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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Mises à jour !

Nouveauté :
  FTF, STF ou TTF ? MPLC ! (One-shot bonus Le Bunker) de Claire_em

Projets en cours :
  ❂ Errance en co-écriture avec Claire_em (20% - 90 pages).
  ❂
εξέγερση - L’Insurrection des Arcans (Troisième et dernière partie).

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⚢ Fictions lesbiennes ⚥

Claire-em

16 juillet 2015

Chapitre 7

La sonnerie de l’appartement réveilla Kat en sursaut et elle regarda autour d’elle, déboussolée. La désagréable sensation de bouche pâteuse ajoutée à une vague odeur de pizza froide lui agressant les narines la poussa à relâcher un grognement, et elle envoya valser d’un coup de bras la boîte qui reposait sur son torse.

Un puissant mal de tête martelait ses tempes et elle jura entre ses dents lorsque la sonnerie laissa désormais place à des coups de poing contre la porte.

— C’est bon, c’est bon j’arrive ! hurla-t-elle, sa migraine redoublant d’intensité tandis qu’elle balançait ses jambes hors du canapé et se frottait le visage de ses mains.

Qui diable pouvait bien lui rendre visite à... — elle jeta un œil au lecteur DVD — ...16h17. 

Elle se souvint alors qu’elle avait passé la nuit à vider son paquet de cigarettes et sa bouteille de whisky avant de finalement trouver le sommeil et de dormir toute la journée.

Ce qu’elle regretta de nouveau lorsque sa bouche pâteuse lui donna la nausée. Beurk.

Elle commençait tout juste à se lever lorsque la porte d’entrée s’ouvrit soudainement et elle fit un bond, levant les yeux pour voir Chloé entrer dans la pièce d’un pas décidé, une grimace sur le visage.

— Ah... la déprime ne t’a toujours pas lâchée à ce que je vois, fit remarquer la jeune femme tout en l’observant de la tête aux pieds. Ce pyjama est affreux, ajouta-t-elle en la pointant du doigt.

Kat baissa les yeux vers le vêtement en question. Ce n’était pas vraiment un pyjama, plutôt un t-shirt définitivement trop grand pour elle et déformé car à chaque fois qu’elle était assise, elle aimait glisser ses genoux à l’intérieur.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle en la suivant du regard. Je ne me souviens pas t’avoir appelée.

— Non, en effet, rétorqua Chloé tout en s’emparant d’une petite boîte cartonnée du bout des doigts avant de la lever à hauteur de son visage. Je crois même que je devrais me montrer reconnaissante vu l’état de ton appartement. Oh bon sang, Kat... je suis même pas capable de dire ce qu’il y a de plus répugnant, que tes pâtes aient tourné au vert ou que les mouches s’en fassent visiblement un véritable festin, gémit-elle.

Kat eut au moins la décence de rougir ; son appartement était vraiment loin d’être accueillant, entre les boîtes de pizza à moitié vides, les canettes de bières et les restes de repas à emporter qui traînaient ici et là. Ça ressemblait plus à un grand foutoir qu’à autre chose. Sans compter la vision qu’elle-même devait offrir.

Elle préféra ne pas y penser.

— Bon, même si je n’arrive pas à croire ce que je m’apprête à dire, ça pourrait quand même être pire, dit Chloé d’un air absent avant de se retourner pour lui faire face. Je pensais qu’on avait déjà eu cette conversation, tu sais, celle où je te disais qu’il y avait une personne derrière la prostituée de luxe, une amie ? Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas appelée ?

Kat se laissa retomber contre le dossier tout en haussant les épaules.

— Tu l’as dit toi-même, t’étais pas disponible ce weekend.

— Pour venir te voir, soupira Chloé en roulant des yeux. J’ai jamais dit que tu ne pouvais pas m’appeler. Ça aurait toujours été mieux que... toi...  dans ta crasse... à te morfondre. Tu crois pas ? 

— Peut-être, marmonna Kat tandis qu’elle tripotait le tissu tendu de son t-shirt contre ses genoux.

Chloé posa les mains sur ses hanches.

— Kat, la prochaine fois, appelle-moi au lieu de bouder toute seule dans ton coin, d’accord ? dit-elle tout en donnant un léger coup de pied dans une boîte de pizza qui traînait non loin. J’aurais pu te prêter une épaule sur laquelle pleurer, ou tu sais, une oreille attentive...

Un léger sourire fendit le visage de Kat et elle tendit une main afin d’attraper celle de Chloé et de l’attirer vers elle, s’écartant légèrement afin que Chloé puisse prendre place à ses côtés sur le canapé.

— Une oreille attentive, hein ? charria-t-elle légèrement en lui donnant un petit coup d’épaule. Je sais, je suis désolée. Jack semblait être une bonne idée sur le coup, mais...

— Mais la gueule de bois du lendemain est moins amusante, hein ? compatit Chloé, avant de rire lorsque Kat afficha un air malheureux. La prochaine fois, appelle-moi, tu verras, ce sera bien moins douloureux, ajouta-t-elle dans un clin d’œil.

Kat lui tira la langue.

— Bon, et toi. Comment s’est passé ton weekend ?

Le visage de Chloé se renfrogna aussitôt.

— T’es sûre que tu veux parler de ça ?

Kat hocha frénétiquement la tête. Chloé soupira.

— Eh bien, disons qu’un coup de fil de ta part aurait été une bonne distraction...

— Comment ça ? répondit Kat tout en se tournant sur le côté, et prenant appui sur un coude. C’était si chiant que ça ? 

Chloé avait beau être une escorte de luxe, elle faisait surtout de l’accompagnement. De 24 à 48h à « faire office de belle plante » comme elle disait, et même si elle n’aimait pas particulièrement ça, ça restait un bon moyen de se faire de l’argent et de rembourser les dettes de sa mère.

— Chiant ? J’aurais préféré, ricana amèrement Chloé avant d’écarter une mèche de ses cheveux.

Kat l’observa avec confusion avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’une tache sombre sur le côté du visage de Chloé attira son regard. Elle tendit une main, et ce fut avec horreur qu’elle vit Chloé fléchir et s’écarter.

Sa gorge se noua. Le geste de Chloé, sans le vouloir, venait de confirmer ses soupçons.

— Chloé..., dit-elle d’un ton le plus doux possible. Je ne te ferai jamais de mal, tu sais ça.

Chloé détourna le regard et entoura sa taille de ses bras, comme si elle cherchait à se protéger.

— Je sais, répondit-elle dans un rapide coup d’œil. Excuse-moi, je ne m’attendais pas à ton geste, c’est tout.

— Je sais, la rassura Kat. Je peux voir ?

Leurs regards se croisèrent un instant et Chloé hocha doucement la tête. Ce fut tout ce qu’il lui fallait et, dans une lenteur délibérée, Kat porta de nouveau une main à son visage et souleva doucement la mèche de cheveux, révélant un bleu partant de la tempe jusqu’à la pommette. Elle l’aurait probablement remarqué dès le début si elle n’avait pas été si absorbée par ses propres états d’âme. 

Un juron s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne se lève.

— Bouge pas, je reviens, lui dit-elle doucement avant de prendre la direction de la cuisine.

Elle s’affaira un instant, leur préparant de quoi boire et de quoi manger, puis revint avec deux tasses fumantes et une assiette de croissants réchauffés au four à micro-ondes. Chloé haussa un sourcil tandis qu’elle s’emparait de l’une des tasses.

— Hmm, ça sent bon, qu’est-ce que c’est ?

— Du thé rouge, répondit Kat tout en regagnant sa place à ses côtés. Ça aide à se détendre et à se relaxer, ça va te faire du bien.

Les pouces de Chloé caressèrent le rebord de sa tasse de chaque côté tandis qu’elle prenait une gorgée, puis elle observa le liquide d’un air pensif avant de relever les yeux vers Kat.

— Tu es vraiment mal, hein ? demanda-t-elle tristement.

Kat haussa un sourcil.

— Après ça, tu crois vraiment qu’on va parler de moi ?

Chloé lui offrit un regard appuyé.

— Kat, vous n’êtes même pas en couple, et pourtant, à te regarder, on dirait qu’elle vient de mettre fin à votre relation.

Kat haussa les épaules.

— On est amies, répondit-elle en émiettant son croissant d’un air absent. Je n’ai pas envie de perdre ça.

— Je peux comprendre ça, reconnut Chloé, prenant appui contre le dossier avant de croiser les jambes. Mais si vous êtes amies... pourquoi te comportes-tu comme ça ? Tu n’as rien fait de mal, rien qui puisse mettre fin à une amitié.

Kat lâcha soudainement un rire dénué d’humour, le regard toujours rivé sur son croissant.

— Tu étais là, Chloé. Tu as bien vu sa réaction, elle avait l’air...

— Jalouse ?

— Dégoutée, la corrigea aussitôt Kat en redressant la tête.

Chloé haussa les sourcils, franchement surprise.

— Quoi, parce que t’étais avec moi et pas avec le premier Don Juan du coin ? Kat, c’était pas ton homosexualité le problème, mais le fait que tu n’étais tout simplement pas seule

Kat secoua la tête. Cette conversation ne menait à rien.

— Parle-moi de ton bleu, demanda-t-elle, faisant clairement comprendre qu’elle voulait en savoir plus sur le sujet. Qu’est-ce qui s’est passé ? 

— Kat... tu sais que je n’en ai pas le droit, soupira Chloé. Ce sont des données confidentielles.

— Je ne te demande pas de me dire qui c’était, ni où ça s’est passé. Juste ce qui est arrivé pour que tu arrives chez moi dans cet état. D’accord ?

Chloé se mordit la lèvre avant d’accepter.

— O.K. J’ai accompagné un homme bien en vue pour 48h de fête et un cachet de 6 000$, commença-t-elle, le regard rivé sur sa tasse. Rien d’inhabituel, l’alcool coulait à flots, la drogue circulait… Il avait loué mes services pour un simple accompagnement, on était quatre étudiantes devant simplement faire de la figuration. Seulement, il a rapidement commencé à nous manquer de respect, j’ai tenté de mettre des limites, mais ayant payé pour m’avoir à ses côtés... il prétendait avoir tous les droits sur moi.

Elle secoua la tête avant de poursuivre :

— Il m’a demandé de lui faire une fellation, j’ai refusé, lui rappelant les termes du contrat. Alors... il a eu recours à la manière forte, je me suis débattue et... il m’a frappé, dit-elle en désignant sa tête. Après ça, je suis tout simplement partie.

Elle soupira tout en posant ses coudes sur ses genoux avant de cacher son visage entre ses mains, sa tasse désormais dans un équilibre précaire.

— Et l’agence va me tuer pour ça.

— Tu plaisantes ? s’exclama aussitôt Kat. Et lui alors ?

Chloé haussa les épaules.

— Il n’aura plus le droit d’avoir recours à nos services.

— Tant mieux, rétorqua Kat avant de la désigner du doigt. Et en ce qui te concerne, tu démissionnes.

Chloé lâcha un rire dénué d’humour.

— S’ils ne me virent pas avant.

— Chloé... ça n’a rien de drôle, rétorqua Kat tout en croisant les bras sur sa poitrine.

— C’est vrai, répondit Chloé en relevant la tête. Mais je n’ai pas le choix Kat, je vais faire comment sinon ? Je te rappelle que les frais de scolarité sont de 20 000$ à eux seuls ! Ajoute à ça l’argent que ma mère doit à la banque...

Kat haussa les épaules.

— Je te trouverai autre chose, dit-elle tandis qu’elle rapportait l’assiette et leurs tasses à la cuisine. Et pour ce qu’il te manque, je te donnerai un coup de main.

— Comment ? rétorqua Chloé tout en venant prendre place sur l’un des hauts tabourets du bar. T’as une grosse somme d’argent cachée quelque part dont je ne suis pas au courant ? Et quand bien même, je ne peux pas te demander ça, Kat, dit-elle d’un ton résigné.

Kat interrompit sa vaisselle pour lui jeter un petit sourire par-dessus son épaule.

— Tu ne demandes rien, je propose.

— Kat...

Cette dernière devança sa protestation en levant une main.

— Écoute, tu veux poursuivre tes études et décrocher ton diplôme, non ?

— Oui…

— J’ai la possibilité de t’aider, alors laisse-moi faire.

Chloé se passa une main dans les cheveux tout en lui offrant un air misérable.

— Kat... je ne peux pas réaliser mes rêves à tes dépens. Il ne s’agit pas de me dépanner de 20, 30 ou 50$, il s’agit de milliers là. C’est une somme monstrueuse. Je ne peux pas...

Kat s’essuya les mains avant de venir se poster devant elle.

— Je te les donnerai quoi qu’il arrive, la coupa-t-elle doucement en prenant ses mains dans les siennes. Tu m’as aidée pendant des semaines, Chloé. Tu as toujours été là quoi qu’il arrive, sans poser de questions. Laisse-moi te rendre la pareille. S’il te plaît ?

Chloé l’observa un moment avant de baisser la tête.

— Tu ne me lâcheras pas, hein ? demanda-t-elle d’un ton résigné.

Consciente que la victoire était à portée de main, Kat sourit.

— Non.

— Bien, soupira Chloé. À une condition alors.

Kat feignit un air blasé.

— Le contraire m’aurait étonné…

— Je te rembourserai tout jusqu’au dernier centime.

Bon, ça aurait pu être pire. Kat hocha la tête.

— D’accord.

Chloé descendit aussitôt de son tabouret pour venir se jeter dans ses bras, enroulant ses bras autour du cou de Kat.

— Merci, t’es géniale, murmura-t-elle d’une voix émue.

— Sshh... c’est normal, répondit Kat en frottant son dos en des cercles apaisants. En ce qui concerne un travail —

— Je prendrai n’importe quoi, la coupa aussitôt Chloé.

Kat secoua la tête.

— Non, cette période-là est finie pour toi, répliqua-t-elle sérieusement. Et justement, j’ai peut-être une solution.

Chloé l’observa avant de hausser les sourcils, pleine d’espoir.

— C’est vrai ?

— Oui, il faut juste que j’en parle à quelqu’un avant.

Kat jeta un œil à la pendule, notant qu’il était tout juste dix-sept heures. Elle sembla hésiter avant d’ajouter :

— Je vais aller lui en parler, tu peux m’attendre ici pendant ce temps-là.

Chloé se leva aussitôt tout en secouant la tête.

— Non, je viens avec toi.

— J’aurais dû la voir venir celle-là, soupira Kat tout en levant les yeux au ciel. Donne-moi juste le temps de prendre une douche alors et on décolle.

— D’accord, répondit Chloé en commençant à ramasser les diverses canettes et boîtes de pizza. Tu la connais bien cette personne pour débarquer chez elle comme ça ?

Kat se mordit la lèvre et Chloé comprit aussitôt.

— Oh, grimaça-t-elle avant de sourire. Et moi qui pensais que j’allais devoir te pousser aux fesses pour que tu acceptes de la revoir à nouveau...

Kat croisa ses bras sous sa poitrine et Chloé leva aussitôt les mains en signe d’apaisement.

— D’accord, d’accord, j’ai rien dit ! rit-elle. Allez file, pendant que je m’occupe de redonner vie à ton appartement.

— T’es folle ? Laisse, je m’en occuperai plus tard.

Chloé secoua aussitôt une main dans les airs tout en allant allumer la chaîne hifi.

— Après tout ce que tu fais pour moi, c’est le moins que je puisse faire. Maintenant file !

— D’accord, d’accord, rit Kat, roulant des yeux.

Elle prenait tout juste la direction de la salle de bains lorsque Chloé se mit à chatonner derrière elle et elle sourit franchement. Au moins une bonne chose de faite aujourd’hui.

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15 juillet 2015

Chapitre 6

Il était un peu plus de deux heures et demie du matin lorsqu’Elysia entra dans sa cuisine, et elle fut reconnaissante de la lumière du plafond qui s’allumait progressivement, lui évitant d’être soudainement aveuglée.

Pour la troisième fois en autant de jours, elle s’était fait à l’idée qu’elle ne dormirait pas cette nuit. Comme si surprendre Kat en compagnie de son escorte ne suffisait pas, il fallait aussi que ces dernières hantent ses rêves, et après s’être tournée et retournée dans ses draps, elle avait de nouveau baissé les bras.

 Ouvrant la porte du réfrigérateur, elle laissa l'air frais s'échapper tandis qu'elle inspectait les bouteilles d’eau, pensant soudain qu’elle donnerait tout pour... le verre de vin qui lui était justement proposé.

Elle leva les yeux pour croiser le regard inquiet de Mysa. 

— Ça va ? demanda-t-il en penchant légèrement la tête sur le côté.

Elysia s’empara du verre qu’il lui tendait avant de venir prendre appui contre l’évier. Elle prit une gorgée avant de répondre :

— Oui, pourquoi ?

Mysa s’adossa contre le bar. Il lui sourit faiblement.

— Tu oublies que je ne partage pas uniquement tes pensées, mais aussi ce que tu ressens.

— Et donc... tu es venu me remonter les bretelles ? demanda Elysia, un sourcil haussé.

Mysa secoua légèrement la tête.

— Je suis ton ami, avant d’être ton messager, répondit-il tout en écartant les bras. Tu viens ?

Elysia ne se fit pas prier et se glissa aussitôt dans son étreinte, soupirant d’aise lorsque les bras de Mysa se refermèrent autour d’elle. De sa main libre, elle vint jouer avec les cheveux de sa nuque d’un air absent, fermant les yeux lorsqu’elle sentit les mains de Mysa aller et venir dans son dos.

— Tu veux en parler ? souffla-t-il à son oreille.

Elysia secoua légèrement la tête.

— C’est rien de plus qu’une insomnie, Mysa. Ça passera.

Ses paroles sonnèrent tellement fausses à ses propres oreilles qu’Elysia sut aussitôt que Mysa n’y croyait pas non plus. Mais elle apprécia le fait que, contrairement à ce qu’elle redoutait, il n’insista pas.

Elle appuya sa tête contre son épaule et observa calmement son visage. Comme tout Daï-Natha, Mysa respirait l’harmonie et la perfection. Encadré par ses magnifiques cheveux d’or et habité de ses sublimes yeux turquoise, son visage était semblable à celui d’un ange. Mais surtout, Elysia ne put s’empêcher de remarquer une fois encore combien ses traits dégageaient quelque chose de puissant, de souple et de majestueux.

Il était la beauté à l’état pur. Ce qui expliquait très certainement pourquoi, sans réfléchir, elle se redressa légèrement et vint poser ses lèvres sur les siennes.

Surpris, Mysa se figea aussitôt avant d’essayer de la repousser, mais Elysia encadra son visage de ses mains.

— Embrasse-moi, supplia-t-elle contre sa bouche avant de s’emparer de ses lèvres à nouveau.

Elle le sentit hésiter avant qu’il ne réponde enfin, et elle laissa aussitôt sa langue venir effleurer la sienne, avant de l’entraîner dans une danse endiablée. Ses mains délaissèrent son visage afin de placer stratégiquement celles de Mysa sur son corps, et elle l’implora silencieusement de la caresser, de lui donner plus.

La légère nuisette qu’elle portait ne recouvrait pas grand-chose, et Elysia colla un peu plus son corps contre celui de Mysa dans l’espoir de ressentir ses effleurements au maximum. Seulement, bien vite, elle réalisa qu’elle devait se rendre à l’évidence. Il n’y avait pas de frissons lorsque les mains de Mysa la caressaient, il n’y avait pas de soupirs lorsque sa langue frôlait la sienne, il n’y avait pas de papillons dans le ventre lorsqu'il l'embrassait...

Il n’y avait rien.

Leurs lèvres se détachèrent doucement et alors qu’elle reprenait doucement sa respiration, elle réalisa que le silence qui l’entourait accentuait encore plus ce sentiment qui l’habitait depuis un petit moment déjà. 

— Laisse-moi deviner, commença-t-elle en appuyant son front contre le sien. Je suis lesbienne, hein ?

Mysa ne lui répondit pas et elle leva les yeux pour le regarder.

— Parce que j’ai dans mes bras le mec le plus désirable qui existe au monde, et je ne ressens... absolument... rien du tout.

Mysa afficha un petit sourire en coin tout en feignant un air blessé :

— Ouch.

Sa bêtise poussa Elysia à sourire malgré la situation et elle se recula légèrement afin de l’observer de la tête aux pieds. Elle demanda, une fois arrivée à son visage :

— Tu n’as rien ressenti du tout, pas vrai ?

Mysa pencha légèrement la tête sur le côté.

— Je ne suis pas censé ressentir quoi que ce quoi.

Ce fut au tour d’Elysia de feindre un air blessé.

— Mysa ou comment faire pour qu’une fille se sente désirable, soupira-t-elle d’un ton sarcastique tout en se dirigeant vers son bureau.

Mysa la suivit aussitôt.

— Tu es une Daï-Natha, bien sûr que tu es désirable.

Elysia leva les yeux au ciel.

— Peut-être, mais ce n’est pas comme ça que je me sens en ce moment, marmonna-t-elle tout en prenant place dans son fauteuil, appréciant la fraîcheur du cuir contre sa peau. Et je suis désolée de t’avoir pris comme cobaye.

En appui contre le coin de son bureau, Mysa s’empara de l’un de ses surligneurs qu’il fit tourner entre ses doigts.

— Si j’en crois mon protégé, ce n’est pas le genre de choses dont les hommes se plaignent, en général.

Sa réponse parvint de nouveau à arracher un sourire à Elysia. Le protégé de Mysa, un jeune homme originaire de New York, était un véritable coureur de jupons.

— Je ne crois pas non plus, en effet, répondit-elle.

— Surtout lorsque la demoiselle est désirable.

Le sourire d’Elysia s’effaça et elle le supplia du regard.

— Mysa...

Il descendit du bureau pour venir s’accroupir à ses côtés, puis pencha la tête sur le côté, comme quelqu’un muni d’une oreillette le ferait, avant de froncer légèrement les sourcils et la regarder.

— Je dois y aller, s’excusa-t-il. Mais avant... je sais que je devrais te mettre en garde, et te rappeler la mission pour laquelle tu es venue ici. Mais cette fois-ci, je m’en tiendrais à une chose que tu sembles avoir oublié.

Il se pencha légèrement vers l’avant et la regarda droit dans les yeux :

— Les apparences sont souvent trompeuses... tu devrais méditer là-dessus.

Elysia fronça les sourcils, confuse, mais elle n’eut pas le temps de répondre qu’il avait déjà disparu et elle se retrouva là, à observer bêtement l’endroit où il se trouvait.

Les apparences sont parfois trompeuses.

Soit.

Mais je sais très bien ce que j’ai vu ce jour-là en tout cas.

4 juillet 2015

Chapitre 5

Lorsque Kat arriva à son bureau le lundi matin, Elysia était plongée en plein travail, les sourcils froncés de concentration face aux nombreux papiers étalés devant elle. Sa tête se relevait de temps à autre pour laisser ses doigts venir courir sur le clavier de l’ordinateur avant qu’elle ne reporte son attention sur ses dossiers, et Kat sentit un sourire étirer ses lèvres. C’était une nouvelle facette d’Elysia qui lui apparaissait soudain, tant elle s’était habituée à son côté léger, taquin, frais. La rédac’ chef était désormais si sérieuse et si concentrée sur ce qu’elle faisait que c’en était presque déconcertant, si bien que Kat avait l’impression de se retrouver face à une personne complètement différente.

Ses jambes athlétiques n’avaient cependant pas changé, pensa-t-elle tandis qu’elle laissait son regard errer sur la peau crémeuse. Sa robe sans manches, au décolleté correct, s'arrêtait à mi-cuisse et dévoilait des jambes interminables dont le hâle rappelait presque la couleur du satin.

Elle se racla finalement légèrement la gorge afin d’annoncer sa présence, et Elysia leva aussitôt les yeux vers elle avant de lui sourire. Un sourire franc et sincère qui poussa aussitôt Kat à lui en offrir un en retour.

— Courrier pour Madame, dit-elle en lui tendant une pile d’enveloppes.

— Ooooh merci, répondit Elysia. J’attendais justement le... ah, le voilà, super.

Elle mit le courrier sélectionné de côté avant de rapidement feuilleter le reste, puis poser le reste dans la bannette attitrée.

— Comment va ton front ? demanda Kat en prenant appui contre le chambranle.

— Tu veux dire, hormis le fait que je sois obligée de porter un bandana H24 ? soupira Elysia en désignant sa tête. Ça va, la bosse est terrible, mais tant que je n’y touche pas, ça va.

Kat plongea une main dans la poche arrière de son jean et en sortit un tissu qu’elle tendit à Elysia.

— Ceci devrait aider, alors.

— Qu’est-ce que ce que c’est ? demanda Elysia les sourcils froncés, avant de sourire franchement. Un bandana à l’effigie de Kitty, j‘adore !

Les pages de l’Orlando Comics se répartissaient principalement entre bandes dessinées réunissant des univers différents, et des parties magazine axées sur la nature, les nouvelles technologies, et le monde actuel. Chaque numéro se terminait toujours par une planche de « Kitty : La p'tite gauchère ». Une jeune adolescente de 15 ans dont la maladresse l’entraînait dans toutes sortes de péripéties. Si Elysia en croyait ses lecteurs, ses aventures étaient assez amusantes.

Kat rit légèrement lorsqu’elle vit Elysia s’assurer qu’il n’y avait personne dans le couloir afin d’opérer le changement en vitesse.

— Josh m’a aidé pour le motif. Je me suis dit que personne ne pourrait reprocher à la rédac’ chef d’afficher franchement la raison de votre succès.

— Je ne suis pas sûre qu’on doive tout à Kitty, mais merci, j’adore, répondit Elysia en contournant son bureau afin de venir l’enlacer. T’es géniale, dit-elle en se reculant.

Kat haussa les épaules, une légère coloration recouvrant ses joues.

— Tout va bien, sinon ? Tu n’as pas eu d’autres symptômes, ou mal dormi...

— Rien de tout ça, assura Elysia, touchée par l’attention que Kat lui portait. Vraiment Kat, je vais bien, ajouta-t-elle sincèrement.

Kat hocha la tête.

— Je ne vais pas te déranger plus longtemps alors, tu m’as l’air pas mal occupée.

— Oui, c’est la dernière révision du dossier spécial de notre numéro de septembre. Sur Gander.

Kat fronça légèrement les sourcils.

— L’Opération Ruban jaune ? Georgia Beers a écrit un livre là-dessus. 96 heures. Vraiment très touchant.

— Je ne connais pas, mais j’imagine, sourit Elysia. Je te vois plus tard ?

Kat hocha la tête et Elysia l’observa disparaître le long du couloir avant de reprendre place derrière son bureau. 

Le 11 septembre 2001, quand quatre avions de ligne avaient été projetés sur des bâtiments symboliques du nord-est des Etats-Unis, l’espace aérien avait été aussitôt fermé, obligeant tous les vols à quitter la zone d’urgence. S’en était alors suivi un déroutage impressionnant de vols internationaux vers le Canada, notamment vers l'aéroport international de Gander, Newfoundland. Afin de marquer ce tristement célèbre anniversaire, Elysia et son équipe avaient décidé de publier un numéro spécial dédié à cette petite ville de 10 000 habitants, qui avait alors accueilli près de 6 500 personnes venues du monde entier, et ce, durant quatre jours.

Le thème principal n’avait pas seulement pour but de commémorer les vies perdues lors des attentats, mais surtout de souligner la générosité dont avaient fait preuve les habitants de Gander à l’époque, quand ils avaient accueilli tous ces passagers, les avaient logés, nourris, et bien plus encore, sans rien demander en retour parce que ce jour-là, ils étaient « tous américains ».

C’était pour Elysia l’un des plus beaux actes d'humanité à marquer un évènement si sombre.

Les paroles de Kat lui revinrent cependant en mémoire et elle jeta un rapide coup d’œil sur Amazon afin d’en apprendre plus sur le livre dont elle lui avait parlé quelques minutes plus tôt. Elle sourit aussitôt lorsqu’elle lut Fiction Lesbienne juste sous le titre et le nom de l’auteure.

Une chose était sûre, Kat n’était pas du genre à avoir peur de dévoiler son orientation sexuelle.

Un clic plus tard, la commande était passée.

Elle changea de fenêtre lorsque son ordinateur émit un bruit caractéristique et jeta un rapide coup d’œil au mail qu’elle venait de recevoir. Josh venait de le lui faire suivre et elle double-cliqua sur la petite enveloppe, avant de froncer les sourcils. Le mail ne contenait qu’un scan d’un vieil article de journal, et elle se figea après avoir parcouru son contenu du regard. 

...Katlyn Harper a été reconnue coupable aujourd'hui de l’accusation de voie de faits graves et d’infliction de lésions corporelles sur deux hommes alors qu’elle... ...peine de cinq ans de prison et une amende de 2 500$US...

— Le même mail a été envoyé à la rédaction complète du magazine, commenta Josh tout en s’appuyant contre le chambranle de la porte. L’équipe de sécurité est déjà à pied d’œuvre pour savoir qui a piraté ta boîte mail.

Ma boîte mail ? Elysia cligna des yeux à plusieurs reprises.

— Ce mail vient de moi ? s’exclama-t-elle, puis fut secrètement soulagée que Josh n’ait pas pensé un seul instant qu’elle ait pu envoyer ce genre de choses à l’ensemble de la boîte.

La voix de Josh la ramena au présent.

— Tu étais au courant ?

— Du contenu de l’article ? Pas vraiment, j’en connaissais les grandes lignes, mentit Elysia tandis qu’elle enfilait sa veste. Tu sais où elle est ?

Josh secoua négativement la tête et elle appuya sur « imprimer », récupérant la feuille avant de se précipiter dans le couloir.

— Dis-lui de se rendre dans mon bureau si tu la croises ! lança-t-elle par-dessus son épaule.

La minute suivante, elle pénétrait dans les toilettes des filles et s’assura d’être seule avant d’enclencher le verrou derrière elle.

— Mysa ? appela-t-elle. Mysa ramène tes fesses maintenant !

— Avant que quelqu’un ne te surprenne à parler seule ? ricana la voix derrière elle.

Elysia fit volte-face, soulagée de le voir les bras croisés au beau milieu de la pièce. Elle lui plaqua la feuille imprimée sous le nez.

— Ces satanés Targa sont encore plus mesquins que je le pensais !

Mysa s’empara de la feuille qu’il parcourut du regard, les sourcils froncés.

— Tu es sûre que ça vient d’eux ? demanda-t-il en relevant les yeux vers Elysia. Les commérages vont bon train dans une entreprise. N’importe qui aurait pu déterrer cette coupure de journal.

— Personne ne déteste Kat, ici. Ils oublient juste qu’il y a une personne derrière le statut de « chargée de courrier », avec des sentiments et un amour-propre, répondit Elysia avec sarcasme, avant de retrouver son calme. Il faudrait vraiment vouloir lui nuire pour faire ça.

— Hmm. Tu sais où elle est ?

Elysia se passa une main sur le visage tout en soupirant.

— Non. Bon sang, Mysa, elle allait si bien ces derniers temps, ça va l’anéantir. Je ne comprends pas comment cette garce de Targa arrive à avoir autant d’ascendant sur Kat, bon sang. D’abord, la tentative de suicide et maintenant, ça. Sans compter ce qu’il s’est passé hier. Je vais finir par croire qu’elle n’a pas été dépouillée de tous ses pouvoirs.

Elle s’est enfuie. Tu as été autorisée à venir à condition de revêtir une apparence humaine. Les choses sont forcément déséquilibrées. Elle ne possède pas toutes les facultés qu’elle avait en étant là-haut, mais peut aisément influencer Kat en étant suffisamment près.

— Alors que moi, je ne peux rien faire, soupira Elysia, découragée.

Mysa posa deux mains réconfortantes sur ses épaules.

— Elysia, tu es une Daï-Natha, tu ne peux pas être totalement dépossédée de ton essence. Le degré est moindre, certes, mais tu lui permets quand même de se sentir bien.

— Oh génial, je suis la bonne dose de cannabis, quoi, déclara Elysia en roulant des yeux.

Mysa sourit.

— Je pensais à quelque chose de plus sain.

— Comme un bon massage aux huiles essentielles ? répliqua aussitôt Elysia, son sourire retrouvé. O.K., je peux vivre avec ça.

— Tant mieux. Maintenant file, elle risque d’avoir besoin toi.

Elysia hocha la tête, puis quitta la pièce.

💕

Mardi 22 Novembre 2011, The Independent Bar.

Assise au bar, Kat laissa son regard s’évader autour d’elle. Comme toujours, l’endroit était bondé de travailleurs et d’étudiants cherchant à se détendre après une longue journée de dur labeur. Les serveurs croulaient autant sous les commandes que sous les pourboires, les consommateurs profitaient de l’alcool qui coulait à flots et les plus téméraires s’essayaient au karaoké, bien souvent au grand dam du reste de la clientèle.

Un verre de whisky entre les mains, Kat observait un groupe de filles qui se dandinaient sur la piste de danse, la façon dont elles dévoraient leur public du regard. Une seconde d’attention, et n’importe lequel de ces hommes se trouverait aussitôt irrésistible. Il se laisserait tenter, et avec un peu de chance, ne rentrerait pas seul ce soir.

Les poules faisaient leur show, les coqs attendaient d’être remarqués, les œillères de la fidélité bien en place. Kat trouvait ça presque amusant... presque.

Un léger raclement de gorge la poussa cependant à détourner le regard et elle croisa aussitôt deux yeux noisette brillant de malice. 

— Je crois que vous avez une touche, sourit-elle, désignant l’endroit du menton.

Kat tourna la tête dans la direction indiquée. Elle haussa un sourcil.

— Les deux bucherons aux cheveux platine là ?

— Hmm hmm, acquiesça la barmaid.

— Non merci, frissonna Kat, et ce même s’ils étaient les derniers hommes sur terre.

La barmaid se pencha légèrement vers Kat.

— Attention, vous pourriez me vexer, l’un des deux est mon frère, lui dit-elle dans un clin d’œil.

Kat plissa des yeux, dubitative et vit ses soupçons confirmés quand la barmaid se mit à rire.

— C’est bien ce que je pensais, dit-elle en prenant une gorgée de whisky.

La barmaid lui sourit franchement tout en déposant un second verre de whisky en face d’elle après y avoir ajouté deux glaçons.

— Désolée, c’était trop tentant, s’excusa-t-elle. Celui-là, c’est moi qui vous l’offre, dit-elle avant de s’éloigner servir un autre client.

Kat la remercia d’un geste de la tête, un sourire amusé sur les lèvres. Radiohead se mit à résonner à l’autre bout de la pièce et elle marqua le rythme en remuant du pied. Elle adorait tout ce qui ressemblait de près ou de loin au rock alternatif.

— Vous venez souvent ici ? lui parvint soudainement une voix sur sa gauche.

Des effluves d'alcool vinrent lui chatouiller désagréablement les narines et elle leva intérieurement les yeux au ciel. Il fallait qu’elle se tape le lourd de service.

Elle haussa les épaules.

— De temps à autre, répondit-elle, baissant les yeux sur son verre.

— Z’êtes sûre ? Je vous ai jamais vu par ici.

Kat s’apprêtait à répondre lorsqu’un deuxième homme vint s’installer à sa droite, son état d’ivresse visiblement aussi avancé que son compagnon, et un frisson désagréable remonta le long de sa colonne vertébrale lorsqu’un bras vint entourer sa taille, rapidement suivi d’un souffle chaud contre son oreille. Elle se figea, tournant la tête pour tomber nez à nez avec un regard gris/vert dont la pupille dilatée la déshabillait de manière extrêmement dérangeante.

Kat eut la désagréable impression d’être soudainement devenue un vulgaire morceau de viande qu'il voulait absolument dévorer, sans tenir compte du fait qu’elle puisse avoir un cerveau et des envies complètement différentes.

La main de l’homme descendit jusqu’à ses fesses et il eut à peine le temps d’ouvrir la bouche que Kat le repoussa violemment, le faisant tomber au sol. L’homme la regarda, incrédule, et elle descendit à son tour de son tabouret afin de le surplomber de toute sa hauteur.

Notant le silence qui les entourait soudainement, et les regards fixés sur eux, l’homme se releva lentement, s'époussetant pour se redonner contenance.

— Alors là, ma p’tite, commença-t-il d’un air nonchalant. Je crois que tu vas regretter ce que tu viens de faire. 

Kat l’observa s'approcher à nouveau et lorsqu’il tenta de la saisir par le bras, elle se dégagea avant de l'attraper pour le plaquer contre le bar. Le dos de l’homme heurta violemment le bois et elle se pencha jusqu’à frôler son oreille.

— Tu pensais peut-être pouvoir me sauter ? lui demanda-t-elle. Désolée de te dire ça mon bonhomme mais... aucune chance.

— Ah ? répondit l’homme dans un sourire salace. Je crois qu’on est bien parti là pourtant, non ?

Il désigna leur position du regard et commença à remuer ses hanches de façon suggestive. Dégouttée, Kat le relâcha aussitôt, s’essuyant les mains contre son jean.

— Je ne suis pas un objet que tu peux utiliser comme bon te semble, espèce de sale porc, cracha-t-elle, les dents serrées.

— Un bon coup de queue te ferait pourtant le plus grand bien, histoire de te mater un peu, hein ?

Le coup partit sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte et le toucha à la mâchoire, poussant sa tête à heurter violemment le coin du bar avant qu’il ne s’affale dans un bruit sourd. Du sang gicla de la plaie qui venait de s’ouvrir sur sa tempe gauche et Kat observa sa main, interdite.

Du coin de l’œil, elle aperçut le barman faire discrètement signe à l’une des serveuses d’appeler la police et elle réalisa trop tard qu’elle était allée trop loin. Levant les mains pour leur supplier d’attendre, un coup violent s’abattit sur l’arrière de son crâne et la força à tomber à genoux et à cligner plusieurs fois des yeux face à la douleur. L’odeur de bière lui parvint et elle passa une main dans ses cheveux, grimaçant lorsqu’elle sentit le sang et les morceaux de verre brisé. 

— Tu vas comprendre ta souffrance, espèce de salope, lâcha l’homme avant de la tirer par les cheveux et la remettre debout.

Le geste lui rappela soudainement ce que ce monstre lui avait fait subir neuf années auparavant, si bien que la douleur lui parvint à peine tant elle se sentait repartir là-bas malgré elle.

— Debout ! hurla l’homme en l’attrapant par les cheveux, la forçant à se redresser et se retrouver collée contre lui. Tu vois, souffla-t-il contre son oreille, l’odeur d’alcool lui chatouillant désagréablement les narines. Mes petits copains situés juste derrière la porte vont s’assurer que personne ne vienne... interrompre... notre petit... show.

Il la retourna subitement.

— Alors... tu vas te tenir bien tranquille, hein ? Ce serait dommage de devoir en venir à des solutions... plus... radicales. Tu ne crois pas ?

Une colère froide s’empara de Kat et elle ferma un instant les yeux, prenant une profonde inspiration avant de relever subitement son bras gauche lorsqu’elle sentit un souffle putride contre son oreille. Elle le rabattit violemment en arrière et ce fut avec satisfaction qu’elle entendit un craquement résonner aussitôt.

— Ah ! s’écria l’homme alors que du sang jaillissait de son nez. Non mais t’es complètement malade !

— Je te conseille de me laisser tranquille connard, ou sinon...

— Ou sinon quoi ? cracha l’homme en s’approchant à nouveau. Tu vas appeler ta petite maman pour qu’elle te vienne à la rescousse ?

Kat haussa un sourcil avant de laisser un petit sourire apparaître sur mes lèvres.

— Oh non..., j’ai beaucoup mieux que ça.

L’homme la regarda, l’air confus, avant de sentir l’air quitter ses poumons lorsque le genou de Kat entra soudainement en contact avec son entrejambe.

— Oh merde..., gémit-il en se laissant tomber à genoux.

— Ah, là c’est mieux, répondit Kat avant de prendre sa tête entre ses mains et de préparer à nouveau son genou. Et ça, c’est pour —

— Haut les mains !

Surprise, Kat releva aussitôt la tête pour voir deux officiers de police en uniforme se tenir à l’entrée du bar, leurs armes pointées sur elle, leurs lampes torches rivées sur son visage, l’aveuglant.

— Placez vos mains sur votre tête madame, et reculez d’un pas, ordonna l’un des officiers en s’avançant s’approchant lentement.

Le regard de Kat se baissa à nouveau vers ses mains et elle obtempéra, prenant soin de ne pas faire de gestes brusques. L’officier vint aider l’homme à se remettre debout pendant que son collègue s’emparait de ses mains et lui mettait les menottes.

— Vous allez être conduite au commissariat, lui dit-il d’une voix professionnelle. Vous avez le droit de garder le silence. Dans le cas contraire, tout ce que vous direz pourra et sera utilisé contre vous devant un tribunal. Vous avez le droit de consulter un avocat et d’avoir un avocat présent lors de l’interrogatoire. Si vous n’en avez pas les moyens, un avocat vous sera désigné d’office, et il ne vous en coûtera rien. Durant chaque interrogatoire, vous pourrez décider à n’importe quel moment d’exercer ces droits, de ne répondre à aucune question ou de ne faire aucune déposition.

Kat hocha la tête d’un air absent tandis que l’officier la conduisait vers la sortie. Son regard s’attarda sur les quelques personnes encore présentes autour d’eux et elle réalisa pour la première fois que la plupart avaient quitté le bar pour se réfugier dans la rue. Lorsqu’elle sortit à son tour, leurs regards l’évitèrent, certains la dévisageaient ouvertement, d’autres encore grimaçaient tout en chuchotant, et Kat comprit aussitôt qu’aucun ne témoignerait en sa faveur.

Et merde.

 

 

— Hé, Kat ?

La voix de Chloé la ramena au présent et elle tourna légèrement la tête, un sourcil haussé.

— Hmm ?

— Je te demandai si ça allait, répéta Chloé tandis qu’elle laissait courir ses doigts le long des bras de Kat, ses pouces massant légèrement les muscles tendus.

Elle sourit lorsque Kat se contenta de relâcher un soupir de bien-être. Son cours ayant été annulé à la dernière minute, elle avait décidé d’attendre Kat sur le pas de sa porte histoire de lui rendre une petite visite. Mais quelle n’avait pas été sa surprise lorsqu’elle avait vu Kat sortir en trombe de l’ascenseur, le visage crispé et les poings serrés de chaque côté de son corps.

Kat lui avait alors raconté ce qu’il s’était passé au magazine, ne surprenant Chloé qu’à moitié par ses révélations — en tant qu’escorte, sa compagnie faisait toujours des recherches approfondies sur le passé de leur clientèle. Chloé lui avait proposé un thé glacé et un bon bain chaud histoire de la détendre, et vu la façon dont Kat était désormais confortablement allongée contre elle, son plan avait plutôt bien fonctionné.

— J’en déduis que la tempête est passée, alors ? demanda-t-elle, un sourire dans la voix tandis qu’elle mordillait l’épaule de Kat.

Kat frissonna légèrement.

— Pour l’instant. Elle reviendra probablement demain, quand je les verrais de nouveau chuchoter entre eux tout en me regardant, ironisa-t-elle. Ça ne m’était pas arrivé depuis le lycée, tu sais, quand j’avais embrassé Kylie Johnson devant tout le monde. C’est dingue comme les gens peuvent être...

— Stupides ? Puérils ? Bah, tu sais, j’ai toujours entendu dire que ça ne s’arrangeait pas avec l’âge. Regarde ma mère, plus les années passent, moins elle est responsable. C’est triste, vraiment.

Son ton léger poussa Kat à rire et Chloé sourit, fière d’elle.

— C’est surtout la façon dont la personne s’y est prise qui m’a mise en colère, reprit Kat, s’emparant des mains de Chloé quand elles glissèrent sur son ventre. Mais ça passera. Merci pour ça, en tout cas. J’en avais besoin.

— Oh ne me remercie pas, j’en bénéficie aussi, taquina Chloé tandis qu’elle laissait ses lèvres venir s’aventurer dans le cou de Kat.  

Kat lâcha un rire avant de gémir lorsque la sonnette de l’appartement retentit. Elle n’avait aucune envie de sortir de ce bon bain chaud.

— Tu sais qui ça peut être ? demanda Chloé tandis que Kat se redressait à contrecœur.

Cette dernière haussa les épaules.

— Sûrement quelqu’un qui a en eu marre de tomber sur ma messagerie, répondit-elle d’un air coupable en enfilant son peignoir.

Elle devait avoir une dizaine d’appels en absence.

— Bouge pas, je reviens.

💕

Elysia s’apprêtait à sonner de nouveau lorsque la porte s’ouvrit enfin et elle soupira de soulagement, avait de hausser les sourcils face aux cheveux humides et au peignoir de Kat.

— Euh... je tombe mal ?

Kat jeta un rapide coup d’œil par-dessus son épaule avant de sortir dans le couloir et de tirer légèrement la porte derrière elle. Elle secoua la tête.

— Non, j’étais... je prenais juste un bain. J’avais besoin de me détendre.

— Oh. J’imagine que tu as eu vent du mail, alors ? grimaça Elysia. 

Kat enfonça les mains dans les poches de son peignoir.

— Et j’imagine que toi aussi. La discrétion, c’est visiblement pas le fort de la maison, hein ?

— Je suis désolée, répondit sincèrement Elysia. Comment tu... je veux dire, ça va ?

Kat haussa les épaules.

— Ça m’a surtout mise en colère. La DRH était au courant, alors j’étais sûre que l’info finirait par filtrer d’une façon ou d’une autre. Mais pas comme ça, tu sais ? C’est surtout ça qui m’a mise hors de moi.

Elysia hocha légèrement la tête.

— Hmm, je comprends. L’équipe de sécurité est en train de chercher le responsable et... enfin, je tenais surtout à m’assurer que tu allais bien.

Kat tendit un bras afin de prendre la main d’Elysia dans la sienne.

— Ça va, assura-t-elle sincèrement. Mais merci d’être passée. J’apprécie. Et je suis désolée de pas avoir décroché quand tu as appelé, j’avais pas vraiment la tête à discuter.

— C’est rien, je comprends, répondit Elysia en remuant une main. Mais si jamais tu as envie d’en parler... un jour... n’importe quand, n’hésite pas. D’accord ?

Kat l’étudia un instant, comme si elle essayait de jauger sa sincérité, avant de hocher la tête.

— D’accord.

Elysia s’apprêtait à poursuivre lorsqu’une voix résonna soudain dans l’appartement et elle haussa les sourcils, avant de sentir le sang quitter son visage lorsqu’une jeune femme apparut derrière Kat.

— Kat ? Y a une certaine « Lyna » qui vient d’appeler. Je crois qu’elle a laissé un message sur ton répondeur.

Son regard s’arrêta sur Elysia et elle tendit une main.

— Oh. Hé, je suis Chloé, une amie de Kat. Vous devez être Elysia, c’est ça ?

Elysia écoutait à peine ce que Chloé lui disait, son regard passant alternativement de l’une à l’autre. Elle avait déjà compris pourquoi Kat avait mis autant de temps avant de lui ouvrir, l’unique présence de Chloé lui suffisant à le deviner, leurs cheveux humides et leurs peignoirs ne faisant que le confirmer.

Elle comprit soudain beaucoup mieux le ‘Je prenais un bain. J’avais besoin de me détendre.’  Pas seule, visiblement.

Sans vraiment comprendre pourquoi, elle sentit sa gorge se serrer et se recula légèrement.

— C’est ça. Ravie de... faire votre connaissance, dit-elle difficilement avant de reporter son attention sur Kat. Hum. Je voulais juste m’assurer... tu sais... que tu allais bien, balbutia-t-elle en évitant son regard. Je ferais mieux d’y aller, il se fait tard.

Kat tenta aussitôt de la retenir.

— Tu es sûre ? Parce que...

Elysia secoua la tête avant de reporter son attention sur Kat, elle se força à sourire.

— J’ai beaucoup de choses à faire, vraiment, je passais juste m’assurer que ça allait.

Kat sembla hésiter, mais finit par hocher la tête pour le plus grand soulagement d’Elysia.

— D’accord, souffla-t-elle, visiblement déçue.

— Cool, répondit Elysia dans ce qui était, elle l’espérait, un ton joyeux. Passez une bonne fin de journée, ajouta-t-elle en les observant à tour de rôle.

Elle n’attendit pas la réponse et s’éloigna aussitôt le long du couloir, les larmes durement retenues se libérant finalement le long de ses joues.

Bon sang, mais qu’est-ce qui cloche chez moi ?

1 juillet 2015

Chapitre 4

— Tu sais, tu devrais vraiment penser à t’acheter une voiture, marmonna Elysia tout en rendant son casque à Josh. Le magazine te paye quand même assez pour, non ?

— Et subir les embouteillages ? Non merci, rétorqua Josh en faisant vrombir le moteur de son scooter gris.

Elysia, qui s’était penchée devant l’un des rétroviseurs de manière à pouvoir se recoiffer, plissa des yeux face au nuage de pollution produit. Josh lui offrit un sourire penaud.

— Admets quand même que tu aurais mis plus de temps en voiture, ou en taxi...

— C’est vrai, reconnut Elysia, avant de le taquiner. Et puis, j’ai pu voir que tu étais bien plus musclé que tu en avais l’air. Il doit en effet marcher, ce petit déjeuner des champions !

Le visage de Josh vira aussitôt au cramoisi et il marmonna un faible « euh... j’ai... euh... à tout à l’heure » avant d’abaisser son casque et de s’engager sur la route, ignorant le rire d’Elysia qui résonnait derrière lui.

Elle prit la direction du garage et vit aussitôt Kat en sortir, son marcel et son jean déchiré légèrement recouverts de cambouis.

Son regard s’attarda un instant sur les muscles visibles de ses avant-bras avant de poursuivre leur route le long de son corps et un sourire se dessina sur ses lèvres. Chloé passait son temps à la surnommer « Sexy », et Elysia dut bien s’avouer qu’elle ne pouvait qu’aller dans son sens sur ce point. Non pas qu’elle était en désaccord avec Chloé sur le reste, mais elle avait l’impression de sentir son cœur se serrer à chaque fois qu’elle pensait à la jeune femme, même si elle n’en comprenait pas la raison. Cette sensation lui était bien trop désagréable pour qu’elle s’y attarde.

Kat l’aperçut finalement et Elysia s’approcha, un sourire sur les lèvres.

— Mon petit doigt m’a dit que ma voiture était enfin prête, taquina-t-elle.

— Juste le temps de déposer ça et je suis à toi. Tu peux m’attendre à l’intérieur si tu veux.

Elysia remarqua alors les deux gros pneus qu’elle semblait n’avoir aucune difficulté à porter et acquiesça, mais s’arrêta au moment où Kat passait à côté d’elle.

— Ne me fais pas attendre, Super Girl, dit-elle en la chatouillant légèrement au niveau du ventre. Sinon, tu découvriras combien les rédactrices en chef peuvent être redoutables, taquina-t-elle.

Son geste prit visiblement Kat par surprise mais cette dernière se reprit rapidement, même si Elysia nota aisément la légère coloration qui vint recouvrir progressivement ses joues.

Kat haussa les sourcils avant qu’un sourire n’apparaisse à son tour sur ses lèvres et qu’elle ne secoue légèrement la tête.

— À tout de suite, répondit-elle.

💕

A l’intérieur, le rock d’Elvis résonnait en fond sonore, la voix du King se répercutant contre les murs recouvert d’outils. Kat adorait écouter de vieilles chansons à plein tube à chaque fois qu’elle travaillait sur sa voiture ce qui, selon Elysia, avait quelque chose d’extrêmement agréable. Surtout lorsque Kat se mettait à se trémousser en rythme, emportée par le tempo endiablé du best-of de Presley. Penchée au-dessus du moteur, les mains dansant avec cette aisance que conférait l’habitude, elle chantonnait désormais et Elysia avait bien du mal à se retenir de rire.

— Alors ? demanda-t-elle finalement pour la troisième fois.

Kat prit appui contre le pare-chocs de sa voiture.

— J’ai jamais vu quelqu’un d’aussi impatient, répondit-elle en écartant une mèche rebelle de son visage d’un revers de main, laissant par la même occasion une trace de cambouis sur sa joue. Tu as un rendez-vous galant, ou quoi ?

— Un rendez-vous galant ? s’étonna Elysia avant de sourire, venant essuyer la joue de Kat à l’aide d’un torchon propre. Ouais, avec mon magazine.

Kat lâcha un rire.

— Ah ces rédac’ chef, ils travaillent même le samedi pour nous prouver qu’ils font bien quelque chose là-haut, dans leur tour d’ivoire.

Son commentaire lui valut une belle tape sur les fesses et elle sursauta, se cognant la tête contre le capot.

— Ouch !

Elysia écarquilla aussitôt les yeux.

— Oh merde, ça va ? demanda-t-elle, inquiète.

— Mis à part que j’ai dû perdre quelques neurones..., marmonna Kat tout en retirant ses gants.

Elle s’apprêta à porter une main à sa tête mais Elysia lui donna une petite tape.

— Hé ! s’exclama-t-elle aussitôt. C’est une nouvelle manie de me taper dessus ?

— Non, bêta, rit Elysia. Mais même avec tes gants, tes mains sont pleines de cambouis. Baisse-toi.

Kat marmonna quelque chose qu’Elysia ne parvint pas à déchiffrer avant de légèrement plier les genoux. Leur taille étant presque identique, elle n’avait pas à descendre de beaucoup. Elysia écarta ses cheveux avant de remarquer une légère rougeur, et au vu de l’enflure, elle ne mit pas bien longtemps avant de conclure que Kat allait avoir une petite bosse.

— Tu as de la glace ici ? Ou quelque chose de frais ?

— Il y a un distributeur, mais je ne me vois pas me trimbaler avec une canette sur la tête pendant le reste de la journée.

Elysia rit doucement.

— Avec la chaleur qu’il fait, elle ne restera pas fraîche bien longtemps, de toute façon. Bon, ben, aux grands maux, les grands remèdes.

Et elle l’embrassa sa tête dans une infinie douceur.

— C’était quoi, ça ? demanda Kat alors qu’un doux frisson parcourait son corps.

— Un bisou magique, sourit Elysia.

Kat se redressa et secoua légèrement la tête.

— Tu es unique, tu le sais ça ? répondit-elle tout en refermant le capot de la voiture.

Elysia fut prise de court. Elle s’était attendue à de l’humour, mais voilà que Kat lui offrait une réponse emprise d’une sincérité à lui en faire oublier comment on respire. Une douce chaleur recouvra progressivement ses joues, et elle se retrouva à balbutier un « merci » à peine audible.

— J’ai terminé, mademoiselle l’impatiente, taquina finalement Kat tout en s’emparant d’un chiffon avec lequel elle tenta vainement d’effacer les marques de son labeur, sans grand succès. Et ta voiture ne nécessite aucune autre réparation, comme je m’en étais doutée, puisqu’elle est neuve.

— Tu étais censée te contenter de remplacer une pièce, accusa Elysia en croisant les bras sur sa poitrine. Pas me faire une révision complète.

Kat afficha un air taquin.

— J’avais peut-être envie d’un gros chèque.

Elysia haussa les sourcils.

— Oh ? Et qu’est-ce qui te fait croire que mon métier paye si bien ?

— Je t’en prie, cette voiture crie le compte en banque bien rempli, et ta tenue va dans le même sens.

Elysia haussa les sourcils avant d’abaisser son regard vers son corps.

— Je suis en jean ! s’exclama-t-elle.

— Avec des talons Jimmy Choo, un sac à main Gucci et une veste tailleur... hmm, Chanel ?

Elysia afficha un air faussement outré.

— Mais c’est qu’elle s’y connaît en matière de mode, taquina-t-elle.

Kat croisa les bras sur sa poitrine, les yeux plissés.

— Rien que pour ça, tu vas me le signer, ce gros chèque.

— Non, j’ai mieux, sourit Elysia. Que dirais-tu d’un bon petit déjeuner sur le compte du magazine avant d’embaucher ?

Kat jeta un œil à sa montre. Il était déjà pas loin de huit heures.

— J’avais prévu de retrouver un ami à la cafeteria, mais tu peux te joindre à nous si tu veux ?

Elysia fronça les sourcils. Seuls les employés du magazine avaient accès à la cafétéria, alors il y avait de grandes chances pour qu’elle le connaisse.

— Un ami... ?

— Tu comprendras quand tu le rencontreras, sourit mystérieusement Kat.

Oh ?

— O.K., allons-y alors.

💕

Elysia passait pour la énième fois la salle du réfectoire en revue lorsqu’un léger coup de coude attira son attention, et elle croisa aussitôt un regard noisette amusé.

— Tu cherches quelque chose ? taquina Kat tandis qu’elles cherchaient une table, leurs plateaux-repas entre les mains.

Elysia rougit légèrement.

— Je me demandais juste qui était cet ami dont tu parlais. S’il travaille ici, je devrais le connaître. Sinon, il vient de l’extérieur et alors je me demande comment tu as fait pour le faire entrer.

— À chacun ses petits secrets, rétorqua Kat, conspiratrice. Pourquoi ? Tu as peur d’agrandir ton fan-club ?

Elysia haussa aussitôt les sourcils de surprise.

— Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

— C’est un secret pour personne que tu fais tourner toutes les têtes, répondit Kat, retenant difficilement un sourire amusé. J’ai même cru que Luke allait baver sur tes œufs et ton bacon quand il t’a tendu ton assiette.

Elysia l’observa, sceptique, mais un homme se dressant soudainement devant elle lui fit ravaler toute réponse. Son t-shirt moulant ne faisait rien pour cacher des pectoraux ultra développés, et Elysia leva les yeux vers un visage charismatique dont les traits fins faisaient de lui un homme extrêmement séduisant. Et ce regard ! Elysia avait du mal à s’en détacher. Des yeux sombres si captivants qu’ils rendaient sa beauté des plus attirantes.

La voix de Kat, qui déposait son plateau sur la table et prenait place, la ramena au présent :

— Tawny, je te présente Elysia, la rédactrice en chef du magazine pour lequel je travaille. Elysia, je te présente mon meilleur ami depuis toujours, Tawny, spécialiste en ingénierie climatique.

— Oh. Bon sang, si on m’avait dit un jour que j’allais rencontrer un véritable adonis, je n’y aurais jamais cru ! s’exclama Elysia tout en tendant une main. Enchantée.

— Il est surtout très marié, ricana Kat lorsqu’elle vit Tawny rougir.

Elysia fit la moue.

— Mouais, de toute façon, c’est toujours comme ça, soit ils sont casés, soit ils sont gays.

Tawny haussa un sourcil tandis que Kat riait doucement.

— Vous déjeunez tous les jours ici ? demanda Elysia en s’asseyant.

— Je supervise les travaux d’installation de la climatisation réversible dans les offices trois étages en dessous des vôtres, répondit Tawny en regagnant sa chaise. On a pris l’habitude de se rejoindre à chaque pause-déjeuner avec Kat.

Une femme apparaissant soudainement derrière lui l’embrassa sur le dessus de la tête avant de s’installer à ses côtés et Elysia remarqua pour la première fois qu’un deuxième plateau reposait sur la table, à côté de Tawny.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Kat dès que la jeune femme se fut assise.

— Je commence plus tard ce matin, alors que je me suis dit que j’allais manger avec mon homme et ma meilleure amie, expliqua Lyna dans un sourire avant de pointer son couteau vers Kat et de plisser les yeux. Bien que cela n’ait pas l’air de faire plaisir à cette dernière.

Kat secoua aussitôt la tête.

— Non, c’est pas ça. Je me demandais juste comment tu avais fait pour entrer.

— Oh, répondit Lyna avant d’afficher un regard brillant. Tu serais surprise de ce qu’on arrive à faire quand on est avocate.

Kat se mit aussitôt à rire.

— Tu es folle.

— Ça fait longtemps que c’est plus à prouver, renchérit aussitôt Lyna avant de porter son regard sur Elysia. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais en compagnie de la rédactrice en chef du magazine pour lequel tu travailles ?

Même si la question était dirigée vers Kat, Elysia se sentit légèrement rougir.

— Je ne savais pas que j’étais si célèbre, sourit-elle en tendant une main. Elysia Lasheras. Ravie de rencontrer la magnifique femme de ce charmant Adonis, taquina-t-elle dans un clin d’œil.

Lyna s’empara de sa main dans un sourire.

— Bien pensé, le double compliment, ça m’évite de sortir les griffes. Enchantée, moi, c’est Lyna.

— On revient tout juste du garage, déclara Kat, après avoir pris une gorgée de jus d’orange, revenant à la question de Lyna. Elysia a eu quelques soucis avec sa voiture, alors j’y ai jeté un petit coup d’œil.

— Oh. C’est gentil de ta part. Et la Chevrolet, ça avance ?

— Ça irait plus vite si t’accordais un peu plus de temps libre à ton époux, feignit de menacer Kat.

Lyna prit aussitôt un air innocent.

— Pourquoi est-ce que ce serait automatiquement de ma faute ? Je te l’ai dit, il a simplement peur de finir (elle chuchota le mot) émasculé si ça tourne mal, et pour tout te dire, moi aussi.

Elysia ne sut dire ce qui l’amusa le plus, les paroles de Lyna ou la façon dont Tawny roulait des yeux, mais elle éclata de rire, bien vite suivie par les autres.

Son regard s’arrêta cependant sur l’horloge murale et elle grimaça avant d’afficher un air désolé.

— Je suis désolée mais je suis totalement débordée en ce moment, s’excusa-t-elle en se redressant. Alors mon déjeuner et moi allons gentiment retourner nous ensevelir sous mes dossiers et vous souhaiter une excellente fin de repas.

— Vous voulez dire, passer votre temps à dessiner de petits personnages dans les marges de vos documents, taquina aussitôt Lyna dans un sourire.

Elysia rit de nouveau.

— Ça commence comme ça, répondit-elle, mais malheureusement, ça ne dure pas.

— Hmm, je comprends, répondit Lyna. Je suis avocate, et les raisons pour lesquelles je me suis orientée vers cette profession sont elles aussi entachée d’une pile de paperasse.

— Ouf, ravie de voir que je ne suis pas la seule à trouver ça chiant, répondit Elysia dans un soulagement feint, provoquant aussitôt une nouvelle tournée de rire. Avocate donc ?

Elle prit un air pensif tout en se tournant vers Kat.

— L’un pourrait déjà me rendre service pour la climatisation, et maintenant, je peux même me permettre des démêlés avec la justice, dit-elle avant de sourire fièrement. J’adore tes amis.

Kat secoua la tête, amusée.

— Fais attention, connaissant Lyna, elle te demandera des numéros gratuits en échange, taquina-t-elle.

— Ah ces femmes, toujours difficiles en affaires, feignit de soupirer Elysia avant de sourire. Bon, je vous souhaite un bon appétit. À tout à l’heure, ajouta-t-elle en direction de Kat tout en lui faisant un clin d’œil.

Kat hocha la tête et après un dernier sourire et un signe de la main, Elysia s’éloigna, la laissant seule avec deux paires d’yeux émeraude fixées sur elle.

— Quoi ? demanda-t-elle, craintive.

— Si tu ne l’invites pas à sortir, je te la pique, répondit Lyna en pointant son couteau vers elle.

Kat haussa les sourcils alors que Tawny avalait de travers.

— Hé ! s’exclama-t-il une fois la toux passée.

— Je plaisantais amour, sourit Lyna en l’embrassant sur l’épaule tout en lui tapotant doucement le dos. Allez Kat, elle est canon, et visiblement marrante en plus d’être intelligente.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? sourit aussitôt Tawny, amusé.

Lyna haussa les épaules.

— Bah, je suppose qu’il faut un minimum de matière grise pour être rédactrice en chef, non ? sourit-elle avant de lui murmurer d’un air conspirateur tout en observant Kat. Mais avoue qu’elle et Kat formeraient un couple parfait, en plus d’être super sexy.

Elle ajouta lorsque Kat se contenta de secouer la tête :

— Tawn’ ?

— Elle est jolie, acquiesça son époux, haussant les épaules.

— Jolie ? s’exclama aussitôt Lyna en tournant la tête vers lui. Elle a un physique à tomber oui ! Je me sens limite complexée à côté.

Tawny vint aussitôt l’embrasser derrière l’oreille où Kat l’entendit clairement murmurer : « Tcht... elle fait bien pâle figure à côté de toi. »

Lyna leva aussitôt les yeux au ciel, un sourire amusé néanmoins présent sur ses lèvres.

— Beau parleur, le taquina-t-elle avant de regarder Kat à nouveau. Je comprends mieux pourquoi tu n’as pas hésité avant d’accepter cette proposition à dîner l’autre soir, en tout cas, dit-elle, le regard brillant de malice.

— Lyna..., soupira Kat. Ça n’a rien à voir.

— Ah non ? rétorqua Lyna, un sourcil haussé avant de remuer sa fourchette dans sa direction. Allez Kat, elle remonte à quand, ta dernière relation ? Je suis sûre que ça doit prendre la poussière par-là..., poursuit-elle en descendant son regard le long de son corps.

Kat haussa un sourcil avant de décider de jouer à son tour.

— Justement..., commença-t-elle en lui offrant un regard appuyé, ...c’est bien plus récent que tu ne te l’imagines.

 Lyna l’observa, essayant de discerner si elle disait vrai, mais elle n’eut pas le temps de répondre que Tawny reprit la parole. 

— Reste que Lyn’ a raison, tu devrais foncer.

Kat secoua la tête, incrédule.

— Vous avez perdu la tête, ma parole, dit-elle en reportant son attention sur ses œufs et son bacon.

Leurs petits sourires lui parvinrent du coin de l’œil et elle soupira tout en portant la fourchette à sa bouche.

Je savais que cette rencontre était une mauvaise idée.

💕

— J’ai l’impression de faire l’école buissonnière, grimaça Elysia quelques heures plus tard. Regarde-moi ça, avec ma capeline, j’ai tout de la fautive qui cherche à passer inaperçu !

Kat éclata de rire et elle lui tira la langue avant d’avancer d’une place dans la file.

— Détends-toi, répondit Kat, avant de la raisonner. Tu t’accordes juste une pause histoire de souffler un peu. Et puis, t’es la rédac’ chef, qui irait te le reprocher ?

— Moi ? grimaça Elysia, s’écartant légèrement quand une petite fille passa à côté d’elles avec deux cornets de glace.

Elle retint cependant difficilement un rire lorsque Kat bondit aussitôt hors de portée.

— Qu’est-ce tu prendras ? demanda Kat une fois arrivée au comptoir du camion de glaces.

— Pistache choco. Pourquoi est-ce que tu les évites comme ça ? ajouta-t-elle en chuchotant.

— Qui ? répondit Kat, fouillant dans ses poches avant d’en sortir quelques billets roulés en boule.

Elysia désigna les gamins qui s’éloignaient déjà le long de la rue et Kat grimaça tout en attrapant leurs cornets.

— À cet âge, ils ont toujours les mains sales, à mettre leurs doigts partout là... Encore plus lorsqu’ils mangent des glaces. Mes vêtements sont propres, je tiens à ce qu’ils le restent.

Elysia haussa les sourcils avant d’éclater de rire et Kat s’arrêta, surprise.

— Quoi ? demanda-t-elle, légèrement sur la défensive alors qu’elle lui tendait son cornet.

— Merci, répondit Elysia plus ou moins calmée. Rien, rien, juste, venant d’une femme qui passe son temps à être recouverte de cambouis...

Le regard de Kat s’assombrit ostensiblement et Elysia ne put se retenir de rire à nouveau.

— En plus, continua-t-elle, les yeux humides. Ils ont quoi ? Dix ans ? J’ose espérer qu’ils savent être propres à cet âge-là.

Kat marmonna entre ses dents avant de soudainement partir devant et Elysia tenta tant bien que mal de se calmer avant de la rejoindre. Quelque chose lui disait que Kat n’aimait pas trop être taquinée comme ça.

— Hé, appela-t-elle une fois arrivée à sa hauteur.

— C’est bon, t’es calmée ? demanda Kat en l’observant du coin de l’œil.

Elysia hocha frénétiquement la tête.

— Promis, répondit-elle. Tu boudes pas, hein ?

Kat porta sa glace à ses lèvres tout en haussant les épaules.

— Si je dis que si, qu’est-ce que tu fais ?

— Je sais pas, sourit Elysia, amusée. Il paraît que le mieux, c’est d’ignorer, comme ça l’enfant finit par se lasser, et hop, affaire oubliée, taquina-t-elle.

Kat fit la moue et Elysia ne put s’empêcher de rire à nouveau avant de lâcher un cri quand un bras l’encercla soudainement par la taille et qu’une glace apparut à quelques centimètres de son visage.

— Tu disais ? lui souffla Kat, à l’oreille.

Elysia frissonna.

— Moi ? feignit-elle innocemment. Rien du tout.

Kat la relâcha avant de passer devant elle.

— Bien, sourit-elle avant de lui mettre un coup de glace sur le nez, puis détaler en courant.

Elysia haussa les sourcils avant de partir après elle à son tour.

— Oh Kat, tu vas me le payer !

💕

Une demi-heure plus tard, elles flânaient tranquillement le long des allées du parc, leurs glaces désormais terminées, lorsque des bruits de ballon rebondissant sur le bitume attirèrent leur attention.

Comme tous les samedis à quatre heures de l’après-midi, le terrain de basket était bien évidemment occupé et Elysia reconnut aussitôt la plupart des joueuses. Ces filles venaient du quartier chaud de la ville qui se trouvait à quelques rues d’ici. Elles étaient toutes étudiantes, et enchaînaient les heures au Burger Palace du coin pour subvenir à leurs besoins, ainsi qu’à ceux de leurs familles. Et chaque weekend, elles se réunissaient ici pour décompresser.

Kat, grande sportive dans l’âme, avait l’habitude de jouer avec elles de temps à autre et au vu de ses mains profondément enfoncées dans les poches avant de son jean et de sa façon de se balancer d’avant en arrière tout en les regardant, Elysia sut qu’elle mourait d’envie de les rejoindre.

— Tu peux y aller, tu sais, dit-elle d’un ton nonchalant.

Le sourire qui étendit les lèvres de Kat la rendit soudainement si attirante qu’Elysia en oublia de respirer.

— C’est vrai ?

— Hein ?

Kat fronça les sourcils et Elysia secoua légèrement la tête pour retrouver ses esprits. Oh bon sang, c’était quoi ça ?

— Euh, je veux dire, oui, oui. Je vais m’assoir juste-là, dit-elle en désignant l’un des bancs qui entourait le terrain. Mais gagne pour moi, d’accord ? taquina-t-elle.

Kat regarda sa montre.

— O.K., cinq minutes alors, dit-elle, réunissant sa longue chevelure brune en une queue de cheval haute grâce à un élastique qu’elle gardait toujours à son poignet. Mais tu peux venir aussi, tu sais. Je les connais bien, ça ne les dérangera pas.

Elysia secoua la tête.

— Non, le sport et moi n’avons jamais été amis, souris-je. Je préfère te regarder. File.

Kat s’éloigna aussitôt après un « merci ! » empli d’enthousiasme et trottina vers les joueuses réunies au milieu du terrain. Après toute une série de high-five échangés, Kat s’arrêta devant celle qui tenait le ballon et la joueuse posa aussitôt une main sur son épaule afin de venir lui murmurer quelque chose à l’oreille, probablement la tactique de jeu adopté pour le match.

— Elles sont obligées d’être aussi proches ? marmonna Elysia pour elle-même, sa bonne humeur s’évaporant soudainement.

Un soupir s’échappa de ses lèvres et elle prit place sur un banc situé à proximité de l’entrée du terrain, sur la gauche. Un arbre la protégeait du soleil et elle avait vue sur l’ensemble de la surface de jeu depuis sa position.

Après quelques paroles, la partie commença enfin, et Elysia ne put s’empêcher de sourire. La fluidité du jeu prouvait une fois de plus combien elles avaient l’habitude de jouer ensemble, mais surtout Kat semblait s’amuser et ça lui faisait plaisir.

— Vous êtes fan ?

La voix la fit sursauter et Elysia tourna aussitôt la tête, surprise de voir qu’un jeune homme avait pris place à côté d’elle, le bras en appui contre le dossier du banc et une jambe recroquevillée sous lui. Il est venu quand, celui-là ?

— Pardon ?

Il la regarda de la tête aux pieds un sourire étrange sur les lèvres avant de désigner le terrain.

— Basket, vous êtes fan ?

— Oh. Fan est peut-être un peu fort mais... j’aime bien. Et vous ?

Elle posa surtout la question par simple politesse. Sa tenue décontractée et son jeune âge — vingt-cinq, vingt-six ans peut-être ? — lui donnaient un air engageant, mais Elysia ne se laissa pas duper. Les traits de son visage étaient tendus et elle était presque certaine qu’il avait bu.

Il hocha la tête mais resta silencieux, et Elysia reporta son regard sur le match dans l’espoir qu’il la laisse tranquille et décide de partir, mais son haleine fétide mêlant cigarette et alcool lui parvint aussitôt.

— Vous savez que vous êtes bandante...

Sa main sur sa cuisse la fit sursauter et elle s’écarta aussitôt.

— Non mais vous êtes malade ! s’exclama-t-elle.

— Oh allez, je sais que t’en as envie avec ta p’tite jupe là...

Il s’approcha à nouveau et Elysia se leva d’un bon, plaquant inconsciemment ses mains sur le tissu de sa jupe comme pour s’assurer qu’il n’y avait pas accès. Le regard de l’homme repéra aussitôt son geste et son visage s’assombrit aussitôt.

— Quoi ? cracha-t-il en se levant à son tour. Ça s'habille comme une petite salope, ça joue à l'allumeuse et ça ne voudrait pas se faire toucher ? dit-il en se rapprochant dangereusement. Je vais te montrer ce qui arrive aux petites salopes comme toi qui jouent à faire la putain...

Elysia commença à se reculer mais les mains de l’homme vinrent soudainement s’emparer de ses biceps, ses doigts puissants s’enfonçant dans sa peau alors qu’il la rapprochait violemment de lui. Un cri de surprise s’échappa de ses lèvres mais s’éteignit bien vite lorsqu’il resserra encore plus son étreinte. La douleur était insupportable, ses pieds touchaient à peine le sol et son corps était en contact avec le sien de tout son long, les effluves d’alcool qui lui parvenaient lui donnant la nausée.

Du mouvement attira cependant son attention du coin de l’œil, et elle comprit aussitôt.  Une silhouette vêtue de noir, la même qui s’était trouvée sur le toit de l’immeuble ce jour-là, les observait du coin d’un immeuble. Son regard étrangement familier lui donna une fois de plus froid dans le dos, et Elysia était prête à parier qu’elle souriait.

Espèce de Targa de —

La pression que l’homme exerçait sur ses bras la ramena au présent et elle le regarda de nouveau tout en tentant d’échapper à son étreinte, mais il était beaucoup trop fort pour elle. Elle avait tellement mal qu’elle n’arrivait pas à coordonner ses jambes comme elle le voudrait.

— C'est ça, débats-toi, petite chienne, sourit-il. Ça me fait bander encore plus ! Vous êtes toutes pareilles... vous ne demandez qu'à vous faire baiser...

Ses lèvres s’approchèrent d’Elysia et elle sentit la panique mêlée au dégoût s’emparer d’elle. La peur la poussa alors à fermer les yeux et elle inclina la tête vers l’arrière avant de la faire venir s’écraser violemment contre le visage de son tourmenteur, visant son nez. Un crac ! puissant résonna aussitôt et il s’écrasa sur le sol en grognant, l’entraînant avec lui dans sa chute. Elysia ne put se retenir de gémir tellement la douleur était forte. Sa tête tournait, pulsant au même rythme que son cœur, et la seule chose qu’elle arriva à faire, ce fut de rester assise sur ses fesses et cligner des yeux afin de pouvoir identifier le décor qui l’entourait.

— Ouch merde, souffla-t-elle en prenant sa tête entre ses mains.

Le type fut le premier à se remettre debout et il l’observa de toute sa hauteur, le regard meurtrier tandis que du sang dégoulinait de son nez qui formait désormais un angle disgracieux. Sa bouche se déforma par la rage.

— Salope ! Tu vas payer pour ça !

— Hé !

La voix vint de quelque part derrière lui et à l’instant même où il tourna la tête, un ballon de basket vint le heurter en plein visage à une vitesse impressionnante. L’impact le fit aussitôt décoller du sol et il atterrit sur son dos dans un bruit sourd, l’air s’échappant de ses poumons. Elysia eut à peine le temps de réagir que des mains chaudes vinrent encadrer son visage et caresser ses joues.

— Ely regarde-moi, ça va ? demanda la voix qu’elle devina soucieuse.

Elysia cligna des yeux à plusieurs reprises tandis que Kat frottait ses mains engourdies. Sa vue s’éclaircit enfin et ses lèvres s’étirèrent en un sourire quand elle remarqua les rayons du soleil filtrant à travers les branches qui venaient se refléter sur le visage de Kat, conférant à ses cheveux des reflets naturels.

— Hé, Sexy.

Kat s’agenouilla devant elle et Elysia remarqua enfin combien elle semblait agacée, ses mains effleurant gentiment son corps afin de s’assurer qu’elle n’était pas blessée. Puis ses yeux se posèrent sur son front, et ses traits se durcirent aussitôt.

Elysia lâcha pour sa part un soupir de soulagement.

— Je suis contente de te voir, tu sais ?

— Tu ne devrais pas l’être, répondit aussitôt Kat d’un ton dur qui s’adoucit cependant rapidement. Je perds toujours notion du monde extérieur lorsque je joue, je suis vraiment désolée. Si j’avais prêté plus attention...

— C’est pas grave, la rassura Elysia en s’emparant de sa main à nouveau. Tu as gagné ?

Kat l’observa, surprise.

— Quoi ? Bon sang Elysia, j’en sais rien ! On s’en fout !

Elle souleva doucement le menton d’Elysia avant de faire glisser ses doigts sur son front et de grimacer. Un bruit aigu leur parvint et elles tournèrent simultanément la tête vers le type allongé derrière Kat. Ses mains cachaient son visage et il gémissait tout en se balançant légèrement d’avant en arrière.

— Tu lui as brisé le nez avec ta tête ? s’exclama aussitôt Kat, visiblement surprise.

Elysia acquiesça mais s’interrompit bien vite face à la sensation désagréable qui lui parvint aussitôt ; elle avait l’impression que son crâne allait exploser. Elle remarqua cependant l’étincelle de fierté qui transparut dans le regard Kat, et elle se sentit rougir.

— Dis-moi que ce n’est pas si terrible que ça en a l’air, dit-elle en désignant son front.

— Laisse-moi voir.

Kat vérifia sa bosse puis ses pupilles afin de s’assurer qu’elles étaient de la même taille. Puis, à la surprise d’Elysia, elle l’encercla dans une étreinte inattendue.

— Tu as une belle bosse, mais tu restes la plus jolie fille du terrain.

Le cœur d’Elysia s’arrêta face à ses mots mais les lèvres de Kat s’approchant de son oreille l’empêchèrent de réagir.

— Tu te sens nauséeuse ? Envie de vomir ?

Elysia réfléchit un instant avant de secouer négativement la tête. Elle avait juste mal au crâne.

— Non. Rien de tout ça.

Kat relâcha un profond soupir.

— Alors je pense que tu as juste été un peu sonnée. On peut toujours aller à l’hôpital pour s’en assurer, mais je pense vraiment que tu n’as rien de grave.

— Non, ça va. Désolée d’avoir gâché la partie.

— Sshhh... il a gâché la partie. Mais t’inquiète pas, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas autant amusée lors d’un match de basket. 

Elysia ne put retenir un rire et resserra son étreinte autour de Kat. Un sifflement s’échappa cependant de ses lèvres lorsqu’une douleur aiguë se propagea dans ses bras et elle se figea instinctivement.

Merde, j’avais oublié ça.

— Je t’ai fait mal ? demanda aussitôt Kat d’un ton inquiet tout en se reculant.

Elysia secoua négativement la tête avant de se reculer légèrement et de retirer le faible gilet qu’elle portait. Kat la regarda d’un air confus avant de serrer la mâchoire lorsque la peau de ses bras apparut. Des marques de doigts étaient clairement visibles et des bleus étaient déjà apparents.

— Quel fils de...

— Elle est stupide cette insulte, pourquoi insulter sa mère ? Elle n’a rien à voir là-dedans.

Kat soupira aussitôt.

— Ely... c’est pas le moment de faire des plaisanteries, l’admonesta-t-elle tout en étudiant ses bras tour à tour.

— Ce ne sont que des bleus Kat, ça partira...

Elysia écarta doucement les mains de Kat et regagna sa position au creux de ses bras, profitant de son étreinte protectrice le plus longtemps possible.

Kat ne la déçut pas quand elle resserra ses bras autour d’elle.

29 juin 2015

Chapitre 3

— Mais démarre bon sang !

Elysia donna un coup contre le volant avant de soupirer et d’y poser sa tête.

Pourquoi fallait-il toujours que ce genre de choses arrive lorsque ça ne devait impérativement pas arriver ? La nuit commençait à tomber, et les possibilités s’offrant à elle étaient plutôt limitées. La batterie de son téléphone était vide, elle n’avait pas la moindre idée d’où elle se trouvait, et il n’y avait rien à des kilomètres à la ronde.

Super. Manquerait plus qu’un serial killer en mal de chair ensanglantée débarque.

Elle regarda aussitôt autour d’elle avant de lever les yeux ciel.

— Génial, et maintenant, je me fous la trouille toute seule, marmonna-t-elle en ouvrant la portière.

Une épaisse fumée noire s'échappant du moteur vint aussitôt l’asphyxier et lui piquer les yeux et elle retourna dans l’habitacle tout en toussotant.

— Et merde, marmonna-t-elle, bien consciente que si Mysa était là, il lui remonterait les bretelles pour son langage si coloré. C’est vraiment, vraiment, vraiment la grosse merde.

Ses mains se posèrent de nouveau sur le volant, et elle réalisa qu’elle n’avait d’autres choix que de continuer à pied. Cette solution fut très loin de la ravir, et c’est dans un profond soupir qu’elle enfila sa veste puis glissa son sac à main sur son épaule. Une fois sûre d’avoir pris tout ce qu’il lui fallait, elle verrouilla la voiture puis commença à s’enfoncer dans la pénombre, ses talons résonnant sur l’asphalte goudronné. Un léger frisson ne mit pas longtemps à la parcourir et elle réalisa qu’elle était très loin d’être rassurée. Qui aurait pu croire qu’il existait des endroits aussi déserts dans une ville aussi grande que celle d’Orlando ?

Après plusieurs minutes de marche, elle remarqua cependant qu’un bâtiment se dessinait un peu plus loin, près de la forêt, et elle relâcha aussitôt un soupir de soulagement.

— Bon, reste plus qu’à espérer que j’y trouve un téléphone, maintenant.

Une vingtaine de minutes plus tard, la chance sembla lui sourire, car c’est chaussures à la main qu’elle arriva devant un garage automobile visiblement ouvert malgré l’heure tardive.

Elle pénétra à l’intérieur du bâtiment et cligna un instant des yeux face à la lumière aveuglante avant de laisser son regard s’évader autour d’elle, le long des différentes rangées d’outils et autres machines.

— Il y a quelqu'un ?

De la musique lui parvint et elle se dirigea vers l’origine du son, le propriétaire du garage devant s’y trouver.

— Excusez-moi... ?

Des bruits de roues glissant sur le sol lui parvinrent et elle vit non pas le, mais la propriétaire du garage sortir la tête de sous une voiture. Leurs regards se croisèrent et elles se figèrent.

Oh merde.

— Donnez-moi deux minutes, je suis à vous tout de suite, lui lança finalement celle qu’Elysia ne s’attendait pas à voir ici avant de replonger sous le capot.

Elysia cligna des yeux avant de regarder autour d’elle. Mais comment avait-elle pu être aussi stupide ? Ce garage était celui dont avait hérité Kat lorsque le meilleur ami de son père était décédé. Il était hors-service, et elle n’y avait pas remis les pieds depuis des années.

Elysia espéra de tout cœur que ce revirement soudain n’était pas une conséquence de plus des agissements de cette stupide Targa. Même si, au fond, cela avait quand même quelque chose de positif ; Kat adorait bricoler sur d’anciennes voitures.

La planche roula à nouveau et Kat se glissa hors du dessous de la Chevrolet pour se diriger vers un évier situé non loin où elle entreprit de se laver les mains.

— Vous avez de la chance, lâcha-t-elle par-dessus son épaule. Le garage est fermé depuis des années.

— Je suppose que oui, sourit faiblement Elysia. Ma voiture est tombée en panne un peu plus loin. J'ai marché jusqu'ici et je suis tombée sur votre garage. Je... j'espérais que vous pourriez m'aider...

Kat s’empara d’un torchon avec lequel elle s’essuya les mains tout en lui faisant face. Son regard se posa sur ses pieds nus avant de remonter le long de sa tenue de soirée et Elysia put voir qu’elle était intriguée, mais elle resta silencieuse.

— Vous êtes garée loin ?

— Ça m’a pris une vingtaine de minutes à pied alors...

Kat hocha la tête avant de l’entrainer vers un pick-up et de lui demander dans quelle direction sa voiture était tombée en panne. L’information fournie, elles se mirent aussitôt en route.

— Vous comptiez quitter la ville ? Ou vous vous êtes simplement perdue ? demanda finalement Kat au bout de quelques minutes.

Ses yeux se promenèrent sur le visage maquillé d’Elysia, sa tenue de soirée, ses pieds nus, pour enfin finir sur ses chaussures à talons qu’elle tenait toujours entre ses mains. Elysia lui offrit un sourire penaud.

— Les deux, répondit-elle. Je devais assister à une soirée organisée par l’Orlando News. Mais c'est pas grave, c’est du genre chiant et prétentieux.

Sa réplique arracha un sourire à Kat et Elysia n’en fut pas peu fière ; elle semblait enfin se détendre.

— Je suis contente de ne pas y avoir été invitée, alors.

— Vous avez bien raison, taquina Elysia, ravie de provoquer un second sourire.

Sa voiture garée sur le bas-côté finit par apparaître sous la lueur des phares du pick-up, et Kat se gara juste en face avant de couper le moteur puis de descendre. Elle attendit qu’Elysia déverrouille la fermeture centralisée puis vint prendre place derrière le volant, tentant sans succès de faire démarrer le véhicule.

— Ça ne semble pas venir de la batterie, murmura-t-elle d’un air absent avant de venir soulever le capot.

Il ne lui fallut que quelques minutes avant de poser un premier diagnostic.

— Ça doit venir de la pompe de gavage, je pense qu’il faut la changer, dit-elle en tournant la tête vers Elysia. Je connais un bon garage pas loin d’ici, je peux leur dire d’envoyer une dépanneuse si vous voulez. À moins que vous n’ayez un garage préféré ?

— Le vôtre ?

Kat s’essuya les mains sur le torchon qu’elle avait glissé dans la poche arrière de son jean tout en se redressant.

— Je vous l’ai dit, il n’est pas ouvert.

— Mais vous l’utilisez quand même, et vous m’avez l’air de bien vous y connaître... si c’est l’argent le problème, ne vous inquiétez pas, je paierai.

Kat sembla hésiter.

— Ça risque de prendre du temps, je vais devoir commander la pièce...

— Pas grave, Josh passera me prendre, c’est pas un problème.

Kat hocha la tête.

— D’accord. Vous voulez que je vous dépose quelque part ? À votre soirée ?

Elysia grimaça :

— Non, et puis, je ne voudrais pas vous déranger. Un coup de fil ne serait pas de refus par contre, la batterie de mon portable est à plat...

Kat lui lança aussitôt son portable :

— Tenez, faites-vous plaisir. Mais puisque je suis ici, je peux aussi bien vous ramener chez vous, vous savez.

Elysia hésita :

— Vous êtes sûre ? Vous sembliez occupée au garage...

Kat referma le capot de la voiture puis se dirigea vers le pick-up.

— Certaine, lâcha-t-elle par-dessus son épaule.

Bon, je crois que la décision est prise. Elysia fila récupérer quelques affaires dans sa voiture puis monta à son tour dans le pick-up de Kat, direction le garage afin qu'elle puisse s'occuper de quelques petits trucs avant de la ramener.

Elles arrivèrent quelques minutes plus tard, et Elysia suivit aussitôt Kat à l’intérieur, prenant place sur l’établi afin de pouvoir l’observer finir de s’affairer sur la Chevrolet.

Elle s’empara d’une clé et la fit tourner entre ses mains.

— Mécano pour une femme, c’est plutôt inhabituel.

Kat haussa les épaules.

— Je dois ça à mon père, il m’a élevée seul et était un fan inconditionnel de mécanique. Je me suis vite retrouvée habillée en garçon manqué avec des traces noires sur les joues et ce, bien avant ma dixième bougie soufflée.

Elysia rit légèrement, Kat était surnommée « la petite sauvageonne » lorsqu’elle était plus jeune.

— Ça ne m’a pas empêché d’être heureuse avec lui, même si ça ne collait pas avec les normes de l’époque.

Elle se tourna légèrement vers Elysia.

— Je parie que vous étiez du genre à piquer les chaussures à talons et le rouge à lèvres de votre mère pour faire semblant d'être « grande ».

— Ah oui, laissez-moi deviner, le genre exact de filles que vous fuyiez à l’époque ? rit Elysia. 

Kat se joignit à elle tout en poursuivant ses manipulations dans le moteur, ses mains virevoltant entre le radiateur, le réservoir et toutes ces choses qui constituaient une voiture.

— Le meilleur ami de mon père était garagiste, expliqua-t-elle. Je me souviens du jour-même où j’ai mis les pieds ici pour la première fois. J’avais sept ans et j’ai su à l’instant même que je voulais devenir comme lui. Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête. Là où la plupart rêvaient d’être médecin, enseignante ou même présidente, moi, je voulais travailler dans ce garage quand j'en aurais l'âge.

— Qu’est-il advenu du rêve de cette petite fille, alors ?

A son regard désolé, Elysia réalisa aussitôt qu’elle venait de faire une boulette.

— Il est resté ce qu’il était ; un rêve, murmura-t-elle avant de refermer le capot dans un bruit sourd. J’ai terminé, je vais pouvoir vous ramener maintenant.

Elysia sauta du plan de travail avant de récupérer ses clés que Kat avait glissées dans la poche arrière de son jean. Kat lui offrit aussitôt un regard mêlant surprise et confusion et elle s’expliqua dans un sourire :

— Parfait, parce que je vous invite à dîner.

Et après un dernier regard, elle se dirigea vers le pick-up.

💕

Elysia détourna son regard de la vitre côté passager, les sourcils froncés :

— Vous n’écoutez jamais lorsque l’on vous donne des directions ? s’exclama-t-elle. J’habite de l’autre côté de la ville.

— Et vous, vous manquez toujours de savoir-vivre ? répondit Kat en jetant un œil dans le rétroviseur central. Si je me souviens bien, vous m’avez poussée derrière le volant et littéralement ordonnée de venir dîner chez vous.

Elysia afficha aussitôt un sourire :

— Et alors ? demanda-t-elle, un sourcil haussé. Ça vous pose un problème ?

— Non, répondit Kat, avant de sourire à son tour. Non, on va juste manger chez moi.

Elysia haussa les sourcils avant de regarder devant elle lorsque Kat gara le véhicule. Elle leva les yeux vers l’immeuble.

— Voleuse d’idées, marmonna-t-elle en croisant les bras sous sa poitrine.

Kat lâcha un rire venant du fond du cœur et Elysia lui tira la langue avant descendre du véhicule.

— J’espère que vous avez faim, je compte nous préparer mon plat préféré.

— Ah ! accusa aussitôt Elysia en la pointant du doigt. C’est pour ça que vous m’avez invitée chez vous ! Tout ça pour pouvoir bénéficier de votre mets favori !

Kat lui fit signe de la suivre tout en faisant mine de réfléchir.

— Il est possible que cette idée m’ait traversé l’esprit, admit-elle malicieusement. Vous venez ?

Elysia la suivit à l’intérieur de l’immeuble, surprise de découvrir combien le hall d’entrée était sombre avant de cligner des yeux face à la lumière aveuglante de l’ascenseur.

— Les néons du hall ne marchent plus depuis une semaine, expliqua Kat en appuyant sur le numéro 12. Et ceux de l’ascenseur sont trop puissants, soupira-t-elle en secouant la tête. Les gens se plaignent, mais les choses mettent du temps à bouger.

— Ce n’est pas très rassurant de se retrouver dans l’obscurité comme ça, répondit Elysia dans un frisson.

Kat se contenta de hausser les épaules, avant d’inviter Elysia à sortir lorsque les portes s’ouvrirent à nouveau. Un long couloir de portes s’étendait devant elles interrompu par de petits renfoncements parsemés de plantes.

— C’est mignon, sourit Elysia en s’approchant d’une.

— Attention, elles sont carnivores.

Surprise, Elysia se recula aussitôt, bousculant Kat au passage qui plaça aussitôt ses mains autour de sa taille pour l’empêcher de tomber. Elysia s’apprêtait à s’excuser, légèrement troublée par le contact inattendu, lorsque le rire de Kat lui fait soudainement comprendre qu’elle venait de se jouer d’elle.

Elle se retourna aussitôt tout en la pointant du doigt.

— Tu vas..., commença-t-elle avant de s’arrêter subitement. Pardon, vous...

— Non, la coupa Kat en secouant légèrement la tête. Le « tu » me vas très bien.

— D’accord, sourit Elysia avant de plisser de nouveau les yeux. Tu vas payer pour ça, Kat. Je serais toi... je ferais très attention.

Kat rit de nouveau avant de s’approcher de la porte portant le numéro 128 et d’y insérer une clé dans la serrure. Après un léger mouvement du poignet, elle s’écarta légèrement et invita Elysia à entrer.

Elysia lui sourit en guise de remerciement et pénétra dans l’antre de Kat qu’elle connaissait déjà aussi bien que le creux de sa propre main. Semblant tout droit sorti d’un décor d’une sitcom américaine, l’appartement de Kat inspirait le confort et l’apaisement avec son sol revêtu d’un parquet flottant assez sombre, ses murs jaunes pâles, et ses fenêtres — recouvertes de stores — suffisamment renfoncées pour permettre de s’assoir sur le rebord et d’observer l’activité incessante de la ville juste en bas.

La porte refermée, Kat récupéra la veste d’Elysia et l’accrocha à l’un des trois porte-manteaux fixés à même le mur avant de lui faire signe de la suivre. Le petit vestibule d’entrée donnait sur le salon et la salle à manger, et Elysia prit aussitôt place sur le canapé en cuir noir tandis que Kat prenait la direction de la cuisine ouverte située juste à droite et uniquement séparée de la pièce par un bar. Le regard d’Elysia se posa sur l’écran plat, puis sur l’immense bibliothèque située juste derrière et elle écarquilla les yeux. C’était encore plus impressionnant vu en vrai.

— Woah, il y en a combien ? demanda-t-elle en désignant les étagères remplies de DVD.

Kat lâcha un léger rire devant son air ahuri et étala sur le bar tout ce dont elle allait avoir besoin pour cuisiner.

— Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée, répondit-elle en sortant une salade verte du réfrigérateur. Ça fait un bon moment que j’ai arrêté de compter. Peut-être… 3 000 ?

— 3 000 ?! s’exclama Elysia avant de venir prendre place sur l’un des hauts tabourets. Woah. Tu n’as jamais pensé à ouvrir ton propre commerce ? taquina-t-elle.

Kat lui sourit tout en commençant à peler un pamplemousse à vif.

— Je suis fan de cinéma, je ne peux pas m’en empêcher, répondit-elle dans un air qu’Elysia lui devina légèrement timide. Tu as soif ?

— Je veux bien un verre d’eau, répondit Elysia en lui volant l’éplucheur des mains et la planche à découper. Occupe-toi du reste, je me charge de la salade, à deux, on ira plus vite. 

— C’est ta façon de me dire que tu es affamée ? rit Kat en sortant deux verres d’un placard situé au-dessus de l’évier. J’ai du sirop... ou du jus d’orange, si tu préfères ?

Elysia haussa les épaules, une légère rougeur recouvrant ses joues.

— Un jus d’orange sera parfait, et non, mentit-elle. On était simplement censées diner chez moi, si je t’aide, on est toutes les deux gagnantes.

Kat secoua la tête, amusée, et déposa deux verres ainsi qu’un bol sur le bar.

— Bien, charge-toi de la salade alors, je m’occupe des crabcakes, dit-elle en s’installant sur un haut tabouret de l’autre côté du bar, face à Elysia.

— Crabcakes ? sourit Elysia en déposant la peau du pamplemousse dans le bol. Qu’est-ce que j’ajoute ?

— Hmm, une fois le pamplemousse complètement pelé et séparé en quartiers, pèle les avocats et découpe les en cubes, de cette taille disons, dit-elle en montrant à l’aide de ses doigts. Ensuite, découpe les cœurs de palmier en rondelles assez épaisses puis effeuille le persil.

Elysia se mordit la lèvre.

— Si j’en oublie un bout en cours de route, je peux crier à l’aide ?

Kat rit avant de hocher la tête.

— Cool, bon, et ensuite ?

— Ensuite, on mélange tout et on arrose de jus de citron et d’huile avant de saler et de poivrer. Je la mettrai au frais le temps que les crabcakes cuisent.

— D’accord, bon eh bien, c’est parti, répondit Elysia tandis qu’elle en salivait d’avance. 

Quelques minutes plus tard, ses quartiers de pamplemousse étaient prêts et elle les déposa dans le saladier avant de s’attaquer aux avocats.

— Je peux te poser une question ? demanda soudainement Kat alors qu’elle émiettait le crabe et y ajoutait des échalotes.

— Je t’en prie, répondit Elysia d’un air absent tandis qu’elle découpait les avocats en petits cubes. 

— Qu’est-ce que tu faisais sur le toit, ce jour-là ?

Elysia s’apprêtait à déposer les petits cubes dans le saladier lorsque sa main s’arrêta subitement. Comment répondre à cette question ? Elle ne pouvait pas lui dire la vérité, elle n’en avait pas le droit, et de toute façon, Kat la prendrait très certainement pour une folle.

Elle se racla légèrement la gorge avant de croiser un regard noisette qui attendait patiemment.

— J’avais envie de prendre l’air, répondit-elle avant d’aller égoutter les cœurs de palmier.

Un léger silence s’installa avant que Kat ne poursuive :

— Pourquoi m’avoir sauvé la vie ?

Elysia ouvrit la boîte un peu plus rapidement qu’elle ne l’aurait voulu, à la fois surprise et incrédule que Kat puisse lui poser une question pareille. Une fois sûre que ses cœurs de palmier n’avaient pas fini sur le sol, ou qu’elle ne s’était pas coupée, elle leva les yeux et remarqua aussitôt que le regard de Kat était concentré sur son mélange de crabe, d’échalotes, de chapelure, d’œufs, de lait, de persil, de jus de citron et d’ail et que ses épaules trahissaient aisément la tension qui l’habite.

— Kat..., commença-t-elle d’une voix douce en regagnant sa place. Je n’allais pas rester sans rien faire et te regarder t’écraser sur le sol.

Kat tiqua visiblement sur ses propos avant de hausser les épaules.

— J’aurais pu t’entraîner dans ma chute malgré moi, répondit-elle en évitant soigneusement le regard d’Elysia. Je me demande juste quel genre de personne peut vouloir risquer sa vie comme ça pour une parfaite inconnue.

Les mains d’Elysia resserrèrent leur emprise sur le rebord du bar et elle dut prendre une profonde inspiration pour ne pas lui lancer la réplique acerbe qu’elle sentait monter en elle.

— Je vais finir par croire que tu es en train de me reprocher de t’avoir sauvé.

Oups, je crois que la réplique acerbe a réussi à se frayer son chemin, finalement. Le corps de Kat se tendit un instant avant qu’elle ne réponde.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit, je me demande juste...

— Oui, j’ai très bien compris ce que tu te demandes, coupa Elysia d’un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu avant de soupirer.

La vérité, c’est qu’elle était incapable de répondre à cette question. Elle lui avait sauvé la vie parce que Kat était la raison de son existence. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. Car en tant que Daï-Natha, elle n’en aurait pas eu le pouvoir. Et en tant qu’humaine, elle n’en avait certainement pas le droit.

Mais elle l’avait fait. Parce qu’elle se sentait coupable, responsable. Parce que les Targas avaient enfreint les règles. Parce que ses récentes décisions avaient poussé Kat à cet extrême. Elle ne pouvait pas la laisser mettre fin à ses jours sachant que c’était par sa faute, pas vrai ? Si elle avait été plus prudente, cette Targa n’aurait peut-être pas pu l’approcher de si près...

Elysia se passa une main sur le visage. Plus elle y réfléchissait, plus elle était embrouillée. Les émotions qui la parcouraient l’empêchaient d’y voir clair. Mais, si elle avait été une simple humaine, l’aurait-elle sauvée comme elle avait pu le faire ?

— On mérite tous d’avoir droit à une seconde chance, reprit-elle calmement en découpant les cœurs de palmier.

Elle releva la tête pour plonger son regard dans celui de Kat.

— Si c’était à refaire, je le referais sans aucune hésitation, déclara-t-elle sincèrement avant de s’emparer de son verre de jus d’orange.

Kat l’observa, impassible, avant de reporter son attention sur son hachis.

— Tu n’es pas obligée de me mentir pour me faire plaisir.

Elysia porta une main à sa bouche pour éviter de recracher la gorgée qu’elle venait de prendre. Après quelques toussotements, elle répondit :

— Pardon ? Tu penses d’abord que je te prends en pitié, pour ensuite m’accuser de menteuse ?

Voyant Kat tiquer sur ses propos, elle soupira avant de se passer une main sur le visage.

— Écoute, je ferais mieux de rentrer, dit-elle en descendant du tabouret. Tout ça ne rime à rien. Je ne regretterai jamais ce que j’ai fait, bien au contraire, et si tu as un problème avec ça —

— Non, la coupa Kat avant d’afficher un air contrit.

Elle baissa le regard et tripota nerveusement l’extrémité du bar du bout des doigts.

— Excuse-moi, je ne voulais pas…, commença-t-elle avant de relever la tête, les yeux embués. C’est juste que…, je n’ai aucune idée de pourquoi j’ai voulu faire ça, lâcha-t-elle dans un soupir empli d’agonie.

Elle s’essuya les yeux d’une main irritée avant de lâcher un rire nerveux.

— Et je crois que j’en suis terriblement embarrassée. 

Elysia contourna le bar et posa une main sur la cuisse de Kat.

— Hé, appela-t-elle doucement afin de croiser son regard. Crois-moi, tu n’as pas à être embarrassée avec moi, assura-t-elle en exerçant une légère pression sur son genou. Et pour que les choses soient claires, je ne te l’ai pas dit pour te faire plaisir, mais simplement parce que je le pense.

Kat l’observa un moment avant de hocher la tête.

— Merci, répondit-elle en posant une main sur la sienne.

— De rien, lui répondit Elysia dans un clin d’œil avant de tourner la tête vers son plat. Besoin d’aide pour ça ? J’ai bientôt fini la salade, et je suis affamée.

Elle fut ravie d’entendre Kat rire doucement, et encore plus de sentir ses doigts se resserrer autour des siens avant qu’elle ne se libère.

💕

— Alors ?

Elysia l’observa, les sourcils haussés.

— Alors... quoi ? demanda-t-elle en s’essuyant la bouche à l’aide de sa serviette en papier.

Kat désigna son assiette.

— Le repas, tu as aimé ?

— Oh. Oh oui, la salade était excellente.

Kat haussa les sourcils lorsque rien d’autre ne vint.

— Et les crabcakes ?

Elysia se frotta maladroitement la nuque.

— Eh bien... c’était... hum, tu cuisines souvent ?

Kat cligna des yeux, prise de court par la question soudaine.

— Non... seulement quand j’ai des invités. En général, je me contente de surgelés à passer au micro-ondes, expliqua-t-elle avant de rapidement revenir au sujet en question. Pourquoi, c’était pas bon ?

— Si, si, c’était, hum... délicieux, assura aussitôt Elysia en hochant frénétiquement la tête avant de détourner le regard.

Kat l’observa, les yeux plissés :

— T’es en train de me mentir ? s’étonna-t-elle. 

Elysia se mordit l’intérieur de la joue avant d’afficher un léger sourire.

— Ça dépend, mademoiselle serait-elle sensible en ce qui concerne ses talents culinaires ? taquina-t-elle.

Kat plissa de nouveau les yeux et elle retint difficilement un rire.

— C’est la vengeance pour tout à l’heure, c’est ça ? demanda-t-elle en croisant les bras sous sa poitrine.

Elysia réunit la vaisselle et se dirigea vers la cuisine avant de jeter par-dessus son épaule :

— Peut-être, sourit-elle malicieusement avant de reprendre son sérieux. C’était délicieux Kat, la salade et les crabcakes, promit-elle. Tu devrais cuisiner plus souvent, tu es très douée.

— Merci. Mais j’ai du mal à trouver la motivation quand c’est juste pour moi, répondit Kat en entrant à son tour dans la cuisine. Laisse la vaisselle, je la ferais plus tard. Une glace, ça te dit ? J’ai des pots Ben&Jerry, chocolat, caramel ou vanille.

— Chocolat, répondit aussitôt Elysia tout en se passant la langue sur les lèvres.

Kat récupéra deux cuillères et elles retournèrent prendre place dans le salon, chacune dégustant silencieusement son propre pot pendant plusieurs minutes.

— Kat, reprit finalement Elysia. Pourquoi est-ce que tu travailles chez nous ? Au magazine, je veux dire.

Kat cligna un instant des paupières, surprise par la question inattendue.

— Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? Tu trouves que je fais mal mon travail ?

— Non, bien sûr que non, répondit aussitôt Elysia en secouant la tête. C’est juste que, après ce que j’ai vu ce soir, je n’arrête pas de me demander pourquoi tu passes tes journées à distribuer du courrier quand tu pourrais... vivre de ta passion ? Je veux dire, tu possèdes ton propre garage, et tu ne manques visiblement pas des qualifications requises. Qu’est-ce qui te pousse à rester chez nous ?

Kat haussa les épaules tout en s’essuyant la bouche avec une serviette en papier.

— Ma priorité, c’est de gagner ma vie. Et puis, c’est pas si simple de lancer sa propre boîte, y a tout un tas d’éléments à prendre en considération. J’aime la mécanique, mais la compta ? Pas tellement. Les choses me conviennent comme elles le sont en ce moment.

Elle s’interrompit un instant avant de demander :

— Ce qui s’est passé sur ce toit l’autre jour... tu penses que c’est à cause du boulot ? C’est pour ça que tu me demandes tout ça ?

Elysia se mordit la lèvre.

— Si tu veux réellement une raison, disons que je me sens responsable. Tu n’aurais jamais dû passer ces derniers mois à réaliser ces tâches qui, non seulement étaient ingrates, mais t’étaient incombées par des moins que rien.

— Tu n’es pas celle qui m’a embauchée. Tu ne m’as jamais manqué de respect.

Elysia sourit tristement.

— Je sais, mais ça n’empêche pas le fait que j’aurais dû voir ce qu’il se passait juste sous mon nez. Maintenant, si tu désires rester chargée de courrier, des communications téléphoniques, de la rédaction des comptes-rendus de réunion et j’en passe, sache qu’il n’y a aucun problème avec ça. Au contraire, ça me fait plaisir de savoir que je continuerai à te voir dans les parages.

Kat acquiesça et Elysia tapa des mains, fière d’elle.

— Super ! s’exclama-t-elle, satisfaite, avant de regarder sa montre.

Elle grimaça.

— Il se fait tard. Je devrais rentrer.

Kat hocha légèrement la tête, bien qu’en vérité, elle n’avait aucune envie de se retrouver seule. Elysia dégageait quelque chose de frais, de pétillant qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps et elle ne voulait pas s’en passer.

— Je te revois lundi matin, alors ? Tu pourras demander à Josh de te déposer au garage avant si tu veux, ta voiture devrait être prête d’ici là.

— Génial, sourit Elysia. Maintenant, en route, chère kidnappeuse, que je puisse rentrer chez moi.

Kat roula des yeux.

— Ah ces rédac’ chef, tous des petits chefs, feignit-elle de soupirer, un sourire néanmoins présent au coin des lèvres.

  Elysia se contenta de lui taper légèrement sur le bras avant de partir devant, souriant lorsque Kat rit légèrement.

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26 juin 2015

Chapitre 2

Attention : Le début de ce chapitre - toute la partie en italique - pourrait heurter la sensibilité des plus jeunes comme des plus âgés, merci d’en tenir compte avant d’entâmer la lecture.

 

— Rentre là-dedans !

Ses genoux entrèrent violemment en contact avec le sol carrelé et elle gémit avant de trembler de peur lorsqu’elle entendit la porte en métal se refermer bruyamment derrière elle.

Elle était désormais seule.

Enfermée.

Avec lui.

— Debout ! hurla l’homme en l’attrapant par les cheveux, la forçant à se redresser et à se retrouver collée contre lui, le dos contre son torse. Tu vois, souffla-t-il contre son oreille, l’odeur d’alcool lui chatouillant désagréablement les narines. Mes petits copains situés juste derrière la porte vont s’assurer que personne ne vienne... interrompre... notre petit... show.

Il la retourna subitement.

— Alors... tu vas te tenir bien tranquille, hein ? Ce serait dommage de devoir en venir à des solutions... plus... radicales. Tu ne crois pas ?

Elle l’écoutait à peine, son regard scrutant désespérément la pièce dans l’espoir de trouver un moyen de sortir et de partir le plus loin possible. Elle fut alors surprise de sentir des lèvres se poser subitement sur les siennes, puis une langue pénétrer brutalement en elle et chercher la sienne. Surprise, elle ne se recula pas. Elle le laissa. Par peur. Par espoir. ‘Si je le laisse faire, peut-être me laissera-t-il tranquille ?’ pensa-t-elle, refusant de se confronter à l'inéluctable.

La suite des évènements lui fit cependant réaliser combien elle avait été naïve. Après tout, ses « petits copains » avaient pris la peine de la passer tabac avant de l’enfermer avec lui.

Bien sûr qu’il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin.

 Les mains de l’homme se glissèrent sous son débardeur, caressant longuement son ventre, ses côtes endoloris, et elle gémit de douleur. Il chercha le contact direct de ses seins avant de descendre plus bas et défaire d’un geste brusque la ceinture qui retenait son pantalon de treillis.

Il tomba au sol, bien vite suivi de son sous-vêtement, et les mains revinrent à la charge, sur ses fesses, sa taille, puis de nouveau son ventre avant de descendre en direction de son triangle intime.

Il brûlait d’envie d’être en elle, elle le savait. À sa façon de la toucher, de l'embrasser, elle savait qu’il n'en pouvait plus. Il avait cruellement besoin de la pénétrer. Là où il la révulsait, elle savait que, malgré elle, elle le rendait fou de désir.

Lorsque sa main se faufila entre ses jambes, elle chercha à s'évader de sa bouche et à repousser ses assauts :

— Non... non... pas ça, gémit-elle alors qu'il effleurait son sexe fermé.

La douleur de ses hématomes sembla s’effacer devant la terreur, mais elle réalisa avec horreur qu’ils l’avaient suffisamment rouée de coups pour qu’elle ne puisse vraiment se défendre. Ses membres semblaient refuser de coopérer, quant à son corps, il semblait avoir épuisé toutes ses ressources.

— Chut... laisse-toi faire, susurra-t-il en embrassant son cou, poursuivant l'exploration de son corps. Tu sais bien qu’on obéit toujours à son capitaine, hmm ?

Elle essaya alors de saisir ses poignets pour l'éloigner, en vain.

— Arrêtez..., commença-t-elle à sangloter. Enlevez votre main, je vous en prie...

— Shhh détends-toi..., murmura l’homme tout en continuant à se frayer un chemin entre ses jambes.

Elle sentit sans peine à quel point elle l’excitait lorsqu’il commença, sûrement sans s'en rendre compte, à se frotter frénétiquement contre la peau nue de sa cuisse. Elle tenta tant bien que mal de résister, mais, sans prévenir, elle le sentit forcer le passage entre ses jambes et introduire ses doigts en elle.

— Non... Non ! hurla-t-elle, grimaçant face à la douleur qu’il lui procurait.

Il leva alors vers elle un regard dur, lui faisant comprendre sans le moindre doute qu’elle n'avait pas le droit de lui faire ça. Pas le droit de l'exciter puis de se refuser.

— Laisse-toi faire ! ordonna-t-il tout en enfonçant ses doigts plus profondément dans son sexe. Tu vas aimer ça, tu vas voir...

— Non... je ne veux pas..., s’il vous plaît..., supplia-t-elle alors qu’une nouvelle vague de larmes se déversait sur son visage.

Les doigts qui s'agitèrent en elle la révulsèrent et elle tenta une fois de plus de le repousser mais il la maintenait fermement contre lui, faisant d’elle sa prisonnière. Puis, brusquement, il l’attrapa fermement dans ses bras et elle commença à vraiment prendre peur : où voulait-il l'emmener ? Que comptait-il lui faire ?

— Chut... Calme-toi..., murmura-t-il alors qu’il l’allongeait sur le carrelage froid avant de retirer d'un geste brutal le reste de ses vêtements.

Elle comprit avec horreur qu’il la voulait allongée sous lui, en femme docile, en femme soumise. Il avait besoin de commander et d'être enfin obéi.

— Lâchez-moi ! s’écria-t-elle, la panique s’emparant d’elle. Je ne veux pas. Laissez-moi ! pleurnicha-t-elle, honteuse de se retrouver nue devant cet homme qui n’était à ses yeux plus qu’un monstre.

Il glissa sa main entre ses cuisses afin de la masturber à nouveau.

— Arrête ! Laisse-toi faire, susurra-t-il en bloquant ses gestes et ouvrant ses jambes d'un geste brutal. Il est grand temps pour toi de comprendre..., les gens comme toi méritent d’être remis dans le droit chemin, ajouta-t-il avant de la couvrir d’un regard qu’elle n’eut aucun mal à déchiffrer.

Etendue nue en dessous de lui, elle offrait à sa vue tout ce qu'il désirait ravir. Il admirait sa poitrine ferme, son triangle intime, ses hanches rondes et son ventre plat. Il enfonça ses doigts en elle et commença à faire des va-et-vient rapides.

— Je sais que t’aimes ça. Tu mouilles, je l'ai senti. T'en peux plus, hein ? Je sais ce que tu veux, ce dont tu as besoin.

La honte et la peur la figèrent sur place, incapable de bouger,  incapable de l'arrêter.

D’un geste, il retira son marcel puis déboutonna son pantalon de treillis, et elle devina son besoin de frotter sa peau nue contre la sienne. Horrifiée, elle tenta de se reculer en se traînant sur le sol mais il la plaqua aussitôt contre le carrelage froid  avant de s'étaler sur elle.

— Non ! Non ! supplia-t-elle.

Sa peau douce abrasa son désir et il frotta son sexe tendu à l'extrême contre sa toison pubienne, savourant l'instant. Elle le lit dans son regard, elle le voyait saliver à l'idée de s'enfoncer entre ses cuisses ouvertes.

— Non ! Arrêtez ! S'il vous plaît ! bafouilla-t-elle, apeurée, fixant son regard sur son dog tag pour ne plus avoir à regarder son visage.

Elle fut surprise de le voir subitement se reculer avant de comprendre avec horreur ce qu’il attendait d’elle. Désormais allongé sur le dos, il l’attira contre lui avant de la forcer à descendre le long de son corps, en direction de son sexe tendu. Elle essaya de résister mais la peur la rendit inefficace, la paralysant sur place, tendue à craquer. Il lui maintint fermement la nuque et l'obligea à coller son visage contre son pénis :

— Mets-le dans ta bouche, souffla-t-il.

La panique s’empara d’elle. Ce qu'il lui demandait de faire l'écœurait et l'épouvantait au plus haut point.

—  Obéis ! hurla-t-il d’un ton menaçant tout en resserrant son étreinte contre sa nuque.

N’ayant d’autres choix que de se plier aux ordres et aux gestes brutaux, elle entrouvrit les lèvres et le laissa l'envahir.

— Mets-le dans ta bouche... Voilà... C'est bien... Oh oui, comme ça..., commenta-t-il en regardant son sexe s'enfoncer entre ses lèvres. Suce-le doucement... Oh oui... c'est bien... c'est bien... 

Elle sentait sa main dans ses cheveux, son regard sur elle, il la regardait avec avidité, soumise à ses pieds.

— Continue... Ne t'arrête pas... Oh... Oui...

Elle voudrait fuir, crier mais elle ne bougea pas, lui obéissant au doigt et à l’œil. Elle se sentait honteuse, dégradée. Elle avait envie de vomir, de pleurer, de mourir. Elle n’avait plus aucune force, plus aucune volonté, elle ne pouvait ni lutter, ni crier, ni s’enfuir.

Elle sentit ses mains sur sa chevelure brune l'obliger à aller plus vite, plus fort, s'enfonçant plus profondément en elle et la forçant à le sucer avec docilité et application.

Elle le sentit prêt à éjaculer, mais elle devina qu’il voulait que l’instant s'éternise, que ce moment d'extase dure le plus longtemps possible. Il la força alors à se coucher de nouveau sur le sol et la recouvrit de son tout poids.

— Écarte les cuisses..., dit-il d’une voix rauque, transformée par son désir d’elle.

— Non ! S'il vous plaît ! pleurnicha-t-elle en tentant de se cacher avec ses bras tremblants.

— Ça va bien se passer, tu verras..., susurra-t-il avec appétit.

Elle sentit son sexe se positionner à l'entrée de son orifice et elle crispa les mâchoires et ferma les yeux, désormais incapable de bouger. Littéralement paralysée par la peur.

Elle sentit d’abord sa respiration dans son cou, puis la douleur, d'abord faible, puis de plus en plus violente au fur et à mesure qu'il la pénétrait. Il s'enfonçait en elle avec lenteur, ne pouvant réprimer des râles de jouissance face à l'étroitesse de son sexe et sa soumission.

Elle sanglota, ses bras resserrés autour d’elle dans une tentative de se recroqueviller afin de se protéger et des petits cris plaintifs s’échappèrent entre ses dents serrées.

Oh oui... t’es tellement bonne..., chuchota-t-il à son oreille. Oh... oui... Oh... bon sang..., souffla-t-il en faisant des va-et-vient de plus en plus rapides. T’aimes ça, hein ? Je sais que t’aimes ça..., souffla-t-il à son oreille. T’aimes que je te baise, je sais que t'attendais que ça... 

Elle le sentit effleurer son visage de ses lèvres humides, de la pointe de sa langue. Le corps crispé, elle ravala ses larmes et attendit simplement qu'il s'arrête enfin. Plus il accélérait ses mouvements en elle, plus sa fente meurtrie la faisait souffrir. Il lui releva ensuite les cuisses et baissa ses yeux vers leurs sexes fusionnés. Puis, tout à coup, il s’arrêta et se retira d’elle, la poussant à croire que c'était enfin fini, que sa délivrance était arrivée. Elle avait tellement mal ! Son sexe la brûlait tellement ! Mais il lui ordonna de se retourner, et elle comprit qu’il voulait réaliser son fantasme jusqu'au bout :

— Mets-toi à quatre pattes, exigea-t-il.

— Quoi ? demanda-t-elle faiblement. Non ! Non ! S'il vous plaît...

— Obéis..., gronda-t-il en la plaçant dans la position qui l'excitait.

Elle se laissa alors faire, ne sachant comment se débattre. Ses moindres résistances ne faisaient qu'accroître son excitation et il était tellement plus fort qu’elle.

— S’il vous plaît... Non...

— Écarte les jambes. Allez ! Écarte ! commanda-t-il, surexcité de la voir soumise à toutes ses envies. Cambre-toi, encore... Voilà... 

De nouveau, elle sentit son regard sur elle, avant que sa voix ne lui parvienne, un souffle à peine au creux de son oreille :

— Tu verras, lorsque j’en aurais terminé... tu me remercieras de t’avoir sauvé de ce chemin de dépravé dans lequel tu es tombée.

Elle le sentit alors se positionner derrière elle et s’enfoncer dans son sexe d'un coup de rein violent qui la fit hurler de douleur.

 

Chloé laissa échapper son eyeliner dans un sursaut lorsqu’un cri perçant brisa soudainement la tranquillité de l’appartement. Sous le choc, elle quitta la salle de bains et fut aussitôt surprise de voir Kat assise au milieu du lit, hurlant à pleins poumons, les yeux fermés, ses bras et ses jambes se débattant frénétiquement autour d’elle.

— Kat ! hurla-t-elle dans l’espoir de se faire entendre tandis qu’elle l’attrapait par les épaules et la secouait fermement. Kat, c’est moi, réveille-toi !

Kat ouvrit soudainement les yeux et Chloé se sentit aussitôt être violemment renversée sur le lit, juste avant que Kat ne la chevauche et ne l’attrape à la gorge d’une main de fer. Elle fut tellement surprise qu’elle n’eut aucune idée de comment réagir. Les mains de Kat étaient verrouillées autour de son cou, le tenaient fermement, rendant sa respiration difficile, et ses bras étaient coincés sous les jambes de Kat de chaque côté de son corps.

Elle n’avait aucune échappatoire possible.

— Kat, gémit-elle faiblement. Kat... arrête. Tu... tu m’étouffes.

Il fallut un moment avant que les paroles de Chloé ne parviennent à pénétrer les ténèbres dans lesquelles Kat se trouvait, celles emplies de terreurs et de peur. Mais sa persistance paya finalement lorsque Kat regagna progressivement ses esprits.

— Kat ?

La voix familière la ramena instantanément à la réalité et Kat retira aussitôt ses mains, observant Chloé comme si elle la voyait pour la première fois. Son ventre se contracta douloureusement et elle sauta soudainement du lit pour détaler vers la salle de bains.

Chloé comprit aussitôt lorsqu’elle entendit la cuvette des toilettes claquer contre la porcelaine puis le bruit caractéristique de quelqu’un qui vomissait. Elle attendit un instant que sa respiration se calme et que les étoiles qui étaient progressivement apparues devant ses yeux disparaissent avant de rejoindre la salle de bains à son tour.

Kat se trouvait accroupie à même le sol lorsqu’elle entra dans la pièce, le corps parcouru de soubresauts et Chloé s’empara du peignoir accroché derrière la porte afin de le déposer sur ses épaules, caressant son dos en des gestes apaisants tandis que les spasmes se calmaient petit à petit.

Kat tira finalement la chasse avant de poser ses bras contre la cuvette et d’y ajouter sa tête, et elle ferma les yeux lorsqu’elle sentit Chloé passer un linge frais sur son visage avant de venir effacer ses larmes. 

— Merci, murmura-t-elle finalement.

Chloé dégagea quelques mèches de cheveux de son visage et l’embrassa sur le front.

— Tu te sens mieux ?

— Comment va ton cou ? demanda Kat, ignorant la question.

La marque de ses doigts était clairement visible et elle tendit une main vers l’endroit en question avant de s’écarter aussitôt lorsqu’elle vit Chloé grimacer.

— Je survivrai, répondit Chloé dans un faible sourire, s’emparant de la main de Kat afin de lui embrasser la paume puis les doigts. Il avait l’air plutôt violent, ce cauchemar. Tu veux en parler ?

— Pour que je te donne envie de cauchemarder à ton tour ? ironisa Kat en se redressant péniblement. Non, et crois-moi, tu n’as aucune envie de savoir.

Chloé recouvrit une brosse à dents de dentifrice qu’elle lui tendit aussitôt :

— C’est le même que d’habitude ?

— Non, pas vraiment. Ils ne sont pas si... Ils ne sont pas comme ça, en général. Celui-là était tellement... tellement réel et... si conforme à la réalité.

Un frisson la parcourut et elle fut reconnaissante lorsque Chloé l’enlaça par derrière avant de chuchoter à son oreille :

— Shh... c’est fini maintenant, tu es en sécurité ici. Il ne peut rien t’arriver de mal.

— Je sais, répondit Kat, exerçant une légère pression sur les mains qui entouraient sa taille. Merci, ajouta-t-elle avant de porter la brosse à sa bouche et se laver frénétiquement les dents.

Cholé l’embrassa au niveau de l’omoplate :

— Je t’ai préparé un chocolat chaud si jamais tu penses pouvoir avaler quelque chose. Il y a des croissants et des pains au chocolat aussi.

Elle hésita un instant avant d’ajouter :

— Tu es sûre que tu ne veux pas en parler ?

Kat se rinça la bouche puis s’essuya les lèvres d’un revers de main avant de répondre :

— Je ne crois pas que socialiser avec tes clients fasse partie de ton travail.

Chloé afficha aussitôt un sourire :

— Le petit déjeuner non plus, pourtant, tu ne t’en es jamais plainte.

— Touchée, répondit Kat en souriant à son tour.

— Et puis, il faut bien que quelqu’un s’occupe de toi en attendant qu’une jolie demoiselle vienne s’emparer de ton petit cœur, non ? renchérit Chloé tout en l’attrapant par les pans de son peignoir afin de l’attirer vers la chambre.

Kat ne sut pourquoi, mais elle repensa soudainement à la femme qui l’avait secourue sur ce toit il y avait maintenant une semaine, visualisant sans le vouloir son regard bleu-vert et ses longs cheveux d’un blond naturel qui flottaient librement autour de son visage.

La voix de Chloé la tira cependant rapidement de ses pensées.

— Ooooh c’est quoi ce regard ? Il y aurait déjà quelqu’un alors ?

Kat reprit sa place contre l’oreiller avant de secouer la tête.

— Non. Ce genre de relation... c’est pas pour moi.

Chloé haussa un sourcil mais resta silencieuse. Peut-être avait-elle deviné, depuis longtemps, mais jamais elle n’avait donné voix à ses pensées, et pour Kat, c’était mieux ainsi.

— C’est bête, tu sais, répondit-elle néanmoins d’une voix légère tout en laissant courir son doigt le long de la clavicule de Kat avant de descendre un peu plus bas. Je suis sûre qu’une magnifique femme comme toi doit avoir tout un tas de propositions.

Son petit sourire s’effaça et elle scruta Kat un moment, comme si elle pesait intérieurement le pour et le contre afin de savoir si elle devait continuer ou non. Elle baissa finalement les yeux vers le drap.

— Tu mérites d’être heureuse Kat, poursuivit-elle. Pas de passer quelques nuits par semaine avec une escorte.

— Je suis bien avec toi.

Chloé sourit.

— Moi aussi, et je compte bien rester en attendant que cette fameuse personne arrive et me demande de foutre le camp, répondit-elle, le regard brillant. Alors, elle est comment, cette nana ?

— Blonde.

Chloé l’observa puis leva les yeux au ciel lorsque rien d’autre ne vint :

— Duh, merci Kat pour cette réponse si explicite, se plaignit-elle en la pinçant au niveau des côtes.

Kat sursauta légèrement et attrapa ses mains avant de soupirer :

— J’en sais rien. Blonde aux yeux bleus.

— Oh le cliché, ricana Chloé. Elle a les gros seins qui vont avec aussi ?

Ce fut au tour de Kat de la pincer au niveau des côtes et elle fut particulièrement ravie de la voir sursauter à son tour.

— Obsédée.

Chloé laissa sa main descendre vers la poitrine offerte de Kat avant de venir mordiller son lobe d’oreille de ses dents :

— Hmm, tu n’as pas idée, ronronna-t-elle.

Kat frissonna avant de s’emparer de sa main :

— Tcht. Tiens-toi tranquille.

Chloé l’embrassa sur la joue avant de se reculer :

— Bon, et c’est tout ? Blonde aux yeux bleus ? Elle s’appelle comment ?

— Elysia.

Chloé haussa un sourcil :

— Elysia ? Comme Elysia Field ? C’est peu commun.

En effet, être nommée d’après les Champs Elysées, ce n’était pas courant.

— C’est marrant, elle m’a fait penser à un ange, répondit Kat d’un air absent alors que dans son esprit, son image apparaissait subitement. Un ange aux yeux pers... La pâleur de sa peau et le teint si clair de ses cheveux lui donnaient même un air... divin.

— Un air divin ?

La voix de Chloé la ramena à la réalité et elle réalisa soudainement ce qu’elle venait de dire. Elle se sentit furieusement rougir.

— Et après tu me dis que tu n’es pas intéressée, rit Chloé. Tu l’as rencontrée où ?

Le sang qui avait afflué dans le visage de Kat disparut subitement :

— Je crois qu’elle m’a... sauvé la vie.

— Hein ? répondit Chloé, surprise.

— J’ai failli sauter du toit de l’immeuble du magazine.

Les mots quittèrent sa bouche et elle fut aussi surprise que Chloé par ce qu’elle venait de dire. Cette dernière resta un instant interdite à l’observer bêtement avant de finalement cligner des yeux à plusieurs reprises.

— Merde, souffla-t-elle avant de se passer une main sur le visage. Merde. Quelle conne. Quelle conne, quelle conne, quelle conne.

Elle se redressa subitement et commença à faire des va-et-vient dans la pièce tout en portant une main à ses lèvres. Son attitude inquiéta aussitôt Kat.

— Chloé ? tenta-t-elle.

Chloé tourna la tête dans sa direction et Kat réalisa que ses yeux étaient emplis de larmes. Son cœur se serra. C’était exactement pour cette raison qu’elle ne lui parlait jamais de ce qui la hantait. Chloé était beaucoup trop jeune, trop innocente pour avoir à faire face à ce genre de choses, elle ne méritait pas ce poids sur ses frêles épaules.

— J’aurais dû t’aider, murmura-t-elle enfin.

— Tu le fais, à chacun de nos rendez-vous.

Un rire dénué d’humour s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle secouait la tête de dépit.

— Il y a une personne derrière la prostituée de luxe, répondit-elle d’un ton dur et douloureux. Je sais écouter Kat, j’aurais pu t’apporter mon soutien, mon réconfort. Et ça pas juste avec mon corps !

Son ton était empli de tristesse et de colère et Kat se demanda un instant s’il était plus dirigé contre Chloé elle-même ou contre elle.

— Chloé s’il te plaît... j’ai choisi de ne rien dire, c’était mon choix, tenta-t-elle en se redressant. Te sens pas responsable de tout ça.

Chloé leva les mains avant de les laisser retomber à ses côtés.

— Je le sais depuis le début, Kat. Je le voyais à chaque fois... à quel point ce qui t’habite te ronge de l’intérieur.

Elle se mordit la lèvre et les larmes dument retenues commencèrent à couler le long de ses joues.

— Est-ce que tu réalises ce que ça m’aurait fait de te perdre ?

Son ton empli de douleur atteignit Kat en plein cœur et elle se redressa aussitôt pour la prendre dans ses bras, luttant elle aussi contre les larmes. Malgré les termes du contrat, Chloé avait fini par devenir une amie au fil de leurs rendez-vous, et elle détestait la voir souffrir, encore plus lorsqu’elle savait que cela venait d’elle.

— C’était pas prémédité Chloé, je te le promets, murmura-t-elle à son oreille. Je sais pas ce qu’il s’est passé... un instant, j’étais là à simplement fumer ma cigarette, et le suivant... quelqu’un me tirait en arrière et m’éloignait du vide.

Chloé renifla avant de se reculer et l’observer :

— C’est vrai ?

— Promis.

— O.K., répondit Chloé en hochant faiblement la tête. Elle t’a sauvé alors ? demanda-t-elle en s’essuyant les joues.

Kat s’empara de sa main et elles s’installèrent de nouveau sur le lit, Chloé s’emparant aussitôt de la boite de mouchoirs qui reposait sur la table de chevet.

— Oui, c’est exactement ça. Elle est... elle est arrivée juste à temps.

Chloé exerça une forte pression sur sa main :

— J’espère que tu l’as remercié.

Kat sourit, comprenant aisément au ton léger que Chloé avait besoin de détendre l’atmosphère.

— Je... non, réalisa-t-elle soudainement en fronçant les sourcils. C’est plutôt le contraire, je me suis montrée assez désagréable.

Elle secoua la tête, confuse :

— C’est juste que... je comprends pas ce qu’il s’est passé Chloé, ma vie est loin d’être au beau fixe, mais... je suis simplement montée sur ce toit pour fumer. Je ne me souviens de rien d’autre.

Chloé la poussa légèrement afin que Kat s’allonge de nouveau sur le lit et qu’elle puisse venir prendre place contre elle, sa tête reposant au creux de l’épaule de Kat tandis que son bras venait s’enrouler autour de son ventre.

— Tout va bien maintenant, souffla-t-elle. Tu es en sécurité.

Son étreinte se resserra et Kat sut qu’elle cherchait à se rassurer elle aussi. Elle tourna légèrement la tête et l’embrassa sur le front.

— Je sais. Je suis désolée.

Chloé se redressa et prit appui sur un coude afin de pouvoir la regarder :

— T’as pas à t’excuser, dit-elle en redessinant la ligne de la mâchoire de Kat. Mais souviens-toi que je ne suis pas là uniquement pour te soulager physiquement.

— Je pensais que c’était ton travail pourtant, la taquina aussitôt Kat. Ah, voilà le sourire qui me manquait tant.

— Peut-être, admet Chloé. Mais notre relation va plus loin que ça, pas vrai ? ajouta-t-elle, incertaine.

Kat s’empara de sa main et vint y embrasser la paume.

— Bien sûr. 

— Alors... je suis là, d’accord ? Pas uniquement pour le sexe. Compris ?

— Cinq sur Cinq.

Chloé hocha la tête.

— Bon. Et concernant cette... Elysia, tu as son numéro ?

Kat plissa légèrement les yeux, appréhensive.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? demanda Chloé, surprise. Cette femme te sauve la vie, et tu me demandes pourquoi ? Tu dois la remercier !

Kat remua, mal à l’aise.

— Je ne lui ai rien demandé moi hein, marmonna-t-elle.

— Oh très mature Kat, soupira aussitôt Chloé. Appelle-la et remercie-la. Si tu ne veux pas le faire pour toi, fais-le au moins pour moi.

Kat haussa un sourcil.

— C’est un ordre ?

— Ouais, sourit Chloé tout en se redressant. Maintenant debout, tu vas être en retard.

— Oui maman, soupira aussitôt Kat tout en se levant à son tour.

Le rire de Chloé lui parvint tandis qu’elle se dirigeait vers la salle de bains :

— Oh non, ta mère ne t’aurait jamais fait ce que j’ai pu te faire cette nuit !

Kat s’arrêta avant de grimacer, elle se tourna vers Chloé :

— On ferait mieux d’éviter ce genre d’associations, ma vie sexuelle et mes parents sont deux choses bien distinctes et je tiens absolument à ce que ça reste comme ça.

— C’est toi qui as commencé, répondit Chloé en lui tirant la langue.

Kat leva les yeux au ciel :

— Et tu n’es pas obligée de me suivre dans mes bêtises, répondit-elle avant d’hésiter.

Au vu du soupir de Chloé, elle comprit aussitôt que cette dernière avait deviné ce à quoi elle s’apprêtait à faire allusion.

— Pas aujourd’hui Kat, s’il te plaît. On en a déjà discuté, ma décision ne changera pas.

— Tu te proposes de m’aider, je peux bien le faire aussi, non ?

Chloé se gratta la nuque avant de lui faire totalement face depuis sa place sur le lit :

— Surement, et j’apprécie la pensée, mais je préfère me débrouiller. Ce n’est que l’affaire de quelques mois maintenant.

Kat hésita un instant avant de hocher la tête. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre les raisons pour lesquelles Chloé s’était tournée vers la prostitution de luxe. Hormis le fait que les études étaient relativement onéreuses aux Etats-Unis, Chloé, jeune femme seulement âgée de vingt-et-un ans, s’était malgré elle retrouvée confrontée à un inextricable problème de surendettement dont elle n’était pourtant pas responsable. Fille d’une mère accro aux jeux en tout genre, qui avait fait de nombreux crédits à la consommation, des prêts qu’elle n’avait jamais commencé à rembourser, Chloé s’était vue chaque mois obligée de devoir verser une somme monstrueuse auprès des banques ayant investi, sous prétexte que sa mère, dans son dos, l’avait inscrite comme co-emprunteur.

N’ayant personne pour l’aider financièrement, Chloé avait fini par se décider à devenir escorte, accompagnant des clients lors de soirées ou de dîners d’affaires afin de les mettre en valeur, ou pour leur tenir simplement compagnie le temps d’un week-end. Après avoir passé trois années à aller jusqu’à additionner trois boulots différents afin de financer ses études et rembourser ses prêts, ce choix lui avait semblé être judicieux à l’époque. Après tout, qui se plaindrait d’avoir simplement à faire la belle pendant quelques heures pour un cachet pouvant monter à plusieurs milliers de dollars ?

Cependant, et même si elle avait beau essayer de le cacher, Kat savait qu’elle détestait ce boulot. Étant déjà très sélective sur ses clients, elle le devenait de plus en plus et le manque de rentrée d’argent se faisait ressentir. Kat se demandait même parfois si elle n’était pas sa seule cliente sur plusieurs semaines.

Alors, petit à petit, elle avait commencé à lui proposer son aide, simplement parce qu’elle voulait mieux pour elle. Elle savait très bien ce qui circulait dans ces soirées et qu’un dérapage pouvait arriver à tout moment. Mais Chloé ne cessait de refuser catégoriquement.

Elle soupira. Je suppose que cela fait partie des raisons pour lesquelles les clients ne sympathisent normalement jamais avec les escortes.

— L’enveloppe est sur la table de chevet, répondit-elle finalement avant d’entrer dans la salle de bains, et de refermer la porte derrière elle.

 

Dans la pièce adjacente, une silhouette sombre quittait discrètement l’appartement, un sourire victorieux sur les lèvres.

Essaye de faire mieux, Daï-Natha.

24 juin 2015

Chapitre 1

Deux mois plus tard.

Elysia entra l’adresse dans la barre du navigateur internet avant d’appuyer sur la touche « Entrée », un sourire se dessinant automatiquement sur ses lèvres. En tant que rédactrice en chef de l’un des plus grands magazines de la ville, plusieurs responsabilités lui incombaient, dont l’évolution de son support média afin de conquérir de nouveaux lecteurs et/ou internautes. Elle avait alors passé plusieurs semaines, avec l’aide de son équipe graphiste, sur l’élaboration d’un site internet digne de ce nom, et aujourd’hui, c’était le grand jour, il était enfin en ligne.

Dire qu’elle était excitée comme une puce aurait été un euphémisme, elle y avait mis tellement d’énergie qu’elle avait encore du mal à réaliser qu’il était enfin terminé et que le résultat final dépassait largement ses plus grandes espérances. Son regard s’arrêta sur le nombre de visites et elle se réjouit de voir qu’en moins d’une heure, il y en avait déjà eu près de dix mille. Ce n’était pas grand-chose, bien loin des milliards que Google pouvait recevoir, par exemple, mais avec la publicité et le bouche-à-oreille, elle savait que le chiffre allait rapidement exploser.

De légers coups contre sa porte la tirèrent de sa contemplation et elle releva la tête pour voir son adjoint exécutif entrer dans son bureau, une tasse de thé entre les mains. Elysia sourit ; Joshua Mason avait non seulement très rapidement compris ses habitudes mais en plus, elle n’avait jamais besoin de se répéter deux fois. Ce qui, pour un poste à responsabilités comme le sien, était définitivement un plus.

— Bonjour Boss.

— Bonjour Josh.

Hmm. Continuons comme ça, et nous finirons par sortir un tube.

— Merci, dit-elle alors qu’il déposait la tasse sur le bureau, à ses côtés. Tu veux entendre la grande nouvelle ? ajouta-t-elle d’une voix tout excitée.

Leurs regards se croisèrent et, de nouveau, il se mit à rougir. Ce qui arrivait de plus en plus ces derniers temps, et c’était encore pire si Elysia se mettait à sourire. Ce qu’elle faisait d’ailleurs à l’instant même tellement elle était euphorique. Le pourquoi de ce comportement restait pour elle un mystère, et sa façon de se balancer d’un pied à l’autre et d’essuyer ses mains sur son jean à plusieurs reprises lui laissait penser qu’il devait abuser de la caféine. Elle avait beau chercher, elle ne voyait pas d’autres explications. Depuis son arrivée ici, c’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un agir de la sorte.

Ah non, il y a Luke de la cafétéria aussi. Et Jake qui distribue mon journal chaque matin. Hmm. Bizarre. Il faudrait que je demande à mes collègues femmes si elles ont, elles aussi, à faire face à ce genre de comportement.

— Le site est en ligne ?

— Depuis ce matin, tu veux jeter un œil ?

Le regard de Josh se posa sur l’ordinateur et il hocha frénétiquement la tête. Elysia lui fit signe de faire le tour et de la rejoindre de l’autre côté du bureau pendant qu’elle écartait légèrement son fauteuil pour lui laisser la place.

— Woah c’est génial ! s’exclama-t-il aussitôt pour le plus grand bonheur d’Elysia. Vous avez choisi les couleurs ?

Elle lui donna une petite tape sur le bras.

— Je t’ai déjà dit de me tutoyer, l’admonesta-t-elle dans un sourire afin d’atténuer l’effet de ses propos.

Le premier jour, il l’avait appelé « madame », et Elysia avait bien cru qu’elle allait faire une crise cardiaque. Le « vous » n’arrangeait vraiment pas les choses. Marque de respect ou non, ce terme lui donnait la chair de poule. Elle avait trente-deux ans pour l’amour du ciel, pas cinquante.

— Pardon, bredouilla-t-il. Tu as choisi les couleurs ?

— Oui, et tu vois ça ? Les petites animations là ? répondit Elysia en pointant du doigt les petites touches permettant l’accès aux différentes sections. C’est moi aussi. Cool hein ?

Le sourire qui apparut sur le visage Josh fut digne de celui d’un enfant un soir de Noël, et il n’avait certainement pas conscience de combien cela faisait plaisir à sa patronne.

— C’est génial. Combien de visites jusqu’à présent ?

— Hmm... 8 749 en une heure. Mais avec la publicité et...

— Ça va cartonner. Tu as gardé le même style que pour le magazine, les gens en raffolent, ils tomberont forcément amoureux du site. Les couleurs sont vives mais le tout reste clair, lisible, cohérent. On n’est pas perdu sans savoir où donner de la tête comme cela aurait pu être le risque. Et les animations, c’est vraiment une bonne idée. Elles rappellent l’air magique sur lequel tu as bâti ton succès.

Un immense sourire apparut sur le visage d’Elysia. Elle comptait toujours sur l’avis de Josh parce qu’il était toujours honnête et généreux dans ses réponses et même s’il avait des critiques négatives à apporter, il n’hésitait jamais, et ce même si elle était sa patronne. 

— Merci beaucoup Josh, tu es adorable.

Il rougit de nouveau avant de contourner le bureau et prendre cet air professionnel qui faisait de lui l’assistant parfait qu’il était.

— Tu as une réunion à 10h avec tes chefs de rubriques afin de décider de l'angle des articles du prochain numéro. Puis une autre à 14h avec les dessinateurs. Ensuite...

— Je réserve ma fin d’après-midi pour répondre au courrier des lecteurs.

Josh l’observa un instant avant de noter quelque chose sur son agenda puis le fermer.

— D’accord, parfait. Tu as besoin de quelque chose ?

— Hmm, non... oh si, une autre tasse de thé avant la réunion de 10h.

Josh leva aussitôt les yeux au ciel.

— Accro.

— C’est toujours mieux que d’abuser de la caféine, répondit aussitôt Elysia en lui offrant un regard appuyé.

Josh l’observa, perplexe.

— Surement..., répondit-il d’une voix trainante avant de sourire. Ma drogue, c’est le chocolat chaud, et il n’y a rien de mal là-dedans. Ma maman m’a toujours dit que ça ferait de moi un vrai homme, ajouta-t-il tout en fléchissant ses biceps. Le petit déjeuner des champions !

Elysia lâcha un rire avant de froncer les sourcils une fois qu’il eut quitté la pièce. Si la caféine n’avait rien à voir avec son comportement étrange, qu’est-ce que c’était, alors ?

Bah, je finirai bien par le découvrir. Elle décrocha son téléphone et s’apprêtait à appeler les quelques personnes dont l’aide lui avait été indispensable à la création du site lorsqu’une sensation étrange s’empara d’elle. Un frisson désagréable remonta le long de sa colonne vertébrale pour élire domicile au creux de sa nuque et elle se figea instantanément.

Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose.

Merde. Merde, merde, merde, merde ! La panique s’empara d’elle lorsqu’elle réalisa que, contrairement à ce qu’elle avait présomptueusement pensé, elle n’était pas du tout préparée. Quelque chose avait mal tourné, et si elle ne se bougeait pas les fesses d’ici la seconde suivante, rien n’aura plus d’importance, puisque tout sera terminé.

Et je ne peux pas laisser cela arriver. Hors de question.

Sur terre, ses choix étaient malheureusement limités. La facilité dont elle disposait avant n’était plus, et elle perdit de précieuses minutes avant d’opter pour la seule chose qu’il lui restait : son instinct. Le laissant prendre le dessus, elle sortit en trombe de son bureau et remercia le ciel que le couloir soit désert, l’heure matinale y étant probablement pour quelque chose. Elle arriva rapidement vers les cabines d’ascenseur, pour se rendre compte que sa chance était visiblement de courte durée, puisque toutes étaient occupées.

— Merde. Fait chier, fait chier, fait chier !

N’ayant définitivement pas le temps d’attendre, elle n’eut d’autres choix que de prendre les escaliers et elle courut aussi vite que ses jambes le lui permirent, sa respiration se faisant de plus en plus difficile tandis qu’elle grimpait les marches quatre à quatre.

Bon sang, non, non, non, non ! J’ai pas fait... tout ce chemin... pour que ça se finisse comme ça ! pensa-t-elle intérieurement alors que ses muscles commençaient à la brûler.

La lourde porte en métal lui apparut enfin et elle trouva la force d’accélérer sur les derniers mètres, ouvrant le dernier rempart d’un geste brusque avant de pénétrer sur le toit. Un vent frais vint aussitôt caresser son visage, faisant voler quelques-unes de ses mèches blondes tandis que son regard s’évadait rapidement autour d’elle. Le soleil était déjà haut dans le ciel malgré l’heure matinale, et elle nota la présence d’autres bâtiments qui les entouraient, ainsi que deux personnes légèrement sur la gauche.

Kat ! pensa-t-elle avec soulagement, avant de froncer légèrement les sourcils.

Elle réalisa alors que cette dernière était debout sur le rebord du toit, et qu’elle commençait visiblement à basculer vers l’avant.

Mais ce qui surprit le plus Elysia, ce fut la silhouette qui se trouvait juste derrière elle, et ne faisait absolument rien pour l’arrêter.

Bien au contraire.

💕

Le choc passé, ce fut comme si son corps réagissait de lui-même. Ses jambes se mirent en mouvement et la seconde suivante, sa main agrippait l’arrière de la veste de Kat d’une poigne de fer, juste au milieu du dos, tandis que son autre bras s’enroulait autour de sa taille. Son pied se posa sur le rebord de l’immeuble, et elle tira de toutes ses forces tout en se laissant retomber vers l’arrière.

La chute fut douloureuse. Son dos heurta violemment les gravas recouvrant le sol du toit de l’immeuble, et le corps de Kat retomba à moitié sur le sien un millième de seconde plus tard. L’air quitta aussitôt ses poumons et des étoiles s’illuminèrent devant ses yeux. Puis, quand sa vue s’éclaircit enfin, ce fut pour se retrouver prisonnière d’un regard étrangement familier, mais qui lui donna froid dans le dos.

Entièrement vêtue de noir, un chèche recouvrait sa tête, comme ces peuples Touareg qui sillonnaient ces régions montagneuses du Sahara. Seuls ses yeux étaient visibles, mais ce qui surprit le plus Elysia, c’était l’énergie qui se dégageait d’elle.

Elle lui donna la chair de poule.

Un léger mouvement au-dessus d’elle la poussa cependant à détourner les yeux et elle porta son attention sur Kat, leurs regards se croisant et s’accrochant un long moment. Mon Dieu, elle a des yeux magnifiques, pensa-t-elle malgré elle.

Le silence autour d’elles était pesant, et Elysia eut comme l’impression que le temps venait de s’arrêter.

Jusqu’à ce qu’enfin, elle parvienne à retrouver ses esprits.

— Je… hum… vous allez bien ? balbutia-t-elle malgré elle.

Interdite, Kat la fixa avant de hocher légèrement la tête et Elysia leva brièvement les yeux pour s’apercevoir que la silhouette avait mystérieusement disparu. Surprise, elle regarda rapidement autour d’elles, puis haussa finalement les épaules avant de reporter son attention sur Kat.

— Vous pouvez vous relever ? demanda-t-elle.

La voyant commencer à bouger, Elysia passa un bras dans son dos et l’aida à se redresser.

— Rien de casser ?

— Non, juste…

Kat s’arrêta, réalisant surement combien sa voix était tremblante. Elle se contenta de montrer la main sur laquelle elle s’était appuyée pour amortir sa chute et Elysia remarqua que la peau était légèrement égratignée par endroit et que certaines petites écorchures saignaient.

Elysia retint une grimace et lui offrit un sourire qu’elle voulut rassurant.

— Venez, on va nettoyer ça.

Elle tendit une main pour l’aider à se remettre debout et, voyant ses jambes trembler, elle passa un bras autour de sa taille pour la soutenir. Leurs yeux se croisèrent à nouveau mais aucune d’elles n’osa prononcer le moindre mot, encore bien trop bouleversées par ce qu’il venait de se produire.

Elles descendirent les escaliers dans un silence pesant, Kat se laissant guider. Elysia fut légèrement surprise par la confiance qu’elle lui portait, mais elle se dit que c’était surement le choc qui la poussait à agir ainsi. Lorsqu’elle reprendra ses esprits, sa réaction sera certainement tout autre, je le sais.

Quelques instants plus tard, après avoir longé le couloir et être passées devant un dédale de pièces, elles pénétrèrent enfin dans son bureau où elle s’empressa d’aider Kat à prendre place sur le fauteuil en cuir qu’elle occupait quelques instants plus tôt. Kat porta une main tremblante à son visage et Elysia se retrouva à l’observer bêtement, ne sachant pas par où commencer.

Bon sang, je n’ai pas fait tout ce chemin pour rester muette comme une carpe une fois face à elle, non ? Certes, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle tente de mettre fin à ses jours, aussi,pensa-t-elle sarcastiquement.

Prenant une profonde inspiration, elle se força à dire quelque chose.

— Kat ? appela-t-elle d’une voix douce pour ne pas la surprendre. Je vais… je vais aller chercher ce qu’il faut pour votre main, d’accord ?

Elle attendit un instant mais n’obtint aucune réaction en retour. Alors, après une légère hésitation, elle ressortit finalement dans le couloir. Elle dépassa plusieurs bureaux avant de ralentir le pas lorsqu’elle arriva devant une porte légèrement entrebâillée sur laquelle était inscrit : « Kimberley Leggett — Designer graphiste ». Elle toqua légèrement avant de passer sa tête à l’intérieur, puis d’entrer lorsqu’elle perçut celle qu’elle cherchait ; une jeune femme au look gothique, qui s’était teint les cheveux en rose, arborait un piercing à la fois au nez et à la lèvre inférieure, sans oublier, bien sûr, le chewing-gum qui ne la quittait jamais.

— Hé Kim, appela-t-elle en prenant appui contre son bureau. Dis-moi, tu sais où se trouve la trousse de secours ?

Deux yeux noisette se détachèrent aussitôt de l’écran de l’ordinateur pour se poser sur Elysia.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé, tu t’es coupée tout en coloriant tes petits personnages ? taquina Kim tout en ouvrant le dernier tiroir de son bureau.

Elysia lui tira la langue avant de marmonner « j’aurais préféré ». Elle reprit plus haut :

— Rends-moi service tu veux, appelle la sécurité et demande leur d’aller faire un tour sur le toit. Je crois qu’on a un intrus dans l’immeuble.

— Sérieux ? s’exclama Kim qui lui tendait sa trousse de secours.

Elle décrocha son téléphone.

— Il ressemblait à quoi ?

Elysia se mordit l’intérieur de la joue.

— J’ai pas vu grand-chose, mentit-elle. Il était entièrement vêtu de noir, et il avait une espèce de turban sur la tête.

— Hmm bizarre, répondit Kim, les sourcils froncés de concentration tandis qu’elle composait le numéro. Ça sonne. File, je m’en occupe.

— Merci. Tiens-moi au courant, d’accord ?

Kim hocha la tête d’un air entendu et Elysia regagna son bureau d’un pas rapide, remarquant aussitôt que Kat n’avait pas bougé d’un poil. Même si elle était soulagée qu’elle ne soit pas partie en son absence, son manque de réaction, lui, ne la rassurait pas en tout cas. Elle déposa le kit sur l’un des sièges faisant face au bureau avant de s’approcher et de poser doucement une main sur son épaule. Elle sentit le corps de Kat se tendre aussitôt en réponse avant de se relâcher légèrement. Bon, au moins, elle ne me repousse pas. Enfin, pas encore.

— Je… j’ai trouvé le kit pour… hum..., pour votre main, balbutia-t-elle maladroitement. Vous avez de l’alcool ? ajouta-t-elle soudainement.

— Quoi ?

Kat tourna la tête dans sa direction et l’observa, un air perplexe sur le visage.

— De l’alcool ? Vous en avez sur vous ? répéta Elysia tandis qu’elle soupirait intérieurement d’obtenir enfin une réaction. Allez Kat, je sais que tu ne sors jamais sans ta fiole...

— Qu’est-ce qui vous ferait croire ça ? demanda Kat, passablement irritée.

Ton air de femme fatale avec tes cheveux sombres faussement négligés et ton manteau en cuir ? pensa Elysia, même si elle devait néanmoins admettre que Kat restait malgré tout très féminine et dégageait un charme tout simplement irrésistible. Sa peau était finement bronzée et les traits de son visage assez fins mais ce qui attirait le plus, c’était ses yeux. Deux yeux noisette incroyablement clairs, elle n’en avait jamais vu de semblables. Et bon sang, ils sont encore plus impressionnants vus en vrai.

— Vous en avez l’allure, sourit-elle finalement avant de tendre une main vers l’avant de sa veste. Je peux ?

Kat l’observa, son visage véhiculant la méfiance, avant de finalement hocher imperceptiblement la tête. Il ne lui en fallait pas plus, et Elysia passa aussitôt une main sous sa veste à hauteur de la poitrine et en ressortit une flasque de sa poche intérieur, sur laquelle était gravée une Harley Davidson soulignée de l’inscription « It’s not the destination, it’s the journey ». Elysia prit soin de dévisser le bouchon avant de la lui tendre.

— Tenez, vous en avez besoin.

Kat porta la flasque à ses lèvres et en avala plusieurs gorgées avant de la tendre à Elysia qui secoua aussitôt négativement la tête.

— Non, merci, grimaça-t-elle. Je n’aime pas l’alcool.

Elle s’empara néanmoins de la flasque à nouveau et prit soin de la refermer avant de la reposer à sa place initiale.

— Alors, qu’est-ce qu’une jolie jeune femme comme vous faisait sur le toit de mon immeuble ? demanda-t-elle d’un air absent tandis qu’elle s’emparait de sa main blessée. Les humains ne peuvent pas voler, vous savez.

Le corps de Kat se figea instantanément et Elysia comprit aussitôt qu’elle venait de commettre une erreur en ayant recours à l’humour, se préparant à la voir quitter la pièce et lui dire d’aller se faire voir. Un soupir tremblant lui parvint cependant et elle réalisa que Kat n’avait en aucun cas l’intention d’agir ainsi, mais la vision qui s’offrait à elle du coin de l’œil lui fendit littéralement le cœur. La vue de Kat se brouilla et son visage laissa apparaître un air si triste et si perdu qu’Elysia avait simplement envie de la prendre dans ses bras et de la serrer aussi fort qu’elle le pouvait. 

— Je sais pas, souffla-t-elle enfin. J’étais... j’étais seulement montée souffler un coup, et... et si possible me vider l’esprit... Quand je suis arrivée sur le toit, tout m’est revenu d’un coup. C’était trop fort, j’avais trop mal. Je voulais juste que ça s’arrête… je voulais… juste... que ça s’arrête.

A voir sa réaction, Elysia sut qu’elle allait vraiment mal. Mais ce qui la surprit le plus, c’était que Kat pensait réellement avoir tenté de mettre fin à ses jours. Elysia repensa à la silhouette et elle sentit une colère froide s’emparer d’elle.Elle avait presque failli arriver trop retard, mais une chose était sûre, on ne l’y reprendrait pas une seconde fois.

Mettant ses élucubrations de côté, elle se concentra sur la situation actuelle.

— Kat ?

Cette dernière releva aussitôt la tête et Elysia se retrouva soudainement prisonnière d’un regard chocolat intense, mêlant surprise et appréhension. 

— Comment connaissez-vous mon nom ? demanda-t-elle sur la défensive. Et puis, vous êtes qui au juste ?

Elysia grimaça intérieurement.

— Je m’appelle Elysia. Elysia Sonja Lasheras, répondit-elle en tendant une main que Kat ignora. Je suis la rédactrice en chef du magazine, je pensais que vous le sauriez étant donné que vous m’apportez mon courrier tous les matins, ajouta-t-elle dans un sourire qui se voulut taquin.

Kat ne répondit pas. En réalité, son poste se traduisait par des gestes tellement répétitifs qu’il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus prêté attention à qui faisait quoi, qui occupait quel bureau ou encore à quel visage appartenait quel nom. Tout ce qu’elle faisait, c’était glisser des enveloppes dans des boîtes aux lettres jouxtant des portes de bureau, apporter des cafés, nettoyer les salles de conférences avant et après les réunions et faire des photocopies. Personne ne faisait attention à elle, et elle ne se gênait pas pour rendre la pareille.

— Oh... alors vous vous intéressez à ceux qui se trouvent tout en bas de l’échelle finalement ? Moi qui pensais que vous ne parveniez pas à nous voir depuis votre tour d’ivoire, ironisa-t-elle, sarcastique. Première nouvelle. En général, les rares fois où vous et votre clique daigniez me remarquer, c’est quand vous avez besoin de café ou de photocopies. Si j’avais gagné ne serait-ce qu’un dollar à chaque fois qu’on m’a sorti « et toi là-bas ! », je serais déjà milliardaire. Je ne savais pas que j’avais un nom, finalement.

Elysia fut tellement surprise par la tirade inattendue et acerbe qu’elle ne répondit pas tout de suite. Abasourdie, elle se redressa avec lenteur et prit place dans l’un des fauteuils réservé aux visiteurs, son regard ne quittant pas Kat. Elle avait du mal à croire que ses collègues la traitaient ainsi, seulement Kat n’était pas du genre à mentir, et la colère qui émanait d’elle semblait trop réelle pour être feinte. Mais ce qui surprenait surtout Elysia, c’était de n’avoir rien vu. Comment avait-elle pu louper quelque chose d’aussi gros ? Elle faisait toujours partie des premières arrivées, et était souvent l’une des dernières à partir, elle était constamment présente... comment avait-elle pu ne rien voir ?

Elle soupira intérieurement. Sa mission se montrait beaucoup plus complexe qu’elle ne le pensait. La femme qu’elle avait si longuement observée n’était déjà plus la même depuis son arrivée sur Terre. L'absence de sa Daï-Natha avait profondément affecté Kat et Elysia avait du mal à s’adapter. Elle n’arrivait plus à la lire aussi facilement, n’avait plus aucune maîtrise sur ses réactions. Et elle n’avait certainement pas envisagé que le contexte puisse lui compliquer davantage la tâche.

Elle se racla légèrement la gorge, jugeant important de préciser :

— Je ne vous ai jamais appelé comme ça.

Kat afficha un air surpris et Elysia réalisa que ce n’était pas la réponse à laquelle elle s’était attendue.

Kat haussa les épaules :

— Josh s’occupe de vos besoins, pas vous.

Elysia haussa les sourcils avant de sentir le sang quitter son visage :

— Il... il ne vous appelle quand même pas...

— Il est peut-être l’adjoint exécutif de la rédactrice en chef, il n’en reste pas moins un « assistant »..., répondit Kat dans un sourire dénué d’humour. Même s’il y en a que ça n’arrête pas pour autant. Mais Josh est différent, c’est un bon garçon.

Elysia hocha aussitôt la tête, visiblement soulagée. Elle se redressa soudainement et contourna de nouveau le bureau avant d’en ouvrir le premier tiroir et en sortir une feuille blanche et un stylo.

— Vous allez me faire la liste de tous ceux qui vous ont manqué de respect depuis votre arrivée ici, et de quelle façon cela s’est produit.

Kat haussa aussitôt les sourcils, incrédule :

— Excusez-moi ?

— Vous allez...

Kat remua une main dans les airs :

— J’ai compris, je suis pas sourde. Je peux savoir pourquoi je ferais ça ?

— L’Orlando Comics est un magazine très réputé, mais il est hors de question qu’il bâtisse son succès sur des personnes qui ne savent pas faire la différence en un chien et un employé dévoué. Alors ?

Kat serra les dents. Elle savait pertinemment que le magazine l’avait embauchée parce qu’ils prétendaient donner les mêmes chances à tous, peu importe leur situation personnelle et professionnelle. Elle savait également que c’était en grande partie pour cela qu’elle était constamment prise en grippe par tout le monde. Elle n’était pas une employée. Elle était une moins-que-rien que l’armée avait mis à la porte sans préavis et à qui les services sociaux avaient offert une seconde chance. Mais s’il y avait bien une chose que Kat ne comptait certainement pas laisser passer, c’était d’être perçue comme une victime.

— Je dois partir, j’ai du travail, répondit-elle en se redressant.

Elysia l’observa, abasourdie, avant de se poster juste devant elle lorsqu’elle voulut quitter la pièce. Elle la défia du regard :

— Très bien, allez-y. Mais laissez-moi vous dire que si vous quittez cette pièce sans poser ne serait-ce qu’un nom sur cette feuille, vous ne vaudrez pas mieux qu’eux.

Kat la cloua aussitôt du regard :

— J’ai jamais manqué de respect à quiconque ! gronda-t-elle.

— Non, répondit aussitôt Elysia en soutenant son regard. Mais vous comptez les laisser faire. Qu’est-ce que ça dit de vous, à votre avis ?

Elysia savait qu’elle poussait sa chance, mais si elle voulait aider Kat, elle savait que ses choix étaient limités. Soit elle prenait le taureau par les cornes, soit elle prenait le risque que l’opportunité se présente trop tard pour qu’elle ait réellement le temps de faire quelque chose.

Elles s’observèrent un moment, la tension palpable, avant que le visage d’Elysia ne s’adoucisse.

— Écoutez, que vous le vouliez ou non, vous êtes sous ma responsabilité. C’est mon devoir de m’assurer que vous travaillez dans de bonnes conditions. Alors... vous voulez bien m’aider à faire en sorte que ce soit le cas ?

Kat baissa les yeux vers la feuille avant de soupirer :

— Ils sauront que ça vient de moi. La seule chose que ça va faire, c’est empirer la situation.

Elysia feignit un air blessé :

— Ravie de voir que vous avez confiance en votre supérieur, ironisa-t-elle dans un sourire ; elle se sentait beaucoup plus légère maintenant qu’elle sentait la victoire à portée de main. Je suis désolée, mais vous allez devoir me faire confiance sur ce point, poursuivit-elle en regagnant l’autre côté du bureau. En ce qui vous concerne, vous êtes chargée du courrier. Aux dernières nouvelles, pour les cafés et photocopies, ils ont tous des assistants alors à partir de maintenant, la seule chose que vous avez à faire, c’est de distribuer nos petites enveloppes.

— Vous vous rendez compte que vous demandez l’impossible ?

Elysia remua distraitement une main dans les airs :

— Peut-être, mais en attendant, faites la sourde oreille. Et c’est un ordre, Mlle Harper, ajouta-t-elle dans un sourire en coin. Je peux m’occuper de votre main, maintenant ?  ajouta-t-elle. Parce que vous ne pourrez pas faire grand-chose si vous la laissez dans cet état.

Kat l’observa, visiblement toujours agacée, avant de capituler et poser son bras sur le bureau, permettant ainsi à Elysia de travailler sur sa main sans difficulté.

— Ça risque de piquer un peu, murmura-t-elle avant d’appliquer le désinfectant, les sourcils légèrement froncés de concentration.

Kat grimaça légèrement puis se contenta d’observer chacun de ses gestes d’un air absent. Elysia termina quelques minutes plus tard.

— Voilà, le bandage n’est pas trop serré ? demanda-t-elle en levant les yeux.

— Non, ça va, merci, répondit Kat d’un ton légèrement brusque.

Maintenant que la tension était enfin retombée, elle réalisait pleinement ce qu’elle avait failli faire là-haut, sur ce toit, et elle avait désespérément besoin de se retrouver seule et surtout loin de cette femme qui faisait comme si rien ne s’était passé.

— Pourquoi est-ce que vous faites ça ? reprit-elle soudainement. Par pitié ?

— Par pitié ? s’étonna Elysia, surprise de réaliser combien ce simple mot lui faisait mal.

Elle secoua la tête avant de la rejoindre de l’autre côté du bureau, ouvrant le second tiroir afin d’en sortir une petite carte qu’elle glissa entre les doigts de sa main bandée.

— Passez une bonne journée, mademoiselle Harper.

Elle la regarda une dernière fois droit dans les yeux avant de se retourner pour quitter la pièce.

— Vous connaissez la sortie, lâcha-t-elle par-dessus son épaule.

Kat baissa les yeux vers la carte qu’elle tenait désormais entre ses doigts, notant qu’elle contenait le nom et prénom d’Elysia, ainsi qu’un numéro de fixe et de portable. Elle releva les yeux :

— Qu’est-ce qui vous fait croire que je ne recommencerai pas une fois que vous aurez passé cette porte ?

Elysia s’arrêta aussitôt avant de tourner légèrement la tête, si bien que Kat ne voyait que son profil.

— Si c’est vraiment ce que vous désirez, je n’ai aucun doute sur le fait que vous parviendrez à vos fins un jour ou l’autre. J’ose seulement espérer que vous m’appellerez à la place.

Mais tu n’as jamais voulu sauter, Kat. Et crois-moi, tu ne réussiras que si je te le permets. Il est hors de question que je te laisse tomber. Ça m’est impossible. Nous sommes liées l’une à l’autre d’une façon dont tu n’imagines même pas l’existence.

Elysia lui jeta un dernier coup d’œil puis disparut dans le couloir, une seule et même pensée tournant sans cesse dans son esprit :

Je dois absolument empêcher cette Targa de l’approcher à nouveau.

8 avril 2015

Chapitre 7 : Retour au Bercail en Famille

– Tu as retrouvé ton frère, Mathis et sa maman sont enfin réunis, la fête bat son plein, et toi, tu es dans ta chambre à défaire tes valises ? s’exclama Allison, en appui contre le chambranle.

   Soann roula des yeux.

   – Je comptais juste changer de t-shirt, expliqua-t-elle, désignant le tissu mouillé. J’arrive pas à croire que mon propre frère m’ait craché dessus, grimaça-t-elle. J’ai horreur de la bière, en plus.

   – Il a éclaté de rire, ça arrive, rétorqua Allison, luttant pour ne pas s’esclaffer elle aussi. Et puis, vois le bon côté des choses, les gens ne se souviendront même plus de quoi vous riiez comme ça.

    – Je suis pas sûre de préférer qu’on se rappelle que je me suis fait cracher dessus, plutôt que le jour où j’ai appelé la police à cinq ans parce que ma grand-mère insistait pour que je prenne mon bain, marmonna Soann.

   Elle plissa des yeux quand Allison ricana et cette dernière leva aussitôt les mains en signe d’apaisement, dévoilant une bouteille au liquide ambré.

   – Excuse-moi. Et pour me faire pardonner, je t’emmène un petit délice de la maison, cadeau de mon paternel.

   Soann attrapa la bouteille et en but une gorgée, savourant la brûlure de l’alcool dans sa gorge. Puis elle toussa, les yeux remplis de larmes.

   – Hé doucement, rit Allison en lui prenant la bouteille des mains. Il est bon, hein ? C’est du whisky.

  – J’avais remarqué, rétorqua Soann, la voix légèrement rauque. La vache, c’est chaud !

   Allison lâcha de nouveau un rire. Un rire profond et chaud qui poussa Soann à sourire en retour et à la regarder. Elle ne sut si c’était l’alcool, mais une brusque montée de température sembla lui enflammer le corps et elle invita Allison à boire avant de reprendre elle-même une gorgée.

   – Portons un toast, déclara Allison lorsque la bouteille fut de nouveau entre ses mains.

   Elle la leva entre elles.

   – A ton frère, que nous avons enfin retrouvé, sourit-elle. A Mathis et sa maman, enfin réunis.

   – Grace à toi, coupa Soann.

   Allison rougit légèrement. Elle porta un dernier toast :

   – Et à nous, pour la merveilleuse nuit que nous allons passer ensemble, et toutes celles qui suivront, taquina-t-elle.

   Soann haussa un sourcil parfaitement épilé.

   – Ah oui ?

   – Hmm hmm, acquiesça Allison tout en la saisissant par le bras.

   Sa main glissa furtivement de son coude à son poignet, lui provoquant d’agréables frissons, puis elle porta l’un des doigts de Soann à ses lèvres et s’afféra à retirer son gant avec ses dents. Le geste avait quelque chose de si sensuel que Soann fut incapable de détourner le regard.  Puis, le vêtement retiré, Allison caressa finalement la peau délicate de sa paume, les yeux rivés dans ceux de Soann.

   – Bien sûr, tu peux refuser.

   – Ça pourrait ne pas marcher, choisit cependant de répondre Soann.

   Allison haussa les sourcils, puis afficha un sourire. Elle s’approcha jusqu’à frôler le corps de Soann.

   – Ça pourrait. Mais ça... on ne le saura qu’en essayant, pas vrai ?

   Soann sentit glisser sous son t-shirt, sur sa peau nue, deux mains chaudes et douces comme de la soie, suivi d’un baiser dans son cou, sur la peau enflammée, qu’Allison  mordilla au passage.

   Un frisson de plaisir intense la traversa, et elle répondit la seule chose qu’elle pouvait répondre en cet instant :

   – Mon lit. Maintenant.

   Le rire d’Allison résonna aussitôt dans la pièce, mais ne tarda pas à céder la place à des gémissements passionnés entremêlé de leurs soupirs...

 

 

- FIN -

 

 

N'hésitez pas à nourir l'auteure, faites-lui savoir ce que vous avez pensé de son histoire !

8 avril 2015

Chapitre 6 :Le Début de la Fin

Les faibles rayons du soleil tirèrent Allison du sommeil le lendemain matin, et elle s’extirpa de leur lit improvisé, le drap glissant sur ses jambes nues. Les yeux encore gonflés de sommeil, elle enfila un long t-shirt qui lui tomba jusqu’aux genoux et prit la direction du petit bois qui bordait leur camp afin de satisfaire ses besoins naturels.

   La lumière légèrement tamisée par les arbres avait quelque chose d’agréable et elle fut reconnaissante des bruits de la faune et de la flore environnante qui lui permirent de se réveiller en douceur. Agenouillée aux abords d’un petit cours d’eau, elle savourait l’agréable sensation de l’eau qui glissait sur sa peau, suffisamment fraîche pour réactiver chaque muscle de son corps, lorsqu’un sentiment étrange s’empara d’elle.

   Un silence anormal, pesant, s'était installé sur la prairie. Les oiseaux ne chantaient plus, tout semblait s'être figé autour d’elle.

   Puis elle sentit le canon d'un pistolet contre l’arrière de sa tête, et elle comprit pourquoi.

💕

   Soann était en train de s’étirer dans la tente quand le bruit de quelque chose qu’on traînait sur le sol se fit entendre à l’extérieur. Intriguée, elle sortit la tête par l’ouverture, et bondit aussitôt sur ses pieds lorsqu’elle vit Allison tirer le corps inerte d’un soldat à bout de bras, avant de le laisser tomber lourdement à ses pieds.

   – Je t’avais dit que quelque chose clochait, lâcha Allison, essoufflée avant de se passer une main sur son front dégoulinant de sueur.  Le pervers, il a attendu que je fasse ma toilette pour me surprendre !

   Soann s’accroupit aux côtés du soldat et l’observa longuement avant de fouiller sous sa chemise. Son visage était recouvert d’une peinture camouflage, le rendant méconnaissable, et à la vue de son dog tag, elle secoua la tête d’incrédulité.

   – Tu peux le sentir ? demanda-t-elle en levant les yeux vers Allison.

   Cette dernière cligna des yeux, surprise de voir que Soann avait le regard embué. Elle secoua négativement la tête tout en s’accroupissant à son tour.

   – C’est ton frère ? demanda-t-elle, peu sûre d’y croire.

   Soann lâcha un rire mêlé de pleurs.

   – Allison, je te présente Sofyan, acquiesça-t-elle, s’essuyant le nez d’un revers de bras. Je suis désolée, j’avais oublié... il n’a pas de pouvoirs, mais il a toujours été immunisé au mien. Tu crois que... ?

   – Ça pourrait en effet expliquer pourquoi je ne peux pas le sentir, répondit Allison, secouant la tête d’incrédulité. Il doit avoir une espèce de bouclier ou quelque chose du genre. Je comprends mieux pourquoi ils nous regardaient comme ça à la base en tout cas.

   Soann hocha la tête.

   – Ils se sont méfiés, consentit-elle avant de lever la tête. Qu’est-ce que tu lui as fait ? Tu l’as assommé ?

   – Je ne cache pas qu’il risque d’avoir quelques bleus ici et là, grimaça Allison en se redressant. Mais c’est en effet mon grand final qui l’a achevé ; je lui ai mis un coup de crosse sur la tempe, ajouta-t-elle, penaude.

   – Tu peux me passer le bidon derrière toi ? demanda Soann.

   Allison obtempéra et Soann but une gorgée de l’eau désormais chaude avant de jeter le reste sur le visage de son frère. Ce dernier se réveilla aussitôt en sursaut, recracha les quelques gouttes qui s’étaient infiltrées dans son nez et dans sa bouche, puis les observa à tour de rôle tout en s’écartant avec prudence. Son regard s’arrêta finalement sur Soann et il se passa une main sur le visage, incrédule, avant de l’attraper par l’avant du t-shirt et la serrer contre lui.

   – J’étais persuadé que c’était un mensonge, une imposture... Putain, j’ai jamais été aussi heureux de ma vie.

   Trop émue pour pouvoir répondre, Soann se contenta de le serrer contre elle en retour.

8 avril 2015

Chapitre 5 : Si Près Du But, Et Pourtant...

Un mois s’était écoulé depuis leur visite au Harem, et Soann pouvait désormais également rayer le Mexique de leur zone de recherche. Pays majoritairement pauvre, seules les grandes villes avaient été aménagées de routes goudronnées et elles avaient passé les dernières semaines à ne voir que de vastes étendues de sable parsemées de villages miteux.  

   Sans la moindre trace de son frère.

   Se trouvait-il quelque part en Amérique du Sud ? Ou, pire encore, sur un autre continent ? Si tel était le cas, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

   Soupir.

   Elle tourna la tête pour voir Allison prendre place à côté d’elle sur le capot du char et sourit quand elle lui tendit une barquette.

   – Merci. T’es pas obligée de t’embêter à me mettre de la viande à chaque fois, tu sais. Je peux très bien me servir moi-même.

   Allison haussa les épaules.

   – Ça me dérange pas. C’est pas comme si la bestiole allait me manger maintenant qu’elle est morte, taquina-t-elle.

   Soann lâcha un rire, son désespoir momentanément oublié. C’était d’ailleurs exactement pour ça qu’elle adorait la compagnie d’Allison. Pour cette fraîcheur, cette légèreté qu’elle apportait sans même s’en rendre compte.

   – Tu sais, d’habitude, j’ai horreur de manger en compagnie de végétariens. A la façon dont ils me regardent, j’ai toujours l’impression de manger leur chiot.

   – Hmm au moins, toi, on te regarde pas comme si tu venais d’une autre planète, renchérit Allison, le regard fixé au loin. Je t’assure, ce que tu manges m’est complètement égal.

   – Je me fiche aussi que tu sois végétarienne, répondit Soann.

   Elles échangèrent un regard et éclatèrent aussitôt de rire. Allison se tourna vers elle et prit appui sur un coude.

   – Sache en tout cas que je n’ai aucun problème avec les fruits de mer, taquina-t-elle, faisant glisser sa langue sur le plat de sa cuillère sans quitter Soann des yeux. Les moules surtout, oh la la...

   Cette dernière sentit aussitôt son visage se réchauffer, mais refusa de se laisser démonter. Elle rétorqua, les yeux pétillants de malice :

   – Ah ? Eh bien sache que pour ma part, j’adore les fruits tout court. Quelle que soit la saison. Prune, ou figue. Cerise, fraise ou framboise... hmm... Mon préféré ?

   Allison haussa les sourcils, pendue à ses lèvres, et Soann s’approcha de manière à chuchoter, en conspiratrice :

   – L’abricot.

   Allison se mordit aussitôt la lèvre inférieure, un air béat sur le visage, avant de se laisser retomber sur le dos.

   – Hmm l’abricot..., soupira-t-elle de plaisir, avant d’éclater de rire lorsque Soann ricana à ses côtés.

   Une sonnerie stridente choisit ce moment pour se faire entendre et elle lâcha un « oh merde ! » tout en se précipitant à l’intérieur du char. Elle en ressortit cinq minutes plus tard, un air plein d’espoir sur le visage qui fit aussitôt battre le cœur de Soann.

   – C’était la base de San Antonio, dit-elle d’une voix excitée. Les portraits robots ont portés leurs fruits, ils ont reconnu ton frère.

   Soann se contenta de ramasser leurs barquettes et de la rejoindre à l’intérieur pour toute réponse.

💕

   Le soleil était déjà bas dans le ciel lorsqu’elles quittèrent la base et elles roulèrent sur une dizaine de kilomètres avant de s’arrêter dans un endroit désert pour passer la nuit. Il leur avait fallu deux jours pour atteindre l’enceinte militaire, et une bonne heure avant qu’on ne les autorise à entrer à l’intérieur, comme si, malgré le fait qu’elles avaient été invitées, elles n’étaient clairement pas les bienvenues.

   Un sentiment qui n’avait fait que se confirmer par la suite.

   – Ça va ? demanda Soann lorsqu’elle remarqua l’air perplexe qu’affichait Allison.

   Cette dernière secoua légèrement la tête.

   – Oui, c’est juste que..., répondit-elle, visiblement tourmentée avant de se passer une main sur le visage et soupirer. Ecoute, je sais qu’ils nous ont invités, et qu’ils ont répondu à nos questions, mais t’as pas eu l’impression qu’ils nous regardaient bizarrement ?

   – Ils étaient loin d’être à l’aise, ça c’est sûr, répliqua Soann, étirant ses longues jambes devant elle malgré l’étroitesse du char. Mais si deux parfaits inconnus se rendaient à Holy Cross afin d’interroger ton père à ton sujet, il serait sûrement un peu suspicieux lui aussi, non ?

   Allison haussa les épaules.

   – Hmm, sûrement, répondit-elle, même si elle semblait peu convaincue.

   Soann hésita un instant avant de demander :

   – Tu l’as... hum, senti ?

   – C’est ça le problème, soupira à nouveau Allison en tournant la tête vers elle. J’en sais rien.

   – T’en sais rien ? s’étonna Soann. Qu’est-ce que ça veut dire ?

   Allison se débarrassa de sa ceinture avant de lui faire face, penchée en avant, les coudes posés sur les genoux.

   – Y a un truc qui cloche ici, Soann. Je sais que ça fait deux ans qu’il est parti, mais c’est comme si... soit je le sens, soit je ne le sens pas, mais là... c’est comme si mon pouvoir avait disparu.

   Elle soupira lorsqu’elle vit Soann hausser les sourcils.

   – C’est pas clair, je sais, s’excusa-t-elle. Je suis pas sûre d’y comprendre quelque chose moi non plus. Je sais juste qu’un truc ne tourne pas rond ici.   

   Soann laissa retomber sa tête contre le dossier. En ce qui la concernait, elle ne s’était jamais sentie aussi proche et aussi éloignée de son frère à la fois.

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