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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

1 septembre 2011

Chapitre 14

Le couloir était désert et sombre, à l’exception des petites veilleuses indiquant les sorties de secours, ainsi que du halo de la lampe qui zigzaguait en un va-et-vient incessant. Les sens en éveil, la sombre silhouette avançait d’un pas tranquille, ses chaussures résonnant légèrement sur le sol fraîchement lavé.

Son regard s’arrêta sur une porte située un peu plus avant et elle fut surprise de devoir résister à l’envie de laisser tomber son tour de garde et… un sourire se dessina automatiquement sur ses lèvres. Et finir la nuit d’une façon définitivement plus agréable.

Elle secoua légèrement la tête. Je suppose que je vais devoir attendre pour ça, soupira-t-elle intérieurement avant qu’un sourire malicieux n’apparaisse à nouveau sur son visage. Je pourrais emmener des fraises, avec du chocolat fondu… Son sourire s’agrandit lorsqu’elle repensa à une précédente soirée où le miel qu’elle avait apporté avait finalement servi à des fins bien plus agréables qu’un simple ajout dans leurs tasses de lait chaud.

Elle hocha distraitement la tête. Ou rapporter du miel.

Un bruit attira soudainement son attention et elle sursauta légèrement avant de s’arrêter, surprise de l’entendre continuer alors que ses pieds étaient immobiles. Perplexe, elle balaya le couloir de sa lampe avant de se retourner pour effectuer la même opération de l’autre côté, désormais persuadée de ne plus être seule.

Une main se posa aussitôt sur ses lèvres et elle dut se retenir pour ne pas crier, éclairant à la place le visage de son assaillant qui porta aussitôt ses mains à son visage dans un grognement incompréhensible.

– Arg Eva ! C’est moi bon sang !

Eva haussa aussitôt les sourcils avant de chuchoter, incrédule :

– Kate ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ?! Tu m’as foutu les jetons, en plus !

Kate se frotta un instant les yeux avant de se rapprocher et Eva remarqua aussitôt qu’elle était vêtue de noir de la tête aux pieds, un bonnet qu’elle ne lui connaissait pas recouvrant même le dessus de sa tête. Oh bon sang, elle ne fait jamais les choses à moitié, pensa-t-elle intérieurement, tiraillée entre l’envie de rire et de secouer la tête de dépit.

– Ils ont augmenté la surveillance ou quoi ? C’est quoi ces spots qui parcourent l’ensemble de la propriété ? On se croirait à Supermax.

– Ouais bien ils se sont peut-être aperçu que certains élèves s’amusaient à sortir pendant la nuit, rétorqua aussitôt Eva en lui offrant un regard appuyé.

Kate eut au moins la décence de légèrement rougir.

– Bon, qu’est-ce que tu fais là sinon ? reprit Eva. Je croyais que tu avais arrêté tes sorties nocturnes l’année dernière.

– C’est le cas, admit Kate avant de se mordre l’intérieur de la joue. Mais cette fois-ci, j’ai pas vraiment eu le choix.

– Pas vraiment eu le choix ? répéta Eva, sceptique, avant de soupirer. Bon sang Kate, si ça n’avait pas été moi, tu aurais pu t’attirer des ennuis. Tu sais bien qu’une fois le couvre-feu passé, vous n’avez pas le droit de sortir de vos logements.

– Je sais, rétorqua aussitôt Kate avant de lui offrir un regarda appuyé. Mais je sais aussi que tu ne me dénonceras pas.

Un soupir accompagna la réponse :

– Rappelle-moi pourquoi je te laisse me faire du chantage déjà ?

– Parce que les relations surveillante/élève sont interdites et que tu pourrais perdre beaucoup si ça venait à se savoir, répondit Kate d’un ton détaché. Tout comme elle. Comment ça se passe entre vous d’ailleurs ?

Eva ne put s’empêcher de rire :

– Tu es incroyable, tu le sais ça ? Tu me menaces pour ensuite me demander comment ça va entre nous, ajouta-t-elle en secouant la tête.

Kate se contenta de hausser les épaules, un léger sourire sur les lèvres. Un an auparavant, quelques jours seulement après son arrivée à La Lumeda, elle était sortie pendant la nuit afin de rejoindre une chambre située à l’étage inférieur. Mais à peine avait-elle tourné au coin du couloir qu’elle s’était aussitôt figée sur place, surprise de voir la surveillante principale de la pension embrasser l’une de ses camarades de classe à pleine bouche et ce au beau milieu du corridor.

Son hoquet d’incrédulité l’avait trahie, et les deux jeunes femmes avaient aussitôt tourné la tête dans sa direction, la peur et l’embarras se dessinant sur leurs visages. Puis, réalisant qu’elles avaient toutes, chacune à leur façon, désobéit au règlement intérieur, elles avaient fini par se mettre d’accord et promettre à l’autre de ne jamais prononcer le moindre mot sur ce qu’elle avait bien pu bien faire cette nuit-là.

Mais bien vite, à force de se croiser au détour de ce même couloir, elles en avaient fini par devenir amies et fermaient simplement les yeux, se protégeant les unes les autres. 

– Bon, qu’est-ce que tu veux? reprit la jeune surveillante.

– J’ai besoin d’un double de clés.

Eva secoua aussitôt la tête :

– Hors de question.

– Ouais, je m’en doutais, soupira Kate avant de supplier. Bon, ouvre-moi la porte toi-même alors ?

– Kate... et puis pourquoi est-ce que tu ne frapperais pas, tout simplement ?

Un rire sans humour accompagna la réponse :

– Je peux pas, c’est une visite surprise.

– Cassie ?

Kate secoua négativement la tête :

– Non, suis-moi, répondit-elle avant d’être aussitôt retenue par le bras.

– Kate, si tu avais des ennuis, tu me le dirais, pas vrai ? s’inquiéta Eva.

Kate la considéra un moment avant de légèrement sourire :

– Je sais que je peux compter sur toi, et je te remercie sincèrement pour ça, répondit-t-elle en prenant sa main dans la sienne et en la serrant légèrement. Mais ça va, je m’en occupe. Tu viens ?

Eva hésita un instant avant de hocher la tête et elles s’enfoncèrent dans l’obscurité du couloir.

💕

Une fois arrivée dans la chambre plongée dans l’obscurité, Kate s’empara de l’une des chaises de bureau qu’elle positionna silencieusement entre les deux lits, avant de l’enjamber et poser ses avant-bras contre le dossier. Avec sa tenue entièrement composée de noir, et le bonnet encore présent sur sa tête, elle se doutait fortement de l’effet qu’elle allait produire et elle alluma la lampe torche qu’Eva lui avait prêtée dans un petit rictus amusé.

La réaction qu’elle attendait ne mit pas bien longtemps à arriver, et Kate prit bien soin de positionner le halo de lumière droit devant elle afin de ne pas être tout de suite reconnue lorsque les deux adolescentes ouvrirent péniblement les yeux.

Mélanie fut la première à se redresser d’un bon, l’appréhension clairement visible sur son visage :

– Qu-qui... qu-qu’est-ce que... qu’est-ce vous voulez ? balbutia-t-elle en portant une main à son visage afin de se protéger de la lumière. E-et comment vous êtes entré d’abord ?

Kate lui offrit aussitôt un regard appuyé, même si elle savait pertinemment que Mélanie ne pouvait la voir :

– Y a pas besoin d’être MacGyver pour savoir forcer une serrure, mentit-elle. Après, j’admets... c’est peut-être pas aussi impressionnant que votre petit coup d’état dans la laverie tout à l’heure... mais ça a son petit effet, hein ? sourit-elle froidement.

Mélanie jeta un coup d’œil peu rassuré en direction de sa sœur avant de demander :

– Qu’est-ce que tu veux ? hésita-t-elle, ayant aisément reconnu la voix de Kate.

– Ce que je veux ? répéta Kate, pensive avant de se redresser et appuyer sur l’interrupteur afin d’illuminer la pièce. Plusieurs choses, mais on va commencer par quitter la chambre et aller s’installer dans la cuisine. Car quitte à discuter, autant le faire de façon civilisée, hein ? Pas comme vous avez pu le faire ce soir.

Ses dernières paroles claquèrent dans le silence de la chambre et deux hochements de tête dociles lui répondirent, la poussant à quitter la pièce pour rejoindre la cuisine qu’elle alluma aussitôt. Après un rapide coup d’œil dans les placards, elle s’affaira à préparer trois tasses de thé avant de prendre place autour du bar et reprendre là où elle s’était arrêtée :

– Bon, je vais pas tourner autour du pot alors... qu’est-ce qu’elle vous offre ?

Deux regards confus lui répondirent avant que Julia ne demande, ses cheveux roux légèrement en bataille face au peu de sommeil auquel elle avait eu droit :

– Comment ça « qu’est-ce qu’elle nous offre » ?

– Soit vous avez vous aussi une dent contre Emma pour une raison que j’ignore, soit elle vous fait du chantage pour obtenir de vous tout ce qu’elle veut. Alors ?

Leurs regards presque aussi verts que celui d’Emma se croisèrent et Kate fut un instant distraite par cette étrange façon qu’elles avaient de toujours parvenir à discuter sans même prononcer le moindre mot, avant de se passer une main sur le visage et soupirer :

– Dites-moi ce que c’est, je l’utiliserai pas contre vous. C’est promis.

– Après ce qu’on vient de faire ce soir, tu crois sérieusement qu’on va gober ça ? répondit aussitôt Mélanie, sceptique.

Kate haussa les épaules puis prit une gorgée de son thé à l’orange avant de répondre :

– C’est pas contre vous que j’en ai, même si j’hésiterai pas à vous faire tomber si vous continuez.

– Faudrait déjà que tu puisses prouver que c’est nous.

– Peut-être que je le peux déjà, répondit Kate en la regardant droit dans les yeux avant de déposer un objet noir sur le bar. T’as même pas pris soin de la nettoyer avant de la ranger dans tes affaires.

Julia sentit aussitôt son visage pâlir et elle déglutit difficilement avant de relever les yeux vers Kate :

– D’accord, mais si on te dit tout, tu dois nous promettre de ne jamais nous dénoncer.

– Julia ! s’exclama aussitôt Mélanie. Si on la suit elle, c’est Cassie qui va nous faire tomber, gronda-t-elle.

Kate haussa un sourcil avant de croiser les bras sur sa poitrine et afficher un sourire satisfait :

– Alors elle vous tient en effet par le bout de la b..., grimaça-t-elle avant de remuer une main dans les airs. Bref, vous avez saisi l’idée. Comment elle s’y est prise ?

– Elle nous fournit les corrigés avant chaque examen.

– Julia !

Julia ignora sa sœur pour poursuivre :

– On n’est pas du genre très studieuse alors... Mais elle s’est rapidement arrangée pour que ce soit nous seules qui tombions si on arrêtait soudainement de la suivre.

– Comment ? s’étonna aussitôt Kate. Et puis comment est-ce qu’elle se les procure ?

Julia lui offrit un regard sarcastique :

– T’es pas la seule à t’avoir mis Eva dans la poche je te signale.

– Eva ne ferait jamais ça, gronda aussitôt Kate en se penchant dangereusement vers elle.

– T’es sûre ? la défia aussitôt Julia à son tour. Cassie passe plus de temps dans son bureau que n’importe quel autre élève. Et puis c’est pas comme si elle était irréprochable, elle se tape une élève après –

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Kate l’empoigna soudainement par le col de son t-shirt avant de la regarder droit dans les yeux :

– J’en suis certaine, énonça-t-elle clairement, les dents serrées, avant de soudainement la relâcher. Alors laisse-là en dehors de ça.

– Y a forcément quelqu’un qui l’aide, remarqua Mélanie, son regard dévoilant clairement qu’elle n’avait pas apprécié ce qui venait de se passer.

Kate hocha la tête :

– Celui-là même qui a appris à Cassie qu’Emma n’avait jamais connu son père, j’imagine. Et rien ne dit que c’est un surveillant. Ça pourrait tout aussi bien être un prof.

Elle prit un air pensif avant de reporter son attention sur les jumelles :

– Aucune idée de qui ça pourrait être ?

– Certains profs ont des rubriques au sein du journal, proposa Mélanie. Elle aurait pu tisser des liens là. Mais à mon avis, je penche plus pour un surveillant. Ils ont accès à la salle des profs après tout.

– Je mettrai Eva sur le coup, répondit Kate, défiant Julia du regard de l’interrompre. Et en ce qui vous concerne, je ne dirais rien à personne. Que ce soit ce qu’il s’est passé ce soir, ou cette histoire avec Cassie. Mais en contrepartie, vous laissez Emma tranquille. Et si j’apprends que vous avez posé ne serait-ce qu’un regard sur elle...

Elle récupéra la tondeuse avant d’hausser un sourcil :

– J’ai pas besoin de continuer le fil de ma pensée, hmm ?

– On avait déjà décidé d’arrêter hier soir, marmonna Julia en croisant les bras sous sa poitrine. Cassie nous avait dit qu’elle voulait simplement lui faire peur, pas qu’elle passerait réellement à l’acte. 

Kate fit la moue :

– Ouais ben ça vous a pas empêché de l’aider quand même.

Julia détourna le regard, mal à l’aise :

– Elle a dit qu’elle voulait simplement te faire passer un message.

– Eh bien la prochaine fois, elle viendra me le dire elle-même, coupa aussitôt Kate, sa curiosité néanmoins piquée. En attendant, si j’étais vous, je ferais profil bas la concernant.

Mélanie eut un rire dénué d’humour :

– Ça va pas être évident de lui dire sans arrêt « non » si on veut pas qu’elle nous dénonce en retour.

Kate se mordit l’intérieur de la joue avant de soudainement sourire :

– Elle est pas censée savoir que j’ai récupéré la tondeuse. A vous de faire jouer ça en votre faveur. Je compte m’occuper d’elle très bientôt de toute façon.

Les jumelles échangèrent un regard avant de sourire à leur tour :

– Je crois bien qu’elle a sous-estimé à qui elle avait à faire, en tout cas, répondit Julia en levant les yeux vers Kate. T’es aussi machiavélique qu’elle.

Kate se contenta d’afficher un sourire en coin avant de se redresser puis glisser la tondeuse dans la poche arrière de son jean.

Elle avait définitivement l’intention de prendre ça comme un compliment.

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1 septembre 2011

Chapitre 13

Kate referma son livre d’un geste brusque avant de se passer les mains sur le visage et soupirer. Avec d’excellents résultats en mathématiques, en physique-chimie, en espagnol et en sport, elle n’avait eu aucun mal à décrocher la mention ce premier semestre, mais avec une moyenne de 7.5/20 en anglais, ses enseignants lui avaient fortement conseillé de s’investir davantage sous peine de sanctions qui risquaient, elles de véritablement marquer son passage à La Lumeda.

Après tout, la pension n’accueillait pas les meilleurs élèves pour qu’ils se tournent les pouces par la suite.

Le problème, c’était que Kate avait accumulé beaucoup trop de lacunes au fil des années, et même avec l’aide d’Emma, elle n’arrivait pas à atteindre la moyenne ni même la frôler du bout du doigt. Et avec les épreuves du baccalauréat blanc qui approchaient à grands pas, Kate devait bien s’avouer qu’elle n’était pas du tout rassurée.

Mr Ranger allait forcément l’obliger à suivre les cours de soutien cette fois-ci.

La porte d’entrée qui claqua soudainement la tira de ses pensées et Kate se redressa aussitôt, prête à supplier Emma de bien vouloir lui expliquer à quoi pouvait bien servir le gérondif et comment il se construisait exactement, mais elle eut à peine le temps d’ouvrir la bouche que sa colocataire lui était déjà passée devant le nez afin de regagner la chambre.

Surprise, Kate délaissa ses affaires afin de la rejoindre et elle hésita un instant lorsqu’elle vit Emma ranger son linge dans sa commode, chacun de ses gestes trahissant la tension qui l’habitait.

– La machine à laver t’a attaquée pour que tu rentres dans cet état-là ? tenta Kate avec humour, bien que secrètement inquiète.

Elle vit Emma porter une main à son front et elle sentit aussitôt son cœur manquer un battement lorsqu’elle fut persuadée d’avoir entendu un sanglot, mais elle n’eut pas le temps de lui demander ce qui avait bien pu se passer qu’Emma la bouscula soudainement pour aller s’enfermer dans la salle de bains.

Mais qu’est-ce que c’est que ce délire ? pensa aussitôt Kate avant de s’approcher de la pièce dans laquelle Emma avait trouvé refuge et tourné la poignée à plusieurs reprises.

– Emma ? Emma ouvre-moi s’il te plaît.

Seul le silence lui répondit et quand elle baissa les yeux, Kate réalisa qu’Emma s’était accroupie contre la porte et elle sentit aussitôt l’inquiétude s’emparer d’elle. Indécise, elle posa finalement ses paumes puis son front contre la surface en bois avant de demander :

– Emma, parle-moi s’il te plaît… Il s’est passé quelque chose ?

Un faible murmure lui parvint et Kate colla aussitôt son oreille contre le battant :

– Tais-toi…    

– Quoi ?

– Tais-toi, répéta la voix, un peu plus fort. Juste, s’il te plaît, ne me parle pas maintenant.

Kate dut bien s’avouer qu’elle ne pouvait s’empêcher de se sentir blessée de se voir repoussée de la sorte, et elle hésita un instant avant de simplement se laisser glisser sur le sol et prendre la même position qu’Emma occupait de l’autre côté du battant.

Si c’était réellement ce qu’Emma désirait, très bien, elle n’insisterait pas. Mais elle comptait bien attendre patiemment qu’elle se décide à sortir, le tout en priant pour qu’elle ne fasse aucune bêtise.        

💕

Assise à même le sol, le dos appuyé contre le battant, Emma faisait tout son possible pour ne pas penser. Pour ne pas visualiser les images que son esprit tentait vainement de lui imposer. Des flashs de cette nuit, mais aussi du passé. De ce sadisme, de cette cruauté, de cette méchanceté gratuite qui avaient encore une fois fait d’elle une victime. Oh bien sûr les choses étaient différentes. Cette fois-ci, on ne lui avait pris que quelques mèches de cheveux. Mais la douleur était là, et ce sentiment d’avoir été bafouée…

Elle fut soudainement prise de violents hauts de cœur et elle se précipita aussitôt vers la cuvette des toilettes, agrippant la faillance comme si sa vie en dépendait. Le bruit alarma visiblement Kate, mais Emma lui demanda une fois de plus de ne pas la déranger, le tout en priant aux spasmes de son estomac de bien vouloir se calmer et la laisser reprendre sa respiration. Elle savait que Kate s’inquiétait pour elle mais elle n’avait pas encore la force de sortir, et encore moins celle de parler. Tout était simplement beaucoup trop douloureux pour l’instant.

Les convulsions diminuèrent finalement peu à peu et Emma se laissa retomber contre le mur, un goût amer dans la bouche, le corps tremblant et hoquetant, et elle tourna légèrement la tête vers la porte lorsqu’elle entendit la voix de Kate lui parvenir à nouveau :   
– Emma, reste pas enfermée, ouvre la porte s’il te plaît, supplia-t-elle une nouvelle fois depuis l’autre côté du battant, l’inquiétude clairement présente dans sa voix.

Emma se concentra sur sa respiration pendant quelques instants avant de répondre :

– Je vais juste…        

– Oui ?           

– Je vais juste… me laver un peu.  

– Oh. D’accord. Mais promet-moi de sortir après, Emma, s’il te plaît…           

Emma se contenta de se débarrasser de ses vêtements avec automatisme au lieu de répondre, puis frissonna lorsque le jet d’eau chaude entra en contact avec sa peau, lui faisant réaliser qu’elle était complètement gelée en plus de se sentir désespérément sale. Une grimace apparut sur son visage déjà rendu humide par les larmes, et elle prit possession de son gant de toilette qu’elle recouvrit d’une bonne dose de gel douche qu’elle étala ensuite sur tout son corps, frottant chaque centimètre de sa peau un peu plus que nécessaire et dans des gestes presque violents.

Elle effectua ensuite la même opération avec ses cheveux, grimaçant lorsque le produit entra en contact avec sa peau tout juste rasée, avant de succomber aux sanglots et simplement se laisser retomber sur le sol, les bras serrés autour de ses jambes désormais rougies, et profitant du bruit de la douche pour se laisser aller et pleurer sans être entendue.

Le jet d’eau chaude finit néanmoins par faire effet de longues minutes plus tard et les tensions accumulées disparurent peu à peu, la laissant simplement exténuée et à bout de larmes, et Emma ferma les robinets avant de s’emparer de son peignoir puis sortir de la douche.

A l’extérieur, la pièce était emplie de vapeur d’eau et elle se sécha rapidement les cheveux avant de passer une main sur le miroir. Le visage qui lui apparut la poussa à marquer un temps d’arrêt tant ses yeux étaient rougis et sa peau semblait pâle, mais Emma réalisa qu’elle était surtout fatiguée et qu’elle n’avait qu’une seule envie, se blottir sous les couvertures un bol de chocolat chaud entre les mains et effacer les dernières heures de sa mémoire.

Un sourire désabusé se dessina sur ses lèvres, sachant pertinemment que ce dernier souhait allait être difficilement réalisable, et elle relâcha un profond soupir avant de se laver les dents en vitesse puis s’essuyer la bouche d’un revers de manche. Son regard s’arrêta sur le reflet de la porte dans le miroir, puis sur l’ombre qui filtrait à travers l’interstice et elle secoua légèrement la tête, sa vue se brouillant à nouveau.

Qu’est-ce que tu peux être bête parfois Emma, pensa-t-elle intérieurement tandis qu’elle réalisait que ce dont elle avait réellement besoin se trouvait juste sous son nez depuis le début, et qu’elle avait passé son temps à le repousser.

💕

– Kate ?

Kate qui n’avait pas bougé depuis sa place contre la porte sursauta légèrement lorsque la voix d’Emma lui parvint :

– Oui ? répondit-elle, soulagée de l’entendre à nouveau.

– J’aurais besoin de vêtements de rechange, tu veux bien m’en apporter ? Regarde dans le panier à linge, j’ai pas encore tout rangé.

Kate soupira de soulagement avant de se redresser :

– Je te donne ça tout de suite, répondit-elle, ravie de savoir qu’Emma allait bientôt sortir.

Elle s’approcha de la commode puis farfouilla un instant dans le panier à la recherche d’un pyjama propre, avant de revenir sur ses pas et le passer à Emma à travers l’entrebâillement de la porte, détournant le regard par souci de politesse.

Elle n’eut cependant pas le temps de rejoindre son lit que la voix d’Emma l’interpella à nouveau :

– Kate ? T’aurais pas l’impression d’avoir oublié un truc là ?  

Kate fronça aussitôt les sourcils, confuse :

– Non, pourquoi ?

Il y eut un léger silence avant que la réponse ne lui parvienne :

– Tu as oublié les sous-vêtements. Je ne sais pas toi, mais j’aime bien avoir au moins une culotte pour dormir. Et des chaussettes aussi, s’il te plaît.      

Kate se sentit aussitôt rougir et elle balbutia, embarrassée :   

– Ah, euh, excuse-moi, je t’apporte ça.

Bon sang, quelle andouille ! gémit-elle intérieurement.

De nouveau devant le panier, elle sélectionna les premiers dessous qui lui tombèrent sous la main et pria à ses yeux de bien vouloir ne pas s’éterniser sur la collection de lingerie d’Emma, avant de s’approcher une nouvelle fois de la petite pièce. Mais quand elle leva le poing pour frapper, elle ne put s’empêcher de se dire qu’Emma était là, juste de l’autre côté de la porte, et ce, complètement nue.

Un frisson la parcourut malgré elle et elle déglutit péniblement avant de lever intérieurement les yeux au ciel. Bon sang, il n’y a que moi pour penser à ce genre de chose dans une situation pareille. La main légèrement tremblante, elle toqua légèrement avant de passer le reste des vêtements à Emma tout en détournant volontairement le regard une nouvelle fois, le visage de plus en plus cramoisi. Puis, prenant une profonde inspiration, elle retourna s’installer sur son lit et après avoir ordonné à ses hormones de la mettre en veilleuse et à ses neurones de s’activer, elle décida d’attendre qu’Emma se soit parfaitement remise avant de la questionner sur ce qui avait bien pu se passer pour qu’elle revienne dans cet état. Car Kate ne savait peut-être pas ce qui s’était produit mais elle ne voulait certainement pas bousculer Emma plus qu’elle ne l’était visiblement déjà.

Un simple regard sur le visage encore rougi d’Emma suffit cependant à lui faire envoyer ses résolutions au diable :

– Emma ? demanda-t-elle en se redressant avant de lentement s’approcher.

Le simple son de sa voix lui suffit et Emma porta aussitôt ses mains à son visage, les sanglots s’emparant d’elle à nouveau. Elle sentit les bras de Kate s’enrouler autour d’elle, avant de venir caresser son dos en des gestes apaisants, et elle enfouit aussitôt sa tête dans le creux de son cou tandis que ses mains s’agrippaient désespérément à elle. Légèrement secouée de la voir ainsi, Kate se contenta de lui murmurer des paroles réconfortantes à l’oreille, avant de supplier une fois qu’elle eut enfin retrouvé son calme :

– Emma s’il te plaît, raconte-moi ce qui s’est passé pour que tu finisses dans cet état.

Emma s’essuya les yeux d’un revers de manche avant de répondre, la main toujours fermement agrippée au t-shirt de Kate :

– J’étais à la laverie et… Cassie… Cassie est venue, avec ses deux acolytes, renifla-t-elle d’un ton amer.

Kate sentit aussitôt son corps se figer tandis que dans sa tête, ses pensées circulaient à une vitesse folle. Des scénarios aussi terribles les uns que les autres l’assaillirent, et elle resserra inconsciemment sa prise autour d’Emma avant de décider d’attendre qu’Emma poursuive son récit et ne lui dévoile ce qu’elles avaient bien pu lui faire.

Mais une chose était sûre, Cassie allait regretter de ne pas avoir pris sa mise en garde au sérieux.

– Mélanie m’a… elle m’a coincé un bras dans le dos et m’a tenue par les cheveux pour que Cassie… pour qu’elle puisse me raser la tête à l’aide d’une tondeuse.

– Elle a quoi ?! siffla aussitôt Kate avant de se reculer légèrement afin de pouvoir croiser son regard.

Emma fut aussitôt surprise par le degré de colère qui habitait désormais le visage de Kate, et elle l’embrassa absentement sur la joue avant d’expliquer :

– Comme tu peux le voir, elle ne m’a pas rasé la tête, ironisa-t-elle tristement. Je lui ai fait comprendre qu’elle ne pourrait jamais s’en sortir indemne si elle me faisait ça. Mais ça ne l’a pas empêchée de me laisser un petit souvenir.

Kate serra des dents avant de poser un regard empli de compassion et d’inquiétude sur Emma :

– Est-ce qu’elles t’ont… brutalisée ? demanda-t-elle avec hésitation.

Emma secoua aussitôt la tête :

– Non, mis à part mon épaule qui me tire un peu, tout va bien. Elle m’a juste… bref, regarde par toi-même.

Elle se retourna puis écarta ses cheveux afin de révéler sa nuque, et Kate sentit aussitôt une nouvelle vague de colère s’abattre sur elle. Cassie avait rasé toute la partie gauche de son crâne, partant de la base du cou et remontant jusqu’à l’oreille, mais ce qui irrita le plus Kate, ce fut toutes les petites entailles qui parsemaient son cuir chevelu. Son œuvre restait néanmoins invisible tant qu’Emma ne s’attachait pas les cheveux.

– Je serais prête à parier qu’elle cherchait surtout à te faire peur en te faisant croire qu’elle allait te raser toute la tête, répondit-elle avant de poser ses mains sur ses épaules les serrer légèrement en un geste réconfortant. Installe-toi sur le lit, je vais nettoyer tes plaies. Ça va aller ?

Emma hocha légèrement la tête, un faible sourire sur les lèvres et Kate se promit aussitôt de tout faire pour rendre à Cassie la monnaie de sa pièce une fois Emma remise totalement sur pied.

Car après tout, les représailles les plus réjouissantes étaient celles qui s’exécutaient un certain temps après l’affront, quand on prenait le temps de les préparer avec soin... pour mieux les savourer ensuite.

Oui, selon Kate, la vengeance était définitivement un plat qui se mangeait froid.

1 septembre 2011

Chapitre 12

Dimanche 08 février 2004.

Le programme terminé, Emma récupéra ses vêtements à présent secs qu’elle mit pêle-mêle dans son panier, avant de s’emparer de ses draps fraîchement lavés qu’elle inséra à leur tour dans le sèche-linge. Dehors, la nuit était tombée depuis un petit moment, et elle observa la pleine lune un instant avant d’appuyer sur le bouton de mise en marche d’un geste automatique.

Le tambour se mit aussitôt en action et Emma se redressa afin de déposer son panier sur la table située au centre de la pièce, un sentiment de bien-être s’abattant sur elle tandis qu’elle s’affairait à plier son linge.

Certaines tâches ménagères avaient selon elle un effet étrangement relaxant.

Un morceau de tissu qu’elle n’avait jamais vu avant attira néanmoins son regard et elle fronça les sourcils de confusion :

– Merde, c’est pas à moi ça, murmura-t-elle en s’emparant du t-shirt afin de le déplier devant elle.

Son regard s’arrêta sur le motif qu’il arborait et elle haussa les sourcils avant d’éclater de rire.

– Oh bon sang Kate, celui-ci est vraiment bien trouvé pour La Lumeda.

De couleur rouge clair, les manches trois-quarts et légèrement décolleté, il était pourvu de la phrase « Let me out ! » ainsi que d’une série de groupes de traits barrés en leur milieu comme les prisonniers avaient l’habitude de le faire lorsqu’ils comptaient les jours passés en prison et ceux qui leur restaient avant leur libération.

C’est génial pensa Emma en le pliant avant de le remettre dans son panier. La première fois qu’elle avait vu Kate avec un tel t-shirt, elle s’était vraiment demandée à qui elle avait à faire, peu rassurée à l’idée d’avoir à passer une année entière en colocation avec une élève à l’esprit rebelle. Heureusement, elle avait vite été rassurée de ce côté-là, même si elle soupçonnait fortement que Kate n’était pas du genre à se laisser faire si on lui cherchait des noises.

Elle en avait eu l’exemple avec Cassie, après tout.

Mais ces t-shirts en étaient eux aussi la preuve. La plupart étaient principalement drôles, comme celui-ci, mais d’autres allaient parfois plus loin, véhiculant des messages clairement provocants et Emma s’était rapidement rendue compte que Kate n’hésitait pas à défier du regard quiconque l’observant un peu trop longtemps ou osant lui dire quoi que ce soit à ce sujet.

Emma n’avait pas vraiment su quoi en penser au début, et après une légère hésitation, elle avait fini par aborder le sujet avec sa colocataire. Kate lui avait simplement répondu que ça lui permettait de garder les gens à distance, provoquant un sentiment de méfiance qui les poussait à rester à l’écart. Ce que, apparemment, elle recherchait par-dessus tout.

Flattée d’avoir été l’exception à la règle, Emma trouvait cela néanmoins dommage car elle ne pouvait s’empêcher de penser que Kate passait peut-être à côté de belles choses en repoussant tout le monde comme cela. Car si on prenait le temps de vraiment s’intéresser à elle, on découvrait bien vite une personne adorable et douce, le tout mêlé d’une sensibilité qu’Emma trouvait très touchante. Si elle en oubliait, bien sûr, ce qui avait causé ça. Même si elle sentait qu’elle était très loin de tout savoir sur le sujet.

Secouant légèrement la tête, elle décida cependant de ne pas s’y attarder pour cette fois et essaya tant bien que mal d’ignorer la petite voix qui ne cessait de lui répéter combien la vie était parfois paradoxale. Kate rejetait la compagnie des autres... alors qu’elle la recherchait désespérément et ne la trouvait pas.

Enfin, pas toujours, se corrigea-t-elle dans un sourire lorsque son regard s’arrêta à nouveau sur le t-shirt de Kate. Car il arrivait que des évènements inattendus viennent frapper à votre porte et vous prennent agréablement par surprise.

La porte se referma brusquement derrière elle et Emma sursauta avant de porter une main sur son cœur, tournant légèrement la tête et grimaçant aussitôt lorsqu’elle aperçut Cassie en compagnie de ses deux fidèles acolytes.

Oh non… je vais vraiment finir par croire au mauvais karma.

– Alors ça, si c’est pas un hasard... je décide de venir me dégourdir les jambes par ici, et hop, tu es là, sourit Cassie en penchant légèrement la tête sur le côté. C’est dingue, hein ?

Elle s’approcha jusqu’à la table centrale et fit glisser un doigt sur sa surface lisse avant d’ajouter :

– C’est presque comme si c’était... destiné à arriver.

Sa réflexion lui valut un imperceptible haussement de sourcils de la part d’Emma avant qu’elle ne baisse les yeux vers son linge qu’elle continua à plier, priant à ses mains de bien vouloir s’arrêter de trembler.

– Comme toutes ces fois où tu m’as interceptée au beau milieu du couloir, j’imagine, répondit-elle d’un ton sarcastique.

– C’est ça, s’exclama aussitôt Cassie en prenant appui contre la table, juste à côté d’elle. Enfin, dommage qu’Eva ait été là la dernière fois, je n’ai pas pu te souhaiter de joyeuses fêtes de Noël comme je l’aurais voulu, ajouta-t-elle dans un faux air boudeur avant de sourire. Enfin ça... il n’est jamais trop tard pour se rattraper, hein ?

Emma leva aussitôt les yeux vers les jumelles avant de reporter son attention sur Cassie :

– Et qu’est-ce que tu comptes faire cette fois-ci ? Me raconter une autre de tes belles histoires ?

Cassie lâcha un léger rire :

– Tu as du répondant, je dois bien t’accorder ça, admit-elle avant de dévier son regard vers le panier à linge qui reposait à côté d’elle. Oh, et un goût raffiné pour les sous-vêtements aussi..., ajouta-t-elle en s’emparant d’un soutien-gorge noir à motifs et l’exhibant ouvertement, ignorant le regard noir que lui jeta aussitôt Emma. Vraiment joli. Si on oublie le fait qu’il provient très certainement d’une friperie ou d’un truc comme ça, grimaça-t-elle en le laissant retomber. Bon, où en étais-je ? Ah oui, qu’est-ce que je compte faire cette fois-ci...

Elle prit un air songeur avant de sourire :

– Je pense que tu vas adorer ce que j’ai en réserve pour toi, assura-t-elle avant de tourner la tête en direction de Julia. Garde la porte, et que personne ne rentre, compris ?

Un simple hochement de tête lui répondit et Cassie reporta son attention sur Emma, un sourire suffisant sur les lèvres :

– Mélanie, occupe-toi d’elle, qu’elle ne bouge pas d’un centimètre.

La panique s’empara aussitôt d’elle et Emma se recula instinctivement d’un pas, avant de sursauter lorsque ses bras furent fermement réunis à l’arrière de son dos et ses cheveux empoignés avec force. Une grimace déforma aussitôt ses traits et elle sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, avant que ses membres ne se mettent à trembler légèrement lorsqu’elle vit Cassie s’approcher à son tour.

– Ils vont vous renvoyer, déclara-t-elle aussitôt, son regard ne cessant de passer de Cassie à la porte gardée par Julia. Ils vont savoir que vous avez fait ça, et ils vont vous renvoyer.

– Ah Emma, Emma, Emma... qu’est-ce qui te fait croire que tu vas aller leur dire quoi que ce soit ? ronronna Cassie en laissant son doigt courir le long de sa joue avant de fermement empoigner son menton. Parce que si tu le fais, tu peux être sûre que tu finiras par regretter de ne pas avoir subi beaucoup plus que ce qu’on a prévu pour toi, assura-t-elle en la regardant droit dans les yeux. Crois-moi.

Emma lui cracha aussitôt au visage et Cassie ferma les yeux avant de se redresser et s’essuyer le visage d’un revers de main :

– Bon, je ne devrais pas être surprise venant d’une pouilleuse, remarqua-t-elle avant de grimacer. On me dirait qu’elle mange avec ses mains que je n’en serais même pas surprise.

– C’est toujours mieux que d’avoir une cuillère en argent enfoncée dans le aaarg !

Une brusque douleur dans l’épaule poussa Emma à serrer des dents pour ne pas crier.

– Tu disais ? ironisa Cassie avant de rejoindre Julia et tendre une main.

Cette dernière fouilla un instant dans le sac à bandoulière qu’elle portait avec elle avant d’en sortir un objet sombre que Cassie exposa aussitôt à la lumière, l’étudiant intensément.

– Dis-moi Emma… jusqu’à quel point dirais-tu que tu tiens à ton apparence ? demanda-t-elle en faisant demi-tour et en s’approchant d’elle.

La tête légèrement tirée vers l’arrière à cause de la poigne que Mélanie avait sur ses cheveux, il fallut un petit moment à Emma avant de parvenir à voir la tondeuse que Cassie tenait entre ses mains, et elle écarquilla les yeux :

– C-cassie, a-arrête, tu peux pas faire ça, paniqua-t-elle.

– Et pourquoi pas ? demanda simplement Cassie en laissant courir ses doigts sur le sabot.

Emma tenta de se dégager mais une douleur fulgurante lui traversa de nouveau l’épaule et elle poursuivit, les dents serrées :

– Parce que personne n’ira croire que je me suis rasée la tête toute seule, comme ça !

– Peut-être, admit Cassie avant de hausser les épaules. Mais tu ne pourras jamais prouver que c’est moi. Et malheureusement pour toi... tu n’as aucun témoin.

Emma leva les yeux au ciel, de plus en plus agacée :

– Oh je t’en prie Cassie, ils ne laisseront pas passer ça. Sans compter que c’est pas la première fois que tu t’en prends à moi, Kate pourra en témoigner.

Cassie sentit aussitôt son visage se fermer :

– Kate. Tu vois, c’est marrant que tu la mentionnes à ce moment précis. J’espère que vos vacances dans ton trou perdu ont été sympathiques, seulement, et visiblement tu as du mal à le comprendre, ce monde ne t'appartient pas, Emma. Il n'y a pas de place pour les gens comme toi, alors je te conseille vivement de retourner dans ton petit trou de souris et ne plus jamais en sortir, car crois-moi, ça vaudra bien mieux pour toi.

Elle marqua une légère pause avant d’ajouter, un léger rictus au coin des lèvres :

– En ce qui concerne ta très chère colocataire, elle a juste besoin d’un petit rappel... et j’ai justement ce qu’il faut pour ça.

Elle poursuivit à l’intention de Mélanie :

– Baisse-lui la tête.

Emma sentit de nouveau la panique s’emparer d’elle et elle avala avec difficulté avant de gémir de douleur lorsqu’elle fut soudainement bousculée vers l’avant. Son regard s’humidifia et elle serra fort des paupières lorsqu’elle entendit Cassie mettre la tondeuse en marche.

Elle fut néanmoins surprise d’entendre la voix de Mélanie se faire soudainement entendre au-dessus d’elle :

– Cassie, attends... on avait dit pas de marques, tu te souviens ?

– Je sais, soupira Cassie en écartant les cheveux d’Emma d’un geste brusque. Je veux juste lui laisser un petit message pour Kate.

Pour Kate ?

– Et toi, la petite provinciale, je te conseille de ne pas bouger si tu ne veux pas avoir mal plus que nécessaire.

Emma grinça des dents puis ne put retenir les larmes plus longtemps lorsqu’elle sentit le métal froid se poser à la base de sa nuque puis remonter l'arrière de son crâne.

1 septembre 2011

Chapitre 11

Samedi 03 Janvier 2004.

Confortablement installée sur la balancelle, une couverture chauffante sur les genoux, Kate ne pouvait détacher son regard de la boule de Noël qu’elle faisait tourner entre ses mains. Les flocons, si réels, tombaient lentement sur le village de montagnes, recouvrant petites maisons et figurines d’un imperméable manteau blanc, et Kate trouvait le tout absolument magnifique.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Même si elle avait été quelque peu réticente au départ, Kate s'était cependant rapidement laissé prendre au jeu et avait passé deux semaines inoubliables dont elle gardait déjà de très bons souvenirs. Emma et sa mère l’avaient surtout surprise, et ce, à plusieurs niveaux. La première chose concernait leur ressemblance flagrante, Isabelle paraissait d’ailleurs si jeune qu’elle et Emma passaient facilement pour deux sœurs et Kate s’était surprise de devoir se rappeler à plusieurs reprises quel lien les liait réellement. Et puis il y avait leur proximité, aussi. Les deux femmes partageaient visiblement une relation particulière, basée sur la complicité et la confiance, le tout mêlé d’un amour indéniable et sans limite. Emma l’avait pourtant prévenue ; Isabelle n’était pas seulement sa mère, elle était aussi sa meilleur amie ; une personne avec qui elle partageait tout et qui la comprenait mieux que quiconque, mais le voir en vrai était néanmoins différent. Ce genre de relation était à des années-lumières de tout ce qu’elle avait connu, après tout, pourtant Kate n’avait pas mis bien longtemps avant de se sentir incroyablement à l’aise. La mère d’Emma l’avait accueillie à bras ouverts, s’adressant à elle comme si elle était une amie de longue date de la famille, non pas comme la fille d’untel ou untel et Kate avait tout particulièrement adoré ça.

Kate sourit à nouveau, elle avait d’ailleurs appris tout un tas d’anecdotes croustillantes concernant une Emma plus jeune et beaucoup moins sérieuse qu’elle ne pouvait l’être aujourd’hui et elle prévoyait définitivement de taquiner la jeune femme à ce sujet dès qu’elle en aurait l’occasion.

Et puis il y avait la maison. Là encore, c’était très loin de ce qu’elle avait l’habitude de fréquenter, mais elle était rapidement tombée sous le charme. L’habitation ne possédait qu'un étage où se trouvaient les chambres et la salle de bain mais c’était largement suffisant pour deux ou trois personnes. C’était modeste, mais très confortable et définitivement charmant. Emma et sa mère avaient réussi à créer un foyer paisible et chaleureux, un équilibre qui semblait visiblement leur réussir, et Kate avait eu un coup de cœur tout particulier pour le salon et sa cheminée en pierre.

Mais ce que Kate avait surtout aimé pendant ce séjour, c’était cette magie qui ne les avait pas quittées une seule seconde. A peine arrivée, elle avait écouté Emma lui raconter ses Noëls passés à espérer que la neige tombe, à fabriquer ses propres décorations et à écrire avec attention sa lettre au Père Noël. Emma se souvenait visiblement très bien la petite fille qu'elle avait été, celle qui passait de longues heures sur les marches de la maison, un mug de lait chaud entre ses mains à regarder le ciel et attendre que les premiers flocons ne fassent leur apparition.

« Tu verras, c’est une période magique où tu oublies pour un temps les soucis quotidiens », lui avait-elle dit, et Emma n’avait pas menti. Noël était une période spéciale chez elles et Kate avait adoré leur apporter son aide. Elles avaient entièrement décoré la maison et accroché les illuminations à l’extérieur. Puis le soir venu, elles s’étaient toutes les trois installées au pied du sapin à simplement discuter, rire, et échanger des anecdotes, une tasse de chocolat chaud entre les mains.

Ça avait été simple mais tellement sincère et vrai. A l’opposé de ses Noëls passés seule en compagnie d’une nourrice puis à des soirées mondaines auxquelles elle s’était toujours fortement ennuyée. Bien sûr, elle avait toujours eu ce qu’elle voulait, mais bien vite, elle avait cessé de croire en la magie de ce jour particulier. Cette année, grâce à Emma, les choses avaient été différentes. Elle n’avait pas été seule et c’était comme si Emma avait permis à la petite fille qui sommeillait en elle de croire à nouveau en Noël.

Et pour ça, elle lui en était infiniment reconnaissante.

– Elle te plaît vraiment à ce que je vois.

Kate leva les yeux pour voir Emma, nonchalamment appuyée contre la balancelle, les bras croisés sous sa poitrine et un léger sourire au coin des lèvres.

– J’ai encore du mal à croire que ce soit toi qui l’aies faite, répondit Kate en reportant son regard sur la boule de Noël, ses doigts caressant le socle fait à la main d’un air absent. Elle est vraiment magnifique.

Emma se frotta maladroitement la nuque, une douce chaleur recouvrant ses joues. Elle avait offert son cadeau à Kate le soir de Noël, lui précisant qu’elle l’avait réalisé elle-même à l’aide des différents ateliers existant à La Lumeda, et Kate avait fixé le paquet un long moment avant de délicatement l’ouvrir. Le précieux objet lui était finalement apparu, et elle l’avait délicatement pris entre ses mains, émerveillée, avant de remarquer l’inscription gravée à même le bois sous le socle. Elle avait laissé ses doigts la parcourir de façon presque révérencieuse avant de la lire à voix haute.

 

« Grand est celui qui n'a pas perdu son cœur d'enfant [Meng-Tsen]

 

Joyeux Noël

Emma »

 

Emma avait été surprise de voir des larmes apparaître, dévalant le long de ses joues sans que Kate ne puisse apparemment rien y faire, et elle l’avait aussitôt prise dans ses bras afin qu’elle se laisse simplement aller. Kate l’avait ensuite remerciée, et Emma avait immédiatement compris qu’il y avait beaucoup plus derrière ce simple « merci », le geste la touchant plus qu’elle n’aurait pu dire.

Reprenant pied avec la réalité, elle s’avança jusqu’à prendre place juste à côté d’elle, sur la balancelle :

– Merci, répondit-elle sincèrement en recouvrant ses jambes de la couverture chauffante. Je suis vraiment contente qu’elle te plaise.

Kate lui sourit :

–Tu sais, j’en faisais la collection quand j'étais petite, mais je n’en ai jamais eu d’aussi belle.

Elle se redressa et l’embrassa sur la joue :

– Merci.

– Tu m’as déjà remerciée, sourit légèrement Emma, sa joue la chatouillant désormais de façon agréable.

Kate feignit un air surpris.

– Ah bon ?

– Oui, et au moins une centaine de fois, rit Emma en lui donnant un léger coup d’épaule. Mais c’est pas grave, ça me fait plaisir.

Kate sourit avant de se mordre l’intérieur de la joue :

– Tu sais, je me sens un peu ridicule avec mon cadeau…

– Tu plaisantes ? la coupa aussitôt Emma en se redressant. Un coffret en trois volumes comprenant toutes les œuvres de William Shakespeare en Lynèvois et en Anglais et tu te sens ridicule ? C’est mon auteur préféré ! Sans compter les notes du traducteur et les analyses. Kate, ces livres sont de vraies perles ! C’est plutôt moi qui me sens ridicule avec –

Elle fut aussitôt coupée par une main sur ses lèvres.

– Non, répondit Kate en secouant la tête, faisant montre d’une sincérité saisissante. Il est magnifique, tu n’aurais pas pu trouver mieux. 

– D’accord, sourit timidement Emma avant de tourner la tête lorsqu’elle entendit une voiture approcher et elle la suivit un instant du regard avant de reporter son attention sur Kate : il y a un dernier endroit que j’aimerais te montrer avant de partir, ça te dit ?

Kate haussa les sourcils avant de hocher la tête :

– C’est loin d’ici ?

– Non, dix minutes à pied, répondit Emma en se redressant. Mais avant, il faut qu’on s’habille. Suis-moi.  

Kate obtempéra et elles montèrent jusqu’à la chambre d’Emma, troquant la couverture chauffante pour leurs manteaux d’hiver, leurs écharpes et leurs gants. Une fois prête, Kate prit place au pied du lit d’Emma et elle laissa son regard s’évader autour d’elle en attendant que cette dernière ait fini de s’habiller.

La maison possédant une chambre d’ami, elles n’avaient pas dormi dans la même pièce contrairement à La Lumeda, et Kate profita du fait qu’Emma était occupée pour observer calmement le décor qui l’entourait. A première vue, sa colocataire accordait beaucoup d’importance aux babioles qu’elle avait accumulée au cours de sa vie, que ce soit des cartes de Noël ou d’anniversaire, des peluches, des souvenirs de parcs d’attractions ou encore son impressionnante collection de mugs. Les murs quant à eux étaient couverts de posters aux effigies de plusieurs pays anglophones et Kate n’en fut qu’à moitié surprise, tout comme lorsqu’elle dévia son regard vers un pan de mur quasiment recouvert de livres.

Il suffisait de poser un pied dans la chambre d’Emma pour avoir une assez bonne idée d’à qui on avait à faire, en fait.

– Je suis sûre que t’as failli t’arracher les cheveux quand t’as dû choisir quels livres t’allais emmener avec toi à la pension.

Emma glissa ses gants dans la poche de son manteau avant de sourire :

– T’as pas idée, déclara-t-elle avant de s’agenouiller devant sa commode et ouvrir le dernier tiroir. Bon, où est-ce que j’ai mis ça moi...

– Qu’est-ce que tu cherches ?

– Un bonnet.

Kate haussa les sourcils :

– T’en as déjà un sur la tête.

– Je sais, rit aussitôt Emma. C’est pas pour moi, c’est pour toi bêta.

– Pour moi ? s’exclama aussitôt Kate. Beurk, je mettrais certainement pas un bonnet, grimaça-t-elle. C’est pour quoi faire en plus ?

Emma referma le tiroir avant de s’approcher de Kate, et elle écarta aussitôt ses mains lorsque cette dernière voulut l’empêcher de lui enfiler son bonnet :

– C’est une surprise.

– Une surprise ? demanda Kate en se redressant, grimaçant face au tissu qui serrait désormais sa tête. Quel genre de surprise ?

Emma lui offrit un regard appuyé tout dégageant délicatement les cheveux du visage de Kate :

– Kate, le principe d’une surprise c’est de ne pas dire ce que c’est, sinon, c’est plus une surprise.

Kate fit la moue. Parfois, la logique, c’est vraiment merdique.

– Un indice alors ? tenta-t-elle.

Emma lui tapota aussitôt le dessus de la tête :

– Il est là, sourit-elle, fière d’elle, avant de se diriger vers la sortie.  

– Haha très drôle ! se moqua aussitôt Kate avant d’accélérer le pas et la chatouiller au niveau des côtes. Allez Emma, juste un indiceeeeeee !

Le rire d’Emma éclata aussitôt dans le couloir tandis qu’elle essayait vainement de se débattre :

– Kaaaaaaaaaaaaaaate !

💕

Après dix minutes de marche le long d’un sentier complètement recouvert de neige au milieu des bois, Kate sentit Emma ralentir avant de finalement s’arrêter.

– Ferme les yeux.

Kate haussa les sourcils :

– Pardon ?

– Ferme les yeux, sourit Emma en lui faisant face. L’endroit que je veux te montrer se trouve juste derrière cette petite colline là, je veux te faire la surprise.

Kate lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– Emma, y a des brindilles partout sous la neige, si je ferme les yeux, c’est la chute assurée.

– Mais non, répondit aussitôt Emma en se plaçant à côté d’elle avant de glisser un bras autour de sa taille. Tu vois ? Pas de risques. Je te tiens.

Kate relâcha un soupir avant d’obtempérer et elle passa aussitôt un bras autour des épaules d’Emma lorsqu’elle sentit son pied buter sur une première brindille. Elles avancèrent tranquillement sur une vingtaine de mètres avant que la voix d’Emma ne lui parvienne à nouveau :

– O.K., maintenant, on va descendre un peu et je te préviendrais quand tu pourras ouvrir les yeux. Tu triches pas hein ?

Kate afficha un léger sourire en coin :

– Tu crois pas que je l’aurais déjà fait si j’avais voulu ?

Emma fit la moue :

– Pas faux, admit-elle, ce qui provoqua aussitôt le rire de Kate.

Ses pieds s’enfoncèrent un peu plus dans la neige et Kate devina qu’elles avaient quitté le bois, soulagée de ne plus avoir à se méfier des brindilles et autres morceaux de bois. De nouveau, elle sentit Emma ralentir avant qu’elle ne s’arrête, et elle devina qu’elles étaient arrivées à destination, ce qu’Emma lui confirma aussitôt :

– C’est bon Kate, tu peux ouvrir les yeux.

Kate obtempéra, et elle dut aussitôt cligner des paupières à plusieurs reprises face à l’impressionnant manteau blanc qui s’offrait à elle, avant de hausser les sourcils de surprise lorsqu’elle réalisa qu’elles venaient tout juste de s’arrêter devant un immense lac complètement gelé, le tout entouré d’arbres tout aussi recouverts de neige. 

– Woah, murmura-t-elle, ébahie. C’est magnifique.

Emma sourit avant de désigner le ciel laiteux qui les surplombait :

– Regarde.

Kate leva les yeux et elle sentit aussitôt un sourire venir étirer ses lèvres à son tour lorsqu’elle vit les premiers flocons virevolter devant elle. Elle haussa légèrement les sourcils avant de demander, les yeux toujours rivés vers le ciel :

– Tu aurais pu me prévenir que j’étais en présence de madame Irma, taquina-t-elle. Comment t’as su qu’il allait se mettre à neiger ?

Emma eut un léger rire avant de répondre, amusée :

– Instinct féminin ?

– Et pourquoi pas la maîtrise des éléments pendant que tu y es ? rit Kate en secouant légèrement la tête. Dis plutôt que tu as eu de la chance.

– Hmm. Tu ne vas pas t’en plaindre quand même, si ?

– Non, répondit aussitôt Kate, l’air absent.

Du coin de l’œil, elle remarqua qu’Emma avait les yeux fermés et elle se surprit à tourner la tête afin de pouvoir la regarder. Son nez et ses joues légèrement rosies lui donnaient un air terriblement adorable mais ce qui transparaissait le plus, c’était l’air calme, serein qu’elle dégageait. Comme si la neige opérait sur elle sa magie et lui permettait d’être totalement en paix avec elle-même.

Emma choisit ce moment pour ouvrir à nouveau les yeux et elle afficha aussitôt un sourire lorsque leurs regards se rencontrèrent :

– Tu vois, les choses les plus simples sont bien celles qui nous surprennent le plus, déclara-t-elle dans un clin d’œil.

Kate sentit ses lèvres s’étirer à leur tour et elle laissa de nouveau son regard courir sur la propriété, sur l’épais tapis blanc vierge de toute trace.

– Personne ne vient jamais ici ?

– Pas quand le lac est gelé. La glace n’est pas assez solide, c’est beaucoup trop dangereux.

Kate haussa un sourcil avant de dévier son regard vers Emma :

– Et moi qui croyais que j’étais la rebelle dans l’histoire...

Emma secoua aussitôt la tête, amusée, avant de retirer l’un de ses gants et lever une main afin d’attraper quelques cristaux. Intriguée, Kate l’imita aussitôt, et au bout de quelques minutes, elle eut aussitôt l’impression de voir le paysage sous un œil nouveau, comme si elle le découvrait pour la première fois.

Certains s’accrochèrent à ces cils et elle papillonna un instant des yeux avant de laisser son regard s’évader autour d’elle à nouveau avant de s’arrêter sur les minuscules flocons qui venaient s’écraser dans la paume de sa main. 

– T’as jamais fait ça quand t’étais petite ?

– Jouer dans la neige ? demanda Kate avant de secouer négativement la tête. Ma mère m’aurait tuée.

Emma acquiesça avant de se reculer de quelques pas :

– Eh bien bonne chance, alors..., sourit-elle.

Kate haussa aussitôt les sourcils :

– Bonne chance ? Pourqu –

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un projectile vint aussitôt la heurter en plein à l’arrière de la tête, et elle se figea un instant avant de laisser un sourire apparaître sur ses lèvres. O.K., je comprends mieux l’histoire du bonnet maintenant. Elle se passa une main dans les cheveux afin de retirer la plus grosse partie de neige qu’elle venait de recevoir, avant de faire demi-tour et s’approcher d’Emma dans une lenteur délibérée.

– Tu crois que tu vas regretter ce que tu viens de faire ? demanda-t-elle dans un sourire, s’accroupissant afin de ramasser une poignée de neige à son tour.

– Kate…, l’avertit Emma, un sourire étirant ses lèvres malgré elle tandis qu’elle était prête à s’enfuir à tout moment.

Kate continua à avancer, la démarche presque féline, et elle afficha aussitôt un sourire ravi lorsqu’Emma reçut sa boule de neige droit dans l'abdomen. Feignant une mine outrée, Emma, qui s’était accroupie afin de l’éviter, finit néanmoins par se redresser et s’élança droit sur Kate alors même que cette dernière continuait à bombarder sans interruption, son rire résonnant dans les airs. Arrivée à sa hauteur, elle se laissa cependant tomber sur le sol, et roula sur elle-même sur quelques mètres avant de s’immobiliser, seule sa poitrine bougeant au rythme de sa respiration légèrement saccadée. Amusée, Kate s’approcha sans même chercher à être discrète, et elle vit aussitôt Emma révéler un œil vert émeraude inquisiteur lorsqu’elle fut arrivée à sa hauteur.

– Tu tirerais pas sur une femme à terre quand même ?

Kate s’accroupit à ses côtés et retira un peu de neige du bout de son nez avant de répondre d’une voix traînante :

– Je sais pas…

Emma ne put s’empêcher de sourire, bien consciente qu’elle venait de se faire avoir en beauté. Kate afficha un air vainqueur, et elle ferma aussitôt les yeux avant de se sentir bombarder de toute part à nouveau, un cri s’échappant de ses lèvres. Elle tenta tant bien que mal de se défendre, avant de rouvrir soudainement les yeux lorsqu’elle sentit Kate perdre l'équilibre et tomber sur elle, son visage à quelques centimètres du sien.

– Je t’ai, mademoiselle la tricheuse, sourit aussitôt Kate, légèrement essoufflée.

Emma haussa les sourcils :

– Tricheuse ? s’exclama-t-elle avant de s’assoir lorsque Kate se redressa. Tu attaques une personne à terre et je suis la tricheuse ?

– T’as fait semblant d’être touchée ! s’indigna aussitôt Kate en nettoyant la neige de son manteau.

Emma haussa les épaules :

– C’est pas de la triche, c’est de la ruse.

Kate plissa des yeux avant de sourire :

– Tu as raison, c’est de bonne guerre. Mais… j’aurais ma revanche.

– Ooooh, je crois que j’ai peur, rit Emma avant de froncer les sourcils lorsqu’elle vit Kate afficher aussitôt un sourire. Oh, oh. Mademoiselle De Lonay, vous avez une idée derrière la tête et je ne suis pas sûre d’aimer ça.

Kate tira soudainement sur le col de son manteau avant de lui mettre une grosse poignée de neige dans le cou et Emma relâcha aussitôt un cri aigu, bondissant sur ses pieds avant de sautiller sur place dans l’espoir d’en retirer le plus possible. Hilare, Kate se laissa retomber sur le sol, le corps littéralement secoué par les rires et Emma en profita aussitôt s’assoir à califourchon sur elle, plaçant ses poignets au-dessus de sa tête pour ne pas subir de nouvelle attaque glaciale.

– Et j’ai encore gagné, sourit-elle, visiblement ravie même si légèrement essoufflée.

Sa prisonnière haussa aussitôt les sourcils :

– J’ai gagné, je t’ai mis de la neige dans ton manteau !

– Et je te tiens clouée au sol ! contra Emma en lui offrant un regard appuyé.

Kate se contenta de sourire, puis, au fur et à mesure qu’elle l’observait, elle prit conscience du corps d’Emma à moitié allongé sur elle et elle sentit son sourire disparaître pour finalement s’éteindre, la laissant simplement là à regarder ces yeux verts qui l’observaient en retour. Elle sentit la pression sur ses poignets se relâcher mais elle ne bougea pas, paralysée par cette nouvelle proximité et incapable de détourner le regard.

– Kate ?

La voix d’Emma pénétra les fins fonds de son esprit et elle sentit ses yeux dévier inévitablement vers ses lèvres, les battements de son cœur s’accélérant légèrement dans sa poitrine.

– Kate ? Ça va ?

Un éclair de lucidité la traversa et Kate reprit finalement pied avec la réalité, clignant aussitôt des yeux à plusieurs reprises avant de se racler maladroitement la gorge lorsqu’elle réalisa qu’elle venait de la dévisager pendant un moment.

Elle hocha péniblement la tête avant de se redresser à son tour :

– Oui... oui, ça va, désolée, j’étais partie dans mes pensées.

Emma, qui ne l'avait pas quitté des yeux, se contenta de hocher la tête d’un air entendu puis de secouer la neige qui collait encore à ses vêtements avant de réaliser qu’elle était trempée.

– Je crois qu’on ferait mieux de rentrer si on ne veut pas tomber malade, remarqua-t-elle avant de lever les yeux vers Kate. On y va ? Je vais nous préparer une bonne tasse de thé bouillant dès qu’on sera arrivées.

Kate se contenta d’acquiescer puis la suivit de près, troublée.

Son attitude de plus en plus tactile envers Emma aurait pourtant dû la mettre sur la voie.

1 septembre 2011

Chapitre 10

Samedi 20 décembre 2003.

Kate se retourna dans son lit, maudissant une fois de plus Morphée qui refusait visiblement de l’accueillir plus de quelques minutes.

Dans quelques heures maintenant, elle allait partir chez Emma pour les vacances et au vu de la douce euphorie qui l’habitait, elle en était visiblement contente, mais elle ne pouvait s’empêcher de redouter aussi un peu. Elle ne connaissait rien de la vie d’Emma en dehors de la pension, son milieu, ses habitudes, tout cela lui était inconnu. Et même si Kate savait que ses peurs étaient insensées, elle ne pouvait s’empêcher de redouter que les choses tournent mal.

Elle et Emma avaient tissé des liens très forts au cours des dernières semaines, et la dernière chose que Kate voulait, c’était la décevoir.

Et puis, surtout, il y avait ce qui s’était passé au début du mois. Kate avait littéralement fait son coming out auprès d’Emma, et même si l’attitude de cette dernière n’avait absolument pas changé à son égard, Kate savait qu’elle ne se doutait toujours de rien.

Ses propos sur l’homosexualité l’avaient néanmoins rassurée, mais Kate savait très bien que dire une chose, et se retrouver face à la réalité, étaient deux notions complètement différentes. Bien sûr, rien ne l’empêchait de garder son orientation sexuelle pour elle, et c’était bien là ce qu’elle comptait faire, mais elle savait également qu’Emma et elle étaient en train de devenir de très bonnes amies, et qu’elle ne pourrait par conséquent pas lui cacher cette part d’elle pendant encore bien longtemps. Et pour être tout à fait honnête, elle n’en avait justement pas envie. On ne bâtissait pas une profonde amitié sur un mensonge... mais elle savait aussi qu’elle ne parviendrait pas à supporter le genre de regard qu’elle avait eu à subir presque un an auparavant ne serait-ce qu’une fois de plus, et ce, de n’importe qui.

Je crois que le véritable problème c’est qu’on est bien plus vulnérable la nuit et que c’est vraiment stupide d’y penser maintenant, se morigéna-t-elle intérieurement en tournant une nouvelle fois sur elle-même. Ou d’y penser tout court, d’ailleurs.

La lumière qui filtrait sous la porte de la salle de bains attira son regard et elle fronça les sourcils avant de lever les yeux vers le réveil, rejetant les couvertures au pied du lit quand elle réalisa qu’il était 2h43 du matin.

Ses muscles protestèrent légèrement et elle s’étira un instant avant de se lever et se diriger vers la salle de bains.

– Emma ? demanda-t-elle en frappant légèrement contre le battant. Ça va ?

Elle entendit ce qui ressembla fort à un hoquet de surprise avant que la voix d’Emma ne lui parvienne :

– Oui, oui, tout va bien. Retourne te coucher Kate, j’en ai pas pour longtemps. 

Kate hésita un instant avant de demander :

– Tu es sûre ? Tu fais pas une nouvelle crise de panique hein ?

Il y eut un léger silence durant lequel Kate put aisément visualiser Emma en train de lever les yeux au ciel avant que la réponse ne lui parvienne :

– Non, Kate, je ne fais pas de crise de panique.

– Tant mieux, sourit aussitôt Kate. Bon, je peux entrer alors ?

– Non.

Kate haussa les sourcils de surprise.

– Non ? s’étonna-t-elle. Comment ça non ? Emma ouvre la porte.

– Kate... retourne te coucher, je dis que ça va, je t’assure.

– Non.

Le silence qui suivit sa réponse lui fit comprendre que ce fut au tour d’Emma d’être surprise et Kate afficha aussitôt un petit sourire vainqueur.

– Non ? demanda finalement Emma depuis l’autre côté de la porte. Comment ça, non ?

– C’est ce que j’ai dit, répondit Kate. Et arrête de piquer mes répliques. Maintenant si tu voulais bien m’ouvrir avant que je ne défonce cette porte...

Elle entendit Emma pousser un profond soupir avant que le bruit du verrou ne lui parvienne puis que la porte ne s’ouvre, et elle haussa un sourcil interrogateur. Mis à part ses longs cheveux blonds légèrement en bataille, Emma semblait parfaitement réveillée et Kate se demanda un instant si elle aussi n’avait pas dormi du tout.

– Ça va ? redemanda-t-elle, l’inquiétude présente dans sa voix.

– T’as un côté super impulsive, tu le sais ça ?

Kate afficha aussitôt un sourire :

– On a dû me le dire une fois ou deux. Alors ?

Emma soupira :

– Tu me promets de ne pas rire ?

Kate haussa les sourcils et observa Emma de la tête aux pieds avant de lever les mains en signe d’apaisement :

– Si c’est un problème de fille, crois-moi, je ne ris jamais de ce genre de chose, promit-elle en secouant frénétiquement la tête, grimaçant intérieurement lorsque ses premières règles lui revinrent en mémoire.

– Kate ! s’exclama aussitôt Emma, les joues en feu. Ça n’a rien à voir avec ça, gronda-t-elle.

– Bon qu’est-ce que c’est alors ? demanda Kate en croisant les bras sur sa poitrine.

Emma détourna aussitôt le regard :

– J’ai mal.

– Mal, où ça ? s’inquiéta aussitôt Kate.

Emma ne put retenir un sourire face à l’anxiété qui transparaissait clairement sur le visage de Kate, mais il s’effaça bien vite face à la douleur.

– Ça va, c’est rien de grave, la rassura-t-elle. Juste… je me suis fait piquer.

– Piquer ?

Emma évita soigneusement son regard avant de préciser :

– Oui, à la… hum, à la lèvre.

– A la lèvre ?

Emma soupira :

– Kate, tu veux bien arrêter de répéter tout ce que je dis ? Et oui, ici, répondit-elle en désignant l’endroit de son index.

Kate pinça des lèvres, tentant tant bien que mal de retenir le rire qu’elle sentait monter en elle, mais elle ne put se retenir plus de cinq secondes tellement la situation lui parut plus que cocasse.

– Kate ! s’indigna aussitôt Emma en tapant du pied sur le sol. Tu m’avais promis de ne pas rire !

– Excuse-moi, c’est juste que… que…

Un nouveau fou rire la prit et Kate n’essaya même pas de finir sa phrase, ses mains s’enroulant autour de son ventre tandis qu’elle pouvait sentir les larmes lui monter aux yeux.

Outrée, Emma fit aussitôt demi-tour avant de prendre appui contre le lavabo et elle croisa les bras sous sa poitrine tout en lui lançant un regard noir.

Notant le changement d’humeur chez sa colocataire, Kate attendit d’avoir repris son souffle avant de s’approcher, s’essuyant les yeux du revers de main :

– Excuse-moi, c’est juste que, admets-le, c’est assez… inhabituel.

– Ouais, surement, répondit Emma, l’ignorant pour se concentrer sur le miroir. Tu devrais te recoucher, il est tard.

Kate grimaça intérieurement. J’ai touché un point sensible. Elle s’assura de s’être totalement calmée de prendre appui juste à côté d’elle, contre le lavabo.

– Je suis désolée, je ne voulais pas te vexer, s’excusa-t-elle sincèrement. Je peux voir ?

Emma l’observa aussitôt comme si elle avait perdu la tête :

– Pourquoi est-ce que tu voudrais voir ?

– Raah Emma, fais-moi juste voir, d’accord ?

Emma hésita avant de tirer sur sa lèvre inférieure puis désigner l’endroit, et Kate fronça légèrement les sourcils :

– Hmm tu as de la chance, répondit-elle. On ne voit presque rien, juste un petit point clair.

– Mais ça démange et ça fait mal quand je parle.

Kate afficha aussitôt un sourire :

– Eh bien, je suppose que miss pipelette va devoir la mettre en veilleuse pendant quelque temps alors, taquina-t-elle.

Elle reçut aussitôt une petite tape sur le bras en réponse.

– Hé ! couina Kate. Bon vu l’endroit, tu ne peux rien mettre dessus, va falloir attendre que ça guérisse tout seul.

Elle s’apprêtait à sortir de la pièce lorsqu’une idée lui traversa l’esprit, et elle vint aussitôt poser ses mains sur les hanches d’Emma avant de lui murmurer à l’oreille :

– Et puis tu sais, si tu avais autant envie d’être embrassée, tu aurais dû venir me voir.

Elle attendit de croiser son regard dans le miroir avant d’ajouter :

– Et le rouge te va à ravir, remarqua-t-elle dans un clin d’œil avant de quitter la pièce, fière de son petit effet.

Emma l’observa s’éloigner, incrédule, avant de réunir ses cheveux à l’arrière de sa tête. Oh. Mon. Dieu. Il fait chaud là d’un coup, non ? Sa main tâtonna devant elle et elle ouvrit aussitôt le robinet d’eau froide afin de s’asperger le visage.

Très chaud.

💕

 « Travail : Mercure s'opposera aujourd'hui au grand Uranus, apportant quelques contrariétés au niveau de votre vie professionnelle. Vous allez devoir faire face à un surcroît d'activité qui va monopoliser une bonne partie de votre journée et vous obliger à effectuer quelques heures supplémentaires. »

Emma secoua légèrement la tête avant de passer au paragraphe suivant. Ce sont les vacances, andouilles.

« Santé : Vénus n'est pas maléfique par nature et ne devrait donc rien provoquer de réellement ennuyeux sur le plan santé. Mais Vénus est la planète de la gourmandise ! Attention, donc, à ne pas abuser de la nourriture, et notamment de l'alcool. Même si vous disposez en général d'un système digestif solide, mieux vaudrait ne pas trop le mettre à contribution ! »

Quelle surprise sachant que l’on approche des fêtes de Noël…, pensa-t-elle alors que son regard descendait un peu plus bas.

« Amour : Projet en gestation, grossesse non désirée. Partenaire manquant de maturité. Tricherie ou duperie. »

Les sourcils d’Emma grimpèrent sur son frontet elle baissa aussitôt la tête vers son ventre. Sauf si les miracles existent, je pense que de ce côté-là, je ne risque rien, pensa-t-elle en tapotant son ventre. Et pour le second, mieux vaut ne pas s’engager sur ce sur terrain là, grimaça-t-elle intérieurement.

« Phrases à méditer : Au bout de la patience, il y a le ciel. Proverbe africain. »

Euh… Beuh, trop tôt pour réfléchir à ça, pensa-t-elle en revenant aux nouvelles du jour.

Concentrée sur la lecture du journal du matin, elle n’avait pas entendu Kate entrer et elle sursauta lorsque cette dernière déposa un baiser sur sa joue avant de prendre place à ses côtés.

– Bonjour, murmura-t-elle, la voix encore ensommeillée.

Un rapide coup d’œil à l’horloge murale indiqua à Emma qu’il n’était que 9h15, et elle devait bien s’avouer qu’elle était surprise de voir que Kate était déjà debout. Non seulement elles étaient désormais en vacances, mais Kate était surtout une grande amatrice des grasses matinées dès qu’elle en avait la possibilité.

– Bonjour, répondit-elle. Tu es tombée du lit ?

Kate lui esquissa un léger sourire avant de hausser les épaules. Elle avait entendu Emma se lever et effectuer sa petite routine quotidienne dans l’appartement quelques heures plus tôt, puis lorsqu’elle était sortie de la salle de bains, son parfum avait embaumé toute la chambre et Kate était simplement restée là, allongée dans l’obscurité à l’écouter. Elle n’arrivait pas à se l’expliquer, mais le seul fait de savoir qu’Emma était là, de sentir sa présence, lui procurait un sentiment de bien-être, de sécurité, qu’elle ne voulait quitter pour rien au monde.

– Tu as faim ? demanda Emma, la tirant de ses pensées.

– Je meurs de faim.

– Tant mieux, taquina Emma. Parce que j’ai préparé du bacon, des œufs brouillés, des pancakes, des tartines… et j’ai même fait du café. Un peu de crème et deux sucres ?

Kate sentit aussitôt un sourire ravi s’étirer sur ses lèvres et elle hocha frénétiquement la tête. Emma avait beau toujours être la première levée, elle ne laissait jamais rien au hasard, et ce même si Kate ne comptait pas sortir du lit avant encore quelques heures. Et elle dut bien s’avouer une fois encore que ces petites attentions rendaient toujours ses journées incroyablement plus agréables.

Un bol de café fumant fut déposé juste devant elle et Kate en prit aussitôt une gorgée avant de tourner la tête vers Emma :

– Tu es un ange, tu le sais ça ?

Emma rougit légèrement avant de s’emparer d’un morceau de sopalin :

– Et toi un véritable petit nourrisson, taquina-t-elle en essuyant le léger filé de sirop d’érable qui avait trouvé refuge sur le menton de Kate, et cette dernière se sentit aussitôt rougir face au geste empli d’affection.

Elle se racla maladroitement la gorge avant de désigner le journal :

– Rien d’intéressant ?

– Non, pas grand-chose. Fatiguée ?

– Hmm ?

– Fatiguée ? C’est la troisième fois que tu bailles.

– Oh. Eh bien, figure-toi qu’une certaine personne, dont je tairais le nom, m’a réveillée au beau milieu de la nuit pour avoir fricoté avec un certain insecte et –

– Kate ! J’ai pas fricoté avec lui ! s’exclama aussitôt Emma tout en lui mettant une légère tape sur le bras.

Kate lâcha un rire avant de poursuivre :

– Et qui m’a tenue éveillée pendant encore une heure parce qu’elle ne voulait pas se recoucher tant que ledit moustique n’était pas éradiqué.

– Il aurait pu me repiquer !

– Ouais, ouais, répondit Kate en levant les yeux au ciel avant de rire à nouveau.

Elle reprit, une fois calmée :

– A quelle heure doit arriver ta mère ?

– D’une minute à l’autre maintenant.

Kate laissa aussitôt retomber sa fourchette, cette dernière émettant aussitôt un bruit désagréable lorsqu’elle entra en contact avec l’assiette.

– Tu plaisantes ?

– Non, pourquoi ? s’étonna Emma, l’observant comme si elle avait perdu la tête.  

– Pourquoi ? Emma ! Je viens tout juste de me lever ! Tu t’imagines si elle me voit dans cet état ? paniqua Kate en coiffant ses cheveux du mieux qu’elle le pouvait à l’aide de ses doigts.

Emma se tourna pour lui faire face avant de prendre sa main dans la sienne. Elle savait que la famille de Kate était beaucoup plus aisée que la sienne et qu’elle avait par conséquent été élevée d’une façon différente. Ce qui n’était pas si flagrant au premier coup d’œil, mais certains détails ne trompaient pas, comme les manières impeccables que Kate avait parfois ou sa réaction à l’instant, et elle attendit d’avoir toute son attention avant de la rassurer.

– Kate, calme-toi. Tu vas vivre avec nous pendant deux semaines, elle aura plus d’une occasion pour te voir dans cette tenue, et honnêtement, ce sera le cadet de ses soucis.

Kate lui lança un regard sceptique avant de répondre d’une voix hésitante :

– Mais… je vais vous faire attendre, j’ai ma douche à prendre et…

– Kate, détends-toi, d’accord ? La route est longue, et on a tout notre temps. Ma mère va très certainement vouloir se poser un peu avant de repartir.

Kate hésita :

– Tu es sûre ?

– Certaine, affirma Emma. Ça va mieux ?

– Mouais, répondit Kate en reprenant sa fourchette. J’aurais quand même préféré être prête avant qu’elle n’arrive.

Emma se mordit la lèvre avant de laisser son regard retomber sur la table, ses doigts tripotant nerveusement le journal :

– Excuse-moi, elle m’a appelé il y a deux heures pour me dire qu’elle était sur la route et vu comment je t’ai embêtée cette nuit… je n’ai pas osé te réveiller, balbutia-t-elle maladroitement.

Kate tourna la tête vers elle et elle se réprimanda aussitôt intérieurement lorsqu’elle réalisa qu’Emma évitait son regard. Bon sang Kate, c’est pas parce que tu es stressée que tu dois plomber le moral à tout le monde.

– Il n’y a pas de mal, répondit-elle en posant sa main sur celle d’Emma et en y exerçant une légère pression. Surtout que c’était assez drôle cette histoire de moustique, ajouta-t-elle l’air malicieux.

La réponse vint accompagnée d’un tirage de langue :

– Vilaine.

Kate s’apprêtait à lui répondre lorsque deux légers coups donnés sur la porte les interrompirent et elle se figea aussitôt.

– Ça doit être elle, répondit Emma en se levant.

Elle ouvrit la porte et un cri s’échappa aussitôt de ses lèvres lorsque sa mère la prit dans ses bras, la soulevant presque du sol.

– Oh ma chérie, tu m’as manqué, murmura Isabelle tout en la serrant fort contre elle. Quatre mois c’est beaucoup trop long.

– A qui le dis-tu, rit Emma en se reculant. Ça va ? La route n’a pas été trop longue ? ajouta-t-elle en refermant la porte avant de lui faire signe d’avancer.

– Non, c’est allé, répondit Isabelle en retirant manteau et écharpe avant de les déposer sur le dossier du fauteuil. Ils n’annoncent pas de neige avant encore une semaine et le Père Noël est déjà passé, on a un nouvel autoradio, ajouta-t-elle, les yeux brillants.

Emma lui offrit aussitôt un regard sceptique :

– Si c’est toi qui l’as choisi, j’ai peur..., répondit-elle avant de sursauter dans un cri lorsqu’Isabelle la pinça au niveau des côtes.

– Il fait CD/cassette, c’est tout ce qui importe. Et il est assorti à mon tableau de bord.

Emma ricana tout en la tirant vers la cuisine :

– Kate, je te présente ma mère, Isabelle, et maman, voici Kate.

Kate, qui était restée en retrait pendant les retrouvailles des deux femmes, ne put s’empêcher de ressentir comme un pincement au cœur. Elle savait qu’Emma et sa mère étaient très proches mais le voir de ses propres yeux était définitivement différent. Elles respiraient l’amour, l’affection, et partageaient visiblement une complicité sans nul autre pareil. Choses qu’elle n’avait jamais ressenties avec ses parents. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où ils m’auraient pris dans leurs bras.

– Kate ?

La voix d’Emma la ramena à la réalité et Kate réalisa avec horreur que ses yeux étaient embués :

– Euh, pardon, répondit-t-elle en s’essuyant les yeux d’un revers de main. Je dois être encore fatiguée.  

Emma, qui l’avait attentivement observée pendant qu’elle faisait les présentations, ne fut pas dupe. Elle comprit aussitôt où Kate était partie et pourquoi la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux l’avait visiblement bousculée. Bon sang, ses parents sont vraiment des monstres. Seulement, elle ne voulait pas mettre Kate plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà, alors elle se contenta de lui offrir un sourire réconfortant qu’elle fut ravie de se voir retourné, et exerça une légère pression sur le bras de sa mère avant de la rejoindre de l’autre côté du bar.

Elles allaient avoir deux semaines loin de tout et Emma comptait bien profiter de ce moment-là pour lui changer les idées et lui faire retrouver son sourire.

– Je suis contente de faire enfin ta connaissance, en tout cas, répondit Isabelle en s’installant au bar avant de tendre une main. Emma m’a beaucoup parlé de toi.

– Ah ? répondit aussitôt Kate en jetant un rapide coup d’œil en direction d’Emma avant de tendre une main à son tour. Elle m’a beaucoup parlé de vous aussi.

Isabelle s’empara de la tasse de thé qu’Emma lui tendait avant de sourire, taquine :

– En bien j’espère ?

– Toujours en bien, assura aussitôt Kate, avant de légèrement rougir lorsqu’elle comprit qu’elle venait de se faire avoir.

Elle se racla légèrement la gorge avant d’ajouter :

– Merci de m’inviter chez vous pour les vacances en tout cas, c’est vraiment gentil de votre part.

– Rien de plus normal, sourit aussitôt Isabelle. Et je te rassure, Emma ne m’a dit que du bien de toi aussi. Mais tu peux oublier le « vous », Kate, je ne suis pas si vieille que ça, finit-elle dans un clin d’œil.

– C’est vrai, vous faites assez jeune.

Sa phrase fut à peine terminée que Kate écarquilla aussitôt les yeux, réalisant ce qu’elle venait de dire et ce que cela sous entendait :

– Euh, enfin, je veux pas dire que vous êtes vieille hein, ou que vous devriez paraître plus âgée, ou…, balbutia-t-elle avant de laisser son visage retomber entre ses mains. Oh bon sang, je viens pas de dire tout ça tout haut, si ?

Un léger rire lui parvint avant qu’elle ne sente deux mains se poser sur les siennes et doucement les écarter de son visage :

– Je crois bien que si, taquina Isabelle avant de reprendre plus sérieusement. Mais je comprends ce que tu veux dire ; je n’ai pas l’âge que les femmes ont habituellement lorsqu’elles ont une adolescente de 17 ans. C’est bien ça ?

Kate hocha la tête :

– C’est ça, répondit-t-elle, visiblement soulagée qu’Isabelle ait compris. Maintenant, si ça vous dérange pas, je vais aller me préparer avant de sortir une autre bêtise aussi grosse que moi.

Sa réplique provoqua aussitôt de nouveaux rires et elle sauta de son tabouret avant de lâcher par-dessus son épaule :

– Je me dépêche !

– Prends ton temps, répliqua aussitôt Emma, en cœur avec Isabelle, ce qui poussa aussitôt Kate à se figer avant de sourire.

– D’accord. Emma touche pas à la vaisselle, t’as préparé le petit déjeuner, précisa Kate avant de disparaître dans la salle de bain.

Isabelle se servit quelques œufs brouillés avant de commenter, un léger sourire au coin des lèvres :

– Elle est amusante.

– Hmm, je crois qu’elle est surtout stressée, répondit Emma en repliant le journal. Ça devrait aller mieux d’ici quelques heures, je pense.

Isabelle acquiesça d’un signe de tête avant de demander, pensive :

– Emma, dis-moi… elle va bien, Kate ? Elle avait l’air chamboulée tout à l’heure.

Emma ramassa quelques miettes de pain du bout de son doigt avant de répondre :

– Disons qu’elle n’a pas eu la chance que j’ai pu avoir en ce qui concerne ses géniteurs, expliqua-t-elle en levant les yeux. 

Isabelle lui offrit aussitôt un chaleureux sourire avant de prendre un air désolé :

– Je vois. C’est pour ça que tu lui as proposé de venir à la maison ?

– En quelque sorte, admit Emma. Elle serait allée chez sa tante sinon.

– Mais ?

Emma haussa les épaules avant de lever les yeux vers Isabelle :

– Je savais que ça lui ferait du bien de venir avec nous, elle en a besoin tu sais.

– Tu as eu raison alors, acquiesça aussitôt Isabelle. A nous de lui remonter le moral, hein ?

Emma se sentit aussitôt sourire :

– Exactement, je savais que je pouvais compter sur toi, répondit-elle dans un clin d’œil avant de porter son verre de jus d’orange à ses lèvres.

Son petit plan commençait plutôt bien.

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1 septembre 2011

Chapitre 9

Vendredi 05 décembre 2003.

La joue en appui sur son poing, Emma tentait tant bien que mal de déchiffrer ce que son professeur de maths, monsieur Tendyl, pouvait bien être en train de raconter sur le calcul des limites.

Un flot d’informations, véhiculé sous la forme d’explications interminables, s’échappait de ses lèvres en un rythme continu depuis vingt minutes déjà et elle ne put s’empêcher de penser qu’il parlerait Chinois, cela reviendrait très probablement à la même chose la concernant.

Un rapide coup d’œil alentour apprit cependant à Emma qu’elle n’était visiblement pas la seule à trouver le cours soporifique vu les quelques élèves à moitié avachis sur leur pupitre et elle trouva la nouvelle étrangement rassurante.

Kate allait de toute façon l’aider à revoir ce chapitre plus en détail, et lorsqu’elle réalisa qu’il ne restait qu’une vingtaine de minutes avant la fin du cours, elle décida de décrocher et ouvrit son agenda à la place.

Un sourire se dessina aussitôt sur ses lèvres lorsqu’elle s'arrêta sur la date du jour : 03 décembre 2003, et elle réalisa avec une certaine euphorie qu’ils étaient déjà au mois de décembre. Le premier semestre arrivait donc à sa fin mais il apportait surtout avec lui les vacances de Noël.

Elle allait enfin retourner à la maison.

En ce qui concernait les résultats, elle était assez confiante ; elle travaillait sérieusement, et avec Kate, elles n’hésitaient pas à se donner un coup de main quand le besoin s’en faisait ressentir. Sa colocataire étant en filière scientifique, elle l’aidait principalement pour les mathématiques tandis qu’Emma l’assistait pour les matières littéraires.

Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres. Kate. Elles avaient développé une profonde amitié au fil des dernières semaines et Emma devait bien avouer qu’elle chérissait de plus en plus les moments qu’elles passaient ensemble. Les longues soirées à discuter de tout et de rien, à partager les souvenirs et rêves d’enfance, les projets futurs. Et puis il y avait tous ces petits rituels qui s’étaient progressivement mis en place et auxquels elle tenait beaucoup, comme le fait qu’elles cuisinaient et prenaient toujours leurs repas ensemble, lorsqu’elles regardaient la télévision, ou bien lorsqu’elles allaient courir chaque matin avant d’aller en cours. Des choses ordinaires mais dont le simple fait de les partager avec quelqu’un faisait toute la différence.

La sonnerie indiquant la fin des cours retentit finalement au-dessus d’elle et Emma rangea ses affaires afin de regagner l’appartement en vitesse, sa journée de cours étant terminée. A l’extérieur, le froid glacial la poussa à resserrer sa veste autour de son corps, et lorsqu’elle jeta un regard vers le ciel, elle ne put s’empêcher une fois de plus d’espérer qu’il neige. De tous les jours de l’année, Noël était celui qu’elle préférait le plus, parce qu’elle y retrouvait toujours son âme d’enfant et elle adorait ça.

Arrivée au bâtiment des dortoirs, elle monta les marches deux par deux afin de regagner le troisième étage, et manqua presque de faire demi-tour lorsqu’une silhouette désormais familière apparut juste en face d’elle, à l’autre bout du couloir.

Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ici ? se demanda Emma, sachant pertinemment que la chambre de Cassie se trouvait à l’étage inférieur, juste au-dessus de celui des garçons.

Elle fut encore plus intriguée lorsqu’elle la vit glisser quelques feuilles sous le pas de la porte devant laquelle elle se trouvait.

– Subordination hiérarchique, ça me donne le droit de faire tout ce que je veux de chacun d’entre vous, taquina soudainement la voix derrière elle.

Emma sursauta légèrement avant de lever les yeux vers un regard noisette presque aussi semblable à celui qu’elle connaissait désormais par cœur.

– On a besoin de savoir qui rentre et qui ne rentre pas pour les vacances de Noël, elle me rend service, précisa Eva avant de tendre une main afin de lui faire signe d’avancer. Ça faisait un moment que je ne t’avais pas vu, en tout cas. Comment s’est passé ce premier semestre ?

– C’est allé, répondit Emma tandis qu’elle faisait en sorte de garder Cassie dans son champ de vision. J’avais quelques difficultés en maths mais ça va mieux depuis que Kate – enfin Katherine, a proposé de m’aider. 

Eva afficha un sourire :

– Tant mieux. J’en conclus que la colocation se passe bien alors ?

– Parfaitement bien, sourit aussitôt Emma. On s’est pas encore disputée sur qui n’a pas refermé le tube de dentifrice alors j’imagine que c’est plutôt bon signe.

Eva haussa les sourcils, surprise par la plaisanterie inattendue, avant d’éclater de rire :

– Oh oui Emma, c’est plutôt très bon signe même, sourit-elle une fois calmée, afin de faire un signe en direction de Cassie. Tu sais si tu rentres ou non pour Noël ?

Emma se figea aussitôt lorsqu’elle vit Cassie s’approcher et elle l’observa d’un mauvais œil avant de reporter son attention sur Eva :

– Je rentre.

– Je m’en doutais, ta maman va être contente, répondit aussitôt Eva dans un clin d’œil avant de tourner la tête vers Cassie lorsqu’elle fut arrivée à leur hauteur. Ah, voilà celle sans qui je me demande sérieusement ce que je ferais, j’ai nommé mon indétrônable servante, taquina-t-elle. J’aurais besoin d’un formulaire pour la demoiselle, et un autre pour sa colocataire.

Cassie afficha un faible sourire avant de tendre les papiers en direction d’Emma, et cette dernière hésita avant de tendre une main. Vu le regard dénué d’émotion que Cassie lui lançait, Emma s’attendait sincèrement à ce qu’elle relâche sa prise sur les formulaires avant même qu’elle n’ait eu le temps de les attraper.

Heureusement pour elle, elle n’en fit rien.

– Merci, répondit-elle d’un ton neutre avant de les caler sous son bras et partir à la recherche de ses clés.

– De rien, Emma, rétorqua Cassie, l’observant un instant de la tête aux pieds avant de s’éloigner le long du couloir. A toute à l’heure Eva ! lâcha-t-elle par-dessus son épaule.

Eva ? Visiblement, Cassie avait su se mettre la surveillante principale dans la poche vu le sourire et le léger signe de la main que cette dernière lui lançait, et Emma ressentit soudainement le besoin de s’éloigner de sa présence, même si elle devait bien s’admettre que ça sonnait très « les amis des amis de mes ennemis sont mes ennemis ».

Seulement, en ce qui concernait Cassie, elle ne voulait prendre aucune chance.

– Je ferais mieux de rentrer, déclara-t-elle finalement en désignant la porte de son appartement.

Eva l’observa, intriguée, avant de hocher la tête.

– Bien sûr, répondit-elle, un sourire sur les lèvres. Je ne te retiens pas plus longtemps alors. Bonne fin de journée Emma.

Emma hocha la tête d’un air entendu avant d’insérer la clé dans la serrure puis ouvrir la porte, ignorant le regard concerné qu’elle pouvait encore sentir sur elle.

💕

– Ta journée s’est bien passée ?

Emma se contenta de hausser les épaules avant de s’étaler de tout son long sur son lit, un profond soupir s’échappant de ses lèvres.

– C’est allé. Et toi ?

– Idem, répondit Kate, avant de lever les yeux de son ordinateur. T’avais maths aujourd’hui, non ?

Emma afficha son premier sourire depuis sa rencontre non désirée avec Cassie et elle hocha la tête :

– C’était sur les limites, j’ai rien compris.

Kate lâcha un léger rire :

– Je dois finir ça, j’en ai pour cinq minutes. On s’y met après si tu veux ?

– O.K., acquiesça Emma, se tournant légèrement de côté afin de pouvoir l’observer.

Elle laissa le silence s’installer autour d’elle un instant, les touches du clavier de Kate émettant un bruit étrangement réconfortant, avant de demander :

– Dis Kate, je suis sûre que je t’apprends rien en te disant que nous sommes déjà au mois de décembre.

La réponse lui vint, l’air absent :

– En effet.

– Et que dans vingt jours, ce sera une date importante.

– En effet, à moins que le calendrier n’ait changé cette année.

Emma lâcha un léger rire :

– Huh, ouais. Et que, hmm, il y a un évènement tout particulier qui aurait lieu ce jour-là.

Kate afficha un sourire avant de tourner la tête dans sa direction :

– Et tu veux en venir où, exactement ?

– Je sais pas, répondit Emma en haussant les épaules. Je me demandais juste, qu’est-ce que tu fais pour Noël ?

Kate reporta son attention sur l’écran, tapant quelques mots avant de répondre :

– Je ne sais pas. Je vais surement aller chez ma tante. Ou rester ici.

– Rester ici ? s’exclama aussitôt Emma en se redressant. Mais tu ne peux pas rester ici !

Kate haussa un sourcil, surprise par sa réaction soudaine :

– Et pourquoi ça ?

– C’est Noël, tu ne peux pas être seule le jour de Noël.

Un rire désabusé accompagna la réponse :

– Ça ne changera pas de d’habitude, tu sais. 

Emma grimaça intérieurement. Plus le temps passait, plus elle réalisait à quel point l’enfance de Kate avait été différente de la sienne. Non pas qu’elle ne le savait pas, Kate le lui avait raconté, et ce à plusieurs reprises, mais Emma s’en rendait surtout compte dans la vie de tous les jours. Les choix de ses parents avaient eu des conséquences bien souvent négatives sur elle, comme la priver de choses simples mais tellement importantes aux yeux d’Emma. Ces personnes sont vraiment des monstres.

– Eh bien… tu pourrais venir chez moi, proposa-t-elle enfin tout en tripotant nerveusement le couvre lit de ses doigts.

Kate la regarda un instant avant de poser son ordinateur et venir prendre place à ses côtés, sur son lit. Emma faisait preuve d’une timidité soudaine et elle devait bien s’avouer qu’elle la trouvait touchante, presque autant que la proposition qu’elle venait de lui faire.

Posant ses mains sur les siennes, elle attendit de croiser son regard avant de répondre :

– C’est très gentil de ta part Emma, mais ne te sens pas obligée de m’inviter parce que tu sais que je serais ici sinon.

– Non, ça n’a rien à voir avec ça, l’assura aussitôt Emma. Bon d’accord, peut-être un peu, reprit-elle devant l’air sceptique de Kate. Mais je le fais surtout parce que tu es mon amie et que j’en ai envie.

– Vraiment ?

Emma hocha frénétiquement la tête.

– Alors ? s’enquit-elle, un sourcil haussé.

– Je ne sais pas, je n’ai pas envie de m’imposer…

– Kate, je t’invite, tu ne t’imposes pas, répondit Emma en lui offrant un regard appuyé. Allez, dis oui, s’il te plaît, supplia-t-elle avant d’opter pour son air de chien battu lorsqu’elle vit Kate hésiter.

Kate retint difficilement un rire avant de finalement hocher la tête :

– D’accord. Mais c’est uniquement parce que je ne peux pas résister quand tu me fais cette tête-là.

– C’est bon à savoir, sourit aussitôt Emma, taquine, avant de sauter du lit. Laisse-moi prévenir ma mère.

– Tu m’invites avant de lui demander la permission ? s’étonna Kate.

Emma remua aussitôt une main dans les airs :

– Non, elle est déjà au courant, répondit-elle en s’emparant du téléphone fixé au mur. Enfin, c’est elle-même qui m’a dit que tu étais la bienvenue à la maison quand je lui ai dit qu’on s’entendait bien. J’ai plus qu’à la prévenir que tu as dit oui.

Oh. Kate se contenta de hocher la tête, un air entendu sur le visage. Elle s’apprêtait à regagner son lit lorsqu’elle vit Emma s’interrompre et lui faire de nouveau face, un air d’excuse sur le visage.

– Par contre, on n’est pas croyant alors la messe de minuit le jour de Noël ben… euh…

Kate lâcha un rire :

– C’est pas grave, t’inquiète pas, et je l’avais bien remarqué de toute façon.

– Hein ? s’exclama aussitôt Emma, l’air confus. Comment ça ?

Kate lui offrit aussitôt un air appuyé :

– Emma, je t’en prie, tu fais la grimace à chaque fois qu’on approche de l’église, sans compter les coups de coude que je suis obligée de te donner pour t’indiquer quand on doit se lever ou non.

Emma eut la décence de rougir et elle se frotta maladroitement la joue avant de répondre :

– Ah, oui, c’est vrai. Eh bien, tu pourras toujours la voir à la télé sinon, ça te va ?

– C’est parfait, la rassura aussitôt Kate avant de légèrement pencher la tête sur le côté. Ça t’est difficile, hein ? 

Emma lui offrit aussitôt un air confus :

– Quoi ?

– Le côté religieux de l’établissement.

– Oh. Eh bien, je ne suis pas croyante alors...

– C’est si difficile que ça à supporter ?

Emma soupira :

– Kate... on ne devrait vraiment pas se lancer dans ce genre de conversation.

Kate haussa aussitôt les sourcils :

– Et pourquoi ça ?

– Parce que tu es catholique, et moi agnostique, on va forcément avoir un point de vue différent. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de se lancer là-dedans.

– Et être catholique ne veut pas dire être stupide ou incapable de s’intéresser à une opinion différente de la sienne, répondit aussitôt Kate d’un ton blessé.

Prise de court, Emma resta un instant interdite avant de regagner sa place sur le lit et prendre la main de Kate dans la sienne :

– Kate non, je ne voulais pas dire ça, s’excusa-t-elle sincèrement. C’est juste que…

Elle s’interrompit, puis leva les mains avant de les faire retomber sur ses cuisses. Oh et puis zut, autant se lancer.

– Bon, tu sais ce que je pense ? Je pense que les institutions ecclésiastiques ont pour seul but d’être gardiennes d’un modèle sociétal et d’empêcher toute différence. La religion n’est qu’hypocrisie et la seule chose que ça apporte, c’est de la tristesse, de la peur et du chagrin. C’est ce que Dieu, s’il existe, souhaite pour ceux qui l’aiment ?

Elle secoua la tête :

– Je pense que des concepts qui n'évoluent pas sont des concepts morts, n'apportant rien de positif à l'humanité. Regarde, même en prenant la Bible au sérieux, comment peut-on dire que ces écrits restent toujours valables en 2003 ? Prenons le Lévitique, il date de quand d’ailleurs ? 500, 600 avant J-C ?

Kate qui s’était retrouvée interdite, simplement assise là à écouter son monologue, sortit péniblement de sa torpeur. Bon sang, si je m’étais attendue à ça !

– Euh, oui, c’est ça, balbutia-t-elle enfin. 500 avant J-C, environ.

– Bien, prenons un exemple…

Emma réfléchit un instant avant de lever les yeux vers son bureau :

– Ah, je sais.

Elle se leva et se dirigea vers son ordinateur, un pc portable fourni par La Lumeda à chaque étudiant lors de son entrée dans la pension et, qui possédait des logiciels de pointe ne permettant qu’une utilisation purement scolaire, l’accès à de nombreux sites internet étant interdit et la navigation constamment contrôlée. Big Brother n’est vraiment pas loin, avait-elle pensé lors de sa première utilisation.

Elle laissa ses doigts courir sur le clavier puis hocha la tête d’un air entendu après avoir trouvé ce qu’elle cherchait.

– Voilà, dit-elle en faisant de nouveau face à Kate. "Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable; ils seront punis de mort: leur sang retombera sur eux" (Lv 20:13).

Même si Kate le masqua très vite, Emma la vit néanmoins tiquer sur la citation et elle grimaça intérieurement. L’homosexualité n’était peut-être pas le meilleur exemple à donner

Elle se racla maladroitement la gorge puis continua sur sa lancée :

– Prenons le contexte social, culturel et politique dans lequel le Lévitique est apparu. Il a été façonné par deux évènements. Le premier a été l’exil à Babylone de la haute classe d’Israël ; la royauté, les officiels d’état, les prêtres, les officiers de l’armée, et les artisans. Le second a été la décision prise par le roi Cyrus quelques années plus tard de permettre à ces leaders de retourner dans leur pays. Sa stratégie était de stabiliser son vaste empire en donnant aux peuples conquis une autonomie considérable dans leur vie culturelle propre et leur vie religieuse, tout en les maintenant dépendants politiquement.

– Attends, l’interrompit Kate. Tu as lu la Bible ? Et puis comment est-ce que tu sais tout ça ? demanda-t-elle, incrédule.

Emma lui répondit, le regard malicieux :

– Etre agnostique ne veut pas dire être stupide ou incapable de s’intéresser à une opinion différente de la sienne.

Sa réplique arracha un sourire à Kate et elle poursuivit :

– J’ai lu la Bible, et me suis intéressée à quelques écrits parus autour de ça, expliqua-t-elle avant d’affiche un fier sourire. Sans compter que j’ai une très bonne mémoire.

– D’accord, d’accord, rit Kate. Je t’en prie, continue.

– A leur retour au pays, les chefs israélites ont trouvé des villages détruits, Jérusalem et le Temple largement en ruine et des gens dans la pauvreté. Beaucoup d’étrangers étaient entrés dans le pays et s’étaient mariés avec les israélites qui n’avaient pas été déportés. Ils avaient par conséquent mélangé les coutumes religieuses et sociales.

Elle s’arrêta un instant, son visage prenant un air pensif comme si elle semblait chercher ses mots :

– Les prêtres ont essayé de stabiliser le pays en dessinant des lignes de partage permettant de différencier Israël des populations issues d’autres nations vivant dans le même pays. Cette distinction a été rendue visible par les règles concernant la circoncision, des règles alimentaires, le Shabbat, des interdits à propos de la sexualité et des relations, des sacrifices et des fêtes. L’observation de ces règles identifiait ceux qui étaient à l’intérieur de la communauté de ceux qui étaient à l’extérieur, ceux qui seraient retranchés de la communauté et sous quelles conditions.

« Les chefs israélites ont réoccupé le pays en essayant d’apporter, à travers un code complexe de règles de pureté, une uniformité religieuse à un peuple à présent très divers du point de vue ethnique et religieux. Leur stratégie était à l’image d’une exclusivité religieuse et ethnique, d’une supériorité mâle, d’une supériorité religieuse, de règles économiques protectionnistes et de lois d’héritage restrictives.

De nouveau, elle fit une légère pause durant laquelle elle rejoignit Kate et s’assit en tailleur sur le lit avant de poser un coussin sur ses genoux sur lequel elle s’appuya, bien conscience du regard intéressé de Kate sur elle.

– Le Lévitique a donc été rédigé à cette période, réunissant un ensemble de règles rituelles destinées avant tout aux Lévites et aux prêtres qui étaient chargés de réaliser les sacrifices dans le Temple de Jérusalem. Les versets sur les relations entre hommes sont issus du Code de Pureté car pour pouvoir s'approcher du Saint des Saints, le lieu le plus sacré du Temple, il fallait être pur, être le plus saint possible. L’auteur du Lévitique était donc préoccupé par des questions de pureté, et non des questions « morales » au sens où on l’entend aujourd’hui. La préoccupation de l’auteur était de savoir quels types de sacrifices pouvaient ou non être offerts au Temple, et quelles personnes pouvaient ou non l’approcher.

« Le monde antique supposait que la pureté consistait à garder distinctes les catégories de la création. On croyait que Dieu avait créé les hommes et les femmes avec des rôles sociaux distincts qui étaient innés et inchangeables. Mélanger ces rôles de genre par l’activité de même sexe revenait à créer une situation impure.

« Les hommes de l’antique Israël pouvaient se présenter devant un Dieu qui était saint seulement s’ils étaient purs. Ils ne pouvaient pas être aussi proches de Dieu dans le Temple que l’étaient les prêtres, mais ils pouvaient s’approcher plus près que les femmes. Les femmes ne pouvaient entrer que dans la Cour des Femmes du Temple. Cour qui était elle-même plus proche du Saint des Saints que la cour réservée aux Gentils, mais elle était plus éloignée que la Cour d’Israël qui était réservée aux hommes israélites. En étant ou en « agissant comme » une femme, ces personnes se plaçaient ainsi dans un statut bien inférieur.

« Le Code de Sainteté fournissait donc un ensemble complexe de rites purificatoires, des règlements, et de tabous destinés aux Israélites après l’Exil. Le sens du code était de les aider à être purs et saints. C’est pourquoi les relations entre hommes étaient condamnées, elles portaient atteinte à la survie d'Israël et à la supériorité masculine. Aujourd'hui, c'est plutôt la surpopulation qui nous menace. Et plus personne, ou presque, n'accepte l'assujettissement des femmes.

Elle se tut un moment, secouant légèrement la tête :

– Le problème c’est que beaucoup ont une approche littérale du Lévitique sans se soucier de son contexte historique et donc finissent par approuver un code religieux antique d’une branche conservatrice d’Israël comme s’il nous était applicable. Il est approuvé sans chercher à comprendre le concept de sainteté de ce code, son sexisme, ou son image d’un Dieu séparé et pratiquement inaccessible. 

« Je ne dis pas de tout rejeter, c’est après tout dans le Lévitique que l’on trouve « aime ton prochain comme toi-même ». Mais adapter les choses à la société actuelle ne serait-il pas plus judicieux ? Le Lévitique réuni d'anciennes coutumes sacrificielles et rites de purification ne concernant que l'Israël antique et une partie du judaïsme contemporain. Je ne vois pas en quoi ça peut aider à déterminer ce qui est éthique aujourd’hui. C’est juste… qu’il y a bien trop de chose que je ne comprends pas dans la religion et que j’ai beaucoup de mal à accepter, ajouta-t-elle finalement en offrant un sourire penaud à sa colocataire.

Kate qui l’avait jusque-là consciencieusement écouté se racla légèrement la gorge, le regard fixé sur ses mains qu’elle avait croisé devant elle :

– L’Église catholique ne condamne pas l'homosexualité en tant que tel car elle sait que ce n'est pas un choix volontaire de la personne, mais un état de fait. Elle distingue donc les tendances homosexuelles, qui sont involontaires et ne justifient ni mépris ni condamnation des personnes, des actes homosexuels qui sont eux jugés désordonnés car contraires à la loi de différenciation entre l'homme et la femme. Alors… elle les invite à la chasteté.

Il y eut un léger silence avant qu’Emma ne réponde.

– Tu sais, je pense que lorsque deux personnes s’aiment, et s’il y a bien existence d’une force divine, cette dernière se moque bien de qui elles sont et ce à quoi elles ressemblent et les laisse vivre leur vie sans jugement.

 Ses paroles pénétrèrent son esprit et Kate ferma les yeux un instant, laissant les larmes, qui avaient petit à petit brouillé sa vue, couler le long de ses joues. Une boule d’émotion lui serrait la gorge et elle avait l’impression de ressentir une vague de chaleur s'installer sur elle et prendre possession de tout son corps. Elle rouvrit finalement les paupières et se leva pour serrer Emma fort dans ses bras avant de l’embrasser sur la joue.

– Merci, murmura-t-elle sincèrement, avant de se redresser et partir vers le séjour.

Interdite, Emma resta bêtement assise à la regarder s’éloigner avant de se redresser à son tour et la rattraper par le bras.

– Kate, attends ! Tu, hum, ça va ?

Kate hocha aussitôt la tête.

– Mieux que tu ne le croies, répondit-elle en exerçant une douce pression sur la main d’Emma avant de rejoindre le séjour.

Emma resta plantée là, debout au milieu de la pièce, et totalement abasourdie par le comportement de Kate. Il vient de se passer quoi là exactement ? Elle observa Kate prendre place sur le canapé, visiblement en paix avec elle-même, et Emma décida de se repasser leur conversation en détail un peu plus tard afin de comprendre ce qu’il venait de se passer exactement.

Regagnant la chambre, elle s’empara de nouveau du combiné et composa le numéro, un sourire inconscient se frayant un chemin sur ses lèvres tandis qu’elle attendait que sa mère décroche.

Ce que Kate ne savait pas, c’était qu’elle avait un plan bien spécifique en tête pour les vacances. Et une chose était sûre, sa colocataire n’allait pas être déçue.

1 septembre 2011

Chapitre 8

Mercredi 05 Novembre 2003.

Kate finissait tout juste la crinière de son cheval en trois dimensions lorsque la sonnerie retentit, et elle s’empressa de récupérer ses affaires avant de suivre tout le monde vers la sortie. S’il y avait bien une chose pour laquelle elle était reconnaissante, c’était son talent pour le dessin. Un intérêt que ses parents n’avaient jamais compris, et lui avaient interdit d’envisager comme études, mais qui lui était bien utile quand elle s’ennuyait. Comme dans ce cours où je ne comprends rien, soupira-t-elle, néanmoins soulagée qu’il soit enfin arrivé à sa fin.

Pressée d’être le plus loin possible, elle accélérait tout juste le pas afin de passer la porte lorsqu’une voix grave résonna derrière elle :

– Mademoiselle De Lonay ?

Merde, Kate jura intérieurement et plaqua aussitôt un faux sourire sur ses lèvres avant de lui faire face, un sourcil haussé en signe d’interrogation :

– Mr Granger ?

Nonchalamment assis sur le rebord de son bureau, les mains croisées sur un livre qui reposait sur ses cuisses, l’homme lui fit signe du doigt de bien vouloir s’approcher, et attendit patiemment que Kate ait obtempéré avant de demander :

– Vous pourriez me rappeler le sujet du cours, s’il vous plaît ?

– Le sujet du cours ? répéta Kate, grimaçant intérieurement. Euh, bien sûr, c’était… hmm…

Un léger coup d’œil sur la droite, vers le tableau qui portait encore les traces de l’heure écoulée, lui donna aussitôt la réponse et elle récita consciencieusement :

– L’étude d’un extrait de « The Ballad of the Sad Café » de Carson McCullers. Eh, Dieu est peut-être une femme finalement, rit-elle intérieurement.

Son enseignant eut un sourire ironique.

– Vous vous croyez maline, n’est-ce pas, mademoiselle De Lonay ? répondit-il en penchant légèrement la tête sur le côté. Vos notes sont en chute libre depuis le début de l’année, vous pouvez m’expliquer ça ?

Kate se sentit aussitôt grimacer. J’aime pas l’Anglais ? J’aime pas votre façon de l’enseigner ? Erf, je ne peux pas répondre ça. Bon ben…

– J’ai accumulé beaucoup de lacunes au fil des années alors forcément... ça finit par se faire ressentir.

– Oh vraiment ? répondit l’enseignant, le ton de sa voix démontrant clairement qu’il n’y croyait pas du tout. Vous ne pensez pas plutôt que ça a quelque chose à voir avec votre manie de rêvasser pendant les cours ?  

Kate se contenta de le fixer en silence. Elle pourrait bien sûr dire qu’elle ne rêvassait pas mais qu’elle dessinait. Seulement, elle doutait fortement que ce genre de propos n’arrange ses affaires.

– Bon, je vais en discuter avec mes collègues et on verra ce qu’on peut faire pour vous, reprit l’enseignant en lui donnant un léger coup de livre sur l’épaule.

Kate ne put s’empêcher de tressaillir intérieurement. Beuh ça sent les cours de soutien ça.

– Allez filez, je vous ai assez vu pour aujourd’hui.

– Moi aussi, marmonna Kate entre ses dents avant d’ajouter, plus haut : Au revoir.

Elle eut à peine passé le pas de la porte que l’enseignant l’interpella cependant à nouveau :

– Oh une dernière chose.

Bon sang, il le fait exprès ou quoi ? Kate lui fit de nouveau face, un sourcil haussé.

– Oui ?

Il désigna son haut du menton.

– Très intéressant, votre t-shirt.

Kate l’étudia un instant avant de laisser un léger sourire apparaître sur ses lèvres lorsqu’elle aperçut son regard vert légèrement brillant.

– Merci.

– Mais de rien, je suis ravi de voir que la langue de Shakespeare ne vous est pas totalement étrangère finalement, ironisa l’enseignant avant de reprendre plus sérieusement. Estimez-vous heureuse d’avoir une attitude irréprochable et de bons résultats dans les autres matières, car avec vos résultats en anglais, j’aurais pu avoir un comportement beaucoup moins clément.

Kate se contenta de hocher la tête d’un air entendu avant de s’éloigner le long du couloir, jetant aussitôt un œil satisfait à son t-shirt. De couleur blanche, légèrement décolleté, il portait l’inscription rouge sang « My best subjects » suivit d’une liste de matières scolaires dont une seule était entourée : « Play truant ».

Rien que pour ça, il faisait partie de ses préférés.

Kate poussa finalement la lourde porte en métal avant de pénétrer dans la cour extérieure, et elle grimaça aussitôt lorsqu’elle réalisa, trop tard, qu’il pleuvait à torrent. Resserrant sa veste autour d’elle, elle traversa la cour aussi vite que possible, le tout en essayant d’éviter les flaques d’eau, puis monta les marches deux par deux afin de se mettre à l’abri dans le hall du bâtiment des dortoirs.

Des bribes de musiques et de conversations lui parvinrent et elle arrangea tant bien que mal ses cheveux avant de pénétrer dans le foyer, jetant aussitôt un œil alentour. Nonchalamment appuyée contre la fenêtre à l’autre bout de la pièce, Kate ne mit pas bien longtemps à la repérer, et elle conclut aussitôt qu’elle avait très certainement choisi d’occuper cette place-là afin de pouvoir observer toute la salle sans difficultés.

Elle s’empara d’un jeu de carte avant de venir s’assoir en face d’elle :

– Hé comment va ma BFF en cette journée merveilleusement ensoleillée ? taquina aussitôt Eva en tendant une main afin d’écarter une mèche rebelle du visage de Kate.

– Merci, répondit aussitôt Kate avant de grimacer. Et justement, je sors tout juste du cours d’anglais où je viens de me faire magistralement remonter les bretelles.

La jeune surveillante haussa les sourcils avant de poser ses avant-bras sur la table et plisser les yeux :

– Raconte. Qu’est-ce Mister Power Ranger Orange a fait à ma petite protégée ?

– Orange ? ricana aussitôt Kate. Pourquoi orange ?

Eva haussa les épaules :

– Il a les cheveux roux. Alors ?

Kate secoua la tête, amusée avant de soupirer :

– Mes résultats sont catastrophiques en anglais, je crois qu’il va m’obliger à suivre des cours de soutien.

– Ah, répondit Eva, avant de s’emparer du jeu de cartes que Kate tenait toujours entre ses mains. Qu’est-ce que tu comptes faire si c’est ça ? Accepter ou faire comme l’an dernier et leur dire d’aller se faire voir ?

Kate eut la décence de rougir légèrement :

– Bataille ? demanda-t-elle lorsqu’Eva déposa un tas de cartes devant elle, avant d’ajouter lorsqu’elle acquiesça : je sais pas, Emma a déjà proposé de m’aider alors...

– Ah ouais ? s’étonna aussitôt Eva avant de sourire. C’est une bonne nouvelle ça, elle cartonne pas mal en anglais.

– Elle cartonne partout, corrigea Kate, déposant une première carte sur la table. Sauf en maths, mais j’ai proposé de l’aider moi aussi.

Eva hocha la tête d’un air appréciateur :

– C’est bien ça, je suis contente que vous vous entendiez bien comme ça toutes les deux.

– Moi aussi, acquiesça Kate, avant d’hésiter. Et justement, en parlant de ça... j’aurais besoin de ton aide.

Eva leva aussitôt les yeux vers elle avant de sourire légèrement :

– Je me disais bien qu’il y avait quelque chose, je viens de te piquer deux rois et t’as toujours pas fait la moue.

– Je fais pas la moue ! protesta aussitôt Kate avant de tirer la langue lorsqu’Eva lui offrit aussitôt un regard appuyé. Merde.

– Bon, alors explique-moi, reprit plus sérieusement Eva. Tu as des ennuis ?

Kate secoua négativement la tête :

– Pas moi.

– Emma ? s’alarma aussitôt Eva.  

– En quelque sorte, admit Kate. Je t’avais dit au début de l’année que Cassie avait eu des remarques déplacées envers elle, tu te souviens ?

Eva hocha positivement la tête et elle poursuivit :

– Eh bien, elle a recommencé, des paroles blessantes, encore. Je suis allée la voir mais…

– Tu as peur qu’elle recommence.

– Oui.

– Et tu viens me voir pour savoir si je ne pourrais pas faire quelque chose.

– Oui.

La jeune surveillante soupira :

– Crois-moi Kate, j’aimerai bien, mais ça va être difficile. Même si je demandais aux autres surveillants de garder un œil sur elle, il est difficile de déterminer le genre de conversation que les jeunes peuvent avoir au beau milieu d’un couloir. Elle pourrait déposer une plainte mais honnêtement…

– Oui ?

– Avec son profil, et je suis désolée de le dire, mais elle ne sera pas prise au sérieux. Sans compter que Cassie est une élève exemplaire qui s’investit dans la vie de l’établissement.

Kate serra des dents avant de demander :

– Bon, et si j’appuyais sa plainte ? J’étais présente, après tout.

– Elle n’aurait rien de plus qu’un avertissement. Je suis désolée, Kate.

Kate hocha légèrement la tête :

– C’est rien, je m’en doutais. Mais merci quand même.

Le jeu reprit entre elles mais au vu du silence qui s’éternisait et de la façon dont Kate se mordillait nerveusement l’ongle du pouce, Eva devina qu’il y avait plus, et que ce quelque chose tracassait grandement la jeune adolescente.

– Bon, et si tu crachais le morceau avant que ton pouce ne finisse par disparaître ? demanda-t-elle, un léger sourire sur ses lèvres.

Kate l'observa quelques secondes, indécise, avant de laisser son regard retomber sur ses cartes qu’elle tournait entre ses mains et Eva haussa les sourcils de surprise. Ce genre de comportement ne ressemblait pas, mais alors pas du tout à la Kate qu’elle connaissait, et elle passa les cinq minutes suivantes à chercher de quoi il pouvait bien s’agir avant de soudainement relever la tête.

– Laisse-moi deviner, commença-t-elle d’un ton prudent. Emma n’a aucune idée de ce qui te lie à Cassie, c’est ça ?

Kate lui jeta un rapide coup d’œil avant de hocher la tête. 

– Et tu as peur de sa réaction quand elle l’apprendra.

Un nouveau hochement de tête lui répondit et Eva tendit une main afin de la poser sur le bras de Kate, un air empli de compassion se dessinant sur ses traits :

– Qu’est-ce que tu comptes faire ?

– Je sais pas. J’ose même pas imaginer sa réaction, Cassie est la fille qu’elle déteste le plus au monde !

– Tu ne peux pas décider pour elle de la réaction qu’elle aura, Kate, tempéra calmement Eva. De quoi as-tu peur ?

Il y eut un long silence avant que la réponse n’arrive.

– Qu’elle fasse comme mes parents, murmura Kate.

– Tes parents sont des imbéciles, coupa Eva d’un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu.

Elle poursuivit, le ton plus doux.

– Ecoute-moi Kate, Emma n’est pas tes parents, et pour le peu que j’en ai vu, c’est une jeune femme intelligente. Et je ne parle pas de ses résultats scolaires, précisa-t-elle dans un léger sourire. Tu penses sincèrement qu’elle aurait la même réaction ?

– Je… je crois pas, hésita Kate avant de relever un regard perdu vers elle. J’espère pas.

Eva soupira. De toutes les personnes présentes à La Lumeda, elle était la seule – en dehors de Madame L’Impératrice et de Cassie – à connaître la véritable raison de la présence de Kate au sein de l’établissement et elle était également la seule auprès de qui elle se confiait. La Kate qui apparaissait désormais devant elle faisait montre d’une vulnérabilité déchirante qu’Eva n’avait pas vue depuis bien longtemps. D’un côté, et même si cela était complètement paradoxal, elle en était contente car cela montrait que Kate s’était enfin liée d’amitié avec quelqu’un, elle qui avait toujours été seule depuis son arrivée à La Lumeda. Mais d’un autre côté, cela prouvait également qu’elle avait été profondément marquée par le comportement de ses parents à son égard, et que malgré le temps qui passait, la plaie avait visiblement beaucoup du mal à cicatriser.

Eva ne connaissait pas ses parents, mais elle les détestait sérieusement pour ça.

– J’ai jamais eu de vrais amis tu sais, reprit Kate, le regard lointain. Enfin, disons qu’on les choisissait pour moi. Emma… Emma m’apprécie pour qui je suis réellement, pas parce que je suis la fille du célèbre Charles De Lonay.

Elle fit une pause avant d’ajouter :

– J’ai pas envie de perdre ça.

Eva jeta un œil alentour avant de prendre discrètement la main de Kate dans la sienne et la serrer légèrement :

– Je suis sincèrement contente d’entendre ça tu sais, il était temps que tu trouves quelqu’un qui compte vraiment.

– Tu comptes aussi –

– Je sais, sourit aussitôt Eva. Mais Kate, ma belle, fais lui un peu confiance tu veux ?

Kate hésita avant de hocher légèrement la tête :

– J’ai envie de lui faire confiance, mais... c’est pas toujours évident, tu sais ?

– « Dupe-moi une fois, honte à toi. Dupe-moi deux fois, honte à moi. » hein ? sourit Eva. Je sais bien ma belle, quand on a été blessé comme tu as pu l’être, c’est pas évident d’accorder sa confiance à nouveau.

Kate serra la main d’Eva à son tour, rassurée de voir qu’elle comprenait, avant de récupérer ses cartes et reprendre la partie.

– Il y a autre chose, poursuivit-elle après avoir déposé un quatre de cœur qu’Eva lui vola aussitôt.

– Ah ?

– Hmm. Il y a eu des fuites auprès des surveillants, Cassie a eu accès à des informations qu’elle n’aurait jamais dû savoir.

Eva releva aussitôt les yeux vers elle, les sourcils haussés :

– Concernant Emma je présume ?

– Oui.

La jeune surveillante réfléchit un instant avant de reporter son attention sur Kate :

– J’ai ma petite idée sur qui aurait pu vendre la mèche, je m’en occupe.

– Merci, t’es géniale Eva, répondit aussitôt Kate en exerçant une légère pression sur son bras. Bon, maintenant que je t’ai dit tout ce que j’avais à te dire, que dirais-tu d’une véritable partie maintenant ? demanda-t-elle en désignant le jeu de carte. Poisson ?

– Et comment, mademoiselle la buissonnière, répondit aussitôt Eva, les yeux brillants.

Kate lâcha un léger rire avant de redistribuer les cartes.

Parfois, il n’y avait rien de mieux que de passer un bon moment en compagnie d’une très bonne amie, aussi fofolle soit-elle.

1 septembre 2011

Chapitre 7

Mardi 04 Novembre 2003.

– Hmm oh, et qu’est-ce que tu penses de celle-là : « Quelle est la capitale de la Lituanie ? »

– Vilnius.

Kate soupira. Novembre venant tout juste d’arriver et les températures baissant de plus en plus, elles avaient trouvé refuge dans l’un des longs couloirs chauffés du troisième étage afin d’attendre patiemment que la sonnerie retentisse afin qu’elles puissent retourner en cours. Et pour passer le temps, elles avaient choisi de se lancer dans un quiz mêlant plusieurs catégories de culture générale. Seulement, au grand malheur de Kate, Emma ne cessait de répondre du tac au tac et jusqu’à présent, elle avait fait un sans-faute.

– Bon d’accord, elle était facile, concéda Kate. Mais qu’est-ce tu dis de celle-ci : « Combien de faces un icosaèdre possède-t-il ? »

– Vingt.

Kate tourna aussitôt la tête dans sa direction, incrédule :

– Je croyais que tu étais nulle en maths !

Emma ne put s’empêcher de rire.

– Bien sûr que je suis nulle en maths, concéda-t-elle. Mais je connais tout de même mes cours. C’est juste que, je sais pas, les chiffres n’ont jamais eu aucune logique pour moi. Suivante ?

Kate l’observa, sceptique, avant de reporter son attention sur le livre :

– Comment s’appelle aujourd’hui l’ancienne mer Erythrée ?

– La Mer rouge.

– L’autre nom du Pic Uhuru ?

– Le Kilimandjaro.

– Néron a succédé à ?

– Claude.

– Quel mammifère chicote ?

– La souris.

– Combien de joueur au cricket ?

– Onze.

Kate referma le livre dans un bruit sourd avant de poser sa tête contre le mur et soupirer.

– J’abandonne. Pas une seule mauvaise réponse.

Elle se passa une main sur le visage avant de tourner la tête en direction d’Emma et plisser les yeux :

– Avoue, t’as appris l’encyclopédie par cœur, accusa-t-elle.

– Non, rit Emma. Je lis beaucoup et j’ai une bonne mémoire, c’est tout. C’est quoi ce bouquin d’ailleurs ?

– « Trivial Pursuit en 365 jours pour tester sa culture générale. »

– Comment ça se fait que tu aies ça ? demanda Emma en s’emparant du livre et en feuilletant quelques pages.

Kate haussa les épaules.

– J’en avais marre de perdre, répondit-elle en faisant la moue, ce qui fit sourire Emma. Alors je me suis dit que ça allait m’être utile. Sauf que j’ai baissé les bras dès la seconde page.

– Hmm, tu retiens mieux quand il y a un contexte en général. Là, ce ne sont que des données, c’est pas évident.

– Tu as surement raison. J’ai tout de même appris qu’il y avait des oiseaux qui volaient en reculant, dingue hein ?

– Ouaip, le colibri.

Kate laissa sa tête retomber entre ses mains tandis qu’un grognement échappait ses lèvres, et Emma lui tapota l’épaule avec compassion, un sourire amusé sur le visage. Ce n’était pas qu’elle prenait un malin plaisir à battre Kate à plate couture, même si gagner avait évidemment quelque chose d’assez plaisant, elle n’allait pas le nier, mais elle trouvait la moue que Kate produisait à chaque défaite terriblement adorable ; un air renfrogné qui se traduisait par sa lèvre inférieure qui ressortait légèrement et ses sourcils qui se fronçaient et Emma ne pouvait s’empêcher de vouloir la revoir encore et encore

La sonnerie retentit au-dessus d’elles et Kate récupéra aussitôt son livre afin de le ranger dans son sac.

– Tu as quoi ? demanda-t-elle tandis qu’elle se redressait et frottait son manteau.

– Rien, répondit Emma en se levant à son tour. Je vais surement aller en permanence, j’ai une dissertation à faire sur le Marxisme pour le cours d’éco. Toi ?

– Cours d’Histoire à la bibliothèque ou comment devenir incollable en matière de bibliographie pour nos futurs devoirs à rendre, répondit Kate, sarcastique. Je te vois tout à l’heure à l’appartement ?

Emma hocha la tête puis l’observa s’éloigner le long du couloir avant de faire demi-tour et prendre la direction opposée. Le sujet de sa dissertation lui revint soudainement en mémoire et elle hésita un instant avant de finalement revenir sur ses pas et suivre Kate, elle allait avoir besoin d’emprunter quelques livres pour approfondir ses recherches et trouver des exemples concrets à intégrer à son travail après tout.

Elle aperçut aussitôt Kate devant elle au bout du couloir, et elle s’apprêtait à l’appeler pour lui demander de l’attendre lorsqu’elle fut soudainement poussée contre les casiers puis violemment empoignée par le col de son manteau.

– Mélanie arrête, t’es complètement malade ! siffla soudainement une voix sur sa gauche. Je t’ai dit de l’arrêter, pas de la fracasser contre le mur !

Emma sentit la pression contre son cou se relâcher et elle se redressa péniblement avant de tourner la tête vers la personne qui venait de parler, reconnaissant aussitôt de qui il s’agissait au regard bleu azur qui s’arrêta aussitôt sur elle.

Une main l’empoigna au niveau du menton avant de légèrement tourner son visage sur la gauche puis sur la droite.

– Bon, elle n’a pas l’air endommagée, remarqua Cassie, avant de hausser les épaules. Rien qui soit visible en tout cas, et c’est tout ce qui nous importe, sourit-elle finalement.

Emma se dégagea de son emprise en un geste brusque avant de récupérer son sac et le glisser à nouveau sur son épaule :

– Je peux savoir ce que tu veux ? lâcha-t-elle enfin, son regard s’arrêtant sur chaque personne qui passait dans l’espoir que le prochain soit un surveillant ou un prof. 

– Ce que je veux ? répéta Cassie avant de prendre un air pensif, son avant-bras venant trouver appui sur l’épaule d’Emma. Hmm pas grand-chose, juste envie de passer du bon temps avec une veille copine, tout ça.

Elle jeta un rapide coup d’œil autour d’elle avant d’ajouter :

– D’ailleurs, ça me fait penser, Julia me racontait à l’instant qu’elle avait lu un article très intéressant dans le journal ce matin. Figure-toi qu’un incendie destructeur a éclaté dans une grande surface d’une ville voisine. Les pompiers sont rapidement intervenus mais il y a malheureusement eu un mort, un homme qui laisse derrière lui deux enfants en bas âges.

Elle s’interrompit, feignant un air triste :

– Les pauvres, tu t’imagines ce que ça doit être de vivre sans son papa chéri ? demanda-t-elle en portant une main sur son cœur avant de sourire. Oh mais suis-je bête, tu dois bien en avoir une petite idée… non ?

Les yeux d’Emma s'assombrirent aussitôt et elle serra les dents avec une telle force que pendant un instant, elle fut presque sûre qu’elles allaient se mettre à grincer.

– Alors dis-moi, que s’est-il passé ? Ta chère maman n’a pas su le garder ? Ou peut-être qu’il a trouvé mieux ailleurs ? Ou alors…

– La ferme.

Le ton sec poussa aussitôt Cassie à hausser les sourcils et elle sentit un sourire ravi s’étirer sur ses lèvres lorsqu’elle remarqua la colère qui émanait d’Emma par vagues ainsi que ses yeux qui s’humidifiaient.

– Mais c’est qu’elle a du caractère, s’exclama-t-elle d’un air appréciateur. Par contre, tu m’excuseras, mais je ne crois pas avoir bien entendu ce que tu viens de dire… Répète nous un peu ça, Emma ? provoqua-t-elle.

La scène lui donna une étrange impression de déjà vu et Emma la regarda droit dans les yeux avant de prononcer, les dents serrées :

– J’ai dit : la ferme.

Elle n’attendit pas de réponse et la bouscula violemment avant de se précipiter vers les toilettes les plus proches. Elle pouvait sentir les larmes lui monter aux yeux, et elle fit tout son possible pour qu’elles ne coulent pas avant qu’elle soit enfermée dans une cabine, en sécurité et à l’abri des regards.

– Laisse, coupa Cassie lorsque Mélanie voulut partir à sa suite. Je crois que j’ai touché un point sensible, ça devrait l’occuper pour le restant de la journée, rit-elle légèrement avant de leur faire signe d’avancer afin qu’elles rejoignent leur prochain cours.

Un rapide coup d’œil au bout du couloir lui aurait appris qu’un regard noisette, légèrement assombrit par la colère, avait observé toute la scène et peut-être alors n’aurait-elle pas pris les choses avec autant de légèreté.

Peut-être.

💕

De toute la propriété, la bibliothèque était très certainement l’édifice possédant la plus grande superficie. Très ancienne, sa construction remontait au début du XVème siècle, et elle tirait elle aussi son inspiration de la Renaissance Italienne. D’immenses fenêtres permettaient d’inonder l’endroit de lumière naturelle, et chacune d’entre elles était séparée par de magnifiques tapisseries qui recouvraient les murs ici et là. Les chaises et tables étaient quant à elles composées d’un bois méticuleusement sculpté et le tout baignait dans une douce odeur de bois ciré et de cuir qui embaumait l’air.

Kate avançait d’un pas tranquille à travers les rayonnages, ses doigts effleurant les diverses rangées de livres tandis que son regard lui restait fixé sur la table autour de laquelle elle ne cessait de tourner. Une bonne demi-heure s’était déjà écoulée et alors qu’elle commençait à se faire à l’idée qu’elle ne pourrait pas mettre son plan à exécution, Julia se leva enfin pour rejoindre sa sœur dans ses recherches.

Un rapide coup d’œil alentour lui apprit que l’enseignant n’était pas dans les parages lui non plus et elle sortit de sa cachette afin de venir prendre place sur la chaise désormais libre.

Apercevant du mouvement du coin de l’œil, Cassie délaissa les différents ouvrages étalés devant elle pour poser son regard sur la personne qui venait de s’assoir devant elle et un sourire se dessina aussitôt sur ses lèvres. 

– Kate. Pour une surprise, c’est une surprise. La dernière fois que tu es venue me voir remonte à bien longtemps.

Kate se pencha légèrement vers l’avant afin de prendre appui sur ses avant-bras, et elle prononça d’une voix à peine plus haute qu’un murmure :

– Intéressant ton petit manège dans le couloir tout à l’heure.

Sa réplique lui valut un haussement de sourcils avant de laisser place à un sourire satisfait :

– Ah. Je ne savais pas que l’on avait une spectatrice. Ça t’a plu j’espère ?

Kate la dévisagea un instant avant de poser ses mains sur la table et se pencher un peu plus vers elle, le visage dénué de toute trace d'émotion. Elle attendit que Cassie imite ses gestes avant de répondre :

– Je sais à quoi tu joues, Cassie, et ce que tu cherches, murmura-t-elle. Mais ça ne marchera pas. Tu as tout gâché, tu te souviens ?

Pendant un instant, les traits de son visage laissèrent place à quelque chose de différent. Un air que Kate ne lui avait pas vu depuis longtemps, très longtemps. A tel point qu’elle en fut légèrement déstabilisée. Mais la seconde d’après, le masque était de nouveau présent, froid, imperturbable et elle pencha légèrement la tête sur le côté avant d’ajouter : 

– Reste loin d’elle, Cassie. Compris ?

– Sinon quoi ? rétorqua aussitôt Cassie, venimeuse. Tu comptes me dénoncer pour… harcèlement ? Personne ne te croira.

Kate esquissa un sourire.

– Oh non, j’ai mieux que ça. Tu sembles oublier, paradoxalement d’ailleurs, que je connais ton petit secret. Ce serait dommage qu’il soit… révélé, tu ne crois pas ? Je vois déjà ce que ça donnerait d’ici, parce que ce serait bien évidemment avec preuves à l’appui, tu sais bien que je ne fais jamais les choses à moitié.

Cassie sentit le sang quitter son visage et elle regarda rapidement autour d’elle avant de murmurer :

– Tu ne ferais pas ça.

– Oh, tu crois ? rétorqua aussitôt Kate, un sourcil haussé. Tu veux parier ?

– Si tu le dis, ils sauront pour toi aussi.

Kate haussa les épaules.

– Ça m’est égal.

– Tu plaisantes ? s’exclama aussitôt Cassie, incrédule. Tu pourrais perdre beaucoup si ça venait à s’apprendre !

– Oh je t’en prie Cassie ! soupira Kate. Perdre quoi ? Je n’attends plus rien de ce milieu. 

Une main douce et chaude se posa sur la sienne et des images lui revinrent malgré elle en mémoire, des souvenirs d’une époque à laquelle elle s’était promis de ne jamais repenser et elle essaya tant bien que mal de les repousser.

– Tes parents ont des projets pour toi Kate, tu as un avenir tout tracé. Seulement, à vouloir le beurre et l’argent du beurre, tu perdras forcément l’un des deux. Réfléchis bien à ce que tu fais.

Kate resta un instant silencieuse avant de murmurer :

– Marrant, fut un temps, tu désirais la même chose que moi, dit-elle en secouant légèrement la tête. Mais comme tous les autres, tu t’es laissé avoir par l’argent et l’apparence.

Elle eut un rire désabusé avant de murmurer à nouveau, le ton sérieux :

– Je n’ai pas perdu l’un, je l’ai délibérément délaissé et je ne le regrette pas.

Cassie secoua la tête :

– Mon Dieu Kate, tu t’entends ? Cette garce t’a monté la tête ou quoi ?

Kate s’empara brusquement de la main qui recouvrait la sienne et la serra jusqu’à ce que Cassie se mette à grimacer :

– Laisse Emma en dehors de ça, et en ce qui concerne mes choix, je dirais plutôt que c’est toi qui m’as ouvert les yeux. C’est bien là la seule et unique chose pour laquelle je peux te dire merci.

S’approchant encore un peu, sa voix descendit pour n’être plus qu’un grondement :

– Reste loin d’elle Cassie. Ou sinon… je pense t’avoir donné une bonne idée de ce que tu risques, hum ? 

Cassie haussa un sourcil, imperturbable :

– Chantage. Tu vois, tu as beau prétendre le contraire, tu n’es pas si différente que nous.

Kate n’eut pas le temps de répondre qu’un bruit résonnant dans toute la bibliothèque les fit légèrement sursauter et elle tourna la tête pour voir Emma qui les observait, des livres à ses pieds, et un air d’incompréhension sur le visage. Elle secoua finalement la tête avant de les ramasser en vitesse puis partir sans le moindre regard en arrière.

– Et merde ! pesta Kate avant d’écarter sa chaise et partir à sa suite, ignorant le rire de Cassie qui se délectait visiblement de la situation.

💕

Elle venait tout juste de lever le nez du livre qu’elle avait sélectionné dans le rayon lorsqu’elle avait vu sa colocataire en compagnie de celle-là même qui avait décidé, pour une raison qu’elle ignorait, de faire d’elle son souffre-douleur. Elles étaient assises l’une en face de l’autre et leur position, étonnamment proche, avait tout de suite retenu son attention. Sa gorge s’était serrée devant cette connivence qu’elles dégageaient et elle s’était tout de suite sentie mal à l’aise. Puis Kate avait croisé son regard et elle était partie en courant sans un regard en arrière.

Le chemin du retour était passé dans un flash et maintenant qu’elle se trouvait à l’appartement, Emma le regretta aussitôt. L’endroit respirait Kate, de ses affaires qui trainaient sur la table basse, aux post-it multicolores qui parsemaient la porte du frigo, et pour une raison qu’elle ne sut s’expliquer, ces petits détails l’énervèrent plus encore.

Irritée, elle se laissa retomber sur le canapé et replia ses jambes sous elle avant de zapper dans l’espoir de trouver un programme qui l’aiderait à extérioriser cette tension qui l’habitait. L’ongle de son pouce vint trouver refuge entre ses dents, et elle s’apprêtait à abandonner l’idée lorsque la porte de l’appartement s’ouvrit et Kate pénétra à l’intérieur, légèrement essoufflée.

Emma tourna la tête dans sa direction et l’observa un moment avant de reporter son attention sur l’écran :

– Je croyais que tu avais cours, remarqua-t-elle, le ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu.

Kate haussa les sourcils, surprise par le ton employé, et elle hésita un instant avant de venir prendre place à ses côtés sur le canapé :

– Je voulais m’assurer que tu allais bien, t’es partie assez rapidement alors...  

– Et la réponse t’intéresse, ou tu me le demandes par simple politesse ?

Kate la dévisagea, incrédule :

– Bien sûr que ça m’intéresse. C’est quoi cette question ?

Emma garda le silence, le regard fixé sur l’émission culinaire qui passait à l’écran. En réalité, l’arrivée de Kate n’avait fait qu’attiser la colère qui l’habitait et elle luttait contre l’envie qu’elle avait de lui dire d’aller se faire voir et de la laisser tranquille. Pourtant, elle savait que son attitude n’était pas juste, que Kate ne méritait pas qu’elle passe ses nerfs sur elle, mais elle n’arrivait pas à s’en empêcher.

Ce qu’elle avait surpris l’avait blessé, et ce qui l’énervait encore plus, c’est qu’elle ne savait pas pourquoi exactement.

Voyant qu’elle n’obtiendrait pas de réponse, Kate poursuivit :

– Ecoute, ce que tu as vu... c’est pas ce que tu crois.

– Pourquoi est-ce que tu la fréquentes ? l’interrompit soudainement Emma, le regard toujours fixé sur l’écran. Je croyais que tu la détestais.

– Je la fréquente pas, et tu le sais.

Sa réponse lui valut aussitôt un regard dubitatif.

– D’accord, laisse-moi reformuler ça alors, reprit Emma, sarcastique. Pourquoi est-ce qu’un jour, tu menaces de la gifler, pour la prendre littéralement dans tes bras le lendemain ?

– Je ne l’ai pas –

– Je sais ce que j’ai vu à la Bibliothèque, Kate.

Kate serra des dents et quand aucune réponse ne vint, Emma explosa :

– Tu sais quoi ? J’arrive pas à comprendre ce que tu peux foutre avec une nana aussi superficielle, vaine et égocentrique, qui ne pense qu’à son image et n’agit qu’en fonction de son profit ! Je pensais vraiment que tu valais beaucoup mieux que ça.

Kate croisa les bras sous sa poitrine avant de lui répondre d’une voix incroyablement calme. Le plus calme qu’elle réussit à produire, du moins car son instinct premier était de lui répondre à son tour, d’un ton pas spécialement amical, mais elle savait que cette réaction ne les mènerait nulle part mis à part envenimer les choses.

– Tu as terminé ?

Emma se renfonça dans le canapé, le regard de nouveau fixé sur l’écran, avant de répondre :

– Oui.

– Bien. Alors comme je l’ai déjà dit, je ne la fréquente pas. Et si je suis allée la voir, c’était certainement pas pour la serrer dans mes bras, mais pour lui dire de te laisser tranquille.

Les mots lui parvinrent et Emma se figea un instant avant de détacher son regard de l’écran pour le poser sur Kate, et elle remarqua aussitôt qu’elle était sérieuse vu l’air qui habitait son visage.

Un voile de culpabilité s’abattit sur elle et elle réalisa soudainement qu’elle s’était sentie trahie de voir Kate aussi proche de Cassie quand cette dernière ne cessait de faire de sa vie un enfer. Et si elle était totalement honnête avec elle-même, elle admettrait qu’elle se sentait également en danger. Dans sa ville… dans sa ville, elle n’avait plus personne et elle prit subitement conscience que sa plus grande peur était de perdre la seule amie qu’elle était parvenue à se faire ici, de perdre ce lien qui les liait l’une à l’autre. Un lien bien trop rare dans sa vie et qu’elle chérissait énormément. 

Seulement, elle n’avait aucun droit sur Kate, et elle sentit aussitôt le rouge lui monter aux joues quand elle repensa à la façon dont elle venait de la traiter.

– Mais pourquoi ? demanda-t-elle finalement, gênée.

Kate haussa les épaules.

– Tu es ma colocataire. Tu es mon amie. Ce sont des raisons suffisantes, non ?

Emma reposa aussitôt la télécommande qu’elle tenait entre ses mains avant de venir la prendre dans ses bras et la serrer fort contre elle. Elle sentit Kate la serrer en retour et elle déposa un baiser sur sa joue avant de se reculer, prenant ses mains dans les siennes :

– Je suis vraiment, vraiment désolée d’avoir réagi comme ça, s’excusa-t-elle sincèrement. Tu ne le méritais absolument pas, et… tu n’avais pas à aller la voir mais… merci. Ça me touche beaucoup.

Kate lui offrit un faible sourire :

– De rien, et c’est oublié, répondit-elle en serrant légèrement les mains qu’elle tenait dans les siennes. Enfin... à une condition.

– Laquelle ? s’inquiéta aussitôt Emma.

Kate fouilla un instant dans son sac avant d’en sortir son livre sur le Trivial Pursuit et elle le brandit aussitôt avant de sourire :

– Je veux ma revanche, s’exclama-t-elle, les yeux brillants.

Emma eut un vestige de sourire aux lèvres et elle secoua la tête, amusée :

– On a l’esprit de compétition à ce que je vois, dommage que tu n’aies aucune chance, taquina-t-elle.

Pour toute réponse, Kate se contenta de lui tirer la langue et choisir la première question, ignorant la petite voix dans sa tête qui ne cessait de lui répéter qu’elle n’avait pas été entièrement honnête concernant les raisons de sa petite visite auprès de Cassie...

1 septembre 2011

Chapitre 6

Lundi 29 Septembre 2003.

Lorsqu’Emma ouvrit enfin les yeux le lendemain, elle ne put s’empêcher de grimacer face à la lumière du jour qui envahissait la pièce et elle se couvrit aussitôt le visage d’un bras avant de réaliser que la journée devait être déjà bien avancée.

Alarmée, elle rejeta aussitôt les couvertures avant de sauter du lit et relâcha aussitôt un juron silencieux lorsqu’elle réalisa qu’il était déjà 11h07.

Elle venait de louper son cours de mathématique, ainsi que les sept premières minutes de celui d’histoire-géographie.

Ce qui n’était absolument pas une bonne façon de commencer la semaine.

 Se fustigeant intérieurement, elle se précipita vers sa commode s’empara des premiers vêtements qu’elle y trouvait, avant de grimacer lorsqu’elle réalisa qu’elle allait devoir sauter le petit déjeuner et surtout se passer d’une bonne douche.

– Je peux savoir ce que tu fabriques ?

La voix qui résonna derrière elle la fit soudainement sursauter et Emma porta aussitôt une main sur son cœur avant de reprendre une fois plus ou moins calmée :

– J’ai complètement oublié de mettre mon réveil hier soir, paniqua-t-elle en choisissant une jupe style desigual et un top vert assorti avant d’ouvrir le tiroir des sous-vêtements. J’ai déjà loupé un cours, si je loupe le second... ils ne vont pas me renvoyer hein ? 

Kate haussa les sourcils et elle déposa le plateau qu’elle tenait entre ses mains sur le lit d’Emma avant de s’approcher d’elle.

Elle s’apprêtait à prendre la parole lorsqu’un morceau de tissu attira son regard :

– Oh c’est mignon ça, s’exclama-t-elle en s’emparant du soutien-gorge à motif qu’Emma avait choisi. J’adore la couleur... tu l’as acheté où ?

– Kate ! s’exclama aussitôt Emma en le lui arrachant des mains, les joues en feu. C’est personnel !

Kate leva aussitôt les yeux au ciel.

– Oh ça va, on est entre filles, tempéra-t-elle avant de prendre appui contre la commode. Et tu ne seras jamais renvoyé simplement pour avoir séché deux cours, surtout si tu étais malade.

Emma hésita avant de lever les yeux vers elle :

– Mais personne ne sait que j’étais malade. Qu’est-ce qui te fait dire qu’ils vont y croire ? Dans mon ancien lycée, il fallait soit un certificat, soit un mot des parents. Et au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je n’ai ni l’un, ni l’autre.

– C’est vrai, admit Kate avant de légèrement pencher la tête sur le côté. Mais tu as beaucoup mieux que ça ; j’ai prévenu la surveillante principale pour lui dire que tu ne te sentais pas bien depuis hier soir et que tu serais, par conséquent, absente. L’infirmière devait passer ce matin mais comme tu dormais à poings fermés, j’ai préféré qu’elle te laisse tranquille. Elle est censée revenir dans l’après-midi.

Emma l’observa, à court de mots.

– Eh bien... c’est..., elle s’interrompit avant de grimacer : le problème c’est que je me sens bien maintenant.

Kate lâcha un rire avant de l’aider à se redresser :

– Eh bien tu lui diras exactement ça alors, répondit-elle avant de désigner le tas de vêtements qu’Emma tenait entre ses bras. Et tu peux reposer ça, t’as un petit déjeuner à prendre avant.

Emma haussa les sourcils avant de suivre son regard et elle se sentit aussitôt saliver lorsqu’elle remarqua le plateau qui reposait désormais au pied de son lit. Une douce odeur de croissants, de pains au chocolat et de pancakes au sirop d’érable lui parvint et elle reposa aussitôt ses vêtements sur la commode avant de venir se réinstaller contre son oreiller, détaillant chaque met du regard avant de relever les yeux vers Kate. 

– Non seulement, tu as veillé sur moi, mais en plus tu m’apportes le petit déjeuner au lit... il va vraiment falloir que tu m’expliques ce que j’ai bien pu faire pour mériter tout ça.

Kate l’observa, légèrement confuse :

– A t’écouter, on dirait que c’est mal.

– Non, non, pas du tout, la rassura Emma en enfournant un morceau de pancake avant de s’emparer du bol de chocolat chaud. Au contraire. C’est juste que... c’est juste que ça m’étonne, c’est tout.

Kate haussa un sourcil de surprise avant de croiser les bras sur sa poitrine :

– Et ça t’étonne parce que… ?

Emma leva les yeux vers elle et elle grimaça aussitôt lorsqu’elle nota la posture défiante qu’avait adoptée Kate. Elle se pressa d’expliquer :

– Excuse-moi, je me suis mal exprimée, grimaça-t-elle. C’est juste que, comme tu peux le constater, dès que j’ouvre la bouche, je te vexe sans le vouloir. Alors ça m’étonne que… que tu sois aussi gentille avec moi malgré tout, finit-elle dans un timide sourire.

Sans savoir pourquoi, la soirée de la veille lui revint soudainement en mémoire et elle écarquilla les yeux :

– Oh merde, t’as fait mon devoir de maths en plus ! s’exclama-t-elle, cachant aussitôt son visage entre ses mains tandis que le rire de Kate résonnait dans la pièce.

Cette dernière s’approcha jusqu’à prendre place à ses côtés, sur le lit, et elle dégagea doucement la main d’Emma afin de pouvoir croiser son regard :

– Tu sais que tu es un vrai phénomène à toi toute seule ? sourit-elle en secouant légèrement la tête, un air amusé sur le visage. Tout d’abord, sache que tu ne m’as jamais vexée, surprise oui, mais ça s’arrête là. Tu débarques dans un univers qui t’est complètement étranger, je l’ai vite compris, taquina-t-elle légèrement. Alors je ne t’en ai jamais voulu pour les paroles quelque peu… déplacées que tu as pu avoir sans le vouloir. Ensuite, oui, j’ai fait ton devoir, et je l’ai justement déposé juste avant de t’apporter à manger.

Emma l’observa, bouche bée.

– Je… mais... et toi alors ?

Kate l’observa, confuse :

– Quoi moi ? demanda-t-elle en s’emparant d’un croissant.

– Ben, ça a dû te prendre un temps monstrueux ! Et tu n’es pas allée en cours ?

Kate afficha l’un de ses mystérieux sourires :

– L'avantage, c'est que j’ai de bonnes relations ici, répondit-elle dans un léger clin d’œil avant de reprendre son sérieux. Et de bons résultats, alors je suis dispensée de cours jusqu’à demain. Quant à ton devoir, ça ne m’a pas pris plus d’une heure et demie. Tu devrais avoir une note convenable.

Emma baissa les yeux vers le plateau, interdite. Elle qui pensait sans arrêt mal faire quand il s’agissait de Kate, jamais elle n'aurait pensé que cette dernière aurait pu se montrer aussi prévenante et aussi attentionnée à son égard, et ce ne serait-ce que pour une seule seconde. Alors découvrir que cette dernière avait été aux petits soins avec elle la veille au soir et qu’elle l’était encore ce matin, Eh bien, elle s’en retrouvait décontenancée.

– Et tu m'as apporté le petit déjeuner au lit ? répéta-t-elle, abasourdie. Tu as pris ta journée pour moi… juste parce que j’étais malade ?

Kate fronça les sourcils, le comportement d’Emma la laissant perplexe. Elle n’avait rien fait d’extraordinaire pourtant, si ?

– Tu vas finir par me faire croire que je suis habituellement un monstre à être étonnée comme ça, taquina-t-elle, levant aussitôt une main en signe d’apaisement lorsqu’elle vit Emma s’apprêter à protester. Je plaisante, précisa-t-elle, ravie d’arracher un sourire à Emma en retour. Bon, et maintenant que cette petite mise au point est faite, mademoiselle l’intello aurait-elle faim ?

Le sourire d’Emma s’effaça aussitôt.

– M’appelle pas comme ça, Kate, murmura-t-elle en détournant le regard.

– Excuse-moi mais vu les résultats que tu as, c’est pourtant ce que tu es, rétorqua aussitôt Kate, un léger rire s’échappant de ses lèvres. Non pas que je sois jalouse mais admets que...

– Kate, arrête.

Le ton sec la poussa à relever les yeux et Kate haussa les sourcils de surprise, encore plus lorsqu’elle remarqua le visage désormais fermé d’Emma.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien. Mais ne m’appelle pas comme ça, d’accord ?

– D’accord…, répondit Kate, confuse. Je ne voulais pas être blessante ou… Enfin, c’était juste…

– Pour plaisanter, je sais, coupa Emma, un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Un silence pesant s’abattit sur elles durant lequel Emma évitait soigneusement son regard et Kate dut bien s’avouer qu’elle était on ne peut plus perturbée par son comportement. Elle n’avait fait que dire la vérité, après tout. Emma était une élève brillante, et Kate était même prête à parier qu’elle faisait très certainement partie des cinq premiers de l’établissement, alors pourquoi s’emporter comme ça ? Jusqu’à preuve du contraire, il n’y avait rien d’honteux à être une élève studieuse et réussir.

Ne supportant plus la tension qui régnait, Kate se racla maladroitement la gorge avant de prononcer dans l’espoir de détendre l’atmosphère :

– Je crois bien que les conversations ne sont vraiment pas notre fort, hein ?

Elle fut soulagée de voir un petit sourire apparaître sur les lèvres d’Emma lorsqu’elle leva enfin les yeux vers elle.

– Ça nous fait au moins ça en commun, répondit-elle sur le même ton. Je me sentais un peu seule à être toujours celle qui faisait preuve de maladresse.

Kate haussa un sourcil avant d’éclater de rire :

– O.K., j’admets, c’était mérité, sourit-elle avant de reprendre son sérieux. Mais je suis sincèrement désolée pour tout à l’heure, je ne voulais vraiment pas te vexer.

– Je sais. C’est moi qui suis désolée, j’ai réagi de façon excessive, répondit Emma en secouant légèrement la tête. C’est juste que... disons que c’est un point sensible.

Kate hocha la tête d’un air entendu :

– Hmm je comprends, acquiesça-t-elle, avant de s’interrompre. Tu veux en parler ?

Emma la dévisagea un instant avant de hausser les épaules. Même si cette histoire appartenait au passé, elle n’en restait pourtant pas moins douloureuse, mais Emma était persuadée que si elle choisissait de se confier sur le sujet auprès de Kate, cela ne pourrait lui faire que du bien. Ça la soulagerait. Et lui enlèverait peut-être même un peu du poids qu’elle portait sur ses épaules.

– Pourquoi pas, répondit-elle enfin. Mais je vais te donner le contexte, ce sera plus simple, d’accord ?

Kate hocha la tête avant de se positionner légèrement de côté de manière à lui offrir toute son attention, et elle lui sourit aussitôt son remerciement lorsqu’Emma se décala légèrement afin qu’elle puisse elle aussi prendre place contre l’oreiller.

Emma se frotta légèrement la nuque avant de commencer :

– Je viens d’une petite ville située dans l’Est du pays, le genre d’endroit où tout le monde se connait et où tu ne peux pas faire un pas dans la rue sans que quelqu’un ne vienne te dire bonjour.

– Sérieusement ? s’étonna Kate.

Emma sourit aussitôt :

– Ouaip, ça change de la Haute Bourgeoisie hein ? taquina-t-elle. On doit être entre 2 500 et 3 000 habitants à tout casser, et encore, j’exagère surement. Et tout le monde se connait, se rend des services, prend des nouvelles… c’est vraiment très convivial et jusqu’à présent, j’y ai passé toute mon enfance jusqu’à mes dix-sept ans, avec ma mère.  

– Et ton père ? s’enquit Kate. Il ne vit pas avec vous ?

Emma secoua légèrement la tête :

– Non, je ne l’ai jamais connu. Ma mère est tombée enceinte de moi à l’âge de dix-sept ans et il s’est empressé de prendre la tangente dès que la petite ligne bleue est apparue. Quant à mes grands-parents ils ont trouvé ça insensé que ma mère choisisse d’élever un enfant seule, car après tout, la femme doit rester bien sagement à la maison pendant que l’homme se tue à la tâche afin de ramener de l’argent, non ? Elle ne doit certainement pas aller travailler elle-même alors qu’elle a en plus un enfant sur les bras, et aucune figure paternelle dans les environs pour ce dernier. Alors ils nous ont laissées tomber eux aussi.

– Hmm ton monde n’a pas l’air spécialement mieux que le mien finalement, hein, répondit Kate dans un sourire penaud.

Emma se contenta de hausser les épaules.

– Disons qu’ils ont chacun leurs bons et leurs mauvais côtés, répondit-elle sur le même ton. Il n’y a donc toujours eu que nous deux, on s’en est plutôt bien sorties et j’adorais ma vie là-bas. J’avais l’impression d’être dans ma bulle, coupée du monde, persuadée que rien ne pourrait venir bousculer mon petit bonheur.

– Mais ça ne s’est pas passé comme ça, devina Kate.

– Non, en effet, répondit Emma, en s’emparant d’un croissant qu’elle émietta sans même le manger. Dans la ville d’où je viens, il n’y avait qu’une école primaire, qu’un collège et qu’un lycée alors chaque année, on se retrouvait toujours avec les mêmes personnes à un ou deux élèves près. Jusqu’à présent, je m’entendais bien avec tout le monde, sans pourtant être extrêmement populaire. J’aimais ma solitude et la recherchais souvent, mais j’avais quand même de bons amis avec qui je passais pas mal de temps et j’entretenais des liens civilisés avec tout le monde. Et puis, les choses ont fini par changer quand je suis arrivée en Première, je ne sais plus quand ni comment exactement, tout ce que je sais, c’est que ma vie a rapidement tourné au cauchemar.

Un rire dénué d’humour échappa ses lèvres :

– Tu sais, le pire, c’est qu’avec le recul, j’aurais dû le voir venir. Des amis de ma mère l’avaient déjà prévenue à plusieurs reprises, avec le profil que j’avais, je risquais de ne pas me sentir très à l’aise.

Elle émit un son désabusé avant de poursuivre :

– Ne pas me sentir à l’aise était en fait un doux euphémisme. En peu de temps, je me suis vue rejetée par ceux-là mêmes qui m’appelaient les veilles de contrôle pour me demander des conseils. Ce que j’avais fait de mal ? J’étais une intello, tu sais, une de ces bouffonnes qui fait ses devoirs, qui aime apprendre et travailler. Après tout, comment ne pas me détester, avec mon air de première de la classe ? Je faisais tache parmi les jeunes de mon âge, bien trop calme et appliquée ; quasiment anormale.

« J’étais tellement minoritaire, tellement radicalement différente, que je suscitais fatalement l’hostilité. J’étais pas stupide, je savais que c’était rien de plus que de la provocation même si les professeurs ne l’ont pas formulé de cette façon. Parce qu’ils savaient, ils voyaient, mais ils ne faisaient rien. Après tout, c’était que de simples jeux d’enfants, et les enfants, tout le monde le sait, sont innocents. Alors personne n’a été sanctionné, parce que, comparé à ce qui se passe ailleurs, la stigmatisation de l’intelligence et du savoir, ce n’est rien.

Sa phrase fut à peine terminée qu’elle sentit aussitôt Kate prendre sa main dans la sienne et lorsqu’elle leva les yeux vers son visage, elle fut surprise par l’intensité avec laquelle les émotions qui la traversaient transparaissaient. De la compassion, de la colère aussi, mais ce qui perturba le plus Emma, se fut la culpabilité qu’elle sembla y discerner.

Une main se leva vers son visage et Emma réalisa avec horreur qu’elle était en train de pleurer lorsqu’elle sentit Kate effacer les larmes de ses joues de ses pouces, et elle s’essuya les yeux d’un revers de main avant de marmonner, embarrassée :

– Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris...

– Shh, l’interrompit aussitôt Kate en lui tendant une boîte de Kleenex. T’excuse pas, après ce que tu viens de me raconter, j’estime que c’est plutôt légitime. Tu ne crois pas ?

Emma haussa les épaules et Kate décida de la laisser tranquille un instant afin qu’elle puisse reprendre calmement ses esprits. Le monologue auquel elle venait d’avoir droit n’était certainement pas celui auquel elle s’était attendue, mais elle comprenait mieux désormais la réaction qu’Emma avait eue lorsqu’elle l’avait malencontreusement surnommée d’intello. Plus l’histoire d’Emma prenait forme, plus Kate se réprimandait pour son cruel manque de délicatesse et elle avait même fermé un instant les yeux face à la culpabilité qui s’était soudainement emparée d’elle. Elle qui détestait ces gens qui passaient leur temps à juger et dresser des conclusions hâtives, elle venait de faire exactement la même chose à une personne qui, non seulement, avait déjà connu l’horreur mais qui en plus en avait visiblement gardé des séquelles.

Elle reposa la boîte de Kleenex sur la table de chevet lorsqu’Emma eut terminé avant de reprendre sa main dans la sienne :

– Ça va mieux ?

– Oui, répondit Emma en hocha la tête avant de faiblement sourire. Crois-le ou non mais en parler m’a justement fait du bien.

Kate haussa un sourcil avant de sourire à son tour :

– Tant mieux alors, déclara-t-elle avant d’hésiter. Ecoute Emma, pour tout à l’heure, je suis sincèrement désolée. Je n’aurais jamais dû t’appeler comme ça –

– Je sais Kate, ça va, la coupa Emma en exerçant à son tour une légère pression sur sa main. Je sais que tu ne pensais pas à mal, et puis tu ne pouvais pas savoir. Par contre, tu ne crois pas qu’on devrait vraiment arrêter de s’excuser toutes les deux ?

Kate se mordit la lèvre avant de sourire :

– Tu as raison, acquiesça-t-elle. Et si tu as encore besoin d’en parler, de ça où d’autre chose... hésite pas, d’accord ? Surtout si ça te permet de te sentir mieux.

– J’hésiterai pas, c’est promis, acquiesça aussitôt Emma, l’air reconnaissant. Merci Kate, parce que j’ai pas très envie qu’hier soir se reproduise, ajouta-t-elle dans une grimace, avant de lever les yeux lorsqu’elle sentit le regard de Kate sur elle. Quoi ?

– Je croyais que tu ne savais pas ce que tu avais.

Emma rougit légèrement et elle baissa les yeux vers son bol de chocolat chaud désormais presque vide :

– Il est possible que... je t’ai menti ?

Elle sentit Kate se figer à ses côtés et elle relâcha un profond soupir avant d’expliquer :

– Je fais des crises de stress depuis la rentrée, admit-elle, mal à l’aise. Pas tout le temps, juste, quelques fois. Et hier, j’avais vraiment peur de ne pas réussir ce devoir de maths alors...

Le silence lui répondit et elle hésita un instant avant de lever les yeux vers Kate. 

– Tu m’en veux ? demanda-t-elle lorsqu’elle nota l’air impassible et sa mâchoire qui se contractait légèrement.

Kate détourna le regard avant de soupirer :

– Non, si, je sais pas, répondit-elle finalement en se passant une main sur le visage. Je suis peut-être juste en colère envers moi-même pour n’avoir rien vu. Tu en as parlé à quelqu’un de ces crises ? L’infirmière ?

Emma secoua négativement la tête :

– C’est rien de grave Kate, j’ai juste la boule au ventre et un peu la nausée parfois, c’est tout.

– De ce que j’en ai vu hier soir, ça m’avait l’air un peu plus sérieux que ça, répondit aussitôt Kate en lui offrant un air appuyé. Bon, et qu’est-ce qui te stresse comme ça, à part les maths ? Et pas de mensonges, se pressa-t-elle d’ajouter lorsqu’elle vit Emma hésiter.

Emma se sentit aussitôt rougir :

– Je suis désolée pour ça, s’excusa-t-elle sincèrement avant de froncer les sourcils. Je ne sais pas vraiment, c’est un tout, je pense. On ne peut pas dire que mon intégration se soit passée dans les meilleures conditions possibles vu ce qu’il s’est passé avec Cassie, il faut absolument que j’ai une moyenne décente en maths pour décrocher la bourse d’études sans quoi l’année prochaine risque d’être difficile et... hmm...

– Et ?

Emma se mordit la lèvre avant de lever les yeux vers Kate :

– Et on ne peut pas dire que je me sois montrée très adroite avec toi.

– Ah. On m’a qualifiée de beaucoup de choses, mais source de stress, c’est une première, taquina-t-elle. Et puis on est deux dans l’histoire, ne prends pas toute la responsabilité. Ceci étant dit, après la conversation qu’on vient d’avoir ce matin, je pense qu’on s’en sort plutôt bien finalement. Mais si ça peut te rassurer... je promets de faire des efforts, ajouta-t-elle dans un clin d’œil.

– Moi aussi, promit aussitôt Emma, un léger sourire sur les lèvres, avant de grimacer. Reste quand même les deux autres...

Kate secoua négativement la tête :

– Cassie ne vaut pas la peine que tu t’y abaisses, ignore-là, tu as ta place ici autant qu’un autre. Quant à tes études, tu n’as pas à t’inquiéter ; je t’aiderai à remonter ton niveau en mathématiques.

– T’es sérieuse ? s’étonna aussitôt Emma. Parce que j’ai vraiment un faible niveau, tu ne sais pas dans quoi tu t’engages.

Kate lâcha un rire :

– Eh bien, tu m’aideras en anglais alors, parce que j’ai vraiment un faible niveau. L’an dernier, ma moyenne était de 4.57/20.

Emma écarquilla aussitôt les yeux avant de repenser à sa moyenne de maths. Elle grimaça.

– Moi, j’étais à sept quelque chose, mais c’est d’accord, je t’aiderai en anglais et tu m’aideras en maths.

– Parfait, répondit Kate en repoussant le plateau et étendant ses jambes devant elle maintenant qu’elle avait terminé de manger. Autre chose ?

Emma laissa retomber sa tête contre l’oreiller et observa le plafond d’un air absent avant de répondre d’une voix à peine audible :

– Ma mère me manque. Je crois que c’est pour ça que tout ça m’atteint autant, elle est toujours là pour que je puisse me confier d’habitude.

– Eh bien, je ne pense pas que ce soit possible pour moi de devenir ta mère, sourit légèrement Kate. Mais je peux t’offrir mon amitié. Ça fait toujours bien d’avoir une épaule sur laquelle s’appuyer si besoin, et une oreille attentive.

Emma se redressa légèrement de manière à pouvoir la regarder et elle hocha aussitôt la tête, surprise de sentir sa gorge se serrer et le début de larmes lui piquer de nouveau le coin des yeux. Ça faisait beaucoup de bonnes choses en très peu de temps et elle savait qu’elle allait avoir besoin de temps pour s’y habituer.

Mais elle comptait définitivement en profiter aussi.

– Parfait alors, répondit Kate en serrant une dernière fois sa main avant de se redresser, comprenant qu’Emma était trop émue pour parler. L’infirmière ne devrait plus tarder alors je vais te laisser prendre ta douche et t’habiller. Parle-lui de cette histoire de stress d’accord ? Elle pourra certainement y faire quelque chose.

Emma hocha la tête et elle récupéra ses affaires tandis que Kate se dirigeait vers la sortie après s’être emparée du plateau. Elle s’arrêta cependant une fois arrivée à hauteur de la porte :

– Emma, ton histoire, tu as dit que ça t’était arrivé en Première, c’est ça ?

Emma hésita un instant avant de répondre, ayant déjà compris où Kate voulait en venir.

– C’est ça, acquiesça-t-elle finalement, sur la réserve.

– Et on est en Terminale alors je me demandais…

– Si c’était la raison de ma venue ici.

Kate hocha positivement de la tête et Emma détourna le regard avant de soupirer :

– C’est… compliqué.

Reconnaissant les termes qu’elle-même avait prononcés quelques jours plus tôt, Kate décida de ne pas insister et se contenta de hocher la tête d’un air entendu, un léger sourire sur les lèvres :

– Si jamais tu as envie d’en parler... je suis là. D’accord ?

Il y eut un léger silence avant qu’Emma ne relève les yeux vers elle, et Kate fut aussitôt prise de court par la vulnérabilité qui y transparaissait franchement.

– Ce serait possible que… ça marche dans les deux sens ? demanda-t-elle, hésitante.

Kate se racla légèrement la gorge :

– Tu as raison, c’est plus juste, acquiesça-t-elle avant de légèrement sourire. Marché conclu.

Emma lui rendit son sourire et elle referma doucement la porte derrière elle, ignorant que la pensée qui la traversa à cet instant précis, était exactement la même que celle qui venait de s’insinuer dans l’esprit d’Emma : Oh bon sang, mais dans quoi est-ce que je viens de m’embarquer là ?

1 septembre 2011

Chapitre 5

Dimanche 28 Septembre 2003.

En appui contre le rebord de la fenêtre, elle pouvait apercevoir le ballet de berlines sombres déversant au compte-gouttes les passagers en tenue d'apparat au pied de l’immense escalier de marbre. Issus de la noblesse, de lignées séculaires ou de grandes fortunes, ils allaient bientôt être plus de deux cents à faire swinguer robes à paillettes et costumes-cravates au rythme de l’orchestre. Et dans quelques semaines, au plus, ils se retrouveront à d'autres soirées tout aussi somptueuses.

Mais elle n’y sera pas. Elle n’y sera plus.

Délaissant la fenêtre pour venir prendre place devant son grand miroir, elle ajouta la touche finale qui allait parfaire sa tenue de soirée ; un rouge à lèvre assez sombre, mais pas trop non plus, qu’elle appliqua délicatement sur ses lèvres. Sobrement maquillée, elle avait relevé ses cheveux en un chignon lâche et les quelques mèches qui s’en échappaient ici et là lui donnaient un air légèrement sauvage. Sa tenue quant à elle était tout ce qu’il y avait de plus simple, et pourtant, elle lui donnait un air incroyablement sexy, faisant ressortir sa peau crémeuse et mettant ses formes en valeur. Exactement comme elle l’avait voulu.

Après tout, quoi de mieux qu’un ensemble noir et une paire de talons hauts pour jouer la carte de la provocation ? 

Un dernier coup d’œil à son reflet et elle hocha la tête d’un air satisfait avant de se diriger vers la porte, ignorant la robe de soirée qui avait été soigneusement préparée pour elle.

L’escalier lui apparut et elle commença sa descente d’un pas qu’elle voulut assuré, la musique et l’odeur de tabac gagnant en intensité au fur et à mesure qu’elle avançait. Les rires et éclats de voix se firent rapidement entendre eux aussi, et lorsqu’elle approcha enfin le grand salon, elle réalisa une fois encore que la pièce avait été, comme à chaque soirée, entièrement réaménagée pour recevoir les invités.

Et que la fête commence…, pensa-t-elle alors qu’elle se joignait aux festivités à son tour.

Au début, personne ne lui prêta attention. Puis, alors qu’elle s’éloignait légèrement des doubles portes et pénétrait un peu plus dans la pièce, les convives commencèrent à tourner la tête dans sa direction. Elle ne fut qu’à moitié surprise de voir la gent masculine l’observer attentivement, les doigts fébriles tirant légèrement sur leur col tandis qu’ils lui offraient un regard appréciateur, le teint légèrement rouge et les yeux brillants.

Tous des pervers…

Leurs épouses quant à elles, se contentèrent d’écarquiller les yeux, l’éventail devant la bouche afin de masquer leur effarement et leur mal-être.

…et toutes des petites bourgeoises coincées.

Pourtant personne ne s’était arrêté, certains dansant toujours au rythme de l’orchestre tandis que d’autres conversaient, le cigare ou la coupe de champagne à la main. Les coups d’œil désapprobateurs de certains et emplis de désirs des autres ne laissaient néanmoins aucun doute sur le fait qu’ils parlaient d’elle désormais.

Bien. 

Un rictus au coin des lèvres, la tête haute, la démarche élégante, elle poursuivit sa route, s’emparant d’une coupe de champagne et d’un amuse-bouche au passage. La sensation d’être observée la poussa cependant à tourner la tête, et elle sentit aussitôt son ventre se serrer lorsqu’elle se retrouva prisonnière de deux yeux noisette identiques aux siens. Un bruit de verre brisé résonna dans la pièce mais elle eut à peine le temps de s’y attarder qu’une main empoigna fermement son bras, la poussant presque à laisser échapper son verre.

– Tu m’expliques à quoi tu joues là ? siffla l’homme entre ses dents, ses yeux bleus irradiant de colère.

La réponse fut accompagnée d’une posture défiante et d’un sourire insolent :

– Un problème, père ?

Charles de Lonay cligna un instant des paupières, l’odeur venant lui chatouiller désagréablement les narines lui étant bien trop familière pour qu’il ne la reconnaisse pas :

– Tu as bu ?! s’exclama-t-il, sa colère gagnant d’un cran.

– Oh je te rassure, pas autant que toi, lui répondit aussitôt sa fille d’un ton sarcastique. Des restes du déjeuner, ou d’hier, ou d’avant-hier, je ne sais plus…

Charles de Lonay se contenta de resserrer sa prise autour de son bras et de la forcer à le suivre, le pas pressé. La rage qui l’habitait l’empêchait de penser clairement et il l’entraîna jusqu’à un couloir sombre, ne s’arrêtant qu’une fois sûr qu’ils étaient à l’abri des regards.

Il se retourna pour lui faire face :

– Tu m’expliques ton petit numéro là ? Tu as vu dans quel état tu as mis ta mère ?

– Oh je t’en prie, des verres en cristal elle en a en veux-tu en voilà ! ironisa aussitôt Kate, sachant pertinemment que ce n’était pas du tout ce à quoi il faisait référence. Et puis, je croyais que ma présence était, comment dis-tu déjà ? Oh oui, indispensable. Je n’ai fait que t’obéir, gronda-t-elle.

– Ne joue pas sur les mots avec moi Katherine, tu as perdu l’esprit ? Te présenter dans cette… tenue devant tous nos invités ! 

– Quoi ? Elle ne te plaît pas ? feignit de s’étonner Kate. C’est pourtant, chic, élégant… et tu noteras que le haut est assorti au bas en plus, ajouta-t-elle d’un ton amusé.

– Ton insolence ne te mènera nulle part, jeune fille, lâcha Charles, rouge de colère. Monte te changer et ne reviens pas avant d’avoir enfilé une tenue appropriée. Pour le reste, tu peux être sûre qu'on en reparlera plus tard.

Kate l’observa, incrédule :

– Plus appropriée ? Certaines de tes invitées ont un décolleté encore plus plongeant que le mien, si c’était possible !

Une main s’abattit violemment sur sa joue avant de fermement empoigner son menton.

– Tu ne comprends donc pas que tu es en train de gâcher ta vie ? grogna Charles.

– Gâcher ma vie ? répliqua Kate, incrédule. Tu l’as déjà gâché, tu as tout gâché il y a deux jours ! J’ai plus rien ici, tu m’as enlevé la seule chose que j’avais ! hurla-t-elle avant de se dégager et monter rejoindre sa chambre.

Claquant la porte derrière elle, elle s’effondra sur son lit et laissa les larmes prendre à nouveau possession d’elle pour la énième fois en 48 heures, dévastée par le chagrin, la colère, et la solitude.

 

Un bruit sourd la ramena soudainement à la réalité et Kate se frotta les yeux d’un air absent, priant aux vestiges de ses sombres souvenirs de bien vouloir disparaître. En réalité, elle n’avait pas repensé à cet évènement de sa vie depuis... eh bien depuis qu’elle l’avait enfermé à double tour là quelque part dans un coin de sa tête avant de jeter la clé, se promettant par la même occasion de ne plus jamais, jamais le laisser la hanter à nouveau.

C’était beaucoup trop douloureux.

Elle se demanda un instant ce qui avait bien pu le ramener sur le devant de la scène comme ça avant de soudainement se rappeler le bruit qui avait interrompu le cours de ses pensées. Fidèle au souvenir qu’elle en avait avant que ses pensées ne la submergent, Emma était assise à même le sol juste à côté, ses affaires de cours éparpillées sur la table du salon tandis qu’elle travaillait.

La scène n’avait rien de surprenant, à l’exception peut-être de la tête d’Emma qui reposait désormais contre la surface en verre.

Kate tendit une main hésitante vers l’épaule située à proximité.

– Emma ? chuchota-t-elle. Tu dors ?

Un léger hochement de tête lui répondit et Kate se mordit la lèvre :

– Ça va ?

– Si on écarte le fait que j’ai l’impression d’être en train de mourir ? Oh ouais, je pète la forme…

Si elle n’avait pas été aussi inquiète, Kate aurait probablement rit et elle décroisa ses jambes afin de s’agenouiller au côté d’Emma. Elle souleva légèrement son visage afin de pouvoir poser une main sur son front.

– Hmm, tu n’as pas l’air d’avoir de la fièvre, remarqua-t-elle. Comment va ta tête ? Ton ventre ?  

– Je me sens barbouillée, j’ai des vertiges.

Kate en fut aussitôt alarmée :

– T’as pas envie de vomir hein ? s’empressa-t-elle de demander tout en se reculant instinctivement. Parce que je peux supporter beaucoup de choses, mais pas ça, alors si tu ne veux pas que ça finisse version l’exorciste..., grimaça-t-elle.

Malgré son état, Emma parvint néanmoins à produire un sourire, même s’il fut faible :

– Non, répondit-elle, avant d’ajouter, hésitante. Enfin, je crois pas. Je pense que ça ira si je bouge pas.

– Mouais, sauf qu’on ne peut pas te laisser passer la nuit au beau milieu du salon, tu vois, répondit Kate, pince-sans-rire. Tu penses pouvoir marcher ? Que je te conduise jusqu’à la chambre.

Emma prit aussitôt un ton alarmé :

– Non ! s’exclama-t-elle avec panique avant de porter ses mains à son visage et grimacer. Oh… c’est moi où la pièce tourne là ? gémit-elle d’un ton plaintif.

– Si tu évitais de faire des gestes brusques aussi..., la réprimanda Kate avant de s’installer derrière elle et lui masser gentiment les épaules, fronçant les sourcils lorsqu’elle remarqua combien elle était tendue. Crois-moi, tu seras beaucoup mieux dans ton lit. Je vois pas pourquoi tu veux pertinemment rester ici.

Distraite par les mains de Kate qui lui procuraient le plus grand bien, Emma manqua presque la question et elle se racla légèrement la gorge afin de reprendre pied avec la réalité :

– C’est parce que je dois finir ça, répondit-elle en désignant tout un tas de feuilles autrefois agrafées ensemble. Si je vais au lit maintenant, je le ferais jamais.

– Et alors ? rétorqua Kate. T’es malade, ça peut attendre !

Emma secoua la tête, regrettant aussitôt le geste.

– Non, gémit-elle en portant une main à son front. C’est pour demain, je dois le rendre demain…

Kate jeta un œil par-dessus son épaule et elle sentit aussitôt ses sourcils grimper sur son front lorsqu’elle réalisa qu’il s’agissait d’un devoir maison de mathématique et que le sujet à lui seul s’étendait sur plusieurs pages.

– Et tu ne le fais que maintenant ?! s’exclama-t-elle.

Emma grimaça avant de péniblement tourner la tête dans sa direction, un sourcil haussé en signe d’incrédulité :

– Tu me grondes ?

Kate rougit légèrement, un sourire s’étirant néanmoins sur ses lèvres :

– Nan, mais pour une intello, tu laisses à désirer, taquina-t-elle.

Emma se figea aussitôt avant de détourner le regard :

– Les maths et moi, on a jamais été amis, répondit-elle, le ton soudainement morose. Je comprends absolument rien à ce que le prof demande alors j’ai repoussé encore et encore et… bref, tu connais la suite.

Kate hocha la tête d’un air entendu, secrètement intriguée par le soudain changement d’humeur chez sa colocataire. J’ai rien dit de mal, si ?

– Bon, répondit-elle en se redressant. Je vais t’emmener jusqu’à la chambre et ensuite je reviendrai ici me charger de ton devoir.

Emma qui s’était elle aussi redressée se figea aussitôt :

– Quoi ? lâcha-t-elle en levant les yeux vers Kate. C’est hors de question. Je me lèverai plus tôt demain...

Kate croisa les bras sous sa poitrine tout en soupirant.

– Parce que tu crois que ça va marcher peut-être ? T’as trois pages d’énoncés à répondre je te rappelle.

Emma détourna le regard et Kate se passa une main sur le visage avant de reprendre plus calmement :

– Ecoute, t’es visiblement pas d’attaque pour faire quoi que ce soit d’autre que te reposer, alors file et laisse-moi m’en occuper, d’accord ? demanda-t-elle sincèrement avant d’ajouter, légèrement taquine : et puis, crois-le ou non, mais les mathématiques sont justement mon point fort, alors ce sera très loin d’être un fardeau.

Emma lui sourit et Kate décida d’ajouter lorsqu’elle la vit néanmoins hésiter :

– Tu avais du temps pour le faire, tu peux être sûre qu’ils n’accepteront pas le moindre retard. Tu as envie d’être sanctionnée ?

Emma se mordit aussitôt la lèvre, l’air coupable :

– Non…

– C’est bien ce que je pensais, alors je m’en occupe. On peut y aller maintenant ?

– Attends. Et s’ils le découvrent ?

Kate lui offrit aussitôt un regard appuyé :

– Emma. C’est un devoir de maths, pas une dissertation. Ils ne remarqueront rien.

– Ben… je n’ai pas de très bons résultats dans cette matière alors… si tu pouvais…

Cette fois-ci Kate ne se priva pas et elle afficha franchement un sourire amusé :

– Faire quelques erreurs par-ci par-là ? proposa-t-elle un sourcil haussé.

Pour toute réponse, Emma se contenta de hocher timidement la tête.

– Considère ça fait, répondit Kate.

Puis sans crier gare, elle glissa un bras sous les genoux d’Emma et un autre au milieu de son dos puis la souleva afin de la porter jusqu’à la chambre. Se sentant décoller de terre, Emma écarquilla les yeux.

– Kate, mais, mais arrête ! Qu’est-ce que tu fabriques ?!

– Ben je te mets au lit, sourit Kate, avant de s’interrompre. Gros bébé.

Emma lui donna aussitôt une petite tape sur l’épaule avant de plisser des yeux lorsqu’elle remarqua le rictus amusé qui étirait les lèvres de Kate :

– Tu y prends un malin plaisir en plus, hein ?

– Absolument... pas du tout, mentit Kate avant de la déposer sur son lit puis la recouvrir d’une couverture. Heureusement que tu es déjà en pyjama, il aurait fallu que je te change aussi sinon, taquina-t-elle à nouveau.

Emma ne put s’empêcher de rougir malgré son état de plus en plus comateux :

– Euh... ouais, balbutia-t-elle en positionnant la couverture autour d’elle. Et ça, ça aurait été super embarrassant !

Kate s’assit à ses côtés avant de porter une main sur son front, et elle fut soulagée de voir que la fièvre n’avait toujours pas fait son apparition :

– Ça va mieux ? demanda-t-elle sérieusement.

– Mieux, oui, acquiesça Emma. Ma tête me lance encore un peu, et je me sens toujours barbouillée mais c’est moins fort que tout à l’heure.

– Hmm. Je vais t’apporter ce qu’il faut pour la douleur. Et une bassine, au cas où, ajouta-t-elle après réflexion. Je reviens tout de suite.

Emma eut à peine le temps de regonfler son oreiller et se positionner plus confortablement que Kate était déjà de retour, un verre d’eau dans une main et une boîte de comprimés dans l’autre.

Elle en libéra un avant de le tendre à Emma :

– Tiens, prends ça.

Emma obtempéra puis déposa le verre sur sa table de chevet avant de s’allonger, ses paupières devenaient de plus en plus lourdes et elle avait du mal à rester éveillée.

– Si ça ne va pas mieux demain, j’irais chercher l’infirmière, d’accord ?

Emma acquiesça puis céda à son envie et ferma les yeux, persuadée d’avoir senti une légère caresse sur sa joue avant de plonger dans un sommeil profond.

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