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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

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  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

1 septembre 2011

Chapitre 4

Mardi 16 Septembre 2003.

Le cœur battant à tout rompre, la gorge sèche, Kate ignora les gouttes salées qui dégoulinaient sur son front, le long de son dos et sous ses bras pour se concentrer sur ses foulées puissantes et régulières qui épuisaient son corps et vidaient son esprit de la manière la plus agréable qu’il soit.

Au-dessus d’elle, le jour faisait timidement son apparition et lorsqu’elle regarda devant elle, elle réalisa que le sentier aménagé faisant le tour de la propriété arrivait à sa fin et elle ralentit son allure avant de finalement s’arrêter, s’accordant quelques étirements avant de prendre appui contre le mur du gymnase. Les yeux clos, le corps en feu, elle attendait patiemment de reprendre son souffle lorsqu’elle entendit quelqu’un approcher.

– Je vais finir par croire que tu t’entraînes pour le marathon, dit la voix, taquine.

Soulevant une paupière fatiguée, Kate accepta avec grand plaisir la bouteille d’eau et la serviette blanche qu’Eva lui tendait avant de répondre :

– Et toi alors, c’est comme ça que tu travailles ? charria-t-elle à son tour.

– Il n’est pas encore 8h, répondit aussitôt Eva en lui tirant la langue.

Kate lâcha un rire avant de lui faire signe de la tête de la suivre ; les muscles de ses jambes la tiraient et elle avait besoin de marcher un peu.

– Combien cette fois-ci ?

– Cinq, répondit Kate en s’essuyant le visage à l’aide de sa serviette avant de la passer autour de son cou.

– Oh… c’est moins que les sept kilomètres de l’année dernière dis donc, taquina aussitôt Eva.

– Les vacances sont passées par là, répondit Kate, avant de grimacer lorsqu’elle s’étira le dos. La reprise est un peu plus difficile que je ne l’aurais cru.

Eva leva aussitôt les yeux au ciel :

– Ah ces jeunes, toujours en train de se plaindre...

Kate menaça aussitôt de lui faire un gros câlin plein de sueur et elle éclata de rire lorsqu’Eva s’écarta aussitôt de plusieurs mètres. De toutes les personnes qui travaillaient à La Lumeda, Eva était la seule avec laquelle elle avait tissé des liens d’amitié. Ce qui n’était pourtant pas gagné d’avance, car même si ce genre de relations n’étaient pas interdites entre surveillants et élèves, les employés de la pension faisaient en général toujours en sorte de ne pas dépasser une certaine limite, de manière à pouvoir exercer leur autorité sans difficultés. Et c’était justement le genre de politique qu’Eva, en tant que surveillante principale, s’était promis de toujours respecter. Seulement un événement survenu quelques jours après l’arrivée de Kate dans l’établissement l’avait amené à faire une exception. Et pour ce que Kate en savait, aucune d’entre elles ne le regrettait, bien au contraire.

– Alors dis-moi, la colocation, comment ça se passe ? reprit Eva une fois calmée.

Kate haussa les épaules :

– Ça se passe, répondit-elle avant de prendre une longue gorgée de sa bouteille d’eau.

– T’as enfin une colocataire, et c’est tout l’effet que ça te fait ? s’étonna Eva.

Kate lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– Tu sais très bien ce que ça signifie, Eva. Comment veux-tu que je m’en réjouisse ?

– Kate..., soupira aussitôt Eva. Peut-être ont-ils simplement décidé de te faire confiance ? tenta-t-elle.

Kate se contenta de la fixer et Eva leva les mains en signe d’interrogation :

– Quoi ?

– Mes parents auraient confiance en moi, je ne serais pas ici, répondit Kate, visiblement irritée. Et s’ils n’ont pas émis d’objections à ce que je partage l’appartement avec quelqu’un d’autre, c’est qu’ils n’en ont plus rien à faire.

– Kate, dis pas ça. Ils ont peut-être simplement foi en la politique de l’établissement. D’autant plus que tu as eu un comportement exemplaire l’année dernière.

Kate lâcha un rire dénué humour avant de ramasser quelques cailloux qu’elle jeta devant elle au fur et à mesure qu’elles avançaient.

– C’est parce que tu couvrais mes arrières quand j’en avais besoin.

Eva grimaça, sachant très bien que c’était la vérité.

– Eh bien… l’école les a peut-être obligés, ça faisait une place de perdue après tout, proposa-t-elle. Tes parents ont eu de la chance que ça passe pendant une année. 

– Peut-être, admit Kate avant de simplement secouer la tête. Tu sais, au final, je crois que ça m’est égal.

Eva tourna aussitôt la tête dans sa direction avant de poser une main sur son bras afin qu’elle s’arrête.

– T’es sérieuse ? s’étonna-t-elle.

– Ça va faire huit mois que j’ai pas de nouvelles, Eva… 

– Tu n’as pas cherché à en prendre non plus.

Kate serra des dents avant de recommencer à marcher :

– Après ce qu’ils m’ont fait, je pense que c’est légitime, non ?

– Kate... je ne disais pas ça pour les défendre, tempéra Eva en posant une main son épaule. Seulement, et que ça te plaise ou non, ça reste une route à double sens. Si ça se trouve, c’est juste leur fierté qui les empêche de faire le premier pas. Tout comme toi.

Kate secoua aussitôt la tête.

– Non, ce qui m’empêche de faire le premier pas, c’est qu’ils m’ont blessée Eva, ils sont allés trop loin. Et même s’ils s’excusaient, ça ne changerait rien. Ils n’acceptent pas et je n’ai pas envie de changer. Je peux pas changer, et même si je le pouvais, je le ferais pas, et certainement pas pour eux.

La douleur que Kate ressentait transparaissait cruellement à travers ses mots et Eva prit sa main dans la sienne avant d’y exercer une légère pression.

– Ils ont peut-être simplement besoin de temps…, tenta-t-elle à nouveau. 

Kate secoua légèrement la tête avant d’afficher un sourire et elle embrassa Eva sur la joue :

– Tu sais tout aussi bien que moi que le temps n’y changera rien, mais merci d’essayer de me remonter le moral.

– Bah, qui ne tente rien, n’a rien, non ? répondit Eva, souriant à son tour. Bon, et la colocataire alors ?

– Quoi la colocataire ?

– Ben, vous vous entendez bien ?

– Oui, ça va.

– Mais… ?

Kate soupira :

– Elle ne vient pas du même univers que nous.

– Et… ?

Kate lui jeta un rapide coup d’œil avant de regarder devant elle :

– Et j’ai peur que certaines personnes lui rendent la vie difficile. Cassie s’en est déjà plus ou moins chargée. Heureusement que je me trouvais au bon endroit, au bon moment.

Eva haussa les sourcils.

– Cassie ? s’étonna-t-elle. Tiens, je ne m’attendais pas à ça d’elle…

– Mais d’un autre, si, enchaîna Kate en lui offrant un regard appuyé.

Eva détourna le regard avant de répondre :

– Oui, admit-elle avant de rapidement lever les mains en signe d’apaisement lorsqu’elle sentit Kate commencer à s’énerver. Ecoute ce qui est fait est fait, on aura beau en dire ce qu’on veut, on ne pourra rien y changer. Par contre, ce qu’on peut faire, c’est s’assurer qu’Emma puisse étudier dans les meilleures conditions possibles.

Kate plissa des yeux :

– Pourquoi est-ce que j’ai l’étrange impression que quand tu dis ça, tu penses à moi ?

Eva afficha un air innocent et Kate porta aussitôt ses mains à ses hanches :

– Quoi ?

– Eh bien... il se pourrait que ce soit justement pour cette raison qu’elle a été placée dans ta chambre...

– Laisse-moi deviner, répondit Kate en se pinçant l’arête du nez. Et cette raison, elle vient de toi, et toi seulement, c’est ça ? T’as fait en sorte qu’elle soit placée avec moi parce que tu savais que comme ça, elle serait au moins tranquille chez elle.

Eva grimaça légèrement :

– Oui... ?

Kate soupira avant de légèrement secouer la tête :

– Je suppose que j’aurais dû le voir venir, c’est toi qui m’as informée de sa venue, après tout.

– Kate, sois pas en colère s’il te plaît, la supplia aussitôt Eva en lui coupant la route avant de poser ses mains sur ses épaules. Quand j’ai vu sa situation, j’ai aussitôt su qu’il y aurait de grandes chances pour qu’elle connaisse des difficultés d’intégration. Et crois-moi, j’ai fait tout mon possible pour refuser sa candidature ; avec ses résultats, elle aurait pu intégrer n’importe quel autre établissement. Mais tu connais Madame L’Impératrice, elle n’a pas voulu laisser passer ça.

Même si elle était en colère, Kate ne put néanmoins s’empêcher de sourire. « Madame L’Impératrice » était en réalité la directrice de l’établissement, une femme qu’Eva, et la plupart des personnes résidant à La Lumeda, ne pouvaient pas supporter parce que trop autoritaire et arrogante.

– Tu comprends bien, l’établissement accueillait une élève brillante issue des classes moyennes, ça faisait une publicité d’enfer et montrait l’école sous un nouveau jour.

Kate leva les yeux vers son visage, confuse :

– Quoi ? Histoire de dire, « regardez, on donne sa chance à tout le monde » ?

– En quelque sorte, acquiesça Eva.

– Alors elle a été utilisée pour… une publicité hypocrite ?

Eva grimaça :

– En… quelque sorte, répéta-t-elle à nouveau. Kate, tu sais très bien que La Lumeda est de plus en plus critiquée pour son côté élitiste, et ce n’est pas avec les politiques de discrimination positive que les choses vont s’arranger. Les seuls élèves à être acceptés ici sont des héritiers, des enfants d'industriels, de hauts fonctionnaires et de professeurs. Le système assure la reproduction à l'identique de la classe dirigeante et possédante, il était évident que ça finirait par poser un véritable problème un jour. Je suis même surprise qu’une élève comme Emma n’arrive que maintenant, car l’Etat nous met la pression depuis un moment. Et ce n’est que le début, car on est bien loin des trente pourcents exigés avec une seule élève.

– En clair, elle est utilisée pour que l’Etat lâche du lest à l’école, répondit Kate d’un air dégouté. C’est ça ?

Eva hocha silencieusement la tête et Kate soupira.

– Elle ne mérite pas ça.

– Kate, elle s’est inscrite ici de son plein gré afin d’y décrocher son diplôme, tempéra Eva. Elle devait bien se douter que…

– Que quoi ? Que si l’école n’en tirait pas un certain bénéfice en retour, elle n’aurait jamais été prise ? Elle ne se doute de rien Eva, elle n’a aucune idée dans quoi elle a mis les pieds.

Eva détourna le regard avant de répondre :

– Une raison de plus pour que tu entres en jeu, tu ne crois pas ? demanda-t-elle en relevant les yeux vers Kate.

Kate lui offrit un regard confus et elle précisa :

– Madame L’Impératrice ne voulait pas que ta chambre reste libre une année de plus, et tes parents n’ayant pas refusé le changement, j’ai décidé de la placer avec toi. Je savais qu’elle ne risquerait rien, et puis…

– Et puis ?

Eva hésita avant de répondre :

– Tu es constamment seule Kate, tu as besoin d’amis. Autres que moi, se pressa-t-elle d’ajouter avant que Kate ne l’interrompe. Et en tant que petite nouvelle, elle aussi. Alors oui, je me suis dit que c’était une plutôt bonne idée. Ça me permettait de faire d’une pierre deux coups tout étant bénéfique à chacune de vous.

Kate réfléchit un instant avant de finalement hocher la tête.

– D’accord. Tu as eu raison.

Eva tourna aussitôt la tête dans sa direction, les sourcils haussés :

– C’est vrai ? Tu ne m’en veux pas alors ?

– Pourquoi est-ce que je t’en voudrais ? rétorqua aussitôt Kate, confuse.

– Oh je t’en prie Kate, tu évites les gens comme la peste, il suffit que quelqu’un t’approche d’un peu trop près pour que tu sortes littéralement les griffes. Bon sang, certains te surnomment même la tigresse quand ce n’est pas la femme de glace ! Sans compter ces t-shirts que tu trimbales…

– Hé ! Critique pas mes t-shirts, protesta aussitôt Kate avant de reprendre plus sérieusement. Ecoute, j’aurais eu une autre colocataire quoi qu’il advienne visiblement, non ? Et puis, je n’imagine même pas ce que ça aurait donné si Emma était tombée avec Cassie, grimaça-t-elle. Alors oui, je suis d’accord avec toi. C’était une bonne idée.

Eva l’étudia un instant avant d’arborer un grand sourire.

– Merci, ça me rassure, répondit-elle sincèrement. Donc... mis à part quelques soucis d’intégration la concernant, entre elle et toi... tout se passe bien hein ?

Kate leva les yeux au ciel :

– Oui, tout se passe parfaitement bien, soupira-t-elle, un sourire néanmoins présent sur les lèvres. Promis je ne la ferais pas fuir en courant.

– T’as plutôt intérêt, feignit de la menacer Eva avant de sourire. Allez, maintenant que je suis rassurée, tu peux filer, ajouta-t-elle dans un clin d’œil. Je voudrais pas que tu arrives en retard en cours à cause de moi.

Kate feignit un air blasé puis lui offrit un léger signe de la main avant de s’éloigner. Elle s’interrompit cependant après avoir parcouru quelques pas seulement :

– Eva ? Puisqu’on parle d’Emma, je me demandais... t’aurais pas remarqué quelque chose d’étrange dans son dossier d’inscription par hasard ?

Eva haussa aussitôt les sourcils de surprise :

– D’étrange ? Comment ça ?

– Eh bien, elle prétend s’être inscrite ici de son plein gré alors je me demandais si…

– …son dossier aurait pu indiquer ce qui aurait pu la pousser à prendre une telle décision ?

Kate se contenta de hocher la tête.

– Eh bien... sur ses bulletins, elle a toujours eu des résultats exemplaires, Eh bien souvent des félicitations, mais il y avait quelques remarques sur ceux de l’année dernière ; certains de ses professeurs semblaient lui reprocher sa timidité et son manque d’intégration. Elle est peut-être venue à cause de ça ?

– Tu crois ? répondit Kate, visiblement sceptique. Je trouve ça assez faible pour pousser quelqu’un à avoir envie de venir ici. 

Eva se contenta de hausser les épaules.

– Eh bien si tu veux vraiment le savoir, tu sais ce qui te reste à faire, répondit-elle dans un clin d’œil. Maintenant file, le temps passe, ajouta-t-elle en désignant sa montre.

– Oui madame, marmonna Kate avant de faire demi-tour. Et merci !

Pour toute réponse, Eva se contenta de remuer la main dans sa direction, un faible sourire sur les lèvres.

Emma était peut-être entourée malgré elle de véritables lionnes en mal de chair fraîche, elle savait cependant qu’elle ne risquait rien en compagnie de Kate.

Bien au contraire.

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1 septembre 2011

Chapitre 3

Plus tard dans la journée, Emma fut surprise de retrouver sa colocataire confortablement installée dans le salon lorsqu’elle pénétra dans l’appartement. Même si elle avait reçu son emploi du temps une semaine auparavant, elle et Kate n’avaient pas échangé leurs horaires pour autant et après réflexion, elle réalisa que l’après-midi avait très certainement été libéré pour toutes les sections – Kate étant en série scientifique et elle en économique et social – afin d’y placer les options qui devaient commencer la semaine suivante.

La télécommande dans la main, le bras nonchalamment en appui sur l’accoudoir, Kate ne cessait de zapper tandis que de l’autre main, elle piochait dans un bol ayant élu domicile sur ses cuisses d’un air absent. Mais ce qui attira surtout l’attention d’Emma, outre la douce odeur de popcorns caramélisés à la vanille qui flottait dans l’air et qui ne manqua pas de la faire saliver, ce fut le t-shirt que Kate portait et qu’elle n’avait pas remarqué plus tôt.

Il n’avait rien d’extraordinaire, si ce n’était l’inscription qu’il arborait : « Take a look around… God is definitely not a Woman » et Emma ne put s’empêcher de sourire, encore plus lorsqu’elle remarqua le jean moulant légèrement troué par endroits qui l’accompagnait. Après la scène dont elle avait été témoin le matin même, elle ne doutait pas que Kate savait se défendre, mais elle lui soupçonnait surtout d’avoir un côté rebelle qui se cachait là quelque part.

Elle ne put cependant s’empêcher de sérieusement se demander si Kate était allée en cours comme ça ce matin, mais rejeta rapidement l’idée. Les profs ne l’auraient jamais accepté. Si ? 

– Hé, salua-t-elle enfin tout en pénétrant dans la pièce, prenant place sur l’un des fauteuils. Dis, j’avais pas fait attention ce matin mais tu t’habilles toujours comme ça ?

Kate baissa les yeux vers sa tenue avant de l’observer à nouveau :

– Oui. Pourquoi ?

– Comme ça, répondit Emma avant de se mordre la lèvre inférieure. Enfin c’est juste que c’est très… enfin, c’est très décontracté.

Kate haussa les sourcils.

– Et c’est un problème ?

– Non, non, répliqua aussitôt Emma, grimaçant intérieurement face au tournant que prenait la situation. Oh la la je m’y prends mal. Ce que je veux dire, c’est que les filles ici sont tellement… sophistiquées et, enfin, ça m’a juste un peu surprise de voir que tu…

– …étais différente ? proposa Kate, un sourcil haussé. Si c’est ça, c’est un peu hypocrite venant d’une fille dont la tenue n’est pas bien différente de la mienne.

Emma l’observa, la mâchoire pendante, avant de baisser les yeux vers son chemisier à manches courtes, son jean et ses converses. Elle se tordit nerveusement les doigts avant de marmonner :

– Je ne fais pas partie du même monde que le tien.

– Ah... donc sur principe que je fais partie du même milieu que ces nanas habillées bien comme il faut, je suis censée faire la même chose ?

Emma grimaça intérieurement. Pourquoi faut-il que les choses tournent mal à chaque fois que l’on a une conversation?

– Non, c’est pas ce que j’ai voulu dire. Ecoute, laisse tomber, je suis désolée.

Elle commençait à se lever lorsque le rire de Kate résonna dans la pièce, la laissant perplexe. 

– Quoi ? demanda-t-elle, légèrement sur la défensive. Elle se moque de moi ou quoi ?

Kate attendit d’avoir repris son souffle pour répondre :

– Excuse-moi, c’est juste que c’était une simple question Emma, ne le prend pas comme ça. Et il n’y a pas de mal, les gens ont malheureusement beaucoup d’a priori sur les « gosses de riches », répondit-elle en imitant des guillemets avec ses doigts.

Elle détourna le regard avant d’ajouter :

– Faut pas mettre tout le monde dans le même sac, c’est tout.

Emma se redressa afin de prendre place à ses côtés, sur le canapé.

– Je suis dés –

– Désolée, je sais, tu l’as déjà dit, l’interrompit Kate, ponctuant sa phrase d’un sourire afin de montrer qu’elle n’était pas en colère. La page est tournée, t’en fais pas.

Emma lui offrit un faible sourire avant de froncer les sourcils :

– Je peux te poser une question ?

Kate l’observa, comme si elle pesait le pour et le contre, avant de finalement hausser les épaules tout en reportant son attention sur l’écran.

– Dis toujours, je verrais si je peux y répondre.

– Pourquoi elles sont ici ? Cassie et les deux filles qui semblent la suivre partout.

Kate tiqua visiblement sur ses propos et se réinstalla un peu plus confortablement avant de soupirer :

– Julia et Mélanie. Ce sont des jumelles au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, et ça fait déjà un an qu’elles sont ici. Leur ticket d’entrée à La Lumeda a été une grosse fête organisée chez elles sans l’accord de leurs parents pour fêter la fin des cours de seconde. Tu sais, les profs te rabâchent sans cesse que c’est la dernière année sans examens terminaux et qu’il faut justement en profiter. Alors elles ont voulu marquer le coup, et pour ce faire, elles ont invité presque tous les lycéens, principalement des terminales, mais ce qu’elles n’avaient pas prévu dans l’histoire, c’est que leurs parents sont rentrés plus tôt que prévu.

Kate lâcha un léger rire avant d’ajouter :

– J’aurais bien voulu voir leur visage quand ils ont découvert l’état de la maison le lendemain et que de la drogue avait circulé. Julia et Mélanie étaient complètement faites, endormies au beau milieu du jardin, complètement nues et les différentes tâches d’une substance blanche qui les recouvrait par endroits laissait peu de doute quant aux activités qu’elles avaient pratiquées pendant la nuit.

Emma écarquilla les yeux, hésitant entre le rire et le dégoût. Ce que Kate venait de lui raconter était tellement étranger pour elle que pendant un instant, elle eut du mal à y croire, mais elle n’avait cependant aucun doute quant à l’authenticité des propos. C’était simplement tellement différent du milieu dans lequel elle avait grandi qu’elle eut besoin d’un petit moment pour tout assimiler. Après tout, dans son monde, ce genre de chose ne se produisait qu’à la télévision.

– Woah, répondit-elle enfin, incrédule. Et elles ont atterri ici pour ça ? Elles ont de la chance !

– De la chance ? s’exclama aussitôt Kate, stupéfaite, avant de plisser légèrement les yeux. Laisse-moi deviner, tu n’as aucune idée du monde dans lequel tu viens de mettre les pieds, hein ?

Emma baissa les yeux avant de secouer négativement la tête, un sourire penaud sur les lèvres :

– Plus le temps passe, plus je me dis que non, en effet.

Kate se tourna de manière à lui faire face :

– Laisse-moi essayer de te l’expliquer alors, répondit-elle en se passant une main sur le visage avant de la remonter vers ses cheveux. Comme tu le sais, La Lumeda est un établissement très réputé, autant dans le pays que sur le continent. En conséquence, c’est une fierté pour ces gens dont l’apparence compte énormément d’avoir leurs enfants ici.

– C’est quoi, un prétexte alors ? demanda Emma, intriguée. Dès que leur enfant fait un pas de travers, hop, ils en profitent ?

– Disons que c’est plutôt un bon compromis, tempéra Kate. De toutes les pensions, La Lumeda, c’est le Paradis sur terre, mais ce n’est pas pour autant que l’on a envie d’y être. Alors lorsque les ados font des bêtises et que les parents veulent les « remettre dans le droit chemin », Eh bien, les deux partis tombent vite d’accord. Tu comprends ?

Emma hocha positivement la tête.

– Oui, chacun y trouve son compte en quelque sorte, même si ça reste une punition. Mais pourquoi ne pas avoir envie de venir ici ? Je veux dire, mis à part certains détails, cet endroit est génial !

Kate lâcha un rire.

– Emma, les trois-quarts des jeunes qui sont ici, sont des enfants de la Haute Bourgeoisie. Ils se retrouvent enfermés dans un endroit où il n’y a pas d’apéros, de drogues ni de night-clubbing, finis les après-midi shopping à Londres, New York ou Paris où on claque des milliers en quelques heures. Fini l’avion pour Paris uniquement pour un brushing. Sans compter la présence obligatoire aux cours, le règlement sur les tenues vestimentaires, les chaines et sites internet cryptés... Alors tu comprends bien que c’est l’Enfer ici pour eux. Pas facile de croquer la vie à pleines dents quand tu es enfermé entre quatre murs avec les études pour seul passe-temps.

Emma grimaça :

– C’est sûr que vu comme ça… Mais je ne comprends pas, tu viens du même monde qu’eux, pourquoi est-ce que tu es si différente ? Et c’est pas une critique, se pressa-t-elle d’ajouter.

Kate ne put s’empêcher de sourire.

– Tu ne connais rien de moi, Emma, reprit-elle plus sérieusement. Et puis, c’est pas parce qu’on vient tous du même milieu qu’on est forcément pareil, il ne faut pas faire de généralités.

– Oui, tu as raison, je suis désolée, répondit Emma, visiblement embarrassée. En tout cas, je trouve que c’est tout de même une vie incroyable. Je veux dire, vous pouvez faire ce que vous voulez, quand vous voulez... Un truc vous fait envie et hop ! J’ai l’impression d’être… insignifiante à côté.

Kate la dévisagea, incrédule.

– Incroyable ? Tu trouves que c’est incroyable ?

Elle se débarrassa de la télécommande ainsi que de son bol qu’elle déposa sur la table basse avant de lui faire de nouveau face :

– Emma, reprit-elle sérieusement. Si j'avais la possibilité d'échanger ma vie contre la tienne, je le ferais sans hésiter. Tu es entourée de gens qui t’aiment, tu es libre de faire ce que tu veux de ta vie, sans qu’on te dise qui tu dois fréquenter, où tu dois aller, ce que tu dois faire. Mon avenir a déjà été décidé pour moi le jour où je suis venue au monde et dès lors j’ai été formaté pour accomplir le désir de mes géniteurs, dit-elle amèrement. Sans compter que la relation que j’ai avec mes parents est loin d’être au beau fixe, je ne leur ai d’ailleurs pas adressé la parole depuis que je suis ici. Quant à ma famille, mise à part ma tante, je ne les vois plus. Sachant qu’avant nos rapports n’étaient pas ce qu’il y a de plus chaleureux… Tu sais, dans ce milieu, tu es constamment entourée de personnes, pourtant, je me suis toujours sentie seule. Alors à part mes études que j'apprécie, il n'y a vraiment rien dans ma vie qui soit attrayant. Sauf si, bien sûr, tu aimes la solitude. Et l’argent ne peut rien faire pour ça.

La fin de sa tirade fut accueillie par le silence qui retomba d’un coup et Emma resta à se retrouver là, à l’observer bêtement, avant de laisser son regard retomber sur ses mains. Kate venait de lui offrir un monologue auquel elle ne s’était pas du tout attendue et elle se sentit soudainement honteuse des propos qu’elle avait portés juste avant.

Décidément, je fais tout de travers, se réprimanda-t-elle intérieurement.

Même si elles se connaissaient depuis peu, et pour une raison qu’elle ne pouvait s’expliquer, elle avait pressenti que Kate était différente, mais la jeune femme qui apparaissait désormais sous ses yeux était à l’opposé de l’image qu’elle s’en était faite malgré elle. Kate avait certes la possibilité d’obtenir tout ce qui lui faisait envie matériellement parlant, mais ce qu’elle chérissait plus que tout au monde lui était tout simplement hors de portée.

Emma ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur pour elle.

– Excuse-moi, je ne…

– Savais pas ?

Elle hocha timidement la tête et Kate se contenta de hausser des épaules.

– Ce n’est pas grave, tu ne pouvais pas savoir. Et c’est moi qui suis désolée, je n’aurais pas dû m’emporter comme ça, s’excusa-t-elle.

Un léger silence s’installa avant qu’Emma ne demande d’une petite voix :

– C’est comment ? Je veux dire, grandir dans ce milieu, comment ça se passe ?

Kate qui avait tendu le bras afin de reprendre son bol s’interrompit un instant avant de le déposer entre ses jambes et reprendre appui contre le dossier.

– Eh bien, c’est…

Elle chercha ses mots un instant. C’était la première fois qu’elle faisait face à une personne qui n’avait aucune idée du monde dans lequel elle évoluait, et elle réalisa qu’elle ne savait absolument pas comment s’y prendre pour lui expliquer tout cet univers.

Elle hocha finalement la tête avant de lever les yeux vers Emma qui attendait patiemment.

– Tout d’abord, il faut que tu saches que ce que je vais te raconter, c’est mon expérience personnelle. Ça ne se passe pas forcément comme ça chez toutes les grandes richesses du pays.

Emma se contenta d’acquiescer et Kate poursuivit :

– Bien. Dans les années 1950, juste après l’extinction des grands bals, des clubs mondains imaginés par l'aristocratie et réservés à la descendance seulement ont fait leur apparition. Ces clubs n’ont jamais disparut, mais disons qu’ils ont refait leur apparition en force il y a de ça quelques années. Etant la fille de Charles De Lonay –

– De qui ? la coupa soudainement Emma.

Kate s’interrompit avant d’hausser les sourcils :

– Tu ne sais pas qui est mon père ? s’étonna-t-elle.

– Euh, non. C’est mal ?

Kate eut un léger rire.

– Non, ça me fait bizarre, c’est tout. Tu es la première personne que je rencontre à ne pas savoir qui il est. Mais bref, mon père est à la tête du Groupe De Lonay depuis la fin des années 1990, il a succédé à ma grand-mère lorsqu’elle nous a quittés. Pour faire simple, ce groupe est constitué d’une banque privée ainsi que d’une société de gestion et disons que les affaires marchent plus que bien, sourit-elle faiblement. Avec un patrimoine qui s’élève à plus de six milliards d’euros, c’est même un euphémisme, pensa-t-elle sarcastiquement.

– Et ta mère ?

– C’est une affaire familiale, elle en est la vice-présidente.

Emma cligna des yeux à plusieurs reprises, visiblement surprise :

– Oh. J’aurais pensé que dans ce milieu, la femme restait au foyer. Tu sais, l’image de la famille modèle…

– Tu n’as pas tout à fait tort, c’est encore le cas dans certaines familles, et dans certains pays. Mais ça commence à disparaître depuis la fin des années 1990. Elles sont aujourd’hui diplômées, actives et fières de l’être.

– Hmm hmm. Et… je suppose qu’ils comptent sur toi pour prendre la relève… tu n’as pas de frères et sœurs ?

Kate l’observa avant de détourner les yeux :

– Je suis fille unique, et… oui, répondit-elle avant de la regarder à nouveau. Bref, je peux continuer ?

Emma hocha positivement de la tête.

– Donc, étant la fille de Charles De Lonay, j’ai intégré un groupe aussitôt mon huitième anniversaire fêté et auquel j’étais censée être liée jusqu’à ma majorité. Il était constitué de trois cent cinquante personnes environ, et, vers l’âge de 12 ans, j’ai été initié, avec mes acolytes, aux « loisirs de mon âge » : théâtre, expositions, poésie, bridge, musées… la liste était longue et chacun était libre de choisir en fonction de ses goûts. A partir de 14 ans, j’ai dû apprendre la valse ainsi que les bases du rock à quatre temps puis à l’âge de 15 ans, étant une fille, les choses sérieuses ont débuté pour moi. J’ai commencé à organiser mes propres soirées, avec d’autres personnes. Bien sûr les parents étaient au courant et financièrement, la facture pouvait osciller entre 5000 et 50 000 euros par famille invitante.

– Attends, l’interrompit Emma en posant une main sur son bras. Des gens payent des milliers d’euros… pour une soirée ? 50 000€… ma mère ne gagne même pas la moitié en une année ! C’est…

– Dingue ? Inimaginable ?

– J’aurais bien une dizaine d’adjectifs pour qualifier ça mais oui, ça résume assez bien aussi. Et il se passe quoi dans ces soirées ?

– Eh bien, il y en a pour tous les goûts, tout dépend de qui organise et qui couvre l’événement. Mais en général, les jeunes descendantes des plus grandes familles passent leur temps à s’exhiber sous l'œil des photographes missionnés pour couvrir l'événement, de la haute couture sur leur taille 36 et le talon aussi haut que le tissu est court. La musique bat son plein, les couples d'un soir s'enlacent sans retenue, l'alcool coule à flots… Mais c’est un minimum contrôlé, si on veut, puisqu’un parent et un videur sont présents dans chaque salle.

Emma fronça les sourcils.

– Mais je ne comprends pas… c’est quoi le but ? Parce que bon, j’ai du mal à imaginer qu’ils fassent ça juste pour passer du bon temps entre amis, si ?

Kate sourit doucement.

– Non, tu as raison. C’est plus complexe que ça. Ces soirées sont médiatisées pour vendre à l'international l'image de la culture du pays, du luxe. Et en ce qui concerne les familles, c’est rien de plus qu’une transmission implicite des valeurs bourgeoises. Tu vois, on y apprend les bonnes manières, les codes, les rites et les règles de la vie sociale. On se construit un réseau, on décroche un bon parti… Et les parents s’en réjouissent, ils obtiennent ce qu’ils désirent pour leur descendance sans avoir à intervenir. Parfait, n’est-ce pas ?

Emma repéra aisément la note amère qui s’était insinuée dans la voix de Kate et elle s’empara de sa main qu’elle serra légèrement :

– Et personne ne s’en plaint ? s’étonna-t-elle. Les enfants, je veux dire, aucun d’entre eux n’y trouve à redire ? Je trouve tout ça tellement… contrôlé… Comme s’ils étaient manipulés dès leur naissance.

– Ils le sont, en quelque sorte. Mais, et même si ça peut paraître difficile à croire, ça part d’un bon sentiment. Les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants, le tout en préservant les valeurs et la fortune de la famille dans la lignée. Ils sont juste persuadés que ce qu’ils font est ce qui doit être fait, et que c’est bien. Et puis, pour répondre à ta question, leurs parents leur organisent des soirées de rêve dans des endroits magnifiques. De quoi se plaindraient-ils? Ils obtiennent tout ce qu’ils veulent, après tout.

Emma grimaça intérieurement, reconnaissant les propres termes qu’elle-même avait utilisé plus tôt à l’égard de Kate. Même si la Haute Bourgeoisie ne négligeait pas le plaisir, elle présentait néanmoins un mode de vie soigneusement calculé leur permettant de faire et parfaire leurs affaires. Emma trouva ce monde soudainement beaucoup moins attrayant. Au moins, maintenant que j’en sais plus, ça m’évitera de faire des bourdes, pensa-t-elle sarcastiquement. Cependant, quelque chose la tracassait et elle décida de donner voix à ses pensées.

– Mais que s’est-il passé pour que tu… passes entre les mailles du filet, en quelque sorte ? demanda-t-elle, intriguée. Qu’est-ce qui a fait que tu n’acceptes pas cette vie, ce qu’ils ont prévu pour toi ?

Kate la dévisagea, confuse.

– Tu n’as pas écouté ce que j’ai dit plus tôt ? L’argent n’apporte pas tout et –

– Je sais, et j’ai très bien entendu. Mais tu le dis toi-même, ils acceptent tous ce système, sans se poser de questions. Alors, je me demande, pourquoi les choses ont-elles été différentes avec toi ? Que s’est-il passé pour que tu n’acceptes plus toute cette mascarade ?

Kate retira sa main qu’Emma tenait toujours dans la sienne avant de se reculer :

– Comment… comment parviens-tu… à en conclure de pareilles choses ?

– Kate, je t’en prie, répondit Emma d’une voix posée. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure… Regarde ce que tu me dis, et la façon dont tu me le dis.

Kate détourna soudainement le regard vers le téléviseur, visiblement mal à l’aise.

– C’est… compliqué.

Compliqué ? Emma devait bien s’avouer qu’elle était perplexe et intriguée. Plus elle en apprenait, plus Kate la surprenait et plus elle avait de questions. Qu’avait-il bien pu se passer pour qu’elle en vienne à détester le monde dans lequel elle avait toujours vécu ? Non pas que les raisons évoquées n’étaient pas suffisantes, mais Emma sentait qu’il y avait quelque chose de plus. Quelque chose qui avait tout fait basculer.

Sentant la réticence de Kate, elle décida néanmoins de ne pas insister et de changer de sujet.

– D’accord, répondit-elle calmement. Et Cassie ?

Kate tourna aussitôt la tête vers elle, le visage dur et légèrement appréhensif.

– Quoi, Cassie ?

– Ben pourquoi elle est ici elle aussi ?

Kate haussa les épaules avant se tourner de nouveau vers l’écran.

– Je ne sais pas. Elle a dû faire comme les autres, mettre ses parents hors d’eux.

Emma haussa les sourcils, Kate lui aurait fermé la porte au nez que l’effet provoqué n’aurait été bien différent, et elle se trouva une fois de plus en proie à la déception. Elle sentait une fois encore qu’il y avait plus à l’histoire mais que Kate ne voulait pas lui dire quoi. J’ai peut-être poussé les choses un peu trop loin. Kate n’était visiblement pas du genre à se confier facilement. Et Emma savait mieux que personne qu’il y avait des choses que l’on préférait garder pour soi. Elle savait qu'elle ne devait rien forcer. Que lorsque Kate serait prête à lui en parler, elle le ferait d’elle-même, si l’envie l’en prenait.

– Emma ?

La voix de Kate la poussa à reprendre pied avec la réalité et elle se retrouva aussitôt plongée dans un regard noisette désormais infiniment familier.

– Oui ?

– Il y a une chose que je tenais à te dire, répondit Kate en lui faisant de nouveau face. Fais pas attention aux propos que Cassie a pu avoir, elle n’a fait ça que pour te blesser. Elle obtient peut-être tout ce qu’elle désire parce que ses parents en ont les moyens, mais elle n’a aucun mérite contrairement à toi qui as gagné ta place ici parce que tu as travaillé pour y arriver.

Prise de court par le compliment inattendu, Emma resta un instant interdite avant de légèrement baisser la tête.

– Mais ce qu’elle a dit est vrai. Que tu ne devrais pas me fréquenter…

Kate soupira.

– Ce n’est pas interdit, mais c’est souvent mal vu, acquiesça-t-elle finalement. On nous apprend à tenir notre place dans la société, mais aussi à connaître exactement celle que les autres sont tenus d'occuper.

Elle s’interrompit avant d’ajouter :

– Ça ne veut pas dire pour autant que je vais obéir au système à la règle.

Les paroles de Kate lui parvinrent et Emma releva aussitôt la tête, un sourire ravi sur les lèvres :

– Merci, répondit-elle sincèrement avant de grimacer. Par contre, et excuse-moi de te dire ça, mais je n’aime pas du tout ton monde.

Kate eut un léger rire avant de reprendre plus sérieusement :

– Moi non plus, tu sais.

– Je sais, acquiesça Emma, posant de nouveau une main sur le bras de Kate et exerçant une légère pression. Merci quand même pour ce que tu as dit à propos de ma place ici.

Kate hocha la tête d’un air entendu et Emma récupéra ses affaires avant de se diriger vers la chambre, se repassant en mémoire les devoirs qu’elle avait à faire et auxquels elle comptait s’attaquer. Elle s’interrompit néanmoins une fois arrivée à hauteur de la porte.

– Kate ?

Kate enfourna une poignée de popcorn avant de tourner la tête dans sa direction.

– Hmm ?

– Ton t-shirt… personne ne t’a rien dit ?

Un air malicieux traversa le visage de Kate. Essaye la provocation, et tu réaliseras que tu y prends vite goût. Elle choisit cependant une tout autre réponse :

– Ils avaient bien trop peur que je l’enlève pour ça.

Emma écarquilla les yeux. Oh oh.

1 septembre 2011

Chapitre 2

Lundi 8 Septembre 2003.

La première chose qu’Emma remarqua lorsqu’elle pénétra dans la pièce, ce fut combien le marbre avait son avantage. Les températures étaient encore assez élevées en ce début septembre, bien qu’encore supportables le matin, elle apprécia tout particulièrement le côté frais qui se dégageait des salles de cours.

Mais ce qui la surprit surtout, ce fut les tables destinées aux élèves.

Des pupitres.

De toute sa scolarité, elle n’en avait jamais vu, mais en feuilletant les albums de photos de famille, elle était tombée sur quelques clichés de sa mère lorsqu’elle était à l’école et ce qu’Emma avait désormais sous les yeux ressemblait étrangement à ce que cette dernière avait connu étant petite.

Le cours débuta et Emma laissa courir ses doigts sur l’impressionnante planche en bois d’un air absent. Légèrement inclinée, elle renfermait un casier de rangement mais ce qui fascinait le plus Emma, c’était les deux rainures qui ressortaient de la surface lisse, l’une pour empêcher les porte-plumes de tomber, l’autre pour retenir feuille, cahier ou livre que l’élève déposait devant lui, ainsi que le trou situé en haut à gauche qu’elle devina avoir été créé pour l’encrier.

Un léger sourire étira ses lèvres. Elle se demandait sincèrement comment sa mère avait pu s’en sortir avec de tels instruments, et pourtant une part d’elle ne put s’empêcher de penser qu’elle aurait aimé avoir la possibilité de vivre l’expérience elle aussi. Ça avait quelque chose de tellement décalé pour sa génération, et pourtant c’était parfaitement en accord avec le milieu dans lequel ils évoluaient. Mais le professeur leur avait promis qu’ils n’utiliseraient rien de tout ça et Emma ne put s’empêcher d’être néanmoins rassurée. Elle avait certes envie d’essayer, mais pas au point que cela dure une année entière.

Son regard s’évada autour d’elle et Emma réalisa que le reste du mobilier trahissait lui aussi l’ordre et la discipline qui devaient dominer dans l’établissement, et elle fut secrètement soulagée qu’ils aient échappé au grand tableau noir ainsi qu’à l’uniforme.

Mais ce qui l’impressionnait le plus, c’était le silence. La pièce était calme. Très calme.

Trop calme.

Comme si les élèves avaient peur d’offenser l’endroit en prononçant une parole. Elle trouvait ça dérangeant, à tel point qu’elle osait à peine reposer son stylo sur le bois verni de son bureau de peur de faire du bruit. C’est un coup à céder à la panique si l’envie d’éternuer te prend. Elle s’interrompit. Oh bon sang faites que ça ne m’arrive pas silvousplaîtsilvousplaîtsilvousplaît, gémit-elle intérieurement.

Le professeur, quant à lui, n’était pas non plus d’une grande aide dans cette ambiance pesante. Assis à son bureau, les mains croisées devant lui sur la surface sombre, son regard ne quittait pas ses étudiants. Agé d’une quarantaine d’année, il avait un visage sympathique, mais sa façon de poser son regard sur vous et de rester immobile pendant de longues minutes était bien moins rassurante.

Emma se demanda un instant si l’option « homme statue » existait au sein du cycle universitaire pour devenir enseignant.

Cependant, ce qui la gênait réellement n’avait rien à voir avec tout ça.

Bon, j’ai pris ma douche après m’être lavée les dents, alors je ne peux avoir de dentifrice séché aux coins des lèvres. Elle réfléchit. Hmm, mes cheveux peut-être ?

Dans un geste qu’elle voulut naturel, elle leva une main qu’elle laissa courir le long de sa natte qui partait du haut de sa tête pour s’arrêter entre ses omoplates.

Hmm, pas de mèches rebelles ou d’objets indésirables. Elle regarda ses mains. Mon stylo fuit pas, alors pas de tache d’encre sur le visage… Bon, alors, pourquoi est-ce que tout le monde me regarde comme si j’avais eu un troisième œil qui serait poussé pendant la nuit ?

Elle se retint juste à temps de porter sa main à son front et soupira. Elle savait qu’elle exagérait, la plupart des élèves étaient penchés sur leur exercice de mathématique que le professeur leur avait distribué quelques instants plus tôt. Mais elle sentait les regards sur elle, et lorsqu'elle les surprenait, ils tournaient aussitôt la tête pour chuchoter à l’oreille de leurs camarades qui la regardaient à leur tour.

Kate me l’aurait dit si j’avais eu quelque chose, non ? Un nouveau soupir s’échappa de ses lèvres et elle décida de laisser tomber pour se concentrer sur son problème. T’es la petite nouvelle ma vieille, faut te faire une raison.

Cette scène avait surtout une impression de déjà-vu à laquelle elle voulait désespérément ne pas penser.

La tête entre les mains, le pied remuant nerveusement, Emma relut pour la troisième fois l’énoncé du problème que leur professeur venait de leur distribuer.

 

On considère les deux fonctions f et g définies sur [0 ; + ∞ [ par :

f (x) = 9 / 3x +1 et g (x)= / 9 (x +1)²

et on désigne par Cf et Cg leurs courbes représentatives dans un repère orthonormal.

1. a. Étudier la position relative des courbes Cf et Cg.

b. Donner, sur un même dessin, l’allure de Cf et Cg restreintes à l’intervalle [0 ; 10]. On

pourra utiliser une calculatrice.

Emma haussa les sourcils avant de baisser les yeux vers l’énoncé suivant.

2. On note, pour tout nombre réel a > 0, F(a)= ∫a0 f (x) dx et G (a) =∫a0 g (x) dx.

a. Montrer que F(a)= 3ln(3a +1) et G(a)= 9a/ a +1.

b. Donner les valeurs exactes de F(2) et G(2), puis une valeur décimale arrondie au centième.

c. Interpréter graphiquement F(2) et G(2).

3. Calculer lim a + ∞ F(a) et lim a → + ∞ G(a). Ces résultats étaient-ils prévisibles au vu des questions précédentes ?

 

Emma avala difficilement sa salive avant de déboucher son stylo puis tenter plusieurs combinaisons afin de trouver la solution. Leur professeur avait soi-disant décidé d’y aller doucement pour leur premier jour, afin que tout le monde puisse se replonger dans le bain sans se sentir brusqué. Mais au vu des exercices, ils n’avaient visiblement pas la même définition de « facile ». Car Emma avait beau lire et relire les énoncés, tout ce que cela lui inspirait, c’était si les illettrés ressentaient la même chose lorsqu’ils s’essayaient à la lecture.

Mais elle était quand même contente d’avoir enfin repris les cours, non pas qu’elle était impatiente de retourner en classe, mais plus les jours passaient, plus elle finissait par trouver le temps long. Bien sûr, la propriété fournissait tout un tas d’activités et elle avait emmené avec elle de quoi pleinement occuper son temps libre, mais cela ne retenait jamais son attention plus de quelques heures. Alors le reste du temps, elle restait à l’appartement à se tourner les pouces, sa colocataire dans la pièce voisine.

Non pas qu’elles ne s’entendaient pas, au contraire, mais pour une raison qu’Emma n’arrivait pas à s’expliquer, Kate semblait assez distante avec elle. Elles avaient des discussions, elles passaient du bon temps ensemble, mais en ce qui concernait des choses plus personnelles, sa colocataire semblait assez secrète, répondant par des réponses brèves et reportant bien souvent l’attention sur elle.

Je suppose qu’elle n’a vraiment pas apprécié que je ne lui dise pas la vérité sur ma présence ici, grimaça intérieurement Emma.

Ou peut-être bien que Kate agissait simplement comme elle l’avait promis. Je te raconterai mon histoire… quand tu me raconteras la tienne. Peut-être attendait-elle simplement qu'Emma se dévoile avant de faire la même chose à son tour.

Emma se mordit la lèvre inférieure. Oui Eh bien si c'est ça, elle peut toujours attendre.

La sonnerie annonçant la fin du cours résonna et Emma se figea aussitôt, réalisant qu’elle n’avait non seulement pas terminé son exercice, mais surtout qu’elle était à peine parvenue à répondre aux premières questions. Un rapide coup d’œil autour d’elle lui apprit qu’elle était visiblement la seule dans ce cas-là et elle retint de justesse une grimace pour tendre sa copie à l’enseignant tout en évitant soigneusement son regard.

Dans le couloir, des élèves couraient pour rejoindre leur cours tandis que d'autres formaient des petits groupes ici et là afin de discuter mais toute cette activité était loin d’elle. Perdue dans ses pensées, Emma réfléchissait à ses études, ou plus exactement à ce qui l'attendait pour la suite, une fois qu’elle aurait décroché son baccalauréat. Elle ne savait pas encore ce qu’elle voulait faire exactement, mais elle envisageait sérieusement des études de lettres. Le problème qui se posait, c’était comment elle allait bien pouvoir financer tout ça. Elle savait qu’elle bénéficierait d’une aide de l’Etat, mais concernant la bourse d’études, il était évident qu'elle allait devoir travailler davantage. Elle avait certes de bons résultats, mais les mathématiques étaient visiblement son point faible. Jusqu’à présent, avec l’aide des cours de soutien proposés bénévolement par les professeurs de son ancien lycée, elle s’en était plutôt bien sorti. Mais cette année, elle appréhendait un peu et elle se fit une note mentale de faire attention. Elle savait que sa mère n’aurait pas les moyens de l’aider financièrement pour la suite, et de toute façon, la question ne se posait même pas, elle voulait se débrouiller par ses propres moyens. Elle pourrait bien évidement décrocher un petit boulot en parallèle, mais si la bourse d’étude pouvait lui éviter cela, pourquoi s’en priver ? Elle pourrait par conséquent se consacrer pleinement à ses études.

Hochant la tête avec satisfaction, elle tourna au coin du couloir et relâcha aussitôt un hoquet de surprise lorsqu’une élève la bouscula par inadvertance, poussant ses affaires à tomber sur le sol dans un bruit assourdissant.

– Oh je suis vraiment désolée, s’excusa la voix tandis qu’Emma se penchait afin de ramasser ses affaires. Ça va ?

– Oui, oui, c’est rien, balbutia Emma, légèrement embarrassée.

Une main parfaitement manucurée lui tendit son livre de maths et Emma le récupéra avant de se redresser. Les quelques personnes qui s’étaient arrêtées afin de pouvoir assouvir leur curiosité reprirent leur route et elle relâcha un soupir de soulagement avant de lever les yeux vers un regard d’un bleu assez sombre, visiblement reconnaissante.

– Merci.

– De rien, répondit la jeune femme avant de légèrement pencher la tête sur le côté, intriguée. Tu es la petite nouvelle, c’est ça ? Comment c’était déjà... ah oui, Emma. Emma... Harrison, c’est ça ?

Emma s’apprêtait à acquiescer lorsqu’elle réalisa que la jeune femme lui faisant face la détaillait de la tête aux pieds et que l’air chaleureux qui était apparu dans sa voix quelques instants plus tôt avait totalement disparu. Elle l’observait désormais avec une certaine froideur, et Emma eut la désagréable impression d’y discerner de la condescendance et du mépris. Un rapide coup d’œil par-dessus son épaule lui apprit qu’elle était accompagnée de deux autres filles qui avaient l’air tout aussi amicales et elle se demanda sérieusement sur qui elle venait de tomber.

Une main sur sa hanche la fit légèrement sursauter et Emma fut aussitôt soulagée de voir que Kate venait de prendre place à ses côtés. Les traits tirés de son visage trahissaient cependant la tension qui l’habitait et Emma devina que pour une quelconque raison, elle était très loin d’être ravie.

– Cassie.

Cassie toisa Emma encore un instant avant de tourner la tête vers Kate, un sourire sincère sur les lèvres et pendant un instant, Emma eut presque l’impression de voir un ange avec sa peau presque blanche et ses cheveux d’un blond clair.

Un ange avec une fourche et des cornes, mais un ange quand même.

– Kate, comment vas-tu ? répondit-elle d’une voix qu’Emma jugea aussitôt de mielleuse. Ça fait un moment qu’on ne t’a pas vu, qu’est-ce que tu deviens ?  

Kate resserra un peu plus sa prise autour d’Emma lorsqu’elle la sentit se reculer puis haussa simplement les épaules :

– Les amis, la famille... tu sais ce que c’est, ça tient occupé.

– Hmm, répondit Cassie, avant de désigner Emma d’un signe de tête. J’ai été surprise d’apprendre que tu avais une nouvelle coloc’ en tout cas, je croyais que tu préférais rester seule cette année ?

Emma sentit aussitôt Kate se figer à ses côtés, et lorsqu’elle l’interrogea du regard, cette dernière l’ignora simplement.

– Faut croire que j’ai changé d’avis, répondit Kate dans un sourire hypocrite. Un peu de compagnie n’a jamais fait de mal à personne. Mais ça... tu dois savoir ce que c’est, ajouta-t-elle en désignant les deux filles qui l’accompagnaient du menton. Je savais déjà que ton paternel ne pouvait pas sortir sans ses hommes de main, mais que toi aussi... Faut croire que le proverbe dit vrai, tel père telle fille, hein ?

La gifle partit si vite qu’Emma réalisa qu’elle avait eu lieu uniquement lorsque Kate l’intercepta, sa main se refermant sur le poignet de Cassie dans une poigne de fer et elle se retrouva à cligner des yeux à plusieurs reprises avant de les observer tour à tour, appréhensive.

– Sois tu dégages, sois je te la rends, gronda Kate, la respiration légèrement saccadée.

Cassie serra des dents avant de la clouer du regard :

– Je vais faire mieux que ça, ma belle, répondit-elle d’une voix dénuée d’émotion. Visiblement, t’as oublié une règle importante dans l’histoire. Vu sa façon de s’habiller, je parie que c’est une petite provinciale sans argent qui a obtenu sa place ici grâce à une bourse et une bonne dose de supplication. Va pas te perdre avec ça, Kate. Côtoyer l’inférieur n’apporte rien, tu le sais bien.

Elle s’écarta légèrement et toisa une dernière fois Emma de la tête aux pieds avant d’ajouter :

– Crois-moi, l’ignorer lui sera autant bénéfique qu’à toi.

Ces dernières paroles prononcées, elle se libéra de l’emprise de Kate puis s’éloigna le long du couloir, ses deux acolytes sur les talons. Interdite, Emma les observa jusqu’à ce qu’elles aient totalement disparu puis se dégagea à son tour de l’emprise de Kate afin de prendre appui contre le mur, la fraîcheur du marbre lui faisant aussitôt du bien.

Elle avait du mal à croire ce qu’elle venait d’entendre et encore plus que quelqu’un puisse faire preuve d’autant d’animosité à son égard alors qu’elle ne la connaissait même pas. Vu sa façon de s’habiller, je parie que c’est une petite provinciale sans argent qui a obtenu sa place ici grâce à une bourse et une bonne dose de supplication. Va pas te perdre avec ça, Kate. Côtoyer l’inférieur n’apporte rien, tu le sais bien. Emma se passa une main tremblante sur le visage. Le décor était peut-être différent mais les gens restaient visiblement les mêmes.

– Ça va ? demanda Kate, interrompant le fil de ses pensées.

Emma tourna la tête dans sa direction et fut aussitôt surprise par l’inquiétude qui habitait visiblement son visage. Elle afficha un faible sourire :

– A part mon égo qui en a pris un coup ? Je pense oui.

Elle avait prononcé ces paroles d’un ton léger mais ce que cette fille avait dit la touchait plus qu’elle ne voulait bien le montrer. Elle pouvait encore sentir son cœur tambouriner dans sa poitrine et plus elle y pensait, plus elle pouvait sentir sa gorge se nouer et le début des larmes lui piquer les yeux.

Une main sur son épaule la poussa à lever les yeux vers un regard chocolat empli de compassion.

– Fais pas attention à ce qu’elle peut dire, elle essaye juste d’être intimidante.

Emma haussa les épaules :

– Je me demande juste pour qui elle se prend.

– Pour… une fille à papa ? tenta de plaisanter Kate.

Elle sut aussitôt à la réponse d’Emma que sa tentative d’humour n’avait pas marché :

– Et toi ?

– Quoi moi ? répondit Kate, légèrement mal à l’aise.

– Elle a l’air de bien te connaître. Et de t’apprécier.

Un léger rire accompagna la réponse :

– Elle a failli me gifler, c’est comme ça que tu traites les gens que tu apprécies toi ?

Emma eut la décence de rougir légèrement :

– Non, mais la façon dont elle t’a souri au début...

– Le monde de la Haute est plus restreint qu’on ne le pense, l’interrompit Kate, tirant légèrement sur la main d’Emma afin de la pousser à avancer le long du couloir. Je connais Cassie depuis un moment. Mais à savoir si on s’apprécie ? Ça... c’est une autre histoire.

Emma attendit puis retint difficilement un soupir lorsqu'elle réalisa que d'autres explications ne viendraient pas. Pourquoi fallait-il toujours que Kate se montre aussi secrète et énigmatique ?

Kate observa sa montre avant de lever les yeux vers Emma :

– Je dois vraiment y aller, j’ai déjà cinq bonnes minutes de retard, grimaça-t-elle avant de s’interrompre. Ça va aller ?

Emma hocha légèrement la tête :

– Oui file. J’ai rien avant onze heures, je vais aller lire un peu à la bibliothèque, ça me changera les idées.

– D’accord, je te revois plus tard à l’appartement.

Emma acquiesça puis l’observa s’éloigner le long du couloir, un faible soupir s’échappant de ses lèvres. Décidément, sa vie dans sa nouvelle école commençait bien. On la dévisageait sans cesse, une parfaite inconnue se permettait de la juger sur sa condition sociale et sa colocataire avait un comportement des plus étranges à son égard.

Oui, tout simplement génial, pour un début de nouvelle vie !

1 septembre 2011

Disclaimers

La Lumeda

  Copyright © 2012

La Lumeda

Genre : Amitiés, Romance, Machinations

 

Cette fiction traite d'une histoire d'amour mettant en scène deux femmes. Ce qui veut dire que si l'idée de deux femmes ensembles vous répulse, vous êtes grandement invité à passer votre chemin  :D  

Pour les autres, je vous souhaite un très bon moment de lecture et j'espère que cette histoire vous plaira. Un gros merci d'avance de prendre le temps de me lire.

Oh et petit détail qui a son importance : l'histoire se déroule dans un pays fictif nommé Lynève et qui se situerait entre la France, l'Italie et la Suisse. Son système politique, économique, judiciaire et tutti quanti reste cependant similaire à la France. Voilà !

Bêta(s) : Un énorme merci à EurekaJo, Reve17, Fred et Jennifer sans qui ce récit ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui.

Longueur : Vingt-huit chapitres + Un épilogue. 122 000 mots environ.

Résumé : Mais qu'a-t-il bien pu passer par la tête d'Emma Harrison pour qu'elle décide d'elle-même d'intégrer La Lumeda, une pension hors de prix réservée aux enfants issus de la Haute Bourgeoisie et où tous lui font pourtant sentir qu'elle n'y a pas à sa place ? Pour Katherine de Lonay, sa colocataire et futur héritière d'un empire industriel immense, le mystère reste entier. Mais cette arrivée aussi surprenante qu'inattendue d'Emma va pourtant faire voler ses petites habitudes en éclat...


PS : Un ENORME merci à Chlo Plume pour sa critique littéraire : La Lumeda, perle du net.

 

Note de l'auteure : Il est important de rappeler que l'appropriation d'écrits appartenant à autrui est illégal. Ces écrits sont les miens et sont "protégés du fait même de leur existence." Pour plus d'information, c'est par ici : Code de la propriété intellectuelle

En conséquence, si jamais l'envie vous prenait, sachez qu'il vous est interdit de vous emparer de mes écrits pour les reposter ailleurs, qu'ils soient accompagnés ou non d'un lien vers ce site. La seule chose que je vous autorise, c'est justement un lien vers ce site, rien de plus  ;)  Un peu de publicité n'a jamais fait de mal à personne !  :D 

En vous remerciant de votre compréhension.

 

 

Chapitre 1 :

Lundi 1er Septembre 2003.

Confortablement assise sur le rebord de la fenêtre, Emma souleva le rideau afin d’observer la vue qui s’offrait à elle. La propriété, construite loin de la ville, s’étendait sur plusieurs hectares et se composait d’imposants édifices inspirés par la Renaissance Italienne, ainsi que d’une immense cour composée d’un lac en son centre et d’espaces verts parsemés de plantes et de bancs en marbre ici et là.

Derrière elle, elle pouvait entendre sa mère et la surveillante principale discuter, mais elle n’y prêta pas attention, s’émerveillant à la place du décor qui l’entourait. Fidèle à son extérieur, la pièce dans laquelle elle se trouvait était tout aussi impressionnante. Le salon spartiate et d’une propreté impeccable, avec ses tons clairs et ses objets décoratifs, se composait d’un mobilier moderne et confortable ; un canapé, des fauteuils profonds, un écran plat, et lorsqu’elle regarda en face d’elle, Emma dressa la même conclusion pour la cuisine ouverte, visiblement fonctionnelle et très bien équipée.

Un léger sourire étira ses lèvres. C’était tellement différent de tout ce qu’elle avait connu jusqu’à présent, à des années-lumière même. Et même si elle pouvait ressentir une certaine appréhension au creux de son ventre, le sentiment d’euphorie qui l’habitait le dépassait cependant largement.

Elle allait enfin pouvoir prendre un nouveau départ. Tout recommencer et ce dans un monde tout aussi nouveau.

Son regard s’arrêta sur les deux femmes qui discutaient au beau milieu de la pièce et Emma ne put cependant s’empêcher de ressentir un léger pincement au cœur. Elle allait devoir laisser sa mère seule derrière elle. En dix-sept années d’existence, il n’y avait toujours eu qu’elles deux, et Emma mentirait si elle disait que la relation qu’elles partageaient était loin d’être fusionnelle. Car c’était bien là la vérité. En plus d’être celle qui lui avait donné la vie, sa mère était surtout sa meilleure amie, sa confidente, celle qui était toujours là quoi qu’il arrive.

Et pourtant, Emma avait bel Eh bien choisi de quitter le nid familial. Rien ne s’acquiert sans sacrifice, disait-on. Eh bien c’était ce qu’elle avait choisi de faire. Prendre son envol un peu plus tôt que prévu, pour pouvoir repartir de zéro. Un mal pour un bien en quelque sorte... même si l’idée lui fendait littéralement le cœur.

– Alors mon cœur, qu’est-ce que tu en penses ? Ça te plaît ?

Emma leva les yeux vers un regard aussi vert que le sien avant de hocher la tête :

– C’est plus impressionnant que ce que je m’étais imaginé mais oui, j’aime beaucoup.

– Tant mieux, répondit aussitôt Eva, la surveillante principale, un sourire ravi sur les lèvres. C’est important pour nous que nos élèves se sentent bien chez eux, ça leur permet de respirer un peu en dehors des cours et travailler calmement.

Les mots lui parvinrent et Emma se sentit aussitôt lui sourire en retour. Lorsqu’Eva Andreone les avait accueillies le matin même, Emma n’avait pu s’empêcher de penser que, semblable au décor qui les entourait, elle respirait elle aussi le chic et l’élégance avec sa blouse bohème et son tailleur pantalon couleur crème. Mais ses longs cheveux blonds réunis en chignon lâche, et son regard noisette particulièrement engageant lui donnaient cependant un air amical qui vous poussait rapidement à vous sentir à l’aise, et Emma se demanda un instant si elle le faisait exprès ou si c’était naturel chez elle.

Le son de sa voix la ramena à la réalité :

– Bien sûr, tu auras aussi la possibilité de visiter les salles de détente, le foyer, ou bien les différentes salles de sport. La piscine est particulièrement populaire, finit-elle dans un clin d’œil.

Emma croisa le regard de sa mère, visiblement aussi surpris que le sien, avant de balbutier :

– Il va effectivement me falloir un petit temps d’adaptation.

Eva lâcha un rire :

– Ça va aller, ne t’en fais pas, rassura-t-elle tout en récupérant son sac à main ainsi que la pochette qu’elle avait déposée sur le canapé. En attendant, je vais te laisser finir de t’installer et profiter des derniers moments avec ta maman en toute tranquillité. Je repasserai te voir demain afin de parler de la rentrée et de ce que sera ta future vie ici un peu plus en détail, d’accord ?

Emma acquiesça et Eva poursuivit, désignant la pochette :

– Je te laisse les différents documents qu’on feuillètera ensemble, le règlement intérieur, ton emploi du temps... si tu veux y jeter un coup d’œil en attendant, n’hésite pas. Et si jamais tu as le moindre problème, tu sais où se trouve mon bureau.

Emma hocha la tête d’un air entendu et Eva souhaita un bon retour à Isabelle avant d’offrir un léger signe de la main en direction d’Emma puis quitter la pièce. La porte se referma derrière elle et Emma quitta aussitôt le rebord de la fenêtre afin de venir se réfugier dans les bras maternels, relâchant un soupir d’aise lorsqu’elle sentit deux lèvres se presser contre sa tempe.

– Je m’apprêtais à essayer de te faire changer d’avis, mais quand je vois combien les surveillants ont l’air d’être sympathiques et tout ce que l’école offre, je me dis que c’était peut-être pas une si mauvaise idée en fait.

Emma sourit avant de tourner la tête vers la femme dont elle possédait les mêmes traits, dix-sept années en moins.

– Alors voilà, un peu de gentillesse et de luxe et hop, t’as envie de te débarrasser de moi, taquina-t-elle tout en s’emparant d’une longue mèche de cheveux clairs qu’elle enroula autour de son doigt.

– Non, répondit aussitôt Isabelle, un triste sourire sur les lèvres tandis qu’elle baissait les yeux vers leurs mains liées. J’aurais au contraire préféré que tu attendes encore un an avant de quitter la maison, comme ça aurait dû être le cas.

Emma passa ses bras autour du cou d’Isabelle et la serra un peu plus contre elle, désireuse de faire disparaître l’air malheureux qui habitait son visage.

– Je téléphonerai aussi souvent que je le peux, et puis Noël arrivera vite.

– Mais tu peux toujours changer d’avis, tu le sais ça, pas vrai ? demanda aussitôt Isabelle en se dégageant légèrement afin de pouvoir la regarder.

Emma ne put s’empêcher de sourire. Elle avait beau lui avoir expliqué à maintes reprises, sa mère n’arrivait pas à comprendre pourquoi elle avait choisi de venir ici, aussi loin de la maison, et qui plus est, dans une pension. Car c’était bien ce qu’était La Lumeda. Elle était la plus réputée du pays, et aussi la plus onéreuse. Le royaume des enfants de l’élite financière et politique du pays, comme certains l’appelaient. Avec un taux de réussite au Baccalauréat s’élevant à 97%, l'établissement faisait bénéficier les élèves des méthodes d'enseignement dernier cri, le tout dans un cadre naturel. Les places s’arrachaient et elles étaient limitées ; seulement trois classes de secondes, de premières et de terminales, soit une classe par section, S-ES-L. Mais Emma lui avait assuré que c’était ce qu’elle désirait plus que tout, alors elle avait accepté, même si cela n’avait pas été simple.

– Je sais, répondit-elle avant de donner voix aux paroles qu’elle n’avait cessé de repousser depuis leur arrivée. Tu devrais y aller, la route est longue pour rentrer.

Isabelle acquiesça à contre cœur.

– Je sais. Mais avant, j’ai quelque chose pour toi.

– Ah ? répondit aussitôt Emma, surprise.

Elle observa sa mère récupérer son sac à main mais elle secoua aussitôt la tête lorsqu’elle la vit s’emparer d’une enveloppe qui ne laissait aucun doute quant à ce qu’elle contenait.

– Maman arrête, j’ai pas besoin de ça.

– Si justement, l'interrompit aussitôt Isabelle en prenant ses mains dans les siennes. Emma, je sais que je ne peux pas t’offrir beaucoup, et certainement bien moins que ceux qui sont ici on l’habitude de recevoir –

– Maman...

Isabelle posa un doigt sur ses lèvres :

– Mais je tiens à ce que ton année se déroule dans les meilleures conditions possibles. Les études c’est une chose, et je ne me fais pas de soucis pour toi à ce sujet, ajouta-t-elle dans un clin d’œil qui fit légèrement rougir Emma. Mais il faut savoir s’amuser de temps en temps aussi... alors laisse-moi t’aider à ce niveau-là, d’accord ? finit-elle en refermant les mains d’Emma autour de l’enveloppe. Et si tu ne veux pas l’utiliser... mets-le simplement de côté.

Emma se mordit la lèvre avant de hocher la tête puis la prendre dans ses bras. Elle ne voulait pas qu’elles se quittent sur une mauvaise note car même si elle l’avait choisi, les choses n’étaient pas aussi simples pour autant et elle ne voulait certainement pas les rendre plus difficiles encore.

– Je t’aime, répondit-elle simplement, enfouissant son visage dans le cou situé à proximité lorsqu’elle sentit sa mère la serrer contre elle en retour.

– Moi aussi, murmura Isabelle, visiblement émue. Et compte sur moi pour te harceler de coups de fil.

Emma rit légèrement avant de se reculer.

– Ça marche, sourit-elle avant de prendre un air un peu plus sérieux. Je sais qu’on ne joue pas dans la même cour que ceux qui sont ici, mais je m’en fiche. Il y a bien plus important que l’argent dans la vie, et ça, tu me l’as toujours donné. Sans concessions et sans limites. Alors te sens pas responsable par rapport à ça, d’accord ?

Isabelle secoua légèrement la tête, mi-embarrassée, mi-incrédule, avant de venir l’embrasser sur la joue.

– Je me demande vraiment ce que je ferais sans toi, tu sais, répondit-elle en se redressant.

– Moi aussi, répondit Emma, émue à son tour. Et tu as ordre de prendre soin de toi.

Isabelle lâcha un rire tout en se dirigeant vers la porte.

– Je croyais que c’était moi la mère dans l’histoire ? taquina-t-elle avant de reprendre son sérieux. Promis. Et compte sur moi pour m’assurer que tu fais la même chose.

Emma hocha la tête et Isabelle lui souffla un baiser du bout des lèvres avant de quitter la pièce, essuyant discrètement les larmes qui s’étaient échappées tandis que de l’autre côté de la porte, Emma faisait la même chose.

💕

Le dernier livre déposé à sa place, Emma relâcha un profond soupir avant de se laisser retomber sur le lit. Elle venait enfin de terminer de s’installer, ce qui s’était traduit par ranger ses vêtements, ses affaires de cours, sa réserve de sucrerie – idéale pour affronter les prochains jours de cafard de sa nouvelle solitude, classer ses livres par ordre alphabétique et disposer les divers bibelots qu’elle possédait ici et là. Sa tête de lit était désormais surplombée d’un grand poster de son film préféré ; « The Truman Show », et au-dessus de son bureau, on pouvait désormais apercevoir quelques photos d’elle en compagnie de ses proches, ainsi que quelques cartes postales des lieux qu’elle s’était promis de visiter un jour. Elle possédait encore quelques affiches dans sa valise, mais pour l’instant, le peu qu’elle avait accroché lui suffisait.

Les quelques peluches qu’elle avait déposé sur son lit lui chatouillèrent désagréablement le visage et elle les écarta d’un air absent avant de laisser son regard s’évader autour d’elle. Elle avait découvert, en passant la porte le jour de sa première visite, qu’un deuxième lit ornait la pièce et que sa colocataire occupait visiblement déjà les lieux et ce depuis plusieurs mois. Sur le moment, Emma n’avait pas su si cela la dérangeait, et elle devait bien admettre qu’elle ne le savait toujours pas. Etant fille unique, elle avait toujours eu sa chambre pour elle seule et savoir que les choses allaient désormais changer de ce point de vue la laissait perplexe, mais elle espéra sincèrement qu’elles allaient bien s’entendre et parviendraient à cohabiter sans problème. 

Son regard s’arrêta sur la partie de chambre lui faisant face et Emma réalisa en plus qu’elle ne savait rien d’elle mis à part ce qu’elle voyait sous ses yeux. Son bureau était soigneusement rangé, ne possédant que quelques stylos rassemblés dans une boîte, des classeurs et des pochettes impeccablement alignés. Au-dessus, sur l’étagère fixée au mur, reposaient une chaine hifi et toute une compilation de CD ainsi que quelques livres et DVD. Et puis il y avait les murs qui revêtaient quant à eux quelques posters et diverses photos éparpillées ici et là.

Dans l’ensemble, sa colocataire aurait très bien pu avoir élu domicile en même temps qu’elle tant leurs espaces respectifs se ressemblaient, et Emma se demanda un instant si elle allait avoir affaire à une maniaque du rangement où à une élève qui n’avait simplement pas eu envie de réellement s’installer. Comme si elle savait pertinemment que son séjour ici était temporaire, et qu’elle tenait à être prête à partir à tout moment et le plus rapidement possible.

Hmm, bizarre.

La porte de l’appartement s’ouvrit et Emma sursauta légèrement, avant de se précipiter vers l’encadrement de la porte afin de voir à quoi ressemblait celle avec qui elle allait partager l’appartement pendant l’année à venir. Tout ce que la surveillante principale lui avait dit, c’était qu’elle se nommait Katherine De Lonay – comme si le nom lui-même était censé lui rappeler quelque chose – et maintenant qu’elle la savait présente, elle était impatiente d’en découvrir plus.

Lorsqu’elle pénétra dans la pièce, l’adolescente qui était très certainement sa colocataire était en train de prendre place au bar de la cuisine, un yaourt entre les mains. Au vu des écouteurs accrochés à ses oreilles et sa façon de remuer sa tête au rythme de la musique, elle était visiblement déconnectée du monde extérieur et Emma en profita pour l’observer. Ses cheveux châtain foncé, légèrement ondulés, retombaient librement sur ses épaules, ses traits étaient fins, sa peau claire et au vu de sa tenue et de la sueur qui recouvrait son débardeur, elle pratiquait visiblement un sport.

Et lorsqu’elle leva finalement la tête dans sa direction, Emma remarqua que comme la surveillante principale, elle avait elle aussi les yeux noisette.

– Salut, sourit maladroitement Emma lorsqu’aucune réaction ne lui parvint.

Kate cligna un instant des paupières avant de retirer ses écouteurs.

– Hmm salut, répondit-elle en descendant du tabouret et en venant à sa rencontre. Emma, c’est ça ?

Emma hocha la tête :

– Et toi c’est Katherine, c’est ça ?

– Exact. Je vois qu’on t’a bien renseigné, répondit Kate dans un léger sourire tout en tendant une main. Mais t’embête pas, appelle-moi Kate.

Elle s’observa de la tête aux pieds avant de reporter son attention sur Emma, un air désolé sur le visage :

– J’espère que tu m’excuseras pour l’accueil, on m’avait prévenue de ton arrivée mais on ne m’avait pas donné de jour exact. Tu t’es bien installée ?

– Oh. Ça c’est un peu décidé sur le tard en fait, comme ma mère travaille... Mais oui, oui, je viens tout juste de finir d’ailleurs.

– Tant mieux, répondit Kate, un léger sourire sur les lèvres.

Elle laissa son regard s’évader autour d’elle avant de reporter son attention sur Emma :

 – Bon et sinon, qu’est-ce qui t’amène ici ?

Emma la regarda, l’air confus.

– Euh, comment ça, qu’est-ce qui m’amène ici ?

– Ben, on a tous une raison pour se retrouver ici... la tienne c’est quoi ?

– Oh. Euh, eh bien... leur plaquette est vraiment intéressante, répondit Emma en glissant les mains dans ses poches. Ils proposent des options qui n’existent nulle part ailleurs. Et puis, ils ont une excellente réputation et un taux vraiment important de réussite au bac.

Le silence lui répondit avant qu’un air sceptique n’accompagne la réponse :

– Donc... tu veux me faire croire que tu es venue ici, dans cette pension... de ton plein gré ? répondit Kate les sourcils haussés.

– Ben… oui.

Kate haussa les sourcils avant de remuer une main dans les airs et regagner la cuisine :

– Ouais, si tu veux, lâcha-t-elle par-dessus son épaule, visiblement dubitative.

Emma serra aussitôt des dents. Bien joué Emma, la prochaine fois, si tu veux qu’elle te croit, mets-y un peu plus d’entrain peut-être !

– Et toi ? demanda-t-elle en s’approchant du bar.

– Quoi moi ? répondit Kate en relevant les yeux vers elle.

– Ben, pour quelle raison te retrouves-tu ici ?

Kate l’observa un instant, comme si elle pesait le pour et le contre, avant de pencher légèrement la tête sur le côté, et afficher un sourire énigmatique

– Je te raconterai mon histoire… quand tu me raconteras la tienne, répondit-elle, visiblement fière d’elle. En attendant, je vais prendre une douche. Si t’as faim le frigo est plein, ajouta-t-elle en sautant du tabouret.

Emma l’observa s’éloigner jusqu’à ce que la porte de la salle de bain se soit refermée derrière elle, et elle passa aussitôt ses mains sur son visage avant de les laisser retomber à ses côtés. Bon, pour une première rencontre, ça aurait pu être pire, non ?

Elle soupira intérieurement avant de regagner la chambre.

Humpf.

1 septembre 2011

Disclaimers

Liv' et Tess

  Copyright © 2011

Liv' et Tess

Genre :  Romance, Sexy, Humour

 

Cette fiction traite d'une histoire d'amour mettant en scène deux femmes. Ce qui veut dire que si l'idée de deux femmes ensembles vous répulse, vous êtes grandement invité à passer votre chemin  :D  

Pour les autres, je vous souhaite un très bon moment de lecture et j'espère que cette histoire vous plaira. Un gros merci d'avance à tout ceux qui prendront le temps de me lire.

Bêta : Un énorme merci à Fred sans qui ces petites histoires ne seraient pas celles qu'elles sont aujourd'hui.

Résumé : Elles se cherchent, se taquinent, se confient mais surtout, elles sont follement amoureuses. Bienvenue dans l'univers de Liv' et Tess !

 

Note de l'auteure : Il est important de rappeler que l'appropriation d'écrits appartenant à autrui est illégal. Ces écrits sont les miens et sont "protégés du fait même de leur existence." Pour plus d'information, c'est par ici : Code de la propriété intellectuelle

En conséquence, si jamais l'envie vous prenait, sachez qu'il vous est interdit de vous emparer de mes écrits pour les reposter ailleurs, qu'ils soient accompagnés ou non d'un lien vers ce site. La seule chose que je vous autorise, c'est justement un lien vers ce site, rien de plus  ;)  Un peu de publicité n'a jamais fait de mal à personne !  :D 

En vous remerciant de votre compréhension.

 

 

Episode 1 : Sexfriend... ou plus ?

Le haut de son corps retomba lourdement sur le lit, le cœur battant, la respiration haletante. Les rayons du soleil, filtrant à travers les stores, s’étendaient sur son corps dénudé légèrement recouvert d’une fine couche de sueur et elle ferma les yeux de bien-être face à la douce quiétude qui régnait dans la pièce, seulement brisée par les respirations qui regagnaient petit à petit un rythme régulier et le ventilateur qui tournait tranquillement au-dessus d’elles.

Une tête se posa sur son ventre et ses doigts vinrent aussitôt s'immiscer dans les longs cheveux blonds qui s'étendaient désormais sur elle, l’odeur envoûtante de sa peau, mêlée à celle de leurs récents ébats, lui parvint et elle inspira profondément avant de rouvrir les yeux lorsqu’elle sentit le visage couché sur elle se tourner dans sa direction.

— Alors, heureuse ? demanda Tess, ses yeux bleus brillants d’une étincelle malicieuse.

Liv’ haussa les sourcils avant d’éclater de rire.

— Fallait que tu la sortes un jour celle-là, hein ? sourit-elle avant de légèrement secouer la tête. En tout cas, je suis quasiment certaine que je vais avoir des difficultés à marcher durant le reste de la semaine.

— Ah, ah, répondit Tess en remuant un doigt vers elle. Je sais, j’ai cet effet sur les femmes, ajouta-t-elle en usant de sa voix la plus prétentieuse et en levant le menton, fière d’elle.

Sa réponse lui valut une légère tape sur l’épaule suivit de chatouilles dans les côtes, la forçant à se tortiller tandis qu’elle éclatait de rire. Liv’ la relâcha finalement et la laissa reprendre son souffle alors qu’elle se réinstallait confortablement contre l’oreiller qui se trouvait sur le sol.

— Si tu veux mon avis, reprit Tess une fois calmée, toutes les femmes devraient être lesbiennes. Je veux dire, tu as vu à côté de quoi elles passent sinon ?

Elle secoua la tête.

— C’est du gâchis, moi je te le dis !

Elle sentit le corps allongé sous elle se mettre à trembler avant que le rire de Liv’ ne résonne dans la pièce et elle changea de position, se mettant de profil afin de pouvoir la regarder.

— Tu dois vraiment aller au bar ce soir ? demanda-t-elle sérieusement, traçant d’un air absent la courbe du sein se trouvant à proximité.

Elle sentit Liv’ entourer ses épaules de son bras et elle soupira d’aise malgré elle lorsque la jeune femme les massa doucement.

— Eh bien, je ne pense pas que ma patronne apprécierait mon absence.

Tess lui lança un regard brillant tout en entamant la remontée de son corps de ses lèvres, commençant par le creux entre ses seins.

— Tu pourrais, je ne sais pas, lui dire d’aller se faire voir ?

— Ooooh je suis sûre qu’elle adorerait ça, lui assura Liv’ alors qu’elle glissait de nouveau ses doigts dans ses cheveux blonds et la sentait sourire contre sa peau.

— Hum, je crois aussi, mais seulement si c’est avec toi.

La réponse vint accompagnée d’un léger grognement alors que le souffle chaud contre sa peau rendait à Liv’ la concentration de plus en plus difficile.

— Bien sûr, ronronna-t-elle, se délectant du contact peau contre peau alors qu’une chaleur bien familière prenait de nouveau place au creux de son ventre.

Tess releva la tête et posa son menton sur son sternum alors qu’elle caressait paresseusement ses côtes du bout de ses doigts.

— C’est décidé, je vais dire à Maddie d’y aller à ta place, tu es très malade.

— Oh oui, extrêmement malade, répondit Liv’ en traçant ses sourcils d’un air absent, un sourire qu’elle se savait niais sur ses lèvres.

— Exactement, à tel point qu’il t’est impossible de sortir du lit.

Liv’ lâcha un rire.

— On va passer pour de vraies hédonistes, tu en es bien consciente ?

— Oh mais c’est ce que nous sommes, ma belle, sourit Tess avant de s’emparer du lobe de son oreille et de le suçoter légèrement, arrachant un gémissement à son amante qui resserrait ses bras autour d’elle.

— Continue comme ça, et je suis sûre que l’on pourra certifier que j’ai de la fièvre, souffla difficilement Liv’ alors qu’elle sentait la main de Tess recouvrir son sein droit.

— Tant mieux, comme ça je n’aurais pas à supporter toutes ces butchs qui te dévorent sans arrêts du regard, répondit la jeune femme d’un air absent, descendant dans son cou pour mordiller la peau douce.

Le corps sous elle s’immobilisa et elle s’interrompit, réalisant ce qu’elle venait de dire, et ce que cela impliquait. Oh non non non non non merdemerdemerde !!!

— Quoi ? demanda finalement Liv’.

Tess se redressa lentement de manière à voir son visage.

— Jalousie amicale ? tenta-t-elle en grimaçant.

— Tess, on avait dit —

— Je sais ce que l’on avait dit, coupa-t-elle doucement, les images envahissants son esprit malgré elle.

 

Porto Vecchio - L’Afrodisiack (discothèque gays et lesbiennes). Deux ans plus tôt.

 

— Deux pina coladas par ici ! hurla Liv’ afin de se faire entendre par-dessus la musique qui battait son plein.

La soirée était déjà bien avancée et étant samedi soir, la discothèque était pleine à craquer, la foule n’étant plus qu’une immense masse uniforme sous les lumières des projecteurs. Liv’ s’apprêtait à servir un nouveau client lorsqu’une main attrapa la sienne et la tira pour qu’elle sorte de derrière le bar.

— Tess attends, mais qu’est-ce que tu fais ?!

— J’adore cette chanson, vient ! cria la jeune femme pour se faire entendre alors qu’elle la trainait vers la piste.

Oh bon sang, pensa Liv’ alors qu’elle tentait péniblement de se frayer un chemin parmi la foule sans trébucher.

— Tess, je travaille, tu te souviens ? On a besoin de moi derrière le bar !

— Nan, Gégé et Maddie s’en sortiront, répondit la jeune femme en s’arrêtant sur la piste et lui faisant face. Je sais que tu adores toi aussi cette chanson, on a dansé dessus au bal de promo !

— Ce genre de propos ne nous rajeunit pas, Tess, répondit-elle pensant à ses trente ans qui approchaient à grands pas. Beurk.

— D’accord, d’accord, mais allez, détends-toi Liv’ et promis, après, je te relâche.

Le regard de Liv’ s'évada et scruta les alentours avant de revenir sur Tess qui l’observait.

— Bon d’accord, juste celle-ci ! répondit-elle, recevant un immense sourire de la part de Tess en réponse.

La discothèque organisait des soirées à thèmes tous les samedis soirs et elle devait bien s’avouer que l’envie de venir sur la piste et se déhancher comme elles le faisaient à présent l’avait démangée à plusieurs reprises. Ah les années 80…, se dit-elle intérieurement. Elle fut sortie de ses pensées par une Tess qui se tortillait sensuellement tout en s’approchant d’elle et Liv’ s’interrompit un instant. Était-ce dû à la lueur des spots ou voyait-elle… du désir dans ce regard bleu turquoise qu’elle connaissait par cœur ?

— Tess… tu ne serais pas en train de me draguer, par hasard ? demanda-t-elle dans l’oreille toute proche.

Tess ne répondit pas tout de suite et se contenta de lui sourire, les yeux légèrement brillants, avant de s’approcher à  son tour.

— Je ne dirai pas ça comme ça, répondit-elle, sûre d’elle. Disons que je te fais une proposition.

— Une proposition ? s’étonna Liv’.

— Exactement, acquiesça Tess.

— D’accord… Et qu’est-ce qui te fait croire que j’accepterais ?

— Eh bien, nous sommes toutes deux adultes, nous avons toutes deux certains… besoins, et je sais que nous pensons la  même chose concernant les relations amoureuses.

Elle fit une légère pause avant d’ajouter.

— Ça ne se limitera qu’au sexe.

Liv’ se recula légèrement et étudia son visage un instant, se demandant si elle était sérieuse ou non.

— D’accord…, répondit-elle prudemment. Mais pourquoi moi ? Tu pourrais avoir n’importe qui ici, ajouta-t-elle en faisant un geste de la main pour désigner la foule.

Tess se rapprocha d’elle et la regarda dans les yeux.

— C’était la solution la plus simple à mes yeux. On se connait depuis toujours Liv’, on s’entend bien, on déconne, on se confie… on s’éclaterait bien, non ? Pas de sens unique et du sexe mêlant complicité, tendresse et amitié, c’est un mélange plutôt intéressant, non ? Et puis… je dois admettre que tu sais être diablement séduisante quand tu le veux, sourit-elle en gratifiant son corps d’un regard appréciateur.

Liv’ déglutit, c’était la première fois que Tess utilisait un timbre aussi… aguichant à son égard et elle sentit les battements de son cœur s’accélérer malgré elle. La chaleur émanant de l’endroit mêlée la proximité de cette femme si sexy n’arrangèrent pas les choses et, sans s’en rendre compte, son regard descendit vers son décolleté où la naissance de sa poitrine était on ne peut plus visible.

— Tu aperçois quelque chose d’intéressant ? la taquina Tess en posant une main sur sa hanche.

— Ça se pourrait bien oui, répondit Liv’ en relevant les yeux, un léger sourire sur ses lèvres. Pas de sentiments alors ?

— Pas de sentiments.

— Et ça ne change rien entre nous ?

— Absolument rien.

— Je n’en demande pas plus, répondit Liv’ en se rapprochant et posant ses lèvres sur celles de Tess, l’attirant hors de la piste vers le bureau à l’étage qu’elle savait vide, sa propriétaire étant entre ses bras.

Les choses avaient commencées comme ça, et elle ne s’était pas trompée. Elle ne voulait qu’une relation physique, quelque chose d’uniquement sexuel, charnel, animal. Juste sentir le plaisir s’emparer de son corps sous les assauts d’une autre femme. Et Tess était sans conteste la personne la plus sexy qu’elle ait jamais autorisée à posséder son corps.

 

— Pas d’engagement, pas d’exclusivité, pas d’attentes, pas de petits noms, pas de sorties en tête à tête, pas de cadeaux, juste du bon temps. J’ai tout bon ?

— Tess…

— J’ai pas signé de contrat hein.

Liv’ la repoussa doucement alors qu’elle se redressait et elle se retrouva assise sur ses cuisses.

— Tess, ça complique tout ça, c’est pour ça que ces règles étaient là, soupira Liv’ en se passant les mains sur le visage.

— Je sais, murmura la jeune femme. Tu me croirais si je te dis que je n’ai pas réussi à éviter les flèches de Cupidon ?

Liv’ soupira à nouveau.

— Tess s’il te plaît, je suis sérieuse là.

— Moi aussi, répondit la jeune femme, croisant les bras sur sa poitrine et calant ses mains sous ses aisselles pour s’empêcher de succomber à l’envie de toucher le corps de son amante sur lequel elle était toujours assise.

Il y eut un léger silence avant que Liv’ ne reprenne la parole.

— Je ne suis pas sûre… je crois que… je ne suis pas sûre de vouloir ça, Tess.

La jeune femme haussa les sourcils, essayant tant bien que mal d’ignorer la douleur qui envahissait soudainement sa poitrine et lui coupait presque le souffle.

— Ça ? Quoi ça ? Ça ne t’a jamais posé de problème jusqu’à maintenant.

— Parce que jusqu’à présent les choses étaient claires ! s’emporta Liv’. Pas de sentiments Tess ! Rien ! Juste du bon temps ! Pourquoi a-t-il fallu que tu compliques tout ?!

Elle secoua la tête.

— Et pourquoi me le dire maintenant ? Ça fait longtemps que tu ressens… quelque chose ?

Elle n’attendit pas la réponse et se couvrit le visage de ses mains tandis que Tess restait interdite.

— Et merde, fait chier, grommela-t-elle contre ses paumes.

Mal à l’aise, Tess se racla maladroitement la gorge, résistant à l’envie de la prendre dans ses bras, de la serrer contre elle et de lui dire d’oublier. Juste oublier les cinq dernières minutes. Oublier les paroles qu’elle aurait dû garder pour elle. Simplement oublier.

Sauf que dans la vraie vie, le bouton « effacer » n’existe pas, et « rembobiner » encore moins.

— Hum, tout d’abord, tu es ma meilleure amie, alors oui, j’ai toujours ressenti quelque chose pour toi.

— Tess…

— Oh non, non, non, non. Ne me fais pas ça, tu veux ? Ça se commande pas, d’accord ? Je… je ne sais pas quand c’est arrivé, je ne savais pas…

Elle leva les mains avant de les faire retomber sur ses genoux.

— Je crois qu’on aurait dû s’en douter, en fait. Après tout ce temps, sans jamais s’être prise la tête… ce genre de relation ne peux pas marcher s’il n’y a pas de sentiments quelque part.

Elle prit une profonde inspiration avant de poursuivre, bien consciente que sa gorge se serrait de plus en plus et que les larmes n’étaient pas loin.

— La question est… sont-ils uniquement présents chez moi ?

— Quoi ? demanda Liv’ en relevant la tête. Je, Tess attends, c’est… enfin, je veux dire, tu…

— Un « oui » ou un « non » serait bien utile là, Liv’, la coupa doucement la jeune femme.

Liv’ laissa son regard retomber sur ses mains et Tess secoua doucement la tête.

— Et moi qui croyais que la peur de l’engagement était typiquement masculine.

— Pardon ? demanda Liv’ en levant de nouveau la tête. La peur de… Tess tu as perdu la tête ou quoi ?

— Certains disent que ça vient des relations entretenues avec les parents, je me demande ce que Freud dirait de tout ça.

Liv’ haussa les sourcils et porta ses mains à ses tempes.

— Tess, Tess, on a une discussion sérieuse là, tu en as bien conscience, non ?

— Je sais, j’ai juste tendance à balbutier quand je suis stressée, répondit-elle dans un sourire penaud, les yeux légèrement brillants de larmes ne demandant qu’à couler.

Cédant à son envie, elle s’empara des mains de Liv’ et plongea son regard dans le sien.

— Laisse-moi te faire l’amour, Liv’, demanda-t-elle d’une voix légèrement tremblante.

Si elle fut surprise de la demande inattendue, Liv’ le fut encore plus de devoir avaler la boule soudainement apparut dans sa gorge avant de pouvoir répondre.

— On passe tout notre temps à faire ça, plaisanta-t-elle faiblement.

Tess secoua la tête.

— Non, je ne te parle pas de sexe Liv’, laisse-moi… laisse-moi t’aimer, s’il te plaît.

La fin de sa phrase contenait une note interrogative, mêlée d’espoir et d’hésitation qui ne passèrent pas inaperçus aux oreilles de la jeune femme. Liv’ fut soudainement surprise de voir sa vue se brouiller, et elle ferma les yeux pour laisser les larmes couler le long de ses joues. Elle sentit aussitôt deux mains encadrer son visage et les essuyer dans une douceur déconcertante.  

— Peut-être…

Réalisant combien sa voix était tremblante, Liv’ s’interrompit et se racla maladroitement la gorge avant de reprendre.

— Peut-être que Freud dirait… peut-être qu’il dirait que derrière tout ça, il y a une envie de se protéger de ses peurs profondes, de… de les éviter ?

Tess resta silencieuse, l’encourageant du regard à continuer.

— Peut-être que… peut-être que la personne à peur… à peur d'être abandonnée ? Peut-être qu’elle a peur de s'impliquer émotionnellement et d’avoir mal ? Alors… alors à chaque fois que le besoin d'amour se fait sentir, la personne ferme les yeux parce qu’à chaque fois, les peurs reviennent, renifla-t-elle.

— Liv’, tu te souviens de ce que je t’ai dit ce jour là, sur le fait que l’on était pareille concernant les relations amoureuses ?

Liv’ hocha silencieusement la tête.

— Je pense que ces peurs disparaissent quand elles sont remplacées par un plus grand amour de soi. Il suffit que tu y crois, Liv’. Comme j’y ai cru, grâce à toi.

Liv’ lâcha ses mains et entoura son cou de ses bras, enfouissant son visage dans son épaule alors que les premiers sanglots s’emparaient d’elle. Caressant tendrement son dos, Tess lui murmura des paroles réconfortantes à l’oreille en attendant qu’elle se calme, ignorant tant bien que mal l’émotion qui lui serrait la gorge de voir son amie dans cet état.

Liv’ se recula quelques instants plus tard, s’essuyant maladroitement les yeux de ses mains.

— Je suis désolée, tu es toute mouillée, s’excusa-t-elle en désignant le creux son cou, là où elle avait pleuré.

— C’est pas grave, tu as cet effet sur moi, la taquina Tess, ravie d’obtenir un léger rire en retour.

— T’es bête, sourit Liv’ en appuyant son front sur son épaule.

Elle reprit, le ton sérieux.

— Mais tu t’es trompée tout à l’heure.

— Ah oui ?

— Ces butchs, ce n’est pas moi qu’elles dévorent du regard.

Tess la repoussa doucement de manière à pouvoir voir son visage.

— Quoi ?

— C’est toi, elles te regardent toi.

Un léger rire accompagna la réponse.

— Ça je pense que je l’aurais remarqué, Liv’. Non ? ajouta-t-elle d’un ton hésitant en voyant combien Liv’ semblait sûre d’elle.

— Non, répondit la jeune femme en lui mettant une petite tape sur le bout du nez.

— Ah. Pourtant j’étais sûre que… attends, s’interrompit Tess. Comment as-tu remarqué ça toi ? demanda-t-elle en posant ses mains sur ses hanches.

Liv’ eut un faible sourire.

— Tu me croirais si je te dis que je n’ai pas réussi à éviter les flèches de Cupidon ?

Reconnaissant ses propres termes prononcés quelques instants plus tôt, Tess sentit un immense sourire prendre forme sur son visage alors que sa vue devenait légèrement trouble.

— Liv’ ? laissa-t-elle finalement échapper du bout des lèvres, presque timide.

— Oui ?

— On peut passer à la partie réconciliation maintenant ? demanda-t-elle, essayant de calmer la ferveur des douces sensations qui saisissaient son estomac de façon très agréable.

La première réaction que Liv’ aurait eue après une réflexion de la sorte aurait été de rire, mais elle ne le fit pas. Elle eut à la place un élan de tendresse face à ce regard qu’elle lui connaissait si bien, un regard mêlant insécurité et émotion que Tess tentait tant bien que mal de cacher derrière son légendaire humour. Jouant le jeu, elle fit mine de prendre un air embêté, mais son regard laissait clairement entrevoir une forte dose de tendresse et sincérité.

— Peut-être bien…, répondit-elle.

Tess la fixa quelques secondes, à la fois amusée et attendrie, surprise de voir où la conversation les avait menées, cette impression de flottement toujours présente au creux de son ventre.

— Peut-être bien ? répéta-t-elle. La partie la plus intéressante de la dispute, c’est la réconciliation, ça ne peut recevoir de « peut-être bien » en réponse, Liv’, répondit Tess en se collant contre elle, un sourire suggestif accroché à ses lèvres.

— Tu as raison, acquiesça Liv’, une étincelle d’envie brillant dans son regard. Je vois que l’on est sur la même longueur d’ondes.

Tess ne put s’empêcher de sourire et passa doucement son index contre la joue de la jeune femme.

— Alors… je vais devoir t’inviter à un premier rendez-vous, non ? demanda-t-elle doucement.

Le regard de Liv’ s’assombrit de désir et c’est avec un petit sourire en coin qu’elle mit fin à leur joute verbale.

— Je crois bien oui, murmura-t-elle avant de s’emparer de ses lèvres.

 

- FIN -

 

N'hésitez pas à nourir l'auteure, faites-lui savoir ce que vous avez pensé de son histoire !

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1 juillet 2011

Epilogue

Un an plus tard. Thunder Bay, Canada.

— Oui ? demanda Jordan tandis qu’elle ouvrait la porte de l’appartement.  

Elle n’eut pas le temps de voir qui se tenait dans le couloir qu’elle se retrouva avec un enfant dans les bras et un sac sur l’épaule.

— Tout est dans le sac, tu as nos numéros, en ce moment il fait ses nuits, il ne devrait pas y avoir de soucis. Je passe le reprendre demain matin. Merci ! cria-t-il alors qu’il s’élançait vers les escaliers.

— Mais qu’est-ce que… ? Sébastien François Mercier, revient ici tout de suite ! fulmina Jordan.

Oh, oh, grimaça-t-il intérieurement tandis qu’il revenait sur ses pas. 

— Tu m’expliques ? demanda la jeune photographe en haussant un sourcil.          

— Manue n’est pas là ? demanda Sébastien en regardant au-dessus d’elle, scrutant l’appartement.

— Si, elle est sous la douche. Qu’est-ce - 

— C’est l’anniversaire de Jade aujourd’hui, la coupa aussitôt le jeune policier. J’ai prévu une soirée en amoureux et si je ne pars d’ici cinq minutes, ma surprise va tomber à l’eau. Manue est au courant pour Tylian, ajouta-t-il précipitamment.

La jeune femme blonde l’étudia un moment.      

— Menteur.  

Sébastien soupira.   

— Bon d’accord, elle ne sait pas, j’ai complètement oublié de lui demander. S’il te plaît Jordan ! C’est notre première soirée en tête à tête depuis des mois, la supplia-t-il.  

Jordan fit mine de réfléchir pendant plusieurs minutes histoire de le faire languir avant de finalement répondre :    

— C’est la dernière fois que tu nous fais ce coup-là, d’accord ? La prochaine fois, laisse à Jade la responsabilité de nous prévenir, Dieu merci l’un de vous deux à un cerveau, le taquina-t-elle.

— Promis ! répondit aussitôt Sébastien, trop pressé pour rétorquer.           

— Allez file, sourit Jordan. 

— Merci ! Je te revaudrais ça ! hurla le jeune policier alors qu’il dévalait déjà les escaliers.

Jordan secoua la tête tandis qu’elle refermait la porte et allait s’installer sur le canapé. Sébastien et Jade étaient arrivés en ville en début de semaine pour passer les vacances de Noël avec elles et visiter la région et elle ne put s'empêcher de repenser à leurs retrouvailles qui avaient eu lieu plus de deux ans auparavant.  

Dire qu'elles avaient été quelque peu tendues aurait été un euphémisme. Ils lui en avaient voulu d’être partie du jour au lendemain sans donner d’explications ou de nouvelles et surtout d’avoir brisé le cœur de leur amie. Ils ne lui avaient pas fait de reproches ou de remarques désobligées, mais leur attitude réservée et parfois froide avait été tout aussi douloureuse pour Jordan. Elle ne leur en avait pas tenu rigueur, d’une part, parce qu’elle comprenait leur réaction, et admirait même leur côté protecteur envers la jeune policière, et d’autre part, parce qu’elle savait que seul le temps pouvait leur rendre la confiance qu’ils avaient placé en elle avant son départ inexpliqué.

Et puis, le temps et la joie de vivre omniprésente chez la jeune policière avaient fini par avoir raison d’eux, et tout avait fini par rentrer dans l’ordre pour le plus grand plaisir de chacun.

Tylian, debout sur ses genoux, la remmena soudainement à la réalité lorsqu'il se mit à faire des bonds, ses grands yeux noisette rivés sur elle. Le petit bonhomme venait tout juste d’avoir un an et ne marchait pas encore, la vie à quatre pattes semblait faire son bonheur, et pour ce qui était de parler, il ne prononçait pour l’instant que quelques mots, dont les trois-quarts n’étaient pas répertoriés dans le dictionnaire. 

Il aurait pu me laisser le mode d’emploi qui va avec, marmonna Jordan entre ses dents, totalement dépassée par la situation. C’était la première fois qu’elle se retrouvait seule avec Tylian et elle n’était pas rassurée du tout. Elles ne l’avaient vu qu’à quelques rares occasions depuis sa naissance, puisque ses parents vivaient toujours en France et elles au Canada, et en général elle restait à l’écart, se contentant de l’observer de loin ou de lui faire des papouilles lorsqu’il était dans les bras des autres.

— Je vais aller faire un tour à la superette, lui parvint soudainement la voix d'Emmanuelle qui venait d'entrer la pièce, interrompant le cour de ses pensées. On a plus de shampoing, je viens de le finir.

Jordan soupira de soulagement.   

— Manue ?   

— J’en ai pas pour longtemps, répondit la jeune policière alors qu’elle allait et venait dans l’appartement, complètement inattentive à ce qui se passait autour d’elle. Bon sang, mais où est-ce que j’ai mis mes clés ?!        

— Manue ? appela-t-elle à nouveau.        

— Jordan, je te connais, si tu n’as pas de shampoing demain matin je vais en entendre parler pendant toute la semaine, continua-t-elle en passant l’appartement en revue. Je suis rentrée, et je les ai posées… arg mais je les ai posées où ?! continua-t-elle pour elle-même, passant une main agacée dans ses cheveux humides.       

— Manue, on s’en fout du shampoing !

Surprise par cet énervement soudain, la jeune policière tourna enfin la tête dans sa direction et, apercevant son air affolé, elle en oublia instantanément les clés, ni même pourquoi elle les cherchait et s’approcha de la jeune femme avant de prendre l’enfant dans ses bras.      

— Hé coucou toi ! dit-elle en frottant son nez contre celui de Tylian qui lâcha aussitôt un petit rire. Ça va ? demanda-t-elle à Jordan, l’inquiétude présente dans son regard.

La jeune photographe hocha la tête.        

— Mieux maintenant. Je ne suis pas à l’aise avec… ça, répondit-elle, ne pouvant détacher son regard du petit garçon. 

— « Ça » c’est un enfant Jordan, rit aussitôt Emmanuelle. Tu n’en as jamais tenu dans tes bras avant, n’est-ce pas ?

Jordan grimaça.       

— Si une fois, mais c’était il y a longtemps, je devais avoir 8, 9 ans et…

— Et ? demanda la jeune policière tandis que Tylian jouait avec le pendentif qu’elle portait autour de son cou.        

— C’était horrible, répondit Jordan en cachant son visage derrière ses mains.       

Emmanuelle haussa les sourcils.   

— Horrible ? Quoi, il t’a vomi dessus ? ne put-elle s’empêcher de sourire.   

— Non ! s’exclama Jordan en relevant la tête. J’aurais préféré… quoique, beurk, non en fait, ajouta-t-elle en grimaçant.

— Alors quoi ?         

— Je… je l’ai fait tomber.    

La jeune policière ouvrit grand les yeux et resserra instinctivement son étreinte autour de Tylian.

— Woah.       

— Oh non, tu vois, tu me prends pour un monstre ! répondit Jordan en cachant de nouveau son visage entre ses mains.

Bien joué, se réprimanda intérieurement la policière.

— Jordan ? demanda-t-elle doucement.

— Oui…

— Regarde-moi s’il te plaît.

La jeune photographe leva doucement la tête.

— Tu n’es pas un monstre, ou alors tu es le plus beau et le plus sexy des monstres que je n’ai jamais vu, sourit malicieusement Emmanuelle.         

Puis reprenant son sérieux, elle ajouta : 

— Je suis sûre que c’était un accident, non ? Tu étais plutôt jeune, ce sont des choses qui arrivent. Et puis je te connais, tu n’es pas capable de faire du mal. 

La jeune femme blonde haussa les épaules.       

— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, un instant il était dans mes bras, et l’instant d’après, mon père le rattrapait juste à temps.     

Voilà une histoire que l’on ne racontera pas aux parents de Tylian, grimaça intérieurement la policière.

— C’est du passé ça, ça s’est bien passé avec Tylian, non ?     

— Bof, je savais pas quoi faire.

— Ça viendra ça, la rassura Emmanuelle. Mais tu n’as jamais fait de portrait d’enfant ?

— Non, Kat’ s’occupe de tout ce qui a en dessous de 15 ans.  

La jeune policière éclata de rire.   

— Il va falloir remédier à ça alors, car ce petit bonhomme va vouloir profiter de ses marraines un jour ou l’autre, et ça m’étonnerait qu’il se contente de moi, hein bonhomme ? Tu veux le reprendre ? demanda-t-elle en reportant son attention sur Jordan.

La jeune photographe hésita, frottant nerveusement ses mains sur ses cuisses.     

— Prends-le, l’encouragea la jeune policière.     

Jordan essuya une dernière fois ses mains sur son jean puis prit l’enfant des bras d'Emmanuelle surprise de voir Tylian se blottir aussitôt contre elle et rester immobile contre son épaule, jouant avec les mèches de cheveux qui se trouvaient à sa portée. Emmanuelle sourit et lui caressa doucement la joue tandis qu'elle se détendait peu à peu.

— Vous êtes adorables.

— Dis pas de bêtises…

— Non je suis sérieuse, insista Emmanuelle. Je pourrais vous regarder comme ça toute la journée.

La jeune femme blonde se sentit rougir. 

— Tu aimerais avoir des enfants ? Demanda-t-elle soudainement tandis que ses doigts caressaient d'un air absent le bras qu’Emmanuelle avait glissé autour de sa taille.      

— Je pense oui, je ne sais pas. Je ne me suis jamais réellement posé la question pour être tout à fait honnête. Et toi ?       

— Idem, répondit Jordan tout en tournant la tête et embrassant tendrement sa tempe. Je crois que l’on va devoir sérieusement y réfléchir alors ? demanda-t-elle en plongeant son regard dans celui vert émeraude.    

Emmanuelle l'observa un long moment avant de sourire.       

— Je crois bien oui, murmura-t-elle.        

— Je t'aime.

Emmanuelle porta sa main libre à son visage afin de replacer une mèche folle derrière son oreille puis lui embrassa le bout du nez.          

— Merci.       

— Pourquoi ? s'étonna Jordan.     

— Cette vie incroyable que j'ai.     

Pour toute réponse, la jeune photographe se contenta de serrer Emmanuelle plus près d'elle, et posa sa tête sur la sienne. Elle serra sa main, lui transmettant tout ce qu’elle ne pouvait dire dans ce simple geste, et fut ravie de sentir Emmanuelle blottir la sienne dans son cou et embrasser doucement la peau offerte.

1 juillet 2011

Chapitre 6

Un an et demi plus tard.

L’hiver était arrivé et avec lui son vent glacial. Emmitouflée dans son long manteau, le col remonté jusqu'au menton, les mains profondément enfoncées dans ses poches, elle parcourait doucement les vastes allées recouvertes d’une robe de neige blanche, le silence emplissant l'espace d’une présence étonnante.

Au bout de quelques minutes, Jordan s’agenouilla et posa ses mains sur le marbre froid. D’un blanc impersonnel, la tombe était décorée de multiples plantes et ses yeux se fixèrent sur l’inscription, semblant se perdre dans le vide tandis que des larmes coulaient silencieusement le long de ses joues.

Elle inspira un grand coup, appréciant l'air frais avant d’essuyer ses yeux et joues humides d’un revers de manche.   

— Bonjour Mathéo, souffla-t-elle doucement.    

La gorge nouée, le cœur serré, elle sentit de chaudes larmes commencer à couler à nouveau.

— Je sais que c’est la première fois que je te rends visite. J’ai repoussé ce moment encore et encore… Je savais que ce serait dur, mais je n’imaginais pas à quel point.

Elle s’interrompit.

— Je n’ai jamais été douée pour les grands discours, toi mieux que personne le savais, sourit-elle tristement. Tu me manques Mat’, tu nous manques, tellement. C’est… c'est tellement dur. J’ai tellement de regrets, de questions que j'aurais aimé te poser, de choses que j’aurais aimé pouvoir te dire encore et encore. J'aurais voulu te serrer dans mes bras plus souvent. J'aurais… j’aurais voulu être là, j’aurais voulu essayer d'éviter ça, ne pas laisser cette saleté de voiture t'écraser.

Elle secoua la tête, les larmes roulant le long de ses joues.      

— Je t'aime, c'est fou à quel point je t’aime et à quel point tu me manques, poursuivit-elle. J'aimerais tellement te serrer contre moi, écouter ta voix, te voir sourire… Tu ne quittes pas un seul instant mes pensées, tu sais.       

Lentement, elle s'avança jusqu'au sommet de la tombe et caressa du bout des doigts, dans un geste empli d’amour, les lettres dorées de son prénom ainsi que son portrait.

— J’ai… j’ai envie de croire que tu es là quelque part, ça m'aide à supporter cette lourde et longue absence. Je ne t’oublierais jamais Mat’, tu seras toujours dans mon cœur.

Elle ferma les yeux et frissonna lorsqu'elle sentit une main se poser sur son épaule en un geste simple empli de compassion. Regagnant son calme, elle se retourna pour lui faire face et leurs regards se croisèrent, s'accrochèrent, avant qu'Emmanuelle ne finisse par baisser les yeux un instant, déroutée par la souffrance qu'elle venait de lire dans les yeux d’un noir profond. Son malaise était plus que palpable dans l'air frais de l’hiver qui les entourait, elle cherchait quoi lui dire, mais aucun mot, aucun geste ne pourrait apaiser le tourment qui brûlait sa poitrine.

La jeune policière s'agenouilla finalement à ses côtés et posa sa main sur sa joue, tendre, protectrice, essuyant les larmes qui coulaient sur sa figure. 

— Mon amour…, lui murmura-t-elle, les bras grands ouverts, son regard l’appelant.

Son cœur eut un sursaut dans sa poitrine tandis que deux bras se drapaient autour d’elle, la serrant plus près, lui offrant un confort familier et Jordan se laissa aller ses sanglots alors que des mains aimantes frottaient son dos.          

— C’est bon Jordan. Je suis là. Je te tiens, murmura Emmanuelle contre son oreille.          

Jordan blottit sa tête au creux de son cou tandis que la jeune policière lui murmurait des mots de réconfort, lui laissant savoir que tout irait mieux, qu’elle la tenait et qu’elle était à l’abri. Qu’elle ne la laisserait pas.

Ses mots l’aidèrent à reprendre le contrôle mais Jordan refusa de la laisser partir lorsqu'Emmanuelle s’écarta légèrement et prit son visage entre ses mains. D’un ton grave, la jeune policière lui demanda :

— Ça va aller ?         

Jordan hocha la tête.

— J’avais juste besoin de le voir avant qu’on ne parte, je ne pensais pas que ce serait aussi difficile, mais ça va. 

— Jordan, on reviendra tu sais, lui répondit doucement Emmanuelle.          

— Je sais, mais j’avais besoin de le faire avant de commencer ma vie là-bas. Enfin, notre vie là-bas, sourit doucement la jeune photographe.

Emmanuelle l’embrassa doucement sur le bout du nez.           

— Tu veux rester encore un peu ?          

— Non, ça va, répondit Jordan en secouant légèrement la tête. Je n’ai pas besoin d’être ici pour lui parler.

— D'accord. Viens, on va rentrer se mettre au chaud.  

Se redressant, Emmanuelle passa un bras autour de sa taille et la tint serrée contre elle alors qu'elles se dirigeaient vers la sortie d'un pas tranquille, seul le bruit de leurs chaussures contre la neige brisant le silence qui les entourait. Un silence empli de bien-être.

💕

Jordan haussa les sourcils alors qu'elle regardait autour d'elle.         

— Se mettre au chaud... dans un ascenseur ?     

— Pas n’importe quel ascenseur, répondit Emmanuelle alors tandis que les portes se refermaient sur elles.

La jeune femme blonde se tourna pour lui faire face, mais elle n’eut pas le temps de prononcer le moindre mot que l’ascenseur eut un soubresaut avant de s’immobiliser. Écarquillant les yeux, elle s’écria :          

— Oh, non, non, non ! C’est pas vrai ! Dis-moi que c’est une blague ?           

Pour toute réponse, la jeune policière éclata de rire.    

— Manue ça n’a rien de drôle ! s'exclama-t-elle aussitôt avant de porter ses mains à son visage. Bon sang, on a la poisse ou quoi ?        

Parvenant tant bien que mal à reprendre son souffle, Emmanuelle la rassura :

— J’ai appuyé sur le bouton « stop » Jordan, calme-toi, répondit-elle en glissant ses mains dans les siennes et en entrelaçant leurs doigts.     

— Oh. Mais pourquoi ? Tu as un truc pour les ascenseurs maintenant ?      

Elle fut tue par des lèvres se posant sur les siennes.    

— Si tu me laissais parler, tu comprendrais, murmura Emmanuelle à quelques millimètres de ses lèvres.

— Hmm, si tu fais ça... je ne vais certainement pas te laisser parler, répondit Jordan en rouvrant doucement les yeux, un air malicieux sur le visage. Bon vas-y, je t’écoute, ajouta-t-elle devant le faux air boudeur d’Emmanuelle.     

— Merci, répondit la policière en se redressant, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Si je nous ai fait revenir ici, c’est parce qu’il y a un an et demi, tu es de nouveau rentrée dans ma vie, exactement dans cette cabine. 

Jordan fronça les sourcils. 

— Plus exactement, c’était au commissariat, et puis chez toi aussi. Oh oui définitivement chez toi, ajouta-t-elle en secouant la tête, le regard malicieux.    

— Jordan…, soupira la jeune policière.    

— D’accord, d’accord, j’arrête, continue, capitula la jeune photographe en l’embrassant furtivement sur les lèvres.      

Emmanuelle sourit. 

— Je sais que l’on a décidé de poursuivre notre vie au Canada, mais je te tenais à faire quelque chose ici avant.        

Elle parcourut la cabine du regard un instant, puis reporta son attention sur la jeune femme blonde. Posant un genou à terre, elle ne put empêcher son sourire de s'agrandir lorsqu’elle vit Jordan ouvrir de grands yeux. D’une voix douce, elle poursuivit :      

— Dans exactement une semaine, on sera à plus de 5 000 km d’ici. Mais je tiens à ce que tu saches que je n’oublierais jamais ton retour dans ma vie, les quelques heures que l’on a passées dans cette cabine sont à jamais gravées dans ma mémoire. Je n’y croyais plus, et une fois encore, tu as réussis à me surprendre, sourit-elle doucement.

Elle fit une pause, puis plongeant son regard dans celui de la jeune femme blonde, elle poursuivit, la voix teintée d’émotion :

— Je t’aime Jordan, tu es mon amour, ma vie, mon étoile, mon sourire, ma joie de vivre. Alors, je te demande, mademoiselle Jordan Miller, veux-tu m’épouser ?   

Jordan haussa les sourcils d’une manière qui aurait été particulièrement drôle si les circonstances avaient été différentes. Oh. Mon. Dieu.     

— Tu me demandes en mariage ? souffla-t-elle enfin.  

La jeune policière hocha la tête.   

— Dans une cabine d’ascenseur ?

La jeune policière hocha de nouveau la tête, incertaine cette fois-ci. 

— Oui, enfin ce n’est pas n’importe quelle cabin -         

Elle fut interrompue par deux lèvres se posant sur les siennes. Jordan l’embrassa avec toute la passion et l’amour qu’elle avait pour elle, passant une main autour de son cou tandis que l’autre se perdait dans sa chevelure sombre. Les battements de leurs cœurs s'accélérèrent et elle sentit les bras de la jeune policière l'enlacer avant qu'une langue chaude ne se glisse entre ses lèvres, approfondissant leur baiser, un baiser plein de promesses auquel elle répondit avec tout autant d'ardeur que sa douce. Un gémissement s'échappa de sa gorge lorsque sa poitrine se pressa contre celle d’Emmanuelle et, prenant le visage de la jeune femme entre ses mains, elle l'embrassa plus doucement, tendrement, puis s’écarta juste assez pour pouvoir plonger son regard dans le sien. À bout de souffle, elle répondit, le sourire aux lèvres :          

— Oui.

— Oui ?         

Jordan hocha la tête.

— Oui. Oui ! Oui ! répéta-t-elle, les yeux brillants.

Immédiatement, elle sentit une larme, puis une autre, encore une autre, couler le long de ses joues, tandis qu'un petit rire montait dans sa gorge. Elle prit le visage de la jeune policière entre ses mains et l'embrassa avec toute la douceur dont elle se savait capable. Les larmes piquaient ses yeux, mais peu importait. En continuant à embrasser Emmanuelle, elle chuchota :

— Oui… Oui, je veux t'épouser, Emmanuelle Cahill… Je le veux… 

1 juillet 2011

Chapitre 5

Les portes de l’ascenseur offrant de la résistance aux techniciens, les deux jeunes femmes avaient dû encore attendre quarante-cinq minutes avant de revoir la lumière du jour, ou plutôt de la nuit. En tout, elles étaient restées coincées pendant près de trois heures trente.

Pas étonnant que mon dos me fasse aussi mal, grimaça intérieurement la jeune femme brune. Je me demande si je vais ressentir mes fesses un jour.    

Une fois sorties, l’un des techniciens les avait informées que si jamais elles désiraient porter plainte, l'ascenseur serait mis sous scellés en attendant un expert judiciaire. Sinon, l'OPAC mandaterait lui-même un expert pour qu'il détermine l'origine du problème. Les deux jeunes femmes voulant simplement quitter les lieux lui avaient répondu qu’elles y réfléchiraient avant de les remercier une dernière fois puis de quitter l’immeuble.  

D’un commun accord, elles avaient décidé de se rendre chez la jeune policière après être repassées par le commissariat pour récupérer ses affaires et leurs voitures. Une fois sur place, elles avaient commandé chinois puis s’étaient confortablement installées dans le salon, une tasse de thé chaud entre les mains.

Emmanuelle détourna son regard de la fenêtre pour admirer Jordan qui était assise juste à ses côtés. Ses cheveux blonds étaient un peu plus courts qu'ils ne l'étaient deux ans auparavant, mais elle était toujours aussi divine. Tout ce qu'elle dégageait l'attirait irrésistiblement et elle se rendit compte que, bien qu’elle ait essayé, elle n’avait jamais pu refreiner ses sentiments pour elle, quitte à endommager son cœur pour toujours.

 

Hier soir.

Il pleuvait alors que le véhicule roulait paisiblement sur l’asphalte trempé. La ville était calme et triste tandis qu’une étrange mélancolie envahissait la jeune policière. Elle avait du mal à se concentrer et laissait libre cours à ses pensées, seul le mouvement des essuie-glaces attirant son regard de temps à autre.

— Ça va ?      

La voix de son collègue la fit légèrement sursauter.     

— Hmm ? répondit-elle en tournant la tête dans sa direction.

— Ça va ? répéta-t-il.          

— Oui, ça va. Pourquoi ça n’irait pas ?     

— Tu n’as pas prononcé un mot depuis que l’on a quitté le commissariat, tu as l’air perdue dans tes pensées. Quelque chose te tracasse ?      

Un long silence s’ensuivit si bien que Sébastien ne s’attendait plus à obtenir une réponse. Il s’apprêtait à reprendre la parole quand le murmure de la jeune policière brisa finalement le silence pesant de l’habitacle.    

— Elle me manque, répondit-elle, les yeux rivés sur ses mains.

Le jeune officier soupira, puis, posant une main sur son genou, il lui fit une pression amicale.

— Tu veux en parler ?

Emmanuelle haussa les épaules tandis qu’il enclenchait son clignotant et s’engageait dans le parking. L’endroit était presque désert mis à part quelques camions qui stationnaient sur leur droite et un léger sourire se dessina sur les lèvres de la policière lorsqu’elle vit l’enseigne au néon de la cafétéria, « The American Way of Life », se refléter sur le pare-brise du véhicule. Ils venaient ici une à deux fois par semaine histoire de décompresser et passer une soirée tranquille sans parler enquête, accident ou n’importe quel autre sujet ayant un lien avec leur profession. Une vielle habitude qu’ils avaient pris peu de temps après avoir commencé à travailler ensemble. Ils n’y étaient pas revenus depuis… depuis que son ami avait rencontré la femme qui était aujourd’hui son épouse.

— C’est la nostalgie qui te fait revenir ici ? demanda-t-elle.     

Le jeune policier lâcha un rire tandis qu’il coupait le contact. 

— Je me suis dit que cela pourrait nous faire du bien, tu viens ?

Emmanuelle hocha la tête et ils sortirent du véhicule. Une clochette retentit lorsqu’ils poussèrent la porte de la cafétéria et une bouffée d’air chaud les assaillit aussitôt, la poussant à relâcher un soupir de bien-être. La décoration intérieure était typique de l’Amérique des années 60, le moindre petit détail tendant à recréer l'atmosphère de ces années : des posters des stars mythiques de l'époque telles que Marilyn Monroe, Elvis Presley ou encore James Dean ornaient les murs à divers endroits, deux juke-box occupaient le mur opposé à l’entrée, des statues en résine et fibre de verre représentant la statue de la liberté et des personnages de dessins animés grandeur nature étaient éparpillées de part et d’autre de la cafétéria et les tables étaient ornées de banquettes blanches et rouges. Les serveuses quant à elles étaient en patins à roulettes, vêtue de tenue rose bonbon ou vert turquoise. Le tout baignant dans un fond musical de rock'n’roll.           

En une enjambée, ils pénétraient dans un autre monde, une bulle qui leur permettait d’oublier pendant un instant l’horreur que pouvait être leur métier parfois.       

Les deux officiers se dirigèrent vers le bar et prirent place sur les chaises hautes qui ornaient le comptoir.

— Vous désirez ? demanda aussitôt la barmaid tandis qu’elle resserrait l’élastique qui enserrait ses cheveux roux.          

— Deux chocolats maltés s’il vous plaît, répondit la jeune policière tout en retirant sa veste.

— Je suis à vous dans une minute.

La jeune policière acquiesça, recevant en retour un sourire amical, chaleureux, qui était loin de la laisser indifférente. Très loin de la laisser indifférente. La joie de vivre que la femme dégageait la faisait même garder un léger sourire sur les lèvres, alors qu'elle posait son menton dans la paume de sa main, accoudée au comptoir.

— Tu veux en parler ? demanda de nouveau son collègue tandis qu’il prenait la carte de la cafétéria coincée entre deux portes serviettes et la parcouru du regard.

Emmanuelle lui jeta un rapide coup d’œil.          

— C’est inutile Sébastien.   

La barmaid déposa les deux mugs de chocolat sur le comptoir juste devant eux, empêchant le jeune officier de poursuivre, et laissa son regard courir sur les mains de l’officier puis sur celles de la jeune policière, relevant finalement les yeux sur Emmanuelle qui l'observait, un sourcil relevé. La barmaid haussa les épaules, le sourire aux lèvres, satisfaite de sa vérification. Et non ma belle, je ne suis pas sa femme, rit intérieurement la jeune policière. Sa main se tendit vers la première tasse et discrètement leurs doigts s’effleurèrent, accentuant le sourire d'Emmanuelle.       

— Merci, répondit-elle, son regard plongé dans le sien.

La barmaid se contenta de hocher la tête avant de s’occuper de la personne qui venait de prendre place à leurs côtés. Reportant son attention sur son collègue, Emmanuelle reposa doucement sa tasse avant de continuer.

— Il n’y a rien à dire Seb, je t’assure que ça va. 

— Huh, huh… tu peux me dire à quand remonte ta dernière relation sérieuse ? demanda-t-il les yeux toujours rivés sur le menu.

La réponse ne mit pas longtemps à arriver.       

— Ce weekend.        

— Manue… je ne te parle pas d’une histoire qui se limite au sexe. Tu ne restes jamais avec quelqu’un plus de quelques heures.   

— C’est déjà pas mal, répondit la jeune femme en haussant les épaules.      

Son collègue poussa un soupir et secoua la tête.           

— Tu tiens toujours à elle hein ? demanda-t-il doucement.

Evitant son regard, Emmanuelle trouva soudainement le contenu de sa tasse très intéressant.

— Bon sang Manue ! Cette garce t’a laissée tomber du jour au lendemain, il est temps que tu ailles de l’avant ! pesta-t-il, ignorant la crispation soudaine de sa collègue.     

Ne vois-tu pas qu’elle t’a détruite ?! hurla-t-il intérieurement.   

— Plus facile à dire qu’à faire, grommela la jeune femme entre ses dents.   

Sébastien serra des poings. Deux ans auparavant, il avait été le témoin impuissant de l'effondrement émotionnel d'Emmanuelle. Depuis, elle passait son temps à travailler et à sortir en boite, s’échappant dans les bras des autres. Sa physionomie n’avait rien perdu de sa beauté, mais elle était cependant altérée. Son sourire se faisait atrocement rare, et les rares fois où il apparaissait, il n’atteignait jamais ses yeux. Son regard vert émeraude d’habitude si rieur, si doux, était désormais désespérément triste. L’éclat de son teint avait disparu, et elle était pâle comme le marbre. Et bien qu’elle prétende le contraire, il savait qu’elle dormait mal, de profonds cernes ornaient constamment ses yeux.

Soupirant, il reprit plus calmement.

— Excuse-moi, répondit-il en prenant sa main dans la sienne. J’aimerais juste te voir heureuse Manue.

— Je l’étais, je pensais qu’elle l’était aussi, répondit amèrement la jeune policière. C’est juste que je ne comprends pas. J’aurais pu comprendre qu’elle ait besoin de souffler quelque temps, mais qu’elle parte définitivement… sans aucune explication…         

— Je sais, mais ce n’est pas en ressassant le passé que tu arriveras à tourner la page Manue, il faut que tu laisses tout ça derrière toi. Ça va finir par te bouffer sinon, ajouta-t-il d’une voix douce, caressant doucement sa paume.         

— Je sais, murmura Emmanuelle. 

Tournant la tête, elle aperçut la barmaid qui retirait son tablier et leurs regards s'accrochèrent jusqu'à ce que la jeune femme rousse disparaisse derrière la porte de la sortie du fond, un léger sourire flottant sur ses lèvres.          

— Semblerait que mes plans pour la soirée aient changés, reprit-elle avant de finir sa tasse d’une traite et déposer une bise sur sa joue.   

— Manue, attends !

Le jeune officier la retint par le bras et attendit de croiser son regard avant de poursuivre.

— Tu ne peux pas passer ta vie à fuir tu sais, dit-il, l’inquiétude présente dans sa voix.

Emmanuelle le regarda un moment avant de répondre, le ton neutre.

— Passe une bonne soirée en famille, on se voit demain.        

Sébastien relâcha son bras et la regarda partir avant de frotter ses mains contre son visage.

— Et merde…

💕

Son dos s’abattit violemment contre la porte de la chambre tandis qu’elles se déshabillaient mutuellement tout en s’embrassant. Sa bouche brûlante qui la dévorait dans des baisers à la fois tendres et sauvages poussa Emmanuelle à poser une main au creux de ses reins afin de la coller plus encore contre elle. Ses cheveux glissèrent entre ses doigts et elle descendit ses lèvres dans son cou, lui infligeant de tendres morsures qu'elle recouvrait aussitôt de sa langue. Sa peau avait un délicieux goût sucré qui lui donnait toutes sortes d’envies.

Doucement, elle fit reculer sa belle inconnue jusqu’à ce que ses jambes heurtent le bord du lit, puis, la faisant basculer, elle s’allongea sur elle en prenant appui sur ses mains posées de chaque côté de son visage. Observant son corps aussi nu que le jour de sa naissance, elle se pencha et effleura ses lèvres des siennes dans une douceur troublante et envoûtante. Elle sentait que la jeune femme avait du mal à résister et elle se délectait de ce qu’elle lui faisait subir. S'approchant d'elle à nouveau, elle passa doucement sa langue sur ses lèvres, puis les mordilla quelques secondes avant de venir embrasser son cou, y déposant de légers baisers avant de remonter la ligne de sa mâchoire, d’embrasser sa joue, et déposer un baiser au coin de ses lèvres.

La jolie rousse n’en pouvait plus de son petit jeu, elle sentait la chaleur de son corps contre le sien, le désir qui montait. Passant ses mains sous les siennes, elle entrecroisa leurs doigts, puis, soulevant légèrement la tête, elle s'approcha de ses lèvres et prit enfin possession de sa bouche avec douceur mais fermeté, lâchant un grognement de satisfaction qui ne manqua pas de faire sourire Emmanuelle.

Leurs langues s'entremêlèrent, et la jeune policière remonta les bras de l'inconnue derrière sa tête tandis que sa bouche descendait de nouveau dans son cou, suçant, léchant, titillant la peau sensible, insinuant sa jambe droite entre ses cuisses ouvertes. Son corps bougea légèrement contre le sien et elle l’entendit soupirer doucement sous ses caresses, la poussant à porter sa bouche à son oreille et la mordiller légèrement. Sa main s’insinua entre ses jambes et elle laissa ses doigts s’y égarer et l’y caresser, arrachant de doux gémissant à la jeune femme allongée sous elle.

Un cri plus rauque que les autres lui parvint et Emmanuelle se pencha de nouveau sur la jeune femme, l'embrassant fougueusement tandis qu'elle parcourait son corps de caresses fiévreuses. Ses lèvres descendirent le long de son sternum, laissant son souffle chaud courir contre sa peau et observant au passage la légère chair-de-poule qu'elle provoquait. Ses seins qui se dressaient l'excitèrent terriblement et elle en prit un dans chaque main, les caressant doucement avant de poser sa bouche pour en embrasser, mordiller doucement les bouts.

Des mains s'insinuèrent dans ses cheveux et Emmanuelle posa son autre main sur sa hanche puis embrassa son ventre, le souffle de la jeune femme s’accélérant au fur et à mesure que ses lèvres descendaient. Elle s’attarda quelque peu sur son nombril, puis laissa sa bouche descendre plus bas encore, gentiment pressée par les doigts entremêlés dans ses cheveux. La jeune femme rousse ferma de nouveau les yeux, se laissant emporter par les sensations qu'elle lui procurait, et laissa son corps s’enflammer sous sa langue…

💕

Une sonnerie stridente les réveilla et Emmanuelle ouvrit péniblement les yeux afin de regarder les aiguilles lumineuses du cadran posé sur la table de chevet, 6h30. Elle se dégagea de l’étreinte de la rouquine et attrapa son jean qui se trouvait sur le sol, s'emparant de son portable dans la poche de devant et mettant fin au bruit assourdissant.     

— Désolée…, s’excusa-t-elle. Je peux prendre une douche ?   

La jeune femme rousse hocha la tête et lui indiqua la salle de bains, surprise de voir Emmanuelle revenir seulement quelques minutes plus tard, relativement fraîche pour quelqu'un qui n'avait quasiment pas dormi de la nuit. S'asseyant sur le bord du lit, la jeune policière lui expliqua qu'elle partait, qu'elle devait passer chez elle se changer puis aller au boulot.           

— Dis-moi… je peux avoir un nom à mettre sur ce si joli visage, ou bien cette merveilleuse nuit restera anonyme ?    

Leurs yeux se croisèrent et la jeune policière sourit avant de se lever. Elle n’était pas contre le fait de donner son prénom, cela n’engageait à rien. Par contre, il arrivait qu’on lui demande plus, numéro de téléphone, mail… Et ça, elle s’y refusait, ces soirées étaient pour elle un simple partage mêlant désir, envoûtement, plaisir. Rien de plus et cela lui convenait parfaitement, elle tenait à ce que les choses restent comme cela. Une simple nuit sans lendemain, sans sentiments. Sans sentiments… oui, son cœur était déjà pris, depuis plusieurs années déjà.

— Emmanuelle, lui murmura-t-elle.         

Elle lui déposa un doux baiser sur la joue et quitta la pièce, prenant soin de refermer la porte derrière elle.

 

Aujourd’hui.

— Hé, tu es incroyablement silencieuse, murmura Jordan en s’installant sur ses genoux, la tirant de ses pensées.        

— Excuse-moi, répondit Emmanuelle en secouant légèrement la tête. J’étais ailleurs.

Jordan redessina les traits de son visage du bout de ses doigts.         

— Hmm... où ça ? demanda-t-elle. 

Emmanuelle se racla la gorge, soudainement mal à l’aise.       

— Je pensais juste combien j’étais heureuse que tu sois ici. Et… combien ma vie était vide de sens avant ton retour.    

— Le sentiment est partagé, répondit doucement Jordan, un léger sourire sur les lèvres.

La jeune policière soupira puis acquiesça.

— Tu sais, quand tu es partie, je me suis sentie vide, tellement vide… Et puis j’ai continué comme j’ai pu, je me suis plongée corps et âme dans mon travail. Je n'hésitais pas à rester tard pour faire des heures supplémentaires ou à ramener du boulot chez moi pour m'occuper l'esprit. C'était un bon moyen pour ne pas penser à tout ce qui s’était passé. À tout ce que j'avais sur le cœur, sourit-elle tristement. Et puis, par la suite, j’ai de nouveau côtoyé ce monde de la nuit où l’on s’apprécie sans s’attacher, on garde ses sentiments en instance et on ne pense qu’à la volupté. Je me suis forgé une carapace et j’ai fermé mon cœur. Je ne voulais plus courir le risque de souffrir.    

Elle tourna la tête vers Jordan dont la tête reposait désormais sur son épaule et ne put dissimuler sa stupéfaction en voyant ses yeux humides. Elle poursuivit, son regard plongé dans le sien :         

- Cependant…, la vie a accepté, sans me prévenir d'ailleurs, de me donner une seconde chance. J’avais peur d'aimer de nouveau, de m'attacher à une personne et de m’y abandonner de tout mon être. De tomber encore une fois, de tomber encore plus bas… Mais ce n’était pas possible, parce que mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi, avec toi.

Elle appuya son front contre le sien et lui murmura, la gorge nouée :

— Tu es l'Ange qui vient de redonner un souffle à ma vie… merci d’être revenue Jordan.

L’émotion fut trop forte et Jordan n’arriva plus à retenir les larmes qui coulèrent le long de ses joues. Prenant son visage entre ses mains, Emmanuelle essuya doucement ses larmes de ses pouces.

— Tu m’as fait revivre aussi Manue…     

Elle eut à peine le temps de terminer sa phrase que les lèvres d’Emmanuelle se posèrent sur les siennes, ses mains glissant sur son corps avec douceur et tendresse. Elle l’embrassa fougueusement, mêlant sa langue à la sienne tandis que des frissons parcouraient leurs corps tout entier. Un baiser intense, enivrant, aimant.      

Leurs lèvres se séparèrent lentement, pour se retrouver une dernière fois avant de rouvrir leurs paupières. Leurs regards s’accrochèrent, le sourire aux lèvres et Emmanuelle passa un bras possessif autour de sa taille avant de prendre sa main dans la sienne et nouer ses doigts aux siens. Elle déposa ses lèvres dans son cou et murmura contre sa peau :  

— Reste…, reste cette nuit. S'il te plaît, laisse-moi te montrer ce que je ressens pour toi, souffla-t-elle, faisant battre son cœur à une allure folle.

Jordan la regarda, les yeux pétillants, et plongea son regard aussi noir que la nuit dans celui vert émeraude. Un immense sourire se dessina sur son visage auquel s'ajoutaient ces petites fossettes que la jeune policière affectionnait tant. D'un doigt, elle caressa sa joue puis déposa un léger baiser sur ses lèvres.

— Avec plaisir, répondit-elle dans un murmure avant de lui prendre la main afin qu'elle la suive jusqu'à la chambre.

💕

— Tu sais, je t’ai toujours trouvée incroyablement sexy lorsque tu l’as sur le dos, dit Jordan alors qu’elle laissait ses doigts courir sur le tissu de l’uniforme de la policière qui était suspendu contre la porte de l’armoire.

— Merci, je crois, balbutia Emmanuelle alors qu’elle sentait ses joues rougir.  

Les sourcils de Jordan se froncèrent lorsque ses doigts rencontrèrent l’arme de service encore accroché à la ceinture et elle se figea soudainement.

— Ça va ? demanda doucement Emmanuelle en l’enlaçant par-derrière.

Jordan secoua doucement la tête, recouvrant automatiquement ses bras avec les siens et les caressants tendrement. 

— Je crois que je ne me ferais jamais à l’idée que tu es policière.

— Ça te dérange ? demanda calmement Emmanuelle.

Jordan soupira.

— Ça fait partie de qui tu es. Je n’ai aucune envie que cela change, ça fait partie des choses qui me plaisent chez toi. C’est juste que ce n’est pas toujours évident, murmura-t-elle.

Elle poursuivit, la gorge soudainement serrée :

— Avant que tu ne te fasses tirer dessus, je n’avais jamais vraiment pensé à quel point ce métier peut-être dangereux. Une part de moi aura toujours peur que tu passes la porte et ne reviennes pas.

Sa phrase à peine terminée, Emmanuelle resserra son étreinte autour d’elle en un geste de réconfort, priant à la douleur qu’elle sentait chez la jeune femme de partir.

— Jordan, ce genre de situation est très rare, la plupart des fonctionnaires de police n'utilisent jamais leur arme de service de toute leur carrière, et certains ne la sortent même jamais de son étui.

— Mais le risque est toujours présent, l’interrompit calmement la jeune femme. Tu as failli mourir, Manue.

Le silence les entoura quelques secondes avant qu’Emmanuelle ne lui pose finalement la question qui la hantait depuis qu’elles avaient commencé cette conversation :

— Tu penses pouvoir vivre avec ? murmura-t-elle à contrecœur, appréhensive.

Jordan tourna légèrement la tête de manière à plonger un regard calme dans celui anxieux de la jeune policière avant de lui répondre d’une voix douce.

— Je ne serais pas là sinon, Manue, souffla-t-elle en portant une main à sa joue et la caressant doucement. J’y travaillerais, je m’y ferais avec le temps, ajouta-t-elle en l’embrassant au coin des lèvres alors que les bras de la jeune policière resserraient leur étreinte.

— Je fais attention, tu le sais ça, n’est-ce pas ? murmura Emmanuelle.

Jordan sourit doucement.

— Je sais.

Emmanuelle hocha la tête d’un air entendu avant de déposer un doux baiser sur son épaule, lui faisant de nouveau esquisser un léger sourire. Glissant ses lèvres dans son cou, elle partit à la découverte de sa peau, l’embrassant doucement tout en s’enivrant de son odeur, avant de remonter vers son oreille qu’elle mordilla un peu avant de souffler d’une voix pleine de désir :

— J’ai envie de toi.

Un doux frisson s’empara de Jordan et elle soupira de bien-être, son corps se fondant plus encore dans celui d’Emmanuelle.

— Ne le prends pas mal, Manue, mais je préfèrerais que tu te taises, répondit-elle un petit sourire en coin.

La jeune policière lâcha un rire, à la fois amusée et attendrie, le surnom empli d’affection ne lui ayant pas échappé.

— Je crois que je peux faire ça, répondit-elle avant de faire glisser une langue pleine de malice sur sa peau douce avant de la diriger vers ses lèvres qu’elle embrassa tendrement.

De plus en plus troublée par les émotions qui s’emparaient d’elle, Jordan se tourna légèrement afin de lui faire face et lui rendit son baiser tout en pressant son corps contre le sien, sentant aussitôt les mains d’Emmanuelle courir lentement de ses joues à son cou, puis descendre vers ses épaules qu’elle caressa doucement avant de faire glisser une à une les bretelles de sa robe d’été le long de ses bras.

Le tissu glissa à ses pieds et Emmanuelle ne put empêcher un sourire en coin de naitre sur ses lèvres tant son air troublé et la légère rougeur qui recouvrait ses joues la rendaient si craquante. Elle la vit fermer les yeux un instant, et lorsqu’elle les rouvrit, son sourire s’effaça aussitôt face au doute, à l’appréhension et à la crainte qu’elle put aisément y lire.

— J’ai jamais… enfin, avec une femme, je veux dire…, balbutia péniblement Jordan alors qu’elle se frottait maladroitement le sourcil.

D’un geste instinctif, Emmanuelle la serra tout contre elle avant de lui embrasser le front puis le bout du nez pour chasser les traces de son tourment.

— N'aie aucune crainte, murmura-t-elle d’une voix douce tout en plongeant son regard dans le sien.  Écoute ton cœur, ton corps. Laisse-toi guider par tes envies…

Emmanuelle caressait de sa main son visage, ses cheveux, d’une manière si douce, que Jordan crut qu’elle allait défaillir. Les mots lui parvinrent et, percevant son sourire dans l’obscurité, empli de tendresse et d’affection, elle porta ses mains au niveau de la chemise de la jeune policière et défit lentement le premier bouton, effleurant sa peau à travers le tissu avant de s’attaquer au suivant, puis un autre, et un autre jusqu'à la déboutonner complètement.

Seules leurs respirations rompaient le silence de la nuit et, à son contact, celle d’Emmanuelle  s'approfondit, la jeune policière ne pouvant retenir un soupir lorsque Jordan laissa courir ses doigts légèrement tremblants sur son torse. Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes et elle respira à pleins poumons l'exquis parfum que Jordan dégageait, s'imprégnant de son odeur alors que ses propres mains couraient le long de ses côtes d’un air paresseux, la douceur de sa peau lui envoyant des frissons de plaisir dans tout son corps.

Le cœur battant au même rythme que celui qu’elle pouvait sentir sous ses doigts, Jordan frôla la poitrine d’Emmanuelle avant de faire glisser les pans du tissu de sa chemise qui, suivant le mouvement, retombèrent de part et d'autre de son corps et découvrant ainsi ses courbes sensuelles. Son regard s’attarda sur sa poitrine en partie cachée par son soutien-gorge et Jordan l’effleura du bout des doigts, soupira longuement face aux sensations que le toucher lui procuraient.

Un bref coup d'œil lui apprit que la jeune policière avait fermé les yeux et, les joues rougissantes, elle posa à plat sa paume contre la peau douce et chaude et ne put retenir un petit sourire lorsqu’elle ressentit le léger frisson qui parcourut aussitôt Emmanuelle. La tête légèrement en arrière, la jeune policière semblait paisible, détendue. Plus belle que jamais.

Reportant son attention sur sa main, une légère marque attira son regard et, doucement, Jordan porta ses doigts au niveau de l’épaule gauche d’Emmanuelle et les fit tendrement courir le long de la cicatrice, redessinant les contours en un ballet incessant.

— Ça va ? lui parvint le faible murmure au-dessus de sa tête.

Jordan releva les yeux et se retrouva plongée dans un regard vert émeraude empli d’inquiétude.

— Ça va, rassura-t-elle avant de remplacer ses doigts par ses lèvres, embrassant doucement la peau douce puis murmurant quelques paroles.

Emmanuelle posa sa main gauche autour de sa taille et la rapprocha encore plus d’elle.

— Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Jordan sourit doucement.

— Je remerciais ton cœur de ne pas s’être arrêté de battre, et lui demandais de continuer ainsi pendant encore de longues années, sinon il aura affaire à moi.

Amusée, Emmanuelle lâcha un léger rire avant de descendre son visage vers le sien et embrasser doucement le haut de sa tête, puis son front, avant de descendre le long de son nez.

— Je ferais en sorte qu’il t’écoute..., murmura-t-elle sincèrement avant de s’emparer de ses lèvres.

La respiration presque douloureuse, Jordan ferma les yeux et savoura les sensations qui se bousculaient en elle alors qu’elle sentait la main d’Emmanuelle remonter le long de sa cuisse, arpenter les courbes de son profil avant de se poser sur sa hanche. Leurs souffles mêlés se précipitèrent peu à peu à l'idée de ce qui allait suivre, et, chacune voulant explorer les moindres recoins de ces corps si doux et si fougueux, leurs lèvres se rencontrèrent de nouveau en une succession de baisers doux qui se transformèrent bientôt en une étreinte passionnée.

Sentant Jordan buter contre le rebord du lit, Emmanuelle la renversa doucement avant de déplacer son corps par-dessus le sien et l'encadrer de ses jambes. Comme attirée par un aimant, ses lèvres se posèrent aussitôt au creux de son cou, recouvrant la peau blanche en une série de petits baisers alors qu’elle sentait deux mains se faufiler dans ses cheveux.

— Manue…, murmura Jordan qui se délectait de sentir sa chaleur, ses mouvements, les ondulations de son corps contre le sien tandis que ses cheveux caressaient son visage.

Son nom prononcé par cette voix suave et pleine de désir remua Emmanuelle tout entière et sa bouche joignit de nouveau la sienne en un baiser brûlant tandis leurs corps enlacés frissonnaient de plaisir. D’une main avide de caresse, elle parcourut le corps de Jordan tandis que de l'autre, elle acheva de se débarrasser de ses sous-vêtements. Bien vite, Jordan se retrouva entièrement nue, vêtue uniquement des caresses assoiffées de la jeune policière qui parcourait ses seins ronds et fermes de ses lèvres, de sa langue, ses cuisses lisses et douces de ses mains adroites.

Ses doigts se crispant sur sa nuque, Jordan soupira d'aise et laissa échapper quelques gémissements avant de laisser ses mains caresser le dos de son amante, lui effleurant légèrement les reins avant de venir frôler ses fesses. Puis d'une main hésitante, poussée par le désir, elle entreprit de lui retirer son jeans qu’elle sentait rugueux contre sa peau avant de dégrafer ensuite rapidement son soutien-gorge. Les seins halés d’Emmanuelle apparurent à ses yeux et un nouveau gémissement s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne les couvre de ses mains d'abord, et n’y pose ensuite ses lèvres, goûtant pour la première fois à une douceur telle que sa bouche ne pouvait cesser d’embrasser ses pointes érigées pleines de douceur et de féminité, sa peau tendre, douce et chaude encore et encore.

Elle sentit le toucher d’Emmanuelle le long de ses jambes, jusqu'à ses fesses qu'elle empoigna, avant de glisser vers son sexe humide et avide de caresse. Une nouvelle vague de sensation intense s’empara d’elle et elle ne put empêcher ses mains de se crisper aussitôt dans le dos de la jeune policière ni le cri étouffé qui franchit ses lèvres.

Les gémissements de la jeune femme blonde résonnèrent à ses oreilles telle une douce musique et les mains d’Emmanuelle poursuivirent leurs caresses sur ce corps qu’elle avait si longtemps désiré, celui qui avait hanté ses rêves à de nombreuses reprises. La caressant tendrement, elle se pressa davantage contre elle tout en frottant doucement son visage contre la chevelure blonde.

— Jordan…, soupira-t-elle dans un murmure tout en s'enivrant de son odeur.

Elle posa ses lèvres dans son cou avant de remonter lentement jusqu'à son oreille et, déposant un baiser derrière celle-ci, elle fit courir sa langue sur son contour avant de souffler doucement dessus tandis qu'elle entrait en elle, lentement, de ses doigts habiles.

Sa respiration s’accéléra plus encore, laborieuse, alors que chacun des gestes de la jeune policière la faisait frissonner, gémir de plaisir, inondant la main de son amoureuse. Son corps la brûlait, elle sentait fondre sous ses doigts, ses lèvres, son souffle. L’ondulation de ses hanches s’accentua alors que ses gémissements de plaisir vinrent en grandissant, la menant vers l'explosion finale qui la laissa haletante, collée à Emmanuelle qui caressait d'un geste las chaque centimètre de sa peau afin de lui permettre de reprendre pied en douceur. Enlacée dans des bras protecteurs, Jordan nicha sa tête dans le cou de la jeune policière et l’embrassant chastement avant de soupirer de bien-être, son souffle faisant frissonner Emmanuelle de plaisir.

💕

De douces caresses le long de sa joue et de son cou la poussèrent à finalement rouvrir les yeux, et elle croisa aussitôt un regard vert empli de tendresse et d’affection.

— Ça va ? demanda Emmanuelle alors que sa main remontait le long de son menton avant de redessiner les lèvres.

Jordan s’empara de ses doigts et les embrassa doucement.

— Mieux que jamais, sourit-elle. Toi ?

Emmanuelle sourit à son tour.

— Mieux que jamais aussi, répéta-t-elle doucement.

Jordan se recula légèrement et prit appui sur son coude, laissant son regard courir le long du corps d’Emmanuelle avant de remonter vers son visage. Son regard noir devint de plus en plus brillant et la jeune policière sentit aussitôt sa respiration s’accélérer, son cœur battre plus vite et sa bouche se dessécher.

— La vue te plaît ? demanda-t-elle d’une voix subitement rauque.

Jordan sentit son sourire s’agrandir et elle porta une main à son visage afin de caresser la douce peau de ses joues.

— Ça, lieutenant... c’est un euphémisme, murmura-t-elle.

Posant sa main sur la sienne, Emmanuelle lui rendit son sourire avant de venir embrasser sa paume. Ses paupières se fermèrent et elle se pencha vers Jordan afin de prendre à nouveau possession de ses lèvres, leur langue se mêlant une nouvelle fois dans un baiser passionné alors que leur corps étroitement enlacés s'accordaient à merveille.

Un gémissement alla se perdre dans la bouche de Jordan lorsqu’une des jambes d’Emmanuelle s'insinua entre les sienne, effleurant son bas ventre avec sa cuisse alors que ses mains glissaient sur sa poitrine et la caressaient de ses doigts. Rompant le baiser, Jordan se recula légèrement afin de faire basculer la jeune policière sur le dos, et elle posa un dernier doux baiser sur ses lèvres avant de descendre au creux de son cou avec une lenteur délibérée.

— J’ai besoin..., il faut que je...

Ses explications se perdirent rapidement alors qu’elle entamait une lente descente vers le bassin d’Emmanuelle, lui embrassant au passage de nouveau les seins tout en lui écartant doucement les cuisses. Elle sentit la jeune policière glisser ses mains dans ses cheveux et la maintenir plus près encore, et elle s’attarda un instant sur son nombril, un sourire se dessinant sur ses lèvres lorsqu’Emmanuelle cambra aussitôt des reins.

Un désir incontrôlable guida rapidement ses lèvres vers le sexe entrouvert, qui, au contact d'un simple baiser, envoya à travers le corps tout entier de la jeune policière des ondes électrisantes de passion. Un gémissement rauque s'échappa des lèvres d’Emmanuelle, bientôt suivi de longs soupirs et elle aurait tout donné pour que cette nuit n'en finisse pas, que le temps autour d'elles s'arrête à jamais. Jordan enfonça sa langue dans les profondeurs de son corps et elle l’écouta gémir, buvant à cette source que ses caresses faisaient jaillir alors qu’elle la sentait trembler de tous ses membres. Un cri plus fort que les autres raisonna dans la pièce et Jordan sentit le corps d’Emmanuelle s’abandonner, vibrant sous ses lèvres en des vagues incessantes alors que les mains d’Emmanuelle lui en demandait plus encore, noyée dans un océan de plaisirs.

Remontant le long de son corps, Jordan le parcourut de doux baisers, ses mains caressants tendrement la peau douce jusqu’à ce qu’Emmanuelle ne la serre contre elle et ne l’entoure de ses bras. Les cheveux éparpillés sur le drap, leurs fronts se touchèrent, puis leurs nez, ne laissant qu'un espace à peine visible entre leurs bouches et Emmanuelle lui murmura, son souffle caressant ses lèvres, sa voix tremblante d'émotion :

— Je t’aime Jordan…

Ouvrant les yeux afin de les plonger dans les siens, ses paupières s’étant fermées d’elles-mêmes à la seconde même où la jeune policière avait prononcé ces quatre petits mots, Jordan prit son menton entre ses doigts et plongea son regard dans celui d’eau clair, vert émeraude d’Emmanuelle. Elle détailla chacun de ses traits si parfaits avant d’essuyer de bout de ses doigts la larme qui coula le long de sa joue.

— Je t'aime Manue, je t’ai toujours aimé, souffla-t-elle. Ça m’a juste pris un peu de temps à le réaliser, ajouta-t-elle dans un sourire embarrassé.

Elle caressa tendrement sa joue puis toucha ses lèvres avant de poursuivre :

— Je l’ai tellement espéré que je ne peux m’empêcher de me demander si tout ceci est bien réel, murmura-t-elle.

Emmanuelle s’empara de sa main et la plaça contre son torse de telle façon qu'elle puisse sentir les battements de son cœur.

— Crois-moi, sourit-elle, tout ceci est on ne peut plus réel.

Elle reprit, le ton sérieux, fronçant les sourcils :

— Par contre, il y a un petit problème.

— Lequel ? s’inquiéta immédiatement Jordan alors que son cœur se mettait à battre à tout rompre dans sa poitrine.

Ne me laisse pas, je t’en supplie, ne me laisse pas, implora-t-elle intérieurement.

— Eh bien…, commença Emmanuelle, maintenant que je t’ai retrouvée, il est hors de question que je te laisse partir. La simple pensée d’être sans toi me terrifie.

Jordan poussa un long soupir tandis qu’un énorme sourire illuminait son visage. Merci, merci, merci !

— Je pense que l’on va devoir rester très proche alors, murmura-t-elle. Est-ce que… ça, ça te conviendrait ? demanda-t-elle tout en collant son corps contre celui de la jeune policière, glissant un bras possessif autour de taille et une jambe sur les siennes.

— Hum, c’est pas mal, oui, répondit Emmanuelle alors que de doux frissons s’emparaient d’elle à nouveau.  

— Et… comme ça ? poursuivit Jordan alors qu’elle s’allongeait doucement sur son corps, insinuant une cuisse entre les siennes et lui arrachant un gémissement.

— Oh, c’est définitivement pas mal, répondit la jeune policière tandis que dans la pénombre, contre sa bouche, elle devinait le sourire de la jeune femme. Je t’aime Jordan, murmura-t-elle contre ses lèvres, caressant tendrement son dos.

— Je t’aime aussi, répondit la jeune femme blonde alors que ses lèvres glissaient dans son cou et ses mains parcouraient son corps.

Ce fut les dernières pensées cohérentes qu’elles eurent avant de nombreuses heures.

1 juillet 2011

Chapitre 4

Aujourd’hui.

Une rue déserte. Il fait sombre. Un vent glacial agite les branches des arbres et les feuilles s’en détachent tandis que les premières gouttes s’écrasent sur le sol. Un craquement retentit derrière elle. Un bruit sinistre qui résonne dans sa tête comme un gong sonnant son arrêt de mort. Elle se retourne. Personne.

Son pouls s’accélère, sa gorge est sèche. Elle a l’impression que quelqu’un ou quelque chose l’épie dans la pénombre. Ses yeux se mettent à se brouiller et son cœur bat si fort que ses oreilles bourdonnent. Sa respiration s’accélère, elle marche plus vite.          

— Jordan…   

Elle s’arrête. Était-ce le vent ?         

Une présence l’entoure, elle la ressent, elle pèse sur elle. Elle n’a pas la force de crier, la terreur la cloue, immobile et les nuages bas l’oppressent. Elle ferme les yeux, pour ne pas sentir le vertige. Elle écoute le bruit du vent qui glisse sur les feuilles des arbres, ne sachant dire si ce chuchotement qu’elle entend provient d’une voix étrange et douce ou de la mélodie du vent.      

— Jordan…   

Son souffle se bloque, elle connait cette voix, sa voix… Elle ouvre les yeux et regarde alentour, elle fronce les sourcils, mais elle ne voit rien, les lampadaires sont éteints et tout n’est qu’obscurité. Il n’y a pour tout éclairage que le halo de la pleine lune.       

Des frissons traversent tout son corps et la peur l'envahit : elle sent une présence derrière elle. Un souffle dans son cou, la chaleur d’un corps. La peur au ventre, elle se retourne lentement. Les poings serrés, elle lutte contre l’envie de hurler et de s’enfuir en courant.

Elle reste interdite. Il est là, juste devant elle, tout de blanc vêtu. Il est comme dans son souvenir, ses yeux rieurs, son visage si fin, son sourire… Elle ne peut empêcher les larmes de couler tandis qu’elle caresse tendrement son visage.        

— Jordan…, murmure-t-il.  

Elle réalise soudain combien son teint est pale, ses lèvres sont bleues et ses yeux sont ternes. Sur son t-shirt, une tâche sombre se forme au niveau de sa poitrine et des larmes coulent le long de ses joues.

— Je t’aime Jordan, je t’aime…        

Jordan pose ses mains sur son torse, essayant d’arrêter l’hémorragie. La tâche s’agrandit et elle a beau palper son torse mais elle ne trouve aucune blessure, coupure, rien.     

— Non… non, pas encore… non ! Reste avec moi, je t’en prie ! Me laisse pas… pas encore…, pleure-t-elle tout en tenant fermement son visage entre ses mains.

— C’est fini Jordan, c’est fini… je t’aime…  

— Non ! Reste tu m’entends ! Reste ! Me laisse pas…

Doucement il tombe à genoux et s’allonge sur le sol. Son t-shirt est maintenant presque entièrement recouvert de sang. Jordan s’assoit à ses côtés, son visage au-dessus du sien. Elle le supplie une dernière fois au creux de son oreille, la gorge nouée, les lames coulant le long de ses joues.

— Reste, je t’en prie…          

Les minutes passent et finalement, elle relève la tête, le visage défiguré par la peine. Puis ses sourcils se froncent. Au loin, droit devant elle, se tient une silhouette blanche.      

— Jordan…, murmure la voix douce, mélodieuse. 

Péniblement, elle se redresse, les jambes tremblantes.      

— Manue ? appelle-t-elle, la voix tremblante.       

— Jordan…   

Enjambant le corps inerte du jeune homme, elle avance tant bien que mal vers la silhouette blanche. La jeune femme semble vêtue d’un simple drap, ses longs cheveux bruns flottant autour de son visage, ses yeux verts incroyablement calmes. Elle aimerait l’atteindre, mais plus elle avance, plus la jeune femme reste inaccessible. Jordan accélère, court aussi vite qu’elle le peut, mais rien y fait. La silhouette ne recule pas, non… elle reste au même endroit. La distance entre elles ne diminue pas.

— Manue ! hurle-t-elle, haletante. 

— Jordan…   

La silhouette ferme les yeux, le teint de plus en plus pâle et de nouveau le blanc se mêle de rouge.

— Non… non… Manue, non ! supplie-t-elle la voix brisée. Ne me laisse pas non plus… je t’en supplie…

— Jordan…   

Impuissante, elle tombe à genoux, ne parvenant plus à contrôler ses pleurs alors que la silhouette disparaît. Se laissant glisser sur le sol, elle s’allonge en position du fœtus et se balance frénétiquement d’avant en arrière tandis que le noir l’entoure.

Une douce chaleur sur sa joue la réveilla en sursaut, haletante et transpirante, et elle se demanda un instant où elle se trouvait. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, raisonnant inlassablement dans ses oreilles et un nœud atroce lui serrait l'estomac, la rendant nauséeuse. Une deuxième main se posa sur son visage et deux yeux d’un vert profond se plongèrent dans les siens tandis qu’elle tentait de calmer sa respiration.         

— Chuut Jordan, Jordan, je suis là, ce n’est rien, tu as fait un cauchemar, murmura Emmanuelle en la prenant dans ses bras.       

Sa tête trouva aussitôt refuge contre une épaule accueillante et la jeune photographe éclata en sanglots. Ce cauchemar, elle le connaissait par cœur, il avait hanté ses nuits pendant des mois deux ans auparavant. Cette horreur innommable lui avait consumé l'âme et tourmenté l'esprit et elle n’arrivait pas à croire qu’il était revenu comme ça dans sa vie, aussi facilement. Les derniers évènements, son retour ici, l’évocation du passé la bousculaient visiblement plus qu’elle ne voulait se l’admettre.

Une fois calmée, Emmanuelle lui demanda doucement :

— Ça va ?      

Jordan acquiesça légèrement alors qu'elle reprenait peu à peu ses esprits. Autant qu’elle se souvienne, elles étaient assises en face l’une de l’autre et voilà qu’elle se retrouvait maintenant dans les bras de la jeune policière. Ce n’était pas pour lui déplaire, mais elle était quelque peu perturbée. Jusqu'à présent, Emmanuelle ne s'était pas montrée très chaleureuse, et la voir désormais là, à la réconforter, elle s'en retrouva passablement troublée. 

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle enfin.       

— Tu t’es assoupie, juste après la meilleure partie de l’histoire, répondit Emmanuelle dans un léger sourire avant de froncer les sourcils et poursuivre plus sérieusement. Jordan... c’était Mathéo ?

La jeune photographe la dévisagea aussitôt.      

— Quoi ? demanda-t-elle.   

— Mathéo, tu as hurlé son prénom à plusieurs reprises… Tu ne te souviens pas de quoi tu as rêvé ?

Jordan se concentra quelques secondes et lorsque des flashs lui revinrent en mémoire, elle secoua la tête pour les faire disparaître aussitôt.    

— Je ne sais pas, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, répondit-elle en évitant son regard.

Une larme lui échappa cependant, coulant le long de sa joue, et elle sentit aussitôt deux bras doux et protecteurs enserrer sa taille à nouveau, poussant un sanglot à s'échapper de ses lèvres.           

— Manue..., souffla-t-elle tout en enfouissant sa tête au creux de son épaule.          

La jeune policière la serra fort contre elle tout en caressant tendrement son dos pendant plusieurs minutes avant de se dégager doucement et lui soulever le menton afin de la forcer à la regarder.

— Qu'est-ce qui ne va pas, Jordan ? demanda-t-elle doucement, l’inquiétude visible dans son regard.

La jeune photographe lui adressa un pauvre sourire tout en essuyant ses larmes.

— C'est rien, ça va passer. C'est juste un peu de fatigue, rien de plus... On devrait continuer...

Sur ces mots, elle se détacha de l'étreinte d'Emmanuelle et commença à se tourner lorsque la jeune policière lui attrapa doucement le bras et l'obligea à faire lui faire face.

— Jordan, on n’est pas obligée de continuer si c’est trop difficile pour toi.  

Jordan eut un sourire dénué d'humour. 

— Si j'avais su qu'un simple cauchemar changerait autant ton attitude envers moi, j'y aurais pensé bien plus tôt.         

Emmanuelle serra la mâchoire avant de soupirer doucement.

— Ça n'a rien de drôle, Jordan.     

— Je sais, acquiesça doucement la jeune femme en hochant la tête. Mais le fait est que je n’ai pas fait plus de 5 000 km pour baisser les bras au dernier moment. C’est un cauchemar, c’est tout, ça va aller.

Emmanuelle l'implora du regard et Jordan prit sa main dans la sienne avant de la presser légèrement en signe d'apaisement.       

— Ne te torture pas l’esprit avec ça, s’il te plaît.

Emmanuelle haussa intérieurement les sourcils. Ne te torture pas l’esprit avec ça ? Elle en avait de bonnes ! Jordan était… transfigurée. Son mauvais rêve l’avait complètement retournée, elle avait beaucoup remué et avait hurlé à plusieurs reprise. Et sa réaction après s’être réveillée… Son regard était humide et si triste qu’elle en avait mal au cœur, son teint était livide et même si elle faisait tout pour le cacher, elle tremblait. Comment voulait-elle qu’elle ne s’inquiète pas ?     

Mais insister ne servirait à rien, alors Emmanuelle décida d’attendre que cela vienne d’elle-même, et si cela devait prendre des semaines ou des mois eh bien tant pis, en attendant elle serait là et lui apporterait tout son soutien.        

Elle s’arrêta. Des semaines ? Des mois ? Mais à quoi tu joues là Manue ?! Tu t’imagines qu’elle sera encore là d’ici là ? Elle est déjà partie une fois, qui te dit qu’elle ne repartira pas ?       

— Manue ? Ça va ? demanda Jordan, inquiète du silence qui émanait de son amie.

La jeune policière secoua la tête et choisit de détendre l’atmosphère.

— Ça va, et puis de quoi parles-tu ? Je ne suis pas du genre à m'en faire, ajouta-t-elle dans un air faussement innocent.          

Jordan l'observa et un sourire naquit au coin de ses lèvres.   

— Quoi ?       

— Tu ne sais pas mentir, Manue. D'ailleurs, pour une policière, ça laisse à désirer, la taquina Jordan.

— Moi ? Je ne sais pas mentir ? demanda la jeune policière, feignant d’être blessée. Qu'est-ce qui te permet de dire ça ?

— Hmm... j'hésite, sourit Jordan, amusée. La petite ride entre tes sourcils et ta façon de te toucher le nez surement. Ce sont des signes d'inquiétude et de nervosité chez toi, ajouta-t-elle dans un murmure.

Emmanuelle ne put s’empêcher de lui sourire d'un air gêné, Jordan la connaissait vraiment bien.

— Je suis démasquée. On continue alors ?

Jordan acquiesça avant de se repositionner au creux de ses bras, elle avait besoin de la sentir près d'elle, besoin qu'elle la prenne dans ses bras, qu'elle l'apaise par sa simple présence afin de lui donner la force de poursuivre.         

— Ça ne te gêne pas… si je reste là ? demanda-t-elle incertaine. J'ai envie de te sentir près de moi pour la suite. Je… je ne suis pas sûre d’y arriver sinon, ajouta-t-elle timidement.  

Emmanuelle l'enveloppa aussitôt dans une étreinte rassurante.        

— Je suis là Jordan, tu ne crains rien, lui répondit-elle en déposant un doux baiser sur son front.

Tu joues avec le feu Manue, elle t’a abandonné, tu te souviens ? 

Emmanuelle secoua la tête, chassant les pensées qu’elle ne voulait avoir, et serra Jordan un peu plus fort contre elle.        

Deux ans plus tôt.

— Qu’est-ce qu’on a ?         

— Mathéo Miller, jeune homme de vingt-quatre ans, répondit l’officier en levant les yeux de son bloc-notes.

Il lui fit un signe de la tête pour lui dire de le suivre et poursuivit ses explications en les accompagnants de gestes.      

— D’après les spécialistes de la reconstitution, la voiture s’est engagée à toute allure dans le parking par cette entrée, a percuté une première voiture juste là, renversé la victime, percuté une seconde voiture, sectionné le poteau électrique et a fini sa course en travers du parking juste ici. Il semblerait que le conducteur ait perdu la maîtrise de son véhicule et que le levier de vitesse soit resté enclenché sur la cinquième. Et il a été dépisté à 1,54 g d'alcool/L de sang. Concernant la victime, elle a été percutée de plein fouet et est morte sur le coup, c’est pas beau à voir. Une expertise médicale est prévue ainsi que pour le véhicule.          

— Bien, et le conducteur ? 

— Il a été emmené à l’hôpital, son front a violemment heurté le volant. Des collègues l’ont accompagné, ils l’interrogeront dès que possible.         

L'officier hocha la tête d'un air entendu. 

— Des témoins ?     

— Un, la vieille dame assise là-bas, la scène s’est déroulée sous ses yeux alors qu’elle promenait son chien.

L’officier tourna la tête en direction de l’endroit désigné par son collègue et repéra aussitôt la dame assise sur les marches de l’immeuble et qui discutait avec un policier. Elle semblait totalement bouleversée, le teint blême et s'essuyant continuellement les yeux d'un mouchoir.

Il jeta un œil alentour avant de reporter son attention sur son collègue, un périmètre de sécurité avait été délimité, des hommes et femmes en uniforme s’affairaient à droite, à gauche et des véhicules d’urgence et de police stationnaient un peu partout, empêchant les plus curieux d’approcher.

— Apparemment, ce serait la voisine, il aurait discuté quelques instants avec elle avant de se diriger vers son véhicule, le deuxième qui a été percuté, poursuivit son collègue. Il vivrait en colocation avec sa sœur, Jordan Miller.

— On a un numéro pour la contacter ?   

— J’ai mis le lieutenant Herbomel sur le coup. Tu devrais rentrer chez toi et te reposer tu sais, tu tiens à peine debout, ajouta-t-il en le voyant se masser la nuque.    

— Non, ça va, répondit-il tout en observant le corps enveloppé dans un sac plastique être sanglé sur la civière puis transporté dans l’ambulance. Fais en sorte qu’elle se rende au commissariat dès que possible.

— À vos ordres capitaine.

💕

Refermant la porte derrière elle, Jordan repéra immédiatement son associée. La jeune femme se tenait debout devant un grand bureau recouvert de plusieurs clichés, situé juste devant une grande baie vitrée, et à la façon dont elle tapotait son stylo contre son menton, elle semblait en proie à une profonde réflexion.      

Alors qu'elle s’approchait, Jordan laissa courir son regard sur les différentes photographies éparpillées sur la surface en verre. Elles représentaient un couple posant dans des lieux différents, à différents moments de la journée. Son regard s’arrêta sur une en particulier, situé l’un à côté de l’autre, l’homme légèrement en retrait, son bras caché derrière la femme, on ne distinguait que le haut de leur corps et leur visage. L’homme semblait assez grand, blond et assez mince, elle était plus petite, plus ronde et brune. Il faisait très « souverain » et elle très latino-américaine. Il paraissait discret alors que sa moitié avec l’air plus expansive. Elle semblait spontanée et gaie, lui sérieux et réfléchi. L’attraction des contraires, ne put-elle s’empêcher de penser. Cette complémentarité apparente semblait faire leur force, leur visage dégageant une douceur et un amour inégalable. Une sérénité.

Un sourire se dessina sur ses lèvres, son amie avait du talent et pas une seule fois elle n'avait regretté de s’être associée à elle.

— Engagement sessions ? demanda-t-elle enfin.

Kathy hocha la tête.

— Séance en amoureux au petit matin. Je les avais rencontrés entre deux trains la semaine dernière, j’ai tout de suite adoré le style du jeune homme et le sourire pétillant de la jeune femme. Elle dégage une tendresse… Je les ai retrouvés très tôt pour profiter de la lumière douce et de la température encore fraîche et surtout des rues encore calmes pour explorer tous les petits recoins de notre itinéraire. On a fait deux séances, une avec la lumière pure du début de journée et une en soirée. Ils m’ont demandé de couvrir leur mariage.

Jordan haussa les sourcils.

— On n’a jamais fait ça.

— Je sais, et c’est que je leur ai dit, mais ils ont adorés les photos et tiennent à ce que l’on s’en occupe. J’ai vérifié le planning, on a rien de prévu ce weekend-là.

— Kathy c’est normal, on n’est pas censées bosser le weekend !

La jeune femme leva les yeux au ciel avant de soupirer.

— Je sais, mais ce serait une bonne expérience, non ? C’est un mariage, ça va être sympa ! Allez, dis oui ! dit-elle en la suppliant du regard.

— Kat’ me fais pas cette tête là… Arg, bon d’accord !

— Super ! s’exclama Kathy en tapant des mains. Mais qu’est-ce que tu fais là au fait ? Tu ne devrais pas être sur la route à l’heure qu’il est ?

— Tu connais Mat’, être à l’heure, c’est pas son fort, répondit Jordan en remuant une main dans les airs.

— Vous devez y être à une heure précise ?

Jordan secoua la tête.

— Le concert a lieu ce soir, 21h. On a toute la journée devant nous, on a décidé de partir tôt histoire de visiter un peu la ville.

— Hmmm, d’accord, répondit Kathy en hochant la tête avant de l’observer un instant. Tu n’as pas l’air très emballée en tout cas, même un croque-mort à l’air plus gai que toi.  

Jordan haussa les sourcils.

— Duh, je suis ravie de voir que comme toujours tu ne mâches pas tes mots toi en tout cas, répondit-elle.

Kathy haussa les épaules.

— C’est pour ça que tu m’adores, non ? sourit-elle.

— Mouais. C’est juste que ce n’est pas mon truc, je fais ça pour Mat’.  

— Oh ta bonté te perdra ma belle ! la taquina aussitôt Kathy alors qu’elle se dirigeait vers la machine à café.

Jordan ne put s’empêcher de sourire. Mathéo devait se rendre à Bordeaux pour un concert, il jouait de la guitare dans un groupe et ils devaient se produire lors d’un festival parmi des orchestres réputés. Jordan avait toujours participé à chacun de ses déplacements musicaux, mais ce n’était pas son truc. Non pas qu’ils n’étaient pas doués, ils s’en sortaient plutôt bien mais les concerts, elle n’était pas très fan. Quoi de mieux que d’écouter de la bonne musique, chez soi, en compagnie d’un bon verre de vin ? Elle ne comprenait pas comment les gens pouvaient supporter de passer des heures debout collés par des inconnus pleins de sueurs. Alors elle l’avait fait marcher, il avait dû faire des pieds et des mains pour qu’elle accepte et elle avait tenu tête pour la forme. Elle adorait faire ça.

La sonnerie de son téléphone la sortit soudainement de ses pensées et, le sortant de son sac, elle remarqua que le numéro était inconnu. Fronçant les sourcils, elle se mordit l’intérieur de la joue avant de décrocher.           

— Allo ?        

— Mlle Miller ? répondit la voix rauque à l’autre bout de la ligne.     

— Oui, qui êtes-vous ?        

— Bonjour, je suis le lieutenant Herbomel du commissariat de Bourges.     

— Bonjour…

— Pourriez-vous vous rendre au commissariat dès que possible ?   

Jordan haussa les sourcils.

— Au commissariat ? Pour quelle raison ?         

— Vous en serez informée dès votre arrivée sur place.           

Jordan leva les yeux au ciel.          

— Écoutez, je suis censée prendre la route dans quelques minutes. Alors, s’il vous plaît, pourriez-vous me dire de quoi il en retourne ?   

— Mademoiselle, ce n’est pas une bonne idée…

— Pas une bonne idée ? demanda-t-elle aussitôt alors que son cœur s'accélérait et ses mains devenaient moites. Comment ça ? Il est arrivé quelque chose ?      

Tournant légèrement le dos, elle évita le regard à la fois curieux et inquiet de son associée et chassa tant bien que mal les pensées qu’elle ne voulait avoir. À l’autre bout du fil, elle n’entendait plus rien. Pas de respiration. Même pas un bruit de fond. Rien. Et, pour la première fois, elle comprit que le silence pouvait provoquer bien des souffrances.

Devant l’absence de réaction de son locuteur, elle perdit patience.   

— Mais parlez bon sang !  

— Votre frère, hum, il y a eu un problème, venez au commissariat, que l’on en discute.

— Mon frère ? Qui y a-t-il ? demanda-t-elle en s’appuyant contre le bureau. Dites le moi.

— Mademoiselle — 

— Dites-moi ce qui se passe. Je veux savoir, maintenant, lâcha-t-elle d’un ton qui n’appelait aucune discussion possible.

Le sergent Herbomel comprit que la jeune femme ne lâcherait pas l’affaire et répondit dans un souffle :          

— Votre frère est décédé. On l’a retrouvé mort devant votre immeuble. Je suis désolé.

Les mots lui parvinrent et le téléphone glissa aussitôt de son oreille, une douleur fulgurante lui transperçant la poitrine alors que ses jambes se dérobaient sous elle. Tout sembla tourner autour d’elle, son souffle se coupa et elle n’arriva plus à respirer ni à parler, ses mots se brouillaient, s’entremêlaient.

— Jordan ? Ça va ? Jordan !          

Elle sentit que des bras tentaient de la soutenir, mais elle n’entendait plus rien. Un voile noir s’abattit devant ses yeux.

💕

Emmanuelle regardait à travers la vitre les infirmières qui s’occupaient de Jordan tandis que le médecin lui expliquait ce qu’elle avait.        

— Elle s’est évanouie juste après le coup de téléphone de votre collègue, sa tête a violemment heurté le sol. Heureusement, elle n’a rien de grave, juste une petite coupure et une bosse. On lui a donné ce qu’il faut pour la douleur.          

La jeune policière hocha la tête d’un air entendu sans détourner son regard de la jeune femme aux cheveux blonds qui se trouvait juste sous ses yeux. Son teint était pâle, elle avait les yeux dans le vide et ses poings étaient serrés. Elle ne veut pas pleurer, elle garde ses larmes pour quand elle sera seule, pensa-t-elle. En trois ans de carrière, ce n’était pas la première fois qu’elle avait à faire à quelqu’un qui venait de perdre un proche, pourtant, elle détestait toujours autant cela. Encore plus cette fois-ci, puisqu’il s’agissait de la personne qui comptait le plus pour elle. Et la voir comme cela lui fendait littéralement le cœur. 

— J’aimerais la voir, répondit-elle finalement.   

— Je vous ferais signe dès que les infirmières auront fini de s’occuper d’elle mais, allez-y doucement.

Emmanuelle haussa un sourcil avant de fermer un instant les yeux. 

— Je ne suis pas là dans le cadre du travail, précisa-t-elle, se rappelant qu’elle était toujours en uniforme.

— Oh. D’accord, eh bien, hum, elles ne devraient plus en avoir pour longtemps.    

— Bien. Vous comptez la garder ici encore longtemps ?          

— Non, elle pourra sortir dès que les infirmières en auront terminé, je vais m’occuper de son autorisation de sortie.        

La jeune policière opina de la tête.           

— Merci docteur.

Alors que le médecin s’éloignait, elle se détourna finalement de la vitre et prit place sur l’une des chaises faisant face à la porte de la chambre dans laquelle se trouvait Jordan. Appuyant sa tête contre le mur, elle étendit ses jambes devant elle et s'apprêtait à fermer les yeux lorsqu'une voix familière en provenance du couloir attira soudainement son attention. Tournant légèrement la tête, elle aperçut Sébastien qui arrivait en compagnie d’un collègue.

Non mais je rêve, fulmina-t-elle intérieurement. Son regard s’assombrit dangereusement tandis qu’elle se dirigeait vers eux d’un pas décidé.      

— Qu’est-ce qu’il fait là lui ? demanda-t-elle sans même jeter un œil à l’homme auquel elle faisait référence.

— Il est chargé de l’enquête Manue, on est ici pour l’interroger.       

Emmanuelle haussa les sourcils.   

— L’interroger ? Il s’agit d’un accident, pas d’un meurtre.

Sébastien soupira avant de reprendre d’une voix douce.        

— Manue, c’est la procédure, tu le sais bien.      

— Pas besoin, je sais tout ce qu’il y a à savoir, vous pouvez disposer.          

— Lieutenant Cahill, je —  

— Tu quoi ? l’interrompit soudainement Emmanuelle en tournant la tête vers leur collègue qui jusque-là était resté silencieux. Tu devais lui demander de se rendre au commissariat, pas lui dire que son frère est mort ! Tu es un abruti ou quoi ? Si tu n’es pas capable de faire ton métier correctement, tu devrais sérieusement penser à en changer ! lui dit-elle dit le ton froid mais ferme, tout en évitant de hausser la voix pour ne pas attirer plus de curieux. Retourne au commissariat, je me charge du reste. Compris ?  

Hochant frénétiquement la tête, le jeune policier ne se fit pas prier et reparti sans demander son reste.

— Ce n’est pas possible d’être si incompétent ! lâcha Emmanuelle entre ses dents alors qu’il s’éloignait.

— Manue…

— Quoi ? répondit-elle d’une voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.         

— Tu ne crois pas que tu y es allée un peu fort, là ? Tu sais bien qu’annoncer un décès est la plus ingrate et la plus intense des tâches d’un policier.          

— Oui, et la meilleure approche est humaine et sincère. Il faut dire la vérité telle qu’elle est, avec toute la sympathie dont on est capable. On tente de consoler la personne, aussi doucement que possible. Autrement dit, pas en balançant ça au téléphone !        

— Je sais, admit Sébastien en passant une main sur son visage, il a fait une erreur et il en est conscient. Il ne méritait pas autant de remontrance de ta part.     

La jeune policière le regarda un instant avant de soupirer.     

— Tu as raison, je suis désolée, répondit-elle en se pinçant l'arête du nez. Je prends ça trop personnellement. Je m’excuserai auprès de lui plus tard.        

— Bien. Pour l’interrogatoire…

— Non, je m’occupe de tout. S’il te plaît, elle n’a pas besoin de ça Seb, insista-t-elle devant l’hésitation de son collègue.

Il s'apprêtait à répondre lorsque la porte de la chambre s’ouvrit.     

— Lieutenant Cahill ? demanda l'infirmière. Le docteur Brego nous a prévenus, vous pouvez y aller.

— Merci, j’arrive.     

Reportant son attention sur son collègue, Emmanuelle poursuivit.    

— Je te vois plus tard, d’accord ? 

Sébastien la considéra un instant puis finit par hocher la tête.

— D’accord file, elle va avoir besoin de toi.

Emmanuelle acquiesça puis donna de légers coups sur la porte avant d’entrer dans la pièce. Son regard se posa immédiatement sur une jeune femme fatiguée dont les yeux noirs dégageaient une tristesse incommensurable qui lui brisa un peu plus le cœur et, refermant la porte derrière elle, elle enjamba rapidement la pièce et la prit dans ses bras.

— Oh Jordan, je suis tellement désolée, murmura-t-elle contre les cheveux blonds tout en caressant tendrement le dos de la jeune femme.     

Jordan nicha son visage au creux de cou, ses poings empoignant sa chemise, comme si elle avait peur de s’effondrer si elle lâchait prise. Fermant les yeux, elle essaya de se concentrer sur la chaleur que dégageait le corps collé contre le sien et les paroles réconfortantes qu’Emmanuelle lui glissait à l’oreille, priant pour que les mots qui avaient sonnés comme une bombe dans sa tête plus tôt dans la journée cessent de la tourmenter.  

— Manue, que s’est-il passé exactement ? demanda-t-elle finalement.

La jeune policière prit une profonde inspiration avant de répondre d’une voix douce.

— Ton frère a été percuté de plein fouet par un véhicule au pied de votre immeuble. L’homme qui conduisait était ivre et aurait apparemment perdu le contrôle. Il est mort sur le coup, je suis désolée Jordan.

La jeune photographe pressa sa main contre ses lèvres, les larmes coulant de nouveau le long de ses joues. C’était un mauvais rêve, ce n’était pas possible. Elle allait se réveiller d'une minute à l'autre et réaliser que tout ceci n’était que le fruit de son imagination, et tout irait bien, n’est-ce pas ? Elle serait chez elle, ils passeraient la soirée ensemble, à rire, à s’amuser...

Ou alors, ils avaient fait une erreur. Après tout, des jeunes hommes blonds de 25 ans, il y en avait pleins les rues, pas vrai ? Son immeuble devait héberger quoi, plus de deux cents personnes, ils avaient très bien pu se tromper, non ?  

— Jordan ? Tu veux boire un verre d’eau ou quelque chose ? demanda maladroitement Emmanuelle tout en essuyant ses joues de ses pouces.

La voix de la jeune policière la ramena à la réalité et Jordan planta son regard dans celui vert émeraude, comprenant aussitôt que tout était vrai, on ne peut plus vrai et qu’il ne servait à rien d’espérer.

— Qu’est-ce qu’il risque ? demanda-t-elle difficilement.

Emmanuelle haussa les sourcils avant de répondre :   

— Il a été mis en examen, il sera probablement mis en détention provisoire par la suite. Le juge d’instruction en décidera et le juge des libertés et de la détention donnera sa décision, l’audience aura lieu mercredi.           

— Et à ton avis, quelle peine lui sera attribuée ?

La jeune policière soupira doucement avant de prendre les mains de Jordan entre les siennes.

— Jordan, écoute-moi. Je sais que c’est pas facile, que tu souffres énormément, et cet homme sera jugé et purgera sa peine. Mais… déverser ta colère sur lui ne le ramènera pas.

Ses mots claquèrent comme un coup de fouet à ses oreilles. Des mots durs mais tellement vrais. Emmanuelle avait raison et elle le savait. Mais comment supporter ce gouffre qu’elle ressentait au plus profond de son cœur ? Cette douleur qui la broyait littéralement ? La vie était trop injuste, qu'avait-elle fait de mal au bon Dieu bon sang ?! Elle en voulait à la terre entière, à Mathéo qui était descendu à ce moment-là, à ce type qui l’avait assassiné, à elle-même… Pourquoi n’était-elle pas restée ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle passe à son travail ?

Elle donnerait le reste de sa vie pour le voir ne serait-ce que dix minutes, le serrer fort contre elle et lui dire qu’elle l'aimait. 

— Jordan ? appela doucement la policière, la sortant de ses pensées.          

Jordan ne lui répondit pas, sa gorge étant tellement nouée qu’aucun son ne pouvait en sortir. Elle se contenta de replonger sa tête au creux de son cou, priant pour que la douleur, et le vide, disparaissent.

💕

Jordan ne put retenir ses larmes plus longtemps lorsque le prêtre invita la famille du défunt à s’avancer et dire un dernier mot.       

Jusqu’à présent, elle n’avait pas pleuré, du moins pas réellement. Non pas qu'elle n'était pas triste, mais elle ne comprenait pas, ne réalisait pas encore, ne le voulait pas. Mais apercevoir le cercueil de son frère à quelques pas d’elle, les gens qui pleuraient, ce fut comme un déclic. Une claque. Elle s’était levée et lorsqu'elle avait vu ce grand coffre de bois, sobre, impersonnel et renfermant l'une des personnes les plus chères à son cœur, froid, ne respirant plus, cela avait été de trop. Les larmes étaient venues s'accumuler dans ses yeux et ses jambes l’avaient soutenue avec peine.

Elle ne pouvait pas. 

Elle se retourna et sortit de l’église en courant, les larmes coulant librement le long de ses joues. Elle n'essaya pas de les retenir, libérant à la place toute la tristesse et la douleur qui s'étaient accumulées au plus profond d’elle. Elle pleura, en silence au début. Puis ses jambes cédèrent et elle s'agenouilla à terre, prenant sa tête dans ses mains et pleurant à s'en déchirer l'âme, le corps secoué de spasmes.

Bien vite, elle se mit à crier, de désarroi, de peine, de colère, de haine. Son cœur saignait. Elle l'avait perdu. Il lui manquait tellement, il était tout pour elle. À tel point que maintenant, elle n'était plus rien, seule et horriblement triste.

Un immense vide s'était formé dans son cœur et elle venait d'en prendre réellement conscience. Ce vide l'oppressait, la tuait lentement, lui faisait horriblement mal. Comment imaginer sa vie sans quelqu'un qui en avait toujours fait partie intégrante, qu'elle avait tant aimé ? Comment continuer à avancer avec cette peine, ce manque ? Comment tout recommencer sans cette personne ? Comment se faire à l'idée que plus jamais elle ne la reverrait, plus jamais elle n'entendrait son rire, ne verrait son sourire ?

Emmanuelle, en pleure elle aussi, vint l'enlacer, la soutenir moralement, même si au fond, elle savait que personne n'avait ce pouvoir. Elle avait perdu son frère, et elle ne le retrouverait pas. Il était parti, à jamais. Les cris atroces qui s'échappaient des lèvres de Jordan la poussèrent à resserrer encore plus son étreinte et elle pria pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar et qu’elle se réveille bientôt.

Relevant finalement son visage ravagé par les larmes, Emmanuelle l'observa tendrement, tristement jusqu'à ce que Jordan ne colle sa tête sur sa poitrine et ne continue à pleurer sa perte, la main de la jeune policière caressant doucement son dos alors qu'elle lui offrait tout le soutien qu'elle pouvait fournir.

💕

Après plusieurs appels sans réponse, les policiers ouvrirent la porte et pénétrèrent dans l’appartement, arme au poing. Il faisait très sombre à l’intérieur, le seul éclairage provenant de la lumière qui filtrait légèrement à travers l'interstice des volets tirés et les contours de la pièce étaient à peine distinguables. L’entrée donnait sur un petit hall qui lui-même donnait visiblement sur ce qui semblait être le salon. Le silence quant à lui était lourd et pesant.

Un peu plus tôt dans la journée, le petit ami de Morgane Lairaces, un jeune étudiant de 21 ans, avait appelé le commissariat. Il était inquiet, sa compagne n'avait plus donné signe de vie depuis plusieurs jours et Emmanuelle et deux de ses collègues s’étaient donc rendus au domicile de la jeune femme.

Lampes torches en mains, les policiers poursuivirent leur inspection, aux aguets. Le salon et la cuisine qui se trouvaient sur la droite semblaient en ordre. Sur la gauche, ils purent distinguer deux portes dont la deuxième était entreouverte. Emmanuelle vit l'un de leurs collègues s'approcher de la première porte tandis qu'ils se chargeaient de la deuxième, poussant lentement le battant, une forte odeur âcre et désagréable leur parvenant aussitôt.

La première fois qu’elle avait eu à faire face à la mort, la jeune policière avait 23 ans et à peine quelques mois de service à son actif. Ils avaient reçu un appel d’une femme qui se plaignait d’une forte odeur provenant d’un logement voisin, et arrivé sur place, ils avaient inspecté l’appartement avant de se rendre rapidement compte qu’il était désert et que la porte de la salle de bains était bloquée. En l’enfonçant, la secousse avait fait basculer le corps d’un homme pendu et ils avaient reçu son cadavre en plein visage. Elle s’en souvenait comme si c’était hier et cette même odeur qu’elle sentait à présent ne lui disait rien qui vaille.

Elle et son collègue échangèrent un regard et d’un commun accord, Emmanuelle passa devant, poussant doucement la porte afin de l'ouvrir complètement. Le spectacle effroyable qui s'offrit aussitôt à eux les marquera sans doute à vie. Le corps de Morgane gisait sur son lit, visiblement morte après avoir été égorgée et poignardée. Son corps était entièrement nu et maculé de sang et sa bouche était bâillonnée à l’aide d’un foulard, sans doute pour l’empêcher de crier. Ses mains quant à elles étaient liées au-dessus de sa tête et attachées à la tête du lit et il y avait du sang partout, sur le sol, les murs.       

— Bon sang… murmura finalement la jeune policière alors qu'elle ne pouvait détacher ses yeux de la scène.

— J’appelle la brigade criminelle, enchaîna aussitôt son collègue en sortant de la pièce. Mais qu’est-ce que…

Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale et Emmanuelle se retourna aussitôt, découvrant son collègue en train de se débattre avec un homme assez grand, le visage défiguré par la haine, nu et recouvert de sang. Elle vit son collègue tenter de lui tordre le bras pour lui faire lâcher son arme lorsqu'un coup de feu se fit entendre, la clouant soudainement sur place alors qu'elle s'apprêtait à apporter son aide.   

Une douleur aiguë et paralysante traversa son corps et elle tomba à genoux, un murmure à peine audible s’échappant de ses lèvres :          

— Jordan…

💕

Allongée sur son lit, les mains jointes derrière sa tête, la jeune photographe fixait le plafond de sa chambre d’un regard vide, l’esprit ailleurs.

— Et… j’ai encore gagné ! s'exclama Mathéo alors qu’elle perdait sa dernière carte. Cinq victoires d’affilée… c’est ça le talent ma belle !  

Jordan lui offrit un regard noir avant de réunir les cartes et les mélanger à nouveau.

— Ton talent ne rimerait pas avec tricherie par hasard ? grommela-t-elle entre ses dents.

Mathéo lâcha un rire.          

— Oh allez, arrête de faire la tête, Jordan. Je vais finir par croire que tu es une mauvaise perdante...

— Je ne boude pas, répondit la jeune femme en faisant la moue. Et je ne suis pas une mauvaise perdante !

Pour toute réponse, elle reçut un oreiller en plein visage accompagné d’un « mais bien sûr ! »

D’abord surprise, Jordan ne put empêcher un sourire de se dessiner sur ses lèvres et riposta en le lui renvoyant. Bien vite, une bataille d’oreiller s’engagea entre eux et Jordan essaya de se sauver mais le coussin lui arrivait déjà en pleine figure. Elle le rattrapa cependant avant qu'il ne tombe à terre mais Mathéo en avait déjà pris un autre et s'approchait dangereusement d’elle, le regard plein de malice. Jordan tenta tant bien que mal de le pousser sur le lit mais le jeune homme l'attrapa par le bras et l’entraina avec lui dans sa chute. 

— Oh ça tu vas me le payer! s'exclama-t-elle sans cesser de rire.

Elle lâcha alors son oreiller, s’assit à califourchon sur ses cuisses et commença à le chatouiller au niveau des côtes tandis que Mathéo se contorsionnait dans un fou rire incontrôlable. Il arriva finalement à avoir le dessus, bien que les chatouilles infligées l'empêchèrent de reprendre son souffle et de réfléchir correctement, et la renversa afin de lui infliger la même sentence, le rire de Jordan éclatant quasi instantanément dans la pièce. Cette dernière arriva cependant à lui donner un coup d’oreiller lui permettant de rouler sur le côté, se dégageant ainsi de son étreinte. Seulement, ayant mal calculé son coup, elle tomba du lit et fini sur les fesses, sa chute faisant redoubler leur hilarité et ils se tinrent les côtes lorsque des points de côté commencèrent à se faire sentir à force de rire autant. Ils finirent par s’adosser au lit, essoufflées et gloussant comme des gamins.

— Mon Dieu ! se plaignit Jordan tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux en bataille et essayait de retrouver sa respiration. Je suis trop vielle pour ça !       

— Oh mais oui, tiens, ce ne serait pas un cheveu blanc ça d’ailleurs ? la taquina son frère.

— Oh vilain ! lui répondit Jordan en lui donnant une petite tape sur la cuisse avant de secouer la tête et sourire. Tu sais que je t’aime toi ? ajouta-t-elle alors qu’elle passait un bras autour de ses épaules et l’embrassait sur la joue.       

— Pas autant moi ! répondit Mathéo en se relevant, lui ébouriffant les cheveux au passage.

De légers coups contre sa porte la ramenèrent soudainement à la réalité et elle essuya les larmes qui avaient silencieusement coulé le long de ses joues avant de se redresser et l’inviter à entrer. Comme chaque jour, Kathy venait s’assurer qu’elle allait bien. Mais cette fois-ci, Jordan remarqua que son attitude était différente lorsque la jeune femme entra dans la pièce, se dirigea vers la fenêtre d’un pas décidé et ouvrit en grand les volets. La lumière du jour qui pénétra dans la pièce l'aveugla subitement et elle émit un grognement avant d’enfouir son visage sous l’oreiller.

Kathy revint sur ses pas et se posta au pied du lit, croisa ses bras sous sa poitrine avant de dire d’un ton déterminé :        

— Jordan, ça fait un mois que tu n’as pas mis le nez dehors, et c’est à peine si tu sors du lit. Ça ne peut plus continuer comme ça.  

Devant l'absence de réaction de la jeune femme, elle poursuivit :

— Écoute, je t’ai fait couler un bain, pendant ce temps là je vais m’occuper d’aérer ta chambre, de ranger et de changer les draps. Oh oui je vais définitivement changer les draps, ugh. Ensuite on mange et on discute. D'accord ?  

— Kat’, sors d’ici et laisse-moi tranquille, répondit la voix étouffée provenant de l’oreiller.

— Ah ça certainement pas, répondit aussitôt la jeune femme en tirant sur les couvertures. Allez bouge-toi !    

— Laisse-moi Kat’ ! 

— Non, répondit Kathy, le ton ferme.      

A sa surprise, elle vit Jordan se redresser avant de planter son regard dans le sien, et elle marqua un temps d’arrêt. Elle avait l'air épuisée, d'énormes cernes lui mangeaient le visage. Un visage pâle, affreusement pâle et amaigri. Et ses yeux n'avaient plus d'éclat. Elle ressentit un pincement au cœur de la voir comme cela, malade de chagrin.   

— Non ? demanda Jordan en haussant un sourcil.        

— Non, répéta Kathy, le ton plus doux.

Jordan serra la mâchoire avant de soupirer, puis repousser les couvertures avant de se lever. Elle savait que lorsque Kathy était comme ça, il n’y avait pas à discuter. Elle aurait insisté jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait.          

— Très bien, je vais faire ce que tu dis, mais après, tu me laisses tranquille.

Kathy se passa une main sur le visage.    

— Jordan, s'il te plaît, je ne fais pas ça contre toi...        

Le claquement de la porte de la salle de bain fut la seule réponse qu’elle obtint tandis que de l'autre côté du battant, Jordan s'appuya dos contre la porte et soupirait bruyamment tout en fermant les yeux. Depuis ce jour, sa vie n'était plus vraiment. Elle n'était qu'automatisme, et ne faisait que ce qui lui était indispensable. Elle ne riait plus, ne mangeait presque plus, ne parlait plus, ne dormait plus, ne vivait plus... Elle espérait l’impossible, le revoir, qu’il revienne et elle était fatiguée, fatiguée d'espérer, fatiguée de vivre sans lui.      

Des larmes coulèrent douloureusement le long de ses joues et ses genoux cédèrent, la faisant s'écrouler sur le sol tout en pleurant dans ses mains.

💕

Une dizaine de minutes plus tard elle ressortit de la salle de bain vêtue d’un simple jeans et un débardeur blanc, ses cheveux humides retombant sur ses épaules. Retournant dans sa chambre, elle retrouva son associée et meilleure amie assise sur son lit, les yeux rivés sur le téléphone qu’elle tournait nerveusement entre ses mains.

— Kat’ ? Ça va ? demanda-t-elle.

La jeune femme releva la tête, ses yeux bleus baignés de larmes. Péniblement elle se racla la gorge.

— C’est… c’est Emmanuelle, elle est à l’hôpital. Je suis désolée.          

— Qu... quoi ? balbutia Jordan alors qu'elle repliait instinctivement ses bras autour d’elle, comme si elle cherchait à se protéger de la douleur que son amie lui infligeait, inconsciemment, en parlant.

D'une voix mal assurée, Kathy lui expliqua ce qu'il s'était passé et elle porta sa main à ses lèvres pour s’empêcher de crier, les larmes dévalant sur ses joues alors que son corps était secoué par de silencieux sanglots.        

Une heure plus tard, les médecins l’y autorisant enfin, Jordan entra doucement dans la chambre d’hôpital et laissa son regard courir dans la pièce blanche. Seulement composée d’un lit, de deux fauteuils en cuir pour accueillir les visiteurs, d’une table de chevet et d’un porte manteau, elle était désespérément impersonnelle et froide et Jordan ne put retenir les larmes à la vue du corps de sa douce allongée à quelques mètres d'elle, dans cette chemise d’hôpital, reliée à toutes ces machines, son teint était blême et ses lèvres de couleur violet-rose.

Elle s'approcha tout doucement du lit, les yeux rougis, et d'une main tremblante, elle prit la sienne avant de la relâcher aussitôt.       

— Je suis désolée Manue, je ne peux pas…, je suis désolée, pleura-t-elle avant de se ruer sur la porte et de s’éloigner aussi vite que ses jambes le lui permirent.

💕

— Jordan, qu’est-ce que tu fais ?! demanda Kathy, essoufflée.

Assise dans le couloir, elle avait vu son amie sortir précipitamment de la chambre et quitter l’hôpital comme une tornade, la poussant à la suivre sans prendre le temps de réfléchir. Arrivée à l'appartement, elle avait vu Jordan ouvrir la porte à la volée et se précipiter vers la chambre comme une furie, attrapant sa valise qui se trouvait sous son lit et la remplissant frénétiquement, les mains tremblantes.

— Jordan arrête, calme-toi, continua Kathy en prenant ses mains entre les siennes.          

— Non ! répondit la jeune femme en se dégageant aussitôt. Je ne peux pas Kathy ! Je ne peux pas !

La jeune femme s'empara de nouveau ses mains et la serra tout contre elle.          

— Jordan, calme-toi s’il te plaît, répéta-t-elle d'une voix douce.          

Elle sentit la jeune photographe se débattre un instant avant d’éclater en sanglots convulsifs et enfoncer sa tête dans son cou. Kathy la serra plus fort contre elle tandis qu’à son tour elle sentait les perles salées couler le long de ses joues. La vision de sa meilleure amie dans un état aussi triste que celui dans lequel elle la voyait lui fendait le cœur. Mais il fallait qu’elle soit là pour elle. Elle se devait de la consoler. C'était son rôle. Alors elle ferma les yeux et appuya son étreinte d'une main sur sa nuque tandis qu’elle caressait tendrement son dos, attendant qu’elle se calme.       

— Je suis désolée Kathy…

La jeune femme s’écarta d’elle doucement et la regarda, surprise.    

— Tu es désolée de quoi, ma belle ? demanda-t-elle tout en essayant les larmes de ses joues.
— Il faut que je parte, je ne peux pas rester ici, répondit difficilement Jordan, la gorge serrée. Je vais retourner chez mes parents, au Canada. 

Kathy l’étudia longuement avant de hocher la tête.       

— Emmanuelle va avoir besoin de toi, tu sais ? Mais... je pense que ça te fera du bien de te retrouver un peu loin d’ici, avec tes proches. Et lorsque tu reviendras —    

Jordan secoua frénétiquement la tête.     

— Non, tu ne comprends pas Kathy, je quitte la France, je ne peux pas rester ici.   

Kathy lui offrit un regard confus. 

— Jordan, je sais que c’est dur mais tu ne peux pas tout lâcher comme ça et partir. Pars quelques jours, semaines, le temps qu’il faut si tu veux, mais... réfléchis et prends ta décision à ce moment-là, d’accord ?           

Jordan hocha faiblement la tête avant de se dégager de son étreinte et continuer à remplir sa valise.

Kathy l’avait laissé faire, persuadée que quelques jours chez sa famille lui feraient du bien et qu’elle serait de retour une fois qu’elle irait mieux.       

Le problème était qu’elle n’était jamais revenue.

💕

Ouvrant péniblement les yeux, la lumière l'aveugla aussitôt et Emmanuelle dut cligner des paupières à plusieurs reprises avant de pouvoir distinguer où elle se trouvait. Regardant autour d’elle, elle reconnut une chambre d’hôpital et elle essaya de se redresser mais une vive douleur l’arrêta aussitôt, lui faisant réaliser au passage combien sa tête lui faisait mal elle aussi. Elle ferma les yeux et serra des dents, incapable de bouger pendant quelques secondes. Elle ne pouvait remuer le moindre muscle sans que des vagues de douleur lui traversent l'épaule, sa tête manquant d'exploser sous les pulsations d'une douleur comme elle n'en avait jamais ressenti.  

Elle soupira. Elle se sentait totalement vidée, épuisée. Elle n’avait pas les idées claires et déjà, elle sentait que le sommeil cherchait à la rattraper de nouveau. Mais elle ne voulait pas dormir, elle ne voulait plus dormir… Luttant contre la fatigue, elle se concentra et au bout de quelques instants, des brides de souvenirs lui revinrent en mémoire.        

— Merde…

La porte de la chambre s’ouvrit et elle sursauta légèrement, suivant du regard le médecin en blouse blanche qui venait d'entrer dans la pièce, mettant ainsi fin à ses réflexions. Elle lui donna une cinquantaine d’année au vu de ses tempes grisonnantes et apprécia l’air bienveillant qui occupait son visage sévère.          

— Bonjour mademoiselle Cahill, content de vous voir de nouveau parmi nous. Comment vous sentez vous ?

— Oh j’ai l’impression d’avoir pris la plus grosse cuite de toute ma vie…     

Le docteur lui sourit.          

— On va vous donner quelques antalgiques pour la douleur, demanda-t-il tout en l’examinant. Je suis le médecin qui vous a opéré, vous vous souvenez de ce qui vous est arrivé ?

— Oui, vaguement, grimaça-t-elle alors qu'il touchait son épaule. Je suis restée inconsciente longtemps ?         

— Cela fait quatre jours que vous êtes ici, vous vous réveilliez quelques minutes pour vous rendormir aussitôt. Vous aviez besoin de beaucoup de repos. En ce qui concerne votre blessure, vous avez reçu une balle dans l’épaule qui a traversé le tissu musculaire. Par chance, elle n’a pas perforé le poumon.  

Il vérifia ses yeux tour à tour à l'aide d'une lampe torche avant d'ajouter : 

— Votre pronostic est bon, vous pourrez sortir d’ici la fin de la semaine. Vous devrez réaliser des exercices physiques exécutés quotidiennement pour renforcer les muscles de l'omoplate, mais on a le temps pour ça.         

Elle hocha la tête.    

— En d'autres termes, j'ai du pain sur la planche.         

Il rit doucement.      

— Je ne vous cache pas que ce ne sera pas forcément une partie de plaisir, mais si vous voulez retrouver la mobilité complète de votre bras...        

— ...je n'ai pas d'autre choix. Je sais.        

— Bien. Je vais vous envoyer une infirmière, vous avez un grand besoin de reprendre des forces.

Emmanuelle hocha la tête d'un air entendu tandis que le médecin quittait la chambre, laissant aussitôt place à Sébastien, son collègue et ami.     

— Alors, comment va notre grande blessée ? demanda-t-il en se penchant et la serrant doucement dans ses bras.        

— J’ai connu mieux, mais ça va, répondit doucement Emmanuelle, contente de voir une tête familière.

— Tu nous as fait une de ces peurs tu sais ? ajouta Sébastien, l’inquiétude présente dans sa voix.

— J'imagine, murmura la jeune policière avant de plonger son regard dans le sien. Que s’est-il passé exactement ?

Sébastien secoua la tête, un léger sourire sur les lèvres.         

— Le boulot d’abord hein ? Tu changeras jamais. Bon… Cet enfoiré était caché derrière la porte que l'on a omis de vérifier, dit-il en remuant la tête, bien conscient que leur erreur aurait pu leur coûter la vie. Je l’ai surpris quand je sortais pour appeler la brigade, ou plutôt il m’a surpris. Il a essayé de s’emparer de mon arme et le coup est parti tout seul, te touchant à l’épaule, à la limite du gilet pare-balles. J’ai entouré ta blessure à l’aide d’un torchon pour arrêter l'hémorragie puis l’ambulance est arrivée et ils t’ont emmené ici.      

— Vous l’avez arrêté ?

Sébastien acquiesça de la tête.      

— Marc est intervenu dès qu’il a entendu le coup de feu. L’assassin est en fait le père du petit ami de la victime, on a demandé à ce dernier de l’identifier au commissariat. Après avoir reconstitué l'emploi du temps de Morgane pour tenter de comprendre ce qu'il s'est passé, on a constaté que la porte de son immeuble met douze secondes avant de se refermer, de quoi laisser le temps à son agresseur d'entrer dans le hall puis l'obliger à lui ouvrir la porte de son appartement en la menaçant.

Emmanuelle hocha la tête, il poursuivit : 

— L'enquête de voisinage laisse à penser qu’elle a été assassinée aux alentours de 23 heures 30, c’est l’heure à laquelle des habitants de l'immeuble ont entendu une conversation animée suivie de bruits sourds, elle a certainement essayé de s’enfuir. L'autopsie du corps réalisée hier a donné de nouvelles informations. La victime a été égorgée par son agresseur après avoir été violée et elle a été marquée d’une croix juste derrière l’oreille.           

— Attend, l’interrompit la jeune policière, levant les yeux vers lui. On a eu un cas similaire il y a quelques semaines…

Le jeune policier acquiesça tandis qu’il rapprochait le siège se trouvant à côté du lit et s’y asseyait.

— En effet, on a fait le lien avec l’affaire Racan, jeune employée d'une banque qui avait été retrouvée égorgée dans sa voiture. C’est son patron qui l’avait découverte, il s'était rendu chez elle pour prendre de ses nouvelles car elle n'avait plus donné signe de vie depuis deux jours.

— Oui c’est ça, elle avait été violée puis torturée avant d'être tuée par arme blanche. Elle avait elle aussi une croix juste derrière l’oreille. Une petite tache de sang avait été prélevée dans le véhicule et il ne s'agissait pas de celui de la victime.          

— Exactement, eh bien l'ADN correspond à ce maniaque sexuel. Il sera présenté devant le juge d'instruction jeudi prochain.         

Emmanuelle hocha la tête. 

— Bien, merci de m’avoir informée. Et... d'avoir pris soin de moi quand...    

Sébastien remua une main dans les airs.

— J'ai simplement fait ce que je devais faire, répondit-il avant de lui faire un clin d’œil. Je dois y retourner, tu as besoin de quelque chose ?        

— De quoi m’occuper, je vais devenir folle ici sinon.    

Sébastien lâcha un rire.      

— Oh tu n’auras pas le temps de t’ennuyer, ton père ne va pas tarder à arriver et Jade compte venir te tenir compagnie.      

— Ta femme est un ange, sourit Emmanuelle. Et Jordan ? Où est-elle ?         

Le jeune officier évita soudainement son regard, l’air gêné et elle sentit un nœud se former dans son estomac.

— Seb ? demanda-t-elle, l'inquiétude montant en elle. Il s’est passé quelque chose ?

Sébastien prit une profonde inspiration avant de lever les yeux vers elle.   

— Elle est partie, Manue.

La jeune policière haussa les sourcils.     

— Partie ? Partie où ?         

— Au Canada, chez ses parents.   

— Oh…, répondit Emmanuelle alors que la déception et l'incompréhension s'insinuaient en elle. Et, hum, elle revient quand ?

Sébastien détourna de nouveau les yeux pour les laisser retomber sur sa main qui tripotait nerveusement la manche de sa chemise. 

— Elle ne reviendra pas, Manue, lâcha-t-il après quelques secondes de silence. Elle est partie le jour même où tu es arrivée ici, elle a fait suivre ses affaires et mis son appartement en vente.

Emmanuelle l'observa, interdite, avant de tourner la tête et regarder droit devant elle. Ses poings se serrèrent au point d'en faire blanchir ses phalanges et elle sentit ses ongles s'enfoncer dans ses paumes, mais elle ne s'y attarda pas. Que l’on déchire son cœur à mains nues n’aurait pas pu lui faire plus mal. Ce n’est pas possible… pas après ce que l’on a vécu… Comment peut-elle me faire ça ? 

Elle répondit finalement d’une voix dénuée d’émotion :          

— Je suis fatiguée, j’aimerais dormir.

A contrecœur, Sébastien hocha la tête et l’embrassa doucement sur le front avant de quitter la pièce. Une fois seule, Emmanuelle laissa les larmes couler silencieusement le long de ses joues, et, pour la première fois de sa vie, elle se sentit incroyablement seule.

 

Aujourd’hui.  

Lentement, Jordan porta une main tremblante sur son visage.

— Manue, murmura-t-elle, les yeux baignés de larmes. J’ai… j’ai eu si peur que tu…

Ne pouvant supporter cette image une seconde de plus, la jeune policière la prit dans ses bras et la serra aussi fort qu’elle le put.

— Jordan —

— Non, laisse-moi finir, souffla la jeune femme avant de se redresser et de la regarder dans les yeux. Je n’aurais pas pu supporter de te perdre, Manue.

Elle s'arrêta et ferma les yeux, comme si elle ressentait encore la douleur qu'elle lui décrivait rien qu'en y repensant. Soucieuse, Emmanuelle porta sa main à sa joue et la caressa doucement, attendant qu'elle reprenne.

— Comme tu le sais, quand Mathéo est parti, je me suis effondrée, pendant plusieurs semaines. On venait de m’arracher mon frère, mon meilleur ami, celui avec qui j'avais grandi, celui avec qui j'avais tout vécu… Tu sais, au départ je n’ai pas pu croire qu’il était parti, c’était impossible, inconcevable et je n’attendais qu’une seule chose : le voir à nouveau. Mais l’horreur s’est bien vite imposée à moi, et j’ai compris que c’était fini, que ma vie venait de basculer et que je venais de perdre à jamais celui que j’aimais. En une fraction de seconde, je me suis retrouvée seule.

— Tu n’étais pas seule Jordan, l’interrompit doucement la jeune policière.

Durant les semaines qui avaient suivi l’enterrement, Emmanuelle se rendait tous les jours à son appartement et passait chaque minute de son temps libre à la tenir dans ses bras, à la laisser pleurer sur son épaule, à lui apporter son soutien du mieux qu’elle le pouvait. Elle avait observé, impuissante, la femme qui comptait le plus pour elle s’effondrer littéralement, agir comme une machine, perdre son entrain, son sourire, dans l’espoir qu’ils reviennent un jour.

Jordan hocha la tête.           

— Je sais, je le sais aujourd’hui. À l’époque, je ne voyais que son absence, renifla-t-elle. Bref, une longue et lente descente aux enfers a alors commencé ; le manque, le vide, l’impression de n’être plus rien. Je me levais chaque matin en me demandant pourquoi : pourquoi lui ? Pourquoi moi ? C’était tellement injuste ! J’avais perdu la moitié de moi-même. Je n’avais plus goût à rien, plus goût à la vie. Je me sentais de trop ici.

« Pourtant, le temps, lui, est inflexible, il passe, la vie continue… J’ai dû apprendre à vivre avec ma peine, mon chagrin, ma colère et ma haine. La haine envers ce type, ce type qui avait brisé ma vie. Que me restait-il à moi ? L’espoir de le retrouver dans un monde meilleur… A lui ? Toute sa vie, avec ceux qu’il aimait. Rien n’avait changé, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour ce monstre.

Antoine Jusset, un nom qu’elle n’oublierait jamais. Le substitut du procureur avait requis un an de prison dont deux mois avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans, sachant que le prévenu avait déjà fait neuf mois de détention provisoire. Le tribunal l’avait finalement condamné à quatre ans de prison dont un an avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans, à 1 500€ d'amende et un peu plus de 40 000 € de dommages-intérêts. Son permis de conduire avait été annulé pour deux ans. Voilà, c’était tout. Il avait ôté la vie, c’était sa seule punition.

La gorge nouée par l’émotion, elle garda le silence un moment. Elle ne pensait pas que le fait de raconter son histoire équivaudrait à revivre ce passé douloureux. Emmanuelle aussi avait du mal à réfréner ses émotions, luttant tant bien que mal contre ses larmes. Elle resserra son étreinte autour de la taille de la jeune photographe qui poursuivit son récit, les yeux embués.

— Moi, ma vie avait donc complètement changé, reprit-elle doucement. Kat’… Kat’ est venue me voir ce jour-là, elle voulait me sortir de ma léthargie. Je sais qu’elle aurait réussi, il était grand temps que je me bouge, sourit-elle tristement.

Elle fit une pause, puis reprit, la gorge serrée :

— Et puis elle m’a annoncé ce qui t’était arrivé. Quand je suis arrivée à l'hôpital et qu'on a dû attendre avant de te voir… j'ai cru que j'allais devenir folle. Sans parler du moment où je t'ai vu inconsciente sur ce lit… c'était affreux.

Sa voix se brisa et les larmes durement retenues jusque-là jaillirent enfin. Emmanuelle passa son bras autour de son cou et l’embrassa doucement sur la joue avant de lui murmurer à l’oreille :

— Chut, répondit-elle tout en lui caressant tendrement le dos et la serrant encore plus contre elle. Je suis là Jordan, tout va bien.

La jeune photographe avait eu mal au cœur de la voir dans cet état. La douleur avait été trop difficile à supporter, alors elle avait tourné les talons, et elle était partie, d’abord de l’hôpital, puis du pays. C’est alors que la culpabilité s’était abattue sur elle comme un poids mort, lui oppressant la poitrine. Elle s’en voulait. Elle s’en voulait de lui avoir fait subir cela, elle qui avait déjà tant souffert, trop souffert.

— Je suis désolée d’être partie Manue, je suis tellement désolée, poursuivit-elle la voix brisée. Il fallait que je parte, mes merveilleux souvenirs étaient devenus des cauchemars. Je ne pouvais plus poser mon regard sur un endroit où nous avions été ensemble, ça me mettait le cœur à vif. J’aurais pas supporté de te perdre aussi. Je, je pouvais pas…    

— Chut, ne t’excuse pas.    

— Si, je t’ai laissé tomber Manue, et je suis, vraiment, sincèrement désolée. Si tu savais comme je m’en veux, depuis le moment où je suis montée dans l’avion, je l’ai regretté. Et —

Emmanuelle la coupa gentiment en posant deux doigts sur ses lèvres.

— Jordan, ne te fais pas ça, s’il te plaît. Je t’en ai voulu, je ne vais pas mentir, je n’ai pas compris, et j’ai eu mal. Mais j’ai compris pourquoi tu as réagi comme ça aujourd’hui, et c’est le plus important.

Elle fit une pause, prit quelques secondes afin de choisir ses mots, puis poursuivit :

— La perte d’un être cher, c’est une blessure. On la soigne comme on peut, on supporte la douleur et on attend qu’elle guérisse. Avec l’aide du temps qui passe, on est capable d’avancer vers autre chose. Mais le chemin est long et semé d'embûches. On oublie jamais cette souffrance, elle est là au fond de soi, la douleur est un peu moins dure mais on en porte toujours la marque. À tel point qu’au final, on réalise qu’elle est inguérissable, sourit-elle tristement. Mais on apprend à vivre avec, et la douleur s’atténue avec le temps.          

Elle s’arrêta quelques secondes puis plongea son regard dans celui de Jordan :    

— Je sais que cela a été vraiment difficile pour toi, et qu’à l’époque, ça te paraissait inconcevable. Tu avais besoin de temps, et je l’avais compris. Ce que je n’avais pas compris, c’est ce que tu as dû ressentir en me voyant sur ce lit d’hôpital, alors que tu avais déjà du mal à gérer ce que tu étais en train de vivre. Alors je suis désolée, Jordan, j’aurais dû comprendre, j’aurais dû te rejoindre, j’aurais dû —

Elle fut à son tour interrompue par la main de Jordan sur sa bouche, les émotions se bousculaient en elle et la jeune femme blonde ne pouvait retenir ses larmes. Elle voulait lui dire combien ses mots l’avaient touchée, combien ils lui avaient fait du bien. Elle voulait la remercier tout simplement, mais le flot de larmes ne l’y autorisa pas. 

Emmanuelle l’enlaça tendrement, laissant glisser une de ses mains dans la chevelure de son amie, une caresse tendre qui fit frémir la jeune femme et Jordan lui murmura finalement :

— Merci…

La jeune policière déposa un doux baiser sur son front puis lui murmura des paroles réconfortantes à l’oreille, contente de sentir Jordan se détendre peu à peu. Elle la garda serrée dans les bras jusqu'à ce que les larmes cessent de ruisseler le long de ses joues.

Au bout de quelques minutes, elle décida qu’il était temps de détendre l’atmosphère et, sans réfléchir, elle prononça la première chose qui lui passa par la tête :      

— Myrtille.

Bon sang, je suis nulle !

Jordan releva la tête, les sourcils froncés d’incompréhension.

— Pardon ?

— Tu aimes les myrtilles ? demanda la jeune policière, incertaine.

— Euh, oui. Mais je ne comprends pas…

— Des barres de céréales, j’en ai une aux myrtilles et une au chocolat, tu en veux ?

— Ah, euh, oui, je veux bien, répondit Jordan, toujours aussi perdue.

Elle doit me prendre pour une folle, se dit Emmanuelle tandis qu’elle sortait les deux barres de sa poche arrière.

— Alors, chocolat ou myrtille ?     

— Hum, on partage ? sourit doucement Jordan. Je sais que tu raffoles du chocolat et rien que l’odeur me met l’eau à la bouche.   

— D’accord, rit la jeune policière alors qu'elle coupait chaque barre de céréales en deux.

Un silence confortable s'installa entre elles alors que chacune dégustait tranquillement son encas, savourant par la même occasion la présence de l'autre.          

— Tu l’as fait exprès, hein ? demanda finalement Jordan au bout de quelques minutes.

Emmanuelle sourit. 

— Je plaide coupable, répondit-elle.        

— Ça fait partie de la formation pour entrer dans la police ? la taquina Jordan. Tu es un sacré personnage, tu sais. Je crois que je ne me ferais jamais à l’idée que tu es policière.

— Parce que je ne mesure pas 1m80, je n’ai pas la barbe de trois jours, le regard soupçonneux, la cigarette au coin de la bouche, le bureau en fouillis, le reste de pizza refroidie, la lampe pour les interrogatoires —

Elle fut interrompue par une main sur ses lèvres.         

— J’ai compris l’idée Manue, rit Jordan. Et tu possèdes le bureau en fouillis, ajouta-t-elle en lui mettant une petite tape amicale sur le nez.

— J’avoue, mais ça s’arrête là, je ne passe pas non plus mes journées à sauter du haut des hélicoptères et à tirer sur des dizaines de bandits ! ajouta Emmanuelle en faisant mine de dégainer un pistolet.

— Hum, dommage, ça avait un côté sexy, répondit Jordan le regard plein de malice. Mais plus sérieusement, sans partir dans les clichés, je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un d’aussi… joyeux, chaleureux, sensible. Et complètement irrécupérable, ne put-elle s'empêcher de taquiner.

— Vilaine, répondit la jeune policière en lui tirant la langue, secrètement contente de la façon dont Jordan la percevait. 

Jordan se contenta de pouffer de rire tandis qu’elle reprenait place au creux de ses bras, sa tête sur son épaule. Elles laissèrent les minutes s’écouler, chacune profitant simplement de la chaleur de l’autre, avant qu'Emmanuelle ne murmure finalement, ses doigts tripotant nerveusement la robe de la jeune femme :         

— Je suis désolée Jordan.  

Surprise, Jordan se recula et posa un regard interrogateur sur la jeune policière qui baissa la tête, les yeux fuyants.

— De quoi tu parles Manue ? demanda-t-elle, soudainement inquiète.

— Je n’ai jamais voulu t’infliger ça, me retrouver à l’hôpital, tu ne méritais pas — 

— Tu l’as fait exprès ? l’interrompit aussitôt Jordan.    

La jeune policière redressa la tête et la regarda, les sourcils froncé d’incompréhension

— Quoi ?       

— Savais-tu qu’il était caché derrière la porte ? L’as-tu laissé délibérément te tirer dessus ?

— Jordan…   

— Non. Tu n’as pas à être désolée ou te sentir coupable, tu n’y es pour rien. Ce type est coupable. Lui seul. Et je le hais pour ce qu’il t’a fait.      

Emmanuelle la regarda un instant, interdite, puis ne put empêcher un sourire de naitre sur ses lèvres. Jordan fronça les sourcils, surprise de sa réaction.       

— Qu’est-ce que j’ai dit ?    

— Tu sais que tu ferais un très bon élément dans la police ? Tu sais être… terrifiante, lui sourit-elle.

— Je suis ravie de voir que ta tête va bien en tout cas, tu dis toujours autant de bêtises, la taquina Jordan avant de reprendre sa position au creux de ses bras.  

La jeune policière lâcha un rire avant d’embrasser ses cheveux.       

— Jordan ?   

— Mais tu es devenue une vraie pipelette ma parole, la taquina aussitôt la jeune femme.

— Qu’est-ce que j’y peux ? J’ai eu un très bon professeur, sourit Emmanuelle alors que Jordan lui donnait une petite tape sur l’estomac. Je me demandais juste… qu’est-ce qui t’as poussé à revenir ?

Jordan se redressa à nouveau.     

— Je dois vraiment répondre à cette question ? demanda-t-elle un posant le bout de son doigt sur le nez de la jeune policière.    

Emmanuelle sourit. 

— Je veux dire, quel a été le déclencheur ? Tu ne t’es pas réveillée un matin en te disant « allez, je rentre ! » ?    

— Non, tu as raison, admit doucement Jordan. Ce n’était pas le matin, c’était au beau milieu de la nuit.

La jeune policière haussa les sourcils. Hein ?

 

Une semaine plus tôt.

De nouveau, elle se retourna dans son lit. Elle avait du mal à dormir, ses pensées étaient agitées, et les anxiolytiques n'y changeaient rien. Elle recommençait à avoir mal, non pas que la douleur avait cessé un jour, elle était toujours là, quelque part. La seule différence était qu’elle se manifestait plus fortement à certains moments. Les évènements qui remontaient maintenant à deux ans auparavant lui avaient laissé une cicatrice dont elle ne se déferait jamais. Elle savait que malgré tous les efforts qu’elle pourrait faire, certaines douleurs ne disparaitraient jamais de son âme. La perte de son frère y était pour quelque chose, l’absence d’une jeune femme aux cheveux bruns et aux yeux verts aussi.

Elle soupira et décida de se lever. Ça ne servait à rien d'essayer de se rendormir, sa tête était trop occupée à penser pour se soucier de son sommeil. Vêtue d’un débardeur et d’un vieux short, elle prit presque mécaniquement le chemin de la cuisine où elle se prépara un thé avant de s’assoir près de la fenêtre, soupirant longuement alors que ses yeux se perdaient à l'horizon, inconscientes des gouttes d’eau qui ruisselaient contre la vitre.       

— Hé, tu ne dors pas ? demanda la douce voix derrière elle.  

— Non, je n'arrivais pas à trouver le sommeil.  

La jeune femme la dévisagea un instant puis demanda :          

— C'est elle qui te rend si triste, c'est ça ?          

Jordan hocha la tête sans même la regarder et elle l'entendit aussitôt pousser un profond soupir. Le silence les enveloppa quelques minutes, avant que la jeune femme ne reprenne sombrement :

— Jordan, il faut vraiment que tu ailles de l’avant...

Les yeux de la jeune photographe plongèrent instantanément dans ceux de sa sœur, identiques aux siens. Elle était plus jeune qu’elle de deux ans et pourtant on les prenait souvent pour des jumelles. Silencieusement, elle l’incita à éclaircir le fond de sa pensée.

— Tout ce que ça va faire, c'est te faire mal... Elle marqua une légère pause, avant de terminer d'un ton grave : Je n'ai pas envie que tu te détruises Jordan.      

Jordan baissa tristement les yeux au sol. Elle savait que sa sœur avait raison. Elle commençait à aller mieux et elle avait soudainement l’impression de refaire machine arrière. Comme si on lui rappelait incessamment que les évènements qui remontaient à deux ans déjà lui avaient laissé une cicatrice dont elle ne se déferait jamais.   

— Pourquoi a-t-il fallu que l’on nous l’enlève ? lâcha-t-elle dans un profond soupir, en fermant les yeux pour tenter de refouler les larmes au plus profond d’elle.      

Aussitôt sa sœur s’approcha et la prit dans ses bras, lui offrant une étreinte fraternelle, puissante et réconfortante à la fois.

— Je n'en sais rien, Jordan. Mais fuir n'arrangera pas les choses..., lui murmura-t-elle doucement à l'oreille.

Jordan tourna la tête dans sa direction, un air interrogateur sur le visage.  

— Me fais pas cette tête-là Jordan, lui dit doucement sa sœur. Tu es peut-être revenue au Canada, mais ton cœur lui, est resté là-bas. Avec elle.   

Jordan secoua la tête.         

— Je suis si transparente, hein ?   

La jeune femme haussa les épaules.        

— Tu es ma sœur, je te connais, dit-elle dans un léger sourire. Rentre en France Jo. Retrouve-la.

Jordan haussa les sourcils, lui demandant si elle pensait franchement que c’était un argument convaincant.

— Depuis combien de temps tu ne t’es pas mêlée à un groupe de personnes qui ne soient ni moi, ni les parents, ni Kathy ?  

Trop longtemps, admit-elle silencieusement.       

— Tu ne vis pas, tu survis. Tu ne peux pas rester comme ça, pour toi, pour nous, rentre en France. Retrouve-moi ton joli sourire.       

— C’est pas aussi simple Hannah…          

La jeune femme encadra son visage de ses mains et caressa doucement ses joues.

— Je n’ai jamais dit que ça le serait, mais qui ne tente rien n’a rien, non ? Et puis..., elle prit doucement le pendentif qui pendait au cou de Jordan entre ses doigts, ...n'oublie jamais, la douleur persiste pour qui n'a plus d'espoir. Il donne bien souvent la force et le courage de faire des choses dont on se croirait bien souvent incapable.      

Les yeux de Jordan s'emplirent de larmes.         

— Je t'aime, souffla-t-elle simplement en l'embrassant sur la joue.    

Hannah resserra son étreinte autour d'elle.       

— Je t'aime aussi.

 

Aujourd’hui.

— Le lendemain matin elle me réservait un billet d’avion et contactait Kathy pour lui dire qu’elle allait avoir de la compagnie pour quelque temps, rit Jordan en secouant la tête.  

— Tu me rappelleras de la remercier dès que l’on sera sortie d’ici, alors, murmura la jeune policière en caressant légèrement le pendentif du bout des doigts, secrètement soulagée qu'il ne vienne en réalité que de la sœur de Jordan.  

— J’en conclu que tu me pardonnes alors ? osa timidement la jeune photographe, incertaine.

La jeune policière posa un doigt sous son menton et la força doucement à croiser son regard. Caressant doucement sa joue, elle répondit d’une voix douce :    

— Je pensais que c’était clair, non ?         

Un sourire timide se dessina sur les lèvres de Jordan. 

— C’est toujours agréable de se l’entendre dire, murmura-t-elle.

Emmanuelle lui sourit puis l’embrassa à la commissure des lèvres avant de se redresser légèrement afin de plonger son regard dans le sien :

- Je te pardonne, murmura-t-elle sincèrement. Et toi, me pardonnes-tu ?     

Elle obtint un léger hochement de tête pour toute réponse puis, après avoir interrogé Jordan du regard, elle captura enfin ses lèvres pour un baiser d’une douceur infinie. Enfouissant ses mains dans ses cheveux, une violente vague de désir traversa son corps tout entier et elle se colla un peu plus contre elle, entrouvrant rapidement les lèvres afin d'inviter sa langue à venir rencontrer la sienne tandis que la jeune photographe encadrait son visage de ses mains. Emmanuelle sentit qu’elle n’était pas non plus indifférente à la situation, pourtant, au bout d’un long moment, elle sentit Jordan rompre le baiser et la repousser doucement. Un grognement de frustration échappa de ses lèvres, arrachant un sourire à la jeune photographe.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, dit-elle, légèrement essoufflée.         

— Jordan, je —

Jordan posa un doigt sur ses lèvres en souriant légèrement.

— Ne crois pas que ton corps de rêve ne m’attire pas… mais je n’ai pas envie que notre première fois se déroule ainsi, poursuivit-elle en désignant l’ascenseur du regard.

— Oh, donc si je comprends bien, tu me chauffes puis tu me repousses ? demanda Emmanuelle, feignant un air outré. 

— Redresse-toi au lieu de dire des bêtises…, répondit Jordan en l’embrassant doucement sur les lèvres. Je veux sortir d’ici le plus vite possible.   

Emmanuelle fronça les sourcils, confuse.

— Mais, comment ? 

— J’ai entendu des voix.     

Elle n’eut pas le temps de poursuivre que des coups se firent entendre à travers la porte.

— Aidez-nous ! crièrent-elles instantanément. On est coincées !        

— Calmez-vous, on va vous sortir de là, répondit une voix masculine de l'autre côté de la paroi.

— Attendez, comment avez-vous su que l’on était coincée ici ? demanda soudainement Emmanuelle.

— Le système de sécurité envoie automatiquement un message au centre de maintenance lorsqu’un ascenseur tombe en panne. La caméra nous a informés que vous étiez coincées à l’intérieur.

— Oh, la caméra… Dieu merci on a rien fait de compromettant, murmura Jordan, le regard malicieux.

Pour toute réponse, Emmanuelle éclata de rire.

1 juillet 2011

Chapitre 3

Deux ans plus tôt.

Jordan frissonna lorsqu’elle sentit un léger courant d’air frais frôler la peau nue de son épaule et elle  tâtonna un instant afin de tirer la couverture un peu plus sur elle. Alerté par son mouvement, un corps chaud vint se coller contre son dos, rapidement suivi par un souffle chaud contre son cou, et Jordan fronça les sourcils avant de lâcher un hoquet de surprise. Elle s’était couchée seule la veille, non ?

— Qu’est-ce que...

Tournant légèrement la tête, elle croisa deux yeux verts qui la fixaient intensément et l’étincelle qui y brillait la troubla, la poussant à fermer les yeux lorsqu’elle sentit des lèvres chaudes venir caresser sa nuque. La main fraîche qui se posa sur son ventre, sous son débardeur, la ramena cependant rapidement à la réalité et elle se figea, écarquillant légèrement les yeux.

— Manue, qu’est-ce que tu —

— Chut…

Elle sentit les lèvres de la jeune policière se poser de nouveau contre son cou, le couvrant de baisers tandis que sa main caressait tendrement son ventre, poussant ses muscles à se contracter sous son passage. Sa respiration s’accéléra malgré elle et elle sentit une boule se former dans son estomac ; elle voulait la repousser, lui dire d’arrêter mais son cerveau ne lui obéissait pas, paralysé par la surprise et par l’incompréhension de ce qu’il se passait.

La main d’Emmanuelle descendit le long de son flanc pour venir caresser sa cuisse et lorsque sa langue vint jouer avec le lobe de son oreille, un gémissement s’échappa d’entre ses lèvres et elle rougit aussitôt. Même si elle ne voulait pas se l’avouer, elle sentait le désir monter, s’emparant d’elle à la vitesse de l’éclair et la laissant incapable de résister.

Elle sentit la main de la jeune policière passer sur l’intérieur de sa cuisse et la griffer tendrement, collant encore plus son corps contre son dos et elle s’entendit gémir à nouveau.

Oh bon sang. Pourquoi faut-il que je sois aussi sensible à ses caresses ?

Jordan ne voulait pas, mais elle ne bougeait pas non plus. C’était comme si son corps ne lui obéissait plus, comme s’il avait pris les rênes et refusait d’écouter ce que lui disait sa conscience, agissant de lui-même et faisant même tout le contraire.

La langue d’Emmanuelle suivit la courbe de sa mâchoire et son pouls s’accéléra plus encore, sa respiration hachée trahissant son désir non souhaité. Elle sentit les lèvres de la jeune policière descendre jusqu’à sa jugulaire qu’elle s’appliqua à embrasser avant de basculer sur elle, collant son bassin contre le sien puis passant ses jambes musclées de chaque côté de ses hanches.

Oh mon dieu, elle est en train de me rendre folle...

La douce chaleur présente au creux de son ventre s’intensifia et Jordan ferma un instant les yeux avant de les rouvrir lorsqu’elle sentit les mains d’Emmanuelle remonter son débardeur dans une lenteur infinie, s’arrêtant à la lisière de sa poitrine. Son regard se posa sur le corps de la jeune policière, aussi nu que le jour de sa naissance, et elle sentit sa bouche s’assécher soudainement alors qu’un nouveau gémissement s’échappait de ses lèvres.

Oh... mon... dieu... 

Son regard remonta jusqu’au visage d’Emmanuelle qui s’était arrêtée pendant son observation et elle n’eut aucun mal à y discerner l’étincelle amusée qui y brillait avant que la jeune femme baisse la tête et ne vienne jouer avec son nombril, la poussant une nouvelle fois à prendre une inspiration profonde.

Non, elle ne voulait pas. Qu’elle arrête. Qu’elle arrête ce supplice. Je ne peux pas ressentir ça... je ne peux pas... Les lèvres de la jeune policière descendirent jusqu’à son bas ventre, et elle vit ses propres mains venir se glisser dans les cheveux sombres et l’attirer plus encore contre elle, son bassin se cambrant de lui-même lorsque la langue d’Emmanuelle suivit l’élastique de son sous-vêtement.

— Encore...

Le son de sa voix, si rauque, raisonna à ses oreilles et elle se demanda un instant si c’était bien elle qui venait de parler. De longs doigts fins entourèrent ses poignets, les caressants tendrement avant de les lever au-dessus de sa tête, aussitôt suivis par un corps chaud qui se colla de tout son long contre le sien. Le regard vert émeraude d’Emmanuelle captura le sien avant qu’elle ne ferme les yeux lorsqu’elle sentit la main libre de la jeune policière caresser la naissance de sa poitrine avec douceur et désir, la poussant à se mordiller la lèvre inférieure.

— Manue...

Des lèvres douces et chaudes se posèrent soudainement sur les siennes et elle se laissa aller, s’abandonnant à sa langue, à ses lèvres, à ses mains… comme s’il s’agissait d’une drogue annihilant toutes ses résistances. Son bassin se cambra de nouveau sous elle et elle réalisa qu’elle en voulait plus, plus de son corps contre le sien, de ses lèvres sur les siennes, de son souffle dans son cou. Elle sentit la jeune policière abandonner ses poignets et glisser lentement sa main le long de son corps, sur son ventre, puis sous l’élastique de sa culotte avant de venir effleurer...

Ses yeux s’ouvrirent subitement et Jordan se redressa d’un bon, haletante, en sueur et le cœur battant à tout rompre. Son regard glissa vers ses draps gisants à terre et elle porta ses mains à son visage lorsqu’elle se rappela le rêve qu’elle venait de faire. Oh merde… merde, merde, merde, merde, merde. Elle sauta du lit et commença à parcourir la chambre de long en large tout en cherchant désespérément une explication plausible aux images qui ne cessaient d’envahir son esprit.

— Bon, on inspire, et on expire. Ce n’était qu’un rêve. Ça ne veut rien dire. Des rêves étranges, tout le monde en fait, non ?

Elle se passa une main dans les cheveux avant de se tordre nerveusement les doigts.

— Manue est une amie. Ok, bon, une très bonne amie. Voilà. Et... elle est belle. Très belle. Bon, d’accord, plus que très belle. Mais ça ne veut rien dire, pas vrai ? Je ne suis pas la première femme à trouver une autre femme...

Son regard s’arrêta sur une série de photos accrochées au-dessus de son bureau et elle s’y s’attarda un instant. Le premier cliché, en noir et blanc, représentait la jeune policière vêtue d’un simple haut à manches courtes légèrement décolleté et d’un jean. La tête légèrement inclinée, elle arborait un sourire amusé et son regard était presque caché par sa main gauche qui tenait le devant de sa casquette de police.

Jordan se sentit sourire, elle avait attendu Emmanuelle à la sortie du commissariat ce jour-là, avec pour intention de l’inviter à manger une glace avant d’aller voir « Into the Wild » ; elle avait toujours eu un faible pour les films inspirés de faits réels. Sa journée terminée, la jeune policière n’avait pas fait deux pas dans le parking que Jordan l’avait aussitôt intimée de retourner à l’intérieur afin de revenir avec sa casquette. Amusée, Emmanuelle avait rapidement obtempéré avant de prendre la pose sur le capot de sa 407 et laisser Jordan la photographier à sa guise. Cette journée faisait partie de ses meilleurs souvenirs.

Le regard de Jordan s’attarda sur les yeux rieurs d’Emmanuelle et elle ne put s’empêcher de se mordre la lèvre inférieure.

— ... très attirante. Très, très attirante..., finit-elle d’une voix rêveuse avant de porter ses mains à son visage. Ah ! Jordan arrête !

Elle secoua la tête comme pour s’éclaircir les idées mais lorsque son regard s’arrêta de nouveau sur la photographie, elle sentit son ventre se contracter à nouveau.

— Han, merde. Une douche froide. Ça, c’est une bonne idée. Une très très très bonne idée.

Elle s’apprêtait à quitter la pièce lorsqu’elle croisa de nouveau le regard rieur d’Emmanuelle.

— Et arrête de me regarder comme ça, toi ! lâcha-t-elle avant de refermer la porte derrière elle.

💕

Vêtue d’un simple peignoir, ses cheveux humides retombant librement sur ses épaules, Jordan pénétra dans le salon d’un pas assuré et prit place sur le canapé. Elle s’installa confortablement avant de s’emparer de la télécommande et zapper sans prêter attention aux images qui défilaient sous ses yeux.

Une douche froide une bonne idée... Elle leva intérieurement les yeux au ciel. Comme quoi il ne faut vraiment pas croire ce qu’ils racontent à la télévision, pensa-t-elle en glissant ses jambes sous elle.

Du mouvement sur la droite attira son regard et elle remarqua finalement la présence de son frère assis dans le fauteuil qui jouxtait le canapé. Levant les yeux de son magazine, il l’observa un moment avant de se racler légèrement la gorge.

— Tombée du lit ?

Jordan lui jeta un rapide coup d’œil avant de reporter son attention sur l’écran.

— Si on veut, marmonna-t-elle.

Mathéo retint un sourire.

— Bon, je t’écoute.

Jordan lui lança un regard mêlant perplexité et interrogation.

— Hein ?

— Tu as l’air absent, les yeux rivés sur l’écran, et les sourcils froncés, répondit Mathéo en feuilletant de nouveau son magazine. Quelque chose te tracasse et tu es en train d’y réfléchir. J’attends simplement la question que tu vas me poser dans, disons quelques secondes.

Jordan sourit, amusée.

— Tu le sais uniquement parce que tu agis de la même façon, p’tit frère.

Mathéo leva les yeux au ciel.

— De quelques minutes seulement, répondit-il en plissant les yeux. Alors ?

Le sourire de Jordan s’effaça pour laisser place à un air incertain.

— Tu... hum, est-ce que tu... me verrais lesbienne ?

Mathéo haussa les sourcils, surpris.

— Lesbienne ? Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?

Jordan haussa les épaules, le regard fixé sur sa main qui redessinait le contour des touches de la télécommande.

— Je sais pas… tu en penses quoi ?

Mathéo replia son magazine avant de le déposer sur la table basse, il posa ses coudes sur ses genoux et croisa ses mains devant lui.

— Hum, ça n’aurait pas un lien avec Emmanuelle ?

Jordan leva aussitôt les yeux dans sa direction.

— Non, pas du tout.

Mathéo se sentit sourire.

— Jordan, tu es en train de me mentir.

Elle le considéra, l’air étonné.

— Ta lèvre, tu te mordilles toujours la lèvre inférieure quand tu mens. Et tu viens par deux fois de te pincer l'arête du nez.

— Ah, grimaça Jordan. Tu aurais pu me dire que tu avais remarqué ça !

— C’est Kat’ qui me l’a dit, rit-il en se rasseyant confortablement au fond du fauteuil. Elle te plaît ? demanda-t-il en reprenant son sérieux.

Jordan sentit une douce chaleur monter le long de ses joues et elle détourna les yeux.

— Oh oui, elle te plaît ! rit aussitôt son frère. Quoique je ne devrais pas être surpris, ça fait quoi, un an que tu la connais ? Vous êtes inséparables, quand vous ne travaillez pas vous êtes ensemble, et quand vous n’êtes pas ensemble, vous vous téléphonez. Des vraies sangsues !

— Mat’ ! gémit Jordan en lui lançant l’oreiller qui se trouvait à sa portée. Je ne sais pas ce que je ressens exactement, et puis, c’est une femme, j’ai jamais ressenti ça pour une femme. Et puis elle, que pense-t-elle de moi ? Et —

Mathéo leva les mains pour l’arrêter.

— Hop hop hop ! Doucement Jordan, si tu continues comme ça tu vas me faire une crise cardiaque ! Allez, viens là, dit-il plus doucement en s’installant à ses côtés et la prenant dans ses bras. Je n’ai pas de réponse toute faite à te donner, je ne peux pas te dire ce que tu ou ce qu’elle ressent ni ce qu’il faut ou ne faut pas faire.  Mais je pense que... prendre ton temps, et voir comme les choses évoluent, c’est plutôt un bon début, non ?

Il croisa son regard.

— Quoi qu’il arrive, je suis là, ajouta-t-il sincèrement.

Jordan l’embrassa sur la joue avant de poser sa tête sur son épaule.

— Je sais ça, Mat’. Mais… imaginons que... enfin, tu sais. Ça ne te poserait pas de problème ? demanda-t-elle, incertaine.

Mathéo passa un doigt sous son menton et lui releva doucement la tête pour pouvoir croiser son regard.

— Jordan, que tu sois avec une femme, qu’il te manque une jambe ou que tu deviennes bleue, ça ne change rien du tout pour moi, et tu le sais. Tu es magnifique quand tu souris, et cette jeune femme y est apparemment pour beaucoup, alors non, ça ne me poserait certainement pas de problème.

Il laissa un sourire se dessiner sur ses lèvres.

— J’ai plutôt envie de la remercier ! ajouta-t-il en lui ébouriffant les cheveux.

— Ah Mat’ ! s’exclama-t-elle aussitôt. T’as de la chance d’être mon frère et que je t’aime, ajouta-t-elle, les yeux plissés.       

Mathéo se contenta d'éclater de rire.

💕

Emmanuelle s’affala dans son fauteuil et observa d’un mauvais œil son meilleur ami et collègue tenter de remettre de l’ordre dans les dossiers éparpillés sur son bureau. 

— Seb, gronda-t-elle. Arrête de tout mélanger ! s'exclama-t-elle en mettant ses mains sur les siennes pour arrêter le massacre.  

— Mélanger ? répéta-t-il, incrédule. Mais il n’y a même pas d’ordre cohérent dans le classement de tes dossiers !      

— Si, répondit Emmanuelle en replaçant ce qu’il avait déplacé. Le mien.      

Sébastien secoua la tête de dépit avant de changer de sujet.   

— Tu n’as toujours pas terminé ton rapport ?  

— Non, grimaça Emmanuelle. Je suis vraiment en retard dans la paperasse… Tu me donnes un coup de main, hein, dis ? demanda-t-elle en le suppliant du regard.

Il se mit à rire.

— Me regarde pas comme ça Manue, je suis aussi débordé que toi, tu sais. Les affaires n’arrêtent pas en ce moment. Et puis, tu es censée être de repos aujourd’hui, qu’est-ce que tu fais là ?

— J’essaye de m’avancer et… de m’occuper, répondit-elle en se passant une main dans les cheveux.

Sébastien haussa les sourcils.

— De t’occuper ? 

— Oui, je déjeune avec Jordan ce midi, alors en attendant, je m’occupe !      

— Jordan ? Oh la blonde avec qui tu déjeunes presque tous les jours de la semaine ?

Emmanuelle opina de la tête et il laissa un sourire malicieux apparaitre sur ses lèvres

— Elle t’a tapé dans l’œil hein ?    

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Emmanuelle en détournant le regard.           

— Hmm, bien sûr, répondit Sébastien qui n'y croyait pas du tout. Tu n’es pas sortie en boîte depuis des mois, tu as le sourire jusqu’aux oreilles à chaque fois que tu sais que tu vas la voir, et c’est à peine si tu ne sautes pas au plafond quand elle apparaît dans ton champ de vision. Sans compter que…      

Il s’interrompit, la considérant un moment avant de plisser des yeux :         

— Manue… Tu rougis ?      

Merde.

— Non, marmonna-t-elle en faisant mine de s’occuper de son dossier.        

— Si tu rougis ! Merde… ça doit être la première fois que je te vois rougir depuis le temps que je te connais… Elle te fait perdre tes moyens, hein ?  

Emmanuelle porta ses mains à son visage.         

— Sébastien, arrête ! s'exclama-t-elle, exaspérée. Tu n'as rien d'autre à faire que de raconter... n'importe quoi là ?!       

— Rho allez Manue, ne me dis pas que tu es intimidée… T’as jamais eu de difficultés à mettre quelqu’un dans ton lit ! 

Emmanuelle redressa aussitôt la tête et lui lança un regard noir.      

— Ne la compare certainement pas à un coup d’un soir, siffla-t-elle entre ses dents.         

Sébastien se recula, paumes en l’air.        

— Excuse-moi, je ne voulais pas être insultant. C’est juste que… Ça fait quoi, trois ans qu’on se connait ? Tu n’as jamais eu de relation sérieuse Manue. Je ne t’ai jamais vu… amoureuse.

Emmanuelle haussa les sourcils.

— Amoureuse ? Le soleil t’a tapé sur la tête dis-moi ?  

Elle secoua la tête, incrédule, avant de poursuivre d'un ton sarcastique :     

— Et je ne savais pas que j’avais pris rendez-vous avec un psy. Quel est le pronostique, docteur ?

Elle le coupa avant qu’il n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche :

— Non arrête, je ne veux pas savoir !     

Sébastien soupira.   

— Bon, très bien, évite le sujet autant que tu le veux, mais tu es sous son charme, il n’y a aucun doute là-dessus.

La jeune policière secoua la tête avant de reporter son attention sur le dossier qui se trouvait en face d'elle. Trois ans qu’ils se connaissaient, et il n’avait pas tort : à quand datait sa dernière relation sérieuse ? Elle n’en avait aucune idée. Les histoires sans lendemain étaient tellement plus simples, plus libres et… bien moins douloureuses.

Ils s’étaient d’ailleurs rencontrés comme cela, Sébastien et elle. Elle était en boîte, comme tous les weekends quasiment, et elle et des amis fêtaient l’anniversaire de son cousin lorsqu’elle l’avait vu entrer. Accompagné de deux autres hommes — elle avait appris plus tard qu'il s'agissait de ses frères — ils étaient entrés en file indienne et lui avait été le dernier à passer la porte, un jeune métis aux cheveux bruns et aux yeux marron clair, musclé juste ce qu’il fallait et un sourire à en faire craquer plus d’une. Elle n'avait pas mis longtemps avant de l'approcher, et après quelques verres, ils avaient vite sympathisé et fini la nuit chez lui. Mais le jour venu, elle avait récupéré ses affaires et était rentrée chez elle, comme toujours.       

Elle sourit. Quelle n’avait pas été sa surprise de le retrouver quelques heures plus tard au commissariat où elle apprenait qu’il était désormais son partenaire.

Le ton sérieux de Sébastien la tira de ses pensées.       

— Quoi qu’il en soit, je suis content pour toi Manue. Tu passais ton temps à travailler… Ça va te faire du bien.

Le visage de la jeune policière s'éclaira d'un grand sourire.   

— J’aime quand tu lâches l’affaire, répondit-elle. Et d’ailleurs, il faut que j’y aille si je ne veux pas être en retard !         

Elle se leva, attrapa sa veste et déposa un baiser sur sa joue avant de quitter le commissariat.

Alors qu’elle s’installait au volant de son véhicule, elle ne put néanmoins s’empêcher de repenser aux paroles de son ami. Elle avait beau essayer de le nier, quand elle pensait à Jordan, elle voyait… une magnifique jeune femme, des yeux noirs légèrement en amande, un nez aquilin, des lèvres bien dessinées et de magnifiques cheveux longs blond cendré. Son visage était singulièrement attirant, et elle n’avait pu s’empêcher de remarquer sa silhouette qui débordait d’une sensualité sauvage.

Jordan l'attirait. Le simple fait de prendre sa main dans la sienne faisait battre son cœur si fort qu'elle en était la première surprise. Elle avait beau réfléchir, elle était incapable de se souvenir de la dernière fois où elle avait ressenti une émotion aussi intense, et il ne s'agissait que d'une main serrée. Elle secoua légèrement la tête. Elle n'osait pas imaginer l'effet que son corps tout entier aurait s'il était serré contre le sien.           

Et il ne vaut mieux pas que je me l'imagine.          

Elle prit une profonde inspiration avant de la relâcher doucement, reconnaissant pour la première fois ce que son cœur lui hurlait depuis maintenant de nombreux mois.   

Je tiens à elle. Énormément, admit-elle doucement avant qu'un rire dénué d'humour ne s'échappe de ses lèvres. Si ce n'est pas ironique ça, venant d'une femme dont le cœur est resté fermé durant des années.

Mais après tout... était-ce si inconcevable ?

💕

21… 22… ah, 23B.

Jordan s’apprêtait à appuyer sur la sonnette lorsque la porte s’ouvrit soudainement et laissa apparaître un homme aux cheveux grisonnants, le visage doux. Surprise, elle resta un instant interdite avant de balbutier :     

— Euh... excusez-moi, j'ai dû me tromper de —

— Vous êtes Jordan, c'est ça ?      

Elle fronça les sourcils.       

— Oui, mais…           

— Entrez je vous prie, lui dit-il en lui laissant le passage. Suivez-moi.

Perplexe, Jordan le suivit le long d'un petit couloir qui donnait sur un salon/salle à manger. Le plafond et les murs étaient recouverts de bois sombre, comme dans un bateau, et il se dégageait de l’endroit une ambiance chaleureuse qu'elle appréciait beaucoup. Arrivée dans la salle principale de l’appartement, Jordan remarqua le panier de pique-nique à moitié rempli de nourriture et de boissons qui ornait la table et Emmanuelle en train de plier une nappe à carreaux blanc et rouge.

— Quand tu avais parlé de déjeuner, je ne pensais pas à quelque chose en plein-air, lui dit-elle le sourire aux lèvres.    

Le son de sa voix lui parvint et Emmanuelle releva aussitôt la tête dans sa direction, un sourire illuminant instantanément son visage.

— Jordan ! s'exclama-t-elle en la prenant dans les bras et l’embrassant sur la joue. Au vu de ton sourire, j’en conclu que tu es partante ? Il fait super beau, j’ai pensé que ce serait une bonne idée, non ?

— Oui. Enfin, si tu me laisses choisir l’endroit… 

La jeune policière ne put s’empêcher de rire face au chantage de Jordan.   

— Pas de problème, sourit-elle avant de lever les yeux vers l’homme resté dans l’encadrement de la porte. Ah ! Tu as rencontré l’homme de ma vie, ajouta-t-elle tout sourire.   

— L’homme de ta vie ? répéta Jordan en haussant les sourcils.         

Emmanuelle haussa un sourcil.     

— Tu ne t’es pas présenté ?          

— Et non, il faut croire qu’avec l’âge, les bonnes manières s’envolent ! rit doucement le vieil homme.

Emmanuelle secoua la tête et réprima un sourire devant l’air plus que perdu de Jordan.

— Jordan, je te présente mon père, et mis à part son manque de civisme, il est adorable, le taquina-t-elle.

— Oh. Oui, maintenant que tu le dis, il est vrai que la ressemblance est assez frappante ; tu as ses yeux, sourit doucement Jordan tandis qu’Emmanuelle rougissait. Enchanté monsieur Cahill, dit-elle en lui serrant la main. Je suis ravie de faire enfin votre connaissance. Manue ne m’avait pas dit que vous étiez en ville, ajouta-t-elle en jetant un regard interrogateur à la jeune policière qui haussa les épaules.

— À vrai dire, elle n’était pas au courant, c’est une visite surprise. Et s’il vous plaît, appelez-moi Franck, ajouta-t-il dans un chaleureux sourire.    

Jordan hocha la tête d'un air entendu.    

— Marché conclu. Vous vous joignez à nous pour le pique-nique ?   

— Ce serait avec plaisir mais j’ai d’autres choses de prévues. D’ailleurs, je vous laisse, passez une bonne journée. Manue, je serais au sous-sol, ajouta-t-il en quittant la pièce.

La jeune policière opina de la tête avant de hurler :     

— Merci p’pa !         

— Au sous-sol ? demanda Jordan en fronçant les sourcils.     

— C’est là que se trouve ma voiture. J’ai un petit souci technique, mon père est mécanicien.

— Ah… on prend la mienne alors ?          

Emmanuelle feignit un air exaspéré.        

— Oui Jordan, on prend ta voiture.          

Jordan lâcha un rire tout en s'emparant du panier qu'elle se vit aussitôt retirer des mains par Emmanuelle. 

— Tu es responsable de la nappe, toi, répondit la jeune policière en la lui tendant.

— Humpf, bien lieutenant, marmonna Jordan avant qu'un air malicieux n'apparaisse dans son regard. Hé, Manue ?  

— Hmm ?      

— Je peux faire un excès de vitesse ?      

Emmanuelle haussa les sourcils avant de lui faire face à nouveau.    

— Bien sûr que non !         

Jordan feignit un air boudeur.      

— Oh... et griller un feu rouge ?    

— Jordan..., la prévint la jeune policière alors qu'elle tenait la porte pour qu'elle sorte. Respecte le code de la route.   

— D'accord, d'accord..., capitula Jordan en prenant la direction des escaliers. Oh et rouler avec ton girofard sur le toit ? J'ai toujours rêvé de faire ça.        

Emmanuelle leva les yeux au ciel. 

— Jordaaaaaaaaaaaaaaaan !

💕

Une fois garée sur le parking fait uniquement de gravats, Emmanuelle s’était demandé si son amie ne s’était pas trompée de chemin, l’endroit étant uniquement peuplé d’arbres et d’espaces verts. Jordan, après avoir ri de son air perplexe, lui avait expliqué qu’il faillait suivre un sentier forestier qui menait à un lac artificiel réservé à la baignade et accessible uniquement à pied.         

Elles avaient alors marché pendant une vingtaine de minutes et étaient arrivées près du petit lac entouré d'arbres et de bancs et avec pour unique plage une pelouse verte. Les arbres élancés se reflétaient dans l’eau parfaitement lisse et calme et Emmanuelle ne put s'empêcher de penser qu'il s'agissait d'un vrai morceau de paradis tombé du ciel au milieu de nulle part et complétement désert.

— C’est… magnifique, souffla-t-elle.         

Un doux sourire étira les lèvres de Jordan.        

— Je suis contente que cela te plaise. Je viens souvent ici, c’est un bon moyen pour décompresser et se relaxer.         

— Et c’est toujours désert ?          

— En général, les gens viennent pendant les vacances scolaires, en famille. Le reste de l’année oui, il y a rarement du monde. Et puis, cet endroit est peu connu par la population.   

— Et puis-je savoir, s’il vous plaît, quelle est votre excuse pour ne m'avoir jamais emmenée ici avant ? demanda Emmanuelle d'un air faussement vexé alors que Jordan dépliait la couverture et l’étalait sur le sol au pied d’un grand chêne.   

La jeune femme blonde lâcha un rire.     

— Eh bien, pour ma défense..., répondit-elle alors qu’elles prenaient place sur la nappe, les rayons du soleil filtrant légèrement à travers les branches. Je dirais que, mademoiselle la Biarrote ?

Devant le hochement de tête d'Emmanuelle, elle poursuivit :  

— Que cela fait trois ans que vous vivez dans la région, et que, par conséquent, vous auriez pu le découvrir par vous-même. Mais s'il vous faut vraiment une raison, je dirais simplement que le temps ne s’y prêtait pas et que je n’allais tout de même pas dévoiler toutes mes cartes dans l’immédiat.

— Huh, huh… tu marques un point, admit la jeune policière en hochant la tête. Mais…, ça ne fait pas trois ans, ça fait trois ans et demi, nuance.       

Jordan ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel.      

— Tu es irrécupérable.      

— Je sais, répondit Emmanuelle, le sourire aux lèvres. Et c’est exactement pour ça que tu m’adores.

— Mouais, admit Jordan. Pourquoi avoir quitté Biarritz d’ailleurs ? Tu ne me l’as jamais dit, demanda-t-elle tout en vidant le contenu du panier.

Emmanuelle haussa les épaules.

— J’avais envie de changer d’air.  

— Changer d'air ? C'est tout ?       

— Oui. J’avais fait le tour de ma ville natale, je venais de finir mon stage pour être lieutenant de police et je savais qu’il allait falloir que je me pose. Je n’avais pas envie de faire ça là-bas, alors j’ai décidé de venir ici.        

— Ça n’a pas dû être simple pour ton père…     

— Tu plaisantes ? s'exclama aussitôt Emmanuelle. Il était plutôt content d’être enfin débarrassé de moi ! rit-elle.        

Voyant Jordan hausser les sourcils, elle reprit : 

— Je plaisante, juste que j’étais assez… irresponsable lorsque j’étais jeune, je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, ajouta-t-elle en secouant la tête.    

— Oh. Du genre ?    

— Hum, faire plus de 700km pour accrocher un cadenas sur le parapet d’un pont ?        

Jordan recracha presque la gorgée d'eau qu'elle venait de prendre.

— Quoi ?! s’exclama-t-elle. 

Emmanuelle lâcha un petit rire puis hocha la tête.        

— Tu as bien entendu.       

— Oh. Mon. Dieu, répondit Jordan en secouant la tête dans un air de dépit. C’est définitif, tu es encore plus irrécupérable que ce que je croyais. Hé ! couina-t-elle en essayant d’échapper à la jeune policière qui voulait lui infliger une tape sur le bras.        

— Bon, tu veux entendre l’histoire ?       

Jordan hocha la tête.           

— Vas-y, je sens que je vais adorer, sourit-elle. 

— À l’époque, j’avais une CB500 —         

— Une quoi ? l'interrompit aussitôt Jordan.       

— Une CB500, c’est une moto.      

— Oh, répondit la jeune femme avant de réaliser pleinement ce qu'Emmanuelle venait de dire, la poussant à écarquiller les yeux. Attends, c’était en moto en plus ?! Mais t’es dingue !

La jeune policière soupira tout en croisant ses bras sous sa poitrine. Jordan grimaça.

— Excuse-moi, continue.    

— Sûre ? demanda Emmanuelle en haussant un sourcil.         

— Promis ! répondit aussitôt Jordan en mimant une fermeture éclair de ses doigts avant de jeter la clé imaginaire par-dessus son épaule.           

La jeune policière ne put s’empêcher de rire devant sa bêtise.           

— Bon, reprit-elle une fois calmée, j’avais donc une moto, la pauvre, elle a dû subir un nombre incalculable de chutes, la première à peine dix minutes après l’avoir ramenée à la maison, dit-elle en secouant la tête. Bref, une fois le permis en poche, on a décidé, avec ma copine de l’époque, de partir à Paris sur un coup de tête. J’avais à peine 2 ou 3000 kilomètres au guidon, et je me suis retrouvée avec elle en passagère, un top case énorme et des valises latérales pleines à craquer. C’était épique. Arrivées sur Paris, on est allées à l’hôtel histoire de s’installer, se rafraichir et manger un bout. Puis on est parties visiter, c’était la première fois que l’on montait à la capitale et on était assez excitées. Et puis on est tombées sur le pont qui se trouve devant le Louvre et le musée d'Orsay, et on a vu tous ces cadenas qui ornaient le parapet. Tu sais, les amoureux accrochent leur cadenas et jettent la clé dans l’eau.   

Jordan hocha la tête.           

— Mais ce ne sont pas les jeunes mariés qui font ça normalement ? 

— Non, je crois que c’est juste pour les amoureux qui veulent que leur amour dure toujours et qu’aucun rival ne vienne voler leur bien-aimée…, sourit-elle.       

Jordan leva les yeux au ciel.          

— Manue… c’est un rite… ridicule.           

La jeune policière adopta un air faussement outré.      

— Non, amoureux, répondit-elle avant d'afficher un air boudeur.     

— Mouais, admit Jordan bien qu'elle n'était pas du tout convaincue. En tout cas, ce n’est pas moi qui irais faire des centaines de kilomètres pour poser un stupide cadenas sur un pont !

La jeune policière ne put s’empêcher d’exploser de rire.        

— Jordan, j’avais 19 ans, j’étais assez immature à l’époque. Je t’interdis de dire que c’est toujours le cas ! poursuivit-elle en posant une main sur ses lèvres.     

Jordan se contenta de rire puis de donner un coup de langue contre sa paume.    

— Ugh ! répondit Emmanuelle en essuyant sa main sur son jeans. Bah.       

— Et la copine ? Que s’est-il passé ?         

Emmanuelle haussa les épaules.   

— On a rompu une semaine plus tard, répondit-elle.    

— Oh. Comme ça ?  

— J’étais pas amoureuse, on s’entendait bien, on s’amusait bien, voilà.        

Jordan fronça les sourcils. 

— Mais vous avez accroché ce cadenas…

— Hmm, immature, tu te souviens ? répondit doucement Emmanuelle dans un sourire indulgent. Je ne prenais pas ça au sérieux, on l’a fait, voilà, c’était marrant.     

Jordan secoua la tête.         

— Tu es vraiment quelqu’un d’incroyable, tu sais ça ? 

Elle avait prononcé sa phrase sur le ton de la plaisanterie, mais la jeune policière n’avait eu aucun mal à y décerner la pointe de sérieux qui prédominait. Elle ne put s’empêcher de s’empourprer.

— Oh et tu es définitivement adorable quand tu rougis ! s’exclama Jordan en lui déposant un baiser sur la joue, ravie de la voir rougir davantage.           

— Et tu aimes en jouer, hein ? demanda Emmanuelle d'un air désabusé.     

Jordan afficha un sourire malicieux.        

— Possible, répondit-elle, le regard brillant.

💕

Le repas terminé, elles s’étaient allongées l’une à côté de l’autre, laissant le soleil les chauffer doucement tandis que les bonnes histoires, les aventures drôles ou surprenantes, les jeux de mots et autres traits d’esprit fusaient autour d’elles.    

Et puis la jeune policière avait fini par s’allonger sur le ventre, la nuit ayant été courte, elle se sentait fatiguée, somnolente et malgré elle, ses yeux n'avaient pas mis bien longtemps à se fermer d'eux-mêmes et elle s’était aussitôt abandonnée, son esprit dérivant progressivement vers l’inconscient.

Jordan s’était assise contre le tronc d’arbre et, laissant ses pieds glisser dans l’herbe fraichement coupée, elle contemplait le visage lisse et enfantin de la jeune policière, sa joue gauche reposant sur son bras tendu, sa main reposant librement dans l’herbe. En y repensant, Jordan réalisa que leur relation s'était développée à une vitesse folle, et aujourd'hui, elles étaient si proches, si complices qu’elle en avait encore du mal à y croire. Mais elle ne le regrettait pas, c’était si… intense.   

Selon elle, Emmanuelle était d’une beauté rare et extrêmement attirante, et elle l'avait aussitôt remarqué le jour de leur rencontre, mais ce qui l'attirait comme aimant, c'était  ce petit quelque chose que la jeune policière possédait et qu'elle n'arrivait à s'expliquer, mais qui lui procurait un bien-être, une paix intérieure qu'elle n'avait pas ressentie depuis bien longtemps.

Un petit sourire étira ses lèvres alors qu'elle observait le visage calme et paisible. Elle n'échangerait sa place pour rien au monde.

— Je peux savoir ce que tu regardes comme ça ?         

Perdue dans ses pensées, Jordan ne s’était pas rendu compte qu’Emmanuelle s’était réveillée et se délectait de son manque de réaction. Embarrassée, elle ne put cependant s’empêcher de penser que son air à peine réveillé et ses cheveux en bataille rendaient la jeune policière incroyablement sexy.

Sexy ? Jordan secoua frénétiquement la tête. Non mais ça va pas non ?!

— Jordan ? l'appela de nouveau Emmanuelle, l'inquiétude légèrement présente dans sa voix cette fois-ci.

— Oh, euh, rien, rien du tout, bredouilla Jordan en détournant les yeux.      

Emmanuelle sourit doucement.    

— Tu sais que toi aussi tu es adorable quand tu rougis ?        

Face à cette réflexion, la sensation de chaleur qui s'était répandue au niveau de ses joues quelques secondes plus tôt redoubla d’intensité et Jordan pria pour que le sol l'avale. Emmanuelle quant à elle ne put s’empêcher de sourire de plus belle face à l’air embarrassé de son amie et elle se leva afin de déposer un doux baiser sur sa joue.        

— Allez, j’arrête de t’embêter. On va se baigner ?         

Jordan tourna aussitôt la tête dans sa direction et l'observa, les sourcils haussés. 

— Se baigner ? Mais, je n’ai pas de maillot…      

— Si, sourit la jeune policière. J’ai le tien dans le panier.          

Les sourcils de Jordan grimpèrent encore plus sur son front.

— Mais… comment ?          

— Je ne révèle jamais mes sources, la taquina Emmanuelle.   

— Mathéo, siffla aussitôt Jordan entre ses dents.          

— Hmm, mais ne lui en veux pas, je l’ai menacé, répondit la jeune policière avant d'éclater de rire lorsque Jordan devint livide. Oh Jordan, je plaisante ! J’ai juste insisté jusqu’à ce qu’il cède, même s’il n’a pas résisté longtemps, rit-elle.  

Jordan secoua doucement la tête avant de porter ses mains à son visage.   

— Tu es… diabolique, lâcha-t-elle dans un léger rire.   

— Hmm ça m’arrive, taquina Emmanuelle, les yeux brillants. 

Elle se redressa et retira son débardeur avant de faire glisser son short le long de ses interminables jambes et Jordan ne put s'empêcher de la contempler de la tête aux pieds.

Se baigner ?

Elle avala difficilement sa salive.

Bonne idée, très bonne idée, j’ai définitivement besoin de me rafraîchir, pensa-t-elle en attrapant son maillot de bain et se dirigeant vers les cabines d'un pas rapide.

💕

Emmanuelle s’arrêta après avoir fait quelques longueurs et elle jeta un œil autour d'elle tout en ramenant ses cheveux en arrière. Elle ne fut pas déçue lorsqu'elle repéra Jordan qui arrivait au loin, faisant une halte à hauteur du chêne afin de déposer ses affaires avant de s’approcher du lac. La jeune policière nota qu’elle avait troqué son haut et son jean pour un bikini noir très sexy et elle dut se mordre la lèvre inférieure pour empêcher le sourire niais qu’elle sentait monter en elle d’apparaître sur son visage. Jordan était magnifique et elle ne put s’empêcher de laisser son regard glisser le long des courbes de son corps, admirer ses cuisses, effilées et musclées, sa taille fine, son ventre plat, la courbe de ses seins…           

— Je peux savoir ce que tu regardes comme ça ? lui demanda Jordan tout en entrant dans l’eau et nageant doucement vers elle, un large sourire sur les lèvres. 

Bien consciente d’avoir été prise en flagrant délit à son tour, Emmanuelle ignora la douce chaleur qui recouvrait progressivement ses joues et sourit elle aussi.       

— Rien du tout, répondit-elle d’un air innocent. J’étais simplement... ailleurs.          

— Mais bien sûr, répondit la jeune photographe avant de se mettre à battre des pieds et des mains pour l’éclabousser.           

— Ooooh toi ! Tu vas voir !           

Emmanuelle prit une profonde inspiration puis plongea afin de lui attraper les chevilles et l’attirer à elle, ses mains se posèrent autour de sa taille et elle commença à la chatouiller, ravie de l’effet qu’elle provoqua aussitôt. Malgré le fait qu'elle se trouvait sous l'eau, le hoquet de surprise que lâcha Jordan ne lui passa pas inaperçue et elle l'attaqua de plus belle, poussant Jordan à se mettre à hurler et se débattre dans tous les sens, riant à plein poumons.      

Notant qu’elle avait de plus en plus de mal à reprendre sa respiration, Emmanuelle la libéra finalement et leurs rires se calmèrent peu à peu avant qu’elles ne réalisent combien leurs visages étaient proches, chacune pouvant sentir le souffle chaud de l’autre contre ses lèvres.

Jordan plongea ses yeux noir charbon dans ceux de la jeune policière et elle s'approcha légèrement, ses prunelles brillant d'une détermination nouvelle. Les sentiments se mélangeaient en elle, des dizaines de mots s’emmêlaient dans sa tête, mais un seul se démarquait et, malgré la peur qu'elle ressentait, elle décida de lui donner toute son attention et suivre ce que lui disait son cœur. Bonheur.

— Alors, on se dégonfle, mademoiselle la policière ? murmura-t-elle, l’œil brillant tout en se mordillant la lèvre inférieure pour la provoquer. Tu déclares forfait ?    

Un frisson parcourut l'échine d'Emmanuelle face au regard prédateur que Jordan lui lançait. C'était la première fois qu'elle la regardait comme cela et une irrésistible envie de se jeter sur elle, de plaquer ses lèvres contre les siennes, de perdre ses mains dans ses cheveux en bataille s’empara d’elle. Les règles du jeu avaient changé, elle le savait, le voyait, le sentait. Elles basculaient dans quelque chose de beaucoup plus sensuel et elle en avait parfaitement conscience, appréciant le retournement de situation à sa juste valeur.      

— Non, répondit-elle finalement tout en portant une main légèrement tremblante au visage de Jordan. Me dégonfler... c'est mal me connaître, sourit-elle doucement alors qu'elle observait la jeune femme fermer les yeux sous le contact.    

Sa main glissa de la joue de Jordan à son cou, puis traça le cheminement de sa clavicule du bout des doigts, la faisant trembler légèrement. Poursuivant sa route, elle descendit le long de son bras et traça une ligne de feu sur sa peau avant de prendre sa main dans la sienne et nouer ses doigts aux siens.     

Jordan choisit ce moment pour rouvrir les yeux et la regarda, troublée autant qu’elle l'était. Aucune d'elles ne savait à quoi cela rimait, ni comment elles en étaient arrivées là, ni pourquoi elles agissaient ainsi, mais elles se sentaient… bien, juste bien, sereines, heureuses. C’était inexplicable, mais cette sensation nouvelle était tellement agréable qu’elles y prenaient goût et savaient déjà qu’elles ne pourraient plus s’en passer. Elles ressentaient, jusqu'au plus profond de leur être, des sentiments dont elles connaissaient l'existence mais ne soupçonnaient pas leurs grandeurs.

— Jordan...    

Une faible pression sur sa main et les mots s'éteignirent sur ses lèvres, la laissant paralysée lorsque Jordan, le cœur battant, hésitante, glissa vers elle et passa un doigt sur ses lèvres tout en la regardant tendrement, à tel point que le souffle d'Emmanuelle se coupa. Elle attendit, patiemment, nerveusement, le moment où elle allait enfin goûter ses lèvres, leur douceur, leur tendresse…      

Leurs visages s’approchèrent finalement doucement l’un de l’autre, hésitants, et une vague chaude et douce se propagea lentement dans tout leur être. Les mains de la jeune policière se posèrent sur le visage de Jordan et elle caressa tendrement ses joues, sa nuque, ses cheveux, tandis que Jordan la serrait tout contre elle, ses mains quittant sa taille pour s'aventurer dans son dos, s'accrochant à elle comme si elle avait peur qu'elle disparaisse.

Bien vite, leurs bassins se collèrent l'un à l'autre, leurs nez s’effleurèrent, leurs souffles se mélangèrent. Leurs respirations se firent plus rapides et leurs lèvres se frôlèrent enfin, se caressant doucement, presque hésitantes. Leurs paupières se fermèrent et Jordan ne tenta même pas de résister, avançant doucement son visage vers celui d’Emmanuelle, lui laissant le plaisir de combler le peu de distance qui les séparait encore. Des lèvres se posèrent au coin de sa bouche puis sur ses lèvres et elle commença à trembler. Un premier baiser, doux, réservé, presque timide.  

Puis un deuxième, plus tendre, plus passionné. La main d'Emmanuelle trouva doucement son chemin sur la nuque de Jordan, la caressant doucement alors que sa bouche s’entrouvrait et que leurs langues se mêlaient dans une danse sensuelle et envoutante, leurs mains vagabondant sur leurs corps.

Au contact de ses lèvres si douces sur les siennes, de sa langue dans sa bouche, le cœur de Jordan s’emballa alors même qu’elle sentait celui de la jeune policière battre plus fort contre sa poitrine. Prenant son visage entre ses mains, elle embrassa Emmanuelle encore plus passionnément, avec désir tandis que la main de la jeune policière glissait doucement le long de sa cuisse, ses longs doigts fins caressant délicatement sa hanche, avant de remonter tout aussi lentement sur son flanc, ce simple contact lui envoyant des décharges électriques dans tout son corps.

Finalement, elles s’écartèrent légèrement l’une de l’autre, sans se lâcher, le souffle court et Emmanuelle sourit doucement tandis qu’elle unissait sa main à celle de Jordan, ses cheveux mouillés collant à son visage, sa respiration saccadée et ses joues rosies par le trop-plein d’émotions la rendant irrésistible.

— J’en avais envie depuis tellement longtemps, murmura-t-elle en portant leurs mains jointes à ses lèvres, embrassant doucement les doigts doux et fins de la jeune femme.

— Pourquoi avoir attendu, alors ? la défia Jordan en esquissant un sourire.           

La réaction qu'elle obtint ne fut cependant pas celle espérée lorsqu'elle vit Emmanuelle tourner la tête et hausser légèrement les épaules.          

— Manue ? demanda-t-elle, soudainement inquiète.     

Le silence s'installa durant de longues secondes avant qu'Emmanuelle ne réponde finalement :

— J’avais peur, je pense.    

Jordan haussa les sourcils.

— Peur ?       

— J’avais peur de te perdre si jamais les sentiments n’étaient pas réciproques. J’avais peur que… ça te dégoûte, avoua-t-elle honteusement.       

Jordan déposa le bout de ses doigts sous son menton et tourna doucement son visage dans sa direction avant de coller son front contre le sien.  

— Manue, je ne te cache pas que je vais surement avoir besoin d’un peu de temps pour m’y faire, c’est nouveau pour moi, tout ça, répondit-elle d’un signe de la main pour les désigner toutes les deux. Mais me dégoûter ? Non. Certainement pas.    

La jeune policière eu un vestige de sourire aux lèvres et hocha la tête d’un air entendu. La prenant dans ses bras, elle déposa un baiser dans ses cheveux et respira son odeur tout en caressant son dos dans une douceur surprenante. 

— Manue..., reprit Jordan après quelques minutes d'un silence paisible. Pourquoi as-tu cru que j'aurais un problème avec ça ? Je veux dire, je sais que tu es... bisexuelle. Ça ne m'a jamais posé de problèmes.

— Je sais, répondit simplement Emmanuelle avant de soupirer. Seulement, nombre de personnes prétendent accepter l'homosexualité, mais lorsque cela frappe à leur porte... leurs réactions peuvent parfois être surprenantes. 

Jordan hocha la tête d'un air entendu.    

— Ça t'est déjà arrivé ? demanda-t-elle en relevant légèrement la tête afin de pouvoir croiser son regard. Qu'une personne apprenne tes préférences et réagisse mal ?

Emmanuelle eut un petit sourire. 

— Mon père, mais pas pour le côté « bisexuelle ». Plutôt pour l'aspect... « vie de débauche ». Il ne supporte pas le fait que je puisse... coucher à droite et à gauche à longueur de temps, comme il dit.      

Elle regarda au loin avant d'ajouter :       

— Il n'a pas tort..., murmura-t-elle d'un air absent avant d'observer de nouveau Jordan. Mais il va être ravi d'apprendre que cette période est terminée.         

La fin de sa phrase comprenait néanmoins une note interrogative, Emmanuelle ne voulait pas prendre pour acquis ce qui ne l’était peut-être pas.         

Jordan lâcha un rire de soulagement.      

— Et moi qui me demandais comment j'allais faire pour aborder le sujet d'exclusivité, sourit-elle en secouant la tête. Tu es à moi, maintenant, mademoiselle Cahill, taquina-t-elle.         

Emmanuelle sourit aussitôt tout en la serrant de nouveau contre elle.         

— Peu importe ce qu’il adviendra, on l’affrontera ensemble, pas vrai ? murmura-t-elle contre son oreille.

— Exactement, répondit Jordan avant de déposer un léger baiser dans le creux de son cou.

💕

Lorsque Jordan se réveilla, elle mit plusieurs secondes avant de se souvenir de l'endroit où elle se trouvait et de ce qu'il s'était passé. Le lac. Emmanuelle. Le baiser. Elle se sentit rougir. Elle avait encore du mal à croire qu'elles s’étaient embrassées. Mais elle ne regrettait rien. Allongée à l’ombre de l’arbre, dans ses bras, elle ne s'était pas sentie aussi bien depuis une éternité.         

Le menton posé contre le torse de la jeune policière, elle la regarda dormir quelques instants, appréciant l'air paisible et détendu qu'elle dégageait avant de venir déposer un léger baiser sur ses lèvres. Elle se sentit automatiquement sourire lorsqu'elle vit aussitôt Emmanuelle ouvrir les yeux avec difficulté, très certainement éblouie par la lumière du soleil.   

— Bonjour toi, dit-elle doucement lorsqu'Emmanuelle posa enfin son regard sur elle. Bien dormi ?

— Hum, pas assez, mais ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre, répondit la jeune policière en lui rendant son sourire. Et toi ? 

— Idem, murmura Jordan en enfouissant sa tête dans le creux de son épaule, sentant immédiatement les bras de la jeune policière se resserrer autour d’elle. Je suis si bien dans tes bras, ajouta-t-elle dans un soupir de contentement.          

— Le sentiment est partagé, répondit Emmanuelle avant de l'embrasser sur le front.

D’un commun accord, sans se concerter, elles laissèrent le silence paisible s’installer durant de longues minutes alors qu'elles profitaient simplement de la présence de l'autre et savouraient son contact, le soleil les chauffant doucement alors qu'un léger vent caressait leurs peaux découvertes.

— Jordan ? demanda finalement Emmanuelle.   

— Hmm ?      

— Tu m’as dit que tes parents vivaient à l’étranger, au Canada, c’est ça ?    

La jeune femme blonde hocha la tête.     

— Thunder Bay, dans l’Ontario. Une ville magnifique…

— Tu ne m’as jamais dit comment tu t’étais retrouvée en France ? lui demanda la jeune policière en passant lentement ses doigts dans ses cheveux blonds.           

Jordan s'installa encore plus confortablement avant de répondre.    

— Eh bien… les étrangers ont tous un truc pour la France, tu sais, Paris, les parfums, la mode, la nourriture, le vin, la culture, les paysages… Bref, et mes parents n’ont pas été épargnés. Au début, ils venaient une fois par an pour les vacances, puis ils se sont installés alors que Mat’ et moi avions à peine deux ans. Ils pensaient rester quelques années, mais finalement, ils sont tombés amoureux de la région. Et puis quand j’ai commencé mes études, à 18 ans, ils se sont décidés à repartir.

— Tu n’as pas voulu partir avec eux ?    

Jordan haussa les épaules. 

— Ma vie était ici, mes amis, mes repères. Je ne me voyais pas tout abandonner et recommencer ailleurs. Bien sûr, le départ de mes parents n’a pas été facile, aussi bien pour Mathéo et moi que pour eux. Mais ils rêvaient d’y retourner depuis longtemps. Après tout, ils avaient vécu la majeure partie de leur vie là-bas. Leur famille, leurs amis, l’ambiance, ils voulaient retrouver tout ça, je ne pouvais pas leur en vouloir.           

Emmanuelle hocha la tête d'un air entendu alors que sa main faisait des allées et venues d'un air absent sur l'avant-bras de Jordan.

— Mais ça ne doit pas être évident tous les jours…      

— Il y a des hauts et des bas, acquiesça Jordan, mais on se téléphone souvent, ils viennent me voir dès qu’ils le peuvent et moi de même. On passe chaque Noël et nouvel an ensemble. Et puis, je ne suis pas seule ici, j’ai Mat’, mes amis. Et puis surtout, je t’ai toi…

Les mots lui parvinrent et Emmanuelle s'écarta légèrement, remontant ses mains jusqu'à sa nuque et tournant légèrement sa tête afin de plonger son regard dans le sien. Le magnifique sourire que lui offrit Jordan alors qu'elle rapprochait lentement ses lèvres jusqu'à frôler les siennes lui coupa un instant le souffle et, fermant les yeux, elle savoura le contact de son corps qui se pressait contre le sien alors qu'elle approfondissait leur baiser. Quelques minutes plus tard, Jordan finit par reculer et posa de nouveau sa tête dans le creux de son cou avant de pousser un soupir de bien-être.          

— Tu sais, répondit-elle alors que ses doigts dessinaient des arabesques inconscientes sur le ventre de la jeune policière. Je crois que je vais très vite devenir dépendante.  

— Hmm, je te comprends, vu comment je suis irrésistible et tout, répondit Emmanuelle avec une fausse arrogance.    

Jordan lui donna aussitôt une légère tape sur l’estomac.         

— Et la modestie dans tout ça ? rit-elle. Continue comme ça, et tu n'en auras plus. 

Emmanuelle feignit un air choqué.           

— Tu n'oserais pas, répondit-elle en plissant des yeux.           

— Tu veux parier ? la taquina Jordan.     

La jeune policière secoua la tête avant de venir l’embrasser sur le front puis se redresser, réalisant qu’il faisait de plus en plus sombre. Jordan, qui la regardait s'asseoir et s'étirer comme un chat, sentit une bouffée de désir lui envahir le ventre et détourna les yeux à regret. Vu la position du soleil, il ne devait pas être loin de six heures du soir et elles allaient devoir rentrer. Il faisait certes chaud la journée mais les nuits étaient encore fraîches. À regret, elle s'assit à son tour et déposa un baiser sur l'épaule de la jeune policière avant de commencer à réunir leurs affaires.   

— Il faut qu'on rentre, ton frère doit se demander où on a disparu, murmura Emmanuelle à contrecœur. Je lui ai promis que tu ne rentrerais pas tard.    

Jordan haussa les sourcils.

— Manue, tu es au courant que ce n’est pas mon père, quand même ?         

— Je sais, rit la jeune policière. Mais vous avez de la route à faire demain, tu dois te reposer, ajouta-t-elle en replaçant une mèche rebelle derrière l’oreille de Jordan.       

— Hmm, tu as raison, admit Jordan à contrecœur. Dommage, j'aurai bien prolongé la soirée en tête-à-tête.    

Emmanuelle lui sourit.        

— Une autre fois…  

— Compte sur moi pour te le rappeler, lui assura Jordan avec un clin d'œil.

Elles se rhabillèrent sans se presser et regagnèrent la voiture tendrement enlacées.

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