant de soupirer. Tes parents devraient avoir honte d’eux-mêmes.

Emma ne put pas le voir dans l’obscurité, mais ses paroles touchèrent Kate bien plus qu’elle ne l’aurait cru possible et elle se retrouva un instant à s’essuyer discrètement les yeux avant de répondre :

– Ce n’était qu’une question de temps, tu sais. Même s’il n’y avait pas eu Cassie, même si je n’avais pas été lesbienne, ça aurait été autre chose.

– Comme ton avenir professionnel ? devina Emma.

– Exactement, acquiesça Kate. Je sais que j’ai des responsabilités auprès de mes parents, mais je n’ai pas envie de vivre leurs rêves.

– Hmm. Tu sais que je t’admire pour ça ?

Les paroles d’Emma lui parvinrent et Kate sentit aussitôt ses sourcils grimper sur son front :

– M’admire ? s’exclama-t-elle, incrédule. Après ce qui s’est passé ce soir, tu m’admires ?

– Ce qui s’est passé ce soir n’est en rien ta faute, la coupa aussitôt Emma. Je suis sérieuse Kate, ne va pas te sentir coupable à la place des autres.

Un léger silence s’installa avant que Kate ne reprenne la parole :

– Emma ?

– Hmm ?

– Je suis contente d’être ici, tu sais.

– Parce que tu n’as plus besoin de jouer la comédie, ni tes parents sur le dos ?

Kate lâcha un rire avant de reprendre son sérieux :

– Oui. Mais surtout, parce que tu es là. Tu… tu comptes beaucoup pour moi, Emma.

De l’autre côté de la pièce, Emma sentit l’émotion la gagner et lorsqu’elle sentit les larmes lui monter aux yeux, elle ne les essuya pas, leur signification étant tellement à l’opposé de celles qu’elle avait si souvent versées.

– Tu comptes beaucoup pour moi aussi, Kate.

De l’autre côté de la pièce, elle vit Kate lui sourire franchement et elle sut aussitôt en reposant sa tête contre l’oreiller, qu’elle n’allait désormais avoir aucun mal à trouver le sommeil profond.

Publicité
Publicité
<< < 10 11 12 13 14 15 16 > >>
Publicité